Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/93

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face, tout cela eût enivré Jeanne un autre jour. Mais elle n’en sentait l’attrait que secrètement, et tout blessait son cœur. Son idée touchante était d’aller souffrir, avec la majesté d’une grande âme, dans ces salles désertes et nobles, devant les chefs-d’œuvre émouvants. Et surtout elle voulait voir ce portrait d’une femme inconnue, attribué à Philippe de Champaigne, et dont Houchemagne avait déclaré, la veille, que madame Trousseline lui ressemblait, — car les artistes, par une inversion singulière, voient les tableaux comme des prototypes, et la nature comme une image de l’art.

Ainsi qu’elle l’avait présumé, le musée était vide à cette heure matinale ; seuls des copistes installaient leurs chevalets le long des galeries. La charmante fille s’arrêtait çà et là, devant ses toiles préférées ; les larmes qu’elle retenait avec peine lui en voilaient la vue, comme l’eût fait un verre embué, mais elle les reconnaissait ; et au Salon Carré, elle disait aux Titiens, aux Vincis, et à ces grandissimes Noces de Cana dont le voisinage l’oppressait comme le grouillement d’une cité vivante : « Oh ! mes chers chefs-d’œuvre, je n’ai plus que vous ! »

Ses pas légers trouvaient une résonance dans l’ampleur des salles ; elle les assourdissait en glissant ses bottines sur les parquets luisants. Elle pensait à Houchemagne. Et elle avait l’esprit si plein de son image qu’elle n’eut pas un mouve-