Page:Yves - La Pension du Sphinx.djvu/270

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Mme de Bronchelles eut le frisson ; la froide et méthodique Ogoth avait si bien, en ces quelques mots anodins, exprimé ce même sens de l’horreur qu’elle cherchait justement à dérober que la spirituelle femme et Nouvel eurent tous deux à ce moment le sentiment de plonger enfin dans cette âme ténébreuse. Et même, l’écrivain se complaisait tant à son étude psychologique, qu’il voulut profiter de cette brèche ouverte dans le sanctuaire pour y pénétrer tout à fait.

« Vous avez une telle sérénité, mademoiselle Bjoertz, que vous donnez l’illusion de ne souffrir jamais. »

Ogoth aurait pu répondre ; elle se contenta de sourire en regardant Nouvel. Ce sourire d’ailleurs n’avait rien de gai ; mieux qu’aucune parole il semblait dire : « Mon pauvre monsieur Nouvel, faut-il avoir votre talent et votre esprit pour prononcer cette monstruosité : ne pas souffrir, moi ! comme si d’une femme dont tout le passé reste quelque chose de nébuleux, de lointain, de secret, vous pouviez supposer une telle invraisemblance ! Toutes les années, inconnues de vous, que j’ai vécues, toute ma jeunesse écoulée là-bas en Norvège et dont je n’ai jamais rien dit, pouvez-vous supposer qu’elle ait été tissée de jours sans nuages et sans tristesse ?