Page:Yves - La Pension du Sphinx.djvu/63

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demeurait immobile devant le moine, battant seulement de sa queue ses pattes encrassées d’un répugnant fumier ; « tu ne rougirais pourtant pas, si l’on te servait ma chair sous la forme d’un mets délicieux, de t’en repaître ; ni tu ne dédaignerais pas de t’abreuver de mon sang, si l’on en faisait de ces sauces et de ces coulis dont tes semblables nourrissent leur gourmandise. Il est vrai que je suis encore vivante, et que j’ai tant peiné à tirer la charrue parmi ces plaines que tu vois, que ma viande, toute racornie, ne sera plus jugée bonne à rien pour vos tables ; mais les petits que j’ai eus, et les petits de mes petits dont le troupeau rassemblé remplirait ce champ, que sont-ils devenus ? Avez-vous attendu seulement que leur chair fût affermie pour la pendre à vos boucheries, et la dévorer ? Et pour les génisses que vous avez épargnées un moment afin de leur dérober un jour le doux lait de leurs mamelles, combien de temps leur avez-vous laissé la vie ? Va, ô homme ! le sang qui coule dans tes veines, que t’ont transmis tes pères et que tu as refait en te nourrissant du lait de mes filles, de la chair de mes fils, c’est le nôtre. Considère ces choses, mon frère, et ne t’enorgueillis plus de ta race que la gourmandise humaine a mêlée à celle des animaux. »