Page:Zola - Œuvres critiques, 1906, tome 2.djvu/382

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Archives, je me permis de lui demander, en lui montrant le bordereau :

— Il y a là, monsieur, une annotation au crayon qui ne me paraît pas être de la main de M. Hennet. Qui donc a écrit cela ?

— C’est moi, monsieur.

— Ah !… Et vous êtes bien sûr, monsieur, qu’il n’existe pas un dossier au bureau de la justice militaire ?

— Oh ! absolument sûr, monsieur. J’en ai reçu l’assurance.

— Mais qui vous a renseigné ?

— Le général Billot lui-même.

Le général Billot ! J’avoue que ce nom, tombé là en coup de foudre, me stupéfia. Comment le général Billot pouvait-il savoir qu’il n’y avait pas de dossier judiciaire ? Il s’en était donc assuré, et les recherches avaient donc été bien mal faites, pour qu’on n’eût pas trouvé ce dossier, qui existait ? Mais alors le général Billot devait s’être occupé de toute l’histoire, il devait être au courant, il n’avait ignoré ni la demande du dossier, ni la communication. Remarquez que la chute du ministère Méline, dont le général faisait partie, est du 15 juin 1898, et que le général est resté chargé de l’expédition des affaires jusqu’au 29 juin, date de l’arrivée de M. Cavaignac au pouvoir. Or, la lettre Combe n’a été publiée par le Petit Journal que le 18 juillet, et le général Billot ne pouvait rien savoir par le dehors de la communication du dossier, c’était donc qu’il y avait une question du dossier au ministère. Tout cela donne lieu aux suppositions les plus inquiétantes.

J’ai voulu savoir s’il avait fallu des prodiges d’intelligence pour retrouver le dossier judiciaire, et j’ai demandé à M. le contrôleur général Cretin si les recherches avaient donné beaucoup de peine.

— Oh ! mon Dieu, non ! m’a-t-il répondu, le temps matériel de faire les fouilles nécessaires.

Je n’ose risquer des hypothèses. Celle qui s’est invinciblement emparée de mon esprit est que, si l’on a eu connaissance de la lettre du duc de Rovigo, et si l’on a préféré la replonger dans l’oubli poudreux des documents qu’on ne trouve plus, c’était donc qu’on préférait ne pas affaiblir, en la produisant, les virulences du colonel Combe. Elle mettait sur la voie de la vérité, elle gênait, elle devait dormir.

Puis, je me suis dit tout d’un coup que M. Hennet, lorsque le colonel Henry lui avait renvoyé le dossier, ne devait pas avoir donné à ce dossier une belle chemise neuve, ni l’avoir pourvu de cotes et d’un bordereau, pour le plaisir de cette besogne singulière, et de sa propre autorité. Il obéissait sûrement à un ordre supérieur, en ne replaçant pas le dossier dans la nécropole commune, en le classant parmi les documents sérieux et utiles. Mais alors, dès ce moment, le ministre s’occupait donc de ce pauvre dossier ? Rapprochons les dates. M. Hennet dit l’avoir communiqué dans la première quinzaine de mars au colonel Henry, qui ne l’aurait pas gardé longtemps. J’ai fait remarquer le vague de ces indications. La seule date certaine est celle du 8 juin 1898, à laquelle M. Raveret a « clos » le bordereau. C’est le 23 et le 25 mai que M. Judet avait commencé sa campagne, et il n’a donné les lettres du colonel Combe que le 18 juillet, près de deux mois plus tard. Or, comme le général Billot n’a quitté le ministère que le 29 juin, il semble bien que le dossier de mon père a été organisé sous ses ordres, de même que le dossier Dreyfus allait être organisé sous les ordres de M. Cavaignac, dès son arrivée au pouvoir.

Je ne cite que des faits, et je ne veux que justifier mes doutes et mes soupçons, en établissant par quelles mains la mémoire de mon père est passée, et dans quel foyer de basses intrigues elle est tombée, comme une proie de scandale et d’ignoble vengeance.

Avant de conclure, je veux parler d’un dossier encore, d’un troisième dossier qui doit exister au ministère de la guerre, que l’on y cherche en ce moment, mais dont je n’ai pu jusqu’ici prendre connaissance. D’ailleurs, j’ai déjà en main assez de documents pour en parler avec quelque utilité.

Il s’agit du projet que mon père avait présenté au ministre de la guerre d’un nouveau système de fortification, avec plans à l’appui. Dans le dossier administratif où se trouve la lettre Combe, dans ce dossier qui devait être si écrasant pour la mémoire de mon père, j’ai découvert des pièces qui me seront très précieuses, car elles me permettront de documenter un livre que je veux écrire, une Vie de François Zola. Ainsi, je donne ici une de ces pièces :

MINISTÈRE
DE LA GUERRE
BUREAU DU GÉNIE
SECTION DU MATÉRIEL
Invitation de faire parvenir la description du nouveau système de fortification dont il est l’inventeur. « Paris, 14 avril 1831.

« J’ai reçu, monsieur, la lettre que vous m’avez écrite le premier du mois courant, et par laquelle vous demandez à me soumettre un nouveau système de fortifications dont vous êtes inventeur.

« Mes nombreuses occupations ne me permettent pas de satisfaire le désir que vous paraissez manifester de m’exposer votre plan de vive voix. Mais, dans le cas où vous voudriez me faire parvenir la description du nouveau système dont vous parlez, en y joignant tous les dessins et tous les détails que vous jugerez utiles, pour en indiquer les avantages avec toute l’étendue convenable, je pourrai le faire examiner, et j’aurai soin de vous faire ensuite connaître le résultat de l’examen qui aura lieu.

« Recevez l’assurance de ma considération.

« Le ministre secrétaire d’État
de la guerre.
« Pour le Ministre :
« Le lieutenant-général directeur.
« Saint-Cyr Nugues. »

Et j’ai trouvé également dans le dossier la