« Des flots du temps »

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La Plumeannée 1903 (p. 163-164).

Des flots du temps apparais, ma bien-aimée,
Avec tes bras marmoréens, avec ta longue chevelure blonde
Et ta face, diaphane comme la face de la blanche cire,
Amaigrie par l’ombre des douleurs poignantes !
De ton doux sourire tu consoles mes yeux,
Ô femme parmi les étoiles et étoile parmi les femmes ;
Et quand tu tournes ta tête vers ton épaule gauche,
Je me mire, éperdu, dans les yeux du bonheur et je pleure.

 

Comment t’arracher pourtant à l’abîme des ténèbres,
Te soulever sur ma poitrine, cher ange aimé,
Et pencher mon visage en larmes sur ton visage,
Noyer ton souffle de mes baisers brûlants
Et réchauffer ta main fiévreuse dans mon sein,
La garder tout près, encore plus près de mon cœur.

Mais, hélas ! tu n’es pas une figure réelle, telle que tu passes,
Et ton ombre se perd dans les froides ténèbres,
De sorte que je me retrouve, seul, les bras ballants,
Avec la triste souvenance du rêve beau !
En vain les tends-je vers ta douce ombre :
Des flots du temps je ne peux te saisir.[1]


  1. Des flots du temps, 1883.