« Les soirs et les matins ont lassé ma paupière »

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Les Ailes d’or : poésies nouvelles, 1878-1880Bibliothèque-Charpentier (p. 269-270).
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Les soirs et les matins ont lassé ma paupière,
Et mon esprit n’attend plus rien de leur retour :
— Après le jour la nuit — l’ombre après la lumière —
— Le doute après la foi — l’amour après l’amour !

— Sur chaque espoir déçu l’espoir qui recommence !
— Sur tout désir vaincu quelque désir vainqueur !
L’heure ne porte, en soi, que la vaine semence
De tout ce qui fleurit aux ruines du cœur.


Ce sont les plus brisés qui sont les plus fertiles :
Ô printemps sans été !… Maudit soit le destin
Qui fait frémir en nous des ailes inutiles
Que nul vol n’ouvrira vers quelque azur lointain !

Maudit soit le destin qui, du cercle des choses,
Fait à notre pensée une étroite prison,
Qui la laisse immuable en leurs métamorphoses,
Et sous un rideau d’or nous ferme l’horizon !

Comme au fond de mon âme, au fond de ma prunelle
Un besoin d’infini vit ardent et pareil :
Je voudrais m’endormir dans une aube éternelle.
Le cœur brûlé d’amour et les yeux de soleil !