À genoux/La Rêverie

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Alphonse Lemerre (p. 25-28).
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VIII

LA RÊVERIE


 
Traînant dans la lumière éclatante et superbe
Ses chers cheveux qui vont derrière elle dans l’herbe,
Et marchant avec la lenteur d’un beau vaisseau,
La belle Reine rêve au bord du clair ruisseau.
Elle passe pareille aux Prêtresses bibliques,
Abandonnant ses yeux d’azur mélancoliques
À l’azur moins divin du ciel attiédi.
Elle marche dans l’herbe épaisse. Il est midi.
Les Fleurs, dont elle fait l’envie et les délices,
Lèvent avec amour vers ses yeux leurs calices

Diamantés où luit l’orgueil d’être ses sœurs ;
Et les arbres, les grands arbres pleins de douceurs
Adoucissent pour sa chère tête la flamme
Du soleil, et, troublés jusqu’au fond de leur âme
Par l’immense grandeur de sa marche, lui font
Des aveux qu’elle écoute avec un air profond ;
Et l’herbe, qu’elle foule avec toute sa gloire,
Tremble au contact sacré de ses jambes d’ivoire ;
Et toute la forêt divine en tressaillit ;
Et par moments le clair ruisseau d’ambre jaillit
Plus amoureusement sur ses pieds blancs qu’il baise,
Se faisant doux afin que sa douceur lui plaise,
Et dans le pur cristal de ses flots bleus, pareils
À des miroirs, reflète encor ses yeux vermeils,
Son front noble, et sa bouche inviolable, et même
Ses longs cheveux de marbre et le clair diadème
De diamants que j’ai fait descendre sur eux,
Un soir ! Fière au milieu des arbres amoureux,
Elle marche parmi les souffles qui l’effleurent.
Les forêts, où les vieux saules nuit et jour pleurent,
Comprennent mieux que les cœurs des Hommes combien
La Femme, dont la chair embaume, est le seul bien
Qu’on ait sur cette terre ingrate ; les Bois tristes
Sont plus que nous émus par les yeux d’améthystes,
Et même après l’ennui profond des froids hivers
De telles femmes sont l’orgueil des chênes verts.

Or la Femme est aux Bois sacrés reconnaissante,
Et lorsque, sur son lit de fleurs agonisante,
Elle se sent faiblir sous le poids de l’amour,
Elle fuit dans les Bois lointains l’horreur du jour,
Et dans les longs midis brûlants, par les allées
De tilleuls, sur le bord des eaux immaculées,
Se console des deuils noirs dont nous l’accablons
En laissant les grands Bois baiser ses cheveux blonds.
Mais elle, elle si belle ! à quelle âme immortelle,
À quelle âme plus forte encore songe-t-elle,
Pour s’en venir ainsi rêver avec les Bois,
Elle dont l’œil est plein d’astres et dont la voix
Est pleine de chansons, elle dont même l’ombre
Étincelle comme un soleil dans la nuit sombre,
Elle dont tout le corps n’est qu’un ciel radieux ?

Elle vient chaque jour, triste, songer aux dieux
Immortels qui sont morts autrefois ! elle songe
Qu’elle même choira dans l’abîme où tout songe,
Qu’elle mourra, que ses cheveux divins mourront,
Que ses lèvres d’azur clair mourront, et son front !
Elle songe à ce terme horrible de la vie.
Et c’est pourquoi dans ses douleurs ce qu’elle envie
Avec toute son âme ardente, ce n’est pas
L’amour des cœurs humains enchaînés à ses pas,

Ni la grandeur des Rois monstrueux et des Reines
Terribles, ni les chants attirants des Sirènes,
Ni la beauté des corps étincelante, mais
L’éternité des Bois qui ne mourront jamais.