À la reine, pendant sa régence

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ODE VIII

POUR LA REINE MERE DU ROY
[Marie de Medicis]
pendant la regence

1614




Si quelque avorton de l’Envie
Ose encore lever les yeux,
Je veux bander contre sa vie
L’ire de la terre et des cieux ;
Et dans les savantes oreilles
Verser de si douces merveilles
Que ce misérable corbeau,
Comm' oiseau d’augure sinistre,

Banny des rives de Caïstre,
S’aille cacher dans le tombeau.

Venez donc, non pas habillées,
Comm’ on vous trouve quelquefois,
En jupes dessous les fueillées,
Dansant au silence des bois.
Venez en robes, où l’on voye
Dessus les ouvrages de soye
Les rayons d’or étinceller ;
Et chargez de perles vos testes,
Comme quand vous allez aux festes
Où les dieux vous font appeller.

Quand le sang, bouillant en mes veines,
Me donnoit de jeunes desirs,
Tantost vous souspiriez mes peines,
Tantost vous chantiez mes plaisirs ;
Mais aujourd’huy que mes années
Vers leur fin s’en vont terminées,
Sieroit-il bien à mes écris
D’ennuyer les races futures
Des ridicules avantures
D’un amoureux en cheveux gris ?

Non, vierges, non ; je me retire
De tous ces frivoles discours :
Ma Reine est un but à ma lyre
Plus juste que nulles amours ;

Et, quand j’auray, comme j’espere,
Fait ouïr, du Gange à l’Ibere,
Sa louange à tout l’univers,
Permesse me soit un Cocyte,
Si jamais je vous solicite
De m’aider à faire des vers !

Aussi-bien chanter d’autre chose,
Ayant chanté de sa grandeur,
Seroit-ce pas, aprés la rose,
Aux pavots chercher de l’odeur,
Et des loüanges de la lune
Descendre à la clairté commune
D’un de ces feux du firmament
Qui, sans profiter et sans nuire,
N’ont receu l’usage de luire
Que par le nombre seulement ?

Entre les rois à qui cet âge
Doit son principal ornement,
Ceux de la Tamise et du Tage
Font loüer leur gouvernement ;
Mais, en de si calmes provinces
Où le peuple adore les princes,
Et met au degré le plus haut
L’honneur du sceptre legitime.
Sauroit-on excuser le crime
De ne regner pas comme il faut ?

Ce n’est point aux rives d’un fleuve
Où dorment les vents et les eaux
Que fait sa veritable preuve
L’art de conduire les vaisseaux ;
Il faut, en la plaine salée,
Avoir lutté contre Malée,
Et prés du naufrage dernier
S’estre vu dessous les Pléiades,
Eloigné de ports et de rades,
Pour estre creu bon marinier.

Ainsi, quand la Grece, partie
D’où le mol Anaure couloit,
Traversa les mers de Scithie
En la navire qui parloit,
Pour avoir sceu des Cyanées
Tromper les vagues forcenées,
Les pilotes du fils d’Eson,
Dont le nom jamais ne s’efface,
Ont gaigné la premiere place
En la fable de la Toison.

Ainsi, conservant cet empire
Ou l’infidélité du sort,
Jointe à la nostre, encore pire,
Alloít faire un dernier effort,
Ma Reine acquiert à ses merites
Un nom qui n’a point de limites,

Et, ternissant le souvenir
Des reines qui l’ont precedée,
Devient une eternelle idée
De celles qui sont à venir.

Aussi-tost que le coup tragique,
Dont nous fusmes presque abbatus,
Eût fait la fortune publique
L’exercice de ses vertus,
En quelle nouveauté d’orage
Ne fut éprouvé son courage,
Et quelles malices de flots,
Par des murmures effroyables,
A des voeux à peine payables
N’obligerent les matelots ?

Qui n’ouït la voix de Bellonne,
Lasse d’un repos de douze ans,
Telle que d’un foudre qui tonne,
Appeller tous ses partisans,
Et déja les rages extrémes,
Par qui tombent les diadémes,
Faire apprehender le retour
De ces combats dont la manie
Est l’eternelle ignominie
De Jarnac et de Moncontour ?

Qui ne voit encor à cette heure
Tous les infidelles cerveaux

Dont la fortune est la meilleure
Ne chercher que troubles nouveaux,
Et ressembler à ces fontaines
Dont les conduites souterraines
Passent par un plomb si gasté
Que, tousjours ayant quelque tare,
Au mesme temps qu’on les repare,
L’eau s’enfuit d’un autre costé ?

La paix ne voit rien qui menace
De faire renaistre nos pleurs,
Tout s’accorde à notre bonace,
Les hivers nous donnent des fleurs :
Et, si les pasles Eumenides,
Pour réveiller nos parricides,
Toutes trois ne sortent d’enfer,
Le repos du siecle où nous sommes
Va faire à la moitié des hommes
Ignorer que c’est que le fer.

Themis, capitale ennemie
Des ennemis de leur devoir,
Comme un rocher est affermie
En son redoutable pouvoir ;
Elle va d’un pas et d’un ordre
Où la censure n’a que mordre ;
Et les loix, qui n’exceptent rien
De leur glaive et de leur balance,

Font tout perdre à la violance
Qui veut avoir plus que le sien.

Nos champs mesme ont leur abondance
Hors de l’outrage des voleurs ;
Les festins, les jeux et la danse
En bannissent toutes douleurs.
Rien n’y gemit, rien n’y souspire ;
Chaque Amarille a son Tityre ;
Et, sous l’épaisseur des rameaux,
Il n’est place où l’ombre soit bonne
Qui soir et matin ne resonne
Ou de voix ou de chalumeaux.

Puis, quand ces deux grands hymenées,
Dont le fatal embrassement
Doit applanir les Pyrenées,
Auront leur accomplissement,
Devons-nous douter qu’on ne voye,
Pour accompagner cette joye,
L’encens germer en nos buissons,
La myrrhe couler en nos rues,
Et, sans l’usage des charrues,
Nos plaines jaunir de moissons ?

Quelle moins hautaine esperance
Pouvons-nous concevoir alors,
Que de conquester à la France
La Propontide en ses deux bors,

Et, vengeant de succez prosperes
Les infortunes de nos peres,
Que tient l’Egypte ensevelis,
Aller si prés du bout du monde
Que le soleil sorte de l’onde
Sur la terre des fleurs de lys ?

Certes ces miracles visibles,
Excedant le penser humain,
Ne sont point ouvrages possibles
A moins qu’une immortelle main ;
Et la raison ne se peut dire
De nous voir en notre navire
A si bon port acheminez,
Ou, sans fard et sans flatterie,
C’est Pallas que cette Marie
Par qui nous sommes gouvernez.

Quoy qu’elle soit, nymphe ou déesse,
De sang immortel ou mortel,
Il faut que le monde confesse
Qu’il ne vit jamais rien de tel ;
Et quiconque fera l’histoire
De ce grand chef-d’oeuvre de gloire,
L’incredule posterité
Rejettera son témoignage,
S’il ne la depeint belle et sage
Au deça de la verité.


Grand Henry, grand foudre de guerre,
Que (cependant que parmy nous
Ta valeur étonnoit la terre),
Les Destins firent son espous ;
Roy dont la memoire est sans blasme,
Que dis-tu de cette belle ame,
Quand tu la vois si dignement
Adoucir toutes nos absynthes,
Et se tirer des labyrinthes
Où la met ton éloignement ?

Que dis-tu, lorsque tu remarques,
Aprés ses pas, ton héritier
De la sagesse des monarques
Monter le penible sentier,
Et, pour étendre sa couronne,
Croistre comme un fan de lyonne ?
Que, s’il peut un jour égaler
Sa force avecques sa furie,
Les Nomades n’ont bergerie
Qu’il ne suffise à desoler.

Qui doute que, si de ses armes
Ilion avait eu l’appuy,
Le jeune Atride avecque larmes
Ne s’en fust retourné chez luy,
Et qu’aux beaux champs de la Phrygie,
De tant de batailles rougie,

Ne fussent encore honorez
Ces ouvrages des mains celestes
Que, jusques à leurs derniers restes,
La flamme grecque a devorez !