À travers l’Europe/Volume 1/Westminster

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P.-G. Delisle (1p. 123-128).

IV

WESTMINSTER.


SOUS ce nom sont désignés deux édifices dont les destinations ne se ressemblent guère, l’Abbaye et le Palais Législatif. Entrons d’abord dans Westminter Abbey.

C’est le monument religieux par excellence de Londres, et son aspect bien différent de celui de Saint Paul, fait naître immédiatement l’admiration. Le visiteur ne peut rester froid en face de ce noble et pompeux édifice, dont Washington Irving a célébré la grandeur et la poésie.

Le monastère et l’église primitive remontent au XIe siècle, et furent bâtis par St. Edouard le Confesseur, l’un des meilleurs rois de l’Angleterre.

L’historien protestant Larrey le qualifie d’imbécile, et je n’en suis pas étonné ; car, pour beaucoup de protestants, la sainteté et l’imbécilité sont synonyme.

Grâce à Dieu, ils ne sont pas tous ainsi faits. Lingard a été plus juste pour St Edouard et en a fait le plus bel éloge. Ce pieux monarque repose sous les voûtes de Westminster. Henri VIII, qui aurait mal dormi à ses côtés, l’en avait fait enlever ; mais la reine Marie l’y fit réinstaller, et depuis, plusieurs rois sont venus prendre place sous les mêmes dalles funèbres.

Westminster a bien la grandeur, la solennité, l’aspect austère et le morne silence qui conviennent aux cimetières des rois, et quand vous entendez résonner vos pas sur le marbre de ces voûtes silencieuses, une impression profonde vous saisit. Pendant que vos yeux admirent ces belles proportions et les nombreuses sculptures de l’intérieur, votre esprit s’élève et voyage à travers les siècles qui ne sont plus, de ce monde tourmenté où nous venons mourir, à cette patrie des âmes ou nous irons vivre !

Le chœur et les transepts datent du règne de Henri III, de ce siècle de foi où l’Europe se couvrit des monuments du catholicisme.

Malgré toutes les modifications que la réforme lui a fait subir, ce beau temple conserve encore le caractère catholique. La consécration imprime aux choses comme aux hommes un caractère ineffaçable, et j’ai vu des églises transformées en casernes et en écuries qui gardaient encore un certain cachet religieux.

En y pénétrant, le catholique se sent ému, et son âme attristée remonte involontairement le cours des siècles, pour regretter le temps où les hymnes romaines retentissaient sous ces superbes arceaux.

Un autre regret nous atteint encore : c’est d’y retrouver ce qui déplaît à St Paul, une galerie trop mêlée de monuments funèbres et de statues.

À côté des tombes royales sont entassées les cendres des poètes, des hommes politiques, des guerriers, des marins, des économistes, des musiciens, des acteurs et même d’une actrice, Madame Oldfield.

Marie Stuart et Élisabeth, la victime et son bourreau, dorment ensemble dans la chapelle de Henri VII. Il y a lieu de penser que leurs âmes ne sont pas aussi rapprochées dans l’autre vie !

Le voisinage de Milton, Shakespeare et Dryden a plus d’harmonie, de même que celui de Pitt et Fox, Peel et Palmerston.

Dans la chapelle du moine Islip s’élève en l’honneur du Général Wolfe un monument, où se trouvent représentés et sculptés dans le marbre nos plaines d’Abraham, notre fleuve St-Laurent, et même un huron armé de son tomahawk.

Il y a dans ce Campo Sancto un grand nombre de morts vraiment illustres qu’il serait long d’énumérer, et quelques épitaphes qui seraient dignes de mention.

Je ne veux en traduire qu’une sur la tombe d’un homme politique, tel qu’on n’en voit plus :

Homme d’État, et cependant sincère,
Ami du juste et fidèle à l’honneur,
De sa promesse observateur austère,
Ne négligeant que son propre bonheur,
Il ne gagna ni titre, ni richesse.
Aimé de tous, par lui-même ennobli,
Il fut loué par la Muse en détresse,
Et bien des pleurs l’ont sauvé de l’oubli.

Laissons dormir ce modèle des hommes jusqu’au jour où ses rares imitateurs le retrouveront dans la vallée de Josaphat, et traversons la rue pour visiter le palais où s’ébattent tant d’hommes politiques qui ne mériteront pas la même épitaphe.

Les édifices parlementaires sont de construction toute récente, et les chambres anglaises n’y siègent que depuis une vingtaine d’années. Mais ce nouveau palais occupe l’emplacement de l’ancien, qu’un incendie détruisit en 1834, et cet endroit rappelle des souvenirs et des traditions qui remontent jusqu’à St Edouard le Confesseur.

L’extérieur en est très riche ; sa façade principale qui regarde la Tamise et qui mesure plus de 900 pieds présente un beau coup d’œil. Ses tours latérales, dont la plus haute mesure 400 pieds, ses clochetons, ses innombrables ciselures, ses créneaux à dentelle, ses panneaux à écussons, ses niches et ses pinacles, ses bases et ses arcs-boutants, ses ornements et ses décorations prodigués avec profusion en font un des plus beaux édifices de Londres.

Les appartements de l’intérieur sont de dimension et de forme très variées, mais ils n’ont pas la grandeur et la magnificence qu’ils devraient.

La Galerie Royale où le public est admis pour voir défiler la procession royale quand Sa Majesté vient ouvrir ou proroger le Parlement, la Chambre du Prince où la haute noblesse du royaume vient recevoir le Souverain, les bibliothèques qui sont commodément disposées, sont des salles élégantes, mais bien inférieures à l’admiration que leur témoignent les Anglais.

La chambre des Lords, malgré son luxe, paraît petite, et ne répond pas du tout à l’idée qu’on s’en forme. Elle est jolie, et si ses fresques sont médiocres, ses banquettes sont riches ; mais elle n’a rien de monumental. Le trône n’est ni élégant, ni artistique ; mais il est massif, solide, comme il convient à un Souverain qui n’est pas responsable.

La Chambre des Communes laisse encore plus à désirer, et les Communes du Canada sont beaucoup mieux installées.

Aussi le principal intérêt de ces chambres est-il tout entier dans les souvenirs qu’elles rappellent. On ne regarde pas avec indifférence les banquettes où siègent un Disraeli, un Gladstone, un marquis de Hartington, et celles où s’assirent les O’Connell, les Burke, les Brougham et les Palmerston.

On communique de la Chambre des Lords à la Chambre des Communes par une suite de corridors et d’appartements dont les portes s’ouvrent en droite ligne et présentent une jolie perspective ; au milieu s’ouvre une vaste salle octogone, un peu nue, mais très bien éclairée. La lumière venant d’en haut, et des côtés, traverse les verres vénitiens en mosaïque, et répand dans toute la salle un ensemble de lumineuses couleurs du plus bel effet.

De cette Salle centrale une porte voûtée nous conduit à la Salle St Etienne, où sont rangées les statues des grands hommes d’État de l’Angleterre.

Ici se trouvait jadis la chapelle de St Etienne, qui fut à peu près contemporaine de la Sainte Chapelle de Paris, et qui fut profanée comme elle. Le Parlement y tint ses séances depuis Henri IV, mais elle fut presque entièrement détruite par l’incendie de 1834, et quoiqu’on l’ait reconstruite, elle est restée sans destination et n’offre plus le caractère religieux et solennel qu’elle avait autrefois.

La crypte est antique, et l’on y a découvert sous une fenêtre, il y a quelques années, le corps embaumé d’un évêque qui fut garde-des-sceaux du roi Henri VI vers le milieu du XVe siècle.

De la Salle St Etienne, nous nous dirigeons vers la grande Salle Westminster, en traversant plusieurs appartements où siègent quelques tribunaux, et notamment les Cours de Chancellerie, du Banc de la Reine, et de l’Échiquier.