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À vau-le-nordet/11

La bibliothèque libre.
Librairie Beauchemin, Limitée (p. 109-112).

Vérité en deçà, _________
_________erreur au delà !

Connaissez-vous Lahontan, pardon ! je veux dire Mossieu le Baron de La Hontan, l’outrecuidant auteur de certaines relations de voyages dans l’Amérique septentrionale, au xviie siècle ?

Le nom de cet ignare ténébrion n’est parvenu jusqu’à nous que parce que les badauds, en l’an de grâce 1684, s’attroupaient lorsque quelqu’un tirait des coups d’arquebuse dans la rue tout comme les coups de pistolet, aux jours d’aujourd’hui, attirent les gogos. C’est un âne bâté qui tente de se déguiser en cheval de carrosse.

Par le fond et par la forme son bouquin n’a aucune valeur et il n’a pas même le format qui eût permis au marchand d’épices de l’utiliser. Au reste, personne n’ignore que c’est la hargne vipérine de Lahontan qui le mit en évidence et l’aurait aussi bien mis à la Bastille s’il n’avait jugé à propos de faire d’autres voyages… d’études, au Portugal et au Danemark.

C’est un dénigreur, un colporteur de potins et de ragots, un pisse-vinaigre, un fielleux qui, ayant toujours mâché amer, pouvait difficilement cracher doux. Il se venge sur notre dos des mécomptes et des ennuis que lui a attirés sa suffisance. Voici un extrait particulièrement mensonger et diffamatoire :

Les Canadiens ou créoles sont présomptueux et remplis d’eux-mêmes, s’estiment au-dessus de toutes les nations de la terre et, par malheur, ils n’ont pas toute la vénération qu’ils devraient avoir pour leurs parents… Les femmes aiment la parure et il n’y a point de distinction de ce côté-là entre la femme d’un petit bourgeois et celle d’un gentilhomme ou d’un officier.

Le cuistre avait eu la précaution de mettre la mer Atlantique entre lui et ceux qu’il calomniait de la sorte ; autrement, nos ancêtres n’auraient pas manqué de réfuter, par des issues de légumes et des œufs couvis, les sottises de ce malotru. On aurait pardonné au Gascon sa hâblerie, mais sa goujaterie est sans excuse. La honte, tant !

Ces restrictions faites, il faut reconnaître que cet écrivain fait preuve de beaucoup de perspicacité, de pénétration, de sagacité, de jugement et de véridicité historique. Voici un passage de son œuvre qui démontre que cet homme distingué sait, à l’occasion, rendre justice aux nobles qualités physiques et morales qui, de tous temps, furent l’apanage des nôtres :

Les Canadiens sont bien faits, robustes, grands, forts, vigoureux, entreprenants, braves et infatigables ; il ne leur manque que la connaissance des belles-lettres.

Vous le voyez, il ne nous manquait que les belles-lettres en 1684. Eh ! mon Dieu, qu’en aurions-nous fait des belles-lettres à cette époque lointaine ? Les belles pelleteries valaient beaucoup mieux !

Sur ce point, Lahontan s’accorde avec Hocquart qui fut, après Talon, le plus prestigieux intendant qu’ait eu la Nouvelle-France (1729-1748). Cet homme remarquable fait preuve d’esprit d’observation et d’un jugement fort judicieux quand il rend de ses administrés le témoignage suivant :

Les Canadiens, dit-il, sont naturellement grands, bien faits, d’un tempérament vigoureux, sont industrieux et adroits. Ils aiment la distinction, sont extrêmement sensibles au mépris et aux moindres punitions.

Malheureusement, Hocquart se laisse aller, lui aussi, à des intempérances de langage correspondant sans doute à des écarts de jugement qui décèlent non seulement du crétinisme à l’état aigu, mais un inconcevable mépris pour la vérité. Il y a très évidemment du dépit et un parti pris systématique dans certaines appréciations carrément malveillantes de ce quelconque mamamouchi qui pose à l’historien alors qu’il ne fut qu’un pédant histrion. Qu’on en juge :

Les Canadiens sont intéressés, vindicatifs, sujets à l’ivrognerie, font un grand usage d’eau-de-vie et passent pour n’être pas véridiques. Ils sont volages, naturellement indociles, ont trop bonne opinion d’eux-mêmes, ce qui les empêche de réussir comme ils le pourraient dans les arts, l’agriculture et le commerce. La longueur et la rigueur des hivers les entraînent à l’oisiveté.
Avez-vous idée d’inventions aussi stupidement

abracadabrantes ? Les Contes de Ma Mère l’Oie ne sont pas plus fantastiques. Franchement, les gilleries de ce pleutre sont à donner le hoquet.

La faune canadienne ne compte pas de bêtes venimeuses, Gilles Hocquart n’ayant heureusement pas laissé de descendance.