Écrits de jeunesse (Marcel Schwob)/Poésies en argot

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Poésies en argot
Texte établi par Pierre ChampionTypographie François Bernouard (Écrits de jeunesse de Marcel Schwobp. 201-211).
 

Poésies en argot

 

Tire-lupin et Grinche-tard
S’en allaient à la sorgue,
Jaspinons tout doux.
Ils virent en rompant un orgue
Avec un air ninar.
Tirlonfa,
Jaspinons tout doux ;
Tirlonfa,
Jargonnons tout doux.

Il faudra prendre le grand truc,
Dit Grinche, sans haut braire,
Jaspinons tout doux ;
Nous n’avons plus denier ni pluc,
Nous n’avons plus de caire.
Tirlonfa,
Jaspinons tout doux ;
Tirlonfa,
Jargonnons tout doux.

Prenons bien garde à notre tronche,
La dure nous attend :
Jaspinons tout doux.
Et si tu remouches qu’il bronche,
Eschicquons en brouant.
Tirlonfa,
Jaspinons tout doux ;
Tirlonfa,
Jargonnons tout doux !

Es-tu taffeur ? barbote vite
Et ne prends que le blanc,
Jaspinons tout doux.
Et nous aurons une marmite,
Enfonce donc ton branc,
Tirlonfa,
Jaspinons tout doux ;
Tirlonfa.
Jargonnons tout doux !

Malucé ! mais les coups lansquinent,
Malucé ! c’est le dab !
Jaspinons, tout doux.
Rompons — des digues qui jaspinent,
Malucé ! c’est un cab. —
Tirlonfa,
Jaspinons tout doux ;
Tirlonfa,
Jargonnons tout doux !

L’Emballage

Le poupard était bon : le raille nous aggriffe,
Marons pour estourbir notre blot dans le sac.

Il fallait être mous tous deux comme une chiffe
Pour se laisser paumer sur un coup de fric-frac.

Nous sommes emballés sans gonzesse, sans riffe,
Où nous faisions chauffer notre dard et son crac
Chez le bistro du coin, la sorgue, quand on briffe
En se palpant de près, la marmite et son mac.

Le Mazarot est noir ; pas de rouges bastringues,
Ni de perroquets verts chez les vieils mannezingues ;
Il faut être rupin, goupiner la mislocq.

Bouffer sans mettre ses abatis sur la table
Et ne pas jaspiner le jars devant un diable ;
Nous en calancherons, de turbiner le chocq.

La Lanterne Rouge (37)

Dédicace

M  es braves frangins argotiers,
A  vous ce fafiot je dédie.
R  adinons-nous les mi-setiers :
C  ’est de la bonne comédie.
E  sgourde ouverte, et clairs calots.
L  e blot est des plus rigolos.

S  urin au poing, et ventre au riffe,
C  ’est ainsi qu’il faut calancher.
H  o la Camarde nous aggriffe,
V  einards, en train de pitancher !
O  ublions la Muette gourde :
B  uvons ferme — et prêtons l’esgourde.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge.

Cré non ! elle en avait remouché des grinches
Qui maquillaient des brèmes chez le dab du guinche !
Ils débouclaient la lourde en comptant leurs thunes,
Ils arrivaient comm’ ça quand tombait la brune,
Ils rompaient à la sorgu’, l’moment du turbin.
Cré non ! qu’elle allumait la goul’ des frangins !

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge.

Les gouines y venaient avec leur morlingue :
N’en fallait pour les macs qui soiffaient sur l’zingue.
Y en avait qu’étaient pleins et partis en bombe
Au lieu de turbiner quand sonnaient trois plombes.
Les pègres et les grinch’s, les fourgu’s et les macs,
V’naient bâcler à leur aise un coup de fric-frac.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge.

Elle était bath à voir, la camoufle rousse,
Trempant de raisiné la tronch’ de nos gousses
Qui montraient leurs rondins, jouant des mirettes
Pour mett’ de la pommade à nos rouflaquettes.
Du poignon ! et si ça n’avait pas biché,
Fallait qu’ell’ les allum’ pour un aut’ miché.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge.

Vlà qu’un soir on avait un peu de galtouille
Un sorgueur pass’ les brêm’s : “A toi, coupe et touille !
Je siffle un coup d’eau d’aff et puis je maquille.
Près d’moi une gouss’ passait des langues à sa vrille.
Vlà sa dab qui m’jaspin’ : “Si t’as pas la flemm’ :
C’est un’ fleur de Marie avec un louch’bem.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge.

Je r’mouch’ : la largu’ n’avait pas encor’ seiz’ berges,
Des rondins bien gonflés et blanch’ comme un cierge,
De la sorgue aux mirett’s, et du riffe aux joues ;
Chiquait à son miché de girondes moues.
C’était pas un poteau : il avait le taf —
Moi j’l’avais coltigé avec de l’eau d’aff.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge.

Je m’aboule et j’lui dis : “Eh ! va donc, grand’tante !
T’es pas un fanandel, t’es qu’un con de panthe ;
J’aggriffe ta gonzesse et je te dégote,
Tu ne lui foutras rien ce soir dans la motte !”
Il me coll’ sa desfous — j’empoigne l’abatis
Et j’palpais durement l’bout d’ses salsifis.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge.

J’suis pas celui qui crie : “Acrès, vlà l’Arnaque !”
Et quand faut refroidir, c’est pas moi qui flaque
Un louch’bem ! c’était pas fair’ suer un chêne —
Y en avait pas de quoi m’fair’ venir d’la peine.
Y a pas de raisiné dans les typ’s rupins :
N’en a pas giclé d’quoi graisser mon surin.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge.

Vlà ma largue qui s’met à turbiner la chique,
Ell’ suc’ le macchabée, elle aggriff’ ses signes ;
Moi j’grinchis sa toquante avec son morlingue.
— Y avait pas gras dedans — je reprends mon lingue,
Je lave mon grimpant, et je dis au dab :
“Faudra le mett’ à l’eau — ça nag’ comme un cab !”

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge…

Les fanandels, ils prenn’ la fleur de Marie.
Un frangin me jaspin’ : “Qu’est-c’que tu paries
Que je lui fous ça mou comme un’ corn’ de bique ?
As pas peur. Pas la pein’ de tant faire la chique ;
Si c’est la premièr’ fois qu’on te fait flic-flac,
C’est pas la première fois qu’on te bouff’ le crac”.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge.

Cré non ! Je saute un coup. “Moi d’abord ! que j’crie,
C’est pour moi que j’ai pris la fleur de Marie.
Elle va commencer par goûter ma bitte ;

Et si je suis forcé d’en fair’ ma marmite,
Pas un des fanandels qui lui fout’ son dard
Ayant que ma profond’ n’tienn’ plus un pétard.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge…

Les fanandels, ils lâch’ la fleur de Marie
A g’noux, mirett’s fermées, comme une sœur qui prie.
Je lui prends l’aileron, je lui pinc’ la taille,
J’lui dis : “Tu peux gueuler ! moi j’crains pas les railles ;
Et t’auras beau te mett’ sans dessus-dessous,
Nous crèv’rons tout de mêm’ ta pièc’ de dix sous.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge…

Mais sa babillarde ros’ muett’ dans sa bouche,
Sans jaspiner la fleur de Marie m’remouche.
C’était comm’ le reluit au milieu de la sorgue :
Je n’avais plus de poing’ ; j’n’étais plus un orgue.
Et je gueul’ : “J’ai fini — j’veux plus la chauffer ;
A vous, les fanandels, on peut la dauffer !”

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge…

Le premier qu’arriva sans r’luquer ses châsses,
C’était un vieux loupeur qui voulait sa passe.
Fleur de Marie criait : “Par le Mec, ell’ piaule !”
Douz’ plomb’s se démargeaient à l’horloge d’la piaule.
Je suis un bon sorgueur ; je n’suis pas un gnaf ;
Je crois que j’ai eu là un bon coup de taf.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge…

Pourtant, y avait pas là de raill’, pas de diable,
Fleur de Marie pour voir collée sur la table —
Je fonç’ sur la fenêt’ qui donnait dans la rue,
J’me tâtais en disant : “Qu’est-ce que j’ai — je sue !”
Non, j’ai cogné sans voir la chaise en passant
Et j’ai couvert mes mains de caillots de sang.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y avait un’ lanterne rouge…

La fille ne criait plus guère. Elle était morte.
Ses yeux vitreux étaient retournés vers la porte
Par où les fanandels fuyaient, encor ballante…
J’entendis tout à coup passer une roulante,
Et je vis en courant abattre les rideaux…
Un œil rouge — j’en ai gardé froid dans le dos.

Et je verrai toujours, à la porte du bouge,
Vaciller devant moi cette lanterne rouge.

Ballade pour Gérard de Nerval
pendu à la fenêtre d’un bouge

Au coupe-gorge noir, sous le tombant du jorne[1]
Où tu faisais flamber ton regard andalou,
Quand tu me rouscaillais[2] ton amour en bigorne[3]
Je suis branché[4] pour toi, sinistre maritorne !

Le macchoux[5] qui te chauffe[6] en loupeur[7], ton loulou,
Le benoist[8] qui te couve avec un œil paterne,
M’a pendu pour venger l’honneur de ton bilou[9].
Je gigote en râlant sous ta rouge lanterne !

À l’aube, trifouillant au détour d’une borne,
Mon cadavre entr’ouvert par son crochet filou,
Roulé dans le ruisseau, buté contre une sorne,
Le biffin[10] trouvera que ma charogne corne[11],
Et son ombre flottant, pâle, entre chien et loup,
Peu à peu s’enfuira parmi le brouillard terne…
Ah ! qu’as-tu fait de moi, blême et sanglant marlou ?
Je gigote en râlant sous ta rouge lanterne !

O blafarde Cafarde[12] au pâle reflet morne,
Ouvrant sur mes sanglots ton châsse[13] veule et flou,
Fromage qu’une goule insatiable écorne,
Où la sorgue[14] a mordu, ne laissant qu’une corne,
Bonnet jaune accroché tout là-haut à son clou,
Plains-moi, pendu de même au bord de la vanterne[15].
De mon gaviot[16] gonflé blase[17] un dernier glou-glou,
Je gigote en râlant sous ta jaune lanterne !

ENVOI

Prince des Cieux, on dit que ta foudre lanterne.
Mais écoute les pleurs qui gloussent dans le trou
De mon gosier béant, serré comme un écrou —
Je gigote en râlant sous ta jaune lanterne !



37. (page 205)

On lit sut le manuscrit : Dessins pour la Lanterne Rouge. Gsell descripsit. Il s’agit de Paul Gsell, camarade de Marcel Schwob. Ils étaient alors si liés qu’on les désignait par un seul nom.


  1. jour.
  2. disais.
  3. argot.
  4. pendu.
  5. maq…
  6. aime.
  7. paresseux.
  8. maq…
  9. c…
  10. chiffonnier.
  11. pue.
  12. lune.
  13. œil.
  14. nuit.
  15. fenêtre.
  16. ventre.
  17. souffle.