Édit du Roy, portant établissement d’une Bibliothèque publique, à Nancy, & Fondation de deux Prix

La bibliothèque libre.

ÉDIT DU ROY,
Portant établiſſement d’une Bibliotéque publique, à Nancy, & Fondation de deux Prix.

Du vingt-huit Décembre mil ſept cent cinquante.
Vérifié en la Chambre des Comptes de Lorraine le 30. du même mois.


S TANISLAS, par la grace de dieu Roi de Pologne, Grand-Duc de Lithuanie, Ruſſie, Pruſſe, Mazovie, Samogitie, Kiovie, Volhinie, Podolie, Podlachie, Livonie, Smolensko, Sévérie, Czernichovie, Duc de Lorraine & de Bar, Marquis de Pont-à-Mouſſon & de Nommeny, Comte de Vaudémont, de Blamont, de Sarwerden & de Salm. À tous préſens & à venir, Salut. Rien ne contribuant plus efficacement à procurer aux hommes des avantages ſolides, que de les mettre à portée de cultiver les Sciences, les Lettres & les Arts, en augmentant par ce moyen leurs connoiſſances & diminuant leurs beſoins, Nous avons fort à cœur de fournir à nos Sujets les ſecours néceſſaires pour parvenir à une fin ſi déſirable, ſoit par la formation d’une Bibliotéque publique, où chacun pourra puiſer de quoi ſe perfectionner dans le genre d’Étude qu’il aura embraſſé, ſoit par une fondation de Prix annuels, à diſtribuer aux piéces qui en ſeront jugées dignes par des Cenſeurs nommés à cet effet, ce qui Nous mettra en état de connoître, diſtinguer & récompenſer le génie, le goût & les talens, qu’aucun motif d’émulation n’avoit juſqu’à préſent excités, parmi une Nation dont les avantages ſont notre unique objet, & qui a marqué dans tous les tems les plus heureuſes diſpoſitions à cet égard, préférant cet établiſſement à celui d’une Académie, qui ne peut être utilement compoſée que de Sujets déja en réputation par des ouvrages qui auroient mérité l’approbation du Public. À ces Causes, Nous de notre pleine puiſſance & autorité Royale, avons dit, ſtatué & ordonné, diſons, ſtatuons, ordonnons, voulons, entendons, & Nous plaît ce qui ſuit.

ARTICLE PREMIER.


IL ſera inceſſament diſpoſé un emplacement ſuffiſant, à l’Hôtel de l’Intendance, dans notre bonne Ville de Nancy, pour contenir en ordre, tant les Livres & Manuſcrits dont Nous ferons faire inceſſament l’achat, & qui commenceront le fonds de ladite Bibliotéque, que ceux que nos Sujets zélés pour le progrès des Sciences, des Lettres & des Arts, voudront y joindre à l’avenir, par Donations, Teſtamens ou autrement.

ARTICLE II.

Ladite Bibliotéque ſera à perpétuité ſous la Direction d’un notre Bibliotécaire, par Nous nommé, aux gages que nous lui réglerons, & aura notre-dit Bibliotécaire un Sous-Bibliotécaire, aux gages qui ſeront auſſi par Nous arrêtés.

ARTICLE III.

Sera ladite Bibliotéque ouverte tous les jours, depuis les huit heures du matin juſqu’à onze, & depuis une heure après midi juſqu’à quatre, hormis les jours de Dimanches & Fêtes, la quinzaine de Pâques & la huitaine de Noël.

ARTICLE IV.

Le Fonds de ladite Bibliotéque ſera augmenté chaque année, juſqu’à la concurrence de la ſomme de trois mille livres de France, qui ſeront employées en achats de Livres & Manuſcrits, & ladite augmentation ſera inſcrite à meſure dans le Catalogue général de ladite Bibliotéque.

ARTICLE V.

Si quelqu’un pour raiſon d’incommodité, ou d’une plus grande aſſiduité à l’Étude, vouloit faire uſage chez lui de quelques Livres ou Manuſcrits de ladite Bibliotéque, il ſera permis à notre Bibliotécaire de les lui prêter, en prenant par lui toutes les ſuretés néceſſaires, pour que ces Livres ou Manuſcrits ne s’égarent point, & que la Bibliotéque ſe trouve complette au bout de chaque année, dans la viſite qui en ſera faite.

ARTICLE VI.

Il ſera diſtribué chaque année deux Prix de ſix cent livres de France chacun, l’un à un ouvrage de Sciences, l’autre à un ouvrage de Littérature ou Arts, compoſés par noſdits Sujets, ſeulement, ſur telles matiéres rélatives auſdites Sciences, Littérature & Arts qu’ils jugeront à propos, ſelon leur goût, pourvû qu’elles ſoient d’une utilité évidente.

ARTICLE VII.

Et pour l’examen deſdits ouvrages, avons créé & créons par le préſent Édit, à perpétuité, quatre Cenſeurs Royaux, aux gages qui leur ſeront par Nous ordonnés, leſquels conjointement avec notre-dit Bibliotécaire, qui formera le cinquiéme, y vaqueront pendant les mois d’Octobre, Novembre & Décembre de chaque année, & décideront auſquels deſdits ouvrages leſdits Prix devront être adjugés, dont il Nous ſera cependant rendu compte par eux préalablement.

ARTICLE VIII.

Lesdits Cenſeurs tiendront leurs aſſemblées à la Bibliotéque, aux jours & heures dont ils conviendront entr’eux, non-ſeulement durant les trois mois qu’ils employeront à examiner leſdits ouvrages, mais pendant tout le cours de l’année ; notre intention étant qu’outre ledit examen ils travaillent eux-mêmes, joignent leurs ouvrages à ceux qui auront remporté les Prix, & qu’ils les donnent au Public à la fin de chaque année, avec l’approbation ordinaire.

ARTICLE IX.

Nosdits Sujets qui auront travaillé pour obtenir les Prix, ſeront tenus de remettre leurs ouvrages avant le premier Octobre de chaque année, à notre-dit Bibliotécaire, qui tiendra lieu de Sécrétaire parmi leſdits Cenſeurs, dont il leur donnera récépiſſé, & ſeront leſdits ouvrages ſouſcrits d’une déviſe ou ſentence à l’ordinaire, ſans nom d’Auteur, à peine d’être rejettés du Concours.

ARTICLE X.

Ceux qui auront remporté deux fois l’un des prix, auront droit dans la fuite d’aſſiſter comme Juges aux aſſemblées deſdits Cenſeurs, auſquels nous attribuons le pouvoir & la liberté de remplacer ceux d’entr’eux qui viendront à manquer, comme auſſi après notre décès la diſtribution des Prix, la diſpoſition de ladite Bibliotéque publique, & l’achat des Livres dont elle ſera augmentée chaque année.

Si donnons en Mandement à nos amés & féaux les Préſidens, Conſeillers, Maîtres, Auditeurs, & Gens tenans notre Chambre des Comptes de Lorraine, que les préſentes ils faſſent inceſſament lire, publier, régiſtrer & afficher par-tout où beſoin ſera, pour être exécutées ſelon leur forme & teneur, ſans permettre ni ſouffrir qu’il y ſoit contrevenu directement ni indirectement : Car ainſi Nous plaît. En foi de quoi Nous avons aux Préſentes ſignées de notre main, & contreſignées par l’un de nos Conſeillers-Sécrétaires d’État, Commandemens & Finances, fait mettre & appendre notre grand Scel. Donné en notre Ville de Lunéville, le vingt-huit Décembre mil ſept cent cinquante.

Signé, STANISLAS ROI. Vû au Conſeil, Chaumont.

Par le Roi. Rouot. Regiſtrata, Guire.


Cejourd’hui, 30. Décembre 1750. COLLENEL Procureur-Général du Roi, étant entré en la Chambre du Conſeil, a remis ſur le Bureau le préſent Édit, dont il a requis la lecture, & après qu’elle a été faite, il a dit :

MESSIEURS,

L’Édit dont la Chambre vient d’entendre la lecture, renferme une nouvelle preuve, un nouveau témoignage de la conſtante attention du Roi à tout ce qui peut procurer quelque ſolide avantage à ſes Sujets, & il nous fait connoître que ſon cœur eſt un fond inépuiſable de bonté pour Nous.

Vous avez vû, Messieurs, ce Prince ſi digne de tous nos hommages & de tout notre attachement, ſe partager dès les premiers jours de ſon Régne, entre les devoirs de la Religion & les devoirs de la Royauté, bâtir des Temples au Très-Haut, préparer des aſiles à l’indigence, fournir des Inſtructions à la Jeuneſſe, & pour le dire en un mot, pourvoir à tous les beſoins ſpirituels & temporels de ſes Sujets, avec toute la Magnificence d’un Roi, & toute la tendreſſe d’un Pere.

Après tant de monumens qui feront à jamais admirer en lui les dons & les merveilles de la Providence, & qui porteront ſon Nom juſques à la Poſtérité la plus reculée, ce Grand Roi n’eſt point encore content de lui méme, ami & Protecteur des Sciences & des beaux Arts, il veut les faire fleurir dans ſes États, & pour parvenir plus promptement à une fin ſi noble & ſi utile, il établit en cette Capitale une Bibliotéque publique, où chacun pourra à ſon gré puiſer des lumiéres, orner ſa raiſon, étendre ſes connoiſſances ; il ne s’en tient pas à ce premier objet, il veut encore exciter l’émulation, entretenir le gout, perfectionner le génie, & récompenſer les talens, par des Prix qui ſeront annuellement diſtribués, au Jugement de cinq Cenſeurs que Sa Majesté doit nommer.

C’eſt ainſi, que cet Auguſte Maitre méditant jour & nuit ſur les moyens de nous rendre heureux, croit avoir perdu les jours qu’il n’a pas marqué par quelques nouveaux bienfaits.

Premiers dépoſitaires, Messieurs, de ces bienfaits, nous ne pouvons mieux lui en témoigner notre juſte reconnoiſſance, qu’en les gravant profondément dans nos cœurs à meſure qu’ils partiront du ſien, & en les faiſant ſucceſſivement inſcrire dans les Faſtes de cette Compagnie, afin qu’étant annoncés à tous les Ordres de l’État, ils ne ceſſent de demander à Dieu la conſervation d’un Prince qu’il nous a donné dans ſa miſéricorde, pour être notre gloire & notre appui, d’un Prince dont la vie devient tous les jours plus chere & plus précieuſe, & qui ſera à jamais l’exemple & le modèle de toutes les vertus.

À ces Causes, Nous réquérons le préſent Édit être régiſtré ez Greffes, de la Chambre, pour être éxécuté ſuivant ſa forme& teneur, & y avoir recours, le cas échéant, Ordonné que le méme Édit ſera lû & publié à la premiére Audiance publique de la Chambre, & que copies duëment collationnées ſeront, à notre diligence, envoyées à tous les Siéges reſſortiſſans nuëment à la Chambre, pour y être pareillement lû, publié, régiſtré & affiché par-tout où beſoin ſera, dont nos Subſtituts certifieront la Chambre au mois.

Et après avoir examiné l’Édit dont il s’agit :


LA CHAMBRE faiſant droit ſur les Réquiſitions du Procureur-Général du Roi, a Ordonné qu’il ſera publié à ſa premiére Audiance publique, pour être exécuté, & y avoir recours le cas échéant, & qu’à ſa diligence, copies duëment collationnées ſeront inceſſament envoyées en tous les Siéges reſſortiſſans nuëment à la Chambre, pour y être pareillement lû, publié & affiché par-tout où beſoin ſera, dont les Subſtituts certifieront la Chambre au mois. Fait en la Chambre du Conſeil, à Nancy, le trente Décembre mil ſept cent cinquante.

Signé, DE RIOCOUR. Et plus bas, J. Frimont.