Élégies/Élégie treizième

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Le Deuil des primevères : 1898-1900Mercure de France (p. 71-73).

ÉLÉGIE TREIZIÈME


Lorsque l’on jouera de l’orgue pour nous seuls
dans l’église,
elle aura des gouttes d’azur sous les cils,
des larmes de bienheureuse.

Mais où est celle qui est assez pure
pour mon âme qui est une cloche
d’église paysanne enfouie sous des aristoloches ?
Fiancée, où es-tu ?


Ah ! Si l’âme de mes roses blanches de juin
souffle à tes lèvres de rose-Bengale :
lave ton corps, ô trembleuse, mets tes sandales
et viens.

Quitte le monde amer et viens dans la cellule
de mes recueillements,
d’où l’on entend courir l’eau vive sous les menthes
que le soleil blanc consume.

Pour toi, j’ai préparé la fraîcheur verte de mes rêves
où dorment des brebis.
Pour toi, j’ai un collier de cailloux blancs des grèves
lavés à l’eau des puits.

Si tu arrives lasse, je m’agenouillerai
et délierai tes sandales.
Tu n’auras qu’à laisser tomber sur mon épaule
ta tête, et je te porterai.


La maison blanche emplie d’une rumeur dorée
célébrera ta venue.
Ta sieste rêvera de la fraîcheur des cruches,
sur mon lit où je t’étendrai.

Et, pleurant d’amour, j’irai dans le blanc solstice,
suivi de mes chiens harassés,
sonner la cloche en fleurs des plus pauvres églises
pour annoncer la Fiancée.


1er juin 1899.