Élégies et poésies nouvelles/Le Billet d’une Amie

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LE BILLET D’UNE AMIE.


Oh ! qu’il ne fût, m’écrivait une amie,
Entre nous deux qu’un fleuve à traverser !
J’irais sans peur cette nuit t’embrasser,
Et doucement te surprendre endormie.

Je braverais ce terrible élément ;
Et quelque flot, ému de mon courage,
Me pousserait jusques à ton rivage,
Où l’amitié serait mon seul aimant.

De l’eau qui fuit dans cette nuit obscure,
J’affronterais le roulement grondeur ;
Car de cette eau, froide, limpide et pure,
L’embrassement rafraîchirait mon cœur.

Ce cœur blessé qui ne bat plus qu’à peine,
Respirerait pour s’élancer vers toi.
Il est si doux de soulever sa chaîne,
Et de se dire : on la porte avec moi !

Des flots amers et du bruit de la vie
J’irais sauver ou distraire mon sort,
Et, je le sens ! tenter un vain effort,
Pour retourner à mes fers asservie.

J’irais pleurer à ta porte, où ma voix

T’attirerait courageuse et timide.
En saisissant ma main encore humide,
Tu me plaindrais : je t’ai plainte une fois !

Quand tu partis, oui, j’ai plaint ton courage ;
J’avais tout lu dans tes yeux qui parlaient :
De ta pudeur j’imitai le langage ;
J’étais muette, et mes larmes coulaient.

Tes vœux brisés, ta blessure profonde,
Tous tes ennuis répandus sur mes jours,
Ces maux affreux qui font haïr le monde,
En les fuyant, s’en souvient-on toujours ?

Me rendrais-tu ma paix évanouie ?
Si, dans ton sein gémissante aujourd’hui,

Je m’écriais : ma chère, il m’a trahie ;
Répondrais-tu : pleure, et pardonne-lui !

Comme elle aimait ! quelle ame tendre et pure
M’a révélé ce douloureux transport !
Ah ! si l’amour lui fut vraiment parjure,
Je le déteste… eh quoi ! l’aimais-je encor ?