Éléments de la philosophie de Newton/Édition Garnier/Partie 2/Chapitre 13

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CHAPITRE XIII.
Suite de ces découvertes ; action mutuelle des corps sur la lumière. — Expérience très-singulière. Conséquences de ces expériences. Action mutuelle des corps sur la lumière. Toute cette théorie de la lumière a rapport avec la théorie de l’univers. La matière a plus de propriétés qu’on ne pense.

La réflexion de la lumière, son inflexion, sa réfraction, sa réfrangibilité étant connues, l’origine des couleurs étant découverte, et l’épaisseur même des corps nécessaire pour occasionner certaines couleurs étant déterminée, il nous reste encore à examiner deux propriétés de la lumière, non moins étonnantes et non moins nouvelles. La première de ces propriétés est ce pouvoir même qui agit près des surfaces : c’est une action mutuelle de la lumière sur les corps, et des corps sur la lumière.

La seconde est un rapport qui se trouve entre les couleurs et les tons de la musique, entre les objets de la vue et ceux de l’ouïe. Mais on ne parlera ici que de l’action réciproque des corps sur la lumière, parce qu’elle tient au grand principe de la nature par lequel tous les corps agissent les uns sur les autres.

À l’égard de l’analogie entre les sept couleurs primitives et les sept tons de la musique, c’est une découverte qui n’est pas encore assez approfondie, ce qui ne peut encore mener à rien.

On finira donc ce petit traité d’optique par l’examen de l’action mutuelle des corps et de la lumière.

Vous avez vu que ces deux cristaux, se touchant en un point, produisent des anneaux de couleurs différentes, rouges, bleus, verts, blancs, etc. Faites cette même épreuve dans une chambre obscure, où vous avez fait l’expérience du prisme exposé à la lumière qui lui vient par un trou. Vous vous souvenez que, dans cette expérience du prisme, vous avez vu la décomposition de la lumière et l’anatomie de ses rayons : vous placiez une feuille de papier blanc vis-à-vis de ce prisme ; ce papier recevait les sept couleurs primitives, chacune dans leur ordre. Maintenant exposez vos deux verres à tel rayon coloré qu’il vous plaira, réfléchi de ce papier : vous y verrez toujours entre ces verres se former des anneaux colorés ; mais tous ces anneaux alors sont de la couleur des rayons qui vous viennent du papier. Exposez vos verres à la lumière des rayons rouges, vous n’aurez entre vos verres que des anneaux rouges (figures 41 et 42) ; mais ce qui doit surprendre, c’est qu’entre chacun de ces anneaux rouges il y a un anneau tout noir. Pour constater encore plus ce fait et les singularités qui y sont attachées, présentez vos deux verres, non plus au papier, mais au prisme, de façon que l’un des rayons qui échappent de ce prisme, un rouge par exemple, vienne à tomber sur ces verres : il ne se forme encore que des anneaux rouges entre les anneaux noirs ; mettez derrière vos verres la feuille de papier blanc : chaque anneau noir produit sur cette feuille de papier un anneau rouge, et chaque anneau rouge, étant réfléchi vers vous, produit du noir sur le papier.

Il résulte de cette expérience que l’air ou l’eau qui est entre vos verres réfléchit en un endroit la lumière, et en un autre endroit la laisse passer, la transmet. J’avoue que je ne peux assez admirer ici cette profondeur de recherche, cette sagacité plus qu’humaine, avec laquelle Newton a poursuivi ces vérités si imperceptibles ; il a reconnu par les mesures et par le calcul ces étranges proportions-ci.

Au point de contact des deux verres, il ne se réfléchit à nos yeux aucune lumière : immédiatement après ce contact, la première petite lame d’air ou d’eau qui touche à ce point noir vous réfléchit des rayons ; la seconde lame est deux fois épaisse comme la première, et ne réfléchit rien ; la troisième lame est triple en épaisseur de la première, et réfléchit ; la quatrième lame est quatre fois plus épaisse, et ne réfléchit point ; la cinquième est cinq fois plus épaisse, et réfléchit ; et la sixième, six fois plus épaisse, transmet, et ne réfléchit pas.

De sorte que les anneaux noirs vont en cette progression, 0, 2, 4, 6, 8 ; et les anneaux lumineux et colorés en cette progression, 1, 3, 5, 7, 9[1].

Ce qui se passe dans cette expérience arrive de même dans tous les corps, qui tous réfléchissent une partie de la lumière, et en reçoivent dans leurs substances une autre partie. C’est donc encore une propriété démontrée à l’esprit et aux yeux, que les surfaces solides ne soient point ce qui réfléchit les rayons. Car, si les surfaces solides réfléchissaient en effet : 1° le point où les deux verres se touchent réfléchirait et ne serait point obscur ; 2° chaque partie solide qui vous donnerait une seule espèce de rayons devrait aussi vous renvoyer toutes les espèces de rayons ; 3° les parties solides ne transmettraient point la lumière en un endroit, et ne la réfléchiraient pas en un autre endroit, car, étant toutes solides, toutes réfléchiraient ; 4° si les parties solides réfléchissaient la lumière, il serait impossible de se voir dans un miroir, comme nous l’avons dit, puisque le miroir, étant sillonné et raboteux, il ne pourrait renvoyer la lumière d’une manière régulière. Il est donc indubitable qu’il y a un pouvoir agissant sur les corps, sans toucher aux corps, et que ce pouvoir agit entre les corps et la lumière. Enfin, loin que la lumière rebondisse sur les corps mêmes et revienne à nous, il faut croire que la plus grande partie des rayons qui va choquer des parties solides, y reste, s’y perd, s’y éteint.

Ce pouvoir, qui agit aux surfaces, agit d’une surface à l’autre : c’est principalement de la dernière surface ultérieure du corps transparent que les rayons rejaillissent ; nous l’avons déjà prouvé. C’est, par exemple, des points B B B (figure 43), plus que de ce point A, que la lumière est réfléchie.

Il faut donc admettre un pouvoir, lequel agit sur les rayons de lumière de dessus l’une de ces surfaces à l’autre, un pouvoir qui transmet et qui réfléchit alternativement les rayons. Ce jeu de la lumière et des corps n’était pas seulement soupçonné avant Newton ; il a compté plusieurs milliers de ces vibrations alternatives, de ces jets transmis et réfléchis. Cette action des corps sur la lumière, et de la lumière sur les corps, laisse encore bien des incertitudes dans la manière de l’expliquer.

Celui qui a découvert ce mystère n’a pu, dans le cours de sa longue vie, faire assez d’expériences pour assigner la cause certaine de ces effets. Mais, quand par ses découvertes il ne nous aurait appris que de nouvelles propriétés de la matière, ne serait-ce pas déjà un assez grand service rendu à la philosophie[2] ? Il ne s’y arrête en aucune manière ; il s’est contenté des faits, sans rien oser déterminer sur les causes.

Nous ne pousserons pas plus loin cette introduction sur la lumière, peut-être en avons-nous trop dit dans de simples éléments ; mais la plupart de ces vérités sont nouvelles pour bien des lecteurs. Avant que de passer à l’autre partie de la philosophie, souvenons-nous que la théorie de la lumière a quelque chose de commun avec la théorie de l’univers dans laquelle nous allons entrer. Cette théorie est qu’il y a une espèce d’attraction marquée entre les corps et la lumière, comme nous en allons observer une entre tous les globes de notre univers : ces attractions se manifestent par différents effets ; mais c’est toujours une tendance des corps les uns vers les autres, découverte à l’aide de l’expérience et de la géométrie.

Parmi tant de propriétés de la matière, telles que ces accès de transmission et de réflexion des traits de lumière[3], cette répulsion que la lumière éprouve dans le vide, dans les pores des corps et sur les surfaces des corps ; parmi ces propriétés, dis-je, il faut surtout faire attention à ce pouvoir par lequel les rayons sont réfléchis et rompus, à cette force par laquelle les corps agissent sur la lumière, et la lumière sur eux, sans même les toucher. Ces découvertes doivent au moins servir à nous rendre extrêmement circonspects dans nos décisions sur la nature et l’essence des choses. Songeons que nous ne connaissons rien du tout que par l’expérience. Sans le toucher, nous n’aurions point d’idée de l’étendue des corps ; sans les yeux, nous n’aurions pu deviner la lumière ; si nous n’avions jamais éprouvé de mouvement, nous n’aurions jamais cru la matière mobile ; un très-petit nombre de sens que Dieu nous a donnés sert à nous découvrir un très-petit nombre de propriétés de la matière. Le raisonnement supplée aux sens qui nous manquent, et nous apprend encore que la matière a d’autres attributs, comme l’attraction, la gravitation ; elle en a probablement beaucoup d’autres qui tiennent à sa nature, et dont peut-être un jour la philosophie donnera quelques idées aux hommes.

Pour moi j’avoue que, plus j’y réfléchis, plus je suis surpris qu’on craigne de reconnaître un nouveau principe, une nouvelle propriété dans la matière. Elle en a peut-être à l’infini ; rien ne se ressemble dans la nature. Il est très-probable que le Créateur a fait l’eau, le feu, l’air, la terre, les végétaux, les minéraux, les animaux, etc., sur des principes et des plans tous différents. Il est étrange qu’on se révolte contre de nouvelles richesses qu’on nous présente : car n’est-ce pas enrichir l’homme que de découvrir de nouvelles qualités de la matière dont il est formé[4] ?


  1. Il s’agit ici de l’épaisseur moyenne des lames d’air. Les diamètres sont proportionnels aux racines carrées des épaisseurs. (D.)
  2. Dans les éditions de 1738, après le mot philosophie, on lisait ici :
    « Il a conjecturé que la lumière émane du soleil et des corps lumineux par accès, par vibrations ; que de ces vibrations du corps lumineux la première opère une réflexion, la seconde une transmission, et ainsi de suite à l’infini. Il avait aussi préparé des expériences qui conduisaient à faire voir en quoi ce jeu de la nature tient au grand principe de l’attraction ; mais il n’a pas eu le temps d’achever ses expériences. Il avait conjecturé encore qu’il y a dans la nature une matière très-élastique et très-rare, qui devient d’autant moins rare qu’elle est plus éloignée des corps opaques ; que les traits de lumière excitent des vibrations dans cette matière élastique ; et il faut avouer que cette hypothèse rendrait raison de presque tous les mystères de la lumière, et surtout de l’attraction et de la gravitation des corps ; mais une hypothèse, quand même elle rendrait raison de tout, ne doit point être admise. Il ne suffit pas qu’un système soit possible pour mériter d’être cru, il faut qu’il soit prouvé. Si les tourbillons de Descartes pouvaient se soutenir contre toutes les difficultés dont on les accable, il faudrait encore les rejeter, parce qu’ils ne seraient que possibles : ainsi nous ne ferons aucun fondement réel sur les conjectures de Newton même.

    « Si j’en parle, c’est plutôt pour faire connaître l’histoire de ses pensées que pour tirer la moindre induction de ses idées, que je regarde comme les rêves d’un grand homme : il ne s’y arrête en aucune manière, il s’est contenté des faits, sans rien oser déterminer sur les causes. Passons à l’autre découverte sur le rapport qui existe entre les rayons de la lumière et les tons de la musique. »

    Dès l’édition de 1741, presque tout ce passage était supprimé. L’auteur n’en avait conservé que les quatre dernières lignes, à partir des mots : Il ne s’y arrête, etc. (B.)

  3. Voltaire ne fait que citer le nom de cette théorie célèbre. Newton admet que les molécules lumineuses en lesquelles il fait consister la matière lumineuse ont des bouts de formes différentes, et qu’elles acquièrent un mouvement de rotation sur elles-mêmes, outre le mouvement de translation ; suivant l’extrémité qui se présente, il y a facile réflexion ou facile transmission. Cette théorie si ingénieuse est tombée avec le système. (D.)
  4. Dans les éditions de 1738, et même dans celle de 1741, le chapitre xiii finissait par la variante qu’on a lue, page 501. Après quoi venait un chapitre xiv, que l’auteur a supprimé après 1741, et que voici :
    CHAPITRE XIV.
    Du rapport des sept couleurs primitives avec les sept tons de la musique. — Chose très-remarquable dans Kircher. Manière de connaître les proportions des couleurs primitives de la lumière. Analogie des tons de la musique et des couleurs. Idée d’un clavecin oculaire.

    « Vous savez que, très-longtemps avant Descartes, on s’était aperçu qu’un prisme exposé au soleil donne les couleurs de l’arc-en-ciel ; on avait vu souvent ces couleurs se peindre sur un linge ou sur un papier blanc, dans un ordre qui est toujours le même ; bientôt on alla, d’expérience en expérience, jusqu’à mesurer l’espace qu’occupe chacune de ces couleurs ; enfin on s’est aperçu que ces espaces sont entre eux les mêmes que ceux des longueurs d’une corde qui donne les sept tons de la musique.

    « J’avais toujours entendu dire que c’était dans Kircher que Newton avait puisé cette découverte de l’analogie de la lumière et du son. Kircher, en effet, dans son Ars magna lucis et umbrœ, et dans d’autres livres encore, appelle le son le singe de la lumière. Quelques personnes en inféraient que Kircher avait connu ces rapports ; mais il est bon, de peur de méprise, de mettre ici sous les yeux ce que dit Kircher, pages 146 et suivantes. « Ceux, dit-il, qui ont une voix haute et forte tiennent de la nature de l’âne : ils sont indiscrets et pétulants, comme on sait que sont les ânes ; et cette voix ressemble à la couleur noire. Ceux dont la voix est grave d’abord, et ensuite aiguë, tiennent du bœuf : ils sont, comme lui, tristes et colères, et leur voix répond au bleu céleste. »

    « Il a grand soin de fortifier ces belles découvertes du témoignage d’Aristote. C’est là tout ce que nous apprend le P. Kircher, d’ailleurs l’un des plus grands mathématiciens et des plus savants hommes de son temps ; et c’est ainsi, à peu près, que tous ceux qui n’étaient pas savants raisonnaient alors. Voyons comment Newton a raisonné.

    « Il y a, comme vous savez, dans un seul rayon de lumière, sept principaux rayons qui ont chacun leur réfrangibilité : chacun de ces rayons a son sinus ; chacun de ces sinus a sa proportion avec le sinus commun d’incidence ; observez ce qui se passe dans ces sept traits primordiaux, qui s’échappent en s’écartant dans l’air.

    « Il ne s’agit pas ici de considérer que dans ce verre même tous ces traits sont écartés, et que chacun de ces traits y prend un sinus différent : il faut regarder cet assemblage de rayons dans le verre comme un seul rayon, qui n’a que ce sinus commun A B ; mais à l’émergence de ce cristal, chacun de ces traits s’écartant sensiblement, prend chacun son sinus différent ; celui du rouge (rayon le moins réfrangible) est cette ligne C B, celui du violet (rayon le plus réfrangible) est cette ligne C B D (figure 44).

    « Ces proportions posées, voyons quel est ce rapport, aussi exact que singulier, entre les couleurs et la musique. Que le sinus d’incidence du faisceau blanc des rayons soit au sinus d’émergence du rayon rouge, comme cette ligne A B est à la ligne A B C.

    Sinus donné dans le verre A B.
    Sinus donné dans l’air A B C.

    « Que ce même sinus A B d’incidence commune soit au sinus de réfraction du rapport violet comme la ligne A B est à la ligne A B C D.

    A Vous voyez que le point C leB

    A Vous voyez que le point C leBVous voyez queCVous voyez queD

    « Vous voyez que le point C est le terme de la plus petite réfrangibilité, et D le terme de la plus grande : la petite ligne C D contient donc tous les degrés de réfrangibilité des sept rayons. Doublez maintenant C D ci-dessus, en sorte que I en devienne le milieu, comme ci-dessous :

    A Vous voyez que le point C leIVMICVMIHVMIGVMIFVMIEVMIBVMID.

    « Alors la longueur depuis A en C fait le rouge : la longueur de A en H fait l’orangé ; de A en G, le jaune ; de A en F, le vert ; de A en E, le bleu ; de A en B, le pourpre ; de A en D, le violet. Or, ces espaces sont tels que chaque rayon peut bien être réfracté, un peu plus ou moins, dans chacun de ces espaces, mais jamais il ne sortira de cet espace qui lui est prescrit ; le rayon violet se jouera toujours entre B et D ; le rayon rouge, entre C et I ; ainsi du reste, le tout en telle proportion que si vous divisiez cette longueur depuis I jusqu’à D, en trois cent soixante parties, chaque rayon aura pour soi les dimensions que vous voyez dans la grande figure ci-jointe [Voyez à la fin de la note.]

    « Ces proportions sont précisément les mêmes que celles des tons de la musique : la longueur de la corde qui étant pincée fera est à la corde qui donnera l’octave de ré, comme la ligne A I, qui donnera le rouge en I, est à la ligne A D, qui donne le violet en D ; ainsi les espaces qui marquent les couleurs, dans cette figure, marquent aussi les tons de la musique.

    « La plus grande réfrangibilité du violet répond à ré ; la plus grande réfrangibilité du pourpre répond à mi ; celle du bleu répond à fa ; celle du vert, à sol ; celle du jaune, à la ; celle de l’orangé, à si ; celle du rouge, à l’ut ; et enfin la plus petite réfrangibilité du rouge se rapporte à ré, qui est l’octave supérieure. Le ton le plus grave répond ainsi au violet, et le ton le plus aigu répond au rouge. On peut se former une idée complète de toutes ces propriétés en jetant les yeux sur la table que j’ai dressée, et que vous devez trouver à côté.

    « Il y a encore un autre rapport entre les sons et les couleurs : c’est que les rayons les plus distants (les violets et les rouges) viennent à nos yeux en même temps, et que les sons les plus distants (les plus graves et les plus aigus) viennent aussi à nos oreilles en même temps. Cela ne veut pas dire que nous voyons et que nous entendons en même temps à la même distance : car la lumière se fait sentir six cent mille fois plus vite au moins que le son ; mais cela veut dire que les rayons bleus, par exemple, ne viennent pas du soleil à nos yeux plus tôt que les rayons rouges, de même que le son de la note si ne vient pas à nos oreilles plus tôt que le son de la note ré.

    « Cette analogie secrète entre la lumière et le son donne lieu de soupçonner que toutes les choses de la nature ont des rapports cachés, que peut-être on découvrira quelque jour. Il est déjà certain qu’il y a un rapport entre le toucher et la vue, puisque les couleurs dépendent de la configuration des parties ; on prétend même qu’il y a eu des aveugles-nés qui distinguaient au toucher la différence du noir, du blanc, et de quelques autres couleurs.

    « Un philosophe ingénieux a voulu pousser ce rapport des sens et de la lumière peut-être plus loin qu’il ne semble permis aux hommes d’aller. Il a imaginé un clavecin oculaire, qui doit faire paraître successivement des couleurs harmoniques, comme nos clavecins nous font entendre des sons : il y a travaillé de ses mains ; il prétend enfin qu’on jouerait des airs aux yeux. On ne peut que remercier un homme qui cherche à donner aux autres de nouveaux arts et de nouveaux plaisirs. Il y a eu des pays où le public l’aurait récompensé. Il est à souhaiter sans doute que cette invention ne soit pas, comme tant d’autres, un effort ingénieux et inutile : ce passage rapide de plusieurs couleurs devant les yeux semble peut-être devoir étonner, éblouir et fatiguer la vue : nos yeux veulent peut-être du repos pour jouir de l’agrément des couleurs. Ce n’est pas assez de nous proposer un plaisir, il faut que la nature nous ait rendus capables de recevoir ce plaisir ; c’est à l’expérience seule à justifier cette invention. En attendant, il me paraît que tout esprit équitable ne peut que louer l’effort et le génie de celui qui cherche à agrandir la carrière des arts et de la nature. »

    Dans l’édition de 1741, la fin de ce dernier alinéa fut abrégée. Après les mots nouveaux arts et nouveaux plaisirs, on lisait seulement :

    « Au reste, cette idée n’a point encore été exécutée, et l’auteur ne suivait pas les découvertes de Newton. En attendant, il me paraît que tout esprit équitable ne peut que louer l’effort et le génie de quiconque cherche à agrandir la carrière des arts et de la nature. »

    Table des couleurs et des tons de la musique.
    Table des couleurs et des tons de la musique
    Table des couleurs et des tons de la musique

    Dans les éditions de 1738, comme dans celle de 1741, après ces derniers mots, étaient les trois derniers alinéas du chapitre xiii. Cette disposition est dans l’édition de 1748.

    C’est le P. Castel que Voltaire désigne ici par les mots de philosophe ingiénieux, et qu’il appelle Euclide-Castel dans sa lettre à Thieriot, du 18 novembre 1736. Mais dans la lettre du 22 mars 1738, c’est Zoïle-Castel ; dans celle à Rameau, de mars 1738, c’est le Don Quichotte des mathématiques ; enfin, dans la lettre à Maupertuis, du 15 juin 1738, il désavoue l’éloge qu’il avait fait du P. Castel, et qu’il laissa pourtant subsister encore en 1741. (B.)