Éléments de la philosophie de Newton/Édition Garnier/Partie 3/Chapitre 8

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CHAPITRE VIII.
Théorie de notre monde planétaire. — Démonstration du mouvement de la terre autour du soleil, tirée de la gravitation. Grosseur du soleil. Il tourne sur lui-même autour du centre commun du monde planétaire. Il change toujours de place. Sa densité. En quelle proportion les corps tombent sur le soleil. Idée de Newton sur la densité du corps de Mercure. Prédiction de Copernic sur les phases de Vénus.
LE SOLEIL.

Le soleil est au centre de notre monde planétaire, et doit y être nécessairement. Ce n’est pas que le point du milieu du soleil soit précisément le centre de l’univers ; mais ce point central, vers lequel notre univers gravite, est nécessairement dans le corps de cet astre, et toutes les planètes, ayant reçu une fois le mouvement de projectile, doivent toutes tourner autour de ce point, qui est dans le soleil. En voici la preuve.

Soient ces deux globes A et B (figure 57), le plus grand représentant le soleil, le plus petit représentant une planète quelconque. S’ils sont abandonnés l’un et l’autre à la loi de la gravitation, et libres de tout autre mouvement, ils seront attirés en raison directe de leurs masses ; ils seront déterminés en ligne perpendiculaire l’un vers l’autre ; et A, plus gros un million de fois que B, à se jeter vers lui un million de fois plus vite que le globe A n’ira vers B.

Mais qu’ils aient l’un et l’autre un mouvement de projectile en raison de leurs masses, la planète en B C, le soleil en A D : alors la planète obéit à deux mouvements : elle suit la ligne B C, et gravite en même temps vers le soleil suivant la ligne B A ; elle parcourra donc la ligne courbe B F ; le soleil même suivra la ligne A E ; et, gravitant l’un vers l’autre, ils tourneront autour d’un centre commun. Mais le soleil surpassant un million de fois la terre en grosseur, et la courbe A E, qu’il décrit, étant un million de fois plus petite que celle que décrit la terre, ce centre commun est nécessairement presque au milieu du soleil.

Il est démontré encore par là que la terre et les planètes tournent autour de cet astre ; et cette démonstration est d’autant plus belle et plus puissante qu’elle est indépendante de toute observation, et fondée sur la mécanique primordiale du monde.

Si l’on fait le diamètre du soleil égal à cent diamètres de la terre, et si par conséquent il surpasse un million de fois la terre en grosseur, il est 464 fois plus gros que toutes les planètes ensemble, en ne comptant ni les satellites de Jupiter ni l’anneau de Saturne. Il gravite vers les planètes, et les fait graviter toutes vers lui ; c’est cette gravitation qui les fait circuler en les retirant de la tangente, et l’attraction que le soleil exerce sur elles surpasse celle qu’elles exercent sur lui, autant qu’il les surpasse en quantité de matière. Ne perdez jamais de vue que cette attraction réciproque n’est autre chose que la loi des mobiles gravitant tous, et tournant tous vers un centre commun.

Le soleil tourne donc sur ce centre commun, c’est-à-dire sur lui-même, en 25 jours et demi ; son point de milieu est toujours un peu éloigné de ce centre commun de gravité, et le corps du soleil s’en éloigne à proportion que plusieurs planètes en conjonction l’attirent vers elles ; mais, quand toutes les planètes se trouveraient d’un côté et le soleil d’un autre, le centre commun de gravité du monde planétaire sortirait à peine du soleil, et leurs forces réunies pourraient à peine déranger et remuer le soleil d’un diamètre entier.

Il change donc réellement de place à tout moment, à mesure qu’il est plus ou moins attiré par les planètes ; et ce petit approchement du soleil rétablit le dérangement que les planètes opèrent les unes sur les autres ; ainsi le dérangement continuel de cet astre entretient l’ordre de la nature.

Quoiqu’il surpasse un million de fois la terre en grosseur, il n’a pas un million plus de matière, comme on l’a déjà dit.

S’il était en effet un million de fois plus solide, plus plein que la terre, l’ordre du monde ne serait pas tel qu’il est : car les révolutions des planètes et leurs distances à leur centre dépendent de leur gravitation, et leur gravitation dépend en raison directe de la quantité de la matière du globe où est leur centre ; donc, si le soleil surpassait à un tel excès notre terre et notre lune en matière solide, ces planètes seraient beaucoup plus attirées, et leurs ellipses très-dérangées.

En second lieu, la matière du soleil ne peut être comme sa grosseur ; car, ce globe étant tout en feu, la raréfaction est nécessairement fort grande, et la matière est d’autant moindre que la raréfaction est plus forte.

Par les lois de la gravitation, il paraît que le soleil n’a que 250,000 fois plus de matière que la terre ; or, le soleil, un million plus gros, n’étant que le quart d’un million plus matériel, la terre, un million de fois plus petite, aura donc à proportion quatre fois plus de matière que le soleil, et sera quatre fois plus dense.

Le même corps, en ce cas, qui pèse sur la surface de la terre comme une livre pèserait sur la surface du soleil comme 35 livres ; mais cette proportion est de 24 à l’unité, parce que la terre n’est pas en effet quatre fois plus dense, et que le diamètre du soleil est ici supposé être cent fois celui de la terre.

Le même corps qui tombe ici de 15 pieds dans la première seconde, tombera d’environ 415 pieds sur la surface du soleil, toutes choses d’ailleurs égales[1].

Le soleil perd toujours, selon Newton, un peu de sa substance, et serait dans la suite des siècles réduit à rien, si les comètes qui tombent de temps en temps dans sa sphère ne servaient à réparer ses pertes : car tout s’altère et tout se répare dans l’univers.

MERCURE.

Depuis le soleil jusqu’à onze ou douze millions de nos lieues, ou environ, il ne paraît aucun globe[2].

À onze ou douze millions de nos lieues du soleil est Mercure dans sa moyenne distance. C’est la plus excentrique de toutes les planètes : elle tourne dans une ellipse qui la met dans son périhélie près d’un tiers plus près que dans son aphélie ; telle est, à peu près, la courbe qu’elle décrit (figure 58).

Mercure est à peu près vingt-sept fois plus petit que la terre ; il tourne autour du soleil en 88 jours, ce qui fait son année. Sa révolution sur lui-même, qui fait son jour, est inconnue ; on ne peut assigner ni sa pesanteur, ni sa densité. On sait seulement que si Mercure est précisément une terre comme la nôtre, il faut que la matière de ce globe soit environ huit fois plus dense que la nôtre, pour que tout n’y soit pas dans un degré d’effervescence qui tuerait en un instant des animaux de notre espèce, et qui ferait évaporer toute matière de la consistance des eaux de notre globe.

Voici la preuve de cette assertion. Mercure reçoit environ 7 fois plus de lumière que nous, à raison du carré des distances, parce qu’il est environ 2 fois 2/3 plus près du centre de la lumière et de la chaleur ; donc il est 7 fois plus échauffé, toutes choses égales. Or, sur notre terre, la grande chaleur de l’été étant augmentée environ 7 à 8 fois fait incontinent bouillir l’eau à gros bouillons ; donc il faudrait que tout fût environ 7 fois plus dense qu’il n’est, pour résister à 7 ou 8 fois plus de chaleur que le plus brûlant été n’en donne dans nos climats ; donc Mercure doit être au moins 7 fois plus dense que notre terre, pour que les mêmes choses qui sont dans notre terre puissent subsister dans le globe de Mercure, toutes choses égales. Au reste, si Mercure reçoit environ 7 fois plus de rayons que notre globe, parce qu’il est environ 2 fois 2/3 plus près du soleil, par la même raison le soleil paraît, de Mercure, environ 7 fois plus grand que notre terre.

VÉNUS.

Après Mercure est Vénus, à vingt-un ou vingt-deux millions de lieues du soleil dans sa distance moyenne ; elle est grosse comme la terre ; son année est de 224 jours. On ne sait pas encore ce que c’est que son jour, c’est-à-dire sa révolution sur elle-même[3]. De très-grands astronomes croient ce jour de 25 heures, d’autres le croient de 25 de nos jours. On n’a pas pu encore faire des observations assez sûres pour savoir de quel côté est l’erreur ; mais cette erreur, en tout cas, ne peut être qu’une méprise des yeux, une erreur d’observation, et non de raisonnement.

L’ellipse que Vénus parcourt dans son année est moins excentrique que celle de Mercure ; on peut se former quelque idée du chemin de ces deux planètes autour du soleil par cette figure (figure 58).

Il n’est pas hors de propos de remarquer ici que Vénus et Mercure ont, par rapport à nous, des phases différentes ainsi que la lune. On reprochait autrefois à Copernic que, dans son système, ces phases devaient paraître ; et on concluait que son système était faux, parce qu’on ne les apercevait pas. Si Vénus et Mercure, lui disait-on, tournent autour du soleil, et que nous tournions dans un plus grand cercle, nous devons voir Mercure et Vénus, tantôt pleins, tantôt en croissant, etc. ; mais c’est ce que nous ne voyons jamais. C’est pourtant ce qui arrive, leur disait Copernic, et c’est ce que vous verrez, si vous trouvez jamais un moyen de perfectionner votre vue. L’invention des télescopes, et les observations de Galilée, servirent bientôt à accomplir la prédiction de Copernic. Au reste, on ne peut rien assigner sur la masse de Vénus, et sur la pesanteur des corps[4] dans cette planète[5].


  1. Ces déterminations sont celles que l’on trouve dans les Principes mathématiques. Des observations plus exactes ont appris depuis qu’il fallait faire quelques changements dans les éléments adoptés par Newton, et par conséquent dans ces différents résultats. (K.)
  2. En 1859, on annonça la découverte d’une planète nouvelle plus rapprochée du soleil que Mercure. (D.)
  3. Schrœter a trouvé 23 heures 21 minutes. (D.)
  4. Ce n’est que par le calcul des perturbations, ou par le mouvement des axes des planètes (voyez chapitre v), que l’on peut connaître les masses des planètes. Par exemple, pour connaître celle de Vénus, il faudrait, après avoir conclu la proportion de la masse de la lune à celle du soleil, de la connaissance de leur action sur le mouvement de la terre, chercher l’altération produite par Vénus dans l’orbite terrestre ; et, connaissant celle que donnent les phénomènes, on aurait la masse de Vénus, en la supposant telle qu’elle doit être pour produire cette altération.

    Cette masse une fois trouvée, en comparant l’observation à la théorie pour un instant donné, la théorie donnerait les tables des perturbations causées par Vénus, et l’accord de ces tables avec les observations prouverait la vérité de la loi générale du système du monde. (K.)

  5. Les éditions de 1738 contenaient ici le passage que voici :
    LA TERRE.

    « Après Vénus est notre terre, placée à 30 millions de lieues du soleil ou environ, au moins dans sa moyenne distance.

    « Elle est à peu près 1 million de fois plus petite que le soleil : elle gravite vers lui, et tourne autour de lui dans une ellipse en 365 jours 5 heures 48 minutes, et fait au moins 180 millions de lieues par an. L’ellipse qu’elle parcourt est très-dérangée par l’action de la lune sur elle ; et tandis que le centre commun de la terre et de la lune décrit une ellipse véritable, la terre décrit en effet cette courbe à chaque lunaison (figure 59).

    « Son mouvement de rotation sur son axe, d’occident en orient, constitue son jour de 23 heures 56 minutes. Ce mouvement n’est point celui de la gravitation. Il paraît surtout impossible de recourir ici à cette raison suffisante dont parle le grand philosophe Leibnitz. Il faut absolument avouer que les planètes et le soleil pouvaient tourner d’orient en occident : donc il faut convenir que cette rotation d’occident en orient est l’effet de la volonté libre du Créateur, et que cette volonté est l’unique raison de cette rotation.

    « La terre a un autre mouvement que ses pôles achèvent en 25,920 années : c’est la gravitation vers le soleil et vers la lune qui cause évidemment ce mouvement, par les mêmes raisons que le soleil et la terre agissent évidemment sur la lune.

    « La terre éprouve encore peut-être une révolution beaucoup plus étrange, dont la cause est plus cachée, dont la longueur étonne l’imagination, et qui semblerait promettre au genre humain une durée que l’on n’oserait concevoir. Cette période pourrait être de 1,944,000 ans. C’est ici le lieu d’insérer ce qu’on sait de cette étonnante découverte, avant que de finir le chapitre de la terre. »

    Ici les éditions de 1738 contiennent un long morceau intitulé Digression sur la période de 1,944,000 ans nouvellement découverte, que Voltaire reproduisit à peu près en 1741, et qu’on trouvera (formant le chapitre xi) dans la longue note à la suite du chapitre ix, ci-après. (B.)