Émaux et Camées/La Montre

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Émaux et CaméesLemerrePoésies, vol. III (p. 86-87).


LA MONTRE


Deux fois je regarde ma montre,
Et deux fois à mes yeux distraits
L’aiguille au même endroit se montre :
Il est une heure… une heure après.

La figure de la pendule
En rit dans le salon voisin,
Et le timbre d’argent module
Deux coups vibrant comme un tocsin ;

Le cadran solaire me raille
En m’indiquant, de son long doigt,
Le chemin que sur la muraille
A fait son ombre qui s’accroît ;

Le clocher avec ironie
Dit le vrai chiffre, et le beffroi,
Reprenant la note finie,
A l’air de se moquer de moi.


Tiens ! la petite bête est morte.
Je n’ai pas mis hier encor,
Tant ma rêverie était forte,
Au trou de rubis la clef d’or !

Et je ne vois plus dans sa boîte
Le fin ressort du balancier
Aller, venir, à gauche, à droite,
Ainsi qu’un papillon d’acier.

C’est bien de moi ! Quand je chevauche
L’Hippogriffe, au pays du Bleu,
Mon corps sans âme se débauche,
Et s’en va comme il plaît à Dieu !

L’éternité poursuit son cercle
Autour de ce cadran muet,
Et le Temps, l’oreille au couvercle,
Cherche ce cœur qui remuait :

Ce cœur que l’enfant croit en vie,
Et dont chaque pulsation
Dans notre poitrine est suivie
D’une égale vibration,

Il ne bat plus ; mais son grand frère
Toujours palpite à mon côté.
— Celui que rien ne peut distraire,
Quand je dormais, l’a remonté !