Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage d’Antoine Gobeil, avocat et ex-registraire sous la loi du Service Militaire

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Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage d’Antoine Gobeil, avocat et ex-registraire sous la loi du Service Militaire
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SÉANCE du 12 avril, 1918.

Témoignage d’Antoine Gobeil, avocat et ex-registraire
sous la loi du Service Militaire[1]


Antoine Gobeil,


ANTOINE GOBEIL, de la Cité de Québec, avocat et ex régistraire sous la loi du Service Militaire, étant dûment assermenté sur les Saints Évangiles dépose ainsi qu’il suit.-

INTERROGÉ par le Coroner.


Q. Vous étiez régistraire à Québec au commencement de l’émeute ?


R. Oui Monsieur.


Q. Je vous demanderai simplement ceci M. Gobeil : Vous étiez régistraire au moment de l’émeute qui a eu lieu à l’Auditorium le 29 mars ?


R. Oui Monsieur.


Q. Voulez-vous nous dire M. Gobeil ce que vous avez appris dans la journée de vendredi et les précautions que vous avez prises pour protéger votre établissement et vos records.


R. Le vingt neuf au matin après déjeuner je me préparais à me rendre à mon bureau comme d’habitude lorsque je suis appelé au téléphone et une voix que je ne connaissais pas m’a prévenu qu’il y aurait probablement du bruit et peut-être une attaque sur le bureau dont j’avais la charge, dans la journée ou dans la soirée du vendredi le vingt neuf. J’ai demandé au téléphone qui me parlait. Pour toute réponse on a raccroché le cornet du téléphone et je ne fus pas plus informé. Je partis immédiatement pour mon bureau et à mon arrivée à mon bureau je reçus la visite de M. Paquet le gérant de l’Auditorium qui avait su lui aussi d’une manière très vague, très générale, qu’on se proposait de venir en foule dans notre direction dans la journée ou dans la soirée. Immédiatement je me mis en communication téléphonique avec M. le Maire Lavigueur qui était chez lui et je lui dis ce que j’avais appris, qui ne me paraissait pas avoir une base solide parce que c’était anonyme, mais dans tous les cas je lui demandai de vouloir bien se concerter avec moi pour prendre les mesures nécessaires pour protéger notre propriété au cas où cela sera requis. M. le Maire me paraissait très bien disposé à se rendre à ma demande et il s’engagea à faire venir le chef de Police à mon bureau pour se concerter avec moi. Il me dit de plus comme c’était ce jour là le Vendredi Saint qu’il serait à son magasin probablement, jusque vers trois heures et ensuite à l’Hotel de Ville. Après avoir parlé au Maire, je fis venir un de mes officiers du bureau du représentant public en chef qui était absent ce jour là, le Capitaine Couillard, et je chargeai le Capitaine Couillard d’aller immédiatement chez le Général Landry, le Commandant de la Place, pour lui dire ce que j’avais appris, et le mettre au courant des menaces qui paraissaient avoir été faites. Subséquemment je me rendis au bureau du chef de la Police Fédérale, le Capitaine Desrochers qui — je l’avais appris par les journaux — avait été fort malmené la soirée précédente. Il n’était pas encore arrivé, mais on m’a dit dans son bureau qu’il arrivait à ce moment là. Je lui demandai s’il serait disposé à s’entendre avec le Chef de Police pour la protection qui pourrait être nécessaire. Il consentit, et vers onze heures, le Chef de Police Trudel arriva chez moi. Précédemment le Capitaine Couillard était revenu de sa visite de chez le Général Landry disant qu’il avait communiqué au Général Landry tout ce que je lui avais dit de communiquer. Le Chef de Police Trudel vint chez moi et je fis demander le chef de notre police fédérale et pendant un certain temps, une demi heure ou trois quarts d’heures nous discutâmes sur ce qu’il y aurait de mieux à faire pour protéger notre propriété au cas où cela serait nécessaire. Le chef de police me dit que si l’émeute prenait des proportions très grandes, qu’il serait probable que la force de police à sa disposition ne serait pas suffisante. Je lui dis alors que j’avais fait prévenir les autorités militaires. La conversation dura pendant un certain temps. Je fis quelques suggestions au Chef de Police — entre autre par exemple, pour ne pas soulever la curiosité des gens — parce que à ce moment je n’avais que des renseignements anonymes — que nous pourrions établir un piquet par exemple dans la bâtisse du Y. M. C. A. et peut-être établir un autre piquet dans le marché Montcalm qui était vis-à-vis, avec peut-être deux ou trois hommes de police qui auraient fait la patrouille sur la rue, mais pas en assez grand nombre pour attirer l’attention mais toutefois en assez grand nombre pour pouvoir protéger la propriété au cas où ça serait nécessaire. Un peu avant midi, voulant être sûr que l’intervention que j’avais essayé de prendre serait officielle, j’ai fait dresser une lettre que j’expédiais à M. le Maire Lavigueur, et qu’il a évidemment reçue parce que xx j’ai vu dans son témoignage qu’il reconnaissait avoir reçu une lettre du régistraire confirmant la communication téléphonique du matin, et lui demandant la protection qui pourrait être requise s’il y avait lieu. Comme c’était le Vendredi Saint et que nous avons un bon nombre de jeunes filles employées dans nos bureaux, j’ai profité de la raison de la fête pour donner ordre aux jeunes filles de ne pas revenir dans l’après-midi, et comme mesure de prudence de ne pas revenir le soir, — parce que nous faisions du travail pressé le soir. De sorte que l’après-midi et le soir il n’y avait pas de jeunes filles dans le bureau contrairement à l’habitude des journées précédentes. Je restai à mon bureau, avec un intervalle très xxxxxx court pour prendre mon goûter. Je revins et n’entendis plus parler de rien jusque vers trois heures. Vers trois heures je reçus un message téléphonique du Chef de Police disant que les rapports qu’il avait lui indiquaient qu’il n’y avait pas d’attroupements et que tout avait l’air tranquille, et que malgré les craintes il ne paraissait pas appréhender un mouvement pour ce soir là. Néanmoins je restai à mon bureau jusqu’à six heures et demi avec mon secrétaire et lorsque je suis sorti pour m’en retourner chez moi il n’y avait ni attroupements ni foule plus qu’à l’ordinaire. Il n’y avait absolument rien qui pût indiquer qu’il y aurait une attaque sur ma propriété. D’ailleurs je comptais que les précautions que j’avais prises en avertissant M. le Maire et les autorités militaires et que si c’était nécessaire toute la protection requise serait donnée. Je me rendis chez moi et la première nouvelle que j’eus fut l’attaque sur le bureau qui me fut communiquée vers neuf heures moins dix, trop tard pour que je puisse m’y rendre, et dans tous les cas, même si ç’avait été assez tôt il aurait été assez futile pour un homme de mon âge d’essayer de me donner de la protection, que j’avais essayé d’avoir et que j’avais su avoir jusqu’à ce moment là. Le lendemain matin pour m’assurer par moi-même si les précautions avaient bien été prises comme j’en avais l’intention, je me rendis moi-même chez le Général Landry et je lui demandai si mon message avait bien rempli sa mission. Il me répondit que oui et il ajouta qu’il avait lui-même après le départ de mon messager communiqué avec le Maire et qu’il lui avait suggéré les mesures qu’il pouvait avoir à prendre, et c’est tout. Voilà à quoi s’est borné dans la journée du vendredi le 29, la participation que j’ai eue aux mesures de protection qui devaient être prises pour assurer la protection de notre propriété.


Q. Était-il question de votre résignation dans ce moment là ?


R. Oui Monsieur.

INTERROGÉ par le Major Barclay.


Q. Quelle est la dernière fois que vous avez été au Bureau ?


R. J’en suis parti à six heures et demi le soir vendredi.


Q. Il n’y avais pas de police dans ce moment là ?


R. J’ai cru remarquer qu’il y avait un homme de police au coin de la rue Des Glacis, sur la première rue après la bâtisse de l’Auditorium, au coin de la rue des Glacis et de la rue St. Jean. Il y avait un homme de police là et peut-être un peu plus loin à l’autre coin.


Le Coroner. — Il n’y avait pas d’attroupements ?


R. Non il y avait de ces curieux qui sont aux alentours du théâtre presque tous les jours.


Q. C’est tout ce que vous avez vu en dépit de votre demande ? pour avoir de la police ? pour la protection de votre édifice ?


R. Oui. Je dois dire que j’avais moi-même cru qu’il serait bon de ne pas mettre la police trop en évidence, parce que à ce moment là, je n’avais qu’un renseignement anonyme, et je craignais que si on avait mis la police trop en évidence, que cela aurait donné une idée de faire une chose qu’autrement on n’avait pas l’intention de faire. En sortant, mon inspection m’a montré qu’il n’y avait pas d’attroupement.

INTERROGÉ par Mtre. Chapleau.


Q. En ce moment là les gens se promenaient sur la rue comme ils ont l’habitude de le faire tous les soirs ?


R. Oui lorsque j’ai traversé la rue pour passer devant le Marché, je me suis retourné et j’ai essayé d’avoir une vue d’ensemble pour voir s’il y avait un attroupement plus qu’à l’ordinaire et je n’en ai pas vu.


Le Coroner. — Ce n’est qu’à neuf heures du soir que vous avez su qu’une attaque avait été faite à vos bureaux ?


R. À ce moment on m’a téléphoné et on m’a dit : Vos bureaux sont en feu.


Q. Vous n’avez pas eu connaissance de ce qui s’est passé de six heures et demi à neuf heures ?


R. Non je n’étais pas là.

INTERROGÉ par Mtre. F. O. Drouin.


Q. Vous avez avisé le Maire le matin vers quelle heure ?


R. Je suis allé à mon bureau vers neuf heures et j’ai dû lui téléphoner entre neuf heures et neuf heures et demi.


Q. Vous dites que vous avez fait communiquer le message ensuite par le messager ?


R. Au Général.


Q. Mais au Maire ?


R. Je lui ai téléphoné le matin et je lui ai écrit ensuite vers le milieu de la journée.

Et le témoin ne dit rien de plus.


Je soussigné sténographe assermenté
certifie que ce qui précède est la transcription
fidèle de mes notes sténographiques.
Alexandre Bélinge
  1. Titre ajouté par Wikisource pour fin de présentation.