Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage de François-Louis Lessard, major général de la milice canadienne

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Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage de François-Louis Lessard, major général de la milice canadienne
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Témoignage de François-Louis Lessard, major général de la milice canadienne[1]


FRANÇOIS LOUIS LESSARD, Major Général de la Milice Canadienne, étant assermenté sur les Saints Évangiles dépose ainsi qu’il suit : —

INTERROGÉ par le Coroner.


Q. Vous avez été envoyé ici à Québec, Major, par les autorités militaires d’Ottawa avec les instructions spéciales pour réprimer les troubles qui existaient à Québec ?


R. Parfaitement.


Q. Vous avez reçu vos instructions directement d’Ottawa ?


R. D’Ottawa.


Q. Quand vous êtes arrivé c’est vous qui aviez le contrôle absolu de toute la force militaire à Québec ?


R. Parfaitement.


Q. Vous a-t-on mis en rapport avec la situation telle qu’elle existait ?


R. Parfaitement. Le dimanche je suis arrivé vers cinq heures, et le lundi surtout.


Q. Avez-vous eu un rapport du général Landry ?


R. Je n’ai pas de rapport du Général Landry ― et je vous demanderai, M. le Président, puisque vous me demandez pour les rapports, je suis prêt à répondre à toutes les questions que vous voudrez me faire ― mes rapports vont directement à Ottawa.


Q. J’ai très peu de choses à vous demander. Vous avez reçu vos instructions directement d’Ottawa ?


R. J’ai reçu mes instructions directement d’Ottawa ― tellement directement qu’on m’a amené avec un train spécial de Halifax ici.


Q. Vous avez eu le contrôle absolu de toute la situation ? depuis votre arrivée jusqu’à maintenant ?


R. Depuis mon arrivée, depuis cinq heures dimanche après-midi.


Q. Lundi dans le courant de la journée, vous étiez informé de ce qui s’était passé les jours précédents et de ce qui devait probablement se passer ce soir là ?


R. Oui.


Q. Vous avez su qu’il devait y avoir une assemblée et vous avez donné ordre d’empêcher cette assemblée ?


R. Oui, il y avait une foule de gens qui me demandaient d’appliquer la loi martiale, ― des gens importants de la ville, je peux vous donner les noms si vous voulez. ― j’ai eu une foule de demandes d’appliquer la loi martiale durant cette journée là.


M. Lesage. — On préférerait avoir les noms.


R. Plusieurs citoyens importants comme M. Burstall, M. Dobell, enfin une foule de gens, je peux en nommer une trentaine, je ne peux pas me rappeler tous les noms.


M. Lesage. — Même le dimanche soir ?


R. C’était l’opinion des gens que je rencontrais dans les cercles que je suivais, les gens venaient me voir pour me demander que la Loi Martiale devrait être appliquée. Je me suis refusé à faire cela.


M. Lessard si vous voulez vous allez faire le tour de votre mémoire et vous allez donner tous les noms dont vous vous rappelez de ceux qui ont réclamé la Loi Martiale ces jours là, vous avez mentionné M. Burstall, M. Dobell ?


R. Oui, son frère, une foule de gens.


M. le Major Barclay s’objecte à cette preuve comme étant non pertinente.


Q. Voulez-vous les nommer ?


R. Je ne me rappelle pas, je ne me rappelle pas de tous les noms.


Q. Vous avez nommé M. Burstall ?


R. Il y a M. Dobell qui me dit que ce n’est peut-être pas lui, il me fait signe ― je ne pensais pas soulever une tempête comme ça. ― bien des gens que je rencontrais, comme vous-même vous le savez et tout le monde le sait ici, que les gens me disaient qu’on devait déclarer la Loi Martiale. Je me suis mis contre cette idée là. Le lundi matin j’ai été voir le Premier Ministre de la Province.


Q. Vous déclarez dans tous les cas sous votre serment que vous ne vous rappelez pas les noms ?


R. Je ne me rappelle plus des noms. ― dans le moment je ne m’en rappelle pas ― il y a une foule de gens qui m’ont parlé comme ça.

INTERROGÉ par M. Lesage.


Q. Il y a des rumeurs, on entend dire ― serait-il vrai que le Général Lessard quand il est arrivé à Québec a convoqué quatre personnes de Québec, quatre personnages éminents qui seraient M. L’Abbé Damour, M. Bernard de l’Évènement, M. Dellencourt, du Soleil et M. D. O. Lespérance ce soir là et sont-ce là les quatre citoyens qu’il a consultés ?


R. Quelle blague !……… quelle sottise ― c’est tout ce que je peux répondre. ― je ne dis pas ça pour vous mais je dis que ce ne sont que des sottises. Ceux qui ont dit ça ― M. Lespérance est venu me faire visite, je ne sais pas pourquoi ― cela n’a rien à faire avec ça. J’ai pensé que le lundi que ça serait bon de voir le Premier Ministre et deux ou trois notables et d’avoir une conversation avec eux.

INTERROGÉ par M. Ed. Picher


Q. M. Le Premier Ministre ne vous a pas demandé d’imposer la Loi Martiale ?


R. Non.


Q. Vous avez dit qu’il y avait des gens qui vous ont conseillé d’imposer la Loi Martiale. Ces gens là que vous avez vus, c’étaient d’anciennes connaissances, c’était des militaires ou des citoyens ordinaires, vous devez vous rappeler de ces gens là ?


R. Non, pas directement, pas pour faire serment, pour dire qu’un homme directement m’a demandé pour appliquer directement cette loi là.


Q. Mais il y en a quelques uns qui vous l’ont demandé ?


R. Il y en a qui me l’ont demandé, mais je ne me rappelle pas les noms.


Q. Tout de même vous dites qu’on vous l’a demandé ?


R. Je me suis aperçu que M. le Maire n’a pas donné les noms lui non plus.


Q. Si on n’a pas le droit de rien savoir…


R. Je ne me rappelle pas directement pour dire……… j’avais dis d’abord que c’était M. Dobell ― c’est peut-être son frère, je ne sais pas. J’ai vu une foule de gens, vous savez les gens étaient très excités pendant ces journées là.


Q. Peut-être que c’est M. Dobell ?


R. M. Dobell est ici, M. Alfred Dobell et il me fait signe que ce n’est pas lui. C’est peut-être son frère M. William Dobell, je n’en sais rien. Je le voyais faire signe tout à l’heure ― j’ai cru que c’était M. Dobell.


Q. Y en a-t-il d’autres qui vous ont demandé d’imposer la Loi Martiale ?


R. Je n’en sais rien, peut-être M. Dobell vous le dira, il y a une foule de gens qui m’ont vu, qui m’ont interviewé pour me demander ça.

INTERROGÉ par Mtre. Paul Drouin.


Q. Combien est-ce qu’il y a de personnes qui vous ont demandé cela.


R. Je ne me rappelle pas le nombre. Je n’ai pas pris la peine de compter non plus.


Q. Vous ne pouvez pas le dire même approximativement ?


R. Non plus. J’étais trop occupé pour m’occuper de cela.

INTERROGÉ par M. Ed. Picher.


Q. Est-ce bien sévère la Loi Martiale.


R. Est-ce que c’est direct ça ― peut-être que mon avocat vous donnera une meilleure définition que moi. C’est bien sévère, mais pour donner les détails…….


Q. Est-ce que cela a déjà existé dans le pays ?


R. Je ne m’en rappelle pas.


Q. Vous n’avez pas eu à la mettre en force à Halifax ?


R. Non ni à Halifax ni à Toronto ni à Hamilton ni au Sault Ste.-Marie.


Q. Il est bien probable que les gens qui vous ont demandé d’imposer la Loi Martiale, n’en connaissaient pas la sévérité, parce que ils n’auraient pas voulu la mettre en existence dans la ville ?


R. Je n’en sais rien, je ne les ai pas questionnés.

INTERROGÉ PAR LE CORONER.


Q. À tout évènement vous êtes arrivé à Québec avec les instructions complètes ?


R. Je suis arrivé à Québec avec des instructions complètes d’Ottawa.


Q. Est-ce que vos instructions vous indiquaient quelles étaient les méthodes à employer pour réprimer l’émeute ou si cela était laissé à vous ?


R. On m’avait laissé ça à moi, avec tous les pouvoirs.


Q. Et ce qui a été organisé ce soir là l’a été par vous ?


R. L’a été par moi.


Q. Combien avez-vous envoyé d’hommes le soir ?


R. Le détail a été fait par le Général Landry. Il a tout ça en mains.


Q. Vous ne vous en rappelez aucunement ?


R. Je n’ai pas ces détails là. Ce sont mes officiers qui font cela, c’est mon État-Major qui peut vous donner les détails.


Q. Vous ne vous rappelez pas quel était le nom du Commandant de ce piquet là ?


R. Non je ne m’occupe pas de ces détails là.


Q. Où étiez-vous le soir ?


R. J’étais au Chateau Frontenac.


Q. Êtes-vous sorti ?


R. Non pas du tout. Je me suis tenu au courant des choses par l’entremise du Bureau Central. Nous étions au courant toutes les dix minutes ou toutes les cinq minutes.


Q. Vous n’avez pas eu connaissance lorsque ces hommes là ont été tués ?


R. Non seulement qu’on m’a rapporté la chose que nos troupes avaient été attaquées.


Q. Et pour se défendre ils ont tué quatre hommes ?


R. Non, doucement, leurs instructions étaient de tirer seulement lorsqu’ils étaient attaqués eux-mêmes. Un homme avait déjà une balle qui lui a passée à travers la tête. Ils avaient déjà leurs instructions, je n’avais plus rien à faire.


Q. Quand vous leur avez donné vos instructions de tirer ?……


R. Je n’ai pas donné instructions de tirer, je leur ai dit simplement que s’ils étaient obligés de se défendre ils pourraient disperser la foule et s’empêcher de s’assembler. Ce sont là mes instructions, de ne pas tirer avant qu’ils soient tirés eux-mêmes ― de tirer rien que lorsqu’on tirerait contre eux.


Q. Et leur avez-vous dit lorsqu’on cesserait de tirer sur eux de cesser de tirer ?


R. Et en sus de lire le Riot Act, et ils l’ont lu.


Q. Êtes-vous sûr qu’ils l’ont lu ?


R. J’en suis certain, au moins l’officier me l’a rapporté.


M. Ed. Picher. — Savez-vous à quel endroit il a été lu ?


R. Je peux vous appeler l’homme si vous voulez.


Q. Vous leur avez donné instructions : Si vous êtes attaqué, tirez. Leur avez-vous dit : Si on cesse de vous attaquer ou si la foule se disperse, cessez de tirer ?


R. Il n’a pas été question de ça.


Q. Je ne vous demande pas de quoi il a été question ?


R. Je peux vous répondre. Nous avons donné instructions aux hommes de se tenir calmes, d’abord et certainement de ne pas tirer avant d’être attaqués. Nous leur avons donné instructions de ne pas tirer avec la machine seulement dans les clôtures et les murs de pierre. Si vous avez eu si peu de gens qui ont été tués ou blessés c’est dû à ces instructions là et c’est dû au calme des troupes qu’il y avait là. Maintenant, laissez-moi finir. On leur a dit : Dites aux gens de se retirer, marchez dispersez vous. Ils le leur ont dit. Les gens n’ont pas voulu se disperser. Finalement non seulement des morceaux de glace, des briques mais des balles sont arrivées. Alors il s’agissait de prendre…


Q. Vous n’étiez pas là, c’est ce qu’on vous a dit ?


R. Écoutez donc, certainement.


Q. Mais j’en reviens toujours à ma question Général, à savoir si des instructions ont été données de tirer si on les attaquait et leur avez-vous recommandé oui ou non, du moment que la foule serait dispersée, de cesser de tirer ?


R. Certainement.


Q. Vous leur avez recommandé cela ?


R. Le Général Landry leur a dit aussi, je crois, c’est le gros bon sens ― pensez-vous qu’on est allé là pour tuer les gens ? au contraire cela m’a fait de la peine énormément. Je ne veux pas passer ici pour le Kaiser ou un individu qui vient ici comme un meurtrier, je suis venu ici pour rétablir la paix. Maintenant M. le Coroner j’aimerais à ajouter au sujet de mon expérience qu’on a eu des émeutes à Toronto dans deux cas et une fois aussi à Hamilton et au Sault Ste.-Marie. C’est entendu que quand une foule s’organise que c’est trop tard pour la disperser. On peut avoir plus de gens qui sont tués ou blessés. C’est mieux de l’empêcher de se rassembler. Maintenant il y avait une assemblée pour ce soir là et j’ai placardé les rues et j’ai annoncé ― et cela coûte très cher d’annoncer à Québec, ― cela a coûté trois milles cinq cent piastre ― quatre ou cinq insertions ― cela a coûté ça au Gouvernement du Dominion pour placarder les rues et les annonces dans les journaux. J’ai annoncé aux gens que c’était dangereux de se hasarder dans les rues que pour être en sûreté ils devraient rester chez-eux. J’ai pris toutes les précautions pour empêcher cette affaire là. J’ai même dit au Colonel Lavergne qui est venu me voir, que ça serait mieux de ne pas continuer, de ne pas adresser cette assemblée, parce que je savais…………


Q. A-t-il consenti à cela ?


R. Il ne m’a rien dit. Nous sommes en terme assez intime ― il n’a pas suivi mon conseil il n’avait pas besoin de le suivre non plus, l’assemblée n’a pas eu lieu. Mais il n’y a personne que je connais qui puisse avoir assez d’influence pour prendre deux ou trois mille personnes et leur dire d’aller chez-eux s’ils ne veulent pas s’en aller. Je savais ça parfaitement, et c’est pour ça que j’ai pris cette décision là pour empêcher les pertes de vie et les pertes de propriétés et surtout pour empêcher cette bagarre. Je ne veux pas être ici coté comme un homme qui vient comme un meurtrier ― je n’ai pas voulu faire les choses en l’air sans y avoir vu avec beaucoup de calme et j’ai fait mon grand possible, et je ne veux pas que cela se répète. J’ai su certaines informations qui sont assez sûres qu’il y avait une organisation peut-être pas étrangère, peut-être locale, enfin nous sommes à regarder là-dedans.


Q. Ce n’est pas l’opinion générale ?


R. Laissons les choses se développer.

INTERROGÉ par M. Lesage.


Q. On dit que lorsque quelqu’un est attaqué il a le droit de se défendre en employant à peu près la même violence. Il y a eu des morts parmi les civils ― est-ce qu’il y a eu des militaires qui ont été tués ?


R. Non ― nous avons eu une trentaine de blessés je crois. Il y en a un qu’une balle a attrapé à la tête. Je ne crois pas qu’il meure de ça. Quand je dis à la tête, je veux dire que la balle l’a attrapé à la mâchoire.


Q. Il n’y en a pas eu de blessés gravement ― il n’y a pas eu de morts ?


R. Nous avons au moins une douzaine de chevaux qui ont été blessés. Il y a eu un cheval qu’on a été obligé de tuer.


Q. Ce cheval là, il s’est abattu sur une borne fontaine ?


R. Jamais. Nous avons une trentaine d’hommes, une quarantaine d’hommes de blessés, quelque chose comme ça. On peut vous donner le détail si vous voulez.


Q. Ont-ils été blessée avec des armes à feu ?


R. Oui cette homme là a été frappé à la tête. Nous avons même arrêté des gens qui avaient des revolvers sur eux.


Q. La majorité de ceux qui ont été blessés, est-ce qu’ils ont été blessés par des balles ?


R. Blessés par des balles…… on a vu plusieurs de ces gens là qui passaient leurs revolvers autour de la clôture ou autour du coin d’une maison et qui tiraient sur nos troupes.


Q. Vous ne les avez pas vus, vous n’y étiez pas ?


R. C’est nos hommes qui nous ont rapporté ça. Nous avons une liste de ces gens là ― nous allons arrêter ces gens là.

INTERROGÉ par M. Ed Picher.


Q. Si j’ai bien compris vous avez dit que vous avez déjà eu des affaires comme ça à Toronto ?


R. J’ai déjà été en mission à Toronto à Hamilton et à d’autres places.


Q. Y a-t-il eu beaucoup de personnes tuées dans ces émeutes là ?


R. Il y a des fois qu’il y en a eu de tués et de blessés.


Q. Dernièrement ?


R. Non, depuis vingt cinq ans que je suis là.


Q. Voilà longtemps ?


R. Il y a eu une émeute à Québec ici en mil huit cent soixante et dix-neuf à la Basse-Ville. Je commençais comme Lieutenant. Nous avons tué un homme en plein dans la tête ici, celui qui était en tête des émeutiers.


Q. Dans les autres villes vous ne vous rappelez pas s’il y en a eu de tués, des civils ?


R. Non je ne me rappelle pas de ça.


Q. On n’a pas jugé à propos de tirer dans les autres villes ?


R. Je ne me rappelle pas de ces détails là.

INTERROGÉ par Mtre. Lavergne.


Alors il n’y a pas rien que dans la ville de Québec qu’il se passe des émeutes ?


R. Non, il y a des émeutes partout.


Q. Maintenant vous êtes Inspecteur Général des troupes de l’Est ?


R. Oui Monsieur.


Q. Vous êtes venu à Québec spécialement à la demande des autorités d’Ottawa ?


R. Oui.


Q. Pour réprimer les troubles qui se passaient ici ?


R. Oui.


Q. Vous aviez, je comprends, des instructions indéfinis et des pouvoirs sans limites ?


R. On m’a donné l’ordre de prendre le commandement de toutes les troupes ici et de réprimer l’émeute. ― et il y a la Loi qui est là.


Q. Vous n’aviez pas d’instructions écrites ?


R. Non, excepté le télégramme me disant de venir prendre le commandement.


Q. Ces instructions là venaient-elles du Ministère de la Milice ou venaient-elles du Président du Gouvernement ?


R. Je reçois mes ordres du Ministère de la Milice.


Q. Je comprends Général qu’il y a eu un ordre en Conseil vous donnant l’Autorité Suprême ?


R. Je comprends ça.


Q. Et vous indemnisant à l’avance contre toutes les réclamations en dommages quelconques contre vous à cause de ce que vous pourriez faire pour la répression de l’émeute ?


R. Je ne suis pas avocat, je ne suis pas certain. Je ne peux pas répondre à cette question là.


Q. D’après vos instructions deviez-vous conférer avec les autorités municipales de Québec, ou les autorités en charge de l’administration de la Justice, ― c’est-à-dire le Procureur Général ?


R. Non, j’ai conféré de moi-même, sans instructions.


Q. Mais vos instructions vous disaient-elles de faire ça ?


R. Non, ils ont laissé ça à mon bon jugement.


Q. En termes techniques l’ordre du Conseil vous nommait pratiquement dictateur pour la circonstance ?


R. Je ne sais pas si j’étais un dictateur mais j’aurais préféré qu’un autre eut été dictateur plutôt que moi.


Q. Vous aviez en mains, en votre seule personne, toute l’autorité ?


R. J’avais toute l’autorité oui.


(Par le Coroner) Ceci est l’ordre en Conseil qui vous a été envoyé n’est-ce-pas et que je produis comme pièce No 1 ?


R. Oui Monsieur.


Q. Vous êtes arrivé dimanche soir ?


R. Je suis arrivé dimanche soir à cinq heures.


Q. Je crois que vous m’avez rencontré un des premiers ?


R. Je suis arrivé par Lévis, par l’Intercolonial.


Q. Jusque là les troupes avaient été en charge du Général Landry ?


R. Oui Monsieur.


Q. Avez-vous objection à dire combien il y avait de troupes à Québec dimanche soir et combien il y en avait lundi ?


R. Exactement, je ne peux le dire, mais il y avait entre dix huit cents à deux mille. Le Général Landry connaît exactement le nombre des troupes. Je crois que c’est entre dix huit cents et deux mille.


Q. En arrivant le soir on vous a mis au courant de la situation ?


R. Oui.


Q. Pouvez-vous dire qui ?


R. J’ai fait demander le Général Landry d’abord. C’est lui qui m’a conté l’histoire avec son État-Major.


Q. Est-ce quelques citoyens, des civils, vous ont mis au courant de la situation dimanche soir ?


R. Je ne me rappelle pas pour dimanche soir. J’en ai vu beaucoup le lundi. C’est pour ça que je ne me rappelle pas des noms.


Q. En avez-vous beaucoup vu lundi matin ?


R. Oui lundi matin et lundi après-midi. Toutes sortes de gens qui avaient toutes sortes d’idées.


Q. Surtout lundi matin, avant que vous preniez action ou avant que vous preniez aucune décision ?


R. Je ne comprends pas.

INTERROGÉ par le Coroner.


Q. Est-ce que vous avez vu beaucoup de personnes avant de prendre une décision vous-même ?


R. J’avais pris ma décision en arrivant.


Q. Après avoir consulté vos officiers, vous avez décidé d’agir comme vous avez agi ?


R. Oui.


Q. Ce ne sont pas les informations ou les conversations que vous avez eu avec d’autres ? qui ont influé sur vos décisions ?


R. Non. Le lundi c’était la cinquième journée ― le dimanche soir c’était la quatrième journée que ces choses là arrivaient. J’ai pris certaines informations.

INTERROGÉ par Mtre. Lavergne.


Vous avez entendu des gens qui vous demandaient de prendre des mesures de répression sévères et d’autre vous demandant d’user d’une certaine diplomatie et de n’envoyer les troupes qu’à la dernière extrémité ?


R. Vous êtes le seul qui m’avez demandé d’employer la diplomatie et de retirer les troupes.


Q. Avec M. le Maire ?


R. M. le Maire, lundi après-midi ― je crois est venu me voir ― il m’a demandé je crois vers quatre ou cinq heures………


Q. Mais vous avez vu d’autres personnes qui vous ont demandé d’employer des mesures de répression sévères ?


R. J’ai vu toutes sortes de gens qui m’ont fait toutes sortes de demandes.


Q. Je crois que lundi matin vous avez vu M. D’Hellencourt le rédacteur du Soleil ?


R. J’ai vu M. d’Hellencourt ― tous les journaux, ― j’ai demandé aux représentants des Journaux de venir me voir afin d’employer leur influence.


Q. L’Action Catholique était là aussi ― M. l’Abbé Damours ?


R. J’ai demandé le représentant du Journal ― M. Damours ou M. Dorion ― je crois que c’est un Monsieur Dorion qui était là.


Q. Vous avez vu également le Sénateur Lespérance ?


R. Le Sénateur Lespérance, je l’ai vu par accident ― c’était pour une tout autre affaire.


Q. Ils ont été là ensemble ?


R. Non pas en même temps.


Q. Ils ont été convoqués à peu près dans le même temps ?


R. Non pas dans le même temps ― ils n’ont pas été convoqués ― le Sénateur Lespérance n’a pas été convoqué du tout ― j’ai demandé aux représentants de journaux de Québec de venir me rencontrer et je leur ai raconté l’histoire et je leur ai demandé de me donner tout le concours qu’ils pouvaient me donner, et ils me l’ont donné volontiers.


Q. En vous faisant payer ?


R. C’est une autre affaire ça. Je leur ai demandé leur concours dans l’éditorial.


Q. C’est vous qui avez publié une proclamation demandant aux gens de ne pas s’assembler le soir ?


R. Certainement.


Q. Vous avez remarqué que cette proclamation ne portait pas de signature n’est-ce-pas ?


R. C’est une explication, si je comprends bien ― j’expliquais aux gens ce qui leur arriverait, où ils en étaient avec la loi, ― il n’y avait pas besoin de signature.


Q. Dans tous les cas cette proclamation ne portait pas de signature ?


R. Non, mais cela commençait par « les autorités militaires… »


Q. Cela ne portait pas les armes du Gouvernement ?


R. Non, pas la proclamation. Il y a bien certains journaux qui ont mis les armes du Gouvernement mais nous ne leur avions pas donné d’instructions. Ils l’ont ajouté d’eux-mêmes sans mes ordres.


Q. Elle ne portait pas non plus un nom d’imprimeur ?


R. Non. Je ne sais pas quel imprimeur a imprimé la proclamation.


Q. Quel est l’officier qui était en charge de cette partie là ?


R. Le Colonel Guay ― l’avocat Rodolphe Guay.


Q. Alors le soir, la populace étant rassemblée, vos hommes leur ont demandé de se disperser n’est-ce-pas ?


R. C’est ce qu’on m’a rapporté ― sur nos instructions, le Général Landry et moi.


Q. Les citoyens circulant sur la rue, dans les allées et venues habituelles, allant à leurs affaires étaient censés croire que ceux qui leur demandaient de se disperser n’avaient pas d’autorité ?


R. Je n’ai rien à faire à ça ?


Q. Je vous le demande ?


R. Écoutez donc……


Q. Y avait-il eu un avis officiel donné à la population, de la part des autorités militaires ou de la part de qui que ce soit ― un avis officiel qu’un rassemblement ne serait pas permis ce soir là ?


R. Certainement, nous leur disions que c’était les autorités militaires qui demandaient ça.


Q. Mais est-ce que cela portait la garantie ou le sceau d’une autorité officielle ?


R. J’ai répondu que non, Colonel Lavergne. J’avais expliqué seulement ce qu’était la loi et je laissais aux citoyens de comprendre, s’ils avaient du bon sens, quelles étaient leur responsabilité ― et je me suis aperçu qu’on comprenait très bien les responsabilités parce que on ne voyait personne dans les rues.


Q. Maintenant Général je vous demande si vous, chargé de l’Autorité Suprême et de pouvoirs très considérables ― qu’on avait évidemment eu raison de mettre entre vos mains ― je vous demande si, comme chargé du Pouvoir Suprême, et représentant le Gouvernement Fédéral, vous avez donné vous-même, officiellement, par proclamation ou autrement, un avis que les rassemblements ne seront pas permis, autre que cette proclamation qui n’était signée ?


R. J’ai demandé à tous les journaux, d’aviser, de conseiller aux gens de rester chez-eux. Je ne crois pas qu’il y ait eu une seule personne dans la ville de Québec, qui ne savait pas quelles étaient les mesures de rigueur ― qui ne comprenait pas quelles étaient les mesures de rigueur qui seraient prises ― sans sceau et sans signature ― elles savaient très bien où elles en étaient.


Q. Croyez-vous que cette proclamation était légale ? et comportait des conséquences qui auraient pu être renforcées ou mises obligatoires par la loi ?


R. Non, je comprends que si j’avais voulu ce n’était pas nécessaire pour moi d’envoyer une proclamation. J’ai fait ça pour empêcher l’effusion de sang et pour renseigner le public. Je n’avais pas d’affaires à faire une chose comme ça. Je l’ai fait de mon bon gré pour aider la situation.


Q. Alors le soir, pour les citoyens allant à leurs affaires, lorsque les militaires venaient leur dire de s’en aller, de se retirer, de se disperser, ils n’avaient aucune autorité ?


R. Ils avaient un bon conseil à leur donner s’ils n’avaient pas d’autorité.


Q. Mais les militaires n’avaient pas d’autorité ?


R. Certainement ils avaient l’autorité de moi.


Q. Pour le public, croyez vous que légalement…


Le Major Barclay ― Ceci est une question de droit.


Q. Y a-t-il eu un seul avis officiel que le cours normal municipal et civil de la vie de Québec était suspendu ?


R. Mais non, ce n’était pas nécessaire. Lorsque vous avez un feu par exemple, vous nous appelez, vous demandez qu’on vous aide, ― nous y allons, et nous disons aux citoyens de s’en aller, et ils s’en vont. C’est pour aider la police. Pourquoi les citoyens dans un cas comme ça refuseraient-ils…… vous avez une conflagration, vous venez nous demander et nous y allons ― sans prendre charge de la place. Il n’y a pas de Loi Martiale, il n’y a pas de proclamation, c’est pour vous aider que nous faisons ça.


Q. Veuillez croire Général que mes questions ne sont pas des questions offensives ?


R. Vos questions sont impossibles. Vous essayez à m’impliquer dans quelque chose……


Q. Nous sommes ici pour savoir sur qui doivent peser les responsabilités.


R. Sur moi. Comme je vous l’ai dit, cela m’a fait beaucoup de peine d’être envoyé ici. J’aurais préféré que c’eut été une autre personne qui aurait pris ça. J’ai pris toutes les mesures possibles pour empêcher l’effusion de sang. Si vous aviez été avec moi vous ne me demanderiez pas ces questions là.


Q. J’ai rempli un devoir.


R. C’est comme rien de continuer à m’embêter avec ces questions là. Je suis venu pour aider la situation, j’ai cru qu’on comprendrait la chose ― simplement pour aider le Général Landry ― pour que vous ayez deux Canadiens Français pour vous aider. J’ai fait mon grand possible pour empêcher l’effusion de sang.


Q. Je représente la famille d’une des victimes et si elles ont des réclamations à faire contre le Gouvernement nous sommes obligé d’établir les responsabilités. — Maintenant, par conséquent, au lieu de la Police civile ce soir là, ce sont les militaires qui se sont chargés de faire faire la circulation dans les rues et de maintenir l’ordre ?


R. Certainement.


Q. Les troupes avaient déjà eu instructions de tirer, n’est-ce-pas ?


R. Je crois que le dimanche, le jour d’avant, lorsqu’elles ont été attaquées, mais je n’étais pas en commandement dans le temps, je ne veux pas m’absoudre de la responsabilité ― si je l’étais dans le temps ― je la prendrai ― mais je ne crois pas que c’était moi dans le temps.


Q. Quand vous êtes arrivé dimanche soir vous a-t-on informé que tout était apaisé ?


R. Au contraire nous avons eu toutes sortes de lettres anonymes, de rapports, etc.


Q. Vous devez avoir un rapport de la nuit du dimanche au lundi, sur ce qui s’est passé ?


R. Dimanche soir à lundi il n’y a rien eu après cette bagarre.


Q. Il n’y a rien eu.


R. Je ne crois pas.


Q. Alors lundi matin la nuit avait été bonne ?


R. Oui, la nuit avait été bonne, excepté que nous entendions dire qu’il y aurait une assemblée ce soir là que vous aviez appelée vous-même et je vous ai donné le conseil de ne pas y aller.


Q. Mais la nuit avait été paisible ?


R. Oui la nuit avait été paisible et souvent c’est mauvais signe aussi qu’il n’y avait pas de trouble ― c’était le calme avant la tempête, ― on s’organisait.


Q. Vous avez arrêté dites-vous ― on a arrêté des gens qui portaient des revolvers ?


R. Je crois que. Nous en avons maintenant chez nous quatre cas je crois.


Q. Trois ont été traduits devant les Tribunaux ?


R. Oui devant les Tribunaux Civils.


Q. Savez-vous ce qui en est advenu ?


R. Je n’en sais rien, j’ai passé ça à la Police Civile.


Q. Vous ne savez pas le résultat ?


R. Je ne m’en occupe pas non plus. Je l’ai lu dans le Journal par accident et c’est tout.


Q. Maintenant personne ne vous a demandé de retirer vos troupes de Québec ?


R. Officiellement, non.


Q. Mais non officiellement ?


R. Non.


Et le témoin ne dit rien de plus.


La présente enquête est alors ajournée au lendemain 9 avril, 1918, à neuf heures trente A.M.


Je soussigné sténographe assermenté
certifie que ce qui précède est la transcription
fidèle de mes notes sténographiques.
Alexandre Bélinge
  1. Titre ajouté par Wikisource pour fin de présentation.