Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage de Wilfrid Cantin

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Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage de Wilfrid Cantin
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Témoignage de Wilfrid Cantin[1]


Wilfrid Cantin.


    WILFRID CANTIN, de la Cité de Québec, étant dûment assermenté sur les Saint Évangiles, dépose ainsi qu’il suit :


INTERROGÉ PAR LE CORONER :


Q. Vous avez entendu la déposition de M. Dion ?


R. Oui.


Le Coroner : J’avais demandé tout à l’heure, à M. Cantin, s’il pouvait corroborer le témoignage de M. Dion. Maintenant, je vois que c’est à peu près impossible de corroborer ce témoignage. Je croyais qu’ils avaient resté plus longtemps que cela ensemble. Je crois que le jury pourrait peut-être se limiter à entendre M. Cantin pour nous dire ce qu’il a vu, à part ce qu’il a entendu dire par M. Wilfrid Dion, … sans corroborer le témoignage de M. Dion, il pourra dire ce qu’il a à ajouter à ce que M. Dion a dit.


Q. Ce dont vous avez pris connaissance et qu’il a raconté ici, vous pouvez le supprimer ? et dire ce que vous savez de plus que cela ?


R. Ce que j’ai dit, naturellement, j’étais sur la rue St. Joseph, je ne peux pas avoir dit exactement la même chose. J’ai moins vu que M. Dion. D’abord, j’étais prêt de me coucher, quand j’ai entendu quelqu’un crier : « Ils s’en vont chez Lajeunesse. » Le châssis d’en dedans était ouvert, — il y avait rien que le châssis double. Je me suis mis dans le châssis, et j’ai ouvert aussi une vitre qui rouvrait et j’ai entendu casser des vitres, — et la foule leur a crié : « Pourquoi casser des vitres ? Il n’y a rien à prendre, ne cassez donc pas des vitres pour rien. »


Q. La foule a crié cela ?


R. La foule a crié ça. Ensuite, il est arrivé deux ou trois petits jeunes gens au coin de chez nous, — il y avait une boîte d’alarme, … des petits jeunes gens, — la vitre a été cassée, — ils voulaient jouer avec ça. Quelqu’un a crié : « Ne touchez pas à ça. » Vu que les petits garçons voulaient insister, ils ont dit de laisser ça tranquille, ou qu’ils allaient les ôter de là. Ensuite, j’ai resté dans le châssis quelques minutes, et j’ai vu la foule partir en courant, et ils disaient : « Les voilà, les voilà. » J’ai resté dans le châssis, j’ai vu les soldats qui arrivaient, ils marchaient sur la track des chars, dans le milieu. Ils sont venus se placer au coin de la rue Bagot. Rendus au coin de la rue Bagot, ils sont restés là quelques minutes, lorsque j’ai vu un Officier partir vers la rue St. Valier, et sortir un revolver. Là, il a crié : … je ne pouvais pas comprendre ce qu’il disait, mais je croyais, par son revolver, qu’il avait l’air à vouloir tirer et le revolver ne partait pas, — par cinq, six fois.


Q. Dans quelle direction ?


R. Dans la direction de la Rue St. Valier, en allant vers le Boulevard Langelier, vers la rue St. Jude. Là, il y avait des policemen, — il restait deux ou trois personnes, au coin, et les policemen leur ont parlé, … je pense qu’ils leur disaient de s’en aller. Il y en avait deux qui avaient l’air à insister pour rester là. Lorsque les soldats ont fait semblant de foncer avec la baïonnette, ils se sont en allés. À part cela, je ne voyais personne, excepté quand il arrivait quelqu’un pour passer, parce que, il n’y avait pas de foule. Et là, j’entendais le commandement de l’Officier et ils faisaient un rond et ils s’en venaient passer près de mon côté de la maison, sur la rue St. Joseph. Là, ils ont tous commencé à tirer dans la direction de la rue Bagot, en allant vers la maison privée de M. Vézina.


Q. Vous aviez changé de position lorsque vous avez xxxxxx vu tirer dans cette direction ?


R. Oui j’étais droit en face des soldats, ça se trouvait vis-à-vis le kiosque des charretiers lorsqu’ils ont tiré. Ça m’a paru entre deux à trois minutes sans arrêter. Ils étaient tous en groupes et ils tiraient. Même j’ai eu le temps de répondre au téléphone — il y avait un jeune homme qui était entre les deux portes et il avait assez peur… il a sonné la cloche et je suis descendu et lorsque je suis remonté en haut ça finissait de tirer. Je calcule que cela a pris entre deux ou trois minutes. Ensuite de ça j’ai entendu plusieurs coups de feu.


Q. Savez-vous si c’était des soldats ou des civils ?


R. Ça paraissait des soldats, j’en a vu qui tiraient d’un bord et de l’autre. Il y en avait un qui était caché à plein ventre dans la rue et il tirait. Il avait l’air à viser dans la direction de la rue St. Joseph vers le magasin Drolet. J’ai resté dans le châssis dans le temps et je les regardais faire. Et après que le bruit a été fini, que la fusillade était finie, il y a un jeune homme qui est venu pour passer et il lui ont crié : Hands up, — et ils ont tassé les jeunes gens, ils en ont ramassé neuf ou dix — ils étaient tassés tous dans la rue près du magasin Julien — les soldats il y en avait assez qu’on ne voyait pas toute la longueur du magasin. Ils étaient un certain groupe debout sur le trottoir, ensuite de ça l’Officier a donné un commandement et les soldats ont commencé à revenir. Il sifflait et les soldats ont commencé à revenir, et ils se mettaient en rang presqu’en face du magasin pour parader. J’ai voulu xxxxxx ouvrir le châssis par curiosité pour les voir parader et il y en a un qui a pointé un fusil vers moi et il dit : Shop that window. C’est tout ce que j’ai pu voir.


Q. Vous n’aviez pas de carabine en main ni de revolver ?


R. Non, je n’en ai jamais pris une dans mes mains. Il y avait longtemps que ça ne tirait plus dans ce temps là.


Q. M. Cantin vous avez eu connaissance qu’il a été tiré des coups de feu bien après que la foule a été dispersée ?


R. Oui — d’ailleurs je dois vous dire que là où j’étais je ne pouvais pas voir aucun civil sur la rue Bagot ni St. Valier, excepté quelqu’un, après que les deux ou trois premières fusillades ont été faites, le monde a commencé à vouloir passer. C’est seulement dans ce temps là, mais réellement il n’y avait personne dans la rue que je pouvais voir, mais je ne pouvais pas voir que sur un côté. Je pouvais voir jusqu’au magasin Vézina, un petit bout sur la rue St. Joseph mais je ne voyais personne.

INTERROGÉ par Mtre. F. O. Drouin


Q. À la Salle Frontenac jeudi soir étiez-vous là ?


R. Non — je n’étais pas là, seulement ce soir là.

INTERROGÉ par Mtre. F. Gosselin


Q. Il y avait assez de brume pour empêcher les soldats de voir là où ils tiraient ?


R. Naturellement, j’étais un peu éloigné — j’ai pris la peine de mesurer le terrain à partir du magasin Julien au coin de la rue St. Valier à aller jusqu’à la clôture où l’on m’a dit que Tremblay était. Il y a cent soixante et quinze pieds. À partir de l’autre côté de la rue, je calcule qu’il y a à peu près cinquante pieds à venir à ma fenêtre. Pour moi, je voyais à peu près jusqu’à la moitié de la rue Bagot, — la moitié du magasin Julien — il devait rester à peu près cent vingt cinq pieds à aller à la clôture. Ils devaient avoir de la difficulté, parce qu’il n’y avait pas de lumière, la lumière était éteinte, ils devaient avoir bien de la difficulté à voir jusqu’à cette clôture là.


Et le témoin ne dit rien de plus.


Je soussigné sténographe assermenté
certifie que ce qui précède est la transcription
fidèle de mes notes sténographiques.
Alexandre Bélinge
  1. Titre ajouté par Wikisource pour fin de présentation.