Épodes (Horace, Leconte de Lisle)/17

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1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
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XVII. — À CANIDIA.


Voici que je cède à ta science toute-puissante. Je te prie, suppliant, par le royaume de Proserpina, par la majesté terrible de Diana, par ces livres d’incantations qui arrachent les astres du ciel, Canidia, épargne-moi enfin tes paroles sacrées, et retourne, retourne en sens contraire le rapide fuseau ! Téléphus apaisa le petit-fils de Néreus contre qui il avait fièrement rangé les bataillons des Mysiens et dardé ses flèches aiguës. Les mères Iliennes parfumèrent l’homicide Hector voué aux oiseaux carnassiers et aux chiens, après qu’ayant quitté les murailles, ce roi fut tombé aux pieds de l’inexorable Achillès. Les rameurs du patient Ulyssès se dépouillèrent, Circé le voulant, des rudes peaux couvertes de soies, et retrouvèrent l’esprit et la voix et le visage accoutumés. Tu m’as assez et trop châtié, toi qui es aimée des matelots et des marchands. Ma jeunesse a fui, et les belles couleurs se sont effacées de la peau livide de mes os desséchés. Mes cheveux ont blanchi par tes parfums ; il n’y a plus de trêve à mon mal ; la nuit chasse le jour, et le jour la nuit, et rien ne peut apaiser le souffle de ma poitrine. Donc, je suis vaincu au point de croire, malheureux, ce que j’ai nié, que les incantations Sabines déchirent le cœur et que les cris lugubres des Marses brisent la tête. Que veux-tu de plus ? Ô mer ! ô terre ! Je brûle plus encore que Herculès imprégné du sang noir de Nessus, et que la violente flamme Sicanienne qui bouillonne dans l’Ætna ! Et toi, jusqu’à ce que je sois emporté, cendre aride, par les vents injurieux, tu chauffes sur ton foyer les poisons de Colchos ! Quelle fin ou quelle rémission m’attend ? Parle. J’accomplirai fidèlement tes ordres, je suis prêt à expier, soit que tu demandes cent taureaux, soit que tu veuilles être célébrée par ma lyre menteuse. Ô pudique, ô vertueuse, tu t’avanceras, astre d’or, parmi les étoiles ! Castor, et le frère du grand Castor, irrités de l’outrage fait à Héléna, touchés par la prière, rendirent au poëte la lumière qu’ils lui avaient ravie. Et toi, puisque tu le peux, délivre-moi de la démence. Oh ! non, tu n’es point née de parents infâmes ; tu ne vas pas, vieille prudente, dans les sépulcres des pauvres, disperser leurs cendres le neuvième jour : ton cœur est excellent, tes mains sont pures, Pactuméius est ton fils, et la matrone lave les linges rougis de ton sang, toutes les fois que, courageuse accouchée, tu sautes du lit !

Pourquoi te répandre en prières pour des oreilles fermées ? Les rochers que Neptunus heurte en hiver de ses flots soulevés ne sont pas plus sourds pour les matelots nus. Te serais-tu donc impunément raillé des mystères dévoilés de Cotytto et du libre Désir ! Pontife du magique Esquilinas, tu aurais impunément rempli la ville de mon nom ! Que me servirait d’avoir enrichi les vieilles Péligniennes pour apprendre à mêler un poison plus rapide ? Une mort trop lente selon tes vœux t’est réservée, et tu traîneras une vie misérable, afin de subir toujours de nouvelles douleurs ! L’infidèle père de Pélops, Tantalus, affamé de mets qui le fuient, désire le repos ; Prométheus le désire, enchaîné à l’aigle ; Sisyphus veut reposer son rocher au sommet du mont ; mais les lois de Jupiter le défendent. Tantôt tu voudras sauter du haut d’une tour, et tantôt percer ta poitrine d’une épée Norique, ou serrer ta gorge d’un lien, dans ton désespoir insupportable ; mais en vain. Je chevaucherai sur tes épaules, et la terre cédera à mon orgueil. Moi qui anime des images de cire, comme tu le sais par ta curiosité, qui peux arracher la lune du ciel par mes cris, qui peux réveiller les morts en cendre et préparer les coupes du Désir, je pleurerais la ruine de mon art qui ne pourrait rien contre toi !