Établissements russes dans l’Asie occidentale/02

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DES
ÉTABLISSEMENS RUSSES
DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

Travels in Circassia, Krim-Tartary. etc., by Edmund Spencer, esq.,
in two volumes. London, 1838.
Reise auf dem Caspischen Meere und in den Caucasus, von
Dr Eduard Eichwald. Stuttgart, 1834-1837.

Nous avons vu, dans la première partie de ce travail[1], quels sont les principaux établissemens de la Russie sur la mer Noire, et quels obstacles il lui reste encore à vaincre sur cette partie du littoral qui s’étend au pied du Caucase, depuis l’embouchure du Kouban jusqu’à la plaine de Mingrélie : nous allons maintenant nous occuper de la position de cette puissance sur la mer Caspienne et dans les pays qui séparent les deux mers. La mer Caspienne, comme on le sait, est une mer entièrement fermée, dont la plus grande longueur, du nord au sud, est d’environ deux cent cinquante lieues. Ses côtes septentrionale et occidentale, où se trouvent les bouches des plus grands fleuves qu’elle reçoive, appartiennent à la Russie ; au midi, elle baigne les provinces persanes du Chilan, du Mazenderan et d’Astrabad ; à l’est errent les tribus nomades de la Tartarie indépendante. Pierre-le-Grand, parmi tant d’autres projets, conçut celui d’ouvrir à ses sujets le commerce de l’Inde par la mer Caspienne. Ce fut dans cet espoir qu’il se fit céder par le chah toutes les provinces persanes situées sur cette mer, lesquelles furent restituées peu après la mort de Pierre, et ont été depuis reconquises en partie par la Russie. Il est fort douteux que les déserts qui s’étendent soit à l’est, soit au sud de la mer Caspienne, soient destinés à redevenir la route du commerce de l’Asie, comme ils l’étaient avant la découverte du cap de Bonne-Espérance ; mais ce qui est beaucoup moins problématique, c’est l’ascendant sur la Perse qu’ont valu à la Russie ses conquêtes au midi du Caucase. Ce grand empire, dont la décadence déjà ancienne est peut-être encore plus irrémédiable que celle de l’empire ottoman, démantelé par les derniers traités et ouvert aux invasions de son puissant voisin du Nord, ne peut plus être considéré comme jouissant à son égard d’une véritable indépendance. Malgré l’alliance anglaise et les officiers anglais venus des Indes pour dresser les soldats du chah, on ne résiste pas plus à Tehran qu’à Constantinople aux volontés du cabinet de Saint-Pétersbourg, lequel attend patiemment que le temps, ce grand allié de toute puissance en progrès, lui fournisse des occasions favorables pour faire de nouveaux pas en avant[2]. Cette position par rapport à la Perse, est surtout due à la guerre de 1827 et au traité de Tourkmantchaï, qui en fut la suite : jusque-là les conquêtes des Russes étaient mal assurées, et une campagne malheureuse pouvait les rejeter au-delà du Caucase. Nous emprunterons à M. Eichwald des détails curieux sur cette guerre, sur celle de 1828 contre la Turquie, en tant que l’Asie en fut le théâtre, et enfin sur une troisième guerre plus récente, soutenue contre les montagnards du Daghestan, qu’avait soulevés un enthousiaste appelé Khasi-Mullah. Nous commencerons par quelques renseignemens sur les provinces russes situées à l’est et au midi de la chaîne caucasienne.

C’est pendant les années 1825 et 1826 que M. Eichwald fit le voyage dont il publie aujourd’hui la relation. Nommé professeur de zoologie à l’université de Cazan, il n’avait accepté cette chaire qu’à condition de faire, aux frais du gouvernement, un voyage autour de la mer Caspienne, dont Pallas, Guldenstædt et Gmelin n’avaient visité que quelques points, et sur laquelle ils n’avaient donné que tout juste assez de notions pour en faire désirer de plus étendues et de plus complètes. Au commencement de l’année 1825, l’empereur Alexandre donna ordre au général Yermolof, gouverneur des provinces caucasiennes, de mettre à la disposition du savant professeur le meilleur bâtiment de l’escadre de la mer Caspienne, et de lui procurer tous les secours dont il pourrait avoir besoin dans le cours de son voyage. M. Eichwald partit de Cazan au commencement de mars, accompagné de sa jeune femme, qui voulut partager les fatigues et les dangers qu’allait affronter son mari, et d’un étudiant, son beau-frère. Arrivé à Astrakan, il y fut fort bien accueilli par le général Orlofski, commandant de la flotte de la mer Caspienne, qui avait fait préparer pour lui le plus fort navire qu’il y eût sur cette mer, une corvette de seize canons et de cent hommes d’équipage. Malheureusement le professeur avait envoyé à l’autorité supérieure un plan de voyage qui avait été approuvé et que dès-lors il ne lui fut plus permis de modifier. Le capitaine de la corvette avait ordre de se conformer au plan que le professeur, sans prétendre s’enchaîner ainsi, avait esquissé dans son cabinet : on devait le conduire aux endroits désignés dans cet écrit, non ailleurs. Il eut beau représenter qu’il avait fait son projet primitif d’après certaines suppositions qui ne se trouvaient pas réalisées, qu’on partait plus tard qu’il ne l’avait cru, que les circonstances n’étaient pas celles qu’il avait prévues, etc. ; le général Orlofski fut inflexible : comme le soldat qui ne connaît que sa consigne, il avait pris au pied de la lettre la décision administrative qu’il était chargé d’exécuter, et rien ne put le faire revenir à une interprétation plus large. Ce premier contre-temps fut suivi de quelques autres. La corvette l’Hercule, à bord de laquelle se trouvait M. Eichwald, était trop pesante et avait besoin d’une trop grande masse d’eau pour pouvoir s’approcher beaucoup de la plupart des côtes ; il fallut, à cause de cela, renoncer à plusieurs explorations intéressantes. Puis le vent fut souvent contraire, la mer quelquefois orageuse ; des instrumens se brisèrent, des échantillons se perdirent ; enfin il y eut toute sorte d’accidens qu’énumère le savant allemand pour s’excuser de ce que sa moisson n’est pas plus abondante. Toutefois, M. Alexandre de Humboldt ayant insisté pour que son ouvrage fût publié et s’étant même chargé de lui trouver un éditeur, on peut être rassuré sur la valeur du voyage de M. Eichwald, en tout ce qui touche l’histoire naturelle et la géologie. Pour nous, qui ne l’examinerons qu’au point de vue politique et historique, nous ne voyons guère comment il pourrait être, sous ce rapport, plus intéressant et plus instructif.

La principale ville des pays qui avoisinent la mer Caspienne est Astrakan. Cette ancienne capitale d’un royaume tartare n’est pas une nouvelle conquête de la Russie : elle faisait déjà partie de l’empire sous Pierre-le-Grand, qui y avait formé un établissement maritime considérable. Entourée de steppes incultes, elle n’en a pas moins une admirable position, parce qu’elle est assise sur le Volga, fleuve immense qui est comme la grande artère de l’empire russe. Le Volga a huit cents lieues de cours navigable ; il communique avec Saint-Pétersbourg et la mer Baltique par des canaux et des lacs, avec la mer Noire par le Don, dont il s’approche jusqu’à quinze lieues ; il touche aux frontières de la Sibérie par la Kama, son principal affluent, et, après avoir arrosé les provinces les plus populeuses et quelques-unes des villes les plus importantes de la Russie centrale, il vient enrichir Astrakan par la fabuleuse quantité d’énormes poissons qu’il fournit à ses pêcheries. Astrakan est le point de contact de l’Europe avec l’Asie supérieure ; aussi cette ville, qui, sur ses 45,000 habitans, compte à peine 20,000 Russes, a-t-elle une physionomie tout orientale. Des Tartares, des Arméniens, des Persans, y ont fixé leur demeure ; des Boukhares, des habitans de Khiva, des Turcomans, y viennent vendre leurs marchandises ; des Kalmouks ont leurs tentes en dehors de la ville. Une partie du commerce s’y fait par les caravanes, et l’on voit souvent des files de chameaux passer dans les rues. On trouve à Astrakan jusqu’à des marchands indous, qui y font même des affaires assez considérables. En fait d’Européens, on y voit principalement des Français, des Allemands et des Anglais : il y a aussi des juifs ; « mais, dit M. Eichwald, ils n’y font pas fortune, parce que les Arméniens sont des concurrens trop redoutables sous le double rapport de l’activité commerciale et de la mauvaise foi. » Le commerce d’Astrakan est considérable, quoique bien moindre qu’il ne pourrait être ; ce n’est guère, jusqu’à présent, qu’un commerce de commission. Les Persans et les Arméniens établis dans cette ville reçoivent les marchandises qu’on leur expédie de la Boukharie ou de la Perse, et les transportent à la fameuse foire de Nijnéi Novgorod, où ils les échangent contre les produits européens et russes les plus demandés dans l’intérieur de l’Asie. Malheureusement pour Astrakan, le lit du Volga devient moins profond d’année en année ; le sable qu’il entraîne avec lui en très grande quantité s’amasse en divers endroits, et forme des bancs qui gênent beaucoup la navigation et empêchent les bâtimens un peu forts de remonter aussi haut qu’ils le faisaient autrefois. Astrakan n’en est pas moins le port de commerce le plus important qu’ait la Russie sur la mer Caspienne. La marine impériale n’a pas besoin d’entretenir, sur cette mer, un matériel considérable, parce que le pavillon russe est le seul qui y flotte ; mais, s’il était utile d’y faire des armemens, le chantier d’Astrakan en fournirait facilement les moyens.

M. Eichwald quitta cette ville le 7 mai 1825 ; mais il ne put commencer son périple que le 22 juin, parce que la corvette qui le portait fut retenue jusque-là, par les vents contraires et le manque d’eau, sur un banc de sable qui se trouve en face de l’embouchure du Volga. Nous ne l’accompagnerons point pas à pas dans son voyage ; nous suivrons même un autre ordre que celui de ses diverses excursions, pour résumer avec plus de clarté les renseignemens qu’il donne sur les diverses contrées qui bordent la mer Caspienne. Nous commencerons par celles qui appartiennent à ce vaste ensemble de pays fort mal connus qu’on appelle Tartarie indépendante.

À l’orient de la mer Caspienne s’étend une steppe élevée, entrecoupée de montagnes stériles, et habitée par des Kirghis et des Turcomans nomades. Cette steppe est la route de l’Inde, et c’est là ce qui la rend intéressante aux yeux de la Russie. Des bords de la mer Caspienne à Khiva, il n’y a pas cent cinquante lieues. De Khiva, en remontant le cours de l’Oxus, on arrive par Boukhara et par Balkh, l’ancienne capitale de la Bactriane, aux montagnes qui dominent la vallée de l’Indus. On sait que c’est par la Bactriane qu’Alexandre entra dans l’Inde. Pierre-le-Grand, en 1717, voulut s’emparer de Khiva, et y envoya trois mille hommes sous les ordres du prince Bekowitz. Cette expédition eut une issue malheureuse, et le czar n’eut pas le temps de la renouveler. Mais aujourd’hui il ne serait pas difficile aux Russes de se rendre maîtres de Khiva, s’il est vrai, comme le dit M. Gamba dans son Voyage dans la Russie méridionale, qu’au commencement de ce siècle un parti de Cosaques des bords de l’Oural pénétra jusqu’à cette ville et s’en empara sans en avoir reçu l’ordre. Le gouvernement, ne jugeant pas le moment venu, força ces Cosaques de revenir dans leurs stanitzes. Un publiciste anglais, fort hostile au cabinet de Saint-Pétersbourg, assure qu’en 1830 il se préparait à faire la conquête de Khiva, et qu’on avait déjà réuni, dans ce but, des troupes à Orenbourg, quand la révolution de Pologne força de leur donner une autre destination[3]. Quoi qu’il en soit de l’exactitude de cette assertion, il est très vraisemblable que la Russie a des vues de ce côté, et que, tôt ou tard, elle prendra pied en Boukharie. Un semblable établissement ne serait pas sans importance, car la Boukharie est limitrophe du Thibet et du Cachemire. Les Boukhares, peuple éminemment actif et intelligent, sont les courtiers de la Haute-Asie, comme les Arméniens ceux de l’Asie occidentale, et tout le commerce de ces contrées passe par leurs mains.

M. Eichwald ne visita que deux points de la côte orientale de la mer Caspienne, Tuk-Karagan et le golfe du Balkhan. Tuk-Karagan est le point de cette côte le plus rapproché d’Astrakan. Les négocians de cette ville y envoient des marchandises à échanger contre celles qu’apporte la caravane de Khiva ; mais ce commerce ne se fait pas assez facilement pour être bien considérable. Il est fort entravé, sur mer, par des pirates turcomans, et, sur terre, par des brigands kirghis. « Toute la côte de Tuk-Karagan, dit M. Eichwald, est habitée par des Turcomans qui sont à quelques égards dans la dépendance du khan de Khiva. Les habitans de Khiva n’y restent que pour les besoins de leur commerce ; quand ils ont échangé leurs marchandises contre celles d’Astrakan, ils s’en retournent chez eux. On trouve en plus grand nombre sur cette côte des Kirghis-Khasaks, peuple nomade, pillard et indiscipliné. Ces Kirghis se disent sujets russes ou du moins reconnaissent la suzeraineté de la Russie, ce qui ne les empêche pas de piller, quand ils le peuvent, les caravanes russes qui vont à Khiva ou à Boukhara. Le khan ne le tolère pas, mais la steppe est si grande que les voleurs trouvent aisément à s’échapper. Aussi le commerce d’Orenbourg ou d’Astrakan avec Khiva se fait difficilement, et les marchands russes y trouvent rarement de grands profits. Pour mettre un terme à ces brigandages, il n’y aurait pas d’autre moyen que d’établir des forteresses chez ces peuplades, de manière à exercer sur elles le même pouvoir que dans la steppe des kalmouks. Alors il serait facile de trouver et de châtier les pillards, et surtout les caravanes pourraient passer sans danger. »

La baie de Tuk-Karagan offre le meilleur havre de la mer Caspienne : c’est ce qui l’a fait choisir comme point de rencontre par les marchands d’Astrakan et ceux de la Boukharie. Les marchandises sont portées à Khiva à dos de chameau : il faut près d’un mois pour faire ce voyage. La tradition rapporte qu’il existait autrefois des villes florissantes sur cette côte ; on n’y voit plus que quelques ruines et des camps tartares. Les Kirghis et les Turcomans, habitans de ce pays, sont toujours en guerre. Lors du voyage de M. Eichwald, les Turcomans, étant les plus faibles, s’étaient mis sous la protection du khan de Khiva qui avait pour favorite une femme de leur nation : les Kirghis craignent ce prince, quoiqu’ils ne soient pas ses tributaires.

Plus tard, M. Eichwald visita le golfe du Balkhan, situé aussi sur la côte orientale, mais beaucoup plus au midi. Quoique ce golfe soit situé à une latitude plus méridionale que celle de Naples, il gèle souvent l’hiver : en revanche, la chaleur y est intolérable pendant l’été. Cette succession d’hivers rigoureux et d’étés brûlans est assez ordinaire sur les bords de la mer Caspienne, et l’on sait, du reste, que le climat de la Haute-Asie est généralement excessif. Les bords du golfe du Balkhan sont habités ou plutôt parcourus par les Turcomans, qui y promènent leurs tentes de feutre, leurs immenses troupeaux de moutons, leurs admirables chevaux et leurs chameaux. Ils se divisent en trois tribus principales ; les Youmout qui habitent entre Astrabad et le golfe de Karabouga et qui sont soumis aux Persans ; les Beka, répandus plus à l’est, qui ne reconnaissent qu’à moitié l’autorité du chah ; enfin les Koklan, qui demeurent plus au nord et qui sont tout-à-fait indépendans, sauf peut-être une légère redevance qu’ils paient au khan de Khiva. Tous sont mahométans sunnites et parlent un dialecte tartare. « Il arrive quelquefois, dit M. Eichwald, qu’un Russe échappé des prisons de Bakou ou d’Astrakan trouve un asile chez les Turcomans ; ordinairement il embrasse leur religion et on lui donne aussitôt une femme, une kibitke et les animaux domestiques nécessaires. Il s’accoutume à leur vie, et ne se soucie plus de retourner dans sa patrie où il est sous le coup d’une condamnation. Celui que nous vîmes près du golfe du Balkhan et que trahissaient ses traits européens, était un beau jeune homme ; il niait qu’il fût Russe et faisait semblant de ne pas comprendre ce que nous disions, mais sa rougeur et sa contenance embarrassée prouvaient assez qu’il mentait. »

Ce qui attirait principalement M. Eichwald sur cette partie de la côte était le désir d’explorer l’ancienne embouchure du fleuve Oxus. Au pied du mont Balkhan qui donne son nom au golfe est une rivière appelée Akh-Tam. Ce nom, suivant la remarque du professeur allemand, provient peut-être de l’ancien nom : Akh-tam veut dire argile blanche ; mais akh et okh sont probablement le même mot, et okh-sou dans ce cas voudrait dire eau blanche, puisque sou signifie eau en tartare. Le lit de l’Akh-Tam, d’après sa profondeur, a dû être celui d’un cours d’eau considérable, et ce qui le prouve encore, c’est qu’à son entrée dans la mer, se trouve une barre semblable à celle que forment, à l’embouchure des grands fleuves, les sables que leur courant entraîne. L’Akh-Tam n’était que le bras droit de l’Oxus, appelé Amou-Daria par les Tartares ; un autre bras appelé Adjaib, lequel est souvent à sec, se jette, plus au midi, dans la mer. À quelques lieues du rivage, à l’endroit où l’Amou-Daria se séparait en deux, on voit maintenant un lac salé formé probablement par la mer qu’un violent vent d’ouest aura fait remonter dans l’une ou l’autre des deux embouchures. Les Turcomans ont entendu parler d’une époque où cette côte était très fréquentée, lorsque l’Akh-Tam, venant des frontières de l’Inde, passait par Khiva et amenait dans le golfe une grande quantité de poissons auxquels se joignaient ceux qui remontaient de la mer dans le fleuve. Un ancien khan de Khiva détourna le bras de l’Oxus qui se rendait dans la mer Caspienne, dans le but d’intercepter le commerce de l’Inde qui se faisait par cette voie et qui passait par ses états, ce qu’il regardait comme un danger pour son indépendance.

Les Russes ont fait explorer plusieurs fois cette embouchure. Il n’y a pas de doute que s’ils s’emparaient de Khiva, ils essaieraient de faire rentrer le fleuve dans son ancien lit, et peut-être n’y trouveraient-ils pas beaucoup de difficulté. En 1825, ils n’avaient aucun établissement sur la côte du Balkhan ; peu d’années avant, une petite tribu turcomane de cette côte avait voulu se mettre sous leur protection ; mais d’autres tribus plus fortes, excitées par le khan de Khiva et par celui de la province persane d’Astrabad, vinrent l’attaquer et la piller, en sorte qu’elle quitta le pays et se dispersa en Boukharie et en Perse. Toute cette contrée a l’aspect le plus sauvage et le plus stérile ; toutefois il paraît que dans les monts Balkhans on trouve de l’eau potable, de la végétation et de grands arbres.

Non loin du golfe du Balkhan, se trouve une assez grande île appelée Tcheleken. Lorsque M. Eichwald la visita, elle était gouvernée par un chef turcoman nommé Khiat-Aga, qui s’était placé sous la suzeraineté de la Russie à laquelle il était fort dévoué. Il avait eu autrefois de grandes propriétés sur la frontière de Perse ; mais ayant eu trop à souffrir des vexations des Persans, il s’était retiré dans cette île, où sa tribu l’avait suivi. Il était allé une fois à Tiflis et avait fait élever son fils dans cette ville : aussi celui-ci parlait et écrivait le russe et avait des manières tout européennes. Le vieux Khiat-Aga, par son dévouement aux Russes, s’était attiré la haine des Turcomans de la colline d’Argent et d’Astrabad, et il aurait risqué sa vie en allant sur la côte ; il restait toujours fidèle à la Russie, quoique le chah lui eût offert le titre de khan pour l’en détacher, et quoique le général Yermolof eût négligé depuis long-temps de répondre à ses complimens et à ses présens. L’île de Tcheleken est tout-à-fait stérile, mais elle produit de la naphte et du sel que de petites embarcations persanes viennent prendre et qui sont d’un assez bon rapport. Les Turcomans qui habitent cette île exerçaient autrefois la piraterie : montés sur leurs petits bateaux qu’ils manœuvrent avec une adresse incroyable, ils allaient souvent piller la côte de Perse ; mais leur chef avait su leur persuader de mener une vie plus régulière et de se borner aux profits que leur procure la vente de la naphte et du sel. Ce commerce pourrait être très avantageux, mais les Turcomans sont paresseux, insoucians et n’aiment pas à se donner de la peine ; aussi n’en tirent-ils pas un fort grand parti. M. Eichwald fait remarquer que ces pauvres gens pourraient être fort utiles à la Russie dans le cas d’une expédition contre Khiva ou sur la côte orientale. Mais peut-être les choses ont-elles beaucoup changé à Tcheleken depuis son voyage, car il paraît que les tribus turcomanes qui se soumettent aux Russes deviennent odieuses aux autres tribus et qu’elles ont tout à redouter de leur part.

La côte méridionale de la mer Caspienne appartient aux provinces persanes d’Astrabad, de Mazenderan et de Ghilan, appelées par les anciens Hyrcanie et pays des Mardes. La partie orientale de ces provinces fut le berceau de l’empire des Parthes ; la partie occidentale dépendait de la Médie, point de départ des conquêtes de Cyrus : on se trouve donc là au milieu des plus grands souvenirs de l’antique Asie. M. Eichwald voulait visiter le littoral de tous ces pays, mais sa corvette ne put entrer dans le golfe d’Astrabad, faute de profondeur suffisante, et il eût été fort imprudent à lui de s’aventurer, loin du bâtiment et hors de portée de tout secours, sur un rivage peuplé de Turcomans célèbres par leurs rapines. Il se rabattit donc à regret sur le Mazenderan, où il débarqua à l’embouchure de la rivière Boboul. Ce n’était plus le triste aspect de la côte de Tartarie, ses sables, ses rochers, sa maigre végétation : c’était une terre aussi fertile que pittoresque. On voyait partout les plus beaux ombrages, des citroniers, des grenadiers mêlés aux aulnes et aux érables, surtout des vignes en énorme quantité : la plupart des ceps étaient de la grosseur de la cuisse, et leurs branches s’étendaient d’un arbre à l’autre, formant des labyrinthes où l’on ne pouvait passer qu’avec peine. Les jardins sont pleins de melons, de pastèques, de concombres ; on voit aussi sur les bords du fleuve des cotonniers et des plantations de cannes à sucre. Comme il arrive souvent, ce beau pays a des habitans très pauvres par suite de leur paresse. La terre est d’une fertilité merveilleuse, mais elle n’est presque jamais labourée ; il suffit de quelques coups de bêche à la surface pour qu’elle donne une riche moisson. Le voyageur allemand fut singulièrement frappé de la paresse des Persans, lorsqu’il vit quelle espèce de marchandises on leur apportait d’Astrakan. C’étaient de petits coffres d’un travail fort simple qu’on leur vendait fort cher et qu’il leur eût été facile de faire bien plus beaux avec les excellens bois qu’ils possèdent en abondance, des cuirs en grande quantité, quoiqu’ils aient beaucoup plus de moutons et de vaches qu’il n’en faut pour se procurer cet article, et d’autres choses semblables. M. Eichvald fut également étonné de la haine fanatique vouée aux chrétiens par les habitans du Mazenderan. Ainsi, pendant son voyage à Balfrouch, capitale de cette province, il fut entouré d’une troupe d’enfans qui l’accablèrent d’injures et jetèrent de la boue aux matelots dont il était escorté, bien qu’il fût en compagnie d’un riche marchand du pays. Cette malveillance dont il eut à souffrir dans plus d’une occasion, se manifesta sous une autre forme dans ses rapports avec le khan de Balfrouch qui, après lui avoir fait de très belles promesses, chose dont les Persans ne sont pas avares, l’empêcha de faire, dans les montagnes, une excursion à laquelle il tenait beaucoup. Pourtant le chah, sur la demande de l’envoyé russe, avait donné l’ordre de procurer au professeur allemand toutes les facilités possibles pour ses explorations ; mais ce sont là des ordres dont les khans ne tiennent aucun compte. Le khan de Balfrouch est tout puissant dans sa ville : moyennant le paiement d’une redevance annuelle au chah, il peut pressurer les habitans à sa volonté ; il leur impose diverses taxes, supportées particulièrement par les marchands et les ouvriers ; le bazar lui donne de grands revenus. Si le khan ne plaît plus au chah, il en envoie un autre et enlève au précédent toutes ses richesses. Quiconque a assez d’argent pour payer cet honneur peut devenir khan : celui qui paie le mieux a la meilleure province. Des Arméniens même peuvent obtenir cette dignité quand ils sont assez riches pour l’acheter.

Le Mazenderan est une des provinces les plus fertiles de la Perse, et il est souvent mentionné dans les anciennes poésies. « Qu’est-ce que le Mazenderan ? dit Firdoussi ; n’est-ce pas la terre des roses ? ni trop chaud, ni trop froid ; un printemps éternel. » C’est un pays charmant : aussi Abbas-le-Grand résidait de préférence à Ferabad, et le dernier chah, Feth-Ali, visitait souvent son palais de Balfrouch. « Si cette province, dit M. Eichwald, était convenablement cultivée, elle pourrait donner des revenus très considérables ; malheureusement les Persans sont de la plus grande ignorance en agriculture. La soie, le coton, le riz et le vin, objets qu’on traite avec la dernière négligence, pourraient produire immensément ; la culture de la canne à sucre devrait aussi prendre une grande extension. Elle réussit très bien, mais on ne travaille pas le sol et on ne fait rien pour en augmenter la fécondité : puis on ne sait faire, en Mazenderan, qu’un mauvais sucre brun, d’une douceur nauséabonde. Si l’on soignait la culture de la canne et qu’on établît des raffineries, ce qui pourrait se faire en grand à Astrakan, cette province deviendrait une source de richesses, d’autant plus qu’on pourrait y introduire l’indigo, qui y viendrait sans doute aussi bien que la canne à sucre, la casse et le galbanum. Mais pour cela il faudrait que ce pays fût sous la protection de la Russie, et qu’il s’y établît des colons européens. »

M. Eichwald fut encore plus mal reçu dans le Ghilan que dans le Mazenderan. La corvette, étant arrivée devant Enzli, jeta l’ancre à une lieue et demie du rivage, parce que cette rade est la plus dangereuse de la mer Caspienne, et qu’il faut toujours s’y tenir prêt à gagner promptement le large. Un sous-officier tartare fut d’abord envoyé en reconnaissance ; mais à peine parut-il dans le port, que le peuple, à la vue de son uniforme, se mit à jeter de grands cris, en lui enjoignant avec menaces de ne pas venir à terre. Il eut beau dire qu’il était envoyé au khan pour obtenir la permission de débarquer, on lui jeta des mottes de terre, et il fut obligé de revenir à bord. Le lendemain, M. Eichwald alla lui-même faire une nouvelle tentative, mais il trouva sur le rivage une quantité de Persans rassemblés pour l’empêcher de débarquer, et des envoyés du khan vinrent dans un canot lui dire qu’on ne pouvait le laisser venir à terre sans avoir obtenu l’autorisation du chah Sadek de Ghilan : on désigne ainsi un fils du chah, gouverneur de province, et celui dont il s’agissait était un enfant de six ans. Il voulut se prévaloir de l’autorisation donnée par le chah lui-même ; mais il lui fut répondu qu’on n’en savait rien, qu’on allait envoyer un exprès à Recht, et que la réponse arriverait infailliblement dans deux jours. « Je vis bien, dit-il, que c’était une ruse persane pour nous tenir loin du port, et nous faire attendre indéfiniment sur cette rade si dangereuse. Quoique le chah soit en bons rapports avec la Russie, les Persans ne permettent pas aux bâtimens de guerre russes de débarquer sur la côte du Ghilan. Il n’en est pas de même des bâtimens marchands sur lesquels il ne se trouve ni soldats, ni canons. L’année précédente, ils avaient chassé d’Enzli le consul russe qui était revenu à Bakou, parce que le chah lui-même s’était opposé à ce qu’il habitât Enzeli, tout en lui offrant l’autorisation de séjourner à Tehran. » Il ne faut pas oublier que tout ceci se passait quelques mois seulement avant que la guerre éclatât. Abbas-Mirza, le prince héréditaire, s’y préparait dès-lors, et sans doute il cherchait à réveiller partout la haine contre les Russes, afin de donner quelque énergie au sentiment national. Il est probable que depuis lors le traité de Tourkman-Tchaï et les revers qui l’ont amené, ont singulièrement adouci les procédés des Persans envers leurs voisins du nord.

M. Eichwald, ainsi repoussé, jugea inutile d’attendre une permission qui ne viendrait probablement jamais, et se décida à regagner Bakou, sans avoir vu le Ghilan que de loin. Cette province, qui est limitrophe des possessions russes, est une des plus riches de la Perse. Ses produits bruts sont la soie, le riz, les oranges, les fruits de toute espèce, le chanvre, les bois de construction, etc. On y fabrique des étoffes de soie, des draps, des cotonnades, de la coutellerie et des armes de fer et d’acier. Le Ghilan et le Mazenderan exportent beaucoup de soies grèges : il en sort du Ghilan seul 900,000 livres anglaises par an ; deux dixièmes vont à Astrakan, le reste va à Bagdad, à Constantinople et dans l’intérieur de la Perse.

Occupons-nous maintenant des provinces conquises par la Russie à l’orient et au midi de la chaîne caucasienne. Depuis Astrakan jusqu’aux bouches du Terek, s’étend une steppe immense où l’on ne trouve ni bois, ni bonne eau, et qui ne produit qu’un peu d’herbe pour les troupeaux des tribus nomades qui la parcourent. Cette steppe est bornée au nord par le Volga et le Don, à l’est par la mer Caspienne, à l’ouest par la mer d’Azof, au midi par la chaîne caucasienne. Le Kouban et le Terek, deux fleuves qui, nés au pied des mêmes glaciers, courent presque aussitôt dans des directions opposées, l’un vers la mer Noire, l’autre vers la mer Caspienne, séparent cette région stérile et déserte des belles vallées du Caucase. Quand on a passé le Terek près de son embouchure, on entre dans le Daghestan, qui forme une longue zone entre la mer et les montagnes. Quelques détails empruntés à M. Eichwald nous apprendront jusqu’où s’étend l’autorité de la Russie dans ces contrées.

Les principales villes du Daghestan qui se divise en septentrional et méridional sont Tarki et Derbend. Tarki, ou plutôt Tarkhou, était gouvernée, en 1825, par un souverain héréditaire appelé chamkal, qui était tributaire de la Russie. Sur la montagne qui la domine, Yermolof a fait bâtir une forteresse appelée l’Orageuse, à cause des fréquens orages auxquels elle est exposée, et destinée à protéger la ville contre les montagnards. Les plus redoutables de cette partie du Caucase sont les Tchetchenzes, dont les incursions désolent le territoire du chamkal. Ils ont plus d’une fois prêté serment de fidélité à l’empereur ; mais ils le violent sans scrupule à la première occasion, et laissent peu de relâche aux troupes du Daghestan et à celles de la ligne du Terek. Peu de temps avant le voyage de M. Eichwald à Tarki, un de leurs moullahs avait poignardé deux généraux russes près desquels il s’était introduit comme chargé par ses compatriotes de traiter de la paix. Cet évènement ayant vivement frappé les esprits, Yermolof s’était aussitôt transporté de Tiflis dans le Daghestan, et avait pénétré dans les montagnes des Tchetchenzes, plus loin que personne ne l’avait encore fait. Il y resta neuf mois, brûla tous leurs villages, et punit de mort les principaux auteurs du crime. Il les dompta ainsi et leur fit prêter serment de fidélité. Les Tchetchenzes, du reste, n’obéissent guère à leurs princes et ont plutôt une espèce de constitution républicaine, ce qui fait qu’il est très difficile de s’assurer de leur soumission, tandis que chez les Circassiens, par exemple, les princes ont une grande autorité sur leurs tribus.

Les chamkals de Tarki, dont la dignité prit naissance dans le VIIIe siècle, lorsque les Arabes étendirent leurs conquêtes sur les bords de la mer Caspienne, régnaient autrefois sur tout le Daghestan, et ils étaient considérés comme les plus puissans souverains du Caucase, après les rois de Géorgie. Les premiers rapports des chamkals avec la Russie eurent lieu en 1559. Quelquefois ils se mirent en hostilité avec elle ; quelquefois ils reconnurent la souveraineté des czars. En 1718, le chamkal Adeil-Ghiréi rendit de grands services à Pierre-le-Grand, et lui prêta serment de fidélité ; ce fut alors que le czar bâtit, sur les bords du Koisou, la forteresse de Sainte-Croix. En 1725, Adeil-Ghiréi, poussé par les Turcs, attaqua cette forteresse avec trente mille hommes ; mais il fut battu et fait prisonnier, et Pierre, qui s’était rendu maître de toutes les côtes de la mer Caspienne, supprima la dignité de chamkal. Toutes les provinces persanes ayant été restituées dix ans plus tard par la Russie, Nadir-Chah rétablit cette dignité dans la personne du prince Koumouk-Kaspoulat. En 1786, Mourtazami, fils de celui-ci, se soumit à la Russie et lui resta fidèle jusqu’à sa mort. C’était son neveu Mekhti qui régnait en 1825. Il avait le rang de lieutenant-général, était décoré de plusieurs ordres russes et touchait en outre une pension. Il était vassal de l’empereur, mais jouissait seul des revenus du pays, et ne payait aucune redevance. Après sa mort, son territoire devait être incorporé à l’empire.

Derbend, située au midi de Tarki, est bâtie sur le penchant d’une montagne dont les racines vont se perdre dans la mer. C’est une ville considérable, habitée par des Tartares, des Arméniens et des juifs. Il y a, en outre, un certain nombre de fonctionnaires et d’officiers russes. Les Tartares de Derbend sont mahométans chiites, ainsi que tous les Persans qui, comme on le sait, regardent Ali comme le successeur légitime de Mahomet, tandis qu’Abou-Bekr, Omar et Osman sont à leurs yeux des usurpateurs. Les Tartares qui habitent au nord de Derbend, sont, au contraire, sunnites comme les Turcs et les Tartares de la Haute-Asie. Autrefois il n’y avait que des sunnites dans le Daghestan ; mais le chah Ismaïl, lorsqu’il s’empara des côtes occidentales de la mer Caspienne, les força d’adopter sa croyance : ceux qui s’y refusèrent furent punis de mort. C’est ainsi que Derbend, Bakou et les pays environnans furent convertis à la secte d’Ali.

Derbend est une ville très ancienne ; elle passe, parmi les Orientaux, pour avoir été bâtie par Alexandre-le-Grand, qui pourtant ne vint jamais jusque-là. On y trouve des monumens curieux des premiers temps de l’islamisme, et M. Eichwald s’y mit en quête de vieilles inscriptions koufiques pour un orientaliste de ses amis. Ce qu’il y a de plus remarquable, peut-être, c’est la double muraille qui descend depuis le haut de la ville jusqu’à la mer sur une longueur d’une demi-lieue. Cette muraille était destinée à défendre l’étroit passage qui se trouve là entre le pied du Caucase et la mer, contre les attaques des peuples du Nord, appelés Gog et Magog par les Arabes. De là vient le nom de la ville qui a pour racine le mot dar ou der dont la signification est porte. Les Turcs l’appellent Demir-Kapi, la porte de fer, et les Arabes Bab-al-Abwab, la porte des portes. La muraille de Derbend se prolongeait à l’ouest à partir de la citadelle, et on en trouve des restes à plusieurs lieues dans les montagnes : suivant les récits des Persans, elle s’étendait au moins jusqu’aux frontières de la Géorgie. Ces sortes de constructions n’étaient pas rares en Orient : sans parler de la fameuse muraille de la Chine, il y en avait une qui s’étendait depuis Bactres jusqu’à la mer Caspienne ; là commençait une autre muraille qui bornait au sud le Mazenderan, dont le nom signifie pays au dedans du mur. C’était probablement l’ouvrage d’un roi sassanide, peut-être du même Kosrou-Nouchirvan qui bâtit la muraille de Derbend. Derbend fut toujours considérée comme le boulevart de l’empire persan contre les peuples du Nord. Elle fut prise par Pierre-le-Grand en 1722 ; plus tard elle revint à la Perse. En 1766, le khan de Kouba la rangea sous sa domination. Ce puissant prince se mit sous la protection de la Russie ; il étendit son pouvoir jusqu’au Kour, et les khans de Bakou et de Chamakhi devinrent ses tributaires. Son fils Schikh-Ali-Khan reconnut aussi la suzeraineté russe. Lorsqu’en 1795, Catherine II déclara la guerre à la Perse et envoya en Daghestan le comte Valérien Zoubof, Derbend refusa de lui ouvrir ses portes et il fallut l’emporter d’assaut. Schikh-Ali-Khan et sa famille y furent faits prisonniers. Lorsque Paul Ier, qui aimait à faire le contraire de ce qu’avait fait sa mère, rappela ses troupes des provinces caucasiennes, il rendit à Schikh-Ali la dignité de khan de Derbend et de Kouba. En 1806, celui-ci s’associa aux complots du khan de Bakou, l’assassin du général Tsitsianof. Des troupes russes, envoyées pour punir l’un et l’autre, parurent sous les murs de Derbend, et les habitans de cette ville chassèrent leur khan. Depuis ce temps la province de Derbend, sa capitale exceptée, est sous la domination du chamkal de Tarkou. Derbend est administrée par un divan que préside le commandant de la place ; il se compose de deux Tartares des premières familles et d’un Arménien de la classe des marchands, plus, deux mirzas[4], dont l’un sert de greffier, l’autre d’interprète. Depuis l’établissement de ce divan, il y a beaucoup plus d’ordre dans la ville. Autrefois il ne se passait guère de jour sans qu’un Tartare fût poignardé par un autre, et personne ne faisait attention à ces meurtres. Aujourd’hui ils sont sévèrement recherchés et punis.

« Les Tartares de Derbend, dit M. Eichwald, sont satisfaits du gouvernement russe ; ils n’ont à payer qu’une capitation de six roubles d’argent (environ vingt-quatre francs) ; du temps de leurs khans, outre qu’ils payaient également un impôt annuel, ils ne pouvaient jamais être sûrs que le prince ne s’emparerait pas de tout leur bien. Ils s’insurgèrent pourtant, il y a environ six ans, lorsque les Tchetchenzes et les Lesghis surprirent quelques forts russes ; mais ils furent bientôt réduits à l’obéissance. Ce peuple, comme tous ceux du Caucase, est extrêmement inconstant et il est toujours à craindre que de semblables désordres ne se renouvellent ; aussi, lors du dernier soulèvement des Tchetchenzes, le commandant de la place avait l’ordre de prendre les mesures les plus sévères pour maintenir la tranquillité dans la ville et dans les environs. »

Le Daghestan est borné au midi par le Chirvan, où se trouve Bakou, la ville de commerce la plus importante après Astrakan, que les Russes possèdent sur la mer Caspienne. Son port, défendu contre presque tous les vents par la langue de terre d’Apcheron et par quelques petites îles, est le meilleur de la côte occidentale. Il est fréquenté par un assez grand nombre de petits bâtimens persans qui y apportent des fruits, de la soie, du coton, et y prennent de la naphte et quelques produits des fabriques russes et européennes. Bakou est une ville mieux bâtie et plus régulière que Derbend et Tarki. Elle a appartenu successivement aux Turcs, aux Persans, aux Russes, sous Pierre-le-Grand, puis de nouveau aux Persans. Elle fut alors gouvernée par des khans dont le dernier, Hussein-Couli, se soumit à la Russie en 1796 et prêta serment de fidélité. Mais bientôt après il négocia secrètement avec la Perse, pilla des bâtimens marchands russes et inquiéta le commerce d’Astrakan. En 1806, le prince Tsitsianof, gouverneur de Géorgie, vint assiéger Bakou pour mettre fin à ces brigandages. Hussein-Kouli envoya les clés de la ville et demanda une entrevue au général russe. Elle eut lieu à la porte de la forteresse, et, pendant que Tsitsianof s’entretenait avec le khan, des assassins apostés le frappèrent de deux coups de fusil. Peu après le général Boulgakof prit Bakou, et Hussein s’enfuit en Perse avec ses complices ; depuis lors la ville est administrée comme Derbend par un divan composé d’indigènes que préside le commandant russe. Le climat de Bakou est assez sain, et cependant il y meurt annuellement un huitième de la garnison. L’été, avec son insupportable chaleur, est moins funeste aux soldats que l’hiver, qui est assez doux, mais très humide et contre lequel on ne sait pas se défendre en Orient. La pharmacie de la garnison, à ce que nous apprend M. Eichwald, reçoit ses médicamens de Saint-Pétersbourg par Tiflis. S’il est vrai qu’on puisse aisément s’en procurer la plus grande partie dans le pays, on conviendra que c’est pousser un peu loin la centralisation.

À trois lieues au nord de Bakou est le célèbre feu éternel, entretenu par des courans de gaz hydrogène qui sortent de terre. Des Indous viennent en pélerinage dans ce lieu et s’établissent dans des cellules autour d’une vaste cour où le gaz enflammé s’échappe par des tuyaux disposés à cet effet. Ils passent là quelques années à prier et à méditer, puis ils s’en retournent dans leur patrie. Il en est qui restent jusqu’à leur mort dans ce lieu sacré qu’ils appellent Atech-Gah. Tout le terrain des environs de Bakou est volcanique : la tradition locale parle d’un isthme qui coupait autrefois la mer Caspienne en deux et de villes florissantes englouties avec cet isthme. Quoi qu’on puisse en penser, il est clair que le sol de cette contrée a dû être bouleversé par les feux souterrains dont l’action se manifeste encore dans l’Atech-Gah, dans les petits volcans de boue et dans les puits de naphte qui se trouvent dans le pays. La naphte est un des grands produits de cette terre d’ailleurs stérile : on en extrait annuellement 245,000 pouds[5], dont la majeure partie va en Perse où l’on s’en sert principalement pour l’éclairage. La naphte est affermée par le gouvernement qui en retirait, en 1825, 52,650 roubles d’argent (210,600 francs) ; les lacs salés de Bakou lui rapportaient 11,055 roubles d’argent (44,220 fr.) ; le reste du revenu de la province consistait dans un impôt personnel qui rendait peu de chose et dans les droits de douane dont le produit n’était pas très considérable. « En tout, dit M. Eichwald, les douanes de la mer Caspienne ne sont pas aussi productives qu’elles l’ont été, parce que le commerce avec la Perse tombe de jour en jour. Ainsi la douane d’Astrakan rapportait autrefois à la couronne 7 à 800,000 francs par an ; aujourd’hui elle en rend à peine 200,000. Celle de Bakou, qui a le second rang, donnait autrefois 180,000 francs, et n’en a rapporté que 110,000 l’année dernière. Le commerce de Perse s’est éloigné depuis quelques années parce que la plupart des marchandises persanes vont à Tiflis par Erivan. Le commerce est encore entravé par la diversité des tarifs. On paie les droits à Bakou, tantôt d’après ce qui a été réglé par le traité de Goulistan, quand les marchandises viennent de Perse, tantôt d’après le tarif européen quand elles viennent de Tiflis, tantôt d’après le tarif asiatique quand elles viennent d’Astrakan. Le commerce intérieur est encore très gêné par les douanes locales ; dans chaque ville on lève un droit sur les marchandises qui viennent d’une autre ville ; celles de Bakou paient à Chamakhi et celles de Chamakhi à Bakou. Tous ces droits augmentent beaucoup le prix des marchandises et font qu’il n’y a pas de profit à les transporter. Il en résulte que le commerce cesse et que le peuple ne peut jamais arriver à un certain degré de bien-être. Sous l’administration des khans, ce commerce était beaucoup plus actif, parce que tous ces droits de douane n’existaient pas. Sur dix navires qui venaient alors d’Astrakan à Bakou avec une cargaison de marchandises russes, il n’en vient aujourd’hui que trois ou quatre. Cela s’explique par le grand nombre d’articles russes qui arrivent à Bakou par Tiflis. »

M. Eichwald, après un premier voyage à Bakou, revint y passer l’hiver, et il donne des détails fort intéressans sur les mœurs des habitans de cette ville. Ce sont, pour la plupart, des Tartares chiites, quoiqu’on les appelle communément Persans. Les vrais Persans du Ghilan, du Mazenderan, etc., les appellent Daghestaniens, ainsi que les habitans de Derbend, de Kouba, etc. On parle à Bakou un dialecte tartare qui se rapproche beaucoup du turc, quoique mêlé de beaucoup de mots étrangers. Il y a en outre, dans cette ville et dans le Chirvan, un patois persan qu’on désigne par le nom de lat. Les gens de distinction parlent le dialecte tartare, les lettrés le pur persan dont on fait usage à Ispahan. Le lat est regardé comme un jargon grossier, abandonné aux femmes qui ont peu d’occasions de parler le tartare avec les hommes.

Les Persans de Bakou ont le goût du commerce : dès qu’ils ont mis quelque argent de côté, ils lèvent une boutique, petite et étroite la plupart du temps, et contenant à peine pour quelques roubles de marchandises. « Mais, dit M. Eichwald, ils connaissent fort bien leurs intérêts, attrapent particulièrement les Russes et amassent promptement un petit avoir. Les oisifs se rassemblent au bazar où l’on bavarde toute la journée. On trouve peu de ces gens qui sachent lire et écrire. Ils prennent alors le nom de moulhahs ou de mirzas : ceux-ci doivent surtout avoir une belle écriture ; les autres forment une espèce de clergé assez pauvre qui gagne sa vie en lisant le Koran dans les mosquées et aux enterremens. »

Au commencement du printemps de 1826, M. Eichwald alla visiter les pêcheries de Sallian à l’embouchure du Kour, qui est l’ancien Cyrus. Sallian était autrefois beaucoup plus près de la mer, mais le dernier khan du Chirvan, voulant rapprocher cette ville de Chamakhi, sa capitale, l’avait fait détruire et avait forcé les habitans à s’établir six lieues plus près. C’est ainsi que l’on administre en Orient. La pêche du Volga, qui produit une si énorme quantité de poissons, est encore surpassée par celle du Kour. Quand le temps est favorable, on prend dans ce dernier fleuve de dix à vingt mille poissons par jour. En 1826, cette pêche était affermée par le gouvernement, pour 210,000 francs, à un négociant indou fort riche, établi à Astrakan ; mais les dépenses sont si énormes et les débouchés si éloignés et d’un si difficile accès, que le fermier était en perte. Le Kour sert de limite à la province de Chirvan ; de l’autre côté de ce fleuve se trouve la steppe de Moghan, plaine marécageuse, habitée l’hiver seulement par des Turcomans nomades. Au-delà est la province de Talich, la plus méridionale de la Russie, après laquelle commence le Ghilan.

À la fin de mars, M. Eichwald quitta Bakou pour se rendre à Tiflis. Ce voyage, qui était dangereux à une autre époque, a cessé de l’être. Il suffit d’être escorté d’un ou deux Cosaques pour n’avoir rien à craindre. Autrefois il fallait payer aux khans une redevance annuelle considérable pour qu’ils s’occupassent de la sûreté de la route. On ne pouvait transporter les dépêches ou l’argent destiné aux troupes, d’un lieu à un autre, sans une escorte de cinquante Cosaques traînant avec eux un canon. « Aujourd’hui, dit M. Eichwald, la route de Kislar par Tarki est seule dangereuse. Au midi du Caucase, les routes de poste sont parfaitement sûres. Il n’en est pas de même dans la montagne, et l’on ne peut quitter le grand chemin sans être bien accompagné. Comme les commandans des différentes provinces répondent de ceux qui y voyagent, les Cosaques ont l’ordre de ne jamais accompagner les voyageurs dans l’intérieur des terres sans une autorisation spéciale. »

À vingt lieues à l’ouest de Bakou se trouve le vieux Chamakhi, ville autrefois considérable et dont la population était de cent mille ames au commencement du siècle dernier. Depuis ce temps, elle eut beaucoup à souffrir des guerres, des révolutions, des invasions des montagnards. Pierre-le-Grand la saccagea, et Nadir-Chah la ruina de fond en comble ainsi que bien d’autres villes et villages de ces contrées. Le dernier khan du Chirvan l’avait pourtant choisie pour résidence ; puis il la quitta pour s’établir au nouveau Chamakhi, bâti après la ruine de l’ancien, et ruiné à son tour un peu plus tard. Ne s’y trouvant pas encore en sûreté, il se retira dans la forteresse de Fitag, située sur un rocher inaccessible où il força un certain nombre de ses sujets à le suivre. Il craignait la Russie contre l’autorité de laquelle il avait conspiré avec les Persans, excitant des soulèvemens dans la province, protégeant les déserteurs russes et soutenant en secret les maraudeurs lesghis. Ses complots ayant été découverts, il s’enfuit en Perse et les habitans de Fitag revinrent au vieux Chamakhi que Yermolof, lorsque M. Eichwald y passa, faisait rebâtir, afin d’en faire le siége du gouvernement de Chirvan. Cette province, qui a cinquante lieues de long et autant de large, est une des plus fertiles du Caucase. Indépendamment du froment, qui rend cent cinquante pour un dans certains cantons, le mûrier et la vigne y réussissent à merveille, et les vins de Chamakhi sont excellens. Ce sont les Arméniens qui les font, car les Tartares, quoique possesseurs de vignes, n’en vendent même pas le raisin en masse, à cause de la défense du Koran relative au vin.

Le Chirvan est borné au midi par la province de Karabagh, qui a pour capitale la forteresse de Choucha. Le Karabagh a, comme le Chirvan, un gouverneur militaire ; il y a en outre un président du conseil provincial élu par les habitans. La province est divisée en trente mahals ou cercles administrés par des naïbs, lesquels sont choisis de préférence parmi ceux des indigènes qui ont été au service du gouvernement. Il y a une noblesse qui possède des villages ; mais la terre seule lui appartient. Les paysans sont libres et paient un cinquième des produits du sol qu’ils cultivent. Une partie de cet impôt va aux propriétaires du fonds, l’autre à la couronne. La population se compose de Tartares et d’Arméniens. Ceux-ci font un commerce considérable de soie qu’ils envoient à Moscou, à Nijneï-Novgorod et même à Constantinople. Le Karabagh, dont le nom signifie jardin noir, dépendait autrefois de l’Arménie, puis il appartint à la Perse. Les Turcs l’enlevèrent aux sofis, et, sous Nadir-Chah, il fut réuni de nouveau à l’empire persan. Nadir emmena dans le Khorassan la plus grande partie des Tartares du Karabagh. Parmi eux se trouvait un certain Panakhan qui s’enfuit avec plusieurs de ses compatriotes et revint dans son pays natal dont les habitans le choisirent pour souverain. Le chah fut obligé de lui reconnaître le titre de khan de Karabagh, et cette dignité passa à son fils Ibrahim. Celui-ci, en 1805, reconnut spontanément la souveraineté de la Russie et reçut une garnison russe dans la forteresse de Choucha. Il se lassa bientôt de cette suzeraineté qui mettait des entraves à ses pillages et à sa tyrannie, et, en 1806, il appela secrètement les troupes persanes pour leur livrer Choucha ; mais il fut tué par le major russe Lissanevitch qui commandait la garnison de cette place, et son fils Mekhti-Kouli-Khan lui succéda. Celui-ci gouverna le Karabagh pendant plusieurs années ; en 1822, il s’enfuit en Perse pour des motifs inconnus. Son khanat fut alors incorporé à l’empire russe. Cette province, entrecoupée de hautes montagnes et de vallées profondes, a un climat très inégal ; aussi ses habitans sont plutôt pasteurs que laboureurs, et mènent volontiers la vie nomade, surtout les mahométans. Toutefois le Karabagh produit du vin, du coton, de la soie, du riz ; on y trouve aussi une race de chevaux très estimée. Au nord du Karabagh et à l’ouest du Chirvan, est le Cheki qui était aussi gouverné par des khans sous la protection de la Russie. Le dernier de ces khans, Ismaïl, étant mort sans enfans, en 1820, sa principauté fut incorporée à l’empire. C’est, comme on le voit, la fin inévitable de ces petites souverainetés.

Le Cheki est séparé par le Kour de la province de Ghendjé, ainsi appelée du nom de sa capitale. Le khan de Ghendjé s’était soumis à la Russie sous Catherine II, il redevint indépendant lorsque Paul Ier fit repasser le Caucase à ses troupes. Lors de la réunion de la Géorgie à l’empire russe, le prince Tsitsianof, gouverneur des provinces caucasiennes, voulut le forcer de reconnaître la suzeraineté de l’empereur, comme substitué aux anciens droits des rois géorgiens sur le Ghendjé. Sur son refus d’admettre cette prétention, Tsitsianof l’assiégea dans Ghendjé, et la place se rendit après un assaut dans lequel le khan fut tué. La ville ayant été prise le jour de Sainte-Élisabeth, fête de l’impératrice, on changea son nom en celui d’Élisabethopol. Elle a une population mi-partie de Tartares et d’Arméniens et possède un beau bazar assez bien approvisionné. Ses habitans la quittent dans les mois d’été pour échapper à l’insupportable chaleur qui y règne et se retirent dans la montagne. La province de Ghendjé, comme les provinces avoisinantes, produit du coton, de la soie, du riz, de la garance. Le gouvernement y possède une mine d’alun dont le fermier lui paie à peu près 40,000 francs par an. À peu de distance d’Élisabethopol se trouvent les ruines de Chamkor, au milieu desquelles s’élève une colonne de cent quatre-vingts pieds de haut dont il est déjà fait mention dans les auteurs arabes du XIVe siècle. Tous ces pays furent autrefois riches, peuplés, florissans, mais leur situation entre la Géorgie et la Perse leur a été funeste. Les révolutions, les guerres, les fléaux de toute espèce auxquels ces deux royaumes ont été en proie dans les derniers siècles, sont venus fondre sur eux et y ont à peine laissé quelques traces de leur ancienne prospérité.

Après avoir traversé les contrées dont nous venons de donner une description succincte, M. Eichwald arriva à Tiflis, capitale de la Géorgie, la ville la plus importante des provinces caucasiennes. Tiflis est, pour ainsi dire, une création d’Yermolof ; il l’avait trouvée ruinée, inhabitable l’été, ne renfermant guère que des décombres et de misérables huttes souterraines appelées sakhli par les Géorgiens. Il y fit bâtir des édifices publics, des bazars, des maisons en pierre ; établit une belle place là où était un marais infect, en un mot fit de Tiflis une ville à l’aspect européen et civilisé. Comme on a beaucoup écrit sur Tiflis et sur la Géorgie[6], nous serons sobres de détails, surtout en ce qui concerne la description des lieux, les mœurs, les costumes, etc. Nous préférons emprunter à M. Eichwald quelques notions historiques moins répandues et qui peuvent donner une idée de ce que sont les révolutions en Asie.

La Géorgie, que les Russes appellent Grousia par corruption du nom turc Gourdji, se nommait autrefois Ibérie. Son premier roi fut Pharnabaze, qui vivait trois cents ans avant l’ère chrétienne. Depuis lui jusqu’à George, mort en 1800, elle a eu quatre vingt-dix-sept rois en quatre dynasties. La Géorgie embrassa le christianisme au IIIe siècle. Dans le Ve, le roi Wakhtang, appelé Gourgaslan ou le loup-lion, fonda Tiflis. Au milieu du VIe, la race de Khosrou s’éteignit et fut remplacée par les Bagratides qui n’ont cessé de régner que depuis trente-huit ans. En 663, un lieutenant d’Omar vint prêcher le mahométisme au pied du Caucase. Ce missionnaire armé conquit la Géorgie et détruisit Tiflis, mais sans pouvoir déraciner le christianisme. Au VIIIe siècle, le pays tomba dans la dépendance de la Perse. Au IXe les troupes du calife de Bagdad le dévastèrent et emmenèrent en esclavage une grande partie des habitans. À ces temps de désolation succéda une période de gloire qui dura trois siècles et demi. David III et George III assurèrent, par leurs victoires, l’indépendance de la Géorgie et réparèrent tous les désastres des époques précédentes ; mais rien n’égala en éclat et en prospérité le règne de la reine Thamar qui se faisait donner le nom de roi, et qui fut à la fois la bienfaitrice de ses sujets, la terreur de leurs ennemis, et la protectrice éclairée des sciences et des arts. Mais l’horizon s’obscurcit bientôt ; sous Roussoudana, fille de Thamar, la Géorgie fut ravagée par les lieutenans de Tchinghis-Khan. Dans le siècle suivant, Timour l’envahit, et l’on sait ce que c’était qu’une invasion de Timour. Une période de repos vint ensuite. Mais vers la fin du XVIe siècle, le roi Alexandre, voulant donner un royaume à chacun de ses fils, partagea la Géorgie en trois états séparés, le Karthli, la Kakhétie et l’Imérétie. La subdivision de ces royaumes en petites principautés, les guerres entre les Persans et les Turcs, dont la Géorgie fut le théâtre, et les incursions des montagnards qu’elle n’était plus en état de repousser, firent que la nation se divisa en deux parts. Les provinces des bords de la mer Noire se soumirent aux Turcs, celles de l’est relevèrent des Persans. Les divers états dont s’était composé l’ancien royaume géorgien traversèrent ainsi les deux derniers siècles, tantôt indépendans, tantôt tributaires de la Perse ou de la Turquie, quelquefois aussi invoquant la protection des czars. En 1750, Héraclius, roi de Kakhétie, se fit proclamer roi de toute la Géorgie et maintint assez long-temps son indépendance. Mais en 1795, le fameux Aga-Mohammed-Khan, qui s’était emparé de l’héritage des sofis, vint à la tête d’une nombreuse armée pour la faire rentrer sous la domination de la Perse. Héraclius marcha à sa rencontre, quoiqu’avec des forces bien inférieures ; il fut complètement battu, et les vainqueurs entrèrent dans Tiflis qui fut mis à feu et à sang. Les Persans avaient pris cette ville le 11 septembre et ils y restèrent jusqu’au 20. Quand ils en partirent, ils n’y laissèrent qu’un monceau de cendres et de décombres. Ils emmenèrent avec eux 15,000 prisonniers. Ceux des habitans de Tiflis qui avaient pu se cacher dans les montagnes restèrent un an sans oser revenir pour relever ces ruines, tant ils craignaient le retour d’Aga-Mohammed. Ils ne reprirent un peu de courage que lorsque le général Zoubof passa la frontière, prit Derbend, Bakou et Chamakhi, et envoya un corps de troupes en Géorgie. C’est alors seulement que les habitans de Tiflis commencèrent à rebâtir leur ville. La mort de Catherine II et le rappel de l’armée de Zoubof laissèrent la Géorgie exposée à la vengeance de son redoutable ennemi. Aga-Mohammed prépara une nouvelle expédition. Il menaçait tous les chrétiens adultes de la mort et tous les enfans de l’esclavage. Tout tremblait et s’enfuyait dans les montagnes, lorsqu’on apprit que le conquérant venait d’être tué dans la forteresse de Choucha par un esclave qu’il avait condamné à mort.

Le roi Héraclius mourut en 1798. Il eut pour successeur son fils George XIII, dont le règne de deux ans fut troublé par des discordes civiles et des querelles entre les membres de sa famille. Ne sachant que faire pour maintenir l’ordre, il avait fait venir des montagnes une garde composée de Lesghis, qui abusèrent de la manière la plus insolente du besoin qu’on avait d’eux. On leur avait donné pour demeure deux faubourgs de Tiflis, et les malheureux habitans eurent tout à souffrir de leur part. Les pillages et les actes de violence de ces brigands, qui abattaient, dit-on, les maisons quand ils avaient besoin de bois pour se chauffer, forcèrent le roi à recourir au cabinet de Saint-Pétersbourg, qui lui envoya quelques troupes sous les ordres du général Lazaref. Le faible George mourut en 1800. Avant sa mort, il avait fait donation de ses états à l’empereur de Russie, qui accepta l’héritage. Depuis 1801, la Géorgie fait partie de l’empire, et forme le point central des provinces au-delà du Caucase. Il faut reconnaître qu’à dater de cette époque la tranquillité du pays n’a pas été troublée, et qu’il a beaucoup gagné en prospérité et en civilisation.

Il y a en Géorgie comme dans tous les pays de montagnes une grande variété de climats et de productions. La fertilité du sol est très grande ; mais une partie de la contrée est inculte et l’autre est mal cultivée. On y récolte principalement des céréales, du maïs, du riz, du coton et du chanvre. On y fait beaucoup de vin d’une qualité excellente, et qui serait un article d’exportation très important, si l’on avait une meilleure manière de l’apprêter et de le garder. Tiflis est dans une position très favorable pour le commerce d’échange entre l’Asie et l’Europe, car elle se trouve entre la mer Caspienne et la mer Noire, à peu de distance de l’une et de l’autre. Grace à la route de poste faite par le gouvernement russe et aux bateaux à vapeur qui sillonnent les deux mers[7], elle peut communiquer facilement et promptement avec les bouches du Danube, Constantinople et Odessa, avec Astrakan et l’intérieur de la Russie ; enfin, avec la Boukharie et la Perse. M. Eichwald donne des renseignemens statistiques assez intéressans, mais qui ont pour la plupart l’inconvénient d’être déjà anciens, sur les importations et les exportations de la Géorgie, sur les dépenses et les recettes du gouvernement dans cette province, etc. Nous ne les donnons pas, parce qu’il est évident que, sous ce rapport, tout a dû beaucoup changer depuis douze ans. Nous croyons, du reste, que le savant voyageur s’exagère un peu les avantages de la position de ces contrées, et qu’il ne tient pas assez compte d’une foule d’obstacles qui doivent y retarder long-temps encore le progrès de la richesse. La population de la Géorgie était, en 1826, d’environ 250,000 ames, réparties comme il suit : Géorgiens de la religion grecque, 21,000 familles ; Arméniens schismatiques, 13,000 familles ; Arméniens catholiques, 500 ; Mahométans, 12,000 ; Grecs, 200 ; juifs, 300 ; colons allemands, 500 ; en tout : 47,500 familles. La noblesse géorgienne est si nombreuse, que ses biens suffisent à peine à son entretien ; aussi vit-elle très pauvrement. Ses charges sont : d’entretenir la police dans les villes, de loger les soldats, de fournir des voitures pour les munitions de guerre et de bouche destinées aux troupes, ainsi que des voituriers, des chevaux et des bœufs ; d’établir des gardes sur les frontières, de nourrir des chevaux au bureau de police de chaque cercle pour le transport des fonctionnaires sur les différens points du district. Dans les villes, les maîtres de police reçoivent un traitement du gouvernement ; les autres employés vivent aux frais de la ville. L’église géorgienne est fort riche à cause des dons considérables qui lui ont été faits, dans le cours des siècles, par les rois et les princes. Elle possède un très grand nombre de villages, dont les paysans sont encore plus pauvres que ceux de la couronne. Elle reçoit, en outre, du gouvernement une somme annuelle d’environ 80,000 francs. On baptise tous les ans un grand nombre de païens ; mais ces essais de conversion ne paraissent pas avoir beaucoup d’importance, parce que la partie du clergé qui s’en occupe est fort ignorante et peu respectable. « On dépense chaque année, dit M. Eichwald, 15,000 roubles d’argent pour la conversion des Ossètes. D’après ce calcul, dix mille Ossètes seraient baptisés annuellement ; mais il est indubitable que ces montagnards se font baptiser plusieurs fois, afin de recevoir de nouveau le rouble d’argent et la chemise qui sont alloués aux nouveaux chrétiens. Il est fort difficile de faire des prosélytes parmi les musulmans, à cause de tout ce que permet la sensuelle religion de Mahomet. La polygamie seule suffit pour les attacher fortement à l’islamisme. Tous les ans, beaucoup de soldats russes désertent sur la frontière persane ; sitôt qu’ils l’ont passée, ils se présentent devant le khan ; celui-ci les reçoit à bras ouverts, parce que ce sont comparativement aux Géorgiens de bons ouvriers, et leur fait aussitôt donner deux femmes : c’est, en effet, presque toujours dans cet espoir qu’ils ont déserté. » Pour empêcher ces désertions, Yermolof obtint plus tard de l’empereur qu’on n’enverrait plus sur cette frontière que des soldats mariés, et il paraît qu’après l’adoption de cette mesure le nombre des déserteurs diminua beaucoup.

Nous dirons encore quelques mots sur les efforts du gouvernement russe en faveur de l’instruction publique en Géorgie. Le dernier réglement sur cette matière a été fait en 1829. Il ordonne l’érection d’un collége à Tiflis et de vingt écoles d’arrondissement dans les provinces transcaucasiennes. L’établissement du collége a pour but de fournir aux enfans des nobles géorgiens et des fonctionnaires russes une éducation convenable. Du reste, il est ouvert à tous les enfans de condition libre qui ont reçu, dans une école ou chez leurs parens, l’instruction élémentaire. L’enseignement comprend la religion, la langue et la littérature russes, la logique, les langues géorgienne, arménienne, tartare, française et allemande, les mathématiques, la géographie, la statistique, l’histoire, la physique, les principes du droit russe, la calligraphie et le dessin. Les écoles d’arrondissement, destinées à répandre dans le peuple les connaissances élémentaires, sont partagées en deux divisions : il doit y avoir dans chacune d’elles un ministre de la religion dominante dans l’arrondissement. Au sortir de ces écoles, les élèves peuvent profiter de l’enseignement donné dans le collége. C’est le 1er mars 1830 que le nouveau plan d’études fut mis à exécution dans le collége des nobles à Tiflis. En 1834, douze écoles de canton étaient en plein exercice ; l’organisation des huit autres avait été retardée, faute de maîtres en état d’enseigner les langues du pays. Outre le collége dont nous venons de parler, il y a, à Tiflis, une école pour les enfans que les montagnards livrent comme otages. Il s’y trouvait, en 1828, trente-doux écoliers mahométans à qui l’on apprenait leur religion, l’arithmétique et les langues russe et tartare. Cette école a été fondée afin que ces enfans, appartenant aux premières familles du Caucase, pussent par la suite répandre quelques lumières parmi leurs compatriotes.

Après un premier séjour à Tiflis, M. Eichwald alla visiter l’Imérétie et la Mingrélie. L’Imérétie fut long-temps réunie à la Géorgie, puis elle forma un royaume à part. Elle en est séparée par un contre-fort du Caucase, où se trouve la ligne de partage entre les eaux du Kour, qui vont à la mer Caspienne, et celles que le Phase ou Rioni porte à la mer Noire. La religion, la langue, les mœurs, sont à peu près les mêmes dans les deux pays. Il s’y trouve également une multitude de princes pauvres et ignorans. « Autrefois, dit M. Eichwald, les princes imérétiens ne savaient jamais lire, ni écrire ; leurs femmes possédaient ces connaissances élémentaires, et veillaient seules à l’administration de la maison. Quant aux hommes, ils ne s’occupaient qu’à chasser ou à guerroyer contre les Turcs et les Lesghis : toute autre occupation leur eût paru déshonorante. Aujourd’hui, ils apprennent à lire et à écrire, parce que les autorités russes n’admettent pas de réclamation qui ne soit faite par écrit, et aussi parce qu’on ne peut entrer sans cela au service militaire. » Le clergé d’Imérétie est aussi riche que celui de Géorgie. Quant à ses lumières, il suffit de dire qu’il excita une insurrection en 1820, parce qu’un évêque géorgien vint de la part du gouvernement pour dresser l’état des biens ecclésiastiques de la province. Comme cette mesure devait s’étendre aux propriétés des princes et de la noblesse, le clergé chercha à persuader qu’on n’enregistrait ces biens que pour les enlever à leurs possesseurs. Il résulta de là un soulèvement qui fit verser beaucoup de sang. Il fallut envoyer cinq mille hommes, auxquels les insurgés opposèrent une vigoureuse résistance, et qui ne purent rétablir l’ordre qu’après avoir perdu beaucoup de monde. Les Imérétiens sont restés tranquilles depuis ce temps, et, s’il faut en croire M. Eichwald, ils sont fort attachés à la Russie.

À l’ouest de l’Imérétie est la Mingrélie, qui descend jusqu’à la mer Noire. Les habitans de ce pays sont d’origine géorgienne, mais ils parlent un dialecte fort différent de celui de leurs voisins. La Mingrélie est l’ancienne Colchide, si célèbre par l’expédition des Argonautes. Lorsqu’elle était dépendante de la Géorgie, on l’appelait Sa-Dadiano, parce qu’elle était toujours gouvernée par le grand échanson (Dadian) des rois géorgiens. Un de ces grands-échansons finit par faire de la Mingrélie une principauté indépendante ; mais le nom de Sa-Dadiano est resté à cette province, et son souverain actuel s’appelle encore Dadian. Dans le dernier siècle, la Géorgie et la Mingrélie eurent à subir, l’une et l’autre, la domination des Turcs ; puis, la paix conclue entre la Russie et la Porte les rendit au roi Salomon de Géorgie, leur ancien souverain. Ce prince, mort en 1784, réduisit à une soumission complète le Dadian de Mingrélie, qui supportait impatiemment la suzeraineté géorgienne. Plus tard, quand la Géorgie fut envahie par les Persans, la Mingrélie secoua de nouveau le joug, puis elle finit par se placer sous la protection de la Russie. Le Dadian qui gouvernait la Mingrélie, en 1825, était un homme éclairé, et savait tout le parti qu’on pouvait tirer de cette belle et fertile province ; mais ses tentatives d’amélioration trouvaient de grandes résistances chez les nobles, chez les paysans et dans sa propre famille. Il était fort attaché à l’empereur de Russie, qui lui avait accordé le rang de lieutenant-général et le titre d’altesse sérénissime, et qui l’avait, en outre, chamarré de cordons. La manière de vivre du Dadian rappelle celle de quelques seigneurs du moyen-âge. Sa famille, sa suite et lui vivent uniquement de ce que les paysans apportent chaque jour pour la table de leur prince. S’il vient des hôtes en trop grand nombre, et que la provision quotidienne ne soit pas suffisante, un des nobles de la suite du Dadian se rend dans les villages voisins, et emmène le bétail des paysans. Il résulte de là, comme on peut le croire, beaucoup d’abus et de vexations ; de là vient aussi que le Dadian est obligé de changer souvent de résidence, parce que, quand un canton est épuisé, il faut passer à un autre. Le prince régnant lors du voyage de M. Eichwald avait voulu substituer à cet impôt en nature, souvent fort lourd, une légère redevance en argent ; mais il n’avait pas pu y réussir. Au reste, la Mingrélie, quoique bien pauvre et bien peu civilisée, a pourtant beaucoup gagné depuis Chardin, si les récits de ce voyageur sont exacts. Il est vrai que, de son temps, elle était le grand marché où les Turcs se fournissaient d’esclaves.

Cette province est séparée par le Phase de la Gourie dont le prince s’appelait le Gouriel, nom qui a souvent été donné au pays lui-même. Cette contrée, plus petite que la Mingrélie, est aussi fertile et peut-être encore plus pauvre. Son souverain reconnut, en 1810, la suzeraineté de la Russie. Après la mort du Gouriel Mamia, sa dignité avait passé à son fils mineur, auquel l’empereur avait donné un conseil de tutèle composé des principaux nobles du pays. Sophie, mère du jeune prince, qui avait la présidence de ce conseil, voulut se rendre entièrement maîtresse du gouvernement, et sa tentative ayant échoué, elle s’enfuit en Turquie avec son fils. On lui fit dire que, si elle ne le renvoyait pas, elle l’exposerait à perdre sa souveraineté ; mais elle s’y refusa absolument. En 1829, un décret impérial déclara la Gourie province russe. La population de ce pays est de 36 à 37,000 ames. On y parle un dialecte géorgien, mêlé de beaucoup de mots turcs ; la religion est celle du rit grec géorgien. La Gourie, habitée par un peuple belliqueux, qui peut armer 5,000 hommes en cas de guerre, est une bonne frontière contre la Turquie. Au midi de la Gourie russe est la Gourie turque, où se trouve Batoum, l’un des meilleurs ports de la mer Noire. L’Imérétie a 12,000 werstes carrées ; la Mingrélie 7,600 ; la Gourie 1,300 seulement.

La Mingrélie et la Gourie s’étendent le long de la mer Noire. Le seul port important, sous le rapport commercial, qu’ait la Russie sur cette côte, est Redoute-Kalé, dont nous avons longuement parlé à l’occasion du livre de M. Spencer. M. Eichwald n’alla pas plus loin que Redoute-Kalé, et ne visita point les ports de la côte d’Abasie. Il donne pourtant quelques détails sur cette partie du Caucase, mais les renseignemens qu’il a recueillis ne diffèrent point essentiellement de ceux que nous avons donnés précédemment. En quittant la Mingrélie, il retourna à Tiflis ; puis il alla visiter la Kakhétie, qui est la partie orientale de la Géorgie. Les hautes montagnes qui s’élèvent entre la Kakhétie et le Daghestan, sont habitées par des tribus de montagnards aussi belliqueux et aussi remuans que les Circassiens. « Les peuples qui habitent cette partie de la grande chaîne du Caucase, dit M. Eichwald, sont appelés Lesghis ; c’est un nom collectif que les Persans ont donné même aux Kasi-Koumouks, aux Avares et aux autres tribus turques des montagnes. Leurs langues sont peu connues, et semblent différer beaucoup entre elles. Si l’on y joint les langues des autres races, telles que les Ossètes, les Tcherkesses, les Abases, les Tchetchenzes, etc., on reconnaîtra que la diversité d’idiomes qui existe dans le Caucase ne peut être comparée qu’à celle qui a tant surpris les voyageurs modernes chez les Indiens de l’Amérique du Sud. »

Quelques-uns des Lesghis du nord de la Kakhétie sont soumis à la Russie, et lui paient une redevance ; mais cela ne les empêche pas de livrer passage à ceux qui viennent de plus loin pour piller la frontière et de leur servir de receleurs. Ce qui oblige quelques tribus à se soumettre, c’est qu’elles sont forcées par l’hiver de quitter le sommet des montagnes et de conduire leurs troupeaux dans une steppe de la Géorgie, où elles ne peuvent opposer aucune résistance aux troupes russes. Les autres tribus ont aussi des bestiaux, et doivent également quitter en hiver leurs demeures ensevelies sous la neige ; mais on suppose qu’elles vont chercher sur l’autre versant du Caucase des vallées abritées où les troupeaux trouvent des pâturages en tout temps. La partie de la haute chaîne caucasienne habitée par les Lesghis est fort peu connue ; leur férocité en éloigne les voyageurs, et leur indomptable courage n’a jamais permis aux expéditions militaires d’y pénétrer bien loin. La Géorgie a toujours eu beaucoup à souffrir de leurs invasions. En 1800, Omar, khan des Avares, qui sont les plus puissans d’entre les Lesghis, envahit ce pays à la tête de 18,000 hommes. Il fut repoussé par les Russes, après un combat sanglant livré sur les bords de la Yora. On dit qu’il mourut de chagrin à la suite de cette défaite. En Kakhétie, comme dans tout le Caucase, ce n’est qu’à force de troupes établies dans des forteresses ou dans des camps que la Russie arrête les incursions des montagnards. Elle a obtenu assez récemment un résultat qui n’est pas sans importance, c’est la soumission des tribus de Djar et de Belokhan, qui habitent les montagnes situées au nord-est de la Kakhétie, et qui y formaient une espèce de république de brigands. Elles se sont déterminées à reconnaître la souveraineté de l’empereur à la suite de ses victoires sur les Turcs et de la conquête du pachalik d’Akhaltzikhé, où elles trouvaient un point d’appui et un refuge dans leurs expéditions contre la Géorgie. En 1830, Paskewitch a construit une forteresse chez elles, et a remplacé leur gouvernement fédératif par une administration plus régulière, où il a fait entrer toutefois un grand nombre d’anciens de ces tribus. Le pays qu’elles habitent, au nombre de 16,000 familles, forme la nouvelle province de Djari ; et si le pouvoir des Russes s’y maintient, ce sera un immense avantage pour la Kakhétie, dont ces montagnards troublaient sans cesse le repos, et où nul ne pouvait, à cause d’eux, cultiver en sûreté son champ et sa vigne.

Après avoir vu la Kakhétie, M. Eichwald alla visiter le midi de la Géorgie, la province de Bambak, séparée par de hautes montagnes de celle d’Erivan, alors persane et aujourd’hui russe, et d’autres petits districts situés sur la rive droite du Kour, et habités par des Tartares. Il voulait pousser ses explorations jusqu’en Arménie et au mont Ararat ; mais, en arrivant sur la frontière, il trouva partout les troupes en mouvement, parce qu’on s’attendait d’un moment à l’autre à l’invasion des Persans ; en effet, peu de jours après, Abbas-Mirza, prince royal de Perse, passa l’Araxe, et commença les hostilités. M. Eichwald fut forcé de renoncer à ses projets et de rebrousser chemin vers Tiflis d’où il revint à Cazan par la route militaire qui coupe la chaîne centrale du Caucase.

Cette route, la plus directe et la plus fréquentée de celles qui mènent en Géorgie, a été souvent décrite. Elle remonte la vallée de l’Aragwi, entre dans les neiges éternelles, traverse la crête du Caucase à 7,425 pieds au-dessus du niveau de la mer[8], et va gagner la gorge étroite où se précipite le Terek. On passe alors au pied de l’énorme cime du Mqinwari ou Kazbek, d’où tombent à peu près tous les ans, sur l’étroit passage, des avalanches de neiges et de glace mêlées de quartiers de rochers. En août 1832, il en tomba une qui barra la vallée si complètement, que le Terek fut arrêté douze heures, et inonda tout le défilé ; il se fraya enfin un passage à travers cette masse de glaces, où il forma une arcade sous laquelle ses flots se précipitaient. On peut se figurer quelles dépenses et quels travaux il fallut pour déblayer et réparer la route. On a remarqué qu’il y a environ tous les sept ans une de ces avalanches extraordinaires qui bouleversent toute la vallée. Le défilé est très étroit jusqu’à Dariel, la porte caucasienne des anciens ; plus loin les montagnes s’écartent et s’abaissent un peu. Les environs du passage de Dariel sont habités par des Ossètes et des Ingouches soumis à la Russie. Néanmoins toute cette route est si peu sûre, qu’on ne la fait jamais sans une nombreuse escorte, et qu’il a fallu élever partout des redoutes situées à peu de distance les unes des autres. Nous avons déjà parlé de la ligne du Kouban qui commence à la mer Noire, et des Cosaques établis sur la rive droite de ce fleuve pour en interdire le passage aux Circassiens du Caucase occidental. Cette ligne s’unit par une suite de forts à celle du Terek, dont la rive gauche est aussi défendue par des Cosaques, depuis le coude qu’il fait à l’est en sortant des montagnes, jusqu’à son embouchure dans la mer Caspienne. M. Eichwald, n’ayant pas pu visiter les tribus indépendantes du Caucase, a cependant recueilli un assez grand nombre de renseignemens sur les Circassiens, les Tchetchenzes, les Avares, etc. ; ils s’accordent trop avec ceux que nous avons donnés précédemment pour que nous croyions devoir les reproduire. Il donne beaucoup de détails sur plusieurs expéditions faites par les Russes depuis quelques années, tantôt contre les Circassiens, tantôt contre les Lesghis ou les Tchetchenzes. Ces expéditions, qui ne se font jamais sans une grande perte d’hommes, réussissent la plupart du temps à obtenir des montagnards une soumission momentanée. Deux brillantes campagnes, faites en 1828 et en 1830, semblaient avoir assuré pour long-temps la tranquillité dans le Caucase ;. mais nous avons appris de M. Spencer avec quelle fureur la guerre avait recommencé en 1836, et il est évident qu’il faudra bien des efforts et bien des années pour arriver à la pacification de ces contrées.

À la relation de son voyage, si riche en faits de toute espèce, M. Eichwald a ajouté un récit détaillé des guerres contre la Perse et la Turquie, dont les provinces transcaucasiennes furent le théâtre, depuis 1826 jusqu’en 1829. Comme c’est l’heureuse issue de ces guerres qui a affermi, dans ces provinces, la domination, jusque-là mal assurée, de la Russie ; comme d’ailleurs leur histoire est très ignorée et très instructive, nous espérons qu’on nous saura gré de la faire connaître dans ce qu’elle a de plus intéressant.

La guerre de Perse, comme nous l’avons vu, commença en 1826, lorsque M. Eichwald était encore en Géorgie. Le général Yermolof venait de faire une expédition contre les Tchetchenzes, lorsqu’il apprit l’entrée du prince royal de Perse dans la province de Karabagh. On ne s’attendait nullement alors à une attaque aussi soudaine, et il était difficile d’en deviner les raisons. Peu de semaines auparavant, le prince Menzikof, ambassadeur de l’empereur, était allé assurer le chah des dispositions amicales de son souverain, et tout d’un coup, sans déclaration de guerre préalable, l’armée persane envahissait le territoire russe. Il y avait cependant, à cette rupture, d’anciennes causes dont il faut reprendre l’explication de plus haut. Depuis la paix de Goulistan, conclue en 1813 et par laquelle la Perse avait cédé plusieurs provinces à la Russie, on n’avait pu s’entendre pour la délimitation des frontières, qui avait été laissée dans le vague par le traité, et il y avait eu des discussions assez vives entre les deux puissances. En 1817, le général Yermolof fut envoyé à Theran comme ambassadeur extraordinaire, pour tâcher d’arriver à un arrangement. Ayant employé sans succès les formes conciliantes, il eut recours à la hauteur et à l’arrogance, menaça le premier ministre du chah, et obtint ainsi ce qu’il était chargé de demander. Feth-Ali-Chah, qui avait compté profiter des victoires de Napoléon et qui avait vu ce puissant allié disparaître de la scène du monde, plia devant les exigences de la Russie ; mais il ne cessa, depuis ce temps, de nourrir des désirs de vengeance. Abbas-Mirza, son fils favori et son successeur désigné, entretint de tout son pouvoir les ressentimens de son père. Ce prince belliqueux brûlait de se mesurer avec les Russes, et il comptait sur un appui efficace de la part des montagnards du Caucase et de la population tartare des provinces cédées par la Perse. Il chercha à organiser des troupes régulières et attira à son service des officiers français et anglais, pour instruire et exercer ses Persans. Il réussit à former, dans sa province d’Adzarbaidjan, dix-huit bataillons de troupes assez bien disciplinées, qu’on appelait sarbases, et il établit à Tauris, sa résidence ordinaire, une fonderie de canons et une manufacture d’armes. Pendant tous ces préparatifs, on reçut en Perse la nouvelle de la conspiration qui avait éclaté à Saint-Pétersbourg à l’avènement de l’empereur Nicolas. L’évènement fut sans doute embelli dans le goût oriental, et Abbas-Mirza put croire que toute la Russie, ou du moins toute l’armée russe, était en pleine insurrection. Il pensa que le moment était venu de reprendre aux Russes leurs conquêtes ; il sut persuader au chah qu’il ne fallait pas laisser échapper une occasion aussi favorable, et Feth-Ali l’autorisa à faire passer la frontière à ses troupes.

Au commencement de 1826, l’empereur de Russie avait envoyé le prince Menzikof pour annoncer au chah son avènement au trône et terminer les arrangemens relatifs aux frontières. Abbas-Mirza le reçut d’abord à Tauris, où Menzikof put se convaincre qu’on se disposait à la guerre ; le prince crut alors n’avoir rien de mieux à faire que de quitter la Perse. On le retint quelque temps à Erivan, et le serdar de cette ville forma un complot contre sa vie. Voulant le faire assassiner en route et rejeter ensuite le meurtre sur les tribus kourdes qui parcourent le pays, il lui désigna sa route pour s’en retourner ; mais le prince Menzikof, qui devina son projet criminel, prit un autre chemin et atteignit heureusement la frontière russe. Avant qu’il n’y fût parvenu, la nouvelle du siége de Choucha par Abbas-Mirza s’était déjà répandue.

Avant d’en venir au récit des évènemens de la guerre, il est bon de donner une idée des forces dont la Perse pouvait disposer. Nous avons déjà dit qu’Abbas-Mirza avait organisé quelques bataillons disciplinés à l’européenne ; mais la Perse possède en outre une multitude de troupes irrégulières qui doivent se mettre en campagne à la première réquisition du chah : c’est le contingent fourni par certaines tribus guerrières qui forment des espèces de colonies militaires et qui composent la plus grande partie de la population. On compte 92,000 familles de race tartare, 149,000 de race kourde, 157,000 de race lorienne, 41,000 de race arabe ; total : 439,600 familles. Mais, d’après l’ordre établi en Perse, elles doivent fournir un cavalier armé par cinq familles : ce nombre de 439,000 représente donc 87,900 cavaliers. En temps de paix, l’état ne se sert que d’une partie de cette armée ; mais tous doivent se tenir toujours prêts, et, dans les cas extraordinaires, il est fourni un contingent plus fort que le contingent légal. Depuis l’introduction d’une infanterie régulière en Perse, le chah et son fils s’occupaient davantage des nouvelles troupes et négligeaient un peu la cavalerie tirée des tribus. Les meilleurs cavaliers de la Perse sont les Kourdes ; ils n’ont pas de fusil, mais des lances d’un roseau très flexible qu’ils manient fort adroitement : la plupart portent un casque et une cotte de mailles.

Il existe une autre espèce de troupes qu’on appelle ghoulams et qui composent la garde du chah, ainsi que celle des princes et des gouverneurs de province. Les ghoulams servent de courriers ; ils portent les ordres du souverain aux extrémités de l’empire et accompagnent les fonctionnaires chargés de quelque mission importante : leur nombre peut s’élever à environ huit mille. Il y a en outre une infanterie irrégulière dont il est impossible de fixer le chiffre ; elle sert à former la garnison des forteresses. Au moment de la guerre contre la Russie, les villes d’Erivan, d’Abbas-Abad, de Serdar-Abad, de Theran et de Meched, avaient une garnison de 5,000 hommes tirés du Mazenderan. Du reste, en temps de guerre et quand une province est menacée, tous les habitans des villes et villages qui n’appartiennent pas aux tribus militaires deviennent momentanément soldats. Nous avons déjà parlé de l’infanterie régulière : Feth-Ali-Chah et Abbas-Mirza avaient chacun la leur : les troupes régulières du chah s’appelaient dzambases, celles du prince royal, sarbases. Elles formaient en tout 35 bataillons composés chacun de 1,000 soldats et de 100 dakhbachas ou sous-officiers. Suivant ces calculs, il y avait en Perse 38,500 hommes d’infanterie régulière, 87,900 hommes de cavalerie tirée des tribus militaires, 8,000 ghoulams, 5,000 hommes d’infanterie irrégulière, en tout 139,400 hommes. Les troupes irrégulières pouvaient être considérablement augmentées. Quant à l’artillerie, il y avait dans l’Adzarbaidjan 77 pièces de canon de divers calibres et 18 fauconneaux, 42 de ces pièces appartenaient à l’artillerie régulière de campagne organisée par Abbas-Mirza. Tout cela constituait un ensemble de forces assez imposant, quoique les troupes ne fussent pas parfaitement exercées.

La Russie n’avait alors dans les provinces transcaucasiennes qu’une armée relativement peu considérable et dispersée sur différens points éloignés les uns des autres. Aussitôt qu’Yermolof eut connaissance de l’invasion d’Abbas-Mirza, il donna l’ordre de concentrer les troupes de Géorgie et de les diriger vers Élisabethopol. Il y avait à peine 34,000 hommes, dont beaucoup ne pouvaient être retirés des positions qu’ils occupaient sans livrer le pays aux montagnards soulevés par les Persans : en outre, plusieurs corps avaient été décimés par les maladies. En retranchant tout ce qui ne pouvait pas être mis en mouvement, on n’avait guère plus de 15,000 hommes à envoyer à Élisabethopol contre les nombreuses cohortes d’Abbas-Mirza, et il fallait laisser sans défense les frontières du Karabagh, du Chirvan et de Talich.

Ce fut vers le milieu du mois de juillet 1825 qu’Abbas-Mirza entra dans le Karabagh avec un corps de 40,000 hommes. Une division de ce corps s’était portée plus à l’est et avait envahi le Talich, dont les habitans s’étaient joints à elle pour marcher sur Salian et Bakou. Les Tartares du Karabagh venaient grossir l’armée du prince persan à mesure qu’il avançait : il avait compté sur l’appui des habitans musulmans des provinces transcaucasiennes, et, en effet, ces auxiliaires avaient promptement doublé ses troupes. Abbas-Mirza avait avec lui plusieurs khans dépossédés par la Russie, qui venaient pour soulever les habitans de leurs anciens domaines, et un prince de l’ancienne famille royale de Géorgie, qui se rendit aussitôt en Kakhétie pour exciter les Géorgiens à l’insurrection. Ali-Naki-Mirza, huitième fils du chah, s’avança jusqu’aux montagnes qui séparent le Chirvan du Daghestan, et Sourkbiaï, ancien khan des Khasi-Koumouks, aurait aisément soulevé ces montagnards si le khan qui l’avait remplacé n’était resté fidèle à la Russie et n’avait agi vigoureusement en faveur de cette puissance. Les Persans, comme on le voit, avaient excité l’insurrection dans les provinces les plus importantes et les plus populeuses avant qu’Yermolof eût eu le temps de prendre ses mesures, soit pour s’opposer à ces soulèvemens, soit pour concentrer ses troupes à Tiflis.

La province de Karabagh n’était défendue que par le 42e régiment de chasseurs, sous les ordres du colonel Reutt ; il se réfugia dans la forteresse de Choucha, où il fut bientôt assiégé par les 40,000 hommes d’Abbas-Mirza. Nous entrerons dans quelques détails sur ce siége, afin de donner une idée de la tactique persane. La forteresse était en très mauvais état, elle n’avait qu’une très faible garnison, et il ne s’y trouvait que quatre pièces de canon, dont deux, du temps des khans, étaient à peu près hors de service. Le 25 juillet, Abbas-Mirza arriva sur les hauteurs du Gavakan, séparées par un profond ravin de la montagne sur laquelle Choucha est assise, et il somma la garnison de se rendre. Le colonel Reutt répondit par le refus le plus formel. Il fallut d’abord réparer les fortifications, et les assiégés y travaillèrent activement sous le feu continuel de l’ennemi. Le 30 juillet, les Persans attaquèrent la place de deux côtés à la fois ; mais ils furent repoussés avec perte et ne purent pas livrer l’assaut. Le manque de vivres se fit bientôt sentir dans la ville, et le colonel Reutt fit sortir tous les Tartares sur lesquels on ne pouvait pas compter. Ils purent donner aux Persans des renseignemens exacts sur l’état de la forteresse ; ils leur annoncèrent aussi que les plus distingués d’entre leurs compatriotes étaient tenus en prison pour avoir essayé d’exciter un soulèvement en faveur de la Perse, et que le commandant menaçait de les faire périr si Abbas-Mirza tentait de donner l’assaut. Peut-être ces Tartares arrêtèrent-ils le prince héréditaire en lui représentant la triste position de leurs amis ; au moins peut-on croire que cette circonstance ajouta à son indécision et à sa négligence. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il laissa aux Russes le temps de se rassembler à Tiflis et de venir à sa rencontre avec des forces assez imposantes. Au reste, il fit, dès le début, des fautes qui ne pouvaient manquer de compromettre le succès de cette campagne. Après avoir passé la frontière russe en toute hâte et sans déclaration de guerre préalable, il partagea son armée en quatre petites divisions et resta inactif devant Choucha avec le corps principal. Ne voulant pas tenter l’assaut, qui lui aurait probablement réussi, il fallait laisser quelques troupes pour tenir la place bloquée, et marcher sur Tiflis, où on n’était pas en état de lui résister et où beaucoup de Tartares et de Géorgiens n’attendaient que son arrivée pour se déclarer en sa faveur. S’il était ainsi venu droit à Tiflis, un tout autre esprit se serait manifesté dans les populations, et la tactique russe eût été fort déconcertée ; mais il craignit de laisser derrière lui Choucha et la faible garnison de cette place, quoique les habitans de tout le Karabagh se fussent déclarés pour lui, ce qui l’assurait contre toute attaque de ce côté. Il n’envoya qu’une partie de son corps dans la direction d’Élisabethopol, et resta devant Choucha, qu’il voulait prendre par famine. Il se croyait si sûr de vaincre, qu’il avait déjà nommé des khans pour différentes provinces et qu’il écrivait au chah : « Je suis en chasse ; j’ai jeté mes filets et j’y ai déjà pris Choucha : le Karabagh, le Chirvan, Ghendjé et Bakou, sont aussi en mon pouvoir. » Aussi la joie régnait dans le camp des Persans, sur le Gavakhan ; on y entendait toute la journée le tambour turc ; des Tartares y avaient établi leurs boutiques de raisins de Corinthe et d’assaisonnemens pour le pilau ; ce n’était partout que jubilation et confiance entière.

Les assiégés, au contraire, souffraient beaucoup du manque de vivres et de fourrages pour les bestiaux. Il leur fallait souvent envoyer une compagnie entière pour ramasser au dehors des provisions, et elle ne revenait jamais sans avoir éprouvé quelques pertes. Pendant ce temps, Abbas-Mirza canonnait sans relâche la forteresse : il avait dressé des batteries en deux endroits différens, et les travaux du siége étaient dirigés par un officier français. Le colonel Reutt avait prié le général en chef de le secourir ; mais celui-ci lui envoya l’ordre d’évacuer la place, si elle n’était plus tenable. Cet ordre, signé d’Yermolof, fut intercepté par les Persans, et Abbas-Mirza profita de cette circonstance pour proposer encore au colonel Reutt de lui rendre la place à des conditions avantageuses. Cet officier souffrait beaucoup du manque de vivres, et il ne pouvait espérer d’être promptement secouru. Il pensa qu’il pouvait trouver là un moyen de gagner du temps, et répondit à Abbas-Mirza qu’il était prêt à se rendre, pourvu qu’il eût la certitude que l’ordre qui lui avait été transmis par le prince de Perse était bien réellement de son chef. On lui permit là-dessus d’envoyer à Yermolof le major Kluke de Klugenau, chargé ostensiblement de demander l’autorisation de rendre Choucha, et en réalité d’annoncer au général en chef qu’il ne l’avait pas rendue, et qu’il était prêt à la défendre jusqu’à la dernière extrémité. Il y eut une suspension d’armes de dix jours, pendant lesquels la garnison s’occupa à remettre les fortifications en état, à ramasser les boulets et les bombes que l’ennemi avait jetés en grande quantité dans la place, à armer et à exercer les Arméniens restés fidèles, et enfin à moudre des grains, ce qui présentait d’assez grandes difficultés. Lorsque la trêve fut expirée, Reutt entra encore en négociation avec les Persans, et trouva moyen de temporiser ainsi jusqu’au 30 août. Abbas-Mirza lui fit les plus belles conditions. Il promit aux assiégés de les laisser sortir librement et rejoindre l’armée russe, et, pour donner plus de poids à ses promesses, il engagea par un serment solennel ses principaux officiers et ses moullahs. Reutt, qui avait gagné du temps en faisant toujours de nouvelles objections, finit par déclarer qu’il ne se rendrait pas, et que les assiégés étaient résolus à s’ensevelir sous les murailles de la ville. Les Persans se préparèrent à donner l’assaut, et les assiégés étaient plus en état de le recevoir, parce que le nombre des défenseurs de la place s’était augmenté. Des Arméniens dévoués avaient trouvé moyen d’y entrer, et on avait mis à leur tête quelques fonctionnaires russes de l’ordre civil.

Outre l’assaut pour lequel l’ordre était donné, la place était menacée d’un autre côté. Les Persans étaient parvenus sur une hauteur d’où ils pouvaient battre la porte de la forteresse : ils avaient en outre conduit des mines en deux endroits jusque sous les tours, et il leur fallait peu de temps pour pouvoir les faire jouer avec succès. La forteresse allait tomber, lorsque tout à coup arriva la nouvelle de la défaite du serdar, près de Chamkor. La confusion se mit dans l’armée persane, et Abbas-Mirza se décida, après quarante-sept jours d’efforts inutiles, à lever le siége de Choucha et à marcher sur Élisabethopol, pour porter secours aux troupes qu’il y avait envoyées sous les ordres d’Alaiar-Khan.

L’avant-garde persane, commandée par le serdar d’Erivan, s’était emparée d’Élisabethopol et s’était avancée quatre lieues plus loin, vers la petite rivière de Chamkor. Le général-major prince Madatof, Arménien du Karabagh, qui commandait sous l’adjudant-général Paskewitch, était allé, avec un petit corps, à la rencontre des Persans. Paskewitch, voyant l’extrême supériorité de l’ennemi, lui conseilla de revenir sur ses pas ; mais Madatof, qui connaissait à fond la manière dont les Persans faisaient la guerre, se décida à attaquer immédiatement, parce que la retraite des Russes les aurait trop enhardis, aurait attiré toutes leurs forces de ce côté et mis Tiflis en danger, tandis qu’une victoire remportée sur eux ne pouvait manquer de les décourager, et peut-être de les démoraliser complètement. Grâce à une manœuvre habile, l’attaque de Madatof eut un plein succès, et les Persans furent battus le 2 septembre. Ils avaient dans ce combat deux mille hommes d’infanterie régulière, huit mille hommes de cavalerie, quatre canons et vingt fauconneaux, sous les ordres de Mahmed-Mirza, fils du prince héréditaire, aujourd’hui chah de Perse, et du serdar Amir-Khan, frère de Feth-Ali-Chah. Aussitôt qu’on aperçut les troupes russes, les Persans se mirent en ordre de bataille pour attendre l’ennemi ; ils firent jouer leurs quatre canons, soutenus par un feu de mousqueterie très vif. La batterie russe fit bientôt taire la leur, et porta le ravage dans les rangs de leur cavalerie, qui prit la fuite, à la suite du prince Mahmed-Mirza. Profitant de ce désordre, la cavalerie russe, composée de huit cents Cosaques et de la milice géorgienne et tartare, chargea les fuyards avec impétuosité, et coupa la retraite à l’infanterie. Elle trouva peu de résistance, porta au comble le désordre qui s’était mis dans les rangs, et poursuivit l’ennemi jusqu’à deux lieues et demie du côté d’Élisabethopol. Dans le combat de la rivière de Chamkor, les Persans perdirent plus de mille hommes restés sur le champ de bataille, et une partie de leur artillerie. Parmi les morts étaient deux khans, dont Amir-Khan, frère du chah : on trouva sur lui une lettre dans laquelle ce monarque ordonnait qu’on lui envoyât d’Élisabethopol cent belles filles et cent jeunes garçons.

Le prince Madatof se porta aussitôt sur Élisabethopol, où il entra le 4 septembre. Les quinze cents hommes de troupes régulières qui étaient dans la ville n’attendirent pas son arrivée, et prirent la fuite en toute hâte. L’ennemi abandonna dans le plus grand désordre les cantons occupés par lui et passa la rivière de Seiva ; la cavalerie russe s’avança jusqu’à quatre lieues sans rencontrer un seul Persan. On vit bientôt arriver des Tartares et des Arméniens du Karabagh, lesquels assurèrent qu’à l’arrivée des troupes russes les habitans de cette province s’efforceraient d’effacer le souvenir de leur défection par les preuves de dévouement qu’ils donneraient à la Russie. Yermolof ordonna alors au général Paskewitch d’opérer sa jonction avec Madatof et de marcher sur le Karabagh. Pendant ce temps, comme on l’a dit, Abbas-Mirza, ayant reçu la nouvelle de la défaite de Chamkor, avait levé le siége de Choucha pour se porter sur Élisabethopol. Le 13 septembre, étant à deux heures de la ville, il rencontra les Russes, commandés par Paskewitch, et les attaqua. Il avait avec lui quinze mille hommes d’infanterie régulière et vingt mille hommes de cavalerie ; mais, après un combat assez court, les Persans furent battus et mis en déroute. Ils perdirent onze cents hommes tués ou faits prisonniers, quatre drapeaux et plusieurs pièces d’artillerie. Parmi les prisonniers se trouvaient Ougourlou, khan de Khoï, fils de ce khan de Ghendjé qui avait été tué, lors de la prise de sa capitale, par Tsitsianof. Après cette brillante victoire, Paskewitch fut nommé général de cavalerie.

Après sa défaite devant Élisabethopol, Abbas-Mirza s’était enfui en toute hâte, et il n’avait dû son salut qu’à la vitesse de son cheval. Il avait déjà repassé l’Araxe le 18 septembre, et c’était seulement le 16 que l’empereur Nicolas avait déclaré la guerre au chah. Les provinces de Chirvan et de Cheki furent successivement évacuées par les troupes persanes qui y avaient pénétré, et le prince de Perse, renonçant désormais à prendre l’offensive, se prépara à défendre les frontières de l’empire. Vers la fin d’octobre, l’ordre était complètement rétabli dans les provinces russes, et le général Paskewitch passa l’Araxe, pour forcer l’ennemi à s’éloigner des bords de ce fleuve, d’où il pouvait trop aisément inquiéter et piller le Karabagh. Toutefois l’approche de l’hiver l’empêcha de tenter une attaque décisive. Sur ces entrefaites, le gouvernement de la Géorgie fut ôté à Yermolof par l’empereur et donné à Paskewitch.

Le nouveau commandant en chef dirigea toute son attention vers l’importante forteresse d’Erivan, capitale de l’Arménie persane : mais la saison ne lui permettant pas encore de se mettre en campagne, il commença par assurer ses derrières en détachant de la Perse l’ancien khan de Karabagh et celui du Chirvan, personnages très influens dans ces provinces, qui firent leur paix avec la Russie moyennant le titre de généraux russes et une indemnité considérable en terres pour leurs souverainetés[9]. Quand le fort de l’hiver fut passé, il envoya son avant-garde, sous les ordres de Benkendorf, pour prendre possession du couvent fortifié d’Etchmiadzin, résidence du patriarche des Arméniens. Les Russes s’en emparèrent après un combat dans lequel l’avantage leur resta. Benkendorf alla, quelques jours plus tard, occuper les faubourgs d’Erivan, et battit un corps persan sorti de la forteresse de Serdarabad. Au commencement de juin, Paskewitch se mit en mouvement, laissa une division pour occuper Etchmiadzin, entra dans Naktchivan, et alla au sud-est de cette ville assiéger la forteresse d’Abbas-Abad, située sur la rive gauche de l’Araxe. Plusieurs tribus nomades de ce pays se soumirent aux Russes, ce qui enleva aux Persans un grand nombre d’excellens soldats. Abbas-Mirza vint avec un corps de quarante mille hommes pour secourir Abbas-Abad ; mais Paskewitch se porta à sa rencontre, passa l’Araxe, malgré les obstacles que présentait la rapidité du fleuve et l’escarpement de ses bords, et battit complètement l’armée persane. Il repassa aussitôt l’Araxe pour se rapprocher de la forteresse assiégée, fit placer sur la principale batterie les drapeaux enlevés aux Persans, et envoya un prisonnier pour annoncer sa victoire à la garnison. Les assiégés perdirent courage à cette nouvelle, et le commandant de la place la rendit aussitôt, avec dix-huit canons et des munitions considérables. La prise de cette forteresse, construite à l’européenne, en forme de polygone régulier, était d’une grande importance pour les Russes, parce qu’elle commande les deux rives de l’Araxe et la route de Naktchivan. Les efforts de Paskewitch se dirigèrent alors vers Erivan, et tout se réunit pour favoriser ses projets. Son artillerie de siége, malgré des difficultés sans nombre, passa heureusement les montagnes de Besobdal ; les provisions destinées aux Persans furent livrées à leurs ennemis par les habitans du pays ; une tentative d’Abbas-Mirza sur le couvent d’Etchmiadzin fut repoussée par le général Krassowski, et plus tard les défections toujours croissantes et la jonction de deux corps d’armée russes, forcèrent ce prince de se retirer à une assez grande distance. Non loin d’Erivan se trouve la forteresse de Serdar-Abad, que Paskewitch vint d’abord assiéger. Le feu fut ouvert le 19 septembre, et l’artillerie, au bout d’une demi-heure, renversa une tour qui dominait la porte, et fit une brèche si considérable dans la muraille, que la garnison effrayée s’enfuit presque tout entière dans la nuit, et que les Russes entrèrent sans coup férir dans la place, où ils trouvèrent dix-sept canons et des munitions considérables. Rien ne pouvant plus faire obstacle au siége d’Erivan, Paskewitch se rendit devant cette ville : le 26 septembre, les batteries furent placées, la tranchée fut ouverte, et les projectiles russes jetèrent le désordre et la terreur dans la place. Le 1er octobre, un régiment de la garde impériale, envoyé en Arménie pour laver dans le sang des Persans la part qu’il avait prise à l’insurrection de Saint-Pétersbourg, monta à l’assaut avec une telle ardeur, que les habitans d’Erivan demandèrent merci et que la garnison mit bas les armes. Elle était forte de cinq mille hommes et avait à sa tête sept khans de distinction, notamment Hassan-Khan, frère du serdar d’Erivan, et l’un des meilleurs généraux du chah. La prise de cette importante place assura aux Russes la possession de toute la province, et fit une grande impression sur l’esprit des Persans, qui, dans leurs chants populaires, l’appelaient la ville imprenable.

Cependant le général prince Éristof, qui occupait la province de Nacktchivan, d’où il observait Abbas-Mirza, pour l’empêcher de secourir Erivan, fit un mouvement en avant vers le midi. Il traversa les défilés de Dorad, et le 3 octobre, il occupa la ville de Marand et les deux routes qui conduisent de là à Khoï, à l’ouest, et à Tauris, au sud-est. La prise d’Erivan avait jeté une si grande terreur parmi les habitans de l’Adzarbeidjan que les habitans de Tauris, tremblant déjà de voir leur ville prise d’assaut, résolurent spontanément de la remettre au pouvoir des Russes. Le prince Éristof en ayant eu avis, et ayant appris en même temps qu’Abbas-Mirza voulait retirer de Tauris toutes ses munitions de guerre et de bouche, s’avança à marches forcées et arriva, le 13 octobre, sur les bords de l’Hadji-Tchaï, à un peu plus d’une lieue de cette ville. Il plaça ses troupes en ordre de bataille, et envoya devant lui son avant-garde, sous les ordres du général-major Pancratief. Alaiar-Khan, gendre du chah, qui commandait dans Tauris, excita les sarbases à défendre vigoureusement la résidence du prince héréditaire ; mais, à l’approche des troupes russes, il alla se cacher dans une maison du faubourg, où on le trouva plus tard et où on le fit prisonnier. Les sarbases se dispersèrent de tous côtés, et les habitans vinrent à la rencontre des troupes russes pour demander leur protection. Le général Eristof occupa alors la ville et la citadelle. Six jours après, Paskewitch fit son entrée solennelle dans Tauris. Les habitans jetèrent des fleurs sur son passage ; les chefs de la religion, les premiers d’entre les beys et les personnes les plus distinguées de la ville, vinrent lui rendre les plus humbles hommages.

Abbas-Mirza, qui s’était retiré au-delà de Khoï, voyant qu’il lui était impossible de continuer la guerre, fit faire des propositions de paix à Paskewitch, et une entrevue eut lieu, le 6 novembre, entre le prince persan et le général russe. L’héritier du trône avait été formellement autorisé par son père à faire la paix, et l’on était d’accord sur les principales conditions, lorsque tout à coup un courrier de Tehran vint dire que le chah ne voulait pas payer les frais de la guerre, ni ratifier le traité si les Russes ne commençaient pas par évacuer l’Adzarbaïdjan et par se retirer derrière l’Araxe, exigence évidemment inacceptable. Tout le monde s’attendait alors à une rupture entre la Porte et la Russie, et le chah pensait qu’en gagnant du temps, il pourrait traiter à des conditions plus avantageuses : mais la Perse avait trop souffert dans la campagne précédente pour pouvoir attendre l’effet de cette diversion, et Abbas-Mirza, qui connaissait bien la situation des choses, fut consterné de la rupture des négociations. Les hostilités recommencèrent aussitôt, quoique la terre fût couverte de neige, et que l’hiver fût d’une rigueur peu commune dans ces contrées. Le général Pancratief s’empara, le 15 janvier 1827, de la ville d’Ourmiou, et le général Souchtelen se dirigea sur Ardebil, qui ouvrit ses portes. On trouva dans la forteressse 27 canons et des munitions considérables, et dans la ville une bibliothèque fort riche en manuscrits persans et arabes, qui fut plus tard transportée à Saint-Pétersbourg.

La prise d’Ardebil mit fin à la guerre : Feth-Ali-Chah se hâta d’envoyer de nouveaux pleins-pouvoirs à son fils ; il écrivit lui-même à Paskewitch, le pria de reprendre les négociations, et promit de souscrire à toutes les conditions faites par la Russie. Les plénipotentiaires des deux puissances se réunirent à Miana, le 3 février ; une grande partie de la contribution de guerre payée par la Perse à la Russie y fut apportée[10], et le 10 février le traité de Tourkman-Tchaï fut signé.

Les principales clauses de ce traité furent celles qui suivent : 1o le chah de Perse abandonne à la Russie, en toute propriété, le khanat d’Erivan et celui de Naktchivan[11] ; 2o les districts russes de Talich qui ont été occupés par les Persans seront rendus après la signature du traité ; 3o la Perse paiera une indemnité de 48 millions pour les frais de la guerre et pour les dommages causés par son agression ; 4o une partie de cette indemnité sera payée immédiatement, le reste dans un bref délai ; 5o jusqu’au paiement intégral, les troupes russes occuperont la province d’Adzarbaidjan. Ce traité non-seulement enrichit la Russie des fertiles contrées qu’arrose l’Araxe, mais il lui livra les clés de la Perse en lui donnant la forteresse d’Erivan. Un autre résultat non moins important de la guerre de 1827, fut son effet moral, la haute idée de la puissance russe qu’elle répandit en Asie, et l’impression produite sur les populations des provinces transcaucasiennes, qui jusque-là ne se regardaient que comme occupées provisoirement par les Russes et avaient toujours les yeux tournés du côté de la Perse. Du reste, les bénéfices du traité de Tourkman-Tchaï ne tardèrent pas à se faire sentir ; car dans la guerre contre la Porte, qui commença bientôt après, la possession des provinces nouvellement conquises facilita beaucoup les opérations de Paskewitch dans l’Arménie turque, et les millions versés par la Perse dans le trésor impérial furent sans doute une grande ressource pour la Russie dans sa lutte aventureuse contre l’empire ottoman.


E. de Cazalès.
  1. Revue des Deux Mondes du 15 juin 1838.
  2. Le bruit s’est répandu le mois dernier qu’une armée russe était entrée dans Tehran, et les Anglais s’en sont beaucoup émus. La nouvelle était fausse et invraisemblable ; il s’agissait uniquement de secours envoyés au chah, qui fait la guerre aux habitans du royaume d’Hérat, situé sur les frontières de l’Inde. Le cabinet de Saint-Pétersbourg n’a garde de se poser, vis-à-vis de la Perse, en ennemi et en conquérant ; il la protège, la conseille et la secourt, ce qui est bien plus habile et plus sûr.
  3. Progrès et position naturelle de la Russie en Orient, pag. 159.
  4. Les Persans appellent mirza quiconque sait écrire.
  5. Le poud vaut 33 livres 1/2.
  6. Voyez surtout les ouvrages de Klaproth et le Voyage dans la Russie méridionale de M. Gamba.
  7. On a établi sur la mer Caspienne des bateaux à vapeur qui vont d’Astrakan à Bakou en six jours.
  8. Le passage du Grand-Saint-Bernard n’est plus élevé que de quelques pieds, le col du Mont-Cenis n’est qu’à 6,198 pieds, et celui du Simplon qu’à 6,015 pieds au-dessus du niveau de l’Océan.
  9. L’ancien khan de Karabagh était venu joindre l’armée persane avec 4,000 cavaliers parfaitement exercés à la guerre de partisans.
  10. Ce premier paiement fut de 1,500,000 tomans (24 millions).
  11. Plus tard, on en a fait une province, appelée province d’Arménie.