État actuel des Indes anglaises/03

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ÉTAT ACTUEL
DES INDES ANGLAISES.

iiie PARTIE.[1]
L’Afghanistan. — Mœurs des Afghans.

À l’ouest de l’Indus, et à partir des monts Soliman, commence un pays dont le Sindh a toujours été une dépendance jusque dans ces derniers temps, et dont l’importance ethnographique, historique et politique appelle toute notre attention. Comme le parti que saura tirer l’Angleterre de ce pays de transition et de ces peuplades inquiètes et belliqueuses exercera la plus grande influence sur l’avenir de l’Asie centrale et de l’Hindoustan, nous chercherons à faire connaître, par une esquisse nette, quoique rapide, le caractère du pays et celui de ses habitans, et nous rattacherons à cette étude l’examen sommaire de la condition actuelle et des ressources des contrées voisines que dominent également les crêtes neigeuses de l’Indou-Koh et qu’arrose l’Oxus.

Dans l’acte de cession de ces belles provinces de l’ouest à Nader-Shâh, acte auquel on conçoit à peine que Mohammed-Shâh ait eu la lâcheté d’apposer son sceau impérial, on voit spécifiés tous les points dont la valeur stratégique ou politique avait été reconnue par l’œil exercé du conquérant. « En considération, y est-il dit, de cette faveur (celle de ne pas l’avoir détrôné et de lui avoir permis de garder une partie de ses pierreries !) qu’un père ne fait pas à son fils, ni un frère à son frère, je lui cède tout le pays à l’ouest de la rivière Attock, du cours du Sindh, c’est-à-dire Peshaver avec son territoire, la principauté de Kaboul, Ghaznavi (Ghizni), les montagnes où résident les Afghans, le Hazaridjat et les passes avec le fort de Bakker, Sankar et Khoudabad ; le reste des territoires, passes et résidences des Tchokias, Beloutchis, etc., avec la province de Tatta, le fort de Râm et les villages de Tirbinn, les villes de Tchun, Samawali et Ketra, etc., places dépendantes de Tatta ; toutes les campagnes, villes, villages, forts et ports, depuis le commencement de la rivière Attock avec toutes les passes et lieux habités compris dans le bassin de ladite rivière jusqu’au Nala-Sankra, où elle se décharge dans la mer ; en un mot, tous les lieux à l’ouest de la rivière Attock, de la rivière Sindh et du Nala-Sankra[2]. »

Ce document officiel d’une précision si remarquable témoigne surtout de l’importance que Nader-Shâh attachait à la possession des passes, et ce sont ces passes, en effet, qui font la force principale de l’Afghanistan. Elles sont les clés du plateau de Kandahar, de la haute terrasse de Kaboul et du Khorassan, et dominent le cours de l’Oxus d’un côté, celui de l’Indus de l’autre. Les systèmes de montagnes dont elles font partie, et qu’elles permettent de franchir, n’ont été qu’imparfaitement étudiés. Nous allons essayer d’en donner une idée[3].

La limite de l’Afghanistan au nord est la continuation occidentale de la grande chaîne de l’Himalaya, le Caucase indien des Macédoniens, désigné par les géographes orientaux sous les noms de Hindou-Koh, Hindou-Khou, Hindou-Koush. Les vallées de l’Abou-Sine, du Londye (l’une des principales branches de la rivière de Kaboul), du Kaméh, appartiennent à sa pente méridionale ; l’intérieur et la pente septentrionale de cette chaîne sont entièrement inexplorés. La pente sud n’a été étudiée que vers son extrémité ouest dans ces dernières années par Burnes, qui en a mesuré et franchi les passes principales. Le fleuve ou rivière de Kaboul coule au pied de l’Hindou-Koh et reçoit ses affluens en partie des montagnes avancées au sud et à l’ouest, en partie de la terrasse de Kaboul, en partie enfin de l’Hindou-Koush même. La petite rivière qui passe par la ville de Kaboul est le plus insignifiant de ces affluens, mais donne cependant son nom au cours principal. À quatre journées de marche, à l’ouest de Kaboul, on trouve le village de Sir-Tchaschma (sir, tête ; tchaschma, source) ; c’est là que la rivière prend sa source, et non loin de là s’élève la première rangée de montagnes que l’on passe à la hauteur de 3,350 mètres environ. C’est le commencement d’une chaîne dépendante de l’Hindou-Koush, connue sous le nom de Koh-é-Baba, et qui s’étend vers le S.-O. entre Kaboul et Bâmiân. L’élévation des sources donne une grande rapidité à la rivière de Kaboul et à tous ses affluens. Les montagnes opposées à l’Hindou-Koush, au sud de la rivière, se nomment monts Tira ou Khaybers. Il faut les traverser pour se rendre de Peshaver à Kaboul. La passe de Khayber, longue de 25 milles, est, pour les provinces du Haut-Indus, ce que la passe du Bolan est pour les provinces du Sindh. L’une et l’autre peuvent être défendues par une poignée d’hommes résolus contre les efforts de toute une armée. Nader-Shâh fut arrêté plus d’un mois et demi devant la passe de Khayber, et craignant de ne pouvoir la forcer sans y perdre une grande partie de son armée, les Khayberiens lui ayant déjà tué et blessé beaucoup de monde, il négocia avec eux et obtint le passage moyennant une somme convenue, se mettant ainsi aux lieu et place des empereurs moghols qui allouaient à ces dévaliseurs de caravanes une certaine redevance annuelle. Cette redevance, au temps de l’invasion de Nader-Shâh, n’avait pas été payée depuis cinq ans. Shâh-Shoudjâ, lors de son avènement au trône, avait passé une sorte de traité avec les Khayberiens en vertu duquel, moyennant 60,000 roupies qui leur étaient alloués par an, ils répondaient du libre passage des hommes et des marchandises. C’était une sorte de prime d’assurance à laquelle Shâh-Soudjâ aura désormais le pouvoir de se soustraire, les Anglais, ses protecteurs, étant maîtres de la passe. On a vu, dans la première partie de ce travail, qu’une des divisions de l’expédition d’Afghanistan, composée d’un détachement de troupes du Bengale et d’un corps sikh, sous le commandement du colonel Wade, avait marché par la passe de Khayber, défendue par un fils de Dost-Mohammed, mais abandonnée par lui lors de la marche de sir J. Keane de Kandahar sur Kaboul. Un service de postes est aujourd’hui établi entre Calcutta et Kaboul, en passant par le Pandjâb et la passe de Khayber. Les monts Khaybers courent de l’est à l’ouest, vis-à-vis de la projection septentrionale du Hindou-Khou, dont le sommet le plus élevé paraît atteindre 6,000 mètres (le Kound d’Elphinstone, le pic Kouner de Burnes). Ces deux séries de montagnes forment un passage étroit que le fleuve de Kaboul perce près de Djellalabad, pour passer de son gradin supérieur de Kaboulistan sur le gradin inférieur de Peschaver, qui se lie au plat pays de l’Indus.

C’est cette même contrée montagneuse vers le haut Kound, contrée dans laquelle Alexandre-le-Grand pénétra par la vallée de Kouner, le long du fleuve Kaméh, qui porte le nom de Hindou-Khou ou Hindou-Kôh, strictement parlant. Le nom de Hindou-Koush, qui a de l’analogie avec le premier et qui souvent est confondu avec lui, ne se rapporte qu’aux passages plus occidentaux entre Bâmiân et le pays de Balkh. D’après Ibn-Batuta[4], qui franchit ces passes vers le milieu du XIVe siècle, l’étymologie de Hindou-Koush se déduit de la destruction causée par le froid parmi les Indiens qu’on traînait en esclavage dans la Bactriane, et qui trouvaient la mort dans ces montagnes. Hindou-Koush signifie, en effet, mot à mot, destructeur ou tueur des Hindous[5].

Toute cette contrée au nord du fleuve du Kaboul fut le théâtre de combats livrés par l’une des divisions de l’armée d’Alexandre. Elle est désignée aujourd’hui sous le nom de Kohéstân de Kaboul (Koh-é-stân, c’est-à-dire pays de montagnes), et ses hauteurs avancées, du côté du fleuve, sous le nom de Kohdamaun. L’ensemble de ces contrées, à partir de la rive gauche du fleuve de Kaboul, peut se diviser en trois régions : dans les basses plaines les plus chaudes se sont établis les Afghans proprement dits ; dans les vallées moyennes, les Youssouf-Zaïs, dont nous aurons occasion de parler bientôt ; les hautes vallées presque inaccessibles de la chaîne géante sont habitées par un peuple tout-à-fait distinct, les Kafers. Le Kaferistân, ou pays des Kafers (kafers, mécréans, infidèles, qui ne sont ni mahométans ni hindous), est d’une étendue indéterminée, mais qui comprend au moins tout le pays au nord du fleuve de Kaboul, depuis Tchitrâl jusqu’à Badakshan, Anderab et Balkh. Le Kaferistân offre un vaste champ aux explorations des voyageurs futurs ; c’est une vraie terra incognita dans sa partie orientale. Elphinstone, dans son excellent ouvrage sur le Kaboul et les pays voisins, a donné une notice très intéressante sur les Kafers ou Siapôsh[6]. C’est un fait très remarquable que non-seulement ces peuplades (visitées en 1810 par Moulla-Nadjib, et dont Elphinstone décrit les mœurs et les usages surtout d’après cet observateur musulman), mais en général toutes les tribus qui habitent au nord du Hindou-Koh et sur la rive droite de l’Indus jusque dans le petit Tibet, prétendent descendre des Macédoniens de l’armée d’Alexandre[7]. On peut espérer que M. Vigne, voyageur anglais qui a tout récemment exploré avec soin les pays au nord de l’Hindoustan, et dont on imprime en ce moment la relation à Londres, aura recueilli des renseignemens curieux sur cette intéressante question.

Au-dessous et à l’est du Kaferistân, le pays montagneux entre la rivière Londye et l’Indus (au nord d’Attock) est habité par la tribu des Youssouf-Zaïs, dont l’importance historique mérite une mention particulière. D’après les traditions et les histoires écrites que possède cette tribu, les Youssouf-Zaïs sont originaires du pays situé entre Hérat et le Beloutchistan, sur les confins du Dushté-Lout, ou grand désert salé ; et lorsqu’ils en furent expulsés vers la fin du XIIIe, ou au commencement du XIVe siècle, ils peuplèrent en partie la haute terrasse de Kaboul, et, de proche en proche, s’établirent, de gré ou de force, dans les districts voisins du bassin de l’Indus, et plus particulièrement dans celui que nous avons désigné, et d’où ils ont envoyé des colonies dans tout l’Hindoustan. Les Youssouf-Zaïs n’ont ni agriculture, ni industrie, ni commerce. Propriétaires par droit de conquête, ils vivent du travail des tribus qu’ils ont soumises, et si l’accroissement de la population rend les moyens de subsistance précaires, l’émigration est une ressource que leur audace aventureuse a su exploiter avec avantage depuis des siècles. Comparable en quelques points aux Lacédémoniens par son organisation intérieure, aux Normands par le caractère et le but de ses expéditions, ce peuple turbulent, connu à l’est de l’Indus sous le nom général de Patanes, a exercé, à diverses époques, une grande influence sur les affaires de l’Hindoustan. Les armées mogholes se sont toujours recrutées de ces émigrés. Les Hindous ont plus d’une fois plié devant eux. Une dynastie de leur souche a occupé le trône de Delhi pendant trois siècles, et sur les ruines de l’empire du Grand-Moghol, ils avaient élevé la république des Rohillas dans l’ancienne province de Kattaïr (au S.-E. de Hardwar), aujourd’hui le Rohilkond[8], d’où ils s’étaient rendus souvent redoutables aux Anglais eux-mêmes. Ce pays est aujourd’hui soumis entièrement à la domination anglaise, ainsi que les autres colonies afghanes de moindre importance qu’on trouve dans toute l’étendue de l’Hindoustan, telles que Furruckabad, Bopâl, Karnoul, Kadappa, etc. ; mais les Patanes sont toujours rangés, sinon parmi les meilleurs, au moins parmi les plus braves soldats de l’Hindoustan.

Revenons à l’Afghanistan, et en particulier à la haute terrasse de Kaboul. Le Hindou-Koush au nord, le Koh-é-Baba au sud-ouest, les monts Khayber avec le Sofaid-Koh (montagne blanche, à cause de ses neiges éternelles) au sud, l’Indus à l’est : telles sont les limites naturelles et bien définies de ce pays gradué qu’arrosent la rivière de Kaboul et ses affluens, dont un seul prend sa source dans le plateau de Ghizni. Liée à ce plateau et à celui de Kandahar, la haute terrasse de Kaboul, moins élevée que l’un et l’autre, est plus favorisée de la nature dans son aspect général comme dans ses productions. Le plateau de Ghizni est le plus haut et le plus froid.

Kaboul est situé tout près du Kohéstan, c’est-à-dire de la pente méridionale de l’Hindou-Koush. Vu de ce côté, c’est un pays de montagnes ; mais, vers le sud-ouest et le sud, le terrain prend la forme d’un plateau ondulé, sillonné par des séries de rochers, traversé par des plaines de sable et de grès, offrant par intervalles des portions de sol qui, sans être précisément stériles, sont cependant privées d’eau ; des steppes arides, des herbes sèches, des broussailles et des buissons épineux. Ni arbres ni arbrisseaux ; çà et là quelques cours d’eau qui fertilisent un vallon ; et dans les crevasses des rochers, de nombreux amandiers, végétation caractéristique de tout le plateau de l’Afghanistan. À peu de distance, la scène change comme par miracle. Autour de Kaboul même, et surtout au nord et à l’ouest de la ville, les champs cultivés, les prairies, les vergers arrosés par mille ruisseaux, les nombreux villages, tout contribue à animer le paysage, dont le cadre de montagnes qui l’entoure augmente encore la richesse et la grandeur. Dans la seule vallée d’Estalif, on compte plus de 6,000 vergers où mûrissent tous les fruits de l’Europe et de l’Asie.

La ville de Kaboul est située, d’après les observations les plus récentes, par 34° 24′ 5″ de L. N., et 69° 7′ 15″ de L. E., sur une plaine élevée de plus de 2,000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Sur cette haute plaine, la rivière de Kaboul n’a pas moins de 50 pieds de chute par mille anglais, et la pente vers l’est est si raide, qu’après une journée de marche à l’ouest, près de la source principale du fleuve, à Sir-Tchaschma, on s’est déjà élevé à la hauteur absolue de 2,620 mètres. La ville de Kaboul est très animée et très bruyante, quoiqu’elle ne compte que 60,000 habitans. De grands bazars où abonde tout ce qui est nécessaire à la vie, et ce qui peut flatter les goûts asiatiques, sont le rendez-vous de toutes les classes de la population, qui viennent s’y pourvoir d’étoffes, de soieries, de draps, de provisions de toute espèce offertes à bas prix, ou admirer les innombrables boutiques où sont étalés, jour et nuit, avec autant de profusion que d’élégance, les produits de l’industrie locale, ceux des manufactures européennes que les caravanes ont apportés de Russie ou de l’Inde anglaise, et les fruits délicieux que la vallée de Kaboul y envoie dès le mois de mai. Burnes donne une description très détaillée et très pittoresque de la ville de Kaboul, telle qu’elle était en 1832. Son aspect a changé sans doute depuis que le shâh a repris possession du Balahissar, où un ministre anglais réside à ses côtés, et que l’armée anglo-indienne a établi ses cantonnemens aux portes de la ville. Un élément nouveau et désormais le plus important de tous est entré dans cette population déjà si variée et si active. Les Européens peuvent, dès à présent, traverser l’Afghanistan dans toutes les directions, et avant peu ils auront formé dans les villes principales, surtout à Kaboul et à Kandahar, des établissemens durables, destinés à étendre et à vivifier le commerce, et à satisfaire aux nouveaux besoins que leur exemple aura créés parmi les populations indigènes.

Jusqu’ici le marché de Kaboul a reçu principalement de la Russie les approvisionnemens de denrées ou de produits industriels nécessaires à la consommation du peuple afghan. Les caravanes, parties d’Orembourg et passant par Khiva, lui fournissent, par la voie de Bokhara, principal entrepôt de ce commerce, des armes à feu, de la coutellerie, du cuivre en feuilles, des ustensiles en cuivre, des aiguilles, des miroirs, des verres de lunettes, des verreries, de la porcelaine, du papier, du thé de plusieurs espèces, dont une, dit-on, supérieure au thé qui nous vient de Canton ; des cuirs préparés, de la cochenille, du sulfate de cuivre, du fil d’or et d’argent, des draps, des indiennes, des velours, des satins, des toiles appelées nanka, et une infinité d’autres articles.

Tous les efforts du gouvernement anglais vont tendre désormais à exclure les Russes du marché de Kaboul et, par la suite, de celui de Bokhara. C’est là, selon nous, la seule lutte qui, d’ici à long-temps, puisse s’établir entre ces deux puissances. Nous reviendrons sur ce sujet important, quand nous traiterons des intérêts généraux des deux empires dans l’Asie centrale.

Sous le point de vue physique comme sous le point de vue politique, la position très remarquable de Kaboul dans le monde asiatique attire sur cette ville l’attention de tout l’Orient. Kaboul est le carrefour où se croisent les grandes routes de communication de la Perse et de l’Inde, de l’Irân et du Tourân, ou, en d’autres termes, du nord et du sud, de l’est et de l’ouest de l’Asie centrale. Sous le rapport du climat, Kaboul est aussi un point de transition d’une importance caractéristique, offrant une réunion singulière des influences diverses du ciel et de ses dons variés, en un mot le climat accidenté qui, dans les pays de terrasses, rapproche toujours les contrastes dans le moindre espace et le temps le plus court, mais aussi dans le style le plus grandiose. À Kaboul règne déjà en partie le climat sec de la Perse ; mais les derniers nuages de la mousson, suivant l’éternel rempart de l’Himalaya et de l’Indou-Kôh, arrivent encore jusqu’ici, et y déposent les pluies fertilisantes dont ils sont gonflés. La neige, inconnue aux plaines de l’Hindoustan, se montre dans le haut pays de Kaboul ; mais, en hiver, elle ne fait que couronner les hauteurs qui environnent de toutes parts sa délicieuse vallée. Au mois de mai, de nouvelles pluies viennent féconder le sol, et le printemps se montre, comme en Europe, avec son nouveau feuillage et ses boutons de fleurs. Il n’y a point ici de chaleurs étouffantes comme sur les bords du Gange ; mais l’air est pur et vif, les rayons du soleil pénètrent aisément l’atmosphère. L’été, comme l’hiver, arrive subitement et s’en va de même. Le changement des saisons est brusque, mais régulier. À une journée de marche de Kaboul, vous trouverez des endroits où il ne tombe jamais de neige, et en deux heures vous pouvez vous transporter dans des lieux où elle couvre le sol pendant presque toute l’année.

Tous les observateurs constatent que c’est ici que finit, pour ainsi dire, l’Asie orientale et que commence l’Asie occidentale avec ses tendances européennes. De ce point critique, regardez à l’est, et vous y voyez une race d’hommes recueillis en eux-mêmes, séparés par leur civilisation et leurs mœurs du reste du continent asiatique et du monde entier. À l’ouest, aux yeux de ces peuples spectateurs immobiles et impassibles du mouvement des autres peuples, commence l’Europe, même en Asie, tant est frappant le contraste que présentent ces deux moitiés d’une même masse terrestre[9].

Sous le point de vue historique, l’une de ces moitiés semble exercer une force attractive, l’autre une force répulsive, sur les races humaines, phénomène qu’aucune autre partie du monde ne présente avec le même caractère de grandeur. D’un côté, habitudes calmes et contemplatives, indifférence de ce qui se passe à l’extérieur, obstacles physiques, répugnance naturelle et empêchemens religieux à l’émigration ; de l’autre, agitation perpétuelle des hommes et des intérêts, besoin de changement, recherche d’un équilibre inconnu entre les besoins et le superflu : natures différentes en un mot, et non moins dans le sens physique que dans le sens moral.

Avant de nous occuper de l’ethnographie de l’Afghanistan, achevons l’esquisse de la constitution physique du pays, et jetons un coup d’œil sur les provinces qui en étaient autrefois des dépendances.

Les monts Soliman, décrits pour la première fois par Elphinstone, commencent au Sofaid-Kôh et suivent la direction du sud jusque vers 29° L. N., où ils tournent en s’abaissant vers le plateau de Kélat et se joignent aux monts Brahoé, qui forment le bord oriental de ce plateau, et que H. Pottinger a nommés ainsi d’après les peuples qui les habitent[10]. Sur le dos du haut et froid plateau de Kélat est située la ville de même nom (à 2,600 mètres de hauteur absolue au-dessus du niveau de la mer), capitale ou au moins ville principale du Béloutchistan. Toute la contrée à l’ouest des chaînes Soliman et Brahoé forme, depuis Kaboul jusqu’à la côte de Mékran (l’ancienne Gédrosia), un haut pays non interrompu de plateaux et de montagnes, qui a pour rempart au nord l’Hindou-Koush, la triple chaîne Soliman pour boulevart frontière vers l’Indus, et le plateau du Béloutchistan pour limite au sud. Au nord-ouest, sur le prolongement de l’Hindou-Koush, s’étend le Paropamise, pays des Hazarehs, semblable par son isolement à une forteresse de montagnes inaccessibles, entre le Kaboul, le Kandahar, Balkh et le Khorassan. À l’ouest, enfin, s’étend jusque vers le lac Zarah et le Seistân un pays montueux, de forme quadrangulaire, dont les déserts sablonneux et salins de la Perse centrale forment la limite. Telles sont les frontières naturelles du vaste plateau de l’Afghanistan ; quant aux frontières politiques, elles n’ont jamais été nettement déterminées à aucune époque dans un pays où aucune domination n’a réussi à former d’unité monarchique de quelque durée.

Les passes par lesquelles on pénètre de la vallée de l’Indus dans le haut pays, sont assez nombreuses ; les principales, sous le point de vue commercial, sont celles qui se trouvent sur la route conduisant du Moultân au bassin de la rivière Gomul, et de là à Ghizni, et celles qui mènent plus haut, par les pays de Bannou et Bungush, directement à Kaboul. La première route, qui passe par Dérabund, n’est suivie que par les Lohanies, tribu guerrière, pastorale et commerçante à la fois, qui, depuis long-temps, est en possession presque exclusive du commerce de l’Hindoustan avec Kaboul et le nord de l’Afghanistan par le Moultân. La seconde route, beaucoup plus courte et bien plus praticable, et qui était autrefois la grande route entre Kaboul et Moultân, avait été abandonnée par suite des troubles du pays ; mais il est probable qu’elle va être rétablie. Au sud de ces deux routes que nous ne faisons qu’indiquer, les plus importantes sont celles dont Mittun-Kote, au continent de l’Indus et du Pandjund, et Shikarpour, près de Bâkker, sont les points de départ à l’ouest de l’Indus. La seconde de ces routes mène à Bâgh, Dâder, et de là à Quetta, par la passe Bolan, et enfin de Quetta à Kandahar ; c’est la route suivie par l’expédition anglaise, mais elle est peu fréquentée, surtout pendant l’été ; on lui préfère une autre route qui, de Shikarpour, mène, par la passe de Gandava, à Kélat et Moustoung, et rejoint ensuite la route royale de Kandahar.

Lié par le plateau de Kélat à l’Afghanistan, le Béloutchistan est une vaste contrée soumise à divers chefs, et dont les limites politiques ont varié comme celles de l’Afghanistan. Le principal chef, le khan de Kélat, reconnaissait la suzeraineté du roi de Kaboul, auquel il payait tribut et fournissait un contingent de huit mille hommes, sous la condition toutefois que ces troupes ne fussent pas employées dans les guerres civiles. Du temps d’Ahmed-Shâh, le prince béloutchi Nassêr-Khan était maître de tout le pays, et le shâh lui avait abandonné en outre la province de Shâl, et deux autres districts près de Dera-Ghazi-Khan, en récompense de ses services. La ville de Kélat porte encore, d’après ce chef, le nom de Kélat-é-Nassêr. Dans ces derniers temps, les possessions du khan de Kélat ont été réduites par la rébellion ; cependant, lorsque l’expédition anglaise traversait le Balan, l’autorité du khan s’étendait jusqu’à Dâder et sur les districts voisins. Le gouvernement anglais avait cru s’être assuré, sinon la coopération active de ce prince, au moins sa neutralité ; mais loin de tenir les engagemens qu’il avait contractés à cet égard, Mehrab-Khan (c’est le nom de ce prince) avait cherché tous les moyens de nuire à la marche de l’armée et au succès de l’expédition. Nous avions fait pressentir que la perfidie de Mehrab-Khan ne resterait pas impunie[11] ; les dernières nouvelles de l’Inde ont confirmé ces prévisions. Une marche rapide a conduit, le 13 novembre dernier, sous les murs de Kélat, une brigade de l’armée anglaise composée d’environ 1500 hommes, la plupart Européens, avec six pièces d’artillerie, et le fort a été enlevé en une heure, après un assaut plus brillant encore et plus meurtrier, en proportion, que celui de Ghizni. Tous les chefs béloutchis, Mehrab-Khan à leur tête, ont fait une résistance désespérée. Dans cette circonstance, comme à Ghizni, la lutte a été acharnée, corps à corps, mais de courte durée, et par une cause qu’il est intéressant de signaler. Le sabre n’a pu lutter long-temps contre la baïonnette. La supériorité de cette arme terrible, dans deux combats où la force physique et le courage paraissaient si bien balancés, a été établie d’une manière incontestable. Mehrab-Khan est mort, comme il l’avait dit, le sabre à la main, à la porte de son zenana. Le gouvernement anglais a remplacé ce chef par un khan de son choix, mais on ne sait rien encore sur l’organisation politique qu’il aura pu convenir à ce gouvernement de donner au Béloutchistan ; toutefois, il nous paraît probable qu’une partie au moins de ces provinces rentrera sous l’autorité de Shâh-Shoudja.

Dans l’esquisse historique que nous avons tracée des évènemens qui ont amené l’expédition d’Afghanistan, nous nous sommes arrêté plus particulièrement sur les circonstances qui témoignaient de l’importance politique d’une des provinces, anciennes dépendances du royaume de Kaboul, la principauté d’Hérat : nous n’en reparlerons ici que pour rappeler à nos lecteurs qu’aux termes de la déclaration de lord Auckland, Hérat doit demeurer indépendante à l’avenir, sous la garantie de l’Angleterre. Les correspondances de l’Inde avaient fait supposer que les vues de l’Angleterre à cet égard auraient pu se trouver contrariées par l’étrange résolution qu’aurait prise Shâh-Kamrân de se placer tout à coup sous la protection suzeraine de la Perse, qu’il avait repoussée naguère par de si sanglans efforts ; mais le ministère anglais, interpellé tout dernièrement à ce sujet, a déclaré qu’il n’avait été reçu aucun avis officiel qui pût donner lieu de penser que l’exécution des mesures politiques adoptées par le gouvernement dans cette partie de l’Orient éprouvât des obstacles sérieux.

Balk et Bokhara étaient aussi autrefois des dépendances de la monarchie douranie. De l’attitude que prendront les chefs de ces contrées dans lesquelles Dost-Mohammet-Khan a été chercher un asile, et de la nature des relations qui s’établiront entre ces chefs et le shâh d’Hérat, dépend en grande partie l’affermissement de Shâh-Shoudja sur le trône de Kaboul. Nous examinerons plus tard quelles sont, sous ce point de vue, les probabilités de l’avenir ; nous ajouterons seulement que les derniers avis reçus par la voie de Saint-Pétersbourg, doivent faire regarder comme très probable l’entrée du corps d’armée russe commandé par le général Perowski, à Khiva, dans les derniers jours de janvier, et que cette circonstance aura, selon toute apparence, donné lieu à des intrigues dont Hérat et Bokhara seront les principaux foyers. Sir William Macnaghten et Shâh-Shoudja devront déjouer ces intrigues avant de pouvoir accomplir la rude tâche que leur impose la réorganisation politique de l’Afghanistan.

Sept ou huit fleuves serpentent sur le plateau de l’Afghanistan de l’est à l’ouest : aucun de ces fleuves n’arrive à la mer ; leurs eaux sont détournées et épuisées par de nombreux canaux pour les besoins de l’irrigation. Le plus considérable de ces fleuves est l’Hirmend ou Helmund (l’Etymander des anciens), qui prend sa source dans le Paropamise et se jette dans le lac de Zarah après un cours d’environ 400 milles ; il est navigable, ainsi que plusieurs des autres cours d’eau du plateau, mais seulement dans certaines limites.

Le bassin de l’Helmund est le lien qui unit l’Irân, le Tourân et l’Hindoustân. Les caravanes trouvent dans cette région seule un point d’appui solide, pour ainsi dire, et des communications assurées, des routes et les provisions nécessaires aux voyageurs. Cette circonstance a exercé une influence décisive sur les relations historiques et ethnographiques de l’Afghanistan. C’est à travers ce pays qu’en 1738 le shah Nader, comme jadis Alexandre-le-Grand, marcha à la conquête de l’Inde. Bien avant cette époque, c’est-à-dire en l’an 1000 après J.–C., le sultan Mahmoud s’appuya sur Ghazna dans sa marche à la fois politique et religieuse. Timour, le conquérant de l’Asie supérieure, fut obligé de se rendre maître de Kaboul (1398) pour pouvoir pénétrer jusqu’au Gange. Le sultan Baber, fondateur de l’empire moghol (1520), se montrait partout comme le souverain de Kaboul.

Les Afghans constituent ici depuis des siècles un état intermédiaire entre l’Inde et la Perse. Occupant le pays des passages, ils furent long-temps redoutables aux rois d’Ispahan et de Delhi. Leurs migrations se répandaient dans tous les pays voisins. Plus tard, quand l’Afghanistan devint royaume indépendant, il s’étendait depuis la mer jusqu’à Kashmir et Balkh, et depuis l’Indus jusqu’au Kerman. Un mouvement immense et continu de différens produits, marchandises, peuples, tribus, et au milieu des circonstances les plus variées, donna à ce pays et au peuple qui l’habite un caractère tout particulier. L’agglomération des étrangers et la division des indigènes en oulousses (tribus) et en khails eurent ici pour résultat l’étrange spectacle d’un chaos de peuples se mouvant, s’en allant, se colonisant, contrastant par leur mobilité, de la manière la plus frappante, avec les peuples de l’Hindoustan.

Les bords de l’Indus, depuis un temps immémorial, sont unis à la ville de Kaboul par six voies de communication, dont une seule, celle qui passe par les monts Khayber, fut rendue praticable pour tous les moyens de transport sous le règne de l’empereur Akbar. Sept passages conduisent de Kaboul à Tourân ; mais à l’ouest il n’y a qu’une route par Ghazna, Kandahar et Hérat en Perse ; c’est la route royale, remplie aujourd’hui encore de caravanes, et concentrant tout le commerce, malgré le redoutable voisinage des Béloutchis, qui la bordent de deux côtés.

Nous avons déjà fait observer, au début de ce travail, que Kaboul et Kandahar sont, en effet, appelées les portes de l’Inde. Chaque jour encore le Turc, l’Arabe, le Moghol, le Persan, l’Indien, l’Ouzbeg, etc., viennent frapper à ces portes, près desquelles, depuis hier seulement, l’Angleterre fait sentinelle, et que sa main puissante ouvrira seule désormais au commerce de l’Asie. C’est sur cette langue de terre, c’est dans ce pays de montagnes et de pâturages, pays rempli de chevaux et de chameaux, qu’en 1747, Ahmed-Shâh fonda l’empire que les Anglais relèvent en ce moment à leur profit. Mais bien avant cette époque, Kandahar formait à lui seul un point central très important[12].

Le peu de villes principales de l’immense plateau de l’Afghanistan, villes où se concentrent la civilisation, la politique et le commerce du monde asiatique, se trouvent situées non sur la même ligne comme le dit Ritter, mais sur un grand segment de cercle, et à peu de distance l’une de l’autre. Ce sont Kaboul, Ghazna, Kandahar, Hérat, toutes bordant la route royale, qui a quatre-vingt-cinq m. géo. (418 m. ang.) de long. Zeman-Shâh quand il régnait à Kaboul, mit onze jours à faire ce chemin. Le voyage ordinaire de caravane dure de trente à quarante jours. On trouve le long de cette route beaucoup de stations commodes, mais peu d’habitations. Chacune des villes que nous venons de nommer a son territoire bien cultivé. Elles doivent en grande partie leur importance aux souverains qui ont successivement régné sur ce plateau. La plus glorieuse de ces dynasties, la dynastie des Ghaznavides (976 à 1184) fut fondée par Mahmoud, qui, en mourant, laissa pour limites à son empire les frontières extrêmes de la Géorgie et de Bagdad, l’Océan indien, l’Hindoustan de Goudjrât au Gange, Kaschgar et Bokhara. Les Afghans formaient la meilleure partie de son armée, et ce furent encore les Afghans de Ghour et du Paropamise, qui secouèrent les premiers le joug de cette dynastie, et en chassèrent de chez eux les derniers rejetons. Le nouveau royaume des Afghans se releva avec la famille des Douranies (1747). Du temps de l’ambassade d’Elphinstone (1809), ce royaume comprenait dix-huit provinces. C’est vers 1774 que la résidence royale, qui avait été à Kandahar, fut transportée à Kaboul, et c’est une faute que les politiques du pays reprochent à Timour-Shâh. Nous avons vu que Shâh-Shoudja a eu soin de prendre possession solennelle de sa couronne à Kandahar. Cependant il paraîtrait porté à fixer sa résidence habituelle à Kaboul. Peut-être changera-t-il de résidence selon les saisons. D’après les derniers avis, il se préparait à se rendre avec le ministre anglais et toute sa cour à Djellalabad, sur la route de Peshaver, autrefois sa capitale favorite, mais maintenant au pouvoir des Sikhs. Shâh-Shoudja regrettera plus d’une fois Peshaver et le Cachemir ; il ne faudrait même pas s’étonner que ces regrets prissent plus tard un caractère politique. Kaboul et Peshaver sont pour le Tourân et l’Inde ce que Hérat et Kandahar continuent à être pour tout l’ouest et le sud, c’est-à-dire de grands entrepôts de commerce. Les relations auxquelles ce commerce donne lieu s’étendent de ces quatre villes à travers toute l’Asie. Cependant elles ont beaucoup souffert des troubles politiques de la Perse et de l’Hindoustan. Anciennement, du temps du shah Abbas-le-Grand (pendant le séjour de Chardin à Ispahan, 1674), on a vu sur la route royale des caravanes de deux mille hommes, portant pour une valeur de plus de treize millions et demi de livres.

Le recensement ou plutôt l’énumération que fit le sultan Baber des peuples habitant l’Afghanistan, ne saurait plus être admis maintenant. Plusieurs races kafers ont disparu ou se sont confondues avec les races mogholes et afghanes. D’autres, et surtout les tribus afghanes, se sont dispersées et établies par groupes dans les différens recoins des montagnes ; d’autres encore, comme les Arméniens et les Hindous, ont émigré et ont donné naissance à des colonies considérables telles que Guèbres, Patanes, Rohillas. Ce peu de mots doit faire comprendre combien il serait difficile de donner une notice historique exacte sur chacun de ces peuples. Cependant nous pouvons, avec beaucoup de probabilité, les ranger tous dans deux grandes catégories, savoir, celle des peuplades autochtones, et celle des peuplades immigrées.

Sous le nom de Thâl, Tadjik, Tadschik, Tadschek, il faut comprendre toute cette réunion de peuplades agricoles qui occupe le pays supérieur de l’Irân, n’appartenant à aucune des races nouvellement dominantes, et n’ayant d’autre unité que celle de la même dégradation et du même avilissement. L’origine du mot Tadjik[13] est persane ; les Tartares donnent ce nom à la Perse entière, et dans la langue moghole il signifie le paysan. Quand a-t-il été imposé à cette partie de la population de l’Afghanistan ? c’est ce qui n’est pas facile à préciser. Ritter a prouvé, en s’appuyant sur les annales chinoises, que, par ce mot de Tadjik, on désigne dans toute l’Asie centrale un homme parlant le persan. Du temps de Timour, on appelait ainsi tous les habitans de l’Irân qui n’étaient ni Arabes ni Moghols. Ce nom était déjà alors un signe de mépris et correspondait au fellah des Turcs dans l’Égypte. Malcolm les regarde avec vraisemblance comme un restant de l’ancienne population autochtone, qui survécut à toutes les guerres, révolutions et secousses désastreuses de l’Irân. Les Tadjiks s’étendent par toute la Perse, tout le Béloutchistan, tout l’Afghanistan, jusqu’à la Boukharie. Ils parlent dans tous ces pays un des dialectes du vieux persan, mélangé de néo-persan, de poushtou et de tourkoman, et forment une classe de serviteurs, des glebœ adscripti, des colons vivant sous la domination tyrannique de leurs maîtres.

En jetant un coup d’œil sur toute l’Asie supérieure de l’ouest, depuis les monts Hindou-Koush jusqu’au Taurus, on aperçoit un contraste très constant et très prononcé entre les peuples nomades et les peuples agricoles. Les rapports de l’une de ces deux classes à l’autre ressemblent à ceux qui existent ordinairement entre les seigneurs et les serfs, entre la noblesse et le peuple. L’origine de cette division remonte, si l’on peut croire les témoignages de quelques officiers d’Alexandre-le-Grand, jusqu’au temps de l’expédition de ce conquérant en Asie. Les Afghans et les Tadjiks sont l’expression la plus frappante qui existe encore de cette division.

Les Tadjiks se trouvent aussi dans le Turkestan chinois ; ils y sont établis comme dans le Turkestan tartare, dans le pays d’Usbeks et dans toute la Perse. Leur sort diffère cependant dans chacun de ces pays. Dans le plateau d’Irân, où ils furent conquis par les khalifes avec le premier débordement de l’islamisme, ils restèrent serfs tant que dura la domination arabe ; mais dès que celle-ci s’écroula, ils se mêlèrent avec leurs dominateurs, et en prirent, jusqu’à un certain point, les mœurs, la langue et la civilisation. Tel fut le sort de la population primitive de la Boukharie. L’Afghanistan, au contraire, conserva son indépendance plus long-temps. Il résista aux Arabes pendant près de trois siècles, et ne fut influencé par le contact de cette race qu’en passant sous la domination de la Perse. C’est alors que naquit dans ce pays, du mélange de la population arabe et persane avec la population indigène, la classe des Tadjiks, classe des travailleurs aux yeux de toutes les hordes nomades qui traversèrent ce pays, mais classe profondément différente de celle des anciens cultivateurs de l’Afghanistan, qui, à l’approche de l’ennemi, se sont retirés dans les montagnes, emportant avec eux leur vieille liberté.

La noblesse de l’Afghanistan n’est pas prétentieuse ; elle admet dans son sein les hommes les plus incultes, pourvu qu’ils soient d’origine libre. Aussi cette classe y devint facilement très nombreuse, par l’incorporation de différentes hordes nomades tout entières. Mais à mesure qu’elle croissait, la classe des Tadjiks devenait de plus en plus asservie. La majeure partie des hommes de cette classe se recommande par des mœurs douces, paisibles et industrieuses. Ils sont généralement plus policés, plus entreprenans et plus intelligens que leurs maîtres, pour lesquels ils sont obligés de travailler, et auxquels ils livrent souvent la moitié de leurs revenus. Dans les villes, ils sont attachés à différentes branches d’industrie manuelle, et se louent tant par an. Leur religion est celle des Sounnis ou Sunnites. Dans le Sistan (Sedjestan) et le Béloutchistan, ils forment la majeure partie de la population. Ailleurs, ils sont semés çà et là par groupes et présentent ainsi le triste spectacle d’un peuple dispersé par tous les vents des révolutions.

Parmi les races d’origine étrangère qui ont colonisé l’Afghanistan, et dont la plus ancienne, celle des Tadjiks, n’est encore qu’un jeune peuple métis, il faut distinguer les Kazzelbashis (appelés Qizalbash par Mohun-Lall ; Kuzzilbaushes par Elphinstone), tribu tourkomane, qui du temps de la domination des dynasties tourkomanes parvint en Perse à un haut degré de puissance, et qui, à la suite de Nader-Shâh et d’Ahmed-Shâh, s’est établie, au nombre de plusieurs milliers de familles, principalement à Kaboul et dans les autres grandes villes de l’Afghanistan. Les Kazzelbash, race intelligente et vaniteuse, à la fois insolente et servile, passionnée pour la gloire et les plaisirs, aimables compagnons, mais dangereux amis, sont à Kaboul en possession de presque tous les postes de confiance dans les grandes familles et même à la cour, et exercent par leur nombre, leur union, les qualités redoutables de leur esprit et leur audace, une assez grande influence sur le gouvernement et le peuple dont ils sont cependant haïs à cause de la différence des religions, les Kazzelbash étant de zélés Shiahs, tandis que la masse des populations appartient à la secte des Sounnis. Les Kazzelbash ont vu, avec une extrême jalousie, que les Anglais eussent pris une part si active et si glorieuse au rétablissement de l’autorité de Shâh-Shoudja. Depuis l’arrivée de l’armée anglaise à Kaboul, ils n’ont cessé de témoigner, par l’insolence provoquante de leur langage et de leur conduite, de la haine que leur inspiraient ces étrangers et du mépris qu’ils affectent pour les troupes indiennes, ces cypahis dont la froide bravoure, la persévérance intrépide et la discipline forment cependant un contraste si frappant avec la folle jactance, les habitudes corrompues et l’insubordination orgueilleuse de ces fils dégénérés des compagnons d’armes de Nader Shâh. À entendre les Kazzelbash, l’armée anglo-indienne n’a dû son salut qu’à leur modération. « Si ce n’était pour ces hommes blancs, disent-ils, nous aurions bon marché de ce ramas d’Hindoustanis. » Une affaire un peu sérieuse aux portes de Kaboul aurait rabaissé la morgue de ces « bonnets rouges[14], » et leur aurait appris que le cypahi leur est aussi supérieur en vrai courage et en mérite militaire qu’en conduite et en valeur morale. Les Kazzelbash sont de beaux hommes, bien montés, bien armés, prompts à s’offenser comme à offenser les étrangers, surtout les Européens qu’ils ont en aversion : avec de semblables dispositions, il paraît bien difficile que le séjour des troupes anglaises à Kaboul puisse se prolonger beaucoup sans amener quelque collision sanglante entre eux et les Kazzelbash.

Outre ces étrangers, il y a encore dans les plaines du haut pays afghan plusieurs débris des innombrables hordes de conquérans qui les ont traversées. Dans cette catégorie, les Hazarehs tiennent, par leur nombre, la première place ; viennent ensuite les descendans des Moghols, des Tartares, des Kalmouks, des Kourds, des Lesguis et d’autres peuples du Caucase. On rencontre aussi plusieurs Abyssiniens ; le roi de Kaboul en avait autrefois plusieurs à son service comme gardes du corps. Quelques hommes sortis de cette caste ont joué dans l’Irân un rôle remarquable. Le nombre des Juifs établis dans l’Afghanistan n’est pas considérable ; la plupart d’entre eux se tiennent dans le Kaboul et s’occupent du commerce de la Haute-Asie jusqu’à la Chine.

Ainsi une multitude de peuplades d’origines différentes vivent maintenant côte à côte dans l’Afghanistan, et y ont conservé jusqu’à un certain point leurs habitudes et leurs mœurs ; mais rarement admises dans le sein des populations indigènes de manière à s’y fondre, et ne pouvant pas conserver leur individualité comme peuple, elles ont en général passé comme serfs sous le joug des plus forts.

Il n’y a qu’un siècle et demi que les Afghans sont désignés dans l’histoire sous ce nom d’Afghans comme peuple dominateur. Il est fait mention d’eux par Tavernier et par Chardin sous les noms d’Aghuans, d’Aguaes et Augans, et Tavernier les désigne de la manière la plus significative par ces mots : « peuples appelés Augans, qui habitent depuis Candahar jusqu’à Kaboul, vers les montagnes de Balch, et qui sont gens forts et voleurs de nuit. » Elphinstone, qui les a étudiés dans le pays, en parle comme d’un peuple auquel la nature a donné un caractère très marqué au physique comme au moral. Il nous représente les Afghans comme des hommes forts, osseux, bien faits, ayant les yeux vifs, le visage long, le nez aquilin et une chevelure noire ou brune, rarement rousse : leurs manières sont simples et prévenantes ; leur caractère franc, valeureux, sans dureté bien que sans culture ; ils portent des barbes longues, ce qui leur donne un air grave, bien que naturellement ils soient vifs, agiles, adroits, presque coquets dans leurs mouvemens et enfans dans leurs jeux[15] ; leur parole est facile et coulante, leur mémoire active et fidèle (surtout en ce qui concerne la généalogie et l’histoire de leurs tribus) ; leur ignorance est moins grande que ne l’est leur modestie et leur désir de s’instruire. Ils sont regardés comme des barbares par les Persans, mais c’est parce qu’ils sont plus véridiques que ces derniers et qu’ils ont des inclinations moins vicieuses.

On remarque d’assez grandes différences entre les Afghans orientaux et les Afghans occidentaux : les premiers sont bruns comme les Hindous, les seconds plus olivâtres ; chez les uns et chez les autres, on rencontre des figures noires comme celles des habitans du Dekkan, au milieu de visages au teint clair et animé comme ceux des peuples du Caucase ; mais cette complexion européenne se montre bien plus souvent chez les Afghans orientaux. Les Afghans occidentaux sont plus grossièrement organisés que ceux du côté de Kaboul ; ils sont plus lourds, plus mous que ces derniers. Les uns tenant à la Perse, les autres à l’Inde, ils forment par leur ensemble une sorte de peuple hindo-persan. Bien qu’également indépendans à l’égard de l’un et de l’autre pays, ils préfèrent les vêtemens, le langage et les habitudes persanes, à tout ce qui pourrait leur venir de l’Inde. Cependant c’est un peuple différant essentiellement des hindous, des Persans et des Tartares, et qui, converti l’un des premiers à l’islamisme, a su néanmoins résister courageusement à tous les conquérans de l’Irân. Mohammed, Tchingiskhan, Timour, Abbâs, Nader-Schâh, ont tous trouvé les Afghans indomptables ou prêts à se révolter.

La race afghane forme trois groupes principaux : les Béloutchis, les Ghildjies et les Douranies ; ces trois groupes se distinguent par la bravoure militaire et les habitudes de pillage. Celui des Douranies a des dispositions très démocratiques, et cependant les hommes faisant partie de ce groupe sont presque tous établis dans les villes, tandis que ceux des deux autres mènent la vie de pasteurs. L’organisation des tribus de ce singulier peuple est pour ainsi dire toute généalogique et peut se résumer dans la formule qui suit : Chaque famille est sous le gouvernement absolu de son chef.

Dix ou douze familles sont présidées par un ancien, spin-zhéra (mot à mot, barbe blanche), ancêtre commun de ces familles ou son représentant.

Dix ou douze spin-zhéras reconnaissent l’autorité d’un canndidâr, représentant l’aîné de toutes ces familles.

Un certain nombre de ceux-ci composent une subdivision à laquelle préside un mallik ou moushir, qui à son tour doit représenter l’ancêtre commun.

Plusieurs subdivisions forment une division régie d’après le même principe ancestorial.

Enfin plusieurs divisions composent le khail, et plusieurs khails forment les grandes familles ou tribus, telles que les Barakzaïs, les Saddozaïs, Ismaëlzaïs, etc.[16].

Chaque groupe de khails ou chaque khail indépendant, ou même chaque division qui a pour chef un khan, est désigné par le mot oulouss.

Ce qui distingue particulièrement les Afghans, c’est l’amour extrême de la liberté et de l’indépendance. Ce sentiment a donné à leur caractère un fonds immense d’originalité. Leur système militaire, leur cavalerie, leur législation et leur gouvernement, tout est frappé, dit Elphinstone, d’un sceau qui leur est particulier. Ils obéissent aveuglément à leur chef, mais c’est que, dans ces chefs, ils voient la personnification de la force et de l’éclat de leurs tribus ; c’est que, dans leur grandeur et leur influence, chaque Afghan voit la splendeur de sa propre famille. Ils les accompagnent à la guerre avec la soumission aveugle, et le tendre dévouement d’un enfant pour son père. En général ce gouvernement est aussi étranger à l’égoïsme qu’il se complaît dans une discipline militaire dure et inexorable. Les Afghans parlent avec enthousiasme de la liberté de leurs institutions : ils sont toujours prêts à maintenir que tous les Afghans sont égaux, ce qui, bien que l’histoire du passé et celle du présent donnent un démenti formel à cette prétention, montre au moins leurs dispositions naturelles et la tendance constante de leurs idées. Elphinstone s’efforçait un jour de convaincre un vieillard d’une de leurs tribus, homme très intelligent, de la supériorité et des avantages de la vie civilisée dans nos grandes monarchies, comparée aux tumultes, aux alarmes et aux discordes sanglantes, résultat inévitable de leur système de gouvernement. Le vieillard, répondant avec une chaleureuse indignation à ces argumens, conclut en ces mots : « Nous aimons la discorde, nous aimons les alarmes, nous aimons le sang ; mais nous n’aimerons jamais un maître ! » Avec de pareils sentimens, le gouvernement monarchique est en effet difficile, et il est aisé de prévoir que pendant un long temps encore la présence d’une armée anglaise pourra seule contenir l’esprit turbulent et inquiet et les vagues désirs d’indépendance de ces populations, qui n’ont jamais montré d’unité nationale que pour envahir eux-mêmes ou repousser l’invasion.

Les Afghans, tout en aimant la guerre, la rapine et le pillage, prétendent qu’il n’y a de force que dans la justice ; mais ils sont justes à leur manière : l’hospitalité est encore une de leurs vertus, seulement cette hospitalité ne dépasse pas les limites du village ou du territoire ; au-delà de ces limites, le droit de pillage reparaît dans toute sa force, et ne respecte personne ; les amis comme les ennemis subissent la loi commune. Telles sont principalement les mœurs des habitans des monts Soliman et du Béloutchistan.

Les Afghans primitifs résidaient, selon toute apparence, dans le Paropamise, entre l’Inde, la Perse et la Bactriane. Les données que nous fournit l’histoire, et qui remontent au temps d’Alexandre, prouvent que, déjà à cette époque, il y avait une différence profonde entre les habitans de l’Afghanistan actuel et les populations de l’Hindoustan. Les premiers sont actifs, agiles, entreprenans et énergiques ; les seconds, doux, indolens, plongés dans une extase et une contemplation habituelle. Cette différence de caractère et de mœurs frappa les Anglais. Ils aimaient à retrouver dans l’habitant de l’Afghanistan un homme de la trempe européenne. C’est de ce point de vue que les Afghans furent étudiés et représentés par Elphinstone. D’autres écrivains sont allés plus loin, cherchant à donner un tableau exact de l’état actuel de ce peuple remarquable, en même temps qu’à pénétrer jusqu’à son origine, pour en faire ressortir tous les points d’affinité avec la race germanique, la race irannienne, et celle des peuples occupant l’Asie centrale. Parmi ces écrivains, nous citerons surtout Fr. Wilken, dont la dissertation, portant ce titre : De l’Origine et du Gouvernement des Afghans, a trouvé un excellent accueil au sein de l’Académie des sciences de Berlin, où elle avait été lue en séance publique.

Le point de départ de Wilken est diamétralement opposé à celui de ses prédécesseurs. À commencer par les écrivains persans et arabes, tels que Neamet-Oulla, Ebn-Batuta, tous les autres, et particulièrement Ferishta, J. Potocki, A. Burnes, etc., etc., mêlant plus ou moins de fables à leurs récits, se plurent à déduire l’origine des Afghans de la race juive habitant primitivement les monts Caucase. Wilken protesta contre cette hypothèse ou cette assertion, au nom de données historiques et ethnographiques aussi curieuses qu’incontestables, que nous résumerons ici.

De tous les peuples conquis par les musulmans, les Afghans ont été les plus fidèles gardiens de leur nationalité. Leur organisation sociale a résisté à toutes les tentatives faites par leurs rois pour y établir un gouvernement despotique. Elle ressemble sous plus d’un rapport à celle des anciens Persans et à celle des anciens Germains.

Les Afghans se divisent, comme autrefois les Persans, en deux grandes classes : 1o colons établis, 2o pasteurs. Ces derniers changent de place périodiquement, à de certaines saisons de l’année. D’après leurs mœurs, ils se divisent encore en Afghans orientaux et en Afghans occidentaux. Les tribus les plus renommées et exerçant une espèce d’autorité sur les autres tribus sont celles des Ghildjies (Gildschi) et celle des Douranies. Ces divisions n’en font pas des peuples aussi différens les uns des autres que l’avaient été jadis dans la race germanique les Francs et les Saxons. Les Afghans déduisent leur origine de Kais-Abdulraschid et de ses quatre fils. Ce Kais fut, suivant la légende, le premier de son peuple qui, du temps de Chaled, accepta l’islamisme. Ce mythe n’a probablement d’autre but que d’indiquer l’origine de la noblesse afghane.

Le roi des Afghans est le chef de l’état ; il a un pouvoir suprême dans toutes les affaires concernant le peuple entier, mais il n’administre que le domaine de sa propre tribu, et ne se mêle des choses touchant les autres tribus que lorsqu’elles le lui demandent elles-mêmes. Cependant elles sont toutes obligées à lui fournir des troupes et à payer un impôt. Nous avons vu quelle est l’organisation intérieure de la tribu ; la moins importante compte rarement plus de dix familles.

De même que les tribus se forment des familles, de même le peuple n’est qu’un assemblage de tribus. Les liens qui unissent entre elles toutes ces parties sont les mêmes que ceux qui unissaient jadis les demen et les phylen des Grecs, ou les pagi et les vici des Germains, et dont les traces se sont conservées jusqu’à présent parmi quelques peuplades des Slaves méridionaux.

L’union du droit de succession aux dignités vacantes, au droit d’élection des chefs de famille, repose sur les mêmes bases que chez les anciens Francs. Dès qu’un khan ou un supérieur quelconque meurt, l’élection a lieu. Ordinairement c’est le puîné de la famille qui est choisi. Cependant c’est une règle qui n’est pas obligatoire. Le roi n’a que le droit d’approbation. Quelques tribus lui accordent celui de nomination, dont il n’est libre de se servir qu’en faveur des membres de la famille possédant telle ou telle dignité par droit d’hérédité. Ce système de succession politique expose les Afghans, comme c’était jadis chez les Germains, à des guerres intestines. Ils prennent, suivant l’usage adopté par ces derniers, leurs reges ex nobilitate et leurs duces ex virtute. Leur khan est, comme autrefois le roi des Germains, le chef de la tribu pendant la paix. Il résigne son pouvoir pendant la guerre entre les mains d’un commandant général ou dictateur. Après la guerre, les khans redeviennent ce qu’ils avaient été avant. L’administration intérieure de chaque tribu afghane se trouve encore tracée par Tacite : De minoribus rebus principes consultant, de majoribus omnes[17]. Les khans, les malliks et les moushirs ne peuvent donc rien décider dans les circonstances graves sans prendre l’avis préalable des chefs de familles et de la masse de leurs subordonnés. Les assemblées des chefs de famille, ou les djirgas, sont convoquées par un spihn zerah (barbe blanche), et ne contiennent que les chefs de famille. Les djirgas (assemblées) d’oulousses, se composent de tous les spihn zerahs. Les djirgas des malliks n’admettent que leurs subordonnés, les moushirs, et les djirgas des khans ne sont composées que de malliks. Dans toute affaire concernant la tribu entière, et devant être réglée par la décision de tous les chefs de famille, on prend les voix de la manière suivante : les spihn zerahs interrogent les chefs de familles qui leur sont subordonnés. Ils se rendent ensuite à l’assemblée des moushirs. Les moushirs forment le conseil privé des malliks, qui sont le dernier et le seul organe par lequel le khan apprenne la volonté de sa tribu. Les affaires courantes ne passent pas à travers cette filiation des assemblées populaires, et sont décidées ou réglées par le khan lui-même ou par ses subordonnés. En examinant cette organisation de près, il est impossible de ne pas se croire transporté au milieu de ces anciennes tribus germaines réglant toutes leurs affaires par leurs villages (gauen), leurs bourgs (marken) et leurs centines (zehenten). Les chefs des gauen furent également élus par le peuple et parmi les chefs de familles. Les centeni singulis ex plebe comites, qui formaient le conseil du prince, correspondent bien aux djirgas du khan.

Les djirgas exercent aussi un pouvoir judiciaire, et leur intervention, en général conciliatrice, substitue par degrés, aux habitudes sanglantes de vengeance, l’idée d’une proportion équitable et régulière entre la peine et le délit. Les Afghans seuls jouissent de tous les droits consacrés par les djirgas ; ils sont, à peu d’exceptions près, les seuls propriétaires et citoyens dans le pays. Les peuples qui leur sont soumis n’ont, au contraire, aucun droit de propriété sur les terres qu’ils habitent. Le pays entier est divisé entre les différentes tribus, de manière que chacune d’elles possède un district à elle seule.

Parmi quelques tribus des Afghans orientaux, l’occupation territoriale suit, comme chez les anciens Germains, un tour de rôle ; c’est le sort qui en décide. Le tirage des lots se fait à des époques périodiques et de manière à ce que les terres les plus fertiles puissent changer de mains. Cette opération s’appelle waish. Dans la tribu des Youssouf-Zaïs, elle a lieu tous les dix ans.

Les Afghans ne cultivent pas toutes les terres qui leur échoient en partage, ni ne les font cultiver par leurs colons, mais ils en abandonnent une grande partie aux peuples vaincus. Ces derniers sont partagés en plusieurs catégories pareilles à celles qui existaient parmi les esclaves des anciens Germains.

Les relations des Afghans avec les habitans reçus par octroi ne sont pas moins dignes d’attention. À cette classe appartiennent non-seulement les colons, mais aussi les fermiers et les Buzgurs, connus sous le nom générique de Humsayehs (voisins). Ils n’ont ni le droit de propriété ni celui d’assister aux djirgas. Cependant ils peuvent s’y faire représenter par des personnes de leur choix. Chaque Humsayeh est tenu de se choisir un patron parmi les Afghans. Le nombre de ces patrons, qui rappelle l’usage adopté à cet égard par les Romains, est, dans certaines tribus, très considérable. Le sort des Humsayehs est généralement assez heureux. Leurs patrons sont obligés de les défendre et de les protéger de tout leur pouvoir et dans toutes les circonstances possibles. La plupart d’entre eux sont Tadjiks ou étrangers. Cependant on y voit aussi des Afghans venant d’une tribu dans une autre tribu. Les Humsayehs d’origine afghane sont plus estimés que les autres.

Telle est l’organisation intérieure des Afghans : toutes les tribus de ce peuple jouissent de droits égaux et sont soumises à des obligations égales. La tribu des Douranies est la seule qui fasse exception à cette règle, comme étant attachée par des liens de consanguinité à la maison royale.

Les Douranies sont exempts des impôts fonciers. Les rois des Afghans font partie de l’Oulouss Populzaï, et particulièrement de la famille Saddozaï. Cette famille a des priviléges considérables : aucun de ses membres ne peut être condamné et puni qu’en vertu d’un décret prononcé dans le sein de la famille. Le khan de l’Oulouss des Douranies lui-même n’a aucun pouvoir sur aucun individu appartenant à la famille Saddozaï. Leurs personnes sont sacrées et placées, du consentement de la nation, à l’abri de toute attaque particulière, fût-elle la plus juste au fond.

Wilken a montré qu’il existait de très grandes analogies entre cette organisation à la fois démocratique et monarchique (avec des priviléges en faveur d’une tribu particulière), et l’organisation politique de la Perse ancienne, au temps de Cyrus. Il a donné, par ses savantes recherches, un très grand degré de probabilité à l’hypothèse de Klaproth sur l’origine de la langue poushtou, lien commun de toutes ces peuplades. La constitution primitive des Afghans, constitution marquée énergiquement au coin de l’individualité persane, vient à l’appui de cette hypothèse d’une manière aussi tranchante que la langue même. Selon Klaproth, Wilken et Ritter, le poushtou serait d’origine perso-mède. Des recherches toutes récentes sembleraient indiquer des analogies entre le poushtou et le sanskrit[18] ; mais c’est un point qui a grand besoin d’être éclairci. Quoi qu’il en soit, la langue des Afghans paraît n’être rien moins qu’harmonieuse. La tradition s’est même égayée à ce sujet. Selon elle, un certain roi ayant envoyé son visir pour étudier les différentes langues de la terre et lui en rapporter des vocabulaires, le visir, à son retour, essaya de donner à son maître une idée de chaque langue par des citations. Quand il en vint à l’afghani, il s’arrêta, et, prenant un vase en étain dans lequel il avait mis un gros caillou, il commença à secouer le vase. Le roi surpris lui demanda ce que signifiait ce charivari ; le visir déclara que, n’ayant pu réussir à apprendre la langue des Afghans, il n’avait vu que ce moyen d’en donner une idée à sa majesté. Cependant cette langue, selon Elphinstone, ne manque ni d’expression ni surtout d’énergie, et elle se prête aux sentimens les plus passionnés ; elle a sa poésie, et les poètes poushtous sont assez nombreux, surtout depuis deux siècles.

Ahmed-Shâh a composé un recueil d’odes en poushtou, son fils Timour en a publié un en persan. Le shâh actuel, Shâh-Shoudja, est lui-même très versé dans la littérature arabe, persane et poushtou. Dans un pays où la poésie est en honneur, l’amour se révèle tôt ou tard à l’homme en dépit des institutions qui assignent à la femme le rôle d’esclave et la condamnent à ne pas franchir les limites de la vie intérieure. L’amour est un sentiment qu’éprouvent fréquemment ces populations nomades ou guerrières de l’Afghanistan, et qui chez elles paraît même présenter des caractères tout-à-fait analogues à ceux qui distinguent le véritable amour d’après nos idées européennes. La condition des femmes, malgré les restrictions qu’imposent les habitudes musulmanes, est au total heureuse dans ces contrées, et l’influence du beau sexe se manifeste souvent dans les évènemens qui changent la destinée des familles, et même celle de l’état. L’appel d’une femme à la protection d’un Afghan n’est jamais fait en vain, et la forme même de cet appel a quelque chose de simple, de noble et de touchant, comme la confiance dont elle est le signe. Ainsi, à la mort de Timour-Shâh, la reine favorite, mère de Shâh-Zeman, envoya son voile à Sarfraz-Khan, chef de la tribu des Barekzaïs, et se plaçant ainsi avec son fils sous la protection de ce puissant serdar, le mit dans l’obligation d’appuyer les prétentions de Shâh-Zeman au trône.

Tel est le tableau général et fort incomplet de l’Afghanistan sous le point de vue physique et ethnographique. Elphinstone évaluait sa population totale à plus de quatorze millions. Ce qui reste de l’ancien empire douranie, sous la domination de Shâh-Shoudja, compte probablement encore de huit à dix millions. Cette population est trop mélangée et trop remuante pour qu’il soit possible de lui imprimer promptement la direction salutaire qui doit la conduire à un avenir heureux. Cependant il y a au fond de l’esprit afghan, et dans la constitution des peuples qui habitent à l’ouest de l’Indus, des tendances européennes que l’influence de la civilisation anglaise parviendra à développer tôt ou tard. Cette disposition ou cette aptitude à se convertir, pour ainsi dire, à notre civilisation, tient à des considérations générales que nous avons déjà indiquées, et sur lesquelles nous croyons utile de revenir en peu de mots avant de terminer.

Kaboul étant le point culminant parmi tous les points de cette double ligne de séparation que la nature physique et la nature morale ont tracée entre les deux mondes asiatiques, et en même temps le point d’intersection le plus remarquable des routes qui viennent de l’Asie centrale ou qui se dirigent vers elle, les différences ou les contrastes que nous avons signalés s’y résument, pour ainsi dire, aux yeux de l’observateur attentif, mais ils se manifestent dans leur plus grande généralité, aussitôt que l’on a franchi l’Indus.

Les peuples à l’ouest de ce grand fleuve se distinguent par un sentiment profond de liberté et d’indépendance, sentiment complètement étranger à la plupart des nations de l’extrême Orient. Ils possèdent en outre un grand fonds de courage relevé et soutenu par la barbarie relative de leurs mœurs. Leur pays est généralement peu cultivé : on n’y voit point, comme dans l’Hindoustan, de grandes routes ni de grandes plantations. La colonisation n’y est qu’un fait sporadique ; les points qui lui sont acquis se trouvent séparés les uns des autres par de vastes pâturages où se heurtent et se croisent en tous sens les pâtres avec leurs bestiaux. Leurs physionomies sont dures, leur peau velue et brunie au soleil ; ils vivent sous l’influence des traditions patriarcales. Gouvernement, tribunaux, magistrature, lois, police et civilisation, tels que l’Hindou les a conçus, créés ou acceptés, leur sont entièrement inconnus, et cependant il y a du mouvement et de l’ordre dans cette étrange agglomération d’hommes à demi barbares.

Le ciel de ces pays est, comparativement à celui de l’Hindoustan, plus frais et plus pur ; la nature s’y montre sous des formes plus pittoresques. La coupe des figures humaines se rapproche autant de la nôtre qu’elle diffère de celles des Hindous ; la forme et surtout la nature des vêtemens s’éloignent de celles qui sont généralement adoptées dans l’Hindoustan. Les tissus blancs et légers cèdent ici la place aux cotonnades de couleurs foncées et aux habillemens en cuir ou en peau de mouton. L’activité du corps et de l’esprit est, chez ces peuples, poussée aussi loin qu’au milieu des Hindous l’indolence et l’apathie. Ceux-ci trahissent à chaque instant, et dans toute leur manière d’être, les habitudes de soumission servile à la domination d’un maître ; ceux-là sont libres et ne reconnaissent d’autre frein à ce sentiment de liberté qui les anime, que la force et la volonté de la masse.

La physionomie des pays n’est pas moins différente que celle de leurs habitans. À l’est de l’Indus, le terrain est égal et fertile, tandis que du côté opposé, il est plein des contrastes les plus frappans ; les changemens subits de température, l’impétuosité des vents d’hiver et de printemps sont autant de phénomènes très communs du côté de l’Afghanistan, et complètement inconnus dans l’Hindoustan. Les terrasses qui constituent la surface du premier sont remplies de sinuosités, de plaines et de gradins qu’on ne trouve point dans les domaines de l’Indus et du Gange.

Cette différence se fait remarquer jusque dans les plantes des deux régions ; celles de l’Afghanistan se rapprochent beaucoup plus des plantes européennes que des plantes de l’Hindoustan ; le dattier, si commun dans l’Hindoustan, ne se rencontre que par bouquets clairsemés entre les monts Soliman et l’Indus, et a disparu au-delà. Le dernier dattier observé par les voyageurs qui se dirigent du Sindh sur Kandahar, s’élève solitaire à l’entrée de la célèbre passe du Bolan. Vers le haut Indus, quand on s’avance dans l’Afghanistan, le dattier ne dépasse pas Peshaver ; cet arbre royal est entièrement inconnu dans l’Irân ; mais, en revanche, on y rencontre une foule d’arbres européens. Les jardins de Kaboul, de Kandahar, d’Hérat, en sont remplis ; les forêts de la Perse ne diffèrent en rien de celles de l’Europe. Le platane, qui orne les environs de Kashmir et tout l’Afghanistan, disparaît complètement près d’Attock sur l’Indus : c’est surtout à partir de ce point que la physionomie de l’Inde se dessine d’une manière plus prononcée ; c’est à partir de là qu’on ne rencontre, à mesure qu’on s’avance vers l’est, que des plaines ensemencées avec du riz et du froment. Le panorama prend, au-delà du Djélôm, un aspect plus monotone : il embrasse un pays sillonné par une multitude de rivières, et s’inclinant par une pente douce, mais continue, du côté du Bengale et de la mer. Les Afghans égarés dans ce pays ne ressemblent point à ceux de leurs compatriotes d’en-deçà de l’Indus.

Ritter fait observer que dans l’Hindoustan même, et plus particulièrement dans le Dekkan, les habitans qui occupent la partie orientale ne ressemblent en rien à ceux qui se trouvent dans la partie occidentale. Dans le Dekkan, l’air, les saisons, les vents, rien n’est comme dans le Coromandel. Les habitans du premier pays sont pleins d’énergie et d’activité ; ceux du second vivent au contraire dans la mollesse et la nullité la plus complète.

Les animaux semblent suivre aussi cette ligne de démarcation que nous avons indiquée entre l’est et l’ouest dans les rapports tant ethnographiques qu’orographiques. L’éléphant ne se trouve nulle part dans l’Asie antérieure, tandis que dans l’Inde il abonde. Du temps d’Alexandre, il paraissait parfois sur les bords de l’Indus, où on ne le trouve plus du tout. À l’est, au contraire, il pénètre jusqu’à la Chine. Le chameau est rare et s’acclimate difficilement dans l’Inde ; il fait l’une des richesses et des principales ressources du pays à l’ouest de l’Indus.

Ces rapprochemens sont d’un haut intérêt, parce que leur étude, quand elle repose sur des données exactes, peut conduire à des déductions importantes pour les progrès de l’agriculture, du commerce, de la civilisation en général ; mais nous devons nous borner à ces indications sommaires, qui suffisent pour apprécier le caractère spécial des pays dont le contact immédiat intéresse l’avenir de l’Inde britannique. Nous avons dû nous arrêter sur l’Afghanistan proprement dit, pour montrer quels étaient les nouveaux élémens de force et de résistance, et aussi de richesse commerciale, dont le gouvernement anglais aura à disposer désormais. Il nous reste à examiner quel est l’état actuel des nations qui habitent le bassin de l’Oxus, et au milieu desquelles la Russie, suivant l’exemple que lui a donné l’Angleterre, paraît vouloir se faire une position influente et durable, militaire et commerciale à la fois. Comme l’Angleterre, la Russie s’avance dans une route nouvelle, le glaive d’une main, le caducée de l’autre, et sur cette route l’Angleterre peut la rencontrer un jour ! Le caractère qu’aura cette rencontre, les circonstances qui peuvent la hâter ou la retarder, les résultats qu’elle pourrait amener, toutes ces questions se rattachent à l’examen de la condition actuelle et des ressources de l’empire hindo-britannique considéré dans son ensemble ; nous remettons cet examen à notre dernier article.


A. de Jancigny.
  1. Voyez les livraisons du 1er janvier et du 15 février.
  2. Daté de Shâdjahanabâd (Delhi), le 4 de moharram 1152 de l’hégire (2 avril 1739.)
  3. Dans cette partie de notre exposé, et dans nos recherches ethnographiques, nous nous appuierons plus particulièrement sur le beau travail de Ritter, 8me vol. de son grand ouvrage : Die Erdkunde, Berlin, 1838, et sur la dernière édition de l’ouvrage d’Elphinstone : An account of the kingdom of Caubul, etc. Londres, 1839, 2 vol.
  4. Ibn-Batuta, savant cheik et célèbre voyageur, florissait à la cour de l’empereur de Delhi, Mahmoud-Toghluk, vers 1340. — Les voyages d’Ibn-Batuta ont été traduits de l’arabe par le révérend Sam. Lee, Londres, 1829, in-4o.
  5. Ces passages sont les six mesurés par Burnes, et qui atteignent de 3,350 à 4,000 mètres environ de hauteur. — Les observations de Burnes prouvent que Bâmiân se trouve déjà au nord de la ligne de partage des eaux entre l’Indus et l’Oxus. Mohan-Lall, jeune Hindou, qui accompagnait MM. Burnes et Gerard dans la première mission à Kaboul, et qui a publié une relation intéressante de ses voyages (Journal of a Tour, etc., Calcutta, 1834), donne la même étymologie du mot Hindou-Koush ; mais, selon lui, la tradition rapporte qu’une armée hindoue aurait péri tout entière dans ces montagnes.
  6. Sia, noir, pôsh, vêtement ; habillés de noir. On donne ce nom à quelques-unes de leurs tribus, parce qu’elles portent une espèce de surtout de poil de chèvre.
  7. L’ouvrage d’Elphinstone abonde en observations judicieuses et en détails précieux, surtout en ce qui concerne l’ethnographie de l’Afghanistan. Burnes, qui a visité ces contrées vingt-trois ans après Elphinstone, a confirmé par son témoignage toutes les observations de ce dernier, qu’il nomme classiques. La carte jointe à la dernière édition de la description du royaume de Kaboul semble laisser encore beaucoup à désirer. Nous regardons la carte d’Arrowsmith, publiée à Londres en 1834 (Central Asia, comprising Bokhara, Cabool, Persia, etc.), d’après les observations d’Alex. Burnes, comme la meilleure carte générale que l’on puisse consulter pour l’intelligence des questions qui nous occupent.
  8. Pays de montagnes, de roh, montagne en pandjahi ; rohillas, peuples des montagnes.
  9. Vilaèt et Vilaèti, dans l’Hindoustan et les contrées voisines, désignent également notre Europe et l’Europe asiatique, c’est-à-dire les pays au-delà de l’Indus et les habitans ou les productions de l’une et de l’autre.
  10. C’est la chaîne que Burnes désigne sous le nom de Halarange, et dont les monts Lakki, formant la frontière occidentale du Bas-Sindh, font partie. Ritter propose d’appeler l’ensemble des chaînes Soliman et Brahoé « chaîne frontière hindo-persique. » M. Balbi la désigne sous le nom de « monts Salomon-Brahouiks. »
  11. Revue des Deux Mondes du 1er janvier.
  12. Le nom de cette ville peut se déduire de kend ou kand (fort), et dehar ou dahar (crevasses de rochers) ; en effet, Kandahar (fort de rocs) est bâti au milieu des rochers. D’autres cherchent à rattacher l’étymologie de ce mot au temps d’Alexandre, et pensent que Kandahar n’est que l’ancienne Skanderia (Alexandria), ville bâtie par Alexandre.
  13. Malcolm hist. of Persia, tom. II, pag. 606.
  14. C’est la signification des mots kassel-bash.
  15. Il n’est pas rare, dit Elphinstone, de voir des hommes d’un âge mûr jouer aux billes, ou à une sorte de lutte à cloche-pieds.
  16. Le zaïs, qui termine si fréquemment les noms de tribus en Afghanistan, a la signification de fils, comme le vitch à la fin des noms russes et le mac au commencement des noms écossais. Les termes mallik et moushir, d’origine arabe, désignent, le premier un roi ou chef suprême, le second un conseiller.
  17. Voyez Asiatic journal ; décembre 1839, p. 255.
  18. Voyez Asiatic journal, décembre 1839, p. 255.