Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne/Introduction

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Études de philosophie ancienne et de philosophie moderneLibrairie Félix Alcan - maisons Félix Alcan et Guillaumin réunies Voir et modifier les données sur Wikidata (p. vii-xxviii).

INTRODUCTION



Dans les dernières années de sa vie, alors que le mal atroce qui avait paralysé ses membres et éteint ses yeux entravait, sans parvenir à l’arrêter ni surtout à la dégrader, sa puissance de travail et de production intellectuelle, Victor Brochard avait maintes fois songé à réunir en un volume les articles assez nombreux qu’il avait en divers temps donnés à différentes revues. Cette intention qu’il n’a pu mener à bonne fin, l’amitié et la confiance qu’il avait bien voulu me témoigner me valent l’honneur d’être appelé à la remplir. À coup sûr l’ouvrage que j’ai la mission de présenter au public n’est pas tout à fait tel qu’il eût été si son auteur avait pu s’en faire l’éditeur : Brochard aurait pu avoir la tentation, comme il en avait le droit, de composer autrement son recueil ; il aurait pu, poussé par le mouvement de sa pensée toujours active, docile aux scrupules de sa conscience d’écrivain, soumettre ces articles, dont quelques-uns étaient déjà anciens, à une revision sévère et à des remaniements plus ou moins considérables. Mais j’ai au moins la certitude que, même privées du précieux avantage de ce choix et de cette revision, les études qui ont été ici fidèlement assemblées et reproduites perpétueront heureusement le souvenir et l’action des si remarquables qualités d’esprit qui le distinguèrent comme philosophe et comme historien de la philosophie[1].

Quelles furent ces qualités et ce qu’elles ont produit, il est temps de le rappeler avec quelques détails. Au lendemain de la mort de Brochard (25 novembre 1907), on a dit, avec les principaux événements de sa vie, ce qu’il avait su rester sous le coup des plus cruelles souffrances et l’incomparable exemple qu’il avait donné, dans l’épreuve, de vaillance sans apprêt, de dignité simple et haute ; on a loué l’admirable professeur qu’il avait été successivement dans les lycées, à l’École normale et à la Sorbonne ; on ne pouvait alors que marquer à grands traits les caractères et la valeur de son œuvre intellectuelle, que signaler brièvement l’influence qu’elle avait exercée[2]. Elle est telle cependant que le temps qui s’écoule ne saurait en diminuer la signification essentielle ni le prix.

À l’École normale, Brochard avait eu pour maître M. J. Lachelier. Nul doute que, comme ses camarades, il n’ait éprouvé les bienfaits d’un enseignement qui rajeunissait la philosophie française par la plus pénétrante et la plus originale intelligence de la grande tradition philosophique. Au sortir de l’École, comme plusieurs de ses camarades, suivant une direction expliquée par M. L. Dauriac[3], il adhéra à la doctrine de Ch. Renouvier[4]. Mais dans cette adhésion il ne fut point disciple passif ni, même dans les débuts, entièrement docile. Il prit du néo-criticisme français ce qui convenait à ses préoccupations et à son tour d’esprit, ce qui permettait de donner leur essor à ses tendances propres ; il négligea le reste. La vivante souplesse de son intelligence ne s’accommodait pas sans doute entièrement de ce qui, dans la philosophie de Renouvier, affectait des formes d’une rigidité quasi-scolastique. On ne voit point par exemple qu’il soit entré de plain-pied dans la doctrine des catégories, et peut-être estimait-il que cette façon d’établir en les fixant des règles, au fond subalternes, de l’intelligence était en désaccord avec la théorie qui conférait au libre arbitre un rôle dans la certitude. C’était cette dernière théorie qu’avant tout il faisait sienne ; il la développa et la défendit dans sa thèse de l’Erreur, première manifestation importante de son activité et de ses préférences philosophiques.

Renouvier, dans ses Essais de Critique générale, s’était appliqué à montrer que la certitude n’est pas et ne peut pas être un état déterminé en nous par la présence et l’action d’une vérité impersonnelle, qu’elle est un acte auquel concourent, outre des données intellectuelles, la passion et la volonté, qu’elle est en somme une espèce de croyance ; il avait énergiquement combattu le dogmatisme métaphysique qui tient la connaissance vraie pour une fidèle représentation de réalités existant en soi, et tâché de faire prévaloir à sa façon le principe, que tout objet de connaissance est relatif à la conscience. De cette doctrine Brochard fournissait brillamment la contre-épreuve en expliquant pourquoi la chimérique définition de la vérité, imposée par le dogmatisme, a pour conséquence l’impossibilité de rendre compte de l’erreur. L’erreur est plus qu’une simple négation ou privation ; elle contient des éléments positifs qui seuls peuvent faire qu’elle prenne, au moins un moment et pour nous, l’apparence de la vérité ; elle suppose des états de conscience et des combinaisons mentales qui sont des données et des actions réelles. La distinction de la vérité et de l’erreur ne saurait être ramenée à la distinction de l’entendement et des facultés sensibles ; car l’entendement entre autant dans la composition de l’erreur qu’il est incapable de constituer par lui seul des connaissances vraies ; comme il a besoin de l’expérience pour s’orienter vers le réel, il requiert le sentiment et le libre arbitre pour convertir ses idées en croyances. Retrouver dans l’erreur les mêmes facultés qui servent à l’affirmation de la vérité, ce n’est pas au reste supprimer la différence qu’il y a incontestablement entre la vérité et l’erreur ; c’est simplement la ramener aux proportions de notre esprit. Car il reste que les croyances vraies se distinguent des autres en ce qu’elles sont plus complètement motivées et soumises à un contrôle plus rigoureux ; seulement l’objectivité relative des méthodes de vérification ne saurait plus être assimilée, comme le veut le dogmatisme, à l’objectivité absolue d’une chose qui s’impose par son évidence et qui est censée faire l’esprit certain sans qu’il soit pour rien dans sa certitude. Au surplus, si l’erreur est possible, s’il y a en nous une dualité de l’idée et de la volonté, c’est que, d’une manière générale, les êtres ne sont pas des essences qui se développent logiquement, mais des activités qui par leur initiative se confèrent leurs façons d’être. Les lois de la nature n’impliquent pas une nécessité radicale ; il y a bien d’autres possibles que ceux que l’expérience nous montre réalisés ; on comprend donc que notre esprit puisse concevoir en dehors ou à côté de ce que la nature fournit. Dans la philosophie de la contingence, telle que l’avait présentée quelques années auparavant (1874) M. Émile Boutroux, Brochard voyait l’explication métaphysique de l’erreur.

Brochard indiquait nommément les doctrines qui avaient inspiré sa pensée. Mais ce qui ne pouvait échapper aux lecteurs du livre pas plus qu’aux juges de la thèse, c’était la façon très personnelle qu’il avait de se les approprier. Les marques de son talent propre étaient déjà là, en abondance. Et d’abord une prise de possession du sujet prompte et décidée ; une rare habileté à dégager les données du problème et à y rattacher d’avance les solutions entre lesquelles le choix devait se faire ; un art souverain de manier les idées, d’en préciser le sens et d’en développer les conséquences avec rectitude, sans les grossir jamais de virtualités indéterminées, sans leur attribuer d’autres significations que celles qu’elles étaient capables de faire ressortir clairement ; une vigueur pressante de dialectique qui écartait les expédients de toute sorte et ne pouvait consentir à faire état que de raisons nettes et franches ; une faculté d’analyse psychologique en rapport avec des goûts de moraliste, moins attachée à l’exploration de cas singuliers qu’au discernement des motifs généraux dont dépendent le jeu de la pensée et la direction de la volonté ; enfin un style sobre et lucide, ici maîtrisé et resserré par l’écriture, mais auquel on sentait bien que devait correspondre, dans la liberté plus grande de l’exposition orale, une parole ample et brillante autant que fortement accentuée.

Une qualité, parmi tant d’autres, se révélait avec éclat dans cette thèse. Avant de développer et de défendre la théorie de l’erreur qu’il adoptait, Brochard exposait et discutait diverses théories, celle de Platon, celle de Descartes, celle de Spinoza. Cependant la restitution qu’il en opérait n’était nullement faussée ni par le parti qu’il allait prendre contre elles, ni par le parti qu’il comptait en tirer : elle était pleinement et rigoureusement impartiale ; soutenue, avec cela, par l’intelligence la plus délicate des idées constitutives de ces théories et de leur enchaînement. En même temps, dans sa thèse latine De assensione Stoici quid senserint, il dégageait d’une critique très attentive des témoignages le sens de la théorie stoïcienne de la συγϰατάθεσις, et il en établissait fermement les rapports avec les assertions du stoïcisme sur le critère de la vérité, les passions et la volonté. S’il signalait pour les Stoïciens, comme il l’avait fait pour Descartes, le désaccord qu’il croyait voir entre leur conception du libre assentiment et le caractère catégoriquement intellectualiste d’une partie de leur système, il se montrait assez dépris de sa propre logique pour ne pas l’imposer de force au contenu de la doctrine qu’il s’était chargé de reconstituer : ce qui était l’un des signes irrécusables de sa vocation d’historien de la philosophie.

Pendant un temps une sorte d’intimité a persisté entre ses études d’histoire de la philosophie et ses convictions criticistes. À l’exemple beaucoup plus d’ailleurs qu’à la façon de Renouvier, tempérant le rationalisme par des concessions aux titres les plus justes de la philosophie de l’expérience, il montrait dans la logique de Stuart Mill un très légitime souci de rapporter la pensée du réel, de démêler les antécédents psychologiques des propositions et des raisonnements, mais en même temps une radicale impuissance à expliquer la nature et à établir le fondement de la preuve[5]. Au même moment, il poussait plus loin la critique de l’empirisme anglais en soutenant avec vigueur que le même mot « association », également appliqué aux rapprochements par contiguïté et aux rapprochements par ressemblance, dissimule fâcheusement une dualité essentielle, que la perception d’une similitude, action très proche en effet des opérations supérieures de l’esprit, n’est pas une association, tandis que l’association par contiguïté, seul type de l’association enfermée dans les limites des expériences particulières, est beaucoup trop éloignée des opérations supérieures de l’esprit pour pouvoir en rendre compte[6]. Si porté que fût Brochard à ne point mettre la connaissance en dehors des faits, il était encore moins enclin à méconnaître la valeur propre de ces cadres et de ces formes qui, disait-il, donnent à la pensée l’ordre et la régularité ; seulement il n’admettait point que les principes de l’entendement pussent servir de justification à des tentatives de métaphysique dogmatique, et il persistait à les regarder comme incapables de déterminer par eux seuls des certitudes positives sans l’intervention de la croyance volontaire[7]. Comment la raison ne se serait-elle pas rendue depuis longtemps à l’évidence, si l’évidence était irrésistible ? Et d’où pourraient bien venir les contradictions des systèmes, comme aussi l’existence de l’espèce de philosophie qui se fait un jeu et une arme de ces contradictions, à savoir le scepticisme ?

« L’École pyrrhonnienne, avait dit Renouvier, est la preuve vivante du rôle de la volonté dans la certitude[8]. » L’étude des positions et l’analyse des arguments de l’école pyrrhonnienne avaient déjà de quoi attirer Brochard par la confirmation qu’elles pouvaient apporter à ses vues sur le caractère de l’assentiment ; mais elles méritaient aussi d’être entreprises pour elles-mêmes, et elles ne manquèrent pas de susciter dans son entier l’historien de la philosophie qu’il n’avait été jusque là qu’accessoirement et par occasion, lorsque l’Académie des sciences morales et politiques eut mis au concours pour le prix Victor Cousin à décerner en 1884 le sujet suivant : le scepticisme dans l’antiquité grecque. Le mémoire par lequel Brochard répondit à l’appel de l’Académie obtint le prix après le plus élogieux rapport de Félix Ravaisson[9], et il devint le beau livre qui parut en 1887 sous le titre : Les Sceptiques grecs.

Je ne crois pas que l’on puisse exagérer la valeur de ce livre. Il représente, merveilleusement combinées, des qualités diverses et de tout premier ordre : qualités, ajouterais-je volontiers, qui, malgré tout ce qu’elles ont de personnel, gardent l’avantage de n’être pas absolument inimitables ; si bien que l’ouvrage, au lieu d’enfermer en lui toute sa valeur, est encore le plus précieux instrument de travail et la plus efficace leçon pour quiconque cherche à apprendre comment se fait l’histoire de la philosophie. L’étude des textes était naturellement le principe des très difficiles restitutions de pensées qu’entreprenait Brochard ; mais cette étude des textes, qui s’interdisait sévèrement d’en dépasser le sens, s’appliquait en revanche à en découvrir le sens tout entier ; elle était conduite le plus habilement du monde, avec toutes les ressources que peuvent fournir la traduction précise des termes, les analogies et les raisonnements par lesquels se resserre l’élasticité des témoignages, la perception de l’enchaînement des concepts et de la filiation des théories. Bien des interprétations s’offraient, plus ou moins consacrées, pour caractériser le scepticisme et l’attitude de tel ou tel sceptique : Brochard n’ignorait aucune de celles qui méritaient d’être connues ; mais il n’en acceptait aucune sans contrôle, il en rejetait plus d’une, et il savait proposer avec une fermeté extrême des interprétations nouvelles conçues avec une extrême prudence. Et par le plus juste effet de la force et de la sûreté de la méthode, le style de l’ouvrage, qui est tout ordre et mouvement, a aussi la plénitude et le relief : souple par surcroît et délicatement nuancé quand il s’agit de recomposer, au lieu d’une théorie, une physionomie. Les beaux portraits, aux touches vives et aux teintes fines, que Brochard a tracés de Pyrrhon et de Carnéade !

Tout en se plaisant à indiquer les précurseurs lointains du scepticisme, Brochard savait se défendre d’en accroître confusément le nombre. Il distinguait catégoriquement du scepticisme les formules de doute qui chez un Empédocle, un Anaxagore, un Démocrite, ne visent que des modes particuliers de connaissance ou des prétentions à une science trop parfaite. Les sophistes certes préparent les sceptiques ; mais à la négation de la possibilité de la science ils donnent volontiers un fondement dogmatique, et ils ont été plus ou moins conduits à requérir la réforme des institutions et des mœurs ; ils ne sont ni en possession, ni à la recherche d’un instrument dialectique approprié à leurs thèses. Les sceptiques au contraire vont au doute par esprit de renoncement ; ou encore ils abandonnent la pratique à l’empire de la nature, de la coutume et de la loi pour se retrancher dans des questions théoriques et se forger des moyens de défense et de discussion en accord avec leur attitude. Au reste, les sceptiques se classent selon divers types, et l’histoire de la sophistique peut se diviser en quatre parties : le scepticisme pratique, représenté par Pyrrhon et Timon, le probabilisme, représenté par la Nouvelle Académie, le scepticisme dialectique, représenté par Énésidémie et Agrippa, le scepticisme empirique, représenté par Sextus Empiricus. Pour ce qui est de Pyrrhon, Brochard incline plutôt vers les renseignements de Cicéron et de la tradition académique que vers ceux de la tradition proprement sceptique ; il montre fortement en lui non un disputeur qui s’arme contre la science, mais un sévère moraliste, las au contraire des vaines disputes, qui ne conclut au doute que pour s’être reposé dans le détachement et l’indifférence, un « désabusé », un « ascète grec » : ici apparaît très manifestement l’influence, plus discutable ailleurs, de la sagesse orientale sur la pensée grecque. C’est des Académiciens que Brochard fait dater le scepticisme spéculatif, et il expose comment Arcésilas est venu au doute par une tout autre voie que Pyrrhon, en développant ce qu’avait de dubitatif et de négatif la philosophie socratique et platonicienne. Mais, dans l’école académique, il s’attache avec prédilection à Carnéade ; il prend visiblement un très vif plaisir à le réhabiliter, à mettre en lumière la finesse de ses analyses psychologiques, la vigueur de ses discussions, la profondeur de ses vues ; il requiert qu’on lui rende la place qui lui avait été assignée par les anciens parmi les grands philosophes. Dans l’histoire de l’école sceptique proprement dite, il analyse avec la plus minutieuse exactitude les arguments d’Énésidème ; il étudie la question si délicate des rapports d’Énésidème avec l’héraclitéisme, et, après un examen critique des thèses en présence, il conclut à une évolution dans la pensée du grand sceptique. Enfin, dans l’alliance du pyrrhonisme avec la médecine empirique, telle qu’elle s’opère chez Ménodote et Sextus, il découvre avec l’ingéniosité la plus décisive les premières ébauches de la méthode expérimentale moderne. Ce ne sont là que les grandes lignes de son œuvre, telles qu’il les a lui-même fermement tracées. Elles relient un grand nombre d’études de détail, poussées avec une science et un soin extrêmes. L’ouvrage n’eut pas de peine à conquérir dans le monde des spécialistes, et bien au delà, tout le succès dont il était digne ; il attestait que la France possédait un historien de la pensée antique qui pouvait à son grand honneur supporter dans cet ordre d’études la comparaison avec les savants étrangers.

Vers le même temps, Brochard, entré dans l’enseignement supérieur, inaugurait une longue série de leçons qui, à l’École normale et à la Sorbonne, devaient, sous une autre forme, renouveler victorieusement pour lui l’épreuve de son talent et de sa science. Ses fonctions, confirmant ses titres, achevaient de le consacrer historien de la philosophie. L’occasion et ses goûts le portèrent plus d’une fois à faire de brillantes excursions hors de la philosophie ancienne. Il avait donné déjà à l’usage des classes deux éditions de Descartes, l’une contenant le Discours de la Méthode et la première Méditation, l’autre contenant le premier livre des Principes de la Philosophie : les deux éditions étaient accompagnées de notes abondantes et précises ; la première enfermait en outre, sous le titre d’éclaircissements, de courtes études, interprétatives et critiques, sur les plus importantes théories du cartésianisme, la méthode, le doute, le Cogito, l’existence de Dieu, la véracité divine ; dans sa façon d’apprécier et même de contredire Descartes on sent la profonde sympathie d’esprit qu’il garde, une fois qu’il a limité son dogmatisme, pour le philosophe des « idées claires et distinctes ». Il avait également signalé les emprunts que la philosophie cartésienne avait faits au Stoïcisme[10] ; comme plus tard il signalera tout ce que l’Éthique de Spinoza doit au Traité des Passions de Descartes[11]. C’est, parmi les philosophes modernes, Spinoza qui, avec Descartes, l’a le plus occupé. À un fantôme de spinozisme, créé, semble-t-il, tout juste pour être exorcisé, il voulait substituer l’image exacte du spinozisme réel, qui, selon lui, ne méconnaît ni l’individualité des âmes, ni même en un sens la personnalité de Dieu. Au lieu de ramener l’inspiration du Traité théologico-politique aux démonstrations de l’Éthique, par surcroît très étroitement et inexactement comprises, il élargissait la signification de l’Éthique de façon à lui faire ratifier telles quelles les formules du Théologico-politique, à lui faire admettre l’existence du Dieu personnel, du Dieu même de la tradition juive. Et du même coup, il montrait comment le spinozisme recouvre d’une forme moderne une synthèse de conceptions juives et de conceptions grecques déjà constituée par Philon et propagée par le courant néo-platonicien qui traverse tout le moyen âge[12].

Mais c’est dans la philosophie ancienne spécialement que le maintenaient son enseignement et son tour d’esprit ; et c’est d’elle qu’il a surtout tiré, à partir des Sceptiques grecs, la matière de ses études historiques. Deux articles sur Zénon d’Élée expliquaient d’une façon neuve sur plusieurs points le sens des fameux arguments, et visaient en même temps à en justifier, contre la banale qualification de sophismes, le sens et la portée[13] : au reste, ce que, par delà les arguments éléatiques, Brochard tenait à défendre, c’étaient les droits de la dialectique ; il aimait chez les Grecs ce goût du raisonnement porté même jusqu’au paradoxe, persuadé qu’il était qu’une démonstration subtile, quand elle est bien conduite, si elle ne découvre pas toujours une vérité, soulève toujours quelque problème. Dans une étude sur Protagoras et Démocrite, il soutenait que le relativisme de Protagoras, contrairement à une opinion assez répandue, est un relativisme réaliste, et qu’il faut attendre jusqu’à Démocrite pour la conception d’une relativité purement subjective des données sensibles[14]. Allant de même contre les expositions courantes qui représentent la logique stoïcienne comme une déformation et un affaiblissement de la logique aristotélicienne, il montrait que la théorie de la définition, celle du jugement, la préférence accordée aux syllogismes hypothétiques et disjonctifs, la théorie des signes indicatifs donnent à cette logique, avec le nominalisme qui en est le point de départ, un caractère original exprimé par la substitution de l’idée de loi à l’idée d’essence dans l’explication des choses[15]. Avait-il raison d’aller jusqu’à rapprocher là-dessus la logique stoïcienne de la logique de Stuart-Mill, ou bien, comme le soutint plus tard Hamelin qui approuvait d’ailleurs ses prémisses, aurait-il dû plutôt la rapprocher de la doctrine spinoziste ? Une étude inédite[16], que Brochard avait écrite peu avant sa mort et qui trouve place dans le présent recueil, permettra finalement de décider.

Dans l’ensemble des travaux que Brochard a consacrés à la philosophie ancienne, il convient, ce me semble, de mettre au premier plan ses diverses études sur Platon ainsi que ses articles sur la théorie du plaisir et la morale d’Épicure. Brochard s’est visiblement complu dans le platonisme, dont il a fait à diverses reprises l’objet de son enseignement[17] ; et le platonisme a comme reconnu cette complaisance en lui fournissant d’éclatantes occasions de montrer à quel point il était également capable de garder l’esprit ouvert et de résister à l’entraînement des nouveautés. On sait que Ed. Zeller avait prétendu discerner dans le Théétète et dans les dialogues dit dialectiques des ouvrages qui, par la polémique et la critique, éprouvaient et vérifiaient la doctrine déjà sommairement exposée dans le Phèdre et destinée à être par la suite plus largement développée dans le Banquet, le Phédon, le Philèbe et la République. Zeller avait maintenu sa position avec autant d’opiniâtreté que de science contre les interprétations de textes et les hypothèses qui de divers côtés la menaçaient. Au début même de ses études sur le platonisme, Brochard, tout en reconnaissant la grande valeur de l’œuvre de Zeller, semble s’être, au moins discrètement, émancipé de son autorité, puisque dans ses leçons de la Sorbonne de 1893[18], faisant ressortir l’évolution de la morale platonicienne, il avait indiqué que le Théétète et le Sophiste sont pour la logique l’analogue de ce qu’est le Philèbe pour la morale et en marquent une phase assez tardive. C’était donc déjà donner au Théétète et aux dialogues dialectiques un tout autre sens que celui que leur attribuait l’exégèse consacrée de Zeller. Lorsqu’un peu plus tard la communication de M. Lutoslawski à l’Académie des sciences morales et politiques « sur une nouvelle méthode de déterminer la chronologie des dialogues de Platon » (1896), bientôt suivie de son ouvrage The origin and growth of Plato’s logic (1897) vint mettre à l’ordre du jour avec quelque retentissement la question platonicienne, Brochard était mieux qualifié que personne pour distinguer dans l’interprétation nouvelle les résultats solides, les procédés de recherches souvent beaucoup plus précis en apparence que dans le fond, les hypothèses aventureuses. Il pouvait être assez disposé à accepter le déplacement chronologique du Théétète et des dialogues dialectiques, à voir même dans ces œuvres la preuve d’un approfondissement nouveau, par Platon, de sa propre pensée : mais quant à y reconnaître les indices d’un abandon de la doctrine des Idées transcendantes, c’était là une conjecture qui lui paraissait tenir plus de la fantaisie que la considération attentive des textes ; et non seulement il signalait dans le Parménide une réfutation expresse de la thèse si arbitrairement prêtée à Platon selon laquelle les concepts, désormais destitués de leur réalité « séparée », auraient toute leur origine et tout leur fondement dans l’universalité des esprits ; mais encore il découvrait dans les Lois mêmes des traces significatives de la doctrine censée disparue[19]. Si la Métaphysique des Idées, concluait-il, se laisse moins apercevoir dans les derniers dialogues de Platon, cela s’explique suffisamment sans que l’on soit forcé de la croire reniée par la marche normale du platonisme. Après avoir posé l’existence des Idées comme choses en soi, comme réalités séparées, Platon a été conduit à rechercher si et comment les Idées pouvaient entrer en rapport entre elles et avec les choses ; et c’est de ce problème énoncé par le Parménide avec une extrême subtilité et sous ses aspects les plus divers que le Sophiste apporte la solution : cette correspondance des deux dialogues fut mise en lumière par Brochard, dans le dernier article qu’il ait écrit, avec une merveilleuse finesse d’argumentation et d’analyse[20]. Quoi qu’il en soit, le problème de la participation une fois résolu, Platon n’avait plus qu’à s’occuper des applications de sa doctrine et qu’à rendre compte du monde sensible ; il n’avait pas à revenir sur les principes précédemment établis. Voilà pourquoi la doctrine des Idées, qu’il avait, non point rejetée, mais vigoureusement dégagée des interprétations éléatiques qui pouvaient la fausser, est moins visible, quoique toujours présente, dans le Philèbe, qui porte sur une question de psychologie morale, dans le Timée, qui est un traité de physique, dans les Lois, qui sont un traité de droit civil et criminel.

Telles étaient les conclusions auxquelles s’arrêtait Brochard dans son étude du platonisme. Elles répondaient au dessein qu’il avait toujours eu de montrer dans Platon la tendance à briser les cadres étroits de l’Éléatisme, à déterminer, par-dessous l’idéal de la certitude scientifique, inspiré du plus pur esprit rationaliste, des modes de connaissance appropriés au devenir des choses aussi bien qu’à l’imperfection des facultés humaines : de là l’importance attribuée à l’opinion vraie ; de là le rôle des mythes, qui, loin d’être des fictions extérieures au système, enveloppent au contraire, sur des objets inaccessibles au rigoureux savoir, des conjectures que le système autorise[21] ; de là encore la fonction assignée à l’amour dans la philosophie platonicienne, fonction auxiliaire et intermédiaire, qui est à la vérité et au bien ce que la recherche de la science est à la science, ce que la philosophie est à la sagesse[22] ; et l’on ne peut s’empêcher de relever ici par surcroît l’interprétation si séduisante que Brochard a donnée du Banquet, l’intuition délicate et précise avec laquelle il a fait voir dans les cinq premiers discours de ce Dialogue, non pas, comme on le prétend d’ordinaire, des expressions imparfaites de la pensée du philosophe exactement traduite par le discours de Socrate, mais au contraire des expressions d’idées auxquelles le philosophe s’oppose et des parodies d’auteurs contemporains. Développée surtout par réaction contre ce qu’avait d’excessif et d’abstrait l’intellectualisme socratique, cette conception de moyens termes entre l’être et le non-être, entre la vérité absolue et la simple opinion, devait servir surtout à l’établissement d’une morale plus large, plus complète et plus définie que la morale de Socrate. Socrate, ainsi que l’avait fait ressortir Brochard, après avoir défini la vertu par la science s’était trouvé embarrassé pour déterminer l’objet de cette science ; il avait eu recours aux notions assez vagues de l’agréable ou de l’utile telles que les entend le sens commun[23]. Platon eut le mérite de voir que, si la vertu suppose la science, elle ne s’y ramène pas tout entière, qu’en outre il y a lieu de donner des définitions séparées du bien et de la vertu ; il comprit donc que, pour rendre compte de la vertu, il est une partie irrationnelle de l’âme dont il faut tenir compte ; il fut le premier à donner de la vertu cette définition acceptée par la philosophie grecque ultérieure, qu’elle est la fonction propre de chaque être, οἰϰεῖον ἔργον. Suivant dans une large étude le développement de la morale de Platon, Brochard la montrait s’acheminant par degrés vers une notion de plus en plus compréhensive du Souverain Bien, conçu finalement dans le Philèbe comme un mélange d’intelligence et de plaisir unis selon la mesure, la beauté et la vérité. Et certes, sans déprécier la valeur de l’Éthique à Nicomaque, Brochard pouvait se flatter d’avoir retrouvé dans le platonisme le germe des principales théories morales de l’aristotélisme[24].

Il excellait, au reste, à saisir la filiation des idées à travers les différents systèmes de la philosophie ancienne. Et par là il put donner toute la force et toute la clarté possibles à son interprétation si neuve de la théorie épicurienne du plaisir[25]. Frappé par le fait, que les disciples d’Épicure, de l’aveu même de Cicéron, n’admettaient pas le sens donné par leurs adversaires à la doctrine de leur maître, il s’était demandé s’il ne fallait pas tenir plus de compte qu’on ne l’avait fait de cette récusation et si l’on pouvait continuer de soutenir que l’Épicurisme avait réduit le plaisir à l’absence de douleur. Les textes dont nous disposons ne sont pas assez décisifs pour résoudre la question sans conjectures ; mais ils peuvent être éclairés et complétés par l’examen des théories qui ont précédé et préparé la théorie épicurienne. Cet examen conduisit Brochard à découvrir un rapport très précis entre la théorie épicurienne et la théorie aristotélicienne sur le point même où s’étaient produits les malentendus : le plaisir constitutif, si l’on comprend bien le sens du mot ϰατάστημα, est lié à un état d’équilibre des différentes parties du corps vivant, et cet état d’équilibre est dans une philosophie mécaniste comme celle d’Épicure l’équivalent de ce qu’était l’acte dans la philosophie finaliste d’Aristote ; la suppression de la douleur, en vertu du jeu naturel des organes, laisse l’équilibre corporel se rétablir : alors naît le plaisir, qui, comme on le voit, n’a dans l’absence de douleur qu’une condition négative et préparatoire, qui a dans l’équilibre sa condition positive et directe. Ainsi rattachée à la tradition philosophique antérieure, qu’elle interprète seulement dans le sens de ses principes physiques, la doctrine d’Épicure apparaît innocente des confusions ou des paradoxes qu’on lui reproche. Elle a cependant ses caractères propres par lesquels elle s’oppose aux doctrines précédentes : contre les écoles qui toutes avaient admis, contre l’aristotélisme en particulier qui s’était si fortement appliqué à justifier la spécificité des plaisirs, Épicure soutient l’unité du plaisir, et la réduction de tout plaisir au plaisir du corps ; les plaisirs, quels qu’ils soient, même quand ils semblent très éloignés des satisfactions corporelles, ont toujours pour base un certain bien-être physique. D’où résulte déjà pour la morale cette conséquence, que le bonheur, consistant essentiellement dans l’équilibre du corps ou la santé, ne doit pas être attaché à d’autres biens, et c’est là le principe de tout affranchissement. Cet affranchissement se continue et s’achève lorsque l’âme, qui n’est pas cependant une source propre de plaisir, use de son pouvoir et de sa volonté pour recueillir par la mémoire les souvenirs heureux du passé et les projeter en espérances dans l’avenir ; ainsi elle fait contrepoids aux causes de trouble et se crée une félicité indépendante de la nature et de la fortune. « Ce qu’Épicure a bien vu, disait en terminant Brochard, c’est que contre l’adversité nous n’avons de recours qu’en nous-mêmes. Ce sont nos propres pensées, nos propres réflexions qu’il faut, par un effort de volonté persévérant et obstiné, opposer aux coups du sort. Nous n’avons point d’autre ressource. Les anciens se moquaient du remède proposé par Épicure. Ils avaient raison de remplacer ces moyens impuissants par l’idée de la nécessité ou par la confiance dans les lois de l’univers. Lorsque le sage a bien compris que les choses ne sauraient être autrement qu’elles ne sont, lorsqu’il s’est bien pénétré de l’inéluctable fatalité des lois naturelles et qu’il s’y soumet parce qu’il ne peut faire autrement et que c’est ce qu’il a de mieux à faire, il a à peu près atteint les dernières limites de ce que peuvent pour lui la philosophie et la science. Il obtient la suprême consolation qu’il puisse espérer en ce monde, s’il arrive à se persuader que cet ordre fatal de l’univers est l’œuvre d’une volonté sage et que la Nécessité est un autre nom de la Providence. La soumission à la volonté divine ou la résignation est le dernier mot de la sagesse[26]. »

Ces lignes attestent assez que s’il accomplissait en toute conscience et selon des méthodes rigoureusement objectives son métier d’historien, Brochard ne renonçait nullement à ses préoccupations de philosophe. Il se refusait à regarder les théories philosophiques du passé comme des faits extérieurs et lointains, destitués désormais de toute valeur et de toute fécondité spirituelle. La sagesse antique visiblement l’enchantait de plus en plus. N’avait-il pas lui-même, à la méditer, trouvé en elle les raisons et les moyens de soutenir avec courage une existence douloureuse ? Pourquoi n’essaierait-on pas d’en maintenir les maximes, les principes et les procédés de justification tout en l’adaptant aux conditions plus complexes de la science et de la vie modernes ? Brochard estimait donc finalement que la morale des anciens reste le type de la morale humaine, naturelle, philosophique, distincte de la morale transcendante et théologique, en ce qu’elle ne fait intervenir en rien l’idée de révélation surnaturelle, d’autorité extérieure, de commandement, en ce qu’elle invoque l’expérience et la raison seules pour fixer les règles du développement de nos tendances et pour nous orienter vers le bien identique au bonheur. Il ne songeait pas à exclure pour cela la morale religieuse dont il reconnaissait bien volontiers, dans un esprit, semble-t-il, assez voisin de celui de Spinoza, la nécessité et la bienfaisance pratiques ; mais il ne voulait pas une immixtion des concepts qui lui appartiennent et qui la caractérisent dans le domaine de la morale philosophique. Il était convaincu que la plupart des morales modernes, et en particulier la morale de Kant, n’avaient guère fait que transposer ces concepts quand elles s’imaginaient recourir à des principes purement rationnels, et dans l’état de confusion et d’anarchie auquel avait abouti sur les problèmes moraux la philosophie contemporaine, de plus en plus déprise du kantisme, mais trop justement éprise encore de l’autonomie de la conscience pour la livrer aux procédés ordinaires des sciences positives, il jugeait urgent de reprendre, en l’élargissant, cette morale de la nature humaine dont Aristote avait fourni l’impérissable modèle, et à laquelle tous les philosophes grecs avaient plus ou moins utilement collaboré. Lui-même paraît, à certaines heures, avoir formé le dessein de reconstituer selon cette méthode la théorie des règles de la conduite ainsi que l’explication des vertus individuelles ou sociales. Ce fut en tout cas la pensée qui inspira ses fameux articles sur la Morale ancienne et la morale moderne, et sur la Morale éclectique[27] ; écrits avec autant d’éclat que de fermeté, mettant au service d’une conviction longuement méditée une polémique incisive, faisant ressortir avec beaucoup d’art les oppositions dissimulées dans des amalgames d’idées hétérogènes, ils n’eurent pas seulement pour résultat de provoquer d’instructives controverses : ils allèrent secouer jusqu’au fond la curiosité et la réflexion de tous les esprits intéressés par ces grands problèmes.

Cette position que prenait Brochard en faveur de la morale ancienne et contre la morale de Kant était-elle dans le développement de ses idées quelque chose d’absolument nouveau, ou bien lui était-elle en partie commandée par les directions antérieures de sa pensée ? Peut-être penchera-t-on vers cette seconde façon de voir si l’on prend garde que c’est le contact avec les anciens qui a suscité ou tout au moins entièrement renouvelé ses préoccupations sur les questions morales, si l’on se représente en outre dans quelles limites il avait adhéré au criticisme de Renouvier et ce qu’il en avait surtout retenu[28]. Il en avait surtout retenu la conception d’un probabilisme rationaliste, exclusif de toute spéculation transcendante qui prétendrait être science, interprété comme une façon de lier l’expérience à la logique, de comprendre les faits dans un ordre dialectiquement justifiable. Il s’était fortement attaché à l’idée du rôle de la volonté dans la certitude, et rien ne prouve qu’il s’en soit entièrement détaché : cette doctrine lui paraissait propre à garantir l’esprit contre les retours offensifs du dogmatisme, et elle exprimait aussi sa tendance à ne pas effacer de l’œuvre de la connaissance la marque personnelle de l’ouvrier. Mais tandis que çà et là cette doctrine avait contracté alliance avec des théories qui réservaient au sentiment et aux intuitions du « cœur » le droit de dépasser la raison ou de la tenir en échec, Brochard, en dépit de quelques concessions verbales, n’acceptait d’en faire la limite du rationalisme que pour lui imposer également le rationalisme comme limite. Sa pensée ne se laissa jamais toucher d’aucun mysticisme. Elle aimait les horizons clairs, au risque d’être tentée de les voir plus proches. Elle traçait avec décision aux choses, à la vie et à la nature humaine les contours qui lui permettaient de les enserrer pour les bien comprendre. Elle s’arrangeait à merveille pour n’être point dupe. Elle goûtait peu les entreprises philosophiques qui supposent des postulats obscurs, des dérivations lointaines, et comme des blocs de notions imperméables à la logique et à l’analyse psychologique. Elle était toute imprégnée de l’idée des anciens, que l’ordre comporte la mesure, et qu’une vie bien ordonnée ne saurait l’être par la contrainte de quelque principe impératif et abstrait, sans proportion aucune avec les requêtes définies et les objets précis de nos tendances. Elle était donc impatiente de tout ce qui, sous une forme ou sous une autre, semblait vouloir s’imposer à elle, tandis qu’elle gardait la sympathie, sinon la conviction, ouverte à toutes les tentatives intellectuelles sincères et sérieuses. Et telle est l’œuvre de Brochard : érudite sans excès de minutie, pénétrante sans excès de subtilité, animée du mouvement d’un esprit vif, agile, curieux, en garde contre les opinions toutes faites, mais non contre les idées bien acquises, assurée, pour se perpétuer, de la protection de toutes ces doctrines dont elle a expliqué le sens et recommandé le respect, sous lesquelles elle a abrité volontairement toute la valeur de ses résultats et son originalité même.

Victor DELBOS.
  1. Voici, avec l’indication des études réunies ici, les titres des recueils où elles ont d’abord paru, ainsi que la date de leur publication : Les arguments de Zénon d’Élée contre le mouvement, Compte rendu de l’Académie des sciences morales, 1888, nouvelle série, 29, p. 555-568. — Les prétendus sophismes de Zénon d’Élée, Revue de Métaphysique et de Morale, 1893, p. 209-215. — Protagoras et Démocrite, Archiv für Geschichte der Philosophie, II, 1889, p. 368-378. — L’œuvre de Socrate, L’Année philosophique, 12e année (1901), 1902, p. 1-11. — Les mythes dans la philosophie de Platon, L’Année philosophique, 11e année (1900), 1901, p. 1-13. — Sur le Banquet de Platon, L’Année philosophique, 17e année (1906), 1907, p. 1-32. — Le devenir dans la philosophie de Platon, Bibliothèque du Congrès international de philosophie de 1900, IV, p. 103-127. — La théorie platonicienne de la participation d’après le Parménide et le Sophiste, L’Année philosophique, 18e année (1907), 1908, p. 1-35. — Les Lois de Platon et la théorie des Idées, L’Année philosophique, 13e année (1902), 1903, p. 1-17. — La morale de Platon, L’Année philosophique, 16e année (1905), 1906, p. 1-47. — La logique des Stoïciens (première étude), Archiv für Geschichte der Philosophie, V, 1892, p. 449-468. — La logique des Stoïciens (deuxième étude), inédite. — La théorie du plaisir d’après Épicure, Journal des savants, 1904, p. 156-170, 205-212, 284-290. — La Morale d’Épicure, L’Année philosophique, 14e année (1903), 1904, p. 1-12. — La philosophie de Bacon, Revue philosophique, 1891, t. I, p. 368-381. — Descartes stoïcien, Revue philosophique, 1880, t. I, p. 548-552. — Le Traité des passions de Descartes et l’Éthique de Spinoza, Revue de Métaphysique et de Morale, 1896, p. 512-516. — Le Dieu de Spinoza, Revue de Métaphysique et de Morale, 1908, p. 129-163. — L’éternité des âmes dans la Philosophie de Spinoza, Revue de Métaphysique et de Morale, 1901, p. 688-699. — La logique de Stuart Mill, Revue philosophique, 1880, t. I, p. 257-269. — De la loi de similarité dans les associations d’idées, Revue philosophique, 1880, t. I, p. 257-269. — De la croyance, Revue philosophique, 1884, t. II, p. 1-23. — La morale ancienne et la morale moderne, Revue philosophique, 1901, t. I, p. 1-12. — La morale éclectique, Revue philosophique, 1902, t. I, p. 113-141.
  2. Discours de MM. A. Croiset, Luchaire et Bayet, Revue internationale de l’enseignement, 1907, t. II, p. 546-552. — V. Delbos, Victor Brochard, Revue universitaire, 1907, t. II, p. 411-413. — L. Dauriac, Annuaire de l’association des élèves de l’École normale, 1908, p. 49-58.
  3. Croyance et réalité, Introduction.
  4. F. Pillon, Une conférence sur le progrès, Critique philosophique, 6e année, 1877, t. I, p. 173-174.
  5. La Logique de Stuart Mill, p. 384-445 de ce volume.
  6. De la Loi de similarité dans les associations d’idées, p. 446-461.
  7. De la Croyance, p. 462-488.
  8. Essais de Psychologie, t. II, p. 200.
  9. Reproduit à la suite de la 2e édition de La Philosophie en France au XIXe siècle, 1885, p. 285-323.
  10. Descartes stoïcien, p. 320-326.
  11. Le Traité des Passions de Descartes et l’Éthique de Spinoza, p. 327-331.
  12. Le Dieu de Spinoza, p. 332-370. — L’éternité des âmes dans la philosophie de Spinoza, p. 371-383.
  13. P. 2-22.
  14. P. 23-33.
  15. P. 220-238.
  16. P. 239-251.
  17. Voir la reproduction abrégée des leçons de Brochard sur Platon dans la Revue des cours et conférences, 1893 (t. II), 1890-1897, 1901-1902 (t. I). — La même Revue a reproduit des leçons de lui sur Socrate 1892-1893 (t. I), 1900-1901, sur la morale d’Aristote et celle d’Épicure, 1893-1894 (t. I), sur la morale des Épicuriens et des Stoïciens (1902-1903).
  18. Voir Couturat, Sur l’évolution historique du système de Platon, Bibliothèque du Congrès international de Philosophie de 1900, t. IV, p. 147, note.
  19. V. dans ce volume Les « Lois » de Platon et la théorie des Idées, p. 151-168.
  20. La Théorie platonicienne de la participation d’après le Parménide et le Sophiste, p. 113-150.
  21. Les Mythes dans la philosophie de Platon, p. 46-59.
  22. Sur le Banquet de Platon, p. 60-94.
  23. L’œuvre de Socrate, p. 34-45.
  24. La Morale de Platon, p. 169-219.
  25. La Théorie du plaisir d’après Épicure, p. 252-293. — La Morale d’Épicure, p. 294-299.
  26. La Théorie du Plaisir d’après Épicure, p. 292.
  27. P. 489-503 ; p. 504-538.
  28. Une courte étude que Brochard avait donnée dès 1875 à la Société des sciences, lettres et arts de Pau (Bulletin de la Société, 2e série, t. IV) sur l’universalité des idées morales ne contient rien qui soit spécifiquement kantien ni qui soit inspiré par le livre de Renouvier sur la Science de la Morale.