Études historiques et politiques sur l’Allemagne/2

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ÉTUDES HISTORIQUES
ET POLITIQUES
SUR L’ALLEMAGNE.[1]

i. — vues générales sur l’histoire du pouvoir monarchique en allemagne.

L’Allemagne moderne ne ressemble guère plus à l’ancienne Allemagne que la France actuelle à la France d’il y a cinquante ans, car notre grande commotion révolutionnaire y a fait presque autant de ruines et amené presque autant de changemens que chez nous. La république et Napoléon renversèrent la vieille constitution germanique, et effacèrent de leur épée victorieuse jusqu’à ce nom vénéré de saint-empire romain, inscrit dix siècles auparavant par Charlemagne sur le fronton de l’antique édifice. Long-temps foulée aux pieds du conquérant français, et traversée en tous sens par ses armées, l’Allemagne fit en 1813 un puissant effort pour secouer le joug ; et, quand Napoléon fut tombé devant la coalition européenne, elle recouvra son indépendance et ses anciennes limites, mais non ses vieilles institutions. L’organisation de la confédération germanique par le congrès de Vienne ne fut point une restauration du passé, mais l’établissement d’un régime entièrement nouveau, une tentative à peu près du même genre que la monarchie constitutionnelle de Louis XVIII. Nous essaierons plus tard d’apprécier ce qui fut fait alors, mais nous devons auparavant faire connaître ce qui existait avant la révolution et expliquer par quelles transitions on est arrivé du saint empire de 1792, au pacte fédéral de 1815.

Qu’on nous permette d’abord quelques considérations générales sur les différentes phases de la constitution germanique.

La dignité impériale, considérée depuis Charlemagne comme un symbole de suprématie sur tous les peuples chrétiens, avait passé des Français aux Allemands, lors de la honteuse décadence des princes carlovingiens. Ce fut l’Allemagne qui au Xe siècle sortit la première de l’anarchie et du désordre auxquels la chrétienté était en proie : elle en fut redevable à deux grands hommes, Henri-l’Oiseleur et Othon-le-Grand. Othon surtout rappela à l’Europe l’activité, la puissance et la gloire de Charlemagne ; il se fit donner par le pape le titre d’empereur romain, qui depuis ce temps resta inséparable de celui de roi des Allemands. Quand on voit ce qu’était alors l’Allemagne comparativement aux autres pays, on s’étonne qu’elle ne soit pas restée le centre et le foyer de la vie politique de l’Europe, et qu’elle n’ait pas conservé la prééminence que semblait devoir lui assurer la possession de la couronne impériale. Mais elle ne put jamais atteindre cette unité à laquelle la France dut en grande partie son rôle si important dans l’histoire : il se rencontra dans la constitution de l’empire germanique, et sans doute aussi dans le caractère national, un principe de division dont les circonstances favorisèrent le développement. Le pouvoir central alla s’affaiblissant d’âge en âge au profit de pouvoirs secondaires, et le saint empire romain finit par n’être plus qu’un vain nom, n’établissant aucun lien sérieux entre cette foule d’états indépendans, souvent ennemis, dont se composait le corps germanique.

Il y a sous ce rapport, entre les destinées de l’Allemagne et celles de la France, un contraste frappant et qui mérite d’être étudié. En France, du Xe au XIVe siècle, la royauté, d’abord assez faible, va toujours grandissant : d’élective qu’elle était dans le principe, elle devient héréditaire, et il n’est presque pas de règne qui ne lui apporte quelque accroissement nouveau, grace à la politique constante des descendans de Hugues Capet et aussi à un concours inoui de circonstances heureuses. À la mort du dernier fils de Philippe-le-Bel, l’avènement de la branche de Valois amène une longue guerre de succession entre la France et l’Angleterre ; mais la loi salique triomphe : Charles V répare les désastres de Crécy et de Poitiers, et l’héroïque pucelle efface la honte d’Azincourt. Le pouvoir royal et la nationalité française sortent plus forts qu’auparavant de cette crise d’un siècle, comme le prouve bientôt le règne de Louis XI, qui abat les dernières grandes existences du moyen-âge. Cinquante ans plus tard, la féodalité expirante s’allie à la réforme et met en péril l’unité française, qui est sauvée par le mouvement catholique et populaire de la ligue. Henri IV ne monte sur le trône qu’en renonçant à sa religion et à son parti, et bientôt après Richelieu achève de briser tout ce qui reste de résistances aristocratiques et protestantes. Le siècle de Louis XIV commence : l’autorité royale, désormais illimitée, n’a plus à craindre que son propre excès, et ce sommeil qui s’empare des pouvoirs sans contrôle et à la faveur duquel se préparent des révolutions nouvelles.

Les choses se passent tout autrement en Allemagne. D’abord, au lieu de cette série de rois de France se succédant de père en fils pendant plus de trois cents ans, on voit, dans un moindre intervalle, s’éteindre successivement trois dynasties d’empereurs. Toutes trois commencent avec éclat par des souverains habiles et forts qui établissent leur puissance de manière à faire craindre pour l’indépendance du reste de l’Europe ; toutes trois déclinent par des causes à peu près semblables : la mort prématurée des souverains[2], de longues et désastreuses minorités[3], les expéditions et les conquêtes en Italie, terre funeste pour les empereurs germaniques, et surtout les luttes avec le saint-siége.

Les Othons préparèrent la querelle du sacerdoce et de l’empire, en s’emparant de la nomination des papes. La maison de Franconie reprit leurs prétentions abandonnées par saint Henri, dernier empereur de la maison de Saxe. Alors parut Grégoire VII, qui unit la cause de la liberté de l’église à celle de l’indépendance des princes allemands ; ce fut lui qui, par sa résistance à Henri IV, rendit la dignité impériale vraiment élective. La lutte, apaisée par le concordat de Calixte II, recommença sous les Hohenstaufen, et les papes s’allièrent aux républiques lombardes qui maintinrent leur indépendance contre le puissant Frédéric Barberousse. Ce fut en vain que les empereurs, devenus maîtres du royaume de Naples, prirent pour ainsi dire à revers le saint-siége et le parti guelfe : deux papes, dépossédés et fugitifs, tinrent en échec la puissance de Frédéric II, et, peu d’années après la mort de ce prince, sa race s’éteignit misérablement. Après la chute de cette illustre maison de Souabe, vint une longue période d’anarchie appelée par les historiens le grand interrègne, parce que des fantômes d’empereurs, comme Guillaume de Hollande et Richard de Cornouailles, ne peuvent être considérés comme ayant réellement exercé l’autorité impériale. Le droit d’élire l’empereur commença à devenir l’apanage exclusif d’un certain nombre de princes appelés électeurs, auxquels ce grand privilége donna une place à part et une prépondérance que celle du chef de l’état ne parvint plus désormais à balancer. Tous les membres de l’empire, évêques, princes, seigneurs, villes, travaillèrent à l’envi à se créer une position indépendante ; l’anarchie se mit partout, et il n’y eut plus de droit que le droit du plus fort[4]. En 1273, Rodolphe de Habsbourg fut élu, parce qu’on espérait qu’assez puissant pour rétablir l’ordre, il ne le serait pas assez pour rendre son ascendant au pouvoir impérial. Ce grand prince fit régner la justice et rendit la paix à l’Allemagne ; mais il assura à sa famille le duché d’Autriche, et les électeurs, craignant que les Habsbourg ne devinssent trop forts, refusèrent d’appeler son fils à l’empire. Pendant les cent cinquante ans qui s’écoulèrent depuis la mort de Rodolphe jusqu’à l’élection d’Albert II, la jalousie des princes ne permit à aucune famille de s’affermir sur le trône impérial. Les maisons de Nassau, d’Autriche, de Luxembourg, de Bavière, vinrent s’y asseoir alternativement, mais sans pouvoir rendre la force à une autorité dont elles n’avaient que la jouissance passagère et contestée. Les empereurs, en désespoir de cause, ne s’occupèrent que de leurs états héréditaires, vendirent aux princes des priviléges exorbitans, et dissipèrent ce qui restait du domaine impérial. Presque tous passèrent leur vie à guerroyer contre des compétiteurs ; deux d’entre eux furent déposés solennellement. L’empire tendit de plus en plus à devenir une république aristocratique, et la bulle d’or de Charles IV ne fit que constater l’incurable impuissance du pouvoir central. En 1438, Albert II fut élu, et la dignité impériale entra dans la maison d’Autriche pour n’en plus sortir jusqu’à l’extinction de la lignée masculine de Rodolphe de Habsbourg ; mais il était trop tard pour que la monarchie pût regagner ce que les siècles lui avaient fait perdre. Les états d’empire[5], grands et petits, avaient conquis presque tous les droits de la souveraineté, et ils avaient assuré leurs conquêtes par de fortes alliances entre eux. L’empire ne donnait plus à l’empereur ni autorité ni richesse ; loin de pouvoir penser à se faire obéir des princes, il ne pouvait même pas obtenir leur concours pour rétablir un peu d’ordre matériel. Tous étaient en guerre les uns contre les autres ; chacun se faisait justice à main armée, et les cinquante-quatre ans du règne de Frédéric III se passèrent en efforts inutiles pour faire décréter la paix publique (Landfriede). L’état de l’Allemagne au XVe siècle est fidèlement retracé dans ces paroles remarquables adressées aux Allemands par Silvius Énée Piccolomini : « Il y a une raison qui a affaibli votre empire et qui le réduira à rien, si vous n’y mettez ordre : les philosophes déclarent funeste le grand nombre des princes, vous en faites vos délices. Quoique vous confessiez que l’empereur est votre roi et votre seigneur, son autorité est précaire, sa puissance est nulle ; vous ne lui obéissez qu’autant que vous voulez, et vous ne le voulez pas du tout. Ni villes, ni princes, n’accordent à l’empereur ce qui lui est dû ; on ne lui paie point d’impôts, il n’a point de trésor. Chacun veut être chez lui modérateur et arbitre. De là vos discordes continuelles et vos guerres interminables. Si vous désirez recouvrer votre ancienne prépondérance, reprenez vos anciennes vertus, vos anciennes mœurs ; surtout, préférez l’unité à la division. Rendez à votre chef spirituel et à votre chef temporel les honneurs et l’obéissance qui leur sont dus. Si vous le faites, vous reconquerrez infailliblement votre antique gloire, et vous donnerez encore des lois à plusieurs grandes nations[6]. »

Maximilien Ier, prince brillant et aimable qu’on a appelé le dernier des chevaliers, parvint à rétablir l’ordre en Allemagne en faisant décréter par la diète la paix publique perpétuelle. C’est aussi sous son règne que fut fondée la chambre impériale et que l’empire fut divisé en dix cercles, mesures très utiles, mais qui, loin d’augmenter l’autorité de l’empereur, la restreignirent encore à certains égards. L’ordre de choses constitué par la bulle d’or avait jeté trop de racines dans les mœurs et les habitudes pour qu’il fût facile de ramener tant de divergences à une véritable unité. Toutefois, il n’eût peut-être pas été impossible d’y arriver avec le temps, à cause de la tendance favorable au pouvoir monarchique qui se manifestait partout en Europe ; mais l’œuvre à peine commencée fut arrêtée par la réforme, qui établit dans l’empire une division à jamais irrémédiable. Après la mort de Maximilien, les électeurs n’accordèrent leurs suffrages à Charles-Quint qu’après lui avoir lié les mains par un traité appelé capitulation, où leurs priviléges et leur indépendance étaient garantis par des promesses solennelles. De semblables promesses furent depuis lors imposées à tous les empereurs, et devinrent la condition obligée de leur élection. Charles-Quint s’occupa le moins qu’il put de l’Allemagne, où il vint rarement et où il ne résida jamais long-temps ; il abandonna à son frère Ferdinand les possessions de sa maison dans ce pays, et le nomma son lieutenant dans le gouvernement de l’empire. L’Espagne, les Pays-Bas, l’Italie, l’Amérique, absorbèrent tous ses soins : il ne put donner aux affaires d’Allemagne qu’une attention distraite et partagée, et laissa ainsi son libre cours à une révolution religieuse qui devait changer la face de l’Europe. La réforme fut favorisée par les princes parce qu’elle leur promettait de les rendre plus maîtres chez eux et d’augmenter leurs richesses aux dépens de celles de l’église. Quelques maisons princières en retirèrent en effet de grands avantages, mais c’en fut fait de l’unité de l’Allemagne, et par conséquent de son importance politique en Europe. Six ans après le jour où Luther avait brûlé à Wittemberg la bulle du pape qui le condamnait, deux ligues, l’une catholique, l’autre protestante, étaient en présence avec des forces à peu près égales. Quelques années plus tard, les protestans formaient une alliance avec le roi de France pour faire la guerre à l’empereur, et donnaient l’exemple, trop souvent imité depuis, d’appeler l’étranger à intervenir dans les affaires de leur patrie. L’alliance française leur valut la paix de religion qui constitua politiquement le protestantisme et établit deux états dans l’état ; elle coûta à l’empire les trois évêchés lorrains, dont la France resta en possession. Sous le régime de la paix de religion, la réforme fit des progrès rapides, neutralisés seulement par les divisions entre les sectes protestantes et par l’activité et le prosélytisme habile des jésuites. Presque tous les princes laïques embrassèrent la réforme ; mais la maison d’Autriche, restée catholique, conserva la dignité impériale, et aucune des deux religions ne put devenir prédominante. Enfin, après un demi-siècle de controverses, de querelles sans fin, de troubles sans cesse renaissans, on en appela aux armes, et la guerre de trente ans éclata. Cette guerre, bien plus politique que religieuse, se serait décidée au profit de la maison d’Autriche et du pouvoir impérial, sans l’intervention de la Suède et de la France, qui, poussées par des motifs bien différens, firent pencher la balance en faveur du protestantisme et de l’indépendance des princes. Le traité de Westphalie modifia la constitution germanique de manière à relâcher encore le lien déjà si peu serré qui unissait les divers membres de l’empire. Les deux partis qui avaient si long-temps combattu restèrent en présence, avec la dénomination légale de corps des catholiques et de corps des évangéliques. Les princes acquirent tous les droits de la souveraineté, notamment celui de faire la paix et la guerre, et de s’allier entre eux et avec les étrangers. La France et la Suède furent chargées de garantir l’exécution du traité, ce qui leur conférait en quelque sorte la tutelle de l’empire. À dater de cette époque, les princes allemands tendirent de plus en plus à se considérer comme n’ayant entre eux d’autres rapports que ceux qui existaient entre les divers états de l’Europe ; ils ne tinrent plus compte que de leurs intérêts particuliers, et se firent rarement scrupule de leur sacrifier ceux de l’empire ; aussi fut-il toujours facile aux puissances étrangères de les armer les uns contre les autres, et de paralyser ainsi les forces du corps germanique. Ce fut particulièrement la France qui profita de cet état de choses pour établir sa prépondérance en Europe. Louis XIV enleva aux deux branches de la maison d’Autriche l’Alsace, la Franche-Comté, une partie de la Flandre et du Hainaut. Grace à la position que lui avait faite le traité de Westphalie, il ne cessa de s’immiscer secrètement ou publiquement dans les affaires de l’empire ; ses guerres eurent souvent l’Allemagne pour théâtre, et les dévastations opérées par ses ordres sur les bords du Rhin ont laissé une tache à sa mémoire. La fin du règne de ce prince fut marquée par des revers aussi signalés que l’avaient été ses victoires : toutefois l’Allemagne n’y gagna presque rien, et le traité de Rastadt n’enleva à la France qu’une très faible partie de ses nouvelles acquisitions. C’est que le saint-empire était devenu un vain nom qui ne représentait rien de réel, et que le corps germanique, en vertu de sa constitution, ne pouvait trouver ni mandataires ni alliés sérieux dans les congrès où se débattaient les grands intérêts européens. Les plus puissans de ses membres, occupés uniquement de leurs plans particuliers d’agrandissement, semblaient avoir oublié qu’ils avaient une patrie commune : il y avait une politique autrichienne, prussienne, bavaroise, saxonne ; il n’y avait pas de politique allemande. Cette séparation d’intérêts entre les divers états dont se composait l’empire devint de jour en jour plus tranchée, ainsi que le prouve l’histoire du XVIIIe siècle, toute remplie de guerres entre Allemands, comme la guerre de la succession d’Autriche et surtout la guerre de sept ans, où Frédéric-le-Grand rompit la paix publique, arma le nord de l’Allemagne contre l’empereur et l’empire, et se joua impunément des règles les plus fondamentales de la constitution germanique. Ce prince, en dépouillant l’Autriche d’une de ses plus belles provinces et en élevant la Prusse au rang des grandes puissances européennes, détruisit ce qu’on appelait l’équilibre de l’Allemagne, et le chef de l’empire eut désormais un rival[7]. Lorsque plus tard Joseph II, monarque entreprenant et tracassier, voulut rendre à la maison d’Autriche son ancienne prépondérance, soit en faisant revivre quelques-unes des prérogatives de la dignité impériale, soit en concentrant ses forces par l’échange de la Belgique contre la Bavière, Frédéric l’arrêta dans ses projets en formant contre lui la fameuse alliance des princes (Fürstenbund), et, sous prétexte de défendre la liberté allemande, assura à la Prusse tous les avantages de sa nouvelle position. Les choses en étant venues là, on pouvait prévoir dans un temps donné la dissolution de l’empire germanique et la rupture définitive du lien dérisoire qui était censé en unir les diverses parties. Le vieil édifice n’aurait pas tardé à s’écrouler de lui-même, et la révolution française ne fit sans doute qu’avancer de quelques années le moment de sa chute.


II. — l’ancienne constitution de l’empire germanique.

Pour qu’on puisse se rendre compte des changemens opérés en Allemagne à la suite de nos victoires, il faut donner quelques explications sur ce qu’était la constitution de l’empire à la fin du XVIIIe siècle. Le saint empire romain, tel était le nom qu’on lui donnait depuis le moyen-âge, se composait à cette époque de trois cent soixante-seize portions[8] de grandeur très inégale, dont chacune avait légalement une existence indépendante et ne tenait aux autres que par un lien de moins en moins étroit[9]. De ce nombre étaient deux cent quatre vingt-seize états d’empire (Reichsstaende), ayant une part directe à la souveraineté. Les autres ne conféraient pas à leurs possesseurs la participation au gouvernement, mais elles n’en jouissaient pas moins d’une véritable indépendance, parce qu’elles relevaient uniquement de l’empereur dont la suzeraineté était peu gênante.

Le chef de l’empire se distinguait par les titres les plus pompeux : il s’intitulait empereur des Romains, toujours auguste, et roi d’Allemagne ; il prétendait être le chef de tous les princes chrétiens et le vicaire de Dieu au temporel, prétentions fondées sur la constitution de l’Europe au moyen-âge, mais qui, même à cette époque, n’étaient jamais arrivées à une réalisation durable, et qui, au XVIIIe siècle, n’étaient plus qu’un vain souvenir. Il fallait qu’il eût été élu à la majorité des voix par les huit princes qui avaient la qualité d’électeurs. Pendant trois cents ans, la dignité impériale était restée dans la maison d’Autriche ; toutefois, depuis Matthias, l’empereur s’engageait toujours à ne pas tenter de rendre la couronne héréditaire dans sa famille. Du reste, le pouvoir impérial avait été réduit à si peu de chose, et les charges en surpassaient tellement les bénéfices, que personne n’était intéressé à disputer aux Habsbourg cette belle épouse sans dot qu’on appelait l’empire. Notre Henri IV disait déjà, à la fin du XVIe siècle, qu’il aurait mieux aimé être doge de Venise qu’empereur d’Allemagne, et, depuis l’époque où il tenait ce langage, la puissance du chef de l’empire n’avait pas cessé de décroître. Il serait plus long d’énumérer les droits qu’il n’avait pas que de dire ceux dont il jouissait. Aucune parcelle du territoire allemand n’était soumise à son administration immédiate. Il n’avait pas, à proprement parler, de sujets ; il ne possédait ni domaines, ni revenus, et Joseph II, en faisant revivre quelques vieilles taxes, ne put lever que la somme ridicule de treize mille florins[10]. Le peu de prérogatives qu’on lui avait laissées, comme le droit de donner des titres de noblesse et quelques autres, étaient sujettes à des restrictions qui leur ôtaient toute leur valeur, et il ne lui restait guère des attributs ordinaires de la souveraineté que des noms pompeux et des honneurs. Quant aux objets importans, comme la législation, l’administration générale, la paix ou la guerre, il ne pouvait prendre de décision que d’accord avec les états d’empire, ses co-souverains. Il est vrai que lorsqu’une guerre avait été décrétée, c’était lui qui la soutenait presque seul avec ses troupes et à ses frais, car ce n’était qu’à grand’peine et seulement par la prière et les négociations qu’il pouvait obtenir de l’empire de faibles secours en hommes et en argent. Il avait, à la vérité, la haute inspection des tribunaux suprêmes de l’empire ; mais cela même avait été réduit à peu de chose, par suite d’une foule de précédens passés en usage. Le vice-chancelier, sans la proposition et la coopération duquel il lui était interdit de mettre la main aux affaires de l’empire, et tous les officiers de la chancellerie impériale étaient nommés par l’archevêque de Mayence en qualité de grand chancelier, et prêtaient serment à celui-ci comme à l’empereur. En un mot, pour qu’il ne fît pas le mal, on lui avait ôté la possibilité de rien faire.

L’autorité suprême résidait dans la diète (Reichstag), assemblée de tous les états d’empire ou de leurs représentans. La qualité d’état d’empire, qui donnait le droit de siéger et de voter à cette assemblée, ne dépendait pas de la puissance, du nombre des sujets, de la quotité des revenus, ni d’aucune autre circonstance de ce genre. C’était un privilége spécial qu’avaient certaines familles et certaines villes, et dont l’origine était si ancienne, qu’il ne pouvait se constater que par l’exercice qui en avait eu lieu de temps immémorial. Un petit nombre seulement, et des moins importans, le possédaient en vertu d’une collation de l’empereur et de l’empire, depuis une époque connue et plus ou moins récente. La diète se divisait en trois colléges, celui des électeurs, celui des princes et celui des villes. Chacun d’eux avait ses assemblées et ses délibérations séparées où les décisions se prenaient à la majorité des voix. Quand les trois colléges étaient d’accord, il en résultait une résolution ou placitum de l’empire (Reichsgutachten), qui après la ratification de l’empereur devenait un décret ou conclusum (Reichsschluss).

Les électeurs étaient primitivement au nombre de sept, et la bulle d’or de Charles IV les compare à sept flambeaux qui doivent éclairer le saint-empire dans l’unité des sept dons de l’esprit[11]. C’étaient les trois archevêques de Mayence, de Trèves et de Cologne, le roi de Bohême, le comte palatin du Rhin, le duc de Saxe et le marquis ou margrave de Brandebourg. Deux autres électorats, celui de Bavière et celui de Hanovre, avaient été créés depuis, l’un après la guerre de trente ans, l’autre à la fin du XVIIe siècle. En 1777, le nombre des électeurs avait été réduit à huit par la réunion de l’électorat palatin et de celui de Bavière sur une seule tête. Les électeurs possédaient les prérogatives les plus étendues. C’étaient eux qui, avant d’élire l’empereur, lui imposaient, sous le nom de capitulation, le traité où il s’interdisait toute tentative pour relever la puissance impériale. Ils étaient ses conseillers obligés, et il ne pouvait rien faire sans leur avis et leur consentement, tandis qu’eux, au contraire, pouvaient s’assembler et délibérer sur les affaires de l’empire sans sa permission. Les rois les traitaient de frères : l’empereur, par un usage bizarre, les appelait ses neveux et ses oncles. Le droit électoral était attaché au territoire, non à la personne, ni à la famille ; c’est pourquoi tous les électeurs possédaient un certain district qui était proprement l’électorat.

Le second collége de la diète, appelé collége des princes, se composait, en 1792, de cent votans. Sur ce nombre il y avait quatre vingt-quatorze suffrages personnels, c’est-à-dire donnés individuellement par les possesseurs de certaines seigneuries laïques ou ecclésiastiques, et six voix curiales ou collégiales appartenant à deux bancs de prélats et à quatre bancs de comtes. Sur les quatre-vingt-quatorze voix personnelles, trente-trois appartenaient à des ecclésiastiques, en vertu de leur élection comme évêques ou abbés, et soixante-une à des seigneurs laïques portant les titres de ducs, landgraves, margraves et princes. Ces soixante-une voix se trouvaient réparties entre quarante princes seulement, dont quelques-uns avaient déjà leur voix dans le collége électoral. Ainsi le roi de Prusse en avait sept, l’archiduc d’Autriche trois, l’électeur de Bavière six, le roi d’Angleterre six, etc. Cela venait de ce que, dans le XVIIe siècle, on avait attaché la qualité d’état d’empire, non plus aux personnes, comme dans les temps anciens, mais aux seigneuries[12]. Les choses avaient été ainsi réglées pour que l’extinction des familles princières ne diminuât pas le nombre des votans, et ne donnât pas aux empereurs la facilité de faire une majorité à leur dévotion, en élevant un grand nombre de leurs créatures à la dignité d’états d’empire. Cette dignité était, du reste, fort difficile à acquérir, parce qu’on ne pouvait obtenir voix et séance à la diète qu’avec son consentement exprès, et, dans le cours des deux derniers siècles, elle n’avait été conférée qu’un petit nombre de fois. Parmi les princes non électeurs, les plus puissans étaient les landgraves de Hesse-Cassel et de Hesse-Darmstadt, le margrave de Bade, les ducs de Wurtemberg et de Mecklembourg, l’archevêque de Salzbourg, les évêques de Munster, de Bamberg et de Wurzbourg. Le roi de Danemark et le roi de Suède avaient chacun une voix dans le collége des princes, l’un pour le Holstein, l’autre pour la Poméranie antérieure.

Le troisième collége de la diète était celui des villes impériales : elles étaient au nombre de cinquante-une et formaient deux bancs, celui des villes du Rhin et celui des villes de Souabe. Les formes de la délibération semblaient placer le collége des villes dans un rang inférieur à celui des deux autres colléges : toutefois le traité d’Osnabruck leur avait accordé voix décisive aux diètes, et leur concours était nécessaire pour un placitum d’empire.

La diète, composée des élémens que nous venons d’énumérer, siégeait à Ratisbonne. Devenue permanente depuis 1663, elle ne ressemblait guère à ces diètes orageuses du moyen-âge et du XVIe siècle, où les empereurs et leurs puissans feudataires venaient en personne débattre leurs intérêts et vider leurs différends. Ni le chef de l’empire, ni aucun des princes, si petit qu’il fût, ne se montrait plus à la pacifique assemblée, et leurs délégués seuls y paraissaient. Le cérémonial, les querelles de préséance, mille formalités minutieuses, prenaient le meilleur du temps de la diète, et les affaires s’y traitaient avec une lenteur devenue proverbiale. Il est vrai qu’on ne lui demandait guère son concours quand il s’agissait de choses vraiment importantes, et que toutes les grandes questions de politique intérieure et extérieure se décidaient sans elle dans le conseil privé des princes. Le temps et les évènemens avaient rendu ceux-ci à peu près aussi indépendans de l’empire que de l’empereur : à mesure que l’unité politique de l’Allemagne avait disparu pour faire place à un équilibre toujours menacé entre des forces rivales, la diète, qui représentait cette unité, avait vu son pouvoir décroître et sa sphère d’activité se rétrécir. Ses prérogatives constitutionnelles étaient restées très étendues en théorie ; mais dans la pratique elles se réduisaient à peu de chose, parce qu’il y avait mille moyens d’entraver et même de paralyser son action[13]. Il est inutile d’exposer ici quelles étaient les formes des délibérations de la diète : qu’il suffise de dire que les décisions s’y prenaient à la majorité des voix, excepté lorsqu’il s’agissait de matières religieuses et ecclésiastiques. Dans ce cas, les catholiques et les protestans se séparaient en deux corps qui délibéraient à part et traitaient les affaires à l’amiable[14].

Les institutions judiciaires de l’empire n’avaient guère conservé plus de vie réelle que ses institutions politiques. Il y avait deux tribunaux suprêmes : la chambre impériale, dont la résidence était à Wetzlar dans les derniers temps, et le conseil aulique, siégeant au lieu où résidait l’empereur. Ces deux tribunaux jugeaient souverainement les différends entre les états d’empire ; ils pouvaient aussi réformer, en matière civile, les sentences des tribunaux des princes, à moins que ceux-ci n’eussent le droit de ne pas appeler (jus de non appellando), en vertu duquel les juges nommés par eux prononçaient en dernier ressort. Tous les électeurs jouissaient de ce droit, ainsi que les plus puissans d’entre les autres princes. La chambre impériale, établie par Maximilien à la fin du XVe siècle, avait exercé à cette époque des pouvoirs très étendus ; plus tard, ses prérogatives les plus importantes avaient été transportées à la diète ; son action s’était affaiblie et ralentie, et elle était tombée en décadence comme l’autorité impériale elle-même.

Quoique les assemblées et les tribunaux de l’empire fussent bien déchus de leur ancienne autorité, surtout à l’égard des princes les plus considérables, ils assuraient à la foule des petits états répandus sur la surface de l’Allemagne une protection souvent efficace contre l’ambition envahissante de leurs voisins plus puissans. Les sujets des princes de second ordre y trouvaient un secours contre l’oppression et l’arbitraire de leurs maîtres. Dans les villes impériales, et même dans des états de plus grande importance, l’intervention de l’empire avait plus d’une fois garanti des droits menacés, résolu des difficultés graves, et pacifié des querelles intestines. Enfin il y avait là certains résultats salutaires qui ne pourraient être atteints avec la meilleure volonté du monde par les nouvelles institutions de la confédération germanique.

Après avoir exposé les rapports établis par la constitution de l’empire entre les diverses parties qui le composaient, il faut faire connaître sur quelles prérogatives s’appuyait la puissance de ses principaux membres. Le droit des états d’empire sur les pays qui leur étaient soumis s’appelait supériorité territoriale (Landeshoheit), et différait peu de la souveraineté absolue. Les états étaient vassaux, non de l’empereur, mais de l’empire ; ils possédaient leurs fiefs par droit d’hérédité, non en vertu de l’investiture qui ne pouvait leur être refusée, et qui n’était plus qu’une pure cérémonie. Il y avait quelque différence entre la supériorité territoriale dont jouissaient les électeurs, et celle des villes, des comtes, des abbés et abbesses, qui avaient à la diète une simple voix collégiale. Néanmoins cette supériorité donnait presque toujours le droit de vie et de mort sur les sujets, celui de faire des lois et ordonnances, même contraires au droit commun, de lever des impôts, de battre monnaie, de faire des alliances avec les étrangers, d’entretenir telle quantité de troupes qu’on jugeait à propos, enfin de soutenir ses prétentions les armes à la main, particulièrement hors de l’empire. Quant aux différends entre les états, on devait, dans la règle, en remettre la décision à la diète ou aux tribunaux suprêmes ; mais la conquête de la Silésie par Frédéric-le-Grand avait montré que cette règle était sans force, et que les puissans pouvaient la violer impunément.

Presque toutes les principautés allemandes avaient eu originairement une constitution analogue à celle de l’empire : des états territoriaux ou provinciaux (Landstaende) tenaient en face du prince la même place que les états d’empire (Reichsstaende) en face de l’empereur ; mais la puissance de ces états était toujours allée en déclinant depuis la guerre de trente ans et le traité de Westphalie. Le pouvoir des princes s’était accru à leurs dépens comme aux dépens de l’empereur et de l’empire[15], et ils avaient perdu successivement leurs prérogatives les plus importantes ; quelquefois même ils avaient tout-à-fait disparu. Leur influence presque partout avait fait place à la prépondérance des courtisans ou à celle d’une hiérarchie de fonctionnaires publics.

Les villes impériales étaient états d’empires et jouissaient de la supériorité territoriale et de tous les droits qui y étaient attachés. Elles avaient joué un grand rôle dans le moyen-âge, au temps de la ligue hanséatique et de la confédération des villes rhénanes ; mais, depuis le XVIe siècle, elles n’avaient fait que déchoir. Leur prospérité commerciale avait notablement diminué par suite de la prépondérance maritime de la Hollande et de l’Angleterre ; leur importance politique avait décliné avec leurs richesses, et la jalousie des princes qui se souvenaient du temps où ils trouvaient en elles de puissantes rivales, avait tout fait pour les réduire à une position subalterne. Elles étaient au nombre de cinquante-une, formant autant de petites républiques qui se gouvernaient comme elles l’entendaient, sauf leur dépendance, peu incommode, de l’empereur et de l’empire. La plupart avaient des constitutions aristocratiques et étaient soumises au joug d’un patriciat bourgeois fort exclusif.

Le tableau des institutions de l’empire germanique serait incomplet si l’on n’ajoutait quelques mots sur la noblesse immédiate, appelée chevalerie d’empire (Reichsritterschaft), qui, sans avoir jamais pu obtenir voix et séance à la diète, possédait une existence tout-à-fait indépendante, puisque ses membres ne reconnaissaient d’autre suzeraineté que celle de l’empereur. Les gentilshommes immédiats jouissaient, soit comme individus, soit comme corps, des prérogatives les plus essentielles attachées à la supériorité territoriale. Ils formaient trois cercles : celui de Franconie, celui de Souabe et celui du Rhin ; ces trois cercles se subdivisaient en quatorze cantons équestres (Rittercantone), comprenant plus de quinze cents petits fiefs.

Nous en avons assez dit pour que nos lecteurs puissent se faire une idée de tout ce qu’il y avait d’irrégulier et de bizarre dans la constitution de l’empire, et ils ne s’étonneront pas de l’embarras où étaient les publicistes quand ils voulaient la rattacher aux différentes formes politiques qui avaient des noms dans l’école. C’était, suivant les uns, une monarchie tempérée, suivant les autres, une monarchie mixte, ou bien encore une république aristocratique ; les plus hardis l’appelaient un gouvernement monstrueux qu’on ne pouvait classer dans aucune catégorie. En effet, les mots de monarchie ou de république indiquent une unité nationale, une force centrale quelconque, une action commune, toutes choses qui n’existaient réellement pas dans la constitution germanique. L’empereur, enchaîné par les capitulations, n’avait hors de ses états héréditaires aucune des prérogatives que possède le souverain dans les monarchies les plus limitées. La diète, toute puissante en théorie, était organisée de manière à ce que tous ses mouvemens fussent paralysés. Réduite à s’occuper d’affaires subalternes, elle avait perdu successivement toutes ses attributions politiques, et ce n’était plus qu’un fantôme d’assemblée nationale qui, dans le coin où elle était reléguée, n’attirait les regards de personne. Tout ce qui émanait de l’ensemble du corps germanique, tout ce qui était censé représenter un effort commun et tendait à maintenir un lien entre les différentes parties, portait le même caractère de décrépitude et d’impuissance. Les impôts d’empire n’étaient pas payés ; l’armée d’empire était un sujet de risée ; les tribunaux d’empire avaient vu leur juridiction resserrée dans d’étroites limites par les priviléges des princes, et, quoiqu’ils marchassent encore, ils n’étaient plus que l’ombre de ce qu’ils avaient été. Pendant que le corps dépérissait, les membres s’étaient agrandis outre mesure, et chacun tirait à soi. L’Autriche et la Prusse, à la fois puissances allemandes et puissances européennes, ne se disputaient la prépondérance en Allemagne que pour augmenter leur influence dans les affaires générales de l’Europe. Les autres états cherchaient, à leur exemple, à augmenter leur importance, et se mêlaient pour cela à toutes les intrigues intérieures et extérieures, ce qui n’aboutissait le plus souvent qu’à faire de l’Allemagne le champ de bataille universel. Les inimitiés des princes, en se communiquant aux peuples, semblaient avoir éteint chez eux le sentiment de la nationalité, auquel la réforme et la guerre de trente ans avaient porté un coup si terrible, que les Allemands, habitués à combattre les uns contre les autres, ne donnaient même pas à leurs querelles le nom de guerres civiles. Indépendamment du mur de séparation élevé par la religion entre les protestans et les catholiques, les Autrichiens haïssaient les Bavarois, les Saxons détestaient les Prussiens ; l’hostilité, ou tout au moins l’indifférence, régnaient de cercle à cercle, de ville à ville, de principauté à principauté, et l’empire, livré à d’irrémédiables dissensions, s’approchait chaque jour du terme où devait s’accomplir sur lui l’oracle évangélique, si profond dans sa simplicité : Tout royaume divisé en lui-même sera ruiné.


III — état moral de l’allemagne à la fin du xviiie siècle.

La France fut l’instrument de la destruction de l’empire, et elle le fut moins encore par ses armes que par ses idées. Quelque forte que fût la révolution, ses premiers coups n’auraient pas renversé si aisément le vieil édifice germanique, si les fondemens n’en eussent été minés par un travail analogue à celui qui prépara chez nous la ruine de l’ancienne monarchie. À la fin du XVIIIe siècle, le mépris du passé et l’impatience du présent régnaient en Allemagne comme en France : on répétait avec complaisance la plaisanterie de Voltaire sur le saint empire romain, qui n’était ni saint, ni empire, ni romain. Les défauts, frappans, il est vrai, des vieilles institutions, étaient devenus un sujet habituel de raillerie[16], et on fermait les yeux sur ce que leur action avait de doux et de tutélaire. Ceux même qui vivaient de ces institutions étaient les premiers à les attaquer ; et, au lieu de rechercher ce qu’il était possible de faire pour les réformer et les améliorer, les esprits se laissaient emporter à un désir effréné d’innovations qui ne reculait pas devant l’idée d’un bouleversement complet. C’est que nulle part plus qu’en Allemagne on avait adopté la philosophie française avec son mépris superbe pour la religion, ses récriminations amères contre l’ordre social et ses plans aventureux pour une refonte radicale de l’humanité. Quelques détails sur la manière dont les nouvelles doctrines s’étaient propagées, et sur leurs premiers résultats, sont nécessaires pour donner une idée précise de l’état moral du pays.

Parmi les causes qui disposèrent les esprits à accueillir favorablement cette philosophie, il faut mettre au premier rang l’influence de Frédéric-le-Grand. On connaît ses rapports intimes avec Voltaire et les encyclopédistes, sa prédilection pour les idées françaises et la langue française : puissante recommandation pour tout ce qui venait de l’autre côté du Rhin auprès des admirateurs et des imitateurs du grand homme. Ennemi du christianisme dès sa jeunesse, par suite de la façon maussade dont les prédicateurs calvinistes de son père le lui avaient enseigné, il était pourtant trop habile politique pour travailler directement à l’anéantir dans ses états ; mais il ne pouvait cacher le dégoût que lui inspiraient les controverses religieuses ; il se moquait volontiers de l’orthodoxie protestante et trouvait quelque plaisir à la laisser attaquer. Aussi accorda-t-il à ses sujets la liberté de la presse en ce qui touchait les matières religieuses : il est vrai que les excursions dans le champ de la politique leur étaient interdites, et qu’on n’eût pas été bien venu à se plaindre du despotisme souvent oppresseur de l’administration civile et militaire, ou à réclamer contre les principes qui avaient présidé au partage de la Pologne[17]. À la faveur de la tolérance ou de l’indifférence du roi, une foule d’écrivains se mirent à battre en brèche l’église protestante, qui, tout en proclamant en principe la liberté d’examen, voulait emprisonner les esprits dans la lettre des confessions de foi ; et, poussant plus loin leurs attaques, ils essayèrent d’ébranler les fondemens du christianisme. Le principal organe des novateurs fut un ouvrage périodique intitulé : Bibliothèque allemande universelle, publié à Berlin par Frédéric Nicolaï, et dont l’influence fut très grande dans toute l’Allemagne. Le mouvement parti de la Prusse s’étendit promptement à tous les pays protestans, qui déjà regardaient Berlin comme leur capitale intellectuelle. Il y eut partout une espèce de croisade contre la religion chrétienne, dont l’origine divine fut niée, dont on contesta les bases historiques, dont on discrédita les livres sacrés, et dans laquelle on ne voulut reconnaître que l’œuvre d’un ambitieux imposteur, ou tout au plus celle d’un sage philanthrope qui avait trompé le genre humain pour le rendre meilleur. Il y eut en général entre l’incrédulité allemande et l’incrédulité française la même différence qu’entre le caractère des deux nations : chez nous, elle eut le ton moqueur, l’allure leste et cavalière, le ridicule fut son arme la plus habituelle ; chez nos voisins, elle fut plus grave, plus raisonneuse, plus scientifique ; mais, malgré quelques nobles protestations, elle ne fut ni moins générale ni moins active. Ce travail universel de destruction, auquel prirent part les hommes les plus remarquables du temps, ne pouvait manquer de produire une grande fermentation dans les esprits, un profond dégoût de l’organisation sociale existante et je ne sais quel pressentiment d’un avenir inconnu dont la littérature nationale, alors dans tout l’éclat de la jeunesse, était souvent la vive expression[18].

Les pays catholiques de l’Allemagne ne furent pas moins remués que les pays protestans par les idées nouvelles, qui eurent cette fois pour instrument le fils de la pieuse Marie-Thérèse, le chef de la catholique maison d’Autriche, l’empereur Joseph II. Séduit plutôt par les doctrines philanthropiques et économiques de la philosophie contemporaine que par ses théories religieuses, ce prince voulut refaire à neuf, pour ainsi dire, les peuples dont la Providence lui avait confié le gouvernement, et crut pouvoir accomplir en quelques années ce qui ne peut être que l’œuvre des siècles. Jamais réformateur placé à la tête d’un grand empire ne fut plus entreprenant ni plus actif : législation, administration, éducation publique, finances, il bouleversa tout et réorganisa tout sur un nouveau plan[19] ; mais sa plus grande entreprise fut celle de changer dans ses états la discipline de l’église catholique et de substituer partout son autorité à celle du pape. Toutes les libertés ecclésiastiques étaient à ses yeux des abus, et il n’y en eut aucune sur laquelle il ne portât la main. On dit même qu’il eut quelque temps la pensée de se séparer de Rome ; mais la résistance du clergé à ses premières réformes, le mécontentement du peuple qui, dans les Pays-Bas autrichiens, se manifesta par des insurrections, mille obstacles de tout genre qui entravèrent l’exécution de ce que la théorie présentait comme si facile, l’éclairèrent sur les dangers d’une semblable entreprise : il s’arrêta au moment de franchir les dernières limites et fit même quelques pas en arrière. Sa première ardeur s’étant un peu refroidie devant les difficultés, il s’arrangea avec le pape, qui lui accorda à peu près tout ce qu’il demandait[20] : l’Autriche resta catholique et l’empereur, laissant un peu respirer l’église, porta d’un autre côté son zèle aventureux. Est-il besoin de dire que les tentatives du réformateur impérial ajoutèrent beaucoup à la confusion et à l’inquiétude qui régnaient déjà dans les esprits, qu’elles furent un puissant encouragement pour les novateurs de toute espèce au dedans et au dehors de la monarchie autrichienne, et qu’en diminuant le respect des peuples pour l’autorité spirituelle et temporelle, elles frayèrent la voie aux bouleversemens qui se préparaient ?

La double influence des réformes de Joseph II et du mouvement philosophique français ne se fit sentir nulle part avec plus de force que dans les principautés ecclésiastiques du Rhin, et, chose étrange, ce fut avec la faveur et l’appui des électeurs archevêques. Possédant, en vertu des lois de l’empire, la plénitude de l’autorité temporelle, ces princes supportaient impatiemment que leur autorité spirituelle fut limitée par la primauté du pape, et ils auraient désiré se rendre aussi indépendans à son égard dans l’église qu’ils l’étaient dans l’état à l’égard de l’empereur. Il résulta de là que la conduite de Joseph II eut pour approbateurs et pour imitateurs les premiers dignitaires de l’église germanique. Une querelle de juridiction s’étant élevée entre les électeurs ecclésiastiques et le nonce du pape, ces princes tinrent à Ems un congrès où on les vit, d’accord avec le quatrième archevêque d’Allemagne, celui de Salzbourg, définir suivant des maximes tout-à-fait schismatiques les limites respectives de leur autorité et de celle du saint-siége. Moins de vingt ans après cette levée de boucliers contre Rome, les quatre prélats avaient perdu non-seulement leurs belles et riches principautés, mais encore leurs siéges archi-épiscopaux.

Indépendamment de leurs attaques contre l’autorité du pape, les électeurs ecclésiastiques encourageaient ou toléraient la propagation de la nouvelle philosophie française, qu’ils laissaient enseigner dans leurs universités, en même temps que les livres et les journaux travaillaient à la répandre dans le peuple. Pendant que l’archevêque de Mayence accueillait avec distinction à sa cour le fameux abbé Raynal, les chanoines à seize quartiers et la noblesse des électorats travaillaient de concert à faire des prosélytes aux doctrines prêchées par cet écrivain et par les philosophes du temps. Les écrits les plus hardis étaient ceux qu’ils recherchaient et vantaient le plus ; les bustes de Voltaire et de Rousseau avaient remplacé dans leurs appartemens les images de la mère du Christ et celles des saints apôtres ; ils ne juraient que par Mably, Rousseau, Raynal et Helvétius, traitaient de préjugés surannés toutes les vieilles idées, parlaient avec enthousiasme de liberté et d’égalité ; enfin, ils mettaient toute leur influence au service d’une doctrine dont la première conséquence devait être le renversement de toute existence semblable à la leur. Peut-on s’étonner, après cela, des vives sympathies que la révolution française excita parmi les populations rhénanes ?

Il y eut pourtant un état catholique où les idées de réformation sociale ne trouvèrent point d’appui dans le prince ni dans ceux qui l’entouraient : ce fut la Bavière, où régnait Charles-Théodore, que la réunion sur sa tête des deux couronnes électorales appartenant à la maison de Wittelsbach avait rendu l’un des plus puissans princes de l’Allemagne. L’électeur, trop vieux et trop ami du repos pour se faire réformateur, se préoccupait peu du mouvement intellectuel de l’époque et laissait les choses dans l’état où ses prédécesseurs les avaient mises : son gouvernement n’était ni brillant ni habile ; mais le peuple bavarois était profondément attaché à la foi de ses pères[21], et le clergé avait conservé une grande influence dont il se servait pour combattre les nouvelles doctrines, ou plutôt pour en empêcher la propagation. Rencontrant là une résistance inattendue au lieu de l’accueil enthousiaste qu’elles recevaient ailleurs, ces doctrines furent obligées de se frayer une voie clandestine et pour ainsi dire souterraine : c’est ce qui donna naissance à la secte des illuminés. Adam Weishaupt, professeur à Ingolstadt, fonda en 1776 une association secrète dans le but insensé d’anéantir non-seulement le christianisme, mais toute espèce de religion, et de ramener le genre humain à cet état d’indépendance sauvage que quelques philosophes du temps appelaient l’état de nature, et qui avait précédé, selon eux, l’établissement des sociétés. Il s’attacha à frapper les imaginations par l’attrait du mystère, par les formes imposantes d’une initiation successive aux secrets de la secte, et par des récits fantastiques sur sa prétendue antiquité et sur la part qu’elle avait eue, à l’insu des profanes, dans toutes les grandes choses qui s’étaient faites pendant le cours des siècles. L’organisation de cette secte était très forte : l’obéissance aveugle en était la première loi, et l’espionnage réciproque le moyen habituel. Du reste, on ne savait pas à qui l’on obéissait ; les chefs restaient cachés dans un sanctuaire impénétrable dont on ne devait lever le voile qu’après de longues épreuves, lorsqu’on se serait montré digne de participer aux sublimes connaissances qu’ils tenaient en réserve pour le bonheur du genre humain. Weishaupt et ses adeptes firent preuve d’une rare habileté dans l’art de s’emparer des esprits, et ils gagnèrent un grand nombre de prosélytes dans toutes les classes de la société[22] : ils en firent jusque dans le clergé catholique, notamment Dalberg, depuis coadjuteur de Mayence, et plus tard prince primat. Mais les progrès de l’illuminisme furent bientôt arrêtés, et son existence menacée par les querelles qui s’élevèrent entre les chefs : quelques-uns, l’ayant abandonné, l’attaquèrent publiquement par des écrits auxquels Weishaupt eut l’imprudence de répondre. Cette polémique attira l’attention du gouvernement bavarois, et le conduisit à des découvertes par suite desquelles la secte fut supprimée en 1785 et ses membres poursuivis comme conspirateurs et ennemis de l’ordre social. On avait saisi un grand nombre de documens écrits, dont plusieurs furent livrés à l’impression, afin d’éclairer le public sur l’illuminisme, et de faire connaître ses plans secrets dans toute leur folie et toute leur perversité ; mais cette publication ne produisit presque pas d’effet, soit à cause du peu de crédit dont jouissait dans l’opinion le gouvernement bavarois, soit plutôt à cause de l’affinité qui existait entre les doctrines des illuminés et celles qui avaient la faveur publique. La plupart des gens considérables du temps pensaient, comme eux, qu’il fallait se débarrasser de la religion et de l’église. Quant à leurs plans politiques, on les tournait presque en ridicule, en pensant à la police vigilante et aux belles et bonnes troupes qui veillaient à la sûreté des trônes. Il résulte de là que les illuminés ne furent sérieusement poursuivis qu’en Bavière, quoiqu’ils eussent des ramifications dans toute l’Allemagne. Aucun autre prince que Charles-Théodore n’inquiéta ceux qui pouvaient se trouver dans ses états, et les tribunaux d’empire ne jugèrent pas à propos de prendre connaissance de cette affaire. « La plupart des membres de la secte, dit Menzel, persévérèrent dans son esprit ; ils continuèrent à poursuivre, chacun de son côté, les fins qu’elle s’était proposées, et ils aidèrent de tout leur pouvoir la révolution qui, quelques années plus tard, changea la face de l’empire[23]. »

IV — premières guerres de la révolution. — leurs conséquences en allemagne. — traités de bâle et de lunéville.

D’après ce que nous venons de dire sur l’état des esprits en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle, il est facile de comprendre quelle impression y produisit la révolution française. Ce fut d’abord un enthousiasme à peu près universel, surtout dans la classe moyenne sur laquelle les mots de liberté et d’égalité exerçaient une séduction assez naturelle, et parmi les gens de lettres dont l’imagination, frappée de la grandeur du drame qui se déroulait devant leurs yeux, croyait voir dans un prochain avenir l’accomplissement inespéré de toutes les promesses de la philosophie moderne. Cet enthousiasme se refroidit sans doute à mesure que la révolution se montra sous un aspect plus sombre et plus sanglant ; mais il resta toujours dans un grand nombre d’esprits une sympathie secrète pour la cause de la démocratie française, qui pénétra jusque dans les conseils des souverains et ne contribua pas peu à y porter l’irrésolution et le découragement.

Il existait trop de liens de toute espèce entre toutes les nations européennes pour que la révolution pût se développer sans changer les rapports de la France avec les états voisins, et sans amener quelques-uns de ces conflits que la guerre seule peut trancher. L’assemblée constituante, dès ses débuts, porta la main sur les droits de l’empire germanique, en étendant la mesure générale qui supprimait la féodalité aux possessions que plusieurs princes allemands avaient conservées dans les provinces cédées à la France au XVIIe et au XVIIIe siècles[24]. Les parties lésées se plaignirent amèrement de cette atteinte portée aux traités, d’abord près du roi de France qui n’était déjà plus le maître, puis près de l’empereur Joseph II, alors occupé à faire la guerre aux Turcs, et dont la mort, arrivée bientôt après, fut suivie d’un interrègne de sept mois. Cette première querelle fut bientôt envenimée par de nouveaux griefs. Lorsque les progrès de la révolution poussèrent une partie si considérable de la noblesse et du clergé à fuir le sol de la France, les émigrés reçurent l’accueil le plus favorable chez les princes ecclésiastiques du Rhin qui étaient au nombre de ceux dont l’assemblée constituante avait violé les droits. La ville de Coblentz, appartenant à l’électeur de Trèves, devint pour ces exilés non-seulement un lieu de refuge, mais encore un quartier général d’où les frères de Louis XVI, considérant le roi comme captif, provoquaient tous les princes de l’Europe à s’unir pour le délivrer, et où ils organisaient une petite armée de gentilshommes destinée à marcher aux premiers rangs des ennemis de la révolution. Il y avait, dans une pareille situation, comme un commencement d’hostilités de la part de l’empire germanique. L’assemblée nationale s’en plaignit vivement, et le ministère français adressa à l’empereur des réclamations auxquelles il ne fut donné qu’une satisfaction incomplète.

Ce ne fut que dans le courant de l’année 1791 que les cabinets de Vienne et de Berlin, arrêtés jusque-là par les embarras où les avait jetés leur politique égoïste et ambitieuse à l’égard de la Pologne et de la Turquie, commencèrent à s’occuper sérieusement de ce qui se passait en France et pensèrent à une intervention, soit par voie diplomatique, soit même à main armée, si la chose devenait nécessaire. Quand l’arrestation de Louis XVI à Varennes eut bien constaté la captivité de ce monarque, l’empereur Léopold et le roi de Prusse, oubliant leur ancienne inimitié, travaillèrent de concert à amener une coalition entre tous les souverains pour rendre au roi de France, sinon son pouvoir, au moins sa liberté. Cette pensée donna naissance à la déclaration de Padoue (6 juillet 1791) et à la fameuse conférence de Pilnitz. Frédéric-Guillaume II, animé alors d’un zèle sincère pour la cause de Louis XVI et de Marie-Antoinette, voulait une invasion immédiate du territoire français. Léopold, circonspect et temporiseur, craignant de mettre en danger par une attaque aussi brusque la vie de son beau-frère et celle de sa sœur, désirait qu’on attendît encore et fondait quelques espérances sur la lutte du parti constitutionnel français contre les jacobins. Il parvint à faire adopter ses vues par son allié ; néanmoins les importunités des chefs de l’émigration arrachèrent aux deux souverains une déclaration où leurs intentions pacifiques se montraient trop à découvert pour ne pas détruire tout l’effet de leurs menaces, et qui n’était propre qu’à irriter le parti révolutionnaire sans l’effrayer. Peu de temps après, Louis XVI ayant accepté la constitution faite par l’assemblée nationale, l’empereur parut persuadé que cette acceptation avait été faite librement[25] : il écrivit dans ce sens à tous les souverains, et donna des ordres pour la dispersion et le désarmement des émigrés, malgré les vives réclamations des princes français, qui se plaignaient de la non exécution des promesses de Pilnitz. Frédéric-Guillaume agit dans le même sens et déclara qu’on ne ferait pas la guerre à la France si elle n’attaquait pas l’empereur et l’empire. Les deux cours étaient alors d’accord sur ce point, qu’il ne fallait pas provoquer la révolution au combat, mais seulement se tenir sur la défensive et prendre conseil des évènemens.

Pendant que les vues pacifiques prenaient le dessus à Vienne et à Berlin, il n’en était pas de même à Paris, où tous les partis poussaient à la guerre. Les royalistes la désiraient par suite de l’illusion qu’ils s’étaient faite dès le commencement sur la force de l’esprit révolutionnaire : ils pensaient qu’une armée désorganisée et abandonnée du plus grand nombre de ses officiers ne tiendrait pas contre les soldats aguerris de l’Autriche et de la Prusse, se présentant non en conquérans, mais en libérateurs, et ayant pour avant-garde la fleur de la noblesse française conduite par les frères du roi. La plupart des constitutionnels et une portion du ministère espéraient que la guerre réunirait tous les partis, rendrait quelque force au pouvoir, et, jetant à l’extérieur l’ardeur inquiète de la nation, leur permettrait de la discipliner et de s’en rendre maîtres. Les révolutionnaires exaltés, guidés par un instinct plus sûr, y voyaient au contraire un moyen de redoubler l’agitation intérieure, de rendre promptement le roi suspect de connivence avec les ennemis de la France, et d’arriver par là au renversement définitif de la monarchie. Aussi vit-on partir du club des jacobins les provocations les plus violentes contre l’empereur et contre tous les souverains : répétées dans le sein de l’assemblée législative par Brissot et par quelques autres, ces provocations entraînèrent bientôt cette assemblée, et par elle le ministère, à des démarches qui firent disparaître tout espoir de conserver la paix. Léopold, toujours décidé à ne pas prendre l’offensive, resserra son alliance avec la Prusse par le traité du 7 février 1792, et fit dans les Pays-Bas et dans le Brisgau des préparatifs de défense qui rendirent de plus en plus irritantes les relations diplomatiques entre la France et l’Autriche. La mort subite de ce prince précipita plutôt qu’elle ne l’arrêta la marche des évènemens ; mais, avant même que la nouvelle en fût arrivée à Paris, l’assemblée législative avait provoqué une révolution ministérielle qui rendait inévitable une rupture prochaine. Delessart, ministre des affaires étrangères, fut mis en accusation comme ayant trahi l’honneur et les intérêts de la France, et remplacé par Dumouriez. Cet homme habile et ambitieux, porté au pouvoir par le parti exalté, présenta au cabinet de Vienne des demandes qu’il savait être inadmissibles, et que le jeune successeur de Léopold repoussa avec colère. Louis XVI fut alors forcé par son conseil de proposer la déclaration de guerre au roi de Hongrie et de Bohême[26], qui fut décrétée à la presque unanimité par l’assemblée législative (20 avril 1792). Ainsi fut donné le signal de ce combat terrible qui devait, pendant près d’un quart de siècle, ensanglanter successivement toutes les parties du continent européen et dans lequel allait périr jusqu’au nom du vieil empire germanique.

Il n’entre pas dans notre plan de raconter en détail des guerres dont le récit se trouve partout : nous n’en mentionnerons les faits principaux que pour faire comprendre la politique suivie par les puissances coalisées contre la France et les phases diverses de cette politique. Nous aurons à nous occuper plus spécialement de celle des cours allemandes. Nous verrons comment la division profonde établie par la constitution même de l’empire entre les membres du corps germanique, porta ses fruits au moment du danger, comment elle empêcha entre eux toute union sérieuse, et comment elle finit par amener la destruction complète de l’ancien ordre de choses.

Quant à la politique de la France, les bases en avaient été posées dès 1792 par Dumouriez dans son rapport au comité diplomatique de l’assemblée législative. Il avait fort bien vu qu’il existait en Allemagne trois intérêts distincts : celui du corps germanique proprement dit, celui du roi de Prusse et celui de la maison d’Autriche. Or, selon lui, le corps germanique n’avait rien à gagner dans une guerre, qui, en supposant qu’elle fût heureuse, ne pouvait profiter qu’aux grands états ; l’alliance du roi de Prusse avec l’empereur était trop contraire aux antécédens et aux intérêts du cabinet de Berlin pour pouvoir être de longue durée ; enfin l’Autriche, livrée à elle-même, avait trop d’embarras de toute espèce, pour pouvoir tenir tête à la France. Il résultait de là qu’il fallait travailler à isoler cette puissance, d’une part en faisant des traités particuliers avec les membres du corps germanique[27], d’autre part en ménageant la Prusse, en affectant de séparer toujours sa cause de celle de l’Autriche, et en laissant ainsi la porte ouverte aux négociations dès qu’on s’apercevrait d’un refroidissement inévitable dans une alliance aussi peu naturelle. Ces vues dominèrent toute la politique de la France à l’égard de l’Allemagne pendant les guerres de la révolution, et les évènemens se chargèrent de lui donner raison.

La déclaration de guerre du 20 avril 1792 amena la rupture avec le roi de Prusse, lié à l’Autriche par un récent traité d’alliance, et qui d’ailleurs attendait avec impatience le moment où il pourrait prendre les armes contre la France révolutionnaire. Une première attaque des Français en Belgique ayant été repoussée par les Autrichiens, on se figura qu’on arriverait à Paris presque sans coup férir ; on se flatta, surtout à Berlin, qu’une armée prussienne commandée par le duc de Brunswick, élève du grand Frédéric, n’aurait qu’à se montrer pour mettre en déroute l’armée des avocats[28]. Il est sûr que la France, avec ses troupes désorganisées et composées en grande partie de nouvelles recrues, était mal préparée à se défendre ; mais les forces que la coalition mit sur pied n’étaient pas en rapport avec le but qu’elle se proposait. L’imprudent manifeste du duc de Brunswick, rédigé sous l’inspiration des émigrés, excita dans les populations françaises une exaltation patriotique poussée jusqu’à la fureur. L’irrésolution des coalisés, la lenteur de leurs mouvemens, laissèrent à leurs adversaires le temps de se reconnaître et de s’organiser. L’adresse et l’habileté de Dumouriez firent le reste. L’armée prussienne était presque à moitié chemin de Paris, lorsque ce général, connaissant la répugnance qu’inspirait cette guerre aux conseillers de Frédéric-Guillaumne, se mit secrètement en rapport avec eux[29]. Ses négociations artificieuses contribuèrent, bien plus que la canonnade de Valmy, à amener une retraite que le mauvais temps et le manque de vivres rendirent désastreuse pour les troupes prussiennes[30]. Au moment où Frédéric-Guillaume repassait la frontière et rentrait dans le Luxembourg, les Français, appelés par les révolutionnaires des bords du Rhin, envahissaient le Palatinat sous les ordres de Custine, et la trahison leur livrait Mayence, l’un des principaux boulevards de l’empire germanique. Quelques jours plus tard, Dumouriez, libre de porter toutes ses forces sur les Pays-Bas, battait les Autrichiens à Jemmapes, et la Belgique soulevée se livrait à lui tout entière. La république avait été proclamée à Paris le lendemain du combat de Valmy, et le procès de Louis XVI commençait au moment même où se livrait la bataille de Jemmapes.

Les résultats inattendus de la campagne de 1792 fortifièrent la révolution en France, et commencèrent à décourager ses adversaires ; mais la convention, enivrée de ses succès, jeta le gant à l’Europe par son fameux décret du 19 novembre, où elle offrait son secours à tous les peuples qui se révolteraient contre leurs gouvernemens, et par celui du 15 décembre, qui ordonnait l’incorporation des pays conquis à la république. Elle mit bientôt le comble à ces audacieuses provocations en faisant tomber la tête de Louis XVI. Alors il se forma entre toutes les puissances européennes une ligue dont l’Angleterre devint l’ame, ligue qui n’eut plus pour but, comme la coalition de 1792, le rétablissement de l’ordre en France, mais la restauration du vieil équilibre européen, renversé par les conquêtes de la république, et la défense de tous les trônes menacés par les éruptions du volcan révolutionnaire. Tout le poids de la guerre tomba encore sur l’Autriche et sur la Prusse, ayant cette fois l’Angleterre pour trésorière et la Russie pour arrière-garde. L’Autriche se prépara à reconquérir les Pays-Bas et à prendre vigoureusement l’offensive ; la Prusse, qui avait une partie de ses forces occupée en Pologne, se chargea seulement de préserver l’Allemagne. Il fut convenu que les armées des deux puissances agiraient séparément, et n’obéiraient qu’à leurs propres chefs : c’était enlever aux opérations militaires l’unité dont elles auraient eu besoin, et préparer des divisions qui, en effet, ne tardèrent pas à éclater. Quant à l’empire germanique, il y avait une telle lenteur dans les mouvemens de ce corps décrépit, que sa déclaration de guerre à la France ne fut faite que six mois après la violation de son territoire et la prise de Mayence. Les états d’empire, à peu d’exceptions près, mirent très peu de zèle à fournir leurs contingens ; la plupart firent preuve d’une mauvaise volonté évidente, et ne furent décidés à faire quelques efforts que par les subsides de l’Angleterre. L’électeur de Bavière, le prince le plus puissant de l’Allemagne après l’empereur et le roi de Prusse, se distingua par son apathie égoïste et son indifférence marquée pour la cause commune. Dès l’an 1793, il essaya de se retirer du combat et d’obtenir sa neutralité par un arrangement avec la république.

La campagne de 1793 commença malheureusement pour la France. Une seule bataille lui enleva la Belgique, qu’une seule bataille lui avait donnée l’année précédente. Dumouriez vaincu échoua dans une tentative qui n’aurait peut-être pas réussi à un chef victorieux, celle de soulever ses soldats contre la convention : il fut obligé de s’enfuir pour échapper à la guillotine. Le prince de Cobourg, général autrichien, au lieu de profiter du désordre où cette défection avait jeté l’armée républicaine pour s’avancer hardiment au cœur de la France, s’amusa à une guerre lente et méthodique, qui laissa à la convention le temps de se reconnaître. Elle employa toutes les ressources de sa sanglante dictature pour jeter à la frontière tous les hommes en état de porter les armes, réduits à chercher dans les camps un asile contre l’échafaud. La levée en masse fournit des soldats, l’emprunt forcé et les confiscations fournirent de l’argent ; les généraux, surveillés par des représentans et menacés de la guillotine, contre laquelle la victoire même n’était pas toujours une défense, furent poussés à des efforts désespérés ; le génie de Carnot donna à la guerre une direction toute nouvelle, qui déconcertait la tactique routinière des généraux ennemis ; enfin l’énergie sauvage du comité de salut public fit face à tous les dangers qui menaçaient la république au dedans et au dehors, et communiqua aux armées françaises une fureur belliqueuse que les défaites même semblaient exalter encore. À la fin de 1793, les coalisés n’avaient obtenu en Flandre que des résultats sans importance, tandis que sur la frontière d’Allemagne leurs premiers succès avaient été suivis de revers inattendus. L’Alsace avait été délivrée et le Palatinat reconquis ; les Autrichiens avaient repassé le Rhin à Philisbourg, et les Prussiens s’étaient retirés sous le canon de Mayence. En présence de l’unité vigoureuse imprimée aux motivemens des armées républicaines, il n’y avait dans les conseils des alliés, que divisions, jalousies et incertitudes. Les vues égoïstes et intéressées s’étaient trahies : l’Autriche, en laissant voir l’intention de reprendre à la France les conquêtes de Louis XIV, avait excité la défiance du cabinet de Berlin ; le refroidissement entre les deux cours avait amené le manque de concert entre les généraux ; puis, à la suite, des revers communs, des querelles scandaleuses et d’amères récriminations[31].

L’expérience ayant fait reconnaître aux coalisés les inconvéniens de la lenteur et de la tactique pédantesque qui avaient présidé jusque-là à tous leurs mouvemens, on résolut d’adopter pour la campagne de 1794 un plan plus hardi, d’après lequel l’armée des Pays-Bas devait marcher sur Paris sans s’arrêter aux places fortes intermédiaires. Ce système, qui aurait pu réussir les années précédentes, venait trop tard cette fois[32]. D’abord la convention ne pouvait plus être prise au dépourvu, et elle avait désormais à opposer à ses ennemis de formidables moyens de défense ; puis il manquait à la coalition un général en chef capable de faire taire toutes les rivalités et d’imprimer une direction une et forte ; enfin le découragement et la division régnaient dans les cabinets. Celui de Vienne, dirigé par Thugut, pensait moins à dompter la révolution qu’à arracher à la France quelques lambeaux de territoire, et ne prêtait point un concours sincère aux projets stratégiques dont on se berçait à l’armée. Le roi de Prusse, de son côté, était dégoûté de la guerre par l’issue des campagnes précédentes ; ses ressources étaient épuisées, et la tournure que prenaient les affaires de Pologne appelait de ce côté toute son attention. Déjà quelques démarches significatives pouvaient faire prévoir qu’il saisirait la première occasion favorable pour se retirer de la coalition. L’inaction calculée de ses troupes après le combat de Pirmasens permit à la convention de porter rapidement sur la Sambre une partie de l’armée de la Moselle et de déconcerter, par la supériorité des forces françaises, toutes les tentatives des Autrichiens. L’empereur François II, qui était venu à l’armée de Belgique, la quitta découragé, et dès lors le sort des Pays-Bas fut décidé dans la pensée des ministres viennois. Les habitans de ces provinces n’ayant pas répondu à l’appel adressé à leurs états pour un armement général de la nation, les mouvemens du généralissime prince de Cobourg n’eurent plus au fond d’autre objet que d’amener et de motiver l’abandon d’un pays que rien ne pouvait émouvoir en faveur de l’Autriche. La prise de Charleroi et la défaite de Fleurus (16 juin 1794) décidèrent le général autrichien à une retraite que rien ne rendait encore nécessaire, et à laquelle s’opposèrent en vain les Anglais et les Hollandais[33]. Il se retira derrière la Meuse, pendant que l’armée anglo-hollandaise se repliait sur le Brabant septentrional.

Les généraux de la république, par l’ordre du comité de salut public, s’arrêtèrent aussi à la Meuse, et l’on reprit les places françaises conquises par les alliés. Pendant ce temps, le général prussien Moellendorf, attaqué à Kaiserslautern, avait dû céder au nombre et à l’impétuosité des troupes françaises, et s’était replié sur Mayence. C’était le contre-coup de la retraite du prince de Cobourg. Frédéric-Guillaume ayant résisté aux instances des commissaires anglais, qui voulaient que ses troupes se portassent sur la Sambre, les Autrichiens, laissés à eux-mêmes, abandonnèrent la ligne de la Meuse pour se retirer derrière la Roer : les Français les poursuivirent et les battirent près de Juliers, ce qui les décida à repasser le Rhin le 2 octobre. C’est alors que le roi de Prusse renonça formellement aux subsides de l’Angleterre, affaiblit son armée du Rhin pour pouvoir achever la soumission de la Pologne et commença à faire des ouvertures à la république[34]. Au mois de novembre, toute la rive gauche du Rhin était au pouvoir des Français, à l’exception de Luxembourg et de Mayence, et Pichegru, poussant devant lui les Anglais et les Hollandais, se préparait à envahir la Hollande. Un hiver prématuré rendit inutile à ce pays sa barrière de fleuves et de marécages, que les troupes françaises franchirent sur la glace. Pichegru, favorisé par le parti opposé à la maison d’Orange, entra à Amsterdam le 19 janvier 1795, et la Hollande devint par le fait une province française. Pendant ce temps, les cours de Vienne et de Berlin, comme pour se consoler de leurs revers, achevaient avec la Russie le partage de la Pologne.

Le résultat le plus important des victoires des Français fut la paix de Bâle, où l’on vit le successeur de Frédéric-le-Grand, le zélé promoteur de la croisade de 1792, traiter le premier de puissance à puissance avec la révolution. La défection du roi de Prusse enleva à la coalition une partie considérable de ses ressources et de ses moyens d’attaque : elle l’affaiblit surtout moralement en montrant à tous les yeux que les intérêts tenaient une bien plus grande place que les principes dans l’alliance des puissances contre la révolution, et que la foi et l’honneur monarchiques étaient bien moins enthousiastes et bien plus accommodans que les convictions républicaines. Dès la fin de 1794, Frédéric-Guillaume II avait commencé à négocier avec la convention. Depuis ce temps, les Français avaient envahi la Hollande, ils avaient chassé le stathouder, beau-frère du roi de Prusse, et renversé un ordre de choses établi et garanti par lui-même huit ans auparavant[35]. Mais ni cette conquête, qui enlevait à Frédéric-Guillaume un allié important et effaçait un titre de gloire des armes prussiennes, ni les efforts de l’Angleterre et de l’Autriche pour l’empêcher de traiter séparément, ne purent prévaloir sur son désir passionné de se débarrasser de la guerre avec la France. Le traité de Bâle fut signé le 15 avril. Frédéric-Guillaume s’engageait à vivre en paix, amitié et bonne intelligence avec la république, tant comme roi de Prusse que comme membre de l’empire germanique, et à laisser les Français en possession provisoire des provinces prussiennes situées sur la rive gauche du Rhin, ajournant tout arrangement définitif à l’égard de ces provinces jusqu’à la pacification générale entre la France et l’empire. De son côté, la république s’engageait à retirer ses troupes des possessions prussiennes situées sur la rive droite du Rhin, et à accueillir les bons offices du roi en faveur des princes et états de l’empire germanique qui désireraient entrer directement en négociation avec elle, et qui, pour cet effet, avaient déjà réclamé ou réclameraient encore l’intervention du roi. Cet article, suivant l’expression d’un publiciste[36], donnait le signal du sauve qui peut aux princes allemands, et les plaçait sous la protection de la Prusse. Une convention additionnelle, signée six semaines plus tard, conféra à cette puissance le protectorat de l’Allemagne du nord, en déclarant neutres tous les pays compris au-delà d’une ligne de démarcation qui renfermait les cercles de Westphalie, de haute et basse Saxe avec une partie de la Franconie et des deux cercles du Rhin ; cet arrangement assura contre toute attaque les frontières septentrionales de la France. C’était un véritable schisme dans l’empire, dont une moitié s’assurait les bienfaits de la paix, tandis que l’autre continuait à supporter tout le fardeau de la guerre. La Prusse trahissait encore plus formellement les intérêts de l’Allemagne dans les articles secrets du traité de Bâle où elle se faisait garantir une indemnité à sa convenance dans le cas où la république porterait ses limites jusqu’au Rhin, sacrifiant ainsi d’avance l’intégrité de l’empire germanique. Le gouvernement français comprit toute la portée des concessions que lui faisait le cabinet de Berlin, et Rewbell, faisant son rapport à la convention au nom du comité de salut public, s’exprima à ce sujet en termes très significatifs[37].

La paix de Bâle fit un grand effet en Europe, et elle y fut en général sévèrement jugée. L’Autriche et les états de l’Allemagne méridionale se plaignirent vivement de cet abandon de la cause commune. Ils faisaient ressortir tout ce qu’il y avait de scandaleux à voir des membres du corps germanique abjurer ouvertement les devoirs que leur imposait cette qualité, mépriser les réquisitions de la diète, refuser leur secours à l’empereur et à l’empire, et séparer solennellement leurs intérêts de ceux de la communauté ; ils rapprochaient avec amertume de la conduite actuelle de Frédéric-Guillaume celle qu’il avait tenue en 1792, son ardeur belliqueuse contre la révolution française, surtout ses efforts incessans pour entraîner à tout prix ses coétats dans cette même guerre dont il leur laissait maintenant toutes les charges. Le roi de Prusse, de son côté, alléguait, pour se justifier, l’épuisement de ses ressources, les souffrances de ses peuples, la conviction acquise à la suite de trois campagnes que le but pour lequel on avait pris les armes était impossible à atteindre ; il récriminait contre l’Autriche, qui, selon lui, continuait la guerre bien moins dans l’intérêt de l’empire que pour ne pas sacrifier ses provinces des Pays-Bas. Tout cela fut dit expressément ou du moins insinué dans un écrit adressé par le roi à la diète de Ratisbonne. Mais l’opinion publique ne prit pas le change, et, loin de voir dans le traité de Bâle un de ces sacrifices nécessaires qu’imposent des revers éclatans et de grands désastres, elle persista à y reconnaître l’œuvre d’une politique égoïste et intéressée qui se retirait du combat avant la fin pour ne pas prendre sa part des pertes communes, et qui s’assurait par la défection plus d’avantages peut-être que n’en eût apporté la victoire. Dans le fait, la conduite de la Prusse annonçait et préparait la dissolution de l’empire : elle montrait à tous les yeux l’impuissance de sa constitution, la misère de ses lois, la faiblesse du lien qui était censé unir ses divers membres, l’hostilité réelle et profonde qui se cachait sous leur prétendue fraternité. Les hommes d’état berlinois faisaient bon marché de cet être de raison qu’on appelait la patrie allemande : peu leur importait que l’empire fût mutilé, pourvu que la Prusse s’arrondît et s’accrût. L’Allemagne leur paraissait aussi bonne à partager que la Pologne, fût-ce avec l’étranger, et le principe de l’indemnité aux dépens des tiers, posé à Bâle, devait avoir pour conséquence nécessaire le système de spoliation qui fut appliqué plus tard à la suite du traité de Lunéville.

La Prusse et l’Allemagne du nord s’étant retirées de la coalition, tout le poids de la guerre retomba sur l’Autriche, faiblement secourue par les états de l’Allemagne méridionale. La campagne de 1795 s’ouvrit tard, et le résultat en fut favorable aux Autrichiens. Leurs généraux Wurmser et Clairfayt forcèrent les Français à repasser le Rhin, dégagèrent Mayence et poussèrent Pichegru jusqu’aux frontières de l’Alsace ; mais l’hiver amena une suspension d’armes qui les empêcha de poursuivre leurs avantages. L’année suivante, le directoire voulut forcer l’Autriche à la paix par un gigantesque plan d’opérations : pendant que Bonaparte envahissait l’Italie, Jourdan et Moreau pénétrèrent au cœur de l’Allemagne, et forcèrent l’électeur de Bavière, le duc de Wurtemberg et le margrave de Bade à des traités séparés où ces princes, suivant l’exemple donné par la Prusse à Bâle, abandonnaient leurs possessions de la rive gauche du Rhin, moyennant une indemnité à prendre sur la rive droite. Chacun se hâtait de s’assurer une bonne part dans les dépouilles des princes ecclésiastiques qu’on savait bien devoir être sacrifiés dans les futurs arrangemens. Toutefois la chance des armes tourna : l’archiduc Charles mit en déroute l’armée de Jourdan et força Moreau à sa belle retraite, si célèbre dans les annales de l’art militaire. L’empire était donc sauvé encore cette fois si Bonaparte n’eût conquis l’Italie par une suite de prodigieuses victoires qui arrachèrent à l’Autriche la convention de Léoben (18 avril 1797), suivie plus tard du traité de Campo-Formio (17 octobre).

Dans les préliminaires de Léoben, les plénipotentiaires autrichiens avaient stipulé pour la forme l’intégrité de l’empire germanique ; Bonaparte, s’étant emparé peu après des états de la république de Venise, fit taire les scrupules du cabinet de Vienne, en lui offrant cette riche proie qui lui fut adjugée par le traité de Campo-Formio en échange de la Belgique et du Milanais. Il fut convenu qu’un congrès serait tenu à Rastadt pour régler la pacification générale entre la France et l’empire germanique ; mais les bases de cette pacification furent établies d’avance par des articles secrets qui consacrèrent les principes du traité de Bâle, c’est-à-dire la cession de la rive gauche du Rhin à la France, et le remaniement de l’Allemagne aux dépens des faibles et au profit des forts. Les députés des états d’empire s’assemblèrent à Rastadt, où ils ne tardèrent pas à se convaincre que toute résistance aux exigences du vainqueur était désormais inutile. Ils furent donc forcés d’admettre en principe l’extension des frontières françaises jusqu’au Rhin et la sécularisation des principautés ecclésiastiques ; toutefois les difficultés soulevées par la répartition des indemnités firent traîner leurs délibérations en longueur, et une nouvelle rupture entre la France et l’Autriche les obligea de se séparer sans avoir rien conclu. Depuis le traité de Campo-Formio, le directoire avait révolutionné la Suisse et les états du pape ; il avait forcé le roi de Sardaigne à lui livrer la citadelle de Turin, et s’était emparé de la forteresse d’Ehrenbreitstein. L’Autriche jugea que la guerre était moins dangereuse qu’une semblable paix, et elle entra dans une nouvelle coalition avec la Russie et l’Angleterre ; la Prusse refusa de s’y joindre et maintint de nouveau la neutralité de l’Allemagne septentrionale. La campagne de 1799, à laquelle les Russes, commandés par Souwarof, prirent une part très active, fut malheureuse pour la république, privée alors de son grand général : mais la campagne de 1800 répara glorieusement les échecs de l’année précédente. Bonaparte, revenu d’Égypte en toute hâte, anéantit l’armée autrichienne dans les plaines de Marengo : cette victoire et celle de Hohenlinden, à la suite de laquelle Moreau s’avança jusqu’à vingt lieues de Vienne, amenèrent la paix de Lunéville (9 février 1801).

Le traité de Lunéville reproduisit en substance celui de Campo-Formio : en outre, l’empereur, traitant en son nom et au nom de l’empire, y cédait à la république française les pays allemands situés sur la rive gauche du Rhin[38]. Les princes héréditaires, dépossédés en tout ou en partie, devaient recevoir une indemnité sur le territoire de l’empire, ainsi que cela avait déjà été convenu à Rastadt. Le règlement de cette indemnité, étant une affaire purement allemande, aurait dû être laissé à l’empereur et à l’empire, si l’on s’en était tenu aux principes ordinaires de droit public ; cependant il n’en fut pas ainsi. Une députation d’empire fut chargée, il est vrai, de régler les droits de tous les intéressés, mais sa nomination n’eut lieu que neuf mois après la signature du traité, et ce ne fut qu’une vaine formalité qui ne put tromper personne : toutes les décisions relatives aux principaux changemens territoriaux étaient prises d’avance, lorsque cette assemblée commença son travail, et elle n’eut guère qu’à les enregistrer. La France exerça une véritable dictature sous le nom de médiation : tout fut réglé à Paris par des négociations particulières entre le gouvernement consulaire et les divers états d’empire ; médiatrice aussi, la Russie intervint activement en faveur de quelques princes qui avaient des rapports de parenté avec le czar. La confiscation des principautés ecclésiastiques fut résolue dès le principe, malgré l’opposition de l’Autriche, qui, soit par esprit de justice, soit dans l’intérêt du pouvoir impérial, désirait en sauver au moins une partie. Or, ces principautés, en y joignant les villes libres qui devaient être aussi supprimées à peu d’exceptions près, formaient une masse de territoire très supérieure à ce que les princes laïques sacrifiaient sur la rive droite du Rhin. Ceux-ci pouvaient donc, en s’y prenant habilement, se faire indemniser bien au-delà de leurs pertes ; aussi les vit-on tous chercher à gagner les bonnes graces de Bonaparte ou celles de M. de Talleyrand, pour qu’il leur fût adjugé une plus forte part dans les dépouilles de l’église. Le projet d’indemnité ou plutôt de partage convenu entre la France, la Russie et la Prusse, fut accepté plus tard par l’Autriche, moyennant quelques modifications en sa faveur : la diète y donna son consentement le 24 mars 1803 « comme au seul moyen d’établir la tranquillité si nécessaire au bien-être de la patrie allemande et au maintien du lien d’empire. »

Les changemens accomplis par suite du traité de Lunéville n’étaient rien moins qu’une révolution complète dans la constitution germanique. L’empire perdait à peu près le neuvième de son territoire ; plus de la moitié de ses membres était privée de son existence politique ; en revanche, plusieurs de ceux qui conservaient la leur voyaient s’accroître notablement l’étendue de leurs domaines et le nombre de leurs sujets[39]. La diète subsistait encore avec ses trois colléges et ses anciennes formes, mais tous les rapports y étaient changés. Quatre nouveaux électorats avaient été créés en faveur du duc de Wurtemberg, du landgrave de Hesse-Cassel, du margrave de Bade et du grand duc de Toscane, qui avait reçu en échange de ses états d’Italie l’ancien archevêché de Salzbourg. Des trois électeurs ecclésiastiques, un seul, celui de Mayence, avait conservé sa place à la diète, mais avec la plus grande partie de ses états et sa ville archiépiscopale de moins. Trente-un évêques ou abbés avaient disparu du collége des princes, ainsi que les deux bancs de prélats. Le collége des villes libres était réduit à six au lieu de cinquante-une. L’équilibre entre les religions, établi par le traité de Westphalie, se trouvait entièrement renversé au profit du protestantisme. Sur les dix voix électorales, six étaient protestantes ; les protestans se trouvaient en immense majorité dans le collége des princes, et dans le collége des villes, il n’y avait plus de membres catholiques. Suivant la remarque ingénieuse d’un historien[40], la révolution française, de laquelle on avait attendu le renversement des souverains héréditaires et la domination exclusive de la bourgeoisie, avait produit en Allemagne le résultat opposé, puisqu’elle y avait détruit la plupart des républiques bourgeoises et renforcé la puissance des princes. « Même la suppression des états ecclésiastiques, ajoute-t-il, pouvait paraître à plusieurs égards une victoire pour les adversaires des idées et des formes favorisées par la révolution ; car dans tous ces états le pouvoir des souverains était limité par des formes constitutionnelles. Dans tous, le pouvoir était électif et accessible à des hommes qui n’étaient pas nés princes, puisque, dans les anciens temps au moins, on avait vu des fils de charrons ou de forgerons devenir princes-évêques ou électeurs. »

Si l’on juge en elle-même l’abolition des souverainetés ecclésiastiques, il faut reconnaître que c’était une mesure inique à l’appui de laquelle on ne pouvait présenter aucun principe de droit public. Au point de vue de l’équité, les pertes imposées à l’empire par les victoires de la France auraient dû être supportées en commun par tous les membres du corps germanique, car tous étaient solidaires, et la constitution n’établissait aucune différence entre le droit des laïques et celui des ecclésiastiques. La spoliation de ces derniers ne se faisait pas dans l’intérêt des populations et d’après leur vœu, car personne ne songeait à les consulter. Ce n’était pas un sacrifice fait à l’unité et à l’indépendance de l’Allemagne, puisque ceux-là surtout en profitaient qui avaient les premiers séparé leur cause de la cause commune, et dont la conduite prouvait que le mot de patrie allemande était pour eux un mot vide de sens. Il n’y avait point de prétexte spécieux à alléguer : il ne s’agissait pas du salut de la nation, mais de l’intérêt particulier de quelques princes qui, pour augmenter leur puissance, avaient fait l’étranger arbitre des destinées de l’empire, et s’étaient appuyés sur lui pour faire tourner à leur profit les pertes de la communauté. C’était, après tout, l’application à l’Allemagne des principes qui avaient présidé au partage de la Pologne, avec cette différence que ce qui avait été fait dans ce dernier pays par trois puissances étrangères, était exécuté en Allemagne par des souverains allemands. Est-il besoin de dire que, quoiqu’on eût conservé les formes extérieures de l’empire, ses membres, devenus moins nombreux, n’en étaient que plus divisés de sentimens et d’intérêts, son chef plus isolé et plus impuissant que jamais ; que rien ne pouvait plus désormais faire revivre cette confiance, cette foi réciproque, cette disposition à se secourir mutuellement, sans lesquelles une constitution fédérative n’est qu’un mensonge et un vain simulacre ? Chose singulière, les grands changemens qui se faisaient n’agissaient que faiblement sur l’opinion publique ; la nation paraissait aussi divisée et aussi indifférente aux destinées de la patrie, que ceux qui la gouvernaient ; ou plutôt l’empire n’était pas considéré comme une patrie, et on voyait sans regrets approcher le moment de sa dissolution définitive. L’Allemagne du nord, redevable du bienfait de la paix au traité de Bâle, jouissait en égoïste du calme et de la prospérité que lui avait assurés la politique prussienne, et faisait bon marché des souffrances de l’Allemagne méridionale. Celle-ci, désolée par une guerre longue et désastreuse, aspirait avant tout au repos et trouvait bon qu’on le lui procurât à tout prix. Il semblait, du reste, qu’il n’y eût rien de commun entre les diverses populations germaniques et que toute idée de grandeur et d’indépendance nationale leur fût devenue étrangère. Toutes les préoccupations des esprits élevés se portaient vers la littérature et la philosophie, qui étaient alors dans leur moment le plus brillant. Les chefs-d’œuvre des poètes de Weimar, les systèmes des penseurs de Kœnigsberg ou d’Iéna captivaient bien autrement l’attention publique que l’œuvre de démolition qui s’accomplissait à Rastadt ou à Ratisbonne ; il est vrai de dire que ce grand mouvement intellectuel, en relevant les Allemands à leurs propres yeux, devait plus tard contribuer puissamment à réveiller chez eux le sentiment patriotique.


V. — fin de l’empire germanique. — confédération du rhin. — réaction contre la domination française[41].

Les changemens qui venaient de s’accomplir n’étaient qu’un prélude à de plus grands changemens. Bonaparte, peu satisfait des conquêtes assurées à la France par le traité de Lunéville, aspirait ouvertement à la domination universelle, et son ambition ne semblait plus connaître de limites. Nommé empereur héréditaire des Français en 1804, il se fit roi d’Italie l’année suivante, et plaça sur sa tête la couronne de fer des monarques lombards. Parme, Plaisance et Guastalla, destinés, aux termes des traités, à indemniser le roi de Sardaigne, furent bientôt après réunis à l’empire français.

Gênes ne tarda pas à éprouver le même sort. Ces prompts et gigantesques agrandissemens, après lesquels il ne fallait plus parler d’équilibre européen, amenèrent la troisième coalition contre la France. L’Autriche, qui avait tant d’injures à venger et tant de pertes à réparer, s’allia encore une fois à la Russie et à l’Angleterre. Mais Bonaparte, en enrichissant des dépouilles de l’église les princes de l’Allemagne méridionale, en avait fait les alliés et comme l’avant-garde de la France ; les électeurs de Bavière, de Wurtemberg et de Bade prirent parti pour lui, ouvrirent passage à son armée et en grossirent les rangs de leurs propres troupes. La rapide et brillante campagne de 1805 déconcerta tous les plans des coalisés. Avant qu’ils eussent pu décider la Prusse à se joindre à eux, Napoléon avait fait mettre bas les armes à l’armée autrichienne renfermée dans Ulm, et était entré en vainqueur dans les murs de Vienne ; la victoire d’Austerlitz fit le reste, et força l’Autriche à signer la paix de Presbourg (25 décembre 1805). Cette puissance perdit douze cents milles carrés de territoire qui furent ajoutés au royaume d’Italie et aux états des princes alliés de Napoléon. La Prusse, prise en flagrant délit de conspiration contre le conquérant, fut obligée de sacrifier Neufchâtel, Clèves et Anspach ; elle reçut en échange le Hanovre, possession bien plus importante que celles auxquelles elle renonçait, mais dont l’acceptation la constituait en état de guerre permanent contre l’Angleterre, lui aliénait la Russie et la compromettait dans l’opinion publique en Allemagne. Le traité de Presbourg conféra le titre de roi aux électeurs de Bavière et de Wurtemberg. Ces deux princes et l’électeur de Bade devaient, en outre, jouir de la plénitude de la souveraineté et de tous les droits qui en dérivent dans leurs possessions anciennes et nouvelles, sans pour cela cesser d’appartenir à la confédération germanique. Un terme nouveau, comme on le voit, était substitué à celui d’empire qui rappelait trop l’ancien lien féodal entre les princes et l’empereur, et ce n’était pas sans intention, car la destruction de l’empire était résolue. Quelques mois plus tard, en effet, Napoléon, assuré du concours des souverains de l’Allemagne méridionale et occidentale[42], renversa le peu qui restait du vieil édifice germanique, et fonda la confédération du Rhin, qui substituait le protectorat de la France à la suzeraineté de la maison d’Autriche.

Le 12 juillet 1806, l’acte de confédération fut signé à Paris par les envoyés des rois de Bavière et de Wurtemberg, de l’électeur archichancelier, de l’électeur de Bade, du landgrave de Hesse-Darmstadt, du duc de Berg, des princes de Nassau, de Hohenzollern et de quelques autres. Tous ces princes renonçaient à leurs liens avec l’empire germanique comme incompatibles avec la plénitude de la souveraineté reconnue à quelques-uns d’entre eux par le traité de Presbourg, et que les autres croyaient devoir réclamer comme une conséquence naturelle et un complément nécessaire du même traité. L’empereur des Français était déclaré protecteur de la confédération du Rhin avec le droit d’en nommer le président sous le nom de prince primat, et de disposer des troupes fédérales dans toute guerre continentale où la France serait engagée. L’électeur archichancelier devenait prince primat ; l’électeur de Bade, le duc de Berg et le landgrave de Hesse-Darmstadt prenaient le titre de grands-ducs, avec les droits, les priviléges et les honneurs royaux. La ville libre de Francfort était donnée au prince primat, et celle de Nuremberg au roi de Bavière. Tous les petits princes et seigneurs de l’Allemagne méridionale qui avaient été jusque-là vassaux immédiats de l’empire et avaient joui à ce titre de la supériorité territoriale, étaient médiatisés, c’est-à-dire devenaient sujets des membres de la confédération dans les états desquels leurs domaines étaient enclavés.

Cette nouvelle constitution d’une si grande partie de l’Allemagne fut notifiée à la diète de Ratisbonne par le chargé d’affaires de France, qui déclara que son maître ne reconnaissait plus l’existence de l’empire germanique, et par les envoyés des princes confédérés. Ceux-ci annoncèrent qu’ils se séparaient de l’empire, parce que les évènemens des trois dernières guerres et les changemens politiques qui en avaient été la suite avaient prouvé jusqu’à l’évidence que le lien qui avait uni jusqu’alors les divers membres du corps germanique ne pouvait plus remplir son but, ou plutôt qu’il était en réalité déjà brisé. « C’est au sentiment de cette triste vérité, disaient-ils, qu’on doit attribuer la séparation des intérêts de l’Allemagne du nord et de ceux de l’Allemagne méridionale opérée dès 1795. Depuis ce temps, toute pensée de patrie commune et d’intérêt commun avait dû nécessairement disparaître ; les mots de guerre d’empire et de paix d’empire n’avaient plus de sens ; c’était en vain qu’on cherchait l’Allemagne dans le corps germanique… En opérant leur séparation actuelle, ils ne faisaient qu’adopter le système déjà établi par la conduite et même par les déclarations expresses des plus puissans des états d’empire. On aurait pu, à la vérité, maintenir la vaine apparence d’une constitution sans vie réelle ; mais il était plus conforme à leur dignité et à la pureté de leurs intentions de déclarer ouvertement leur résolution et les motifs qui les y décidaient. » Tout cela était vrai, il faut en convenir : la paix de Bâle avait commencé la dissolution de l’empire ; celle de Lunéville et celle de Presbourg l’avaient achevée ; il n’y avait plus de raison pour conserver un nom et des formes qui n’étaient désormais qu’un mensonge sans utilité. Aussitôt que l’empereur François II eut connaissance de ce qui s’était passé à Ratisbonne, il déclara à son tour que les conséquences qu’on avait tirées de plusieurs articles du traité de Presbourg l’avaient déjà convaincu de l’impossibilité où il se trouvait désormais de remplir les devoirs attachés à la dignité impériale, et que la formation de la nouvelle confédération rendait cette conviction encore plus complète ; elle le conduisait à considérer comme rompu le lien qui l’avait uni au corps germanique ; il déposait la couronne d’empereur d’Allemagne, déliait les électeurs, princes et états, du serment qu’ils lui avaient prêté, et réunissait ses provinces allemandes à ses autres possessions pour les gouverner toutes ensemble en qualité d’empereur d’Autriche[43].

Ainsi finit le saint-empire romain, un peu plus de mille ans après sa fondation par Charlemagne.

Nous avons vu que l’acte constitutif de la confédération du Rhin médiatisait une foule de petits princes et seigneurs, c’est-à-dire leur enlevait l’indépendance et les droits de souveraineté dont ils avaient joui jusqu’alors, pour arrondir à leurs dépens le territoire des membres de la confédération. La médiatisation était le complément de la sécularisation opérée à la suite du traité de Lunéville : elle détruisait l’existence politique de la noblesse d’empire, comme la sécularisation avait détruit celle du clergé catholique. Du reste, cette nouvelle mesure, loin de se faire au profit des libertés populaires, n’eut d’autre résultat que d’augmenter le pouvoir des souverains. Napoléon voulait que l’autorité de ses alliés ne fût limitée que par la sienne propre, et, on le sait assez, ce n’était pas à l’héritier couronné de la révolution française que les peuples devaient demander des droits politiques et des garanties constitutionnelles. Il ne tarda pas à dévoiler toute sa pensée à cet égard dans un écrit adressé au prince primat[44], où il disait entre autres choses que les affaires intérieures des divers états confédérés ne le regardaient pas, que les différends des princes de la confédération avec leurs sujets ne devaient pas être portés devant un tribunal étranger, et que le protecteur ne voulait pas faire usage du pouvoir qui lui avait été conféré pour restreindre leurs droits de souveraineté, mais au contraire pour leur en assurer la pleine et entière jouissance. Encouragés par cette déclaration, les princes portèrent partout la main sur les institutions qui limitaient leur autorité et qui avaient subsisté sous diverses formes jusqu’à la dissolution de l’empire dans tous les états, grands et petits. C’est ainsi que le Wurtemberg fut privé de son ancienne constitution, que Fox trouvait comparable à celle de l’Angleterre. L’électeur, devenu roi, argua de la plénitude de la souveraineté qui lui était reconnue par le traité de Presbourg pour enlever à ses sujets leurs vieilles libertés, et pour s’arroger un droit absolu et sans conditions à leur obéissance.

L’établissement de la confédération du Rhin avait mis dans la dépendance de Napoléon l’Allemagne occidentale et méridionale. Ce grand changement s’était accompli sans le concours de la Prusse, dont l’influence, autrefois si décisive dans les affaires de l’empire germanique, se trouvait annulée par la prépondérance de la France, et qui se vit avec douleur réduite au rang de ces puissances du second ordre auxquelles on ne demande pas même leur consentement pour régler ce qui touche à leurs intérêts les plus chers. Napoléon, il est vrai, engagea le cabinet de Berlin à former une confédération de l’Allemagne du nord, et cette idée fut accueillie avec espérance comme un moyen de relever la Prusse et de rétablir, à quelques égards, l’équilibre sur le continent ; mais l’offre impériale n’était qu’un leurre trompeur : il n’était pas dans les intentions de Bonaparte qu’un semblable projet se réalisât, et il ne tarda pas à le montrer en invitant les électeurs de Saxe et de Hesse à entrer dans la confédération du Rhin, et en enjoignant aux villes hanséatiques de ne pas se joindre à la ligue septentrionale, parce que la France voulait les prendre sous sa protection spéciale. Le gouvernement prussien fut profondément blessé de ces procédés et de quelques autres non moins significatifs ; son mécontentement fut au comble lorsqu’il se vit menacé de perdre le Hanovre, que la France, sans le consulter, offrit de restituer au roi d’Angleterre, lors des négociations sans résultat qui eurent lieu entre les deux puissances, sous le ministère de Fox. Ce dernier outrage poussa à bout l’amour-propre national et amena la guerre de 1806, où la Prusse, trompée sur sa force réelle par ses souvenirs du temps de Frédéric-le-Grand, jeta le gant au vainqueur de l’Europe. Les Français prirent une éclatante revanche de la défaite de Rosbach ; l’armée prussienne fut anéantie à la bataille d’Iéna, et treize jours plus tard Napoléon entra à Berlin, d’où il lança contre l’Angleterre le fameux décret qui établissait le système continental. Les Russes accoururent au secours de leurs alliés, et une nouvelle lutte s’engagea dans les plaines de la Pologne et sur les bords de la mer Baltique ; mais la victoire resta fidèle aux armes françaises, et la campagne de 1807 fut glorieusement terminée par la bataille de Friedland, qui eut pour conséquence le traité de Tilsitt (9 juillet 1807).

Napoléon usa durement de la victoire, et il fit payer cher à la Prusse l’illusion qui l’avait portée à se mesurer avec lui. Non content d’enlever à Frédéric-Guillaume III la moitié de ses états, il se fit un plaisir de l’humilier, en déclarant qu’il ne lui laissait l’autre moitié qu’en considération de l’empereur de Russie. La plus grande partie de la Prusse polonaise fut érigée en grand-duché de Varsovie et donnée au roi de Saxe ; le reste fut attribué à la Russie, qui s’enrichit sans scrupule des dépouilles de son alliée et qui livra en échange à la France Cattaro, Raguse et les îles Ioniennes. En Allemagne, la Prusse perdit toutes ses possessions situées entre l’Elbe et le Rhin, qui, jointes à la Hesse, au duché de Brunswick et à une portion du Hanovre, devaient former le royaume de Westphalie, créé par Napoléon au profit de son frère Jérôme. La maison de Brunswick cessa de régner, parce que son chef avait accepté le commandement de l’armée prussienne ; celle de Hesse, « pour s’être toujours montrée ennemie de la France, et pour avoir pris dans la dernière guerre une position équivoque. » La Prusse et la Russie reconnurent toutes les souverainetés créées par Napoléon, et accédèrent au système continental. Le nouveau roi de Westphalie entra dans la confédération du Rhin aussitôt après sa nomination ; un peu plus tard les seuls princes allemands qui n’en fissent pas partie[45] furent obligés de s’y réunir, de sorte qu’elle embrassa toute l’Allemagne, à l’exception des provinces prussiennes et de celles qui appartenaient aux rois de Suède et de Danemark.

La Prusse, déchue du rang qu’elle avait occupé jusqu’alors parmi les puissances européennes, eut encore beaucoup à souffrir des conséquences du traité de Tilsitt et de l’extension arbitraire donnée par Napoléon à diverses stipulations de ce traité. Écrasée par l’occupation française qui fut prolongée jusqu’à la fin de 1808, ruinée par une contribution de guerre exorbitante, forcée de réduire son état militaire à quarante-deux mille hommes et d’ouvrir à travers ses provinces des routes stratégiques et commerciales pour les troupes de la confédération du Rhin et les marchandises françaises, elle eut à subir toutes les humiliations et toutes les vexations que peut inventer le ressentiment d’un vainqueur irrité ; pourtant ses souffrances lui furent utiles, parce qu’au lieu de l’accabler, elles réveillèrent chez elle le patriotisme et l’énergie. La guerre était à peine finie que le gouvernement prussien s’occupait de réparer les maux qu’elle avait causés et de rouvrir les sources de la prospérité publique. Des hommes d’une haute capacité furent placés à la tête des affaires, et s’appliquèrent avec un zèle et une activité admirables à préparer au pays un meilleur avenir. Les anciennes institutions militaires, dont la campagne de 1806 avait démontré l’insuffisance, furent complètement remaniées. Scharnhorst réorganisa l’armée et la remit sur un pied respectable, mais cela se fit sans bruit, presque en secret, et avec les précautions nécessaires pour ne pas éveiller la défiance de Napoléon. Le baron de Stein changea le système général de l’administration de manière à lui donner une vigueur et une unité qu’elle n’avait pas auparavant ; il modifia notablement les lois qui régissaient la propriété territoriale, et donna aux villes une nouvelle existence. Il y avait une noble hardiesse à se lancer ainsi dans une large voie d’améliorations et de réformes lorsqu’on était encore sous le coup d’immenses désastres, et avant même que l’occupation étrangère eût cessé de peser sur le pays ; mais l’ame ardente et énergique du baron de Stein rêvait déjà l’affranchissement de sa patrie, et il ne pensait pas qu’il fût trop tôt pour travailler à le préparer. Il s’efforça de relever l’esprit public non seulement en Prusse, mais dans toute l’Allemagne, en encourageant tous ceux qu’animait une haine commune contre l’oppression à s’organiser en sociétés secrètes, et à se tenir prêts pour le moment où l’on pourrait enfin tenter de secouer le joug. Emporté par son brûlant patriotisme, il ne sut pas envelopper d’assez de mystère ses efforts et ses espérances, et devint suspect au gouvernement français, qui exigea son renvoi du roi de Prusse. Sa destitution fut bientôt suivie d’un décret de proscription lancé par Napoléon contre le nommé Stein, comme ennemi de l’Allemagne et de la confédération du Rhin. Forcé de quitter la Prusse, il se réfugia d’abord en Autriche, puis en Russie ; mais il ne cessa pas de travailler à susciter des ennemis au tout puissant oppresseur de l’Europe, et fut, du sein de l’exil, l’un des instrumens les plus actifs du mouvement de réaction qui eut lieu plus tard contre la domination française.

Les grands changemens qui avaient bouleversé l’Allemagne septentrionale s’étaient faits sans la participation de l’Autriche, et Napoléon lui avait fait sentir durement l’abaissement où l’avait réduite le traité de Presbourg[46]. Effrayée sur son propre avenir par le sort de la Prusse, elle se prépara, dès l’année 1808, à tenter un nouvel effort pour reconquérir son rang parmi les puissances européennes, et pour assurer son indépendance sans cesse menacée par une ambition que rien ne semblait pouvoir assouvir. Napoléon paraissait avoir formé le plan d’asseoir successivement sur tous les trônes de l’Europe quelqu’un des membres de sa famille ; sa nouvelle entreprise contre l’Espagne justifiait toutes les craintes à cet égard, en même temps que les obstacles inattendus qu’opposait à ses projets l’indomptable énergie du peuple espagnol pouvaient faire croire que le moment était venu de mettre une barrière à tant d’envahissemens. La cabinet de Vienne se décida donc à la guerre, espérant que les alliés ne lui manqueraient pas, et que rois et peuples s’uniraient à lui pour briser le joug de fer qui courbait toutes les têtes. Cette attente fut trompée : la Russie prit parti pour la France, et envoya un corps d’armée en Gallicie ; l’appel de l’Autriche au peuple allemand manqua son effet et ne réveilla que des sympathies individuelles, trop impuissantes contre la terreur qu’inspirait le pouvoir de Napoléon ; les princes de la confédération du Rhin restèrent fidèles à leur puissant protecteur, et ce fut avec des troupes allemandes qu’il remporta les victoires par lesquelles il ouvrit la campagne de 1809[47]. L’ascendant de Napoléon l’emporta encore cette fois ; mais la lutte fut opiniâtre et terrible. L’archiduc Charles balança à Aspern la fortune du conquérant, et la victoire de Wagram ne fut achetée qu’au prix des plus sanglans sacrifices. Certains épisodes de cette guerre, comme l’apparition de quelques corps de partisans dans le nord de l’Allemagne, et surtout l’insurrection des montagnards du Tyrol sous André Hofer, montrèrent que la haine de la domination impériale couvait au fond de bien des cœurs, et n’attendait, pour faire explosion, qu’une occasion favorable. Mais les revers de l’Autriche arrêtèrent le mouvement qui commençait, et le pouvoir de Napoléon parut plus fort et mieux établi que jamais. Le traité de Vienne, ou plutôt de Schœnbrunn (14 octobre 1809), enleva à la monarchie autrichienne plus de deux mille milles carrés et de trois millions de sujets. Napoléon eut les provinces illyriennes, qui ne furent point réunies au royaume d’Italie, mais formèrent un état à part ; la Bavière s’enrichit de Salzbourg et de quelques districts voisins ; la Gallicie occidentale fut réunie au grand-duché de Varsovie ; une partie de la Gallicie orientale fut donnée à la Russie. L’Autriche, diminuée de plus d’un sixième, rejetée au-delà des Alpes, privée de toute communication avec la mer, se trouva ainsi réduite à son tour au rang de puissance du second ordre.

L’année suivante, Napoléon, à l’apogée de sa puissance et devenu l’époux d’une archiduchesse d’Autriche, fit encore sentir à l’Allemagne septentrionale les effets de cette inquiétude d’esprit qui le poussait à bouleverser sans cesse ses propres créations. Après avoir détrôné son frère Louis qui avait montré quelques velléités d’indépendance, et incorporé la Hollande à son empire, comme étant une alluvion des fleuves français, il réunit encore à la France toute la partie de l’Allemagne située le long de la mer du Nord (13 décembre 1810). Cette mesure privait de leurs états quatre princes souverains, mettait fin à l’indépendance des villes hanséatiques, et enlevait au royaume de Westphalie des portions notables de son territoire. Ce fut la dernière modification apportée à l’œuvre déjà tant remaniée de la confédération du Rhin : l’heure approchait où l’édifice colossal de l’empire allait s’écrouler tout entier en moins de temps encore qu’il n’en avait fallu pour l’élever.

Il semblait qu’une puissance mystérieuse forçât Napoléon d’aller toujours en avant, et ne lui permît pas de se reposer dans ses triomphes ; il lui fallait toujours soutenir ses conquêtes par d’autres conquêtes, compléter ses entreprises par des entreprises nouvelles. C’est ainsi que l’asservissement de l’Allemagne et le système continental le poussèrent à la guerre de Russie, où il entraîna avec lui malgré elles la Prusse, l’Autriche et la confédération du Rhin. Personne n’ignore quelle en fut l’issue : on sait comment l’incendie de Moscou le força à la retraite, et comment un hiver précoce anéantit l’une des plus belles et des plus nombreuses armées qu’il eût jamais mises en campagne. Cet immense désastre releva les espérances des nombreux ennemis que la domination française comptait en Allemagne, et détacha de Napoléon des alliés que la crainte seule avait associés à sa destinée. La Prusse, qu’il avait traitée en pays conquis depuis le traité de Tilsitt, et qu’il avait même pensé à rayer de la liste des états européens[48], donna le signal de la défection. Au mois de février 1813, Frédéric-Guillaume, qui avait quitté Berlin pour se rendre à Breslau, conclut avec l’empereur de Russie un traité d’alliance contre la France. Sa proclamation du 17 mars, où il énumérait en peu de mots ses griefs contre Napoléon, produisit un effet immense, parce qu’elle exprimait des sentimens qui étaient dans tous les cœurs. Derrière l’armée régulière qui, grace aux sages mesures prises dans les années précédentes, put être promptement portée à cent mille hommes, se leva, sous le nom de landwehr, une nombreuse milice volontaire dans laquelle on vit figurer des vieillards, des enfans et jusqu’à des femmes habillées en hommes. Ce fut là le commencement d’un grand mouvement national qui se propagea successivement dans toutes les parties de l’Allemagne, et qui donna à la guerre de 1813 un caractère tout particulier. On lui donna, dès le commencement, le nom de guerre sainte ; on la désigne encore aujourd’hui sous celui de : guerre de la délivrance (Befreyungs-krieg). Cette époque a laissé un grand souvenir dans le cœur des Allemands, parce que ce fut la première fois depuis bien des siècles, qu’unis par la haine du joug étranger, ils combattirent en frères pour un même but, l’indépendance de la patrie commune. Toutes les discordes, toutes les rivalités furent un moment oubliées : princes et peuples parlèrent le même langage, parurent animés du même enthousiasme ; les mots enivrans de patrie et de liberté retentirent dans les proclamations royales comme dans les hymnes des nouveaux Tyrtées que les soldats chantaient en marchant au combat[49] ; il y eut là un instant d’élan populaire universel qui put faire croire à la réalisation prochaine de ce rêve tant et si vainement poursuivi : l’unité de l’Allemagne.

Le génie de Napoléon ne se démentit pas pendant la campagne de 1813, et cette guerre se serait sans doute terminée à son avantage, s’il n’avait eu à combattre que des armées et non une nation ; mais l’exaspération des populations contre lui était un puissant auxiliaire pour ses ennemis ; elle rendait ses victoires à peu près inutiles et donnait une grande importance aux moindres revers de ses lieutenans. Ce fut en vain qu’il battit les alliés à Lutzen et à Bautzen, et qu’il les poussa, l’épée dans les reins, depuis les bords de la Saale jusqu’en Silésie : l’Autriche, entraînée par le mouvement universel, se déclara contre lui, apportant à la coalition deux cent mille hommes de bonnes troupes, et un immense effet moral. La victoire de Dresde n’empêcha pas la Bavière de se joindre à son tour à cette ligue, et il est probable que la bataille de Leipzig gagnée par Napoléon n’eût fait que retarder de quelque temps la délivrance de l’Allemagne ; mais cette sanglante mêlée de trois jours, où la supériorité du nombre et la trahison des Saxons donnèrent la victoire aux alliés, décida la retraite de l’armée française : encore les Bavarois voulurent-ils lui fermer le chemin, et fut-elle obligée, pour regagner le Rhin, de remporter à Hanau une dernière victoire. Ce fut le 2 novembre que Napoléon repassa ce fleuve tant de fois traversé par lui, et qu’il ne devait plus revoir désormais.

Il suffit de la nouvelle de la bataille de Leipzig pour mettre fin au royaume de Westphalie. Jérôme Bonaparte s’enfuit de Cassel, et la Prusse, l’Angleterre, les maisons de Hesse, d’Oldenbourg et de Brunswick se remirent en possession de ce qui leur avait été enlevé. Le grand-duc de Francfort, Dalberg, abandonna le grand-duché que lui avait fait Napoléon, et se retira à Constance, puis plus tard à Ratisbonne, dont il était évêque. Le roi de Wurtemberg, les grands-ducs de Bade et de Hesse-Darmstadt se hâtèrent d’assurer leur existence par des traités particuliers avec l’Autriche, et joignirent aux troupes des alliés les contingens qu’ils avaient levés comme membres de la confédération du Rhin. L’organisation établie par Bonaparte tombait ainsi pièce à pièce ; mais qu’allait-on mettre à la place ? Les uns voulaient la restauration de l’ancien empire germanique, et croyaient qu’il était de toute justice de proclamer purement et simplement le rétablissement de l’ordre de choses renversé par la main de l’étranger. D’autres voulaient que tous les princes qui avaient fait partie de la confédération du Rhin fussent privés de l’administration de leurs états, ou ne la conservassent que sous la direction d’un comité de gouvernement chargé de préparer la reconstitution de l’Allemagne. Ces divers plans furent rejetés par les puissances alliées comme ne pouvant se concilier avec les traités par lesquels l’Autriche venait de garantir aux princes de l’Allemagne méridionale la plénitude de leurs droits et l’intégrité de leur territoire. D’ailleurs, la guerre n’était pas finie : contre un homme tel que Napoléon, ce n’était pas trop d’une ligue universelle, et il ne fallait pas risquer de lui rendre des alliés et de faire renaître des divisions dont il était encore en position de tirer un grand parti. On nomma, il est vrai, une commission centrale d’administration présidée par le baron de Stein ; mais son autorité ne s’étendit que sur la Saxe, dont le roi, resté fidèle à Napoléon jusqu’à la fin, était considéré comme prisonnier de guerre, sur les grands-duchés de Berg et de Francfort, et sur quelques parties de la Westphalie. Cette commission fut chargée, en outre, d’organiser la force nationale et de veiller à ce que chacun contribuât, selon son pouvoir, à l’œuvre commune. On put voir alors combien la domination de Bonaparte avait été favorable au développement des ressources matérielles de l’Allemagne par la facilité et la promptitude avec lesquelles on leva, dans les seuls états du second ordre, des armées telles que l’ancien empire tout entier n’en avait jamais pu fournir dans son meilleur temps.

Quatre cent mille hommes passèrent le Rhin sur divers points dans les derniers jours de l’année 1813, et le territoire français devint le champ de bataille où devaient se décider les destinées de l’Europe. La France, épuisée d’hommes et d’argent, fit un dernier effort pour tenir tête à tant de nations conjurées contre elle, et cet effort fut assez puissant pour déterminer les coalisés, quoique arrivés à cinquante lieues de Paris, à offrir encore la paix à Napoléon, qui repoussa les offres de Châtillon comme il avait repoussé deux mois avant celles de Francfort, et s’obstina à continuer une lutte inégale, comptant sur son génie et sur sa fortune. Son génie seul ne lui fit pas défaut ; il se montra aussi actif, aussi fécond que jamais, et la campagne de 1814 fut aussi merveilleuse qu’aucune de ses plus vantées. Mais tout cela fut en pure perte, parce que la France était fatiguée de prodiguer le sang de ses enfans dans de brillantes aventures, parce qu’elle commençait à séparer sa cause de celle de la dynastie impériale et à désirer le repos à tout prix. Ce sentiment, qui régnait dans une portion considérable de la nation, dispensa la coalition de remporter des victoires décisives : ce fut lui qui amena la capitulation de Paris, l’abdication de Napoléon et le retour de l’ancienne dynastie.

Le traité du 30 mai, conclu entre Louis XVIII et les puissances alliées, posa les bases d’un remaniement général de l’Europe. La France fut réduite à ses limites de 1793, avec quelques modifications à son avantage ; la réunion de la Hollande et de la Belgique sous le sceptre de la maison d’Orange fut décidée, quoique non encore formellement énoncée ; l’Italie septentrionale fut donnée à l’Autriche ; quant à l’Allemagne, il fut dit formellement qu’elle formerait une confédération d’états indépendans. Cette stipulation vague et générale laissait le champ libre à bien des conjectures ; toutefois elle renversait définitivement les espérances de ceux qui auraient voulu la résurrection du vieil empire germanique. Il en résultait clairement qu’on allait établir quelque chose de tout nouveau, et dont il n’y avait pas d’exemple dans l’histoire, à savoir un état fédératif composé de rois et de princes, placés tous au même rang et sans aucune subordination hiérarchique des uns aux autres. Telle fut en effet la solution donnée au difficile problème de la reconstitution de l’Allemagne. Le traité de Paris avait posé les principes ; le congrès de Vienne, assemblé quelques mois plus tard, en régla l’application, et l’une de ses œuvres principales fut l’organisation actuelle de la confédération germanique. C’est cette œuvre que nous examinerons dans un prochain article, où nous essaierons d’apprécier les causes qui lui ont donné naissance, les modifications successives que les évènemens y ont apportées, et les résultats qui en sont sortis jusqu’à ce jour, tant pour l’Allemagne que pour l’Europe.


E. de Cazalès.
  1. Voyez la livraison du 15 décembre 1839.
  2. Othon II, fils d’Othon-le-Grand, Othon III, son petit-fils, meurent, l’un à vingt-neuf, l’autre à vingt-un ans. Henri III, second empereur de la maison de Franconie, n’atteint pas quarante ans ; Henri VI de Hohenstaufen, fils de Frédéric Barberousse, meurt, dans sa trente-deuxième année.
  3. Celles de Henri IV et de Frédéric II préparent la chute des maisons de Franconie et de Souabe.
  4. C’est ce que les Allemands appellent Faustrecht, droit du poignet. Plusieurs périodes de leur histoire sont caractérisées par ce nom.
  5. C’est au XIVe siècle que le nom d’états d’empire (Reichsstaende) commence à être usité en parlant des princes, seigneurs et nobles. Sous Charles IV, leurs droits et priviléges sont exprimés par le mot de supériorité territoriale (Landeshoheit).
  6. Æneœ Silvii Germania, dans Schardii Rer. Germ. scriptor., pag. 465.
  7. Voici ce que disait déjà avant la guerre de sept ans l’auteur du Droit public germanique, imprimé à Amsterdam en 1749 : « La balance politique est un pur être de raison, une chimère ; mais elle est surtout impossible dans un même état. Tant que la maison de Brandebourg balancera le pouvoir de la maison d’Autriche, l’empire doit s’attendre à voir rallumer des querelles mal éteintes et à être le théâtre des démêlés de ces deux rivales. Elles ont toutes deux leurs partisans et leurs alliés au dedans et au dehors. La dignité impériale, rentrée dans la maison d’Autriche, a ramené dans ses intérêts la plus grande partie des états d’Allemagne. Indépendamment des avantages qu’elle peut tirer des moindres démarches de sa rivale, la seule puissance où celle-ci est parvenue fournira toujours un prétexte suffisant pour animer les esprits contre elle, par la crainte de voir imperium in imperio, comme parlent les politiques. »
  8. Ce chiffre serait bien plus élevé si l’on comptait comme partie intégrante de l’empire chaque terre immédiate comprise dans les quatorze cantons équestres. Le nombre de ces terres était de plus de quinze cents.
  9. Plusieurs de ces portions de territoire appartenaient souvent au même prince ; mais c’était un fait accidentel et variable qui ne les empêchait pas de conserver leur existence propre comme membres de l’empire.
  10. Voyez Dohm, Denkwürdigkeiten meiner Zeit, tom. III.
  11. Septem electores sacri imperii per quos velut septem candelabra lucentia in unitate spirites septiformis sacrum illuminari debet imperium. (Bull. aur. Proœmium). C’est une allusion au candélabre à sept branches du temple de Jérusalem et aux sept chandeliers de l’Apocalypse. Le Saint-Esprit est appelé septiformis munere dans l’hymne Veni Creator.
  12. L’année 1582 avait été prise pour année normale, et il avait été convenu que tous les fiefs dont les titulaires avaient eu voix et séance à la diète de cette année, conféreraient à leurs possesseurs la qualité d’états d’empire, de telle manière que celui qui par héritage ou autrement acquerrait plusieurs de ces fiefs multiplierait par là le nombre de ses voix à la diète. Multiplicatis territoriis vota multiplicantur, était devenu un axiome du droit public allemand.
  13. Sous Joseph Ier, les villes libres furent admonestées à cause de leur négligence à se faire représenter à la diète, ce qui prouve qu’elles attachaient peu d’importance à ce qui se faisait dans cette assemblée.
  14. « Dans les causes de religion, et en toutes les autres affaires où les états ne peuvent être considérés comme un corps, les états catholiques et ceux de la confession d’Augsbourg se divisent en deux partis ; la seule voie à l’amiable décidera les différends, sans s’arrêter à la pluralité des suffrages. » (Traité d’Osnabruck, art. V, § 19.)
  15. L’empereur François Ier, dans sa capitulation (art. XV), s’engage à ne pas souffrir les usurpations des états provinciaux au détriment du seigneur territorial. Pourtant le pouvoir des princes à cette époque (1745) était peu menacé de ce côté.
  16. On lisait beaucoup alors les Staatsanzeige de Gœttingue, où le savant Schlœzer signalait sans pitié les misères des petits états d’empire et attaquait les vices de la constitution germanique, qu’il contribua beaucoup à discréditer.
  17. « Raisonnez tant que vous voudrez et sur quoi vous voudrez, disait-il, pourvu que vous obéissiez. »
  18. Il suffit de citer l’Éducation du genre humain de Lessing, les premiers drames de Schiller, surtout les Brigands et Don Carlos, le Werther de Goethe, etc., etc.
  19. Dans les trois premières années de son règne, il avait déjà lancé trois cent soixante-seize ordonnances générales, applicables à tous ses états, sans compter celles qui ne s’appliquaient qu’à des parties séparées de la monarchie autrichienne. Il y a un Manuel sur les ordonnances rendues par lui de 1781 à 1786, qui remplit six volumes in-8o.
  20. Benoît XIV disait : « Je me réjouis quand les princes veulent bien encore me demander ce que je ne puis pas les empêcher de me prendre. »
  21. En 1782, le pape Pie VI, revenant de Vienne, s’arrêta quelques jours à Munich, où il fut si frappé de la piété du peuple, qu’il appela cette ville la Rome allemande.
  22. « Ô hommes ! que ne peut-on pas vous faire accroire ? » s’écriait Weishaupt, étonné lui-même de ses succès, en recevant les rapports que le duc de Saxe-Gotha, admis dans l’ordre comme novice, adressait à ses supérieurs inconnus, ou bien en lisant la Confession générale envoyée par un juge de la chambre impériale. Voyez le recueil intitulé Nachtrag zu den Originalschriften der Illuminaten.
  23. Karl Adolf Menzel, Geschichte unserer Zeit, tom. I, pag. 24.
  24. Ces provinces étaient l’Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté et le Hainaut. Les princes possessionnés étaient les trois électeurs ecclésiastiques, le grand-maître de l’ordre Teutonique, les évêques de Strasbourg, de Spire et de Bâle, les ducs de Deux-Ponts et de Wurtemberg, le margrave de Bade, les princes de Nassau, de Hesse-Darmstadt, et quelques autres.
  25. La captivité du roi était devenue moins rigoureuse depuis l’acceptation de la constitution, et le parti modéré parut un moment reprendre l’ascendant.
  26. François II n’était pas encore élu empereur.
  27. Plusieurs des princes dépouillés par le décret de l’assemblée constituante s’étaient montrés disposés à entrer en arrangement.
  28. « N’achetez pas trop de chevaux, disait à Massenbach, vers la fin de mai, le favori du roi Bischoffwerder ; la comédie ne sera pas longue. Les fumées de la liberté se dissipent déjà à Paris ; l’armée des avocats est solidement battue dans les Pays Bas ; nous serons de retour chez nous à l’automne. »
  29. Le duc de Brunswick avait été opposé à la guerre dès le commencement, et ne la faisait qu’à contre-cœur. Les conseillers les plus intimes du roi, notamment Haugwitz et Lucchesini, désiraient vivement qu’il se retirât de la coalition.
  30. Voyez sur la campagne de 1792 les détails curieux donnés dans les Mémoires tirés des papiers d’un homme d’état, tom. I et ii.
  31. Le duc de Brunswick demanda son rappel : sa lettre au roi de Prusse, datée du 6 janvier 1794, est fort remarquable : « Je n’espère pas, disait-il, qu’une troisième campagne donne des résultats plus avantageux, parce que les causes qui ont divisé jusqu’ici les puissances, entravé les mouvemens des armées et empêché les mesures nécessaires, n’ont pas cessé d’exister… Quand une nation comme la France est poussée à de grandes actions par la terreur et l’enthousiasme, il faudrait au moins unité de volonté et de principes dans les démarches des alliés ; mais quand au lieu de cela chaque armée agit pour soi, sans plan fixe, sans unité, sans système et sans méthode, les résultats seront toujours ce que nous les avons vus à Dunkerque, à Maubeuge, à Lyon, à Toulon et à Landau. »
  32. C’est ce qui inspira à Rivarol ce mot si vrai et si piquant : « Les coalisés sont toujours en retard d’une idée, d’une année et d’une armée. »
  33. Lord Cornwallis déclara, dans sa correspondance avec le marquis d’Hertford, qu’ayant protesté contre l’exécution de pareils ordres, on lui avait répondu que l’empereur abandonnait les Pays-Bas à leur sort, comme des provinces réfractaires qui ne voulaient contribuer en rien à leur propre défense. « Un peuple engoué des principes jacobins, lui avait dit le comte de Metternich, qui, malgré plusieurs exhortations pressantes de courir aux armes pour défendre sa religion, sa souveraineté et lui-même, refuse de s’armer, et se présente au joug de l’étranger en chantant : Ça ira, est un phénomène réservé à nos jours de désolation. »
  34. Le 14 octobre, Moellendorf déclara à ses troupes, dans un ordre du jour, que, « le traité des subsides avec l’Angleterre ne subsistant plus, tout ce qui se faisait actuellement ne servait plus qu’à maintenir l’honneur des armes prussiennes ; que si l’ennemi tentait quelque entreprise contre l’armée, elle devait se battre d’autant mieux, que son général en chef pouvait lui promettre de bons quartiers d’hiver et une paix prochaine. »
  35. En 1787, le parti opposé à la maison d’Orange ayant forcé le stathouder à renoncer à sa dignité, le roi de Prusse avait fait entrer ses troupes en Hollande et rétabli le stathoudérat héréditaire. Cette expédition brillante avait consolidé et augmenté le renom militaire des Prussiens, et il s’en était suivi un traité par lequel Frédéric-Guillaume garantissait la constitution des Provinces-Unies.
  36. Gagern. mein Antheil an der Politik, t. I, p. 60.
  37. « Nous n’avons pas oublié un instant, dit-il, que si les vœux du peuple français étaient pour la paix, ce ne pouvait être que pour une paix glorieuse qui ne pût compromettre la dignité, ni blesser les intérêts de la république. Il fallait aussi lier par son propre intérêt au maintien de la paix ce gouvernement qui reprenait des sentimens d’amitié qu’il n’aurait jamais dû rompre. Nous nous y sommes portés d’autant plus volontiers, que toutes les relations prouvent que la nation prussienne n’a laissé échapper aucune occasion, dans tout le cours de cette guerre, de nous donner des témoignages d’affection et d’estime qu’un intérêt malentendu n’avait pu parvenir à altérer. »
  38. Bonaparte, qui était pressé d’en finir, n’avait pas même laissé à l’empereur le temps de demander à la diète les pleins pouvoirs dont il aurait eu besoin pour pouvoir traiter régulièrement au nom de l’empire.
  39. Par exemple, la Prusse échangeait 48 milles carrés et 127,000 sujets contre 235 milles carrés et 558,000 sujets ; la Bavière, 186 milles carrés et 580,000 sujets contre 290 milles carrés et 854,000 sujets ; Bade, 8 milles carrés et 25,500 sujets contre 59 milles carrés et 237,000 sujets ; Hesse-Darmstadt, 33 milles carrés et 140,000 sujets contre 100 milles carrés et 187,000 sujets. Le Hanovre, qui n’avait rien perdu, s’enrichissait de l’évêché d’Osnabruck, grace à la réconciliation récente de la France et de l’Angleterre.
  40. K. A. Menzel, Geschichte unserer Zeit, tom. II, cap. XVII.
  41. La nature de ce travail nous ayant fait une loi de prendre, pour ainsi dire, notre point de vue de l’autre côté du Rhin, nous prions nos lecteurs de ne pas trop se scandaliser s’ils voient quelquefois dans les pages suivantes percer plus de sympathie pour les vaincus que pour le vainqueur. Une justice impartiale pour tous est le premier devoir de l’historien, et nous nous sommes efforcé d’y être fidèle.
  42. Les maisons de Bavière, de Bade et de Wurtemberg s’étaient alliées à sa famille par des mariages ; l’électeur archichancelier Dalberg avait nommé le cardinal Fescht, oncle de Napoléon, son coadjuteur et son successeur. Murat avait été créé duc héréditaire de Clèves et de Berg.
  43. Dès 1804, il avait ajouté ce titre à celui d’empereur d’Allemagne.
  44. Le 11 septembre 1806.
  45. L’électeur de Salzbourg, devenu grand-duc de Wurzbourg, en était membre depuis le 15 septembre 1806 ; l’électeur de Saxe s’y était joint pendant la guerre en prenant le titre de roi. Son exemple avait été suivi un peu plus tard par les petits princes de l’Allemagne centrale.
  46. Lors de son entrevue à Erfürt avec Alexandre, il écrivit à l’empereur d’Autriche : « Il n’a tenu qu’à moi d’anéantir la monarchie autrichienne. »
  47. Il savait les enthousiasmer par des discours pleins d’habileté, que leurs chefs leur traduisaient en allemand. En voici un échantillon : « Je ne suis point au milieu de vous comme empereur des Français, mais comme protecteur de votre pays et de la confédération du Rhin. Il n’y a pas de Français parmi vous : vous devez à vous seuls vaincre les Autrichiens, etc., etc. »
  48. Napoléon haïssait les Prussiens, qu’il appelait les jacobins du Nord. Lorsqu’il se préparait à son expédition de Russie, il eut un moment le projet d’en finir avec la monarchie prussienne. Il avait dans tous les cas l’intention formelle de lui enlever la Silésie pour la donner au roi de Saxe.
  49. Le mouvement de 1813 donna naissance à toute une littérature patriotique où s’exhalèrent en vers brûlans et en prose véhémente les sentimens comprimés jusqu’alors par la crainte qu’inspirait Napoléon, mais fomentés avec soin par les sociétés secrètes, et même, autant que la prudence le permettait, par l’enseignement des universités. Les monumens les plus curieux de cette époque sont les chants d’Arndt, de Schenkendorf, de Koerner, le Mercure du Rhin de Goerres, etc.