Études sur les origines du théâtre antique/01

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ÉTUDES SUR LES ORIGINES
DU
THÉÂTRE ANTIQUE,
POUR SERVIR D'INTRODUCTION
À L’HISTOIRE DES ORIGINES DU THÉÂTRE MODERNE.

Je me propose de renouer par une chaîne non-interrompue de témoignages et de monumens les dernières productions du drame antique aux premiers essais du drame moderne. Je m’efforce de jeter un pont sur cet abîme de quinze siècles.
Nature du génie dramatique.

C’est une division généralement reçue que celle de la poésie en trois principaux genres, épique, lyrique et dramatique. Cette division répond à trois formes, ou, si l’on me permet cette expression, à trois différens costumes que la poésie revêt et emploie à sa guise, le récit, le chant, l’action. Bien que cette classification soit claire, évidente, aisément saisissable, on peut pourtant se demander si elle est la meilleure possible, c’est-à-dire la plus propre à nous faire bien connaître la nature de l’objet total par l’examen de ses parties. Je ne le crois pas.

J’ai toujours pensé que le devoir d’une critique forte et élevée eût été d’établir la distinction des genres sur des caractères vraiment essentiels et scientifiques. On aurait dû, suivant moi, chercher à déterminer quelles modifications intimes l’exercice ou la jouissance de la poésie fait éprouver à l’ame humaine ; on aurait dû, à l’exemple de l’illustre Jussieu, grouper les impressions poétiques en familles naturelles, et constituer ainsi les diverses classes de poésie, tragique, comique, élégiaque, etc., non d’après les différences artificielles de la forme, mais d’après la nature des cordes intérieures que chacun d’eux fait vibrer dans le cerveau du poète et dans l’ame des auditeurs. Il y a plus qu’un article ou un chapitre, il y a tout un traité d’esthétique à faire sur cette donnée. Ce grand travail, je ne l’entreprends pas ici ; je l’indique seulement, et je le réserve. Je ne me pose aujourd’hui que la question suivante :

Sous les trois costumes dont je viens de parler, c’est-à-dire, sous la robe épique, lyrique ou dramatique, n’y a-t-il qu’une seule et même poésie ? L’épopée, l’ode, le drame, émanent-ils d’une même source psychologique, d’une même faculté humaine ? ou bien au contraire, y a-t-il un génie épique, un génie lyrique, un génie dramatique, séparés et distincts ?

Cette question si grave a été jusqu’ici très peu étudiée : deux ou trois écrivains à peine ont dirigé, dans le dernier siècle, leurs méditations sur ce point. Le système pseudo-aristotélique de l’abbé Dubos, adopté par Le Batteux, et la Poétique soi-disant novatrice de Marmontel convergeaient, chose étonnante, dans un but commun, celui de reporter les arts et la poésie à un seul principe, à l’instinct d’imitation. Un mot spirituel d’Horace, ut pictura poesis, détourné de son sens primitif, était le pivot ou plutôt la béquille qui soutenait cette incomplète et boiteuse théorie.

Eh quoi ! dira-t-on, la poésie n’est-elle pas une ? Assurément je la crois telle ; mais les canaux par où elle s’épand et jaillit sont multiples. Je ne reproche pas à Dubos, à Le Batteux et à Marmontel, d’avoir proclamé l’unité de la poésie ; je leur reproche d’avoir prétendu qu’elle est uniquement imitative.

Au reste, les paraphrases dogmatiques de la pensée d’Horace n’ont pas manqué même aux anciens : « La poésie est une peinture parlante, et la peinture une poésie muette, » était un axiome déjà vieux du temps de Plutarque. Et toutefois, pour venir de l’antiquité, cette double antithèse n’en a pas plus de justesse. En effet, la poésie n’est pas condamnée, comme la peinture, à ne représenter qu’une scène immobile et qu’un moment donné dans chaque scène ; elle peut suivre une action dans tous ses progrès et dans tous ses développemens ; c’est plutôt un miroir qu’un tableau : c’est plus encore ; car la poésie ne reflète pas seulement des surfaces, fût-ce des surfaces mouvantes, comme fait la chambre noire ; elle tourne autour des objets, à la façon de la statuaire, et les reproduit sous toutes leurs faces[1]. Ainsi l’assimilation de la poésie à la peinture est inexacte, même à ne considérer que les moyens d’imitation. Mais elle devient, selon moi, radicalement fausse, si l’on veut la prendre, comme les critiques matérialistes que j’ai cités, pour base d’un système qui fait de l’instinct imitatif le principe unique de toute poésie. Comment, je vous prie, l’instinct d’imitation pourrait-il revendiquer la moindre part dans les élans d’enthousiasme religieux, d’ardeur guerrière, d’ivresse amoureuse, de joies ou de douleurs patriotiques, qui constituent une des principales branches de la poésie, la poésie lyrique ?

Placez un homme en face d’une grande scène de la nature ou devant une grande catastrophe humaine ; conduisez-le aux bords de l’Océan, au pied des Alpes ou du Vésuve, dans la plaine d’Austerlitz ou de Waterloo, sous le dôme de Saint-Pierre de Rome ou près de la chartreuse du Grand Saint-Bernard, il recevra inévitablement une émotion profonde, soit d’admiration, soit de terreur, soit de joie, soit de tristesse ; il éprouvera le sentiment du beau, peut être celui du sublime ; puis, quand la perception aura cessé, son émotion passera des sens dans l’imagination, c’est-à-dire, dans ce foyer qui reçoit, conserve et agrandit toutes les images et tous les sons.

Cette faculté qui répète comme un écho et renforce les sensations, ce pouvoir de prolonger la vibration de la pensée au-delà de la cause qui l’a produite, créent, par leur action, un état de l’ame tout spécial, que j’ai décrit ailleurs[2], et que j’appelle l’état poétique. Tout homme témoin récent d’un grand spectacle éprouve ce passage de l’impression, souvent douloureuse, de la réalité, à l’état de réminiscence poétique, toujours agréable. Plus l’ame humaine sera disposée à la poésie, et plus elle cherchera à entretenir et à conserver cette sorte de surexcitation qui lui procure sans fatigue et sans péril les plaisirs de l’activité. Si l’homme que nous avons supposé a plus que l’imagination commune et passive, s’il est artiste, il voudra non seulement jouir en lui-même de cette extase, mais en perpétuer la cause et l’élever à la vie de l’art. Statuaire ou peintre, il taillera dans la pierre ou tracera sur la toile les images que ses sens d’abord, et son imagination ensuite, ont reçues ; il voudra rendre visibles à tous les yeux ces formes qui n’existent plus que dans les cases mystérieuses de son cerveau. Musicien, il voudra faire redire tout haut à sa harpe ou à un vaste orchestre les airs que murmure tout bas la lyre qu’il porte cachée dans son sein ; il voudra rendre perceptibles à l’oreille de tous les concerts que son imagination entend incessamment dans le silence de son cœur. Enfin, s’il est poète, il pourra user à la fois, mais avec moins de puissance que le peintre et le musicien, de ce double mode d’expression, soit pittoresque, soit musical ; il pourra peindre dans ses vers les objets qui l’ont ému ; c’est le procédé épique et dramatique ; ou bien, exprimer non les objets eux-mêmes, mais les émotions qu’il a ressenties en leur présence : c’est le procédé lyrique. Dans ce dernier cas, le poète ne travaille pas à faire passer dans le monde extérieur les images que son imagination conserve ; ce sont au contraire les images mises en réserve dans l’imagination, qui viennent, sur l’injonction du poète, faire vibrer et résonner en lui la lyre intérieure, qui n’attend que leur souffle pour s’émouvoir : je ne vois là nul acte d’imitation, rien qui ressemble le moins du monde au procédé plastique ou pittoresque.

La poésie, selon moi, émane donc d’une seule grande faculté, qui est l’imagination, c’est-à-dire la puissance de recevoir, de rappeler, de combiner, d’agrandir des impressions reçues. Mais quand l’imagination devient le génie poétique et se fait créatrice, elle se subdivise en deux facultés nouvelles. La première, qui a l’œil pour organe principal, sait reproduire, en les épurant, les formes dont elle a conservé l’empreinte, de manière à faire naître dans les autres l’impression qu’elle-même a gardée : c’est ce que j’appelle le sens pittoresque. L’autre, moins répandue au dehors, s’aide plus de l’oreille que de l’œil ; elle sait traduire en sons clairs et distincts l’harmonie incessante qui bourdonne sourdement au dedans de nous ; elle sait régler le mouvement de ses strette sur les rhythmes variés que chaque passion imprime, selon sa nature et sa force, aux battemens du cœur et à la pulsation des artères ; elle ne peint pas les objets ; elle ne nous montre, par exemple, ni l’Océan, ni les lacs brumeux de l’Écosse, ni l’azur du ciel de Naples ; mais elle sait mettre notre ame dans la situation harmonique où la vue de ces objets nous plonge, de manière à nous forcer de nous rappeler leurs images : c’est ce que j’appelle le sens musical.

Ces deux sources du génie poétique coulent simultanément et entrent chacune pour une part dans toute œuvre de poésie, mais à des doses fort inégales. Tel genre reçoit plus de l’affluent pittoresque, tel autre plus de l’affluent musical. La dernière querelle du romantisme et du classicisme, et, en général, tous les dissentimens, tous les conflits en fait d’art et de goût, n’ont guère d’autre cause que la prédominance alternative de ces deux modes d’expression, dont l’un répond à quelque chose de plus matériel, de plus arrêté, de plus positif, l’autre à quelque chose de plus vague, de plus indéfini, de plus mystique : il y a entre l’expression musicale et l’expression pittoresque la différence de l’œil à l’oreille, du son à la forme.

Au reste, quoique aucun genre de poésie ne soit complètement exempt de cette dualité d’influence et d’origine, et que toute la différence ne soit que dans les proportions du mélange, cependant on peut dire que l’ode et le drame sont les deux produits extrêmes de ces deux élémens opposés. L’ode, dans ses vibrations les plus ravissantes, est presque toute musicale ; le drame, dans ses silhouettes ou ses reliefs les plus fortement caractérisés, est presque uniquement pittoresque.

L’épopée, qui de toutes les sortes de poésie est la plus compréhensive et la plus concrète, reçoit à des doses presque égales ces deux affluens poétiques, de même qu’elle réunit les trois formes, le récit, le chant et le dialogue.

Je n’ignore pas assurément que le poète dramatique a mission de découvrir et de mettre à nu les sentimens les plus cachés du cœur humain ; nais ce ne sont pas, comme dans les épanchemens lyriques, ses propres émotions que le poète exprime : ce sont les passions de personnages fictifs qu’il tâche de deviner ; c’est de la poésie personnelle, mais au second degré ; ce sont des révélations intimes, mais par substitution. J’accepte donc pour le drame le mot d’Horace : Ut pictura poesis. Ici, en effet, l’imitation domine ; l’homme copie l’homme par tous les moyens qui sont en son pouvoir ; le poète contrefait son modèle par la voix, par le geste, par l’habit, par le langage, par les élans simulés du cœur et les aveux qui semblent s’échapper de l’ame.

Cet instinct mimique, source du drame, est de tous les lieux, de tous les temps, de toutes les civilisations. Les voyageurs ont signalé de petites actions dramatiques au Mexique, au Pérou, chez les sauvages de l’intérieur de l’Afrique, chez les insulaires de la mer du Sud[3]. Niebuhr, les savans de la grande expédition d’Égypte, ceux qui ont accompagné Champollion le jeune, M. Belzoni, et plus récemment encore MM. Michaud et Poujoulat, ont trouvé non-seulement des conteurs, des almées ou danseuses, des faiseurs de tours, des psylles[4] et des joueurs de marionnettes, mais de véritables petits drames dans les cafés du Caire et dans les hameaux du Delta.

Les enfans de tous les pays se plaisent, dans leurs jeux, à sortir d’eux mêmes, à imiter les grandes personnes, à jouer les rôles de père, de général, de roi : ces peintures imparfaites de la société et des passions humaines les intéressent souvent plus vivement que leurs jeux favoris, la course en plein air et les exercices corporels. Aristote a signalé cette disposition de l’enfance ; ce grand observateur déclare l’homme le plus imitateur de tous les animaux[5]. Il a aussi remarqué l’existence du principe harmonieux, qui est en nous le pendant de l’instinct d’imitation ; seulement il a bien moins insisté qu’il ne le devait, suivant moi, sur les conséquences de cet instinct musical. Au reste, pour n’être pas injuste envers cet immense génie, il ne faut pas oublier que nous ne possédons qu’une ébauche incomplète de sa Poétique.

Dans la belle préface de son Cromwell, M. Victor Hugo a avancé que les trois genres de poésie qu’il admet d’ailleurs, comme tout le monde, l’épique, le lyrique et le dramatique, ont formé trois périodes dans l’histoire de la poésie humaine. Il pense que le genre humain dans sa jeunesse a chanté ses premières et fraîches émotions, qu’il a ensuite raconté les actions de son héroïque virilité, et qu’enfin, éclairé par le christianisme, qui lui révéla sa double nature céleste et terrestre, sublime et grotesque, il a, dans sa vieillesse, dramatisé la lutte du bien et du mal, du beau et du laid, sous la forme shakespearienne ou romantique, la seule qui soit vraiment le drame. D’autres critiques ont interverti ces époques et pensé que l’homme a commencé par le récit, témoin la Genèse, qui est, en effet, bien plus narrative que lyrique[6], puis qu’il a chanté, c’est-à-dire trouvé les rapports qui existent entre les sons, le rhythme et les mouvemens de l’ame humaine, et qu’enfin de l’union de ces deux genres il s’en est formé un troisième, qui est le drame. Je crois ces divisions par époques plus ingénieuses que vraies. Toutes les facultés de l’homme sont du même âge ; l’instinct mimique ou pittoresque n’est ni plus ni moins ancien que l’instinct musical ou lyrique ; les essais poétiques tentés sous ces trois formes sont contemporains. Et qu’on ne dise pas que la mise en scène du drame le plus simple a besoin de plus d’appareil que la récitation d’un poème ou le chant d’une ode. Dans l’enfance de l’art, comme dans celle des individus, l’instinct mimique est facile à satisfaire ; il ne faut à l’enfant qu’un bâton pour se faire un cheval[7], qu’une plume rouge ou bleue au Péruvien pour le transformer en cacique ou en dieu. Je crois donc que ces distinctions d’âge et d’époques qui tendent à échelonner chronologiquement les trois genres de poésie sont tout-à-fait illusoires ; elles ont de plus cela de dangereux qu’elles peuvent faire croire qu’il y a des temps où le drame n’existe pas encore, et d’autres où il n’existe plus, double supposition également inexacte ; en effet, on peut toujours et partout, suivant moi, trouver le drame plus ou moins développé, plus ou moins pur d’autres élémens, non-seulement parce que l’instinct mimique est universel, mais encore parce qu’il y a dans le cœur humain deux autres sentimens qui rendent les émotions du drame nécessaires à toutes les réunions d’hommes, la curiosité et la sympathie.

La division de la poésie en trois genres est fort commode en théorie ; elle est même d’une application très facile tant qu’on ne sort pas des temps où les genres épique, lyrique et dramatique sont bien tranchés comme aujourd’hui ; mais un des inconvéniens les plus graves de cette division, c’est de n’être applicable qu’aux époques de littératures classiques et régulières, telles que les siècles de Périclès, d’Auguste et de Louis XIV. Quand on a la fantaisie d’étudier les temps d’anarchie poétique, c’est-à-dire le commencement et la fin de toutes les littératures, cette division, au lieu d’être un aide et un guide, devient un embarras et une cause d’erreurs. C’est le propre des origines en tous genres de présenter tous les élémens en masse et confondus. Dans ces époques concrètes, toutes les facultés poétiques confinent et se touchent ; toutes les sortes de poésie se mêlent. Il est, dans ce chaos, fort difficile d’abstraire entièrement un genre et de l’isoler des genres voisins. Nous éprouvons cette difficulté dans la recherche du drame au moyen-âge. Notre tâche, et, si nous réussissons, notre mérite, sera de reconnaître et de dégager l’élément dramatique caché et comme perdu dans les genres environnans. Aussi, pour nous préparer à ce travail de découverte, nous importe-t-il d’établir, dès à présent, que le mélange des genres est la loi des littératures qui commencent et qui finissent, et que, dans de telles circonstances, le génie dramatique ne se montre guère sans être à demi revêtu de la parure épique ou lyrique.

À quels signes alors reconnaîtrons-nous le drame ? Nous venons de voir que le génie dramatique découle principalement de l’instinct d’imitation ; c’est un indice, mais qui seul ne serait pas suffisant. Trouverons-nous dans la forme dialoguée le signe distinctif du drame ? Non ; car un monologue peut être un admirable drame, témoin la Magicienne de Théocrite. D’ailleurs, beaucoup d’ouvrages dialogués ne sont pas des drames. Sans parler des Dialogues de Platon et de Lucien, Théophylacte ouvre son histoire de Phocas et de Maurice par un dialogue remarquable entre la philosophie et l’histoire[8]. Un chroniqueur polonais, Kadlubek, a écrit en dialogues, aux XIIe et XIIIe siècles, l’histoire des rois de Pologne[9]. Plusieurs marbres et pierres gravées antiques offrent pour légendes de courts dialogues[10]. Toutes ces choses relèvent bien quelque peu du génie dramatique, mais ne sont pas le drame. Ce ne sont pas les monumens que je promets aux lecteurs et que je recherche. Qu’est-ce donc que le drame ? J’appelle ainsi tout ouvrage où le poète, mettant de côté sa personnalité, parle et agit ou fait agir et parler des acteurs au nom de personnages fictifs, dans le but d’exciter la curiosité et la sympathie d’un auditoire. Toutes les fois que je rencontrerai ces caractères réunis, quels que soient le lieu, les acteurs et l’assemblée, je me croirai sûr d’avoir rencontré, sinon une pièce de théâtre, du moins un produit du génie dramatique, un drame. .........


Si, comme j’ai essayé de l’établir, le génie mimique est spontané, universel ; si l’homme naît avec l’instinct de l’imitation, et s’il use de la faculté du drame comme de toutes les autres facultés naturelles, de la marche ou de la parole, par exemple, on m’objectera que pour étudier les origines du théâtre moderne, il est superflu de nous enquérir des origines du théâtre antique.

À cela je répondrai : il est bien vrai que l’instinct d’imitation et le génie dramatique sont universels et aussi naturels à l’homme que le génie épique ou lyrique ; il est bien vrai que dans toutes les questions, soit historiques, soit littéraires, il faut faire une large part à la spontanéité humaine. Tout demander au passé serait tomber dans l’erreur de ceux qui croient que les Basques, par exemple, ne sauraient pas danser, s’ils n’avaient reçu cet art des Romains, des Celtes ou des Goths. Je reconnais et je proclame la grande loi de la spontanéité, d’où surgit dans les arts l’élément original et dans la société le progrès ; mais à côté de cette loi, il en existe une autre, la loi de tradition. Dans tout ce que crée l’homme, il entre nécessairement une portion du passé. Déterminer cette portion est quelquefois le moyen le plus sûr de dégager les élémens nouveaux et inconnus. Tout dans l’histoire du genre humain se lie et s’enchaîne. Le christianisme, il est vrai, a changé les bases de l’art comme celles de la politique et de la morale ; mais le christianisme lui-même ne peut ni s’étudier, ni se comprendre indépendamment du polythéisme. Il y a eu succession, transformation, transaction même. Le polythéisme s’est tellement prolongé dans le christianisme ; l’ancien courant, avant de se perdre et de se confondre dans le nouveau fleuve, s’est si long-temps conservé distinct, qu’il est bien difficile de suivre et d’étudier l’idée nouvelle sans tenir compte de cet antécédent dont elle charrie encore aujourd’hui l’écume. Ce n’est pas tout : il y a encore une autre cause, je dirai volontiers une autre loi qui me commande cette excursion rétrograde. Je veux parler de la loi d’analogie. On a reconnu que les phénomènes littéraires se produisent constamment les mêmes dans des conditions semblables et sous des latitudes de civilisation correspondantes. Ces diverses époques de l’histoire poétique qui répondent aux diverses phases de la civilisation, sont comme en géologie les couches de même formation, selon l’heureuse expression de M. Ampère[11]. On voit quel précieux instrument d’investigation la découverte de cette loi met entre nos mains. Au moyen d’une époque bien étudiée, on peut en éclaircir une autre qui l’est moins. Supposons, par exemple, que nous ne sussions rien de l’origine du drame moderne ; supposons qu’il y eût absence de monumens, ce qui heureusement n’est pas, nous pourrions, en étudiant dans l’antiquité les origines du drame grec et romain, conjecturer la marche que doit suivre chez nous le génie dramatique, et deviner même, jusqu’à un certain point, quels furent le mode et la nature de son développement. Par bonheur, nous n’en sommes pas réduits à cette sorte de divination. Nous pourrons étudier directement l’histoire du drame au moyen-âge ; mais pour nous orienter dans les ténèbres de cette époque, pour assurer notre marche dans ces steppes vierges et peu frayés, il est utile d’examiner avec soin et de parcourir les routes analogues et plus facilement explorables du monde grec et romain.

Voici la question que je veux adresser à l’antiquité :

Avant l’établissement du théâtre public en Grèce et en Italie, et ensuite parallèlement à ce théâtre, n’y a-t-il pas eu quelque autre mode de développement dramatique ? Athènes et Rome n’ont-elles pas possédé d’autres drames que ceux de Sophocle et d’Aristophane, de Plaute et d’Accius ? Je dois, comme on sait[12], pour empêcher qu’aucun filon du génie dramatique n’échappe à mes recherches, diviser l’examen que je compte faire des sources théâtrales au moyen-âge en trois sections, la source hiératique, la source aristocratique et la source populaire. Pour m’assurer que ces divisions ne sont pas chimériques, je crois nécessaire, comme vérification préalable, de chercher si elles ne trouvent pas leurs analogues dans l’histoire de la poésie grecque et romaine. Je demande donc à l’antiquité si à côté de son glorieux théâtre officiel et national, qui a jusqu’ici, et à si juste titre, absorbé toute l’attention de la critique, elle n’a pas possédé d’autres manifestations scéniques ; en un mot, si elle n’a pas eu, elle aussi, le drame hiératique, le drame aristocratique et le drame populaire.

DU GÉNIE DRAMATIQUE EN GRÈCE AVANT L’ÈRE VULGAIRE
i.
Du drame hiératique.

Bien qu’on en ait dit, l’œuvre de tout sacerdoce est l’amélioration de la destinée physique et morale des nations. Dans tous les pays du monde, les peuples, au sortir de l’état sauvage, passent par une phase de civilisation qu’il faut appeler sacerdotale, parce que, pendant cette première période, les lois, les mœurs, les arts, tout le gouvernement intellectuel et social relèvent directement et exclusivement du sacerdoce.

Ce qui rend confuse et difficile l’étude de ces premières époques, c’est que si, d’une part, tout sacerdoce est naturellement civilisateur, si l’influence hiératique s’accroît en proportion des bienfaits que le clergé répand par la pratique des sciences et des arts ; d’une autre part, le sacerdoce a un grand intérêt de corps à demeurer seul dépositaire des procédés artistiques, et, par suite, à retarder de tout son pouvoir la vulgarisation des connaissances qu’il possède. Il y a donc à étudier dans les époques hiératiques une double action sacerdotale, et qui semble, au premier aspect, contradictoire ; d’abord un mouvement pédagogique et civilisateur, ensuite une résistance égoïste à la complète émancipation des masses. Et, ce qui n’est pas moins remarquable, la seconde période, celle de la vulgarisation et de la liberté des arts, sera d’autant plus brillante et plus féconde en merveilles, que l’époque religieuse aura été plus forte, plus puissante, plus longuement et plus habilement comprimante.

Voyons comment les choses se sont passées en Grèce,

Ire ÉPOQUE SACERDOTALE. – PRÊTRES DEMI-DIEUX. — ARTS HIÉRATIQUES.

Tout le monde convient que les arts et la civilisation de la Grèce portent l’empreinte la plus profonde du génie religieux[13] ; et, en même temps, l’on s’étonne de ne pas trouver dans l’hellénisme les deux choses qui créent et qui maintiennent la puissance sacerdotale, à savoir l’unité de dogme et une hiérarchie fortement constituée. En effet, on ne voit pas qu’un même symbole ait jamais réuni les croyans de la Hellade. Les poésies d’Homère et d’Hésiode, qui forment en quelque sorte la Bible du polythéisme, sont loin d’offrir un système de théologie compact et homogène. Nous voyons bien en Grèce des prêtres et des prêtresses, des devins et des oracles ; mais nous n’y trouvons pas un corps sacerdotal pourvu de cette organisation qui a rendu si puissans les prêtres de l’Égypte et de l’Inde. La diète amphictyonique fut bien, il est vrai, une réunion sacrée ; ce fut une sorte de centre religieux, si l’on veut, même un synode, mais un synode où dominaient les laïques et où l’on réglait plutôt des intérêts politiques que des croyances religieuses.

Tout cela est vrai, mais n’implique pas contradiction. Si l’on ne trouve point en Grèce les grands caractères des époques sacerdotales, c’est qu’on cherche l’ère hiératique où elle n’est plus. La grande, la véritable époque sacerdotale, en Grèce, est au-delà des temps historiques. Il faudrait, pour la voir en face, percer la nuit des siècles fabuleux. Ce sont les demi-dieux, ceux qu’on a appelés les fils de la Terre et du Ciel, les serviteurs de Rhée et de Saturne, les nourriciers de Jupiter, qui ont été les premiers prêtres de ces divinités ; en un mot, les Curètes, les Dactyles, les Cabires, les Titans, les Telchines, les Cyclopes, ont été les plus anciens prêtres grecs, les membres du sacerdoce pendant la première et grande époque hiératique.

Qu’on ne croie pas, toutefois, que je veuille ressusciter le système d’Évhémère.

Il y a eu, comme on sait, dans l’antiquité deux grands systèmes qui prétendaient avoir trouvé la clé des fables populaires. L’un, qui fut celui de Pythagore et que les platoniciens adoptèrent, recourait, pour l’interprétation des mythes, à des allégories morales et à des explications cosmogoniques ; l’autre, qui fut celui des épicuriens et des stoïciens, eut pour chef Évhémère. Dédaignant les exégèses physico-mystiques, ce système donnait à la mythologie grecque une source purement humaine et historique ; il expliquait toutes les légendes fabuleuses par l’apothéose. Les dieux n’étaient que des rois déifiés : Jupiter était un ancien monarque de l’île de Crète, dont on voyait encore le tombeau. Tous les sceptiques du paganisme acceptèrent cette explication. Diodore de Sicile, entre autres, l’admit sans restriction ; Cicéron lui paraît favorable, ou du moins ne lui oppose qu’une très indulgente réfutation[14]. Enfin, les fondateurs du christianisme, les pères de l’église, qui trouvaient dans cette hypothèse irréligieuse la négation formelle du polythéisme, ne manquèrent pas de la répandre et de l’accréditer.

Mais l’évhémérisme a trouvé de redoutables contradicteurs chez les modernes. D’habiles critiques, et Fréret à leur tête, ont fait remarquer qu’il était absurde de supposer l’existence, en Grèce, de florissantes monarchies à une époque où cette contrée n’était habitée que par des sauvages semblables en tout à ceux de la Nouvelle-Hollande[15]. L’évhémérisme est mort sous leurs puissantes attaques[16].

Le système qui reconnaît les prêtres de la première époque hiératique dans les demi-dieux, fils ou nourriciers des grands dieux, ou simples propagateurs de leur culte, quoique voisin de l’évhémérisme, n’offre pourtant pas les mêmes impossibilités. Aussi Fréret, le grand destructeur du système d’Évhémère, approuve-t-il cette explication d’une partie des fables grecques, explication qui dédouble le panthéon hellénique et retrouve dans les divinités inférieures toute l’antique caste sacerdotale.

Fréret distingue, d’après l’autorité d’Hérodote et d’Eschyle[17], trois générations successives de dieux, c’est-à-dire l’établissement en Grèce de trois différens cultes[18] : 1o celui du Ciel et de la Terre[19]  ; 2o celui de Cronos, leur fils ; 3o celui de Jupiter et des dieux de l’olympe homérique.

À ces trois générations divines correspond un nombre égal de races sacerdotales dont les poètes et les mythologues ont fait des génies ou demi-dieux, mais qui n’ont été, en réalité, que les ministres ou les propagateurs des divers cultes, et, ce qui surtout nous importe, les dépositaires des diverses vérités et des divers arts qui constituaient le dogme. Ainsi les Cyclopes, fils, comme les Titans, de la Terre et du Ciel, donnent dans l’Argolide la première idée de l’architecture[20]. Les Cabires de Samothrace, fils ou prêtres de Vulcain, et les Dactyles idéens, prêtres de Jupiter, forgent les premiers le fer[21]. Les Thelchines de Rhodes, fils de la Mer, c’est-à-dire prêtres de Neptune, se prétendent maîtres des élémens ; ils travaillent les premiers l’airain : on leur doit le trident du dieu des mers[22], la faux de Saturne[23] et les premiers simulacres des dieux[24]. Enfin, les Corybantes de Crète, les Curètes phrygiens, pratiquent les premiers la musique et les danses sacrées[25]. Dès-lors, en effet, les cérémonies et les rites ne manquaient pas au culte. Cette première génération sacerdotale éleva des autels[26], construisit des temples[27], qui n’étaient d’abord que de bois[28], sculpta des statues, composa des chants, exécuta des chœurs de danses ; c’était le temps des devins, des oracles, des merveilles en tous genres, témoins les trépieds mouvans de Vulcain[29], les chênes prophétiques[30] et les colombes parlantes de Dodone[31].

On ne s’attend pas, sans doute, à me voir chercher le drame dans cette époque fabuleuse où tout est ténèbres. Je ne puis cependant m’empêcher de faire remarquer dès-lors deux pratiques sacerdotales qui ont un caractère profondément dramatique : 1o les réponses des oracles, dans lesquelles le prêtre ou la prêtresse parlaient en inspirés, au nom du dieu dont ils prenaient sans doute la voix, le geste et le maintien ; 2o les évocations des mânes[32], qui avaient lieu dans de certains temples des morts (νεκρομαντεῖα), où le prêtre, environné de ténèbres, imitait la voix sépulcrale, et peut-être la marche et le geste du spectre évoqué. Ce spectacle qui, depuis Eschyle jusqu’à Shakspeare, depuis l’apparition de l’ombre de Clytemnestre[33] jusqu’à celle de Banquo ou du père d’Hamlet, a toujours passé pour le plus tragique, était donné dans certains temples. Hérodote raconte comment Périandre, tyran de Corinthe, envoya consulter l’oracle des morts à Thesprotie, sur les bords de l’Achéron, et comment l’ombre de sa femme Mélisse apparut deux fois à ses envoyés[34]. C’est aussi, dans nos livres saints, une belle tragédie de ce genre, que la scène de Saül et de la pythonisse d’Endor et l’apparition de l’ombre de Samuel[35].

SECONDE ÉPOQUE SACERDOTALE. — PROMÉTHÉEE. — RÉSISTANCE DU SACERDOCE À LA VULGARISATION DES ARTS.

La seconde époque du sacerdoce est celle où commence la propagation des sciences et des arts. Dans cette période, les prêtres ne sont plus des demi-dieux ; ce ne sont plus que des hommes, mais choisis long-temps encore dans certaines familles héréditairement dépositaires des traditions sacerdotales[36].

En Grèce, un mythe célèbre a consacré le moment précis où commence cette phase d’émancipation. Prométhée, le dernier des prêtres demi-dieux, fut le grand divulgateur des arts dans la Grèce. Après lui, Dédale, de la famille sacerdotale des Eumolpides, continua l’œuvre d’affranchissement, et perfectionna surtout la sculpture. C’est lui qui détacha les bras et les jambes des statues et qui indiqua la forme des yeux. « Grace à lui, disent les anciens, les statues vivent et marchent. » C’est l’aurore de l’affranchissement de la statuaire. Nous trouverons au moyen-âge l’époque correspondante à celle de Dédale et de l’école d’Égine vers le commencement du xiie siècle.

Bientôt il s’établit des sociétés (θιασῶται), et, comme on disait au moyen-âge, des confréries d’artistes, qui, sous la direction du sacerdoce, brodaient des étoffes, sculptaient le bois ou l’ivoire, doraient les statues[37], peignaient les murs et les colonnes des temples, ciselaient les vases sacrés[38], composaient des hymnes et dansaient en chœur autour des victimes. Long-temps ces écoles de sculpture, de peinture, de musique et de poésie demeurèrent soumises à la direction sacerdotale ; long-temps les statuaires et les peintres de l’école d’Égine et de Rhodes se renfermèrent dans la reproduction des types consacrés ; long-temps les musiciens et les poètes respectèrent les anciens airs, ou, comme on disait, les anciens nomes. Mais peu à peu l’art, augmentant ses franchises, entra dans sa troisième époque, dans la phase de complet affranchissement qui, sous le ciel heureux de la Grèce, devait produire tant de chefs-d’œuvre. Et cependant l’idée de la subordination de l’art au culte était si profondément entrée dans les mœurs, que cette liberté particulière à l’école d’Athènes, et sans laquelle Sophocle et Phidias ne pouvaient exister, rencontra l’opposition des plus grands hommes. Solon entrava de toutes ses forces les innovations de Thespis[39] ; Platon, qui usait si largement lui-même de la liberté d’enseignement, aurait voulu que la peinture, la sculpture et la poésie fussent déclarées par les lois à jamais immobiles : « Établissons comme une règle inviolable, dit-il, que quand l’autorité publique aura déterminé et consacré par une loi les chants et les danses qui conviennent à la jeunesse, il ne sera pas plus permis de chanter ou de danser d’une autre manière, qu’il ne l’est de violer une autre loi. Quiconque sera fidèle à cette règle n’aura aucun châtiment à craindre ; mais si quelqu’un s’en écarte, les gardiens des lois, les prêtres et les prêtresses le puniront[40]. » Aux yeux de ce philosophe, l’immutabilité de l’art égyptien était la perfection idéale. Au reste, ce qu’il souhaitait pour Athènes, quelques villes grecques l’avaient établi dans leurs codes. Chez les Thébains, la loi enjoignait aux sculpteurs et aux peintres, sous peine d’amende, l’exacte observation des anciens types[41]. À Sparte, on sait que Terpandre ayant ajouté une corde à la lyre, les éphores condamnèrent cette nouveauté et clouèrent à un mur l’instrument coupable[42]. Plus tard, du temps de Lysandre, Timothée le citharède ayant ajouté deux cordes à sa lyre pour concourir aux jeux carnéens, un des éphores vint un couteau à la main, lui demander de quel côté il préférait que l’on coupât les cordes illégales[43].

Ce fut pour mettre un obstacle à la vulgarisation imminente des arts que le sacerdoce grec, à l’instar de celui d’Égypte, résolut de n’enseigner ses dogmes que sous la promesse du silence et après des épreuves qui leur répondissent de la discrétion des adeptes. L’institution des mystères en Grèce est assurément l’effort le plus puissant et le mieux concerté qu’ait tenté le clergé polythéiste pour conserver sa suprématie, étendre son influence, et, plus tard, quand il fut dépassé de toutes parts, pour déguiser sa défaite. C’est dans la célébration des mystères que le sacerdoce grec concentra toutes ses forces, tous ses moyens de prosélytisme et d’action. Pour nous donc qui voulons étudier le développement du génie dramatique sous toutes ses faces, il nous importe d’examiner, autant que les obscurités du sujet le permettent, ce qui se passait dans les cérémonies mystiques ; c’est là que nous devons trouver, s’il existe, le drame hiératique païen.

MYSTÈRES DE SAMOTHRACE.

La plus ancienne mention des mystères est celle des Cabires, dans l’île de Samothrace. Cependant, comme on ne trouve dans Homère aucune trace d’idées mystiques, il faut bien, malgré la mention des Marbres[44], ne placer leur institution qu’après les temps homériques. Hérodote parle comme il suit des mystères de Samothrace :

« Ce n’est pas des Égyptiens que les Hellènes ont reçu l’usage des représentations ithyphalliques de Mercure. Les Athéniens l’ont pris, les premiers, des Pélasges ; le reste de la Grèce a suivi leur exemple. Les Pélasges demeuraient, en effet, dans le même canton que les Athéniens, qui, dès ce temps-là, étaient comptés au nombre des Hellènes ; et c’est pour cela que les Pélasges commencèrent alors à être réputés Hellènes eux-mêmes. Quiconque est initié aux mystères des Cabires que célèbrent les Samothraces comprend ce que je dis ; car ces Pélasges qui vinrent demeurer avec les Athéniens habitaient auparavant la Samothrace, et c’est d’eux que les peuples de cette île ont pris leurs mystères. Les Athéniens sont donc les premiers d’entre les Hellènes qui aient appris des Pélasges à faire des statues ithyphalliques de Mercure. On donne de ce fait une raison sacrée, qu’on trouve expliquée dans les mystères de Samothrace[45]. »

Il résulte de ce passage que les mystères des Cabires se proposaient, entre autres choses, la conservation et transmission de certains types sacrés, tels que celui des Hermès ithyphalliques, et qu’une partie de ces mystères offrait une peinture de la vie sauvage des premiers Grecs. Peut-être, dit M. de Sainte-Croix, conservait-on dans le temple de Samothrace les traditions concernant les Pélasges, comme dans celui de Dodone on gardait celles qui intéressaient les Hellènes[46].

Un autre objet des mystères de Samothrace, était, selon le même auteur, la mort cabirique, célébrée par les pleurs et les gémissemens des initiés[47]. Cette mort ne pouvait être que celle du plus jeune des Cabires, Cadmille, massacré et horriblement mutilé par ses frères. Les Anectotelestes, ou hiérophantes de Samothrace, et ceux de Lemnos, exécutaient cette sorte de tragédie sacrée pendant la nuit, dans les bois ou au fond d’un antre[48].

MYSTÈRES PHRYGIENS.

Dans les plus anciens mystères de Phrygie, institués par les Corybantes, fils ou prêtres de Cybèle, nous trouvons, comme dans les précédens, l’enseignement des arts les plus utiles.

« L’hiérophante des Phéniciens, dit Sanchoniathon, le fils de Thabion, annonça le premier tous ces mystères, et les rattachant aux phénomènes physiques et cosmologiques, les fit connaître à ceux qui célébraient les orgies et aux prophètes qui présidaient aux mystères. Ceux-ci, cherchant à augmenter l’admiration des hommes, transmirent ces choses à leurs successeurs et aux initiés[49]. »

N’était-ce pas une pensée très dramatique que celle qui supposait les Corybantes, les Dactyles et les Curètes, ces divins fondateurs du culte, présens à toutes les fêtes mystiques, mais sans être vus, et ne s’annonçant aux initiés que par leurs chants et le cliquetis des armes qu’ils agitaient dans leurs danses invisibles[50]  ?

Quant à la partie commémorative et dramatique des mystères phrygiens, c’était, comme dans ceux de Samothrace, l’histoire d’un jeune enfant mis à mort par ses parens les plus proches, puis rappelé à la vie, et dont, après avoir pleuré la mort, on célébrait la résurrection. Cette légende, suivant les lieux, subissait de notables variations. En Crète, les danses furieuses des Curètes représentaient les moyens employés pour tromper le vieux Saturne et soustraire Jupiter, enfant, au sort qu’avaient éprouvé Neptune et Pluton[51]. Dans les contrées plus particulièrement soumises à l’influence de la Phénicie et de l’Égypte, on représentait l’histoire d’Attis, copie défigurée du mythe égyptien d’Osiris et de Typhon. Dans les mystères de la Troade, l’enfant du temple[52], celui qui jouait le principal rôle, se nommait Sabazius[53], divinité de Thrace que la plupart des mythologues reconnaissent pour un des types nombreux de Bacchus. Enfin, dans les Bacchantes d’Euripide[54], les Curètes et les Corybantes sont loués comme ayant institué, au son des flûtes et des tambourins, les mystères d’Iacchus, que nous verrons bientôt associés à la plus grande et à la plus respectée des institutions religieuses de l’antiquité, aux mystères de Déméter ou de Cérès-Éleusine.

MYSTÈRES D’ÉLEUSIS.

Les mystères d’Éleusis, dit un ancien, l’emportent autant sur les autres institutions mystiques que les dieux sur les héros[55]. Ces mystères étaient de deux espèces : les grands, où l’on n’admettait qu’un petit nombre d’initiés, et seulement les citoyens d’Athènes ; les petits, auxquels participaient tous les Grecs, sans distinction d’origine. Une ancienne tradition rapporte qu’Hercule, né à Thèbes, ne pouvant être admis aux mystères d’Éleusis, les Athéniens, par déférence pour ce héros[56], instituèrent les petits mystères, où les Grecs étrangers à l’Attique, et, dans la suite, des Barbares même furent admis. On appelait proprement mystes les initiés aux petits mystères. Ce premier degré était une sorte de purification et de préparation nécessaires pour parvenir aux grands. On appelait époptes ceux qui participaient à la dernière initiation. Du temps d’Aristophane, tout habitant d’Athènes aurait regardé comme un malheur de mourir sans s’être fait initier[57]. Cette opinion remonte même beaucoup plus haut. On lit dans l’hymne à Cérès qui porte le nom d’Homère :

« Heureux entre les mortels celui qui a vu ces choses (la célébration des mystères d’Éleusis) ; mais quiconque n’est pas initié et ne participe point aux saints mystères, ne jouira jamais d’une pareille destinée, car il est mort dans d’horribles ténèbres[58]. » Et dans un fragment de Pindare : « Heureux celui qui descend sous la terre creuse après avoir vu ces choses, car il sait la fin de la vie, et il connaît aussi le royaume donné par Jupiter[59]. »

Le silence que les mystes juraient d’observer sur tout ce qu’on enseignait dans le sanctuaire était ordonné sous peine de mort ; mais le secret des grands mystères d’Éleusis, confié seulement à un petit nombre d’adeptes, dut être beaucoup mieux gardé que celui des petits. Aussi, suivant moi, presque tout ce que nous savons des rites secrets d’Éleusis ne se rapporte-t-il qu’à ces derniers.

PETITS MYSTÈRES.

Le temple où se célébraient les mystères annuels était situé sur les bords de l’Ilissus, dans un lieu nommé Agræ. Ce temple était consacré à Cérès et à Proserpine, et plus particulièrement à celle-ci, sous les attributs d’Hécate. Dans les cérémonies de l’initiation, on a conjecturé que la vanité des prêtres se complaisait à exposer la naissance des arts et les bienfaits de la civilisation qu’ils avaient répandus dans la Grèce. M. de Sainte-Croix pense même que cette démonstration de l’état sauvage où avaient été plongés les Pélasges et les Hellènes, se faisait d’une manière sensible et dramatique. Il croit qu’on dépouillait le récipendiaire de ses vêtemens[60], puis qu’on le couvrait d’une peau de faon, dont il se faisait une ceinture[61]. Mais ce dernier rite, qui paraît mieux approprié au culte de Bacchus qu’à celui de Cérès, pourrait bien ne s’être introduit à Éleusis qu’après la réunion des mystères de Bacchus à ceux des déesses.

Rien, dit Cicéron, n’est au-dessus des mystères d’Athènes. Ils ont adouci nos mœurs et nous ont fait passer de l’état sauvage à la véritable humanité. On les a nommés initia, parce qu’ils nous ont initiés aux vrais principes sociaux… Non-seulement ces mystères nous ont enseigné les moyens de vivre dans la joie, mais ils nous ont encore appris à mourir avec une meilleure espérance[62]. » Nous trouvons dans Isocrate ce double éloge des institutions mystiques[63]. On voit que le dogme des récompenses et des peines qui nous attendent dans une autre vie, était le principal enseignement des mystères, mais peut-être seulement des petits. Je me crois fondé à faire cette distinction à cause de la publicité notoire et sans réserve que la doctrine de la vie future a reçue dans l’antiquité.

Cette exposition des peines et des récompenses à venir était-elle présentée dans les mystères d’une manière dramatique ? Il est généralement reconnu[64] que dès l’origine, les rites des petits mystères consacrés à Proserpine ou plutôt à Hécate, offraient d’effrayantes apparitions. On voyait des spectres à crête de dragon, des monstres tantôt bœufs, tantôt mulets, tantôt chiens à plusieurs têtes. Hécate, si monstrueuse elle-même, passait pour avoir le pouvoir de faire apparaître des fantômes, entre autres, Empuse qui n’avait qu’un pied, ou qui, suivant d’autres, avait une cuisse d’airain et une jambe d’âne. Ceux des aspirans à qui il arrivait de donner des signes de frayeur pendant les épreuves, étaient repoussés comme indignes. « Loin d’ici, dit Aristophane[65], le lâche qui souille les images d’Hécate[66], en mêlant ses chants aux danses cycliques. » Le prélude de ces représentations était l’éloignement des flambeaux, comme l’a très ingénieusement prouvé M. de Sacy[67] d’après un passage du Banquet de Platon. Alcibiade, avant de faire un aveu peu honorable pour Socrate et pour lui-même, réclame la sortie des domestiques et l’extinction des lampes. C’est là assurément une allusion sensible à ce qui se passait dans les mystères. Au reste, cette précaution de faire précéder les cérémonies de l’initiation par les ténèbres est un des artifices que l’on emploie aujourd’hui même dans l’exhibition des panoramas et des dioramas.

Ces représentations fantastiques prirent un développement plus moral, et plus dramatique, quand les mythes égyptiens d’Osiris, du lac Achérusia, de Charon et de la barque fatale, furent venus de Saïs en Grèce. Alors on n’effraya plus seulement les mystes par de vaines apparitions de spectres et de monstres ; ce fut le dogme dramatisé des peines et des récompenses à venir, l’Élysée et le Tartare, tout ce qu’Horace comprend sous le nom de fabulæ Manes et tout ce qu’Aristote appelle οσα ἔν ἅδου, que l’on exposa à leurs regards. Aristophane dans sa comédie des Grenouilles, dont la scène est supposée sur le chemin d’Éleusis, introduit Bacchus qui descend aux enfers et qui rencontre dans l’Élysée un chœur d’initiés. Cette confusion du séjour de Pluton et d’Éleusis indique clairement, suivant M. de Sainte-Croix, que les représentations du Tartare faisaient partie de ces mystères. On peut inférer de quelques passages d’un dialogue attribué à Platon[68], que la prétendue descente d’Hercule et de Bacchus aux enfers n’était que le souvenir de leur initiation à Éleusis.

Je pense donc, avec M. de Sainte-Croix, que l’on offrait dans les mystères d’Éleusis la vue des Champs-Élysées et du Tartare. Je ne diffère avec lui qu’en un point : je crois que ces représentations avaient lieu seulement dans les petits mystères. Ce qui m’affermit dans cette croyance, c’est de voir Empuse, le lac de l’enfer, Charon et sa barque, les mystes et leurs chants, transportés dans les Grenouilles d’Aristophane :

« Là, dit Hercule à Bacchus, tu trouveras des serpens, des monstres affreux ; … ensuite le bourbier fangeux où sont plongés les violateurs de l’hospitalité, les parjures, les parricides… Plus loin, le doux son des flûtes charmera tes oreilles ; tu verras, comme ici, la lumière la plus pure, des bosquets de myrte, des chœurs bienheureux d’hommes et de femmes, et de gais applaudissemens.
BACCHUS.
Quels sont les habitans de ce séjour ?
HERCULE.
Les initiés[69]. »

Bacchus rencontre, en effet, sur sa route, tout ce qu’Hercule lui a prédit. Il trouve d’abord Charon et Empuse, puis les demeures bienheureuses où un chœur de mystes chante ce qui suit :

« Vous qui êtes admis à cette religieuse solennité, livrez-vous aux jeux de ce riant bocage. Dansez en rond en l’honneur de la déesse. Moi, je vais me joindre aux filles et aux femmes, dans l’enceinte où se célèbre la fête nocturne de Cérès ; je porterai le flambeau sacré. Allons dans les prés fleuris et parsemés de roses nous exercer, selon notre usage, à ces danses auxquelles président les Parques fortunées. Le soleil et la lune ne brillent que pour nous seuls, qui sommes initiés, et qui, pendant notre vie, avons été bienfaisans envers les étrangers et nos concitoyens[70]. »

Je ne puis croire que si la vue du Tartare et de l’Élysée eût fait partie des grands mystères on eût ainsi permis de les montrer sur le théâtre public d’Athènes.

M. James Christie, dans son ouvrage sur les Peintures des vases grecs considérées dans leurs rapports avec les représentations d’Éleusis et des mystères[71], croit reconnaître sur quelques-uns de ces vases les sujets des nombreuses scènes dramatiques qui accompagnaient, suivant lui, les célébrations mystiques. Long-temps avant la publication de l’ouvrage de M. Christie, Eggling avait supposé qu’un vase antique du cabinet du duc de Brunswick représentait d’une manière abrégée les mystères d’Éleusis[72], et Montfaucon, dans l’Antiquité expliquée, ne répugne pas à cette opinion[73].

Cependant quand on songe au secret imposé aux mystes, secret si bien observé, qu’il ne nous est parvenu sur les mystères qu’un petit nombre de demi-confidences et d’imparfaites indications, on est porté à rejeter la conjecture de M. Christie. Il semble, en effet, que c’eût été, de la part des artistes grecs, une indiscrétion bien téméraire, que d’exposer aux yeux de tous des scènes dont aucun écrivain de l’antiquité ne parle que par voie d’allusion[74]. Toutefois l’existence sur les vases grecs, de peintures relatives aux initiations est incontestable. On a pu voir, notamment dans le cabinet de M. Durand, plusieurs de ces peintures qui représentent évidemment des personnages et des sujets mystiques[75]. Il faut donc de deux choses l’une, ou que ces vases fussent destinés eux-mêmes au culte secret, ou que toutes les particularités des mystères ne fussent pas également soumises à la loi du silence. Je crois fermement, pour mon compte, que le secret sur les mystères d’Agræ, et plus tard sur ceux de Bacchus, ne fut que médiocrement obligatoire. Aussi pensé-je qu’on peut admettre l’hypothèse de M. Christie sous la réserve de ne l’appliquer qu’aux petits mystères. L’opinion de cet écrivain, réduite à ces termes, offre encore un assez vaste champ aux découvertes et permettrait de reconstituer, à l’aide des figures peintes sur ces vases, une curieuse série de drames ésotériques usités dans les initiations[76].

Mais l’existence du drame hiératique admise, quel fut le mode de ces représentations ? Étaient-ce des tableaux purement visuels, ou bien y avait-il des chants, des paroles et des acteurs ? M. Christie avance que ces représentations étaient exécutées au moyen de toiles transparentes dans le genre de celles qui servent aux ombres chinoises[77], ou par de certains effets d’optique semblables à ceux que produit la lanterne magique. Je crois impossible d’établir ou de combattre ces assertions par des argumens bien solides. Mais ce qui ne me paraît pas douteux, c’est que si de tels moyens d’illusion furent employés, ils ne le furent pas seuls. L’idée du chant était inséparable de celle d’initiation : nous venons d’entendre dans Aristophane les voix des initiés. On sait de plus qu’on exigeait de l’hiérophante et de l’hiérophantide un organe doux et sonore[78]. Il est certain aussi qu’il y avait des danses dans le sanctuaire et autour du puits de Callichore[79]. Je lis dans Lucien : « Orphée et Musée, les plus excellens danseurs, en instituant les mystères, ont ordonné qu’on ne pût expliquer les choses saintes sans la danse et le rhythme. C’est ainsi que cela se pratique ; mais il ne faut pas révéler ces secrets aux profanes. Cependant personne n’ignore qu’on dit communément de ceux qui parlent de ces choses en public, qu’ils dansent hors du lieu sacré[80]. »

GRANDS MYSTÈRES.

La part du drame est beaucoup moindre dans les grands mystères. Il s’agissait bien moins dans l’Époptée, ou dernier degré de l’initiation, de rites commémoratifs et de légendes mises en action que d’un enseignement philosophique où les prêtres exposaient le dogme et la pensée intime de l’hellénisme.

Grace au secret à peu près impénétrable qui couvrit jusqu’à la fin cette partie du culte, la haute théologie du paganisme peut avoir varié plusieurs fois à notre insu. Il est probable que l’égyptianisme et le pythagoréisme modifièrent d’abord l’ancienne doctrine : avec l’un s’introduisit le dogme de la vie future ; avec l’autre les purifications, les jeûnes, le silence et probablement le système de la métempsycose. Plus tard, le judaïsme, le christianisme et le néoplatonisme l’ont profondément altérée. Toutefois, s’il est resté quelque part des traces de l’ancien hellénisme, c’est, sans aucun doute, dans le sanctuaire d’Éleusis, dépositaire le plus respecté des plus anciennes traditions.

Autant qu’on peut en juger par le petit nombre de faits qui nous sont connus, le bonheur de l’épopte, qui était passé en proverbe[81], consistait dans la perception de certaines vérités, soit cosmogoniques, soit psychologiques ou morales, rendues visibles et palpables en quelque sorte : « Nous avons vu, dit Platon, cette beauté dans toute sa splendeur, alors que, mêlées au chœur des bienheureux, nos ames à la suite de Jupiter, et celles des autres à la suite de quelques-uns des autres dieux, contemplaient avec ravissement cette vision fortunée, et entraient en participation des mystères qu’on peut appeler les plus saints de tous. Nous les célébrions dans un état de perfection absolue et exempts de la pensée des maux futurs. Nous jouissions de la vue de ces spectacles divins, simples, heureux, tranquilles, qui se déroulaient à nos yeux au sein d’une pure lumière, purs nous-mêmes et libres de ce cercueil qu’on appelle le corps, et que nous traînons ici partout comme l’huître traîne l’écaille qui l’emprisonne[82].

On peut inférer, d’un fragment attribué par Eusèbe à Sanchoniathon, que le monde était un des premiers tableaux qu’on offrait à l’initié sous l’emblème de l’œuf[83]. « C’est ici, dit saint Clément d’Alexandrie en parlant des grands mystères, que finit tout enseignement : on voit la nature et les choses[84]. » Un passage de Porphyre, cité par Eusèbe, peut nous donner une idée de cette singulière symbolique : « On établissait, dit-il, des rapports entre Dieu et les corps transparens, tels que le cristal. La sphère était le soleil ou l’univers ; le cercle, l’éternité. » Toute figure pyramidale représentait le principe igné, etc. Quelques-uns de ces symboles offraient une prescription de chasteté[85]. Tel était celui de la pomme et de la grenade, auxquelles il était défendu aux mystes de toucher[86].

Les divers symboles étaient montrés et éclairés par un des ministres, le dadouque ou porte-flambeau ; les rapports mystiques étaient exposés simplement et brièvement par le mystagogue ou hiérophante. Plutarque fait dire à Cléombrote : « Je l’ai entendu parler sur ces objets avec simplicité, comme on fait dans l’initiation, ne donnant aucune preuve de ce qu’il avançait, ni aucun motif pour le faire croire[87].

On sait encore que l’hiérophante communiquait aux époptes d’anciens livres sacrés[88], composés pour le secret des temples. À Phénée en Arcadie, dont les mystères relevaient de ceux d’Éleusis, ces livres étaient conservés entre deux pierres nommées pétroma. On ne lisait ces vénérables reliques des premiers âges que pendant la nuit[89].

M. de Sainte-Croix a beaucoup parlé des cérémonies dramatiques qui, dans la célébration des grands mystères, exposaient l’histoire de Cérès, de Pluton et de Proserpine ; mais comme ce drame, accompagné de chants et de danses, était exécuté par les mystes eux-mêmes, en partie dans le temple d’Éleusis, en partie dans la prairie voisine, et même tout le long de la voie Sacrée, ces sortes de commémorations ne me paraissent pas appartenir à ce que j’appelle le drame sacerdotal. Je crois devoir plutôt les ranger parmi les pieux divertissemens que le sacerdoce permettait au peuple, et dans lesquels il lui cédait, bon gré mal gré, le rôle agissant. Les aventures de Cérès et de Proserpine, représentées sur la route et sur tous les points du territoire d’Éleusis, relevaient plutôt de la dévotion populaire qu’elles n’appartenaient au culte mystique.

Mais si l’époptée primitive fut à peu près pure à Éleusis de commémorations dramatiques, cette sévérité de rites ne fut pas de longue durée. Quand Mélampe eut apporté d’Égypte en Grèce le culte de Bacchus, copié sur celui d’Osiris ; quand ce culte eut été reçu à Thèbes, et que Pégase d’Éleuthères eut établi à Athènes, dans l’hiéron de Bacchus-aux-Marais[90], les mystères dionysiaques, le sacerdoce d’Éleusis, qui tendait à se constituer le dépositaire et le centre commun de toute la mysticité hellénique, attira à soi ces nouveaux mystères essentiellement dramatiques, et les joignit, sous le nom d’Iacchus, à ceux des déesses.

Aux cinq jours que duraient d’abord les Éleusinies, on ajouta quatre jours complémentaires. Le premier, les initiés de Bacchus venaient se joindre en pompe à ceux de Cérès et de Proserpine. La nuit suivante, les mystères avaient lieu dans le temple : alors probablement était mise en action la fable du jeune Iacchus déchiré par les Titans, et rendu à la vie par Cérès. Ce mythe offrait la peinture allégorisée des sanglantes collisions des deux cultes de Samothrace et de Phrygie, et de leur réunion définitive dans la grande unité éleusinienne.

Une autre de ces représentations iaccho-éleusiniennes consistait dans le mariage mystique de Bacchus et de Cérès. À cette occasion, l’on saluait le jeune dieu de cette formule que nous a conservée Firmicus : « Salut, nouvel époux, salut, nouvelle lumière[91]…, » paroles qui semblent faire allusion à la nouveauté du culte de Bacchus en Grèce et à son alliance avec celui de Cérès-Éleusine.

MYSTÈRES DE BACCHUS.

On vient de voir qu’avant la réunion des deux cultes, Pégase d’Éleuthères avait fondé des mystères purement dionysiaques. C’était aux Dionysies du printemps, ou anthestéries[92], et dans l’hiéron de Bacchus-aux-Marais, qu’avaient lieu, une fois chaque année, les cérémonies secrètes.

Un prêtre, ou Iacchagogue, ainsi nommé peut-être seulement depuis l’alliance du culte d’Iacchus et de Déméter, et une prêtresse dont les fonctions subsistaient encore au second siècle[93], étaient, avec l’hiéroceryx, les principaux ministres de ces mystères. Les initiés, hommes et femmes, exécutaient, sous leur direction, les théogonies ou représentations de la naissance de Bacchus, et les iobacchies, processions accompagnées d’acclamations et de chants en l’honneur du jeune dieu.

Le rite le plus caractéristique de ces mystères était la créonomie, ou le partage entre les initiés des viandes du sacrifice. Ce partage rappelait la fable de Bacchus déchiré par les Titans, et peut-être le meurtre de Penthée et des autres opposans au culte de Bacchus. Chaque assistant devait manger crue la part de la victime qui lui était distribuée. Cette pratique s’appelait omophagie[94]. C’était une commémoration de l’anthropophagie primitive, d’où les instituteurs des mystères, et plus particulièrement Orphée[95], avaient retiré les hommes :

Cœdibus et victu fœdo deterruit Orpheus[96].

Malgré l’adoption d’une partie des rites secrets de Bacchus par la puissante mystagogie éleusinienne, le culte dionysiaque fut envahi plus vite qu’aucun autre par la dévotion séculière. Ce fut, en effet, dans l’hiéron même de Bacchus que se produisirent les deux plus graves usurpations qu’ait eu à subir le pouvoir hiératique en Grèce.

La première de ces usurpations est la présidence des mystères dionysiaques assumée par les magistrats civils. Le plaidoyer de Démosthène contre Neæra nous apprend que les sacrifices secrets et les mystères, célébrés aux anthestéries étaient confiés à quatorze femmes nommée Geraræ. Ces prêtresses laïques étaient choisies par l’archonte-roi, et présidées et purifiées[97] par la femme de ce magistrat, à laquelle on donnait le nom de reine.

La seconde usurpation prouva plus clairement encore l’impuissance où était le sacerdoce grec de conserver plus long-temps le monopole des arts et de la poésie. Je veux parler de la révolution qui substitua les épisodes héroïques et la tragédie indépendante aux chœurs purement bachiques. Alors, dans l’enceinte même de l’hiéron de Bacchus, s’élevèrent des tréteaux et bientôt un théâtre, dont les représentations publiques contre-balancèrent l’éclat des représentations secrètes du sanctuaire. Comme traces de cette origine mystique, nous voyons le principal prêtre de Bacchus occuper une place d’honneur sur les premiers gradins du théâtre d’Athènes[98], à peu près comme nous verrons plus tard notre clergé, dans la personne des confrères de la Passion, conserver long-temps une loge grillée au Théâtre-Français, sous le titre de Loge des maîtres.

Ce fut, comme on voit, par le culte de Bacchus, plus nouveau, moins uni, moins résistant que celui de Cérès, que s’ouvrirent les brèches par où fut entamé le système de résistance élevé par le sacerdoce grec. Les établissemens mystiques se multiplièrent à l’infini. Ceux qui relevaient du culte de Cérès-Éleusine demeurèrent assez long-temps dans une position de déférence qui assurait l’unité ; mais les nombreux mystères de Bacchus furent essentiellement anarchiques. Dès le temps d’Hérodote, les institutions orphiques ou bachiques, comme il les appelle, se distinguaient par leur singularité. Platon nous montre les orphéotélestes, dépositaires des prétendus livres d’Orphée et de Musée, offrant à tous les gens riches de les purifier, et parvenant à séduire non-seulement des particuliers, mais des villes et des républiques[99]. « Le superstitieux, dit Théophraste, ne manque pas d’aller tous les mois se faire purifier chez les orphéotélestes, et d’y conduire sa femme et ses enfans encore dans les bras de leurs nourrices[100]. »

Les orgies du Bacchus phrygien, appelé aussi Sabazius, n’étaient que tolérées à Athènes. Par allusion à la naissance incestueuse de ce fils de Proserpine et à la fascination que Jupiter avait, disait-on, exercée sur elle par la vue d’un serpent, on glissait le simulacre d’un reptile dans le sein des initiés, et on l’en retirait par-dessous leurs vêtemens. Démosthène reproche à Eschine d’avoir prêté, dans sa jeunesse, son ministère à toutes les jongleries indécentes de ces initiateurs ambulans[101].

Les prêtres de cette seconde époque, surtout ceux de Bacchus, descendirent peu à peu au rôle de prestigiateurs et de charlatans. On peut lire, dans Pausanias, le récit d’un miracle qui s’opérait tous les ans dans le temple de Bacchus, près d’Élis, et que cet écrivain, d’un tempérament pourtant assez crédule, compare aux contes des Éthiopiens[102]. Ce miracle consistait en trois bouteilles d’eau cachetées et déposées dans la cella du temple, et qui ne manquaient pas de se changer en vin.

Dépassé par la science, par la philosophie, par les arts, le sacerdoce grec fut réduit à descendre à l’imitation des artistes et au plagiat des philosophes. Son rôle d’initiateur était accompli, ses efforts ne tendirent plus qu’à se maintenir au niveau des idées nouvelles. Non-seulement les dogmes se modifièrent par le contre-coup des systèmes philosophes, mais les rites et les cérémonies même, pour ne pas paraître d’une pauvreté ridicule, durent suivre le progrès des arts. La tragédie surtout fut, pour les mystagogues grecs, un objet redoutable d’émulation. Les prêtres d’Éleusis accusèrent Eschyle d’avoir dévoilé les choses saintes, notamment dans les Sagittaires, les Prêtres, Sisyphe, Iphigénie et Œdipe ; mais le poète, consacré à Bacchus, prouva qu’il n’était pas initié aux rites secrets de Cérès, et il échappa, non sans peine. Réduit à subir une si redoutable concurrence, le sacerdoce fut obligé de lutter d’art. La tragédie, sortie de l’hiéron de Bacchus, entra secrètement dans celui de Cérès. Le temple d’Éleusis, aussi vaste qu’un théâtre, selon la remarquable expression de Strabon[103], s’ouvrit à des représentations de plus en plus scéniques[104]. Dès ce moment tout fut perdu ; l’idée de dispensation discrète, qui avait présidé à l’établissement des mystères, fut abandonnée par la nécessité de la lutte. Au lieu de représentations immuables, les prêtres, pour varier le spectacle, tâchaient d’offrir, chaque année, des objets nouveaux aux mystes[105]. De plus, pour augmenter le nombre des adeptes, les épreuves devinrent de moins en moins sévères. Des enfans en bas âge paraissent avoir été admis à la première et peut-être à la seconde initiation[106]. Déjà, du temps d’Isée et de Démosthène, des courtisanes avaient été reçues parmi les mystes[107]. Par suite, le désordre s’introduisit dans le sanctuaire ; l’abstinence fut presque ouvertement violée ; à Thèbes en Béotie, les désordres furent tels, qu’une loi de Diagondas supprima le culte secret[108]. Alors les plus grands hommes, Socrate, Agésilas, Épaminondas, dédaignaient le titre d’initiés ; alors Alcibiade poussait l’irrévérence jusqu’à parodier les rites secrets à l’issue d’un festin[109]  ; alors Aristophane et Diogène se moquaient impunément de la mystagogie. C’est que, de la hauteur où s’était placée l’institution des mystères, pendant la belle époque sacerdotale, elle était tombée au point de n’être plus qu’une école de philosophie et un spectacle ; et encore n’était-elle ni la première des écoles de philosophie, ni le premier des spectacles.

II.
Drame populaire.

Il ne peut nous rester aucun doute sur l’existence du drame hiératique en Grèce, c’est-à-dire sur l’existence de cérémonies commémoratives et dramatiques, pratiquées par le sacerdoce. Il nous faut chercher, à présent, si nous pouvons constater l’existence du drame populaire dans la même contrée.

FÊTES DANS LESQUELLES LE PEUPLE INTERVENAIT COMME ACTEUR.

Les nations helléniques ont pris plus tôt, et conservé plus long-temps qu’aucune autre, l’habitude de se mêler activement aux jeux qui ne procurent à tant d’autres peuples que des jouissances inertes et passives. Cette propension à partager constamment les travaux du culte avec ses prêtres, et les fatigues, ou, si l’on veut, les plaisirs scéniques avec ses acteurs, est un des caractères et une des gloires du peuple grec. Les quatre grands jeux, les jeux olympiques, néméens, isthmiques et pythiens, ont présenté fort tard, et quelques-uns jusqu’au ive siècle de notre ère, le spectacle admirable de citoyens pleins d’émulation, venant déployer à l’envi leur adresse, leur force, leur génie, leurs richesses, leur beauté, aux regards approbateurs de leurs concitoyens et de leurs rivaux. Ces quatre grands jeux étaient les plus anciennes conquêtes, faites par le génie populaire sur le domaine hiératique. Dans ces fêtes, consacrées chacune à une divinité, le sacerdoce fut réduit au simple rôle d’assistant. On voyait à Olympie, près d’un autel de marbre, une femme, la seule qui fût admise dans ces solennités, la prêtresse de Cérès Chamyne, assise pendant la durée des jeux[110], comme nous avons vu le prêtre de Bacchus assis au premier rang du théâtre d’Athènes.

Outre ces quatre grands jeux, chaque république, chaque ville avait des fêtes particulières, dans la célébration desquelles le peuple, partagé en chœurs et conduit par un chef de son choix, appelé Chorège, intervenait comme acteur et comme concurrent.

Je ne prétends pas tracer ici l’histoire, ni même présenter une liste sommaire de toutes ces fêtes demi-hiératiques et demi-populaires, presque toutes mimiques, dont nous trouverons les analogues au moyen âge. Cette nomenclature serait à elle seule un grand ouvrage : il faudrait refaire le calendrier grec et la Græcia feriata de Meursius, à laquelle M. Larcher a joint déjà un très utile supplément[111]. J’indiquerai simplement celles de ces solennités dont la célébration avait quelque chose de plus spécialement dramatique.

Les fêtes qui, comme celles de Cérès et de Bacchus, étaient suivies ou accompagnées de mystères, c’est-à-dire de cérémonies particulièrement sacerdotales, ne donnaient pas moins lieu en Grèce à d’autres cérémonies publiques, auxquelles le peuple, sous la direction du sacerdoce, prenait la part la plus active.

ÉLEUSINIES.

Les grandes Éleusinies se célébraient à Éleusis, près d’Athènes, tous les cinq ans, et les petites à Agræ tous les ans. Les premières duraient neuf jours et commençaient le 15e du mois boédromion. Après quelques sacrifices à Cérès et à Proserpine, qui occupaient les trois premiers jours, le quatrième, vers le soir, se faisait la procession de la corbeille mystérieuse. Cette corbeille (κάλαθος) était couverte de pourpre et posée sur un char traîné par des bœufs. Derrière ce chariot venait un chœur de femmes athéniennes, qui portaient sur leur tête de petites corbeilles couvertes, comme le Calathus, d’un voile de pourpre et remplies de divers objets symboliques[112]. Ces cistes mystiques représentaient la corbeille où Proserpine était occupée à mettre les fleurs cueillies par elle lorsque Pluton l’enleva. C’était, en quelque sorte, le premier acte de l’histoire de l’enlèvement de Proserpine.

Le cinquième jour s’appelait le jour des flambeaux. Sur le soir, hommes et femmes portaient des torches, en mémoire de celle que Cérès avait allumée au feu du mont Etna pour aller à la recherche de sa fille.

Le sixième jour, le culte d’Iacchus se joignait à celui de Cérès. Les mystes prenaient dans l’Iaccheon d’Athènes et conduisaient à Éleusis[113] la statue du dieu couronnée de myrte et tenant un flambeau[114] ; on portait aussi le berceau mystique d’Iacchus, entouré de bandelettes de pourpre[115]. Si l’on en croit un proverbe usité du temps d’Aristophane, on se servait d’ânes pour transporter les objets nécessaires à la célébration des mystères[116], tels que le van, la sphère, la toupie, les osselets[117], la toison, le rhombe, etc. La voie Sacrée, c’est-à-dire, le chemin d’Athènes à Éleusis, retentissait du bruit des instrumens d’airain[118]. La théorie ou procession s’arrêtait de temps en temps pour offrir des sacrifices et chanter des hymnes accompagnés de danses. Les femmes qui suivaient la pompe se rendaient à Éleusis dans des chariots agrestes, semblables à ceux qu’on employait pour la moisson ; mais peu à peu cet usage devint, comme celui de notre Longchamp, une occasion de luxe et de rivalité, qu’une loi de l’orateur Lycurgue essaya vainement de réprimer. Dans l’origine, les femmes échangeaient entre elles du haut de ces chars, et jetaient aux piétons des sarcasmes et des railleries[119]. Ce n’était pas là, d’ailleurs, les seules traces comiques que l’on remarquât dans cette fête. Près du pont du Céphisse, des gens du peuple, postés comme en embuscade, adressaient des paroles moqueuses aux passans et surtout aux personnes éminentes de la république[120]. Cette coutume rappelait qu’en arrivant à Éleusis, Cérès fut ainsi raillée par une vieille nommée Iambé[121].

Le septième jour était consacré aux jeux et aux concours gymniques. Les vainqueurs recevaient une mesure d’orge, en mémoire de ce que Cérès avait enseigné aux habitans d’Éleusis la culture de ce grain. Le huitième était une reprise de la fête en l’honneur d’Esculape qui, étant arrivé trop tard d’Épidaure, obtint, dit-on, qu’on recommençât pour lui l’initiation[122]. Le neuvième était employé au retour. Pendant la durée de ces fêtes, il était défendu, sous peine de mort, d’emprisonner personne pour dettes, et même d’intenter aucune poursuite juridique[123].

DIONYSIES.

Il y avait à Athènes trois sortes de Dionysies : 1o les Dionysies d’automne, dites Lénéennes, ou du pressoir, à cause du Lénæon, situé dans l’hiéron de Bacchus-aux-Marais. Elles se nommaient encore Dionysies des champs, parce qu’elles avaient pris naissance et s’étaient conservées dans les campagnes, et aussi parce que le Lénæon où on les célébrait était resté long-temps situé en dehors de la ville[124]. Ces fêtes avaient lieu entre le 8 et le 18 du mois posidéon. Les étrangers en étaient exclus.

2o Les Dionysies de la ville ou du printemps, nommées aussi Anthestéries, du moins anthestérion. Les alliés qui apportaient alors leurs tributs à Athènes, assistaient à ces fêtes[125], qui duraient trois jours.

3o Outre ces deux Dionysies annuelles qui répondaient, l’une à l’époque des vendanges, l’autre à celle du soutirage ou du vin nouveau[126], il y avait encore à Athènes de plus grandes Dionysies qui revenaient tous les trois ans[127] au mois élaphébolion[128].

Chacune de ces fêtes donnait lieu à des cérémonies mystiques, à des représentations théâtrales et à des théories ou processions populaires en l’honneur de Bacchus. Dans ces processions, le costume des acteurs était à peu près le même que celui des bacchans dans les anciens chœurs dithyrambiques et phalliques, seulement il suivit le progrès du luxe, comme le remarque Plutarque. Les hommes habillés en Silènes, en Pans, en Satyres, en Tityres, ouvraient la marche ; les uns couverts de peaux de cerfs, les autres vêtus de robes de femmes ; quelques-uns, montés sur des ânes, agitaient des thyrses, portaient des phallus, chantaient des hymnes en l’honneur du Dieu, traînaient des boues pour les immoler, et dansaient au bruit des tambourins et des cymbabes. Derrière cette troupe s’avançaient, dans un ordre plus régulier, divers chœurs d’hommes fournis par les tribus, et même des chœurs de jeunes canéphores. Ces vierges, choisies dans les premières familles d’Athènes, marchaient les yeux baissés[129], portant, comme aux Éleusinies, des cistes qui renfermaient les prémices des fruits, les gâteaux sacrés et les symboles mystiques. Les terrasses des maisons étaient couvertes de spectateurs des deux sexes et garnies de flambeaux pour éclairer la pompe qui défilait pendant la nuit[130].

Démosthène nous a conservé le texte de la loi d’Évégore, qui défendait, dans ces jours solennels, toute réclamation de dettes, toute exécution de sentence, tout emprisonnement[131]. Nous verrons s’établir, au moyen-âge, des franchises à peu près semblables, et même des délivrances de prisonniers aux grandes fêtes de Noël, de Pâques et de l’Ascension[132].

FÊTES LOCALES. — PANATHÉNÉES.

Chaque contrée, chaque ville, et presque chaque bourg était placé sous la protection d’une ou de plusieurs divinités. C’est à l’occasion de ces fêtes, que nous appellerions patronales, que se déployait particulièrement l’instinct dramatique du peuple grec. De toutes ces fêtes, je ne décrirai que les Panathénées, ou fêtes de Minerve à Athènes.

Comme les Éleusinies, les Panathénées étaient à la fois annuelles et quinquennales. Les Panathénées annuelles étaient les petites[133] ; les quinquennales étaient les grandes Panathénées.

Dans l’origine, les fêtes de Minerve s’appelaient seulement Athénées. Leur première institution à Athènes remonte à une époque entièrement fabuleuse. Elles ne reçurent le nom de Panathénées que quand Thésée les renouvela pour perpétuer la mémoire de la réunion des bourgs dont il forma, ou plutôt dont il accrut la ville d’Athènes. Cette solennité commune à tous les habitans de l’Attique, ne durait d’abord qu’un jour ; mais on joignit successivement à cette fête nationale diverses commémorations qui la prolongèrent. C’est ainsi qu’au souvenir de Thésée on associa celui d’Harmodius et d’Aristogiton, et plus tard celui de Thrasybule. La plus longue durée de ces fêtes paraît avoir été de trois jours ; du moins il est certain qu’elles offraient successivement trois espèces de jeux et de concours distincts, ce qui semble favorable à l’opinion de ceux qui croient qu’elles se divisaient en trois journées

PETITES PANATHÉNÉES.

Les petites Panathénées commençaient le 20 du mois thargélion. Le premier jour, ou plutôt la première nuit était consacrée à une course aux flambeaux. Cet exercice que l’on appelait lampadodromie, avait lieu à l’Académie ou au Céramique, comme dans les fêtes de Prométhée et de Vulcain. Un passage de Platon autorise à penser que les courses de ce genre s’exécutaient aussi quelquefois au Pirée[134]. La lampadodromie consistait à porter en courant une torche allumée et à se la transmettre de main en main sans la laisser éteindre[135]. Les spectateurs prenaient aussi part à l’action ; ils frappaient à coups de lattes ou du plat de la main les lampadophores qui atteignaient les derniers la borne. Cette course se fit d’abord à pied, et plus tard quelquefois à cheval, comme on le voit dans le même passage de Platon.

Le second jour était celui des combats gymniques, c’est-à-dire, des cinq exercices athlétiques, ou de pentathle, la lutte, le pugilat, la course, le saut et le jet du disque. L’institution de ces combats remonte, suivant Eusèbe, à la troisième année de la LIIIe olympiade[136]. Les athlètes concouraient dans un stade particulier appelé panathénaïque, et situé sur les bords de l’Ilyssus, près d’Ardette.

Le troisième jour était celui des concours de musique et de poésie. Les premiers de ces jeux furent joints aux Panathénées par un décret de Périclès, et avaient lieu à l’Odéon. Les seconds étaient beaucoup plus anciens. Nous avons vu Hipparque régler l’ordre de la récitation des poèmes d’Homère aux Panathénées. Cet usage subsistait encore du temps de l’orateur Lycurgue. Il y avait aussi à ces fêtes des chœurs dithyrambiques et un concours lyrique dont le sujet ordinaire était l’éloge d’Harmodius et d’Aristogiton, et plus tard celui de Thrasybule. Quand la tragédie fut née, les poètes se disputèrent aux Panathénées le grand prix des tétralogies. Le concours avait lieu sur le théâtre de Bacchus où l’on distribuait aussi des couronnes d’or à ceux des citoyens qui avaient bien mérité de la patrie. Enfin, un chœur de jeunes gens, que l’on nommait pyrrhichistes, exécutait, au son de la flûte, des danses armées qui faisaient allusion au combat de Minerve contre les Titans[137], et à la danse guerrière qui suivit la victoire de la Déesse. La fête se terminait par un somptueux sacrifice auquel chaque bourg de l’Attique contribuait par l’offrande d’un bœuf. On faisait, avec les viandes qui restaient, un festin public où, selon l’usage des galas hiératiques, la tempérance n’était pas très exactement observée ......

FÊTES COMMÉMORATIVES. — OSCOPHORIES. — BOUPHONIES.

Outre ces fêtes qui retraçaient les actions et les bienfaits des dieux, il y eut dans toutes les villes de la Grèce un très grand nombre de solennités destinées à perpétuer le souvenir des faits purement humains. Je citerai, entre autres, deux fêtes célébrées à Athènes, dont l’une rappelait un évènement héroïque, et l’autre une aventure presque plaisante. Ce sont les Oscophories et les Bouphonies.

Les Oscophories, espèce de fête des rameaux, ou de Dendrophories, comme disaient les Grecs, furent instituées pour conserver la mémoire du départ de Thésée pour la Crète et de son heureux retour. Cette cérémonie était un véritable drame. On sait que Thésée, au lieu de conduire au Minotaure sept jeunes garçons et sept jeunes filles, avait caché parmi ces dernières deux jeunes hommes aux traits délicats, capables de lui prêter secours dans sa périlleuse entreprise. C’est en mémoire de ce déguisement que deux éphèbes, habillés en femme, conduisaient le chœur des Oscophores, jeunes gens qui portaient des ceps de vigne chargés de fruits, et se rendaient du temple de Bacchus au temple de Minerve-Scirade, près du port de Phalère où Thésée avait abordé. Cette théorie était composée de jeunes garçons choisis parmi les premières familles de chaque tribu, et qui tous devaient avoir leurs père et mère vivans. « On associait encore à cette fête, dit Démon l’historien[138], des femmes qu’on appelait Deipnophores, celles qui apportent le repas. Ces femmes représentaient les mères des jeunes victimes que le sort avait désignées pour aller périr en Crète. Elles imitaient la sollicitude des véritables mères qui avaient apporté à leurs enfans toutes sortes de provisions pour la traversée ; elles débitaient aussi certaines fables, à l’exemple de ces mères qui avaient fait divers contes à leurs enfans pour les consoler et leur donner courage. »

Les Bouphonies étaient une fête déjà ancienne du temps d’Aristophane et destinée à rappeler un fait grave, mais accompagnée de circonstances assez divertissantes. Une ancienne loi de la Grèce, dont Élien nous a conservé le texte, défendait de sacrifier les bœufs, compagnons des travaux de l’homme. Cependant il advint qu’un jour, aux fêtes diipoliennes, un de ces animaux mangea le gâteau préparé pour Jupiter. Le prêtre irrité saisit une hache et l’immola ; mais, effrayé de l’action qu’il avait commise, il jeta la hache et prit la fuite. L’instrument de mort fut seul cité devant le Prytanée et condamné. On institua une fête annuelle en mémoire de ce singulier jugement[139]. On plaçait un gâteau sur une table d’airain près de l’acropole ; on conduisait des bœufs vers cet endroit, et celui qui mangeait le gâteau était immolé. Cependant toutes les personnes qui étaient supposées avoir eu part au meurtre étaient accusées l’une après l’autre. Je lis dans Porphyre tous les détails de cette procédure bizarre. On mettait d’abord en jugement plusieurs jeunes filles à qui l’on reprochait d’avoir apporté de l’eau pour arroser la pierre à aiguiser. Les jeunes filles rejetaient la faute sur l’esclave qui avait repassé la hache ; celui-ci s’excusait en inculpant le prêtre qui avait frappé le bœuf ; le prêtre, enfin, renvoyait l’accusation à la hache, qui, n’ayant rien à alléguer pour sa défense, était condamnée et jetée dans la mer[140]. Le prêtre qui remplissait le personnage principal dans ce drame, recevait le nom de βεφόνος, meurtrier du bœuf, d’où quelques grammairiens font venir notre mot bouffon, étymologie fort contestable, et rejetée par Ménage.

CHANSONS POPULAIRES.

Dans toutes les représentations demi-hiératiques et demi-populaires dont je viens de parler, ainsi que dans beaucoup d’autres que je n’ai pu même indiquer, les acteurs tirés de tous les ordres de citoyens employaient deux espèces de chants : 1o des chants improvisés ou tout au moins nouveaux, comme dans les chœurs dithyrambiques, cycliques, etc., pour lesquels il y avait des concours et des prix ; 2o des chants anciens et traditionnels, à l’usage de chaque circonstance et de chaque profession. En effet, outre les chansons bucoliques des pâtres, des moissonneurs, des journaliers, etc., chaque corps de métier dans les villes avait sa chanson particulière. Il y avait le chant des baigneurs, celui des tisserands, nommé elinos et mentionné dans les Atalantes d’Épicharme ; il y avait la chanson des tisseurs de laine, celle des boulangères, celle des ouvriers qui tournent la meule ; il y avait encore celle des gens qui tirent de l’eau des fontaines et celle des bateliers et des rameurs[141], probablement dans le goût de nos barcaroles.

Ces artisans chanteurs rappellent nos poètes populaires, tels que Burns, maître Adam, et, mieux encore, les francs-chanteurs ou maîtres-chanteurs de l’Allemagne au moyen-âge.

Il n’y avait pas même jusqu’aux nourrices qui n’eussent une chanson pour bercer les enfans. Platon loue ces chants des nourrices, et il ajoute que le rhythme et l’harmonie sont si nécessaires au développement de l’âme et du corps qu’il voudrait que les enfans, dès leur naissance, reçussent un mouvement continuel et fussent dans les maisons aussi agités qu’un vaisseau bercé par la mer.

Qu’on ne s’étonne pas de trouver ainsi en Grèce des chants pour chaque état. Tout, dans cette patrie des Muses, se faisait aux accords de la musique. Les citoyens d’Athènes désignés pour remplir les fonctions de juges, se rassemblaient avant le jour, au son de certains vieux cantiques, et se rendaient au tribunal, appuyés sur leurs bâtons et en chantant les anciens airs des Phéniciennes de Phrynichus[142]. Le petit peuple sans profession, les lazzaroni d’Athènes, avaient eux-mêmes une chanson particulière mêlée de danses. On la nommait Anthème ou Fleur, elle se dansait au son de la flûte avec un mouvement rapide ; l’exécutant chantait : « Où est ma rose ? où est ma violette ? où est mon beau persil[143] ? »

Enfin, dans la suite, quand les vrais chants du peuple eurent cessé, il vint des poètes qui composèrent des chansons dans le goût populaire. « Télénice de Byzance et Argas, dit un ancien, ont chanté dans le langage des rues et réussi dans ce genre qui allait bien à leur caractère[144]. » Ainsi la littérature grecque, au temps de sa décadence, posséda ce que nous avons appelé le genre poissard. Athènes eut ses Vadé, comme Paris a eu le sien au dernier siècle.

Cette poésie factice nous conduit à étudier non plus les spectacles naïfs que le peuple grec se donnait à lui-même et auxquels concouraient tous les ordres de citoyens, mais les représentations de divers genres qu’offraient au peuple des acteurs de profession.

Toutefois, avant de passer à l’examen de cette nouvelle branche du drame populaire, je dois m’arrêter quelques instans à un des spectacles qui participait des deux genres ; je veux parler du grand théâtre public, dans lequel le peuple intervenait en partie comme spectateur et en partie comme comédien.

DE L’INTERVENTION POPULAIRE DANS LE GRAND THÉATRE GREC. — CHŒURS DES TRAGÉDIES ET DES COMÉDIES. — CHORÉGES.

À Athènes une tragédie de Sophocle et une comédie d’Aristophane n’étaient pas jouées seulement par des acteurs de profession. Sorties des anciens chœurs cycliques et des mystères, la tragédie et la comédie étaient un devoir religieux et national auquel concouraient le zèle et la piété empressée des citoyens. Quand venaient les Panathénées, les Éleusinies, les Dionysies et les autres fêtes qui demandaient des représentations scéniques, un chorége était choisi à l’avance dans chaque tribu, parmi les plus riches habitans. C’était à lui de former, dans sa tribu, un chœur soit tragique, soit comique, et de le mettre à la disposition d’un poète qui recevait ainsi les moyens de concourir pour le prix ; le chorége devait fournir à ses frais les costumes et pourvoir à l’instruction des choreutes. Dans l’origine, les citoyens aimaient à faire partie des chœurs et remplissaient avec joie ce devoir civil et religieux, auquel étaient attachés plusieurs priviléges ; les choreutes étaient exempts du service militaire, et leur personne était inviolable pendant la durée de leurs fonctions. Un peu plus tard, ils paraissent avoir reçu un salaire en argent. Xénophon, improbateur éloquent des institutions démocratiques de sa patrie, se plaît à nous montrer les riches écrasés par les dépenses des chœurs et du service maritime, tandis que le peuple se faisait payer pour chanter, pour courir, pour voguer dans les galères, ayant à cela le triple plaisir de s’amuser, de s’enrichir et d’appauvrir les riches. Les Athéniens étaient même si jaloux de figurer seuls dans les chœurs, qu’une loi formelle en excluait les étrangers, et condamnait à 1000 drachmes d’amende chaque infraction à cette loi. Un riche chorége, nommé Démade, ayant voulu faire paraître cent danseurs étrangers sur le théâtre, apporta la somme nécessaire pour acquitter l’amende, séance tenante[145]. L’exclusion s’étendait aux personnes diffamées et aux esclaves, comme nous l’apprend Xénophon. Néanmoins, on lit dans Plutarque que Nicias faisant les frais d’un chœur tragique, un de ses esclaves, jeune homme d’une taille élégante et d’une beauté singulière, traversa la scène habillé en Bacchus, et que les spectateurs, charmés de sa figure, battirent long-temps des mains. Alors Nicias, s’étant levé, dit à l’assemblée qu’il se croirait coupable d’impiété s’il retenait dans la servitude un homme que la voix du peuple venait de consacrer comme un dieu, et sur-le-champ il l’affranchit[146]. Mais cette historiette ne contredit pas l’assertion de Xénophon. D’abord il n’est pas dit expressément que l’esclave fit partie du chœur ; ensuite il faudrait seulement conclure de ce récit que les pures règles de la choragie commençaient à s’affaiblir ; et, en effet, Aristote, dans ses Problèmes, parle de la présence exclusive des personnes libres dans les chœurs comme d’un usage tombé en désuétude[147].

Les femmes faisaient-elles partie des chœurs scéniques ? Le doute que j’émets ici pourra surprendre. Je n’ignore pas que l’on est à peu près d’accord pour admettre la négative ; je sais fort bien que les femmes ne montaient pas sur la scène grecque proprement dite, et que leurs rôles, dans les tragédies, les comédies et les drames satiriques, étaient remplis par des hommes ; mais étaient-elles également exclues des chœurs, c’est-à-dire, des danses religieuses du thymélé et de l’orchestre ? À cet égard je n’ose rien affirmer.

On objecte la semi-réclusion des femmes grecques ; mais qu’on y réfléchisse : ces habitudes de modestie et presque de clôture cessaient aussitôt qu’il s’agissait de fêtes religieuses, et particulièrement du culte de Bacchus. Or, les jeux du théâtre étaient essentiellement religieux. On prétend que les femmes ne pouvaient pas même assister comme spectatrices aux représentations scéniques ; c’est une opinion contre laquelle je me réserve de présenter plus loin plusieurs observations restrictives. Certes, même en écartant les danses nues des jeunes filles de Laconie, il reste toujours les théories des canéphores aux Panathénées et la part active et gracieuse que prenaient partout les jeunes filles grecques aux chœurs cycliques et dithyrambiques ; il reste les hymnes chantés par elles et nommés de leur nom Parthénies ; il reste ce concours dans lequel de jeunes vierges pouvaient seules disputer le prix de l’ode ou de l’élégie. Quand on songe aux voyages que les femmes d’Athènes faisaient à Éleusis en chars découverts, et, à leur retour, pieds nus, on a quelque peine à croire qu’on les ait exclues des chants et des danses sacrés que leurs frères et leurs maris exécutaient pieusement dans l’hiéron de Bacchus. À ces motifs de doute viennent se joindre quelques passages peu remarqués jusqu’ici, et cependant fort capables, suivant moi, sinon de renverser, du moins d’ébranler fortement l’opinion commune.

Le chœur des initiés chante, dans les Grenouilles d’Aristophane, la strophe suivante, qui ne manque pas de grace si le chœur était vraiment composé de femmes, mais qui serait bien disgracieuse s’il était composé d’hommes travestis :

« Iacchus, ami de la danse, viens avec moi ! C’est toi qui as ainsi déchiré ce brodequin et ces humbles vêtemens qui prêtent à rire, et dont le modeste négligé nous permet de danser plus librement. Iacchus, ami de la danse, viens avec moi !
« Tout à l’heure mon œil indiscret a aperçu une jeune fille d’une rare beauté. Elle jouait avec ses compagnes, et la déchirure de sa tunique m’a laissé entrevoir sa gorge. Iacchus, ami de la danse, viens avec moi[148] ! »

Un autre passage du même poète semble confirmer mon opinion. Dans les Thesmophories, Aristophane, indépendamment du chœur de femmes, qui donne son nom à la pièce, en introduit un second : c’est un chœur tragique que le poète Agathon est censé instruire et exercer dans son logis. Or, les premiers mots que le poète adresse à ces choreutes sont ceux-ci : « Jeunes filles, prenez la torche consacrée aux déesses infernales, et mêlez les danses aux cris de joie[149]. » Remarquez bien que ce chœur n’est pas encore en scène, et qu’Agathon n’appelle pas ces choreutes jeunes filles par la nécessité de la situation ; c’est un chœur qui se prépare et s’exerce, une troupe à laquelle le poète est supposé faire répéter son rôle. Il semble donc qu’en les appelant jeunes filles, Agathon donne à ses écolières le nom véritable de leur sexe[150].

Le scholiaste d’Aristophane, voulant faire connaître l’arrangement des chœurs comiques, nous apprend que, quand un chœur était composé d’hommes et de femmes, le côté des hommes devait être de treize et celui des femmes seulement de onze ; de même, quand un chœur était composé de femmes et d’enfans, il devait y avoir treize femmes et seulement onze enfans. Je pense que cette disposition bizarre venait de ce qu’il y avait pour le chorége plus de difficulté à réunir un chœur de femmes et surtout d’enfans que d’hommes faits. On conçoit effectivement que, malgré tout ce qu’il y avait de religieux dans les fonctions de choreute, les parens éprouvassent pourtant quelque répugnance à abandonner leurs enfans à ces études de chants et de danses faites hors de leurs yeux.

J’ajouterai que les besoins de la composition musicale faisaient presque une nécessité du mélange des voix. Les Romains, qui ont tout pris de la Grèce, reconnurent l’utilité des voix de femmes dans les chœurs, comme on peut le voir dans Sénèque[151], et surtout dans le passage suivant de Macrobe :

« Un chœur ne se forme-t-il pas de plusieurs voix ? Toutes cependant semblent n’en faire qu’une : au ton aigu se joint le ton grave ; tous deux s’unissent au medium. La voix des hommes se marie à celle des femmes, et la flûte forme l’accompagnement ; aucune de ces voix n’est distincte, l’ensemble seul arrive à l’oreille, et de la dissonance naît l’harmonie[152]. »


PROGRÈS ET DÉCADENCE DE LA CHORAGIE.

C’est une bien belle page dans les annales de la démocratie d’Athènes que l’histoire de la choragie. Cette institution populaire fut la cause et la garantie de la liberté théâtrale, et créa dans Athènes une chose qui était sans modèle et qui est demeurée sans copie, la grande et vraie comédie politique. Alors les chœurs comiques, avec leurs hardies parabases ou allocutions directes au peuple assemblé, furent presque un des pouvoirs de l’état ; alors Platon put définir avec un dédain spirituel la constitution d’Athènes une théâtrocratie. Pendant cette merveilleuse période de liberté scénique, qui dura jusqu’à l’archontat d’Euclide, les gouvernemens étrangers, le sénat de Sparte et même le Grand Roi s’enquéraient des productions des Comiques d’Athènes, comme nous nous enquérons des pamphlets de Londres ou des articles de la Gazette d’Augsbourg ; alors Platon envoyait à Denys de Syracuse les comédies d’Aristophane, en lui recommandant de les lire avec attention, s’il voulait connaître à fond l’état des partis à Athènes. Cette puissance de la comédie politique, et, par suite, de la choragie athénienne, fut brisée avec le gouvernement populaire par la victoire de Lysandre. Le scholiaste d’Aristophane avance même que, sur la motion de Cinésias, un décret supprima les chœurs comiques ; mais il ne faut entendre cette suppression que de la parabase. Platonius avance, il est vrai, qu’à la représentation de l’Æolosicon d’Aristophane et à celle des Ulysses de Cratinus il n’y eut pas de chœur ; mais les fragmens qui subsistent de ces deux pièces prouvent que Platonius s’est mépris ou que son texte est fautif. Nous retrouvons la choragie comique en usage pendant toute la durée de la comédie moyenne, c’est-à-dire, jusqu’à l’établissement de la domination macédonienne. Lysias nous a conservé, dans un passage que je citerai plus bas textuellement, l’état de ce que coûtait de son temps un chœur comique. Il est aussi plusieurs fois question des chœurs de la comédie dans Eschine et dans quelques autres écrivains de la même époque.

Ce n’est que depuis la bataille de Chéronée et dans la comédie nouvelle que les chœurs comiques furent supprimés. Encore, selon moi, cette suppression n’a-t-elle pas été imposée par une loi formelle ; je crois plutôt qu’elle arriva d’elle-même par l’appauvrissement graduel des citoyens et par le peu d’attrait qu’offraient les chœurs comiques privés de parabases et de toutes railleries malignes :

..... Lex est accepta, chorusque
Turpiter obmutuit, sublato jure nocendi
.

Ménandre, suivant Donat, disposa le premier ses fables de manière à pouvoir se passer de chœurs[153]. Cependant Alciphron, qui, bien qu’écrivant long-temps après Ménandre, devait chercher à conserver le costume de l’époque, nous montre ce poète exhortant le parasite Philopore à s’engager dans un chœur comique[154]. Mais Alciphron n’a dû vouloir exprimer, par cette locution reçue, que la troupe des acteurs comiques.

Quant aux chœurs tragiques, qu’on n’aurait pu supprimer sans abolir la tragédie même, ils furent conservés ; mais ils éprouvèrent de grandes modifications après les malheurs de la guerre du Péloponèse. Alors les fortunes des particuliers furent si tristement réduites, que la choragie commença à devenir une charge trop pesante. Alors on s’habitua à ranger la choragie parmi les accidens funestes qui changent inévitablement la richesse en pauvreté : Antiphane dit dans une de ses comédies intitulée le Soldat :

« Vous êtes dans une grande illusion si vous croyez posséder quelque chose d’assuré dans la vie. Un impôt vous enlève toutes vos épargnes, ou bien un procès inopiné les dissipe. Nommé stratége, vous êtes abîmé de dettes ; chorége, il ne vous reste que des haillons, pour avoir fourni au chœur des habits couverts d’or. »

Quelques critiques ont avancé, d’après Saumaise, que les choréges subvenaient à la totalité des frais scéniques. C’est une erreur. Les choréges ne se mêlaient en rien de ce qui concernait les acteurs, les décorations ni le local. Les dépenses qui tombaient à leur charge, même réduites à ce qu’exigeaient les chœurs, étaient bien assez considérables. Lysias établit qu’un de ses cliens avait dépensé 5,000 drachmes[155] pour deux chœurs de tragédie, fournis, l’un en son nom, l’autre au nom de son père[156]. Le même orateur nous a conservé la note exacte des frais dans lesquels entraînaient les diverses choragies. Ce document est précieux. « Nommé, dit-il[157], chorége pour les tragédies, sous l’archonte Théopompe[158], je tirai 30 mines de ma bourse[159]. Trois mois après, je remportai le prix aux Thargélies avec un chœur d’hommes, et il m’en coûta 2,000 drachmes, plus 800 sous l’archonte Glaucippe, pour des pyrrhichistes aux grandes Panathénées ; sous le même archonte, aux Dionysies, je remportai le prix avec un chœur d’hommes, dont les frais, avec la consécration du trépied, montèrent à 5,000 drachmes ; ajoutez-en 300, sous l’archonte Dioclès, aux petites Panathénées, pour un chœur cyclique. Depuis, pendant sept années, je fus triérarque, ce qui me coûta six talens. Pendant que je faisais d’aussi lourdes dépenses, et que loin de mon pays je m’exposais tous les jours pour vous à de nouveaux dangers, je n’en suis pas moins entré dans les contributions, une fois pour 30 mines et une autre pour 4,000 drachmes. De retour à Athènes, sous l’archontat d’Alexius, je fus nommé gymnasiarque dans les Prométhées et je remportai le prix ; je dépensai en cette occasion 12 mines. Plus tard, je fus institué chorége d’un chœur de jeunes gens, ce qui me coûta plus de 15 mines. Sous l’archontat d’Euclide, étant chorége pour Céphisodote dans les comédies, je fus vainqueur, et avec la consécration du costume cette dépense s’éleva à 16 mines[160]. Dans les petites Panathénées, je fus chorége de jeunes pyrrhichistes et je déboursai 7 mines. Je remportai le prix dans une lutte de galères auprès du cap Sunium, et les frais me coûtèrent 15 mines. Je ne parlerai pas de la fonction de chef des théores et d’intendant des sacrifices de Minerve, ni d’autres emplois qui me forcèrent à dépenser plus de 30 mines. Sans doute, si j’eusse voulu m’en tenir aux obligations légales, je n’aurais pas dépensé le quart de ces sommes[161]. »

Une loi décrétée sur la proposition de Leptine, et contre laquelle parla l’année d’après Démosthène, prouve manifestement que tout le monde, à cette époque, cherchait à s’exempter des charges de la choragie. Cette loi de Leptine avait révoqué les nombreuses exemptions accordées pour des services vrais ou faux rendus à l’état, et elle n’avait excepté de cette suppression de priviléges que les seuls descendans d’Harmodius et d’Aristogiton.

Déjà sous l’archonte Callias, il avait fallu autoriser deux citoyens à se réunir pour faire les frais d’un chœur[162]. Plus tard on permit à un seul chorége de représenter à la fois deux tribus : c’est ainsi que nous voyons le chorége de la tribu Érechtéide, pour lequel plaida Antiphon, recevoir en sus, par la voie du sort, la choragie de la tribu Cécropide[163]. À la même époque on permit à des étrangers de fournir aux frais des chœurs sous le nom de citoyens qui n’auraient pu que difficilement supporter cette dépense. Plutarque nous apprend que quand ce fut le tour de Platon de défrayer dans sa tribu un chœur de jeunes gens, Dion, qui séjournait alors à Athènes, acquitta cette dépense sous le nom du philosophe[164].

Malgré ces tempéramens, il arrivait quelquefois qu’une tribu ne pouvait trouver de chorége. Quand, dans la 106e olympiade, Démosthène s’offrit à la tribu Pandionide, il y avait deux ans que cette tribu n’avait pu être représentée dans les concours annuels. Le mal s’aggrava sous la période macédonienne. À partir des successeurs d’Alexandre, la choragie cessa d’être une institution fixe et régulière. Elle reparut seulement dans les rares intervalles où d’heureuses circonstances permirent à Athènes de ressaisir l’ombre de ses anciennes lois. La plupart du temps ce n’était plus les particuliers, mais l’état qui faisait les frais des chœurs, comme il faisait, depuis Eschyle, les dépenses relatives aux acteurs et à la mise en scène. Dans deux inscriptions trouvées à Athènes, et qui se rapportent à la 129e olympiade, nous voyons le peuple (ὁ Δῆμος) remplir, par une fiction singulière, les fonctions de chorége et remporter le prix en cette qualité[165]. Il serait curieux de savoir qui le Δῆμος avait alors pour concurrent. On voit avec quelque surprise la choragie citée encore comme existante sous la domination romaine. Démétrius de Byzance, qui paraît avoir vécu du temps de Caton d’Utique, et Plutarque, un siècle après, parlent de la choragie ; mais il est probable que ces deux auteurs, surtout le dernier, désignent sous l’ancien nom de chorége le nouveau magistrat chargé de donner les jeux publics suivant l’usage romain.

À mesure que l’institution de la choragie perdit de sa force, et surtout à mesure que le sentiment religieux s’affaiblit à Athènes, la passion que les citoyens avaient eue pour figurer dans les chœurs se refroidit. Nous voyons, dans un discours d’Eschine et dans un plaidoyer d’Antiphon, qu’il fallut donner dès-lors aux choréges appauvris le droit de choisir dans leur tribu le nombre d’hommes et d’enfans qui leur était nécessaire. Le chorége pouvait même exiger des parens des gages qui lui répondissent de l’exactitude de leurs enfans.

« Je formai, dit le chorége pour lequel plaide Antiphon, la meilleure troupe qu’il fût possible, sans faire de peine à personne, sans enlever aucun gage de force, sans me faire haïr ; tout se passa de la manière la plus satisfaisante pour les deux partis. J’engageais les citoyens par la voie de la douceur à m’envoyer leurs enfans, et ils me les confiaient d’eux-mêmes sans que je fusse obligé de leur faire de sommations. » On voit qu’au besoin le client d’Antiphon aurait pu employer la contrainte.

Une inscription curieuse nous apprend qu’au temps d’Auguste les magistrats chargés de la formation des chœurs à Stratonice, en Carie, étaient autorisés par la loi à exercer une espèce de conscription, et, en quelque sorte de presse, sur les enfans inscrits à cette intention dans les registres publics[166].

La pénurie des choréges ruinés par la guerre, réagit tristement sur la composition des chœurs tragiques. On imagina, pour diminuer les frais que demandait l’instruction des choreutes, de placer, à la dernière rangée, de simples figurans qui remuaient les lèvres sans chanter. Cette tricherie a été signalée par Ménandre. « Dans les chœurs, dit-il, tous ne chantent pas ; mais il y a deux ou trois personnages qui restent muets, et qui sont là seulement pour faire nombre[167]. » C’est à ces figurans, bouches muettes, mais non pas inactives, qu’Horace fait allusion, quand il dit :

Nos numerus sumus et fruges consumere nati.

Je ne pense pas, avec Bœttiger, que l’altération des chœurs soit allée plus loin, et qu’on ait fini par introduire des mannequins au dernier rang[168]. Ce mélange, comme le remarque M. Bœckh[169], eût singulièrement gêné les évolutions des choreutes ; et cette supposition, d’ailleurs, contredit une autre conjecture plus heureuse de Bœttiger lui-même. En effet, il suppose[170] que, sous les successeurs d’Alexandre, il n’y avait dans les chœurs tragiques que des acteurs muets, sauf le coryphée qui chantait seul les paroles (cantabat), tandis que la troupe faisait des gestes analogues au chant (saltabat). Bœttiger rapporte à cette étrange répartition des rôles l’origine de la séparation non moins étrange des paroles et des gestes, que Livius Andronicus introduisit sur la scène romaine.

Mais indépendamment du grand théâtre religieux et national, où les citoyens prenaient part, soit comme ordonnateurs ou acteurs, soit comme assistans, il y eut en Grèce d’autres spectacles où le peuple ne se montrait que comme spectateur et n’apportait que son goût pour la dissipation et le plaisir. En effet, les représentations solennelles étaient trop dispendieuses, et, par cela même, trop rares, pour satisfaire à elles seules la passion que les Grecs avaient pour les distractions scéniques. De plus, tous ceux qui n’étaient pas de condition libre étaient exclus des grandes solennités théâtrales. Enfin, toutes les villes ne pouvaient pas avoir un grand théâtre, et subvenir aux dépenses qu’exigeaient les représentations comiques et tragiques. Il fallut donc pour les besoins de tous les jours, de toutes les conditions et de tous les lieux, qu’il y eût des comédiens d’un ordre inférieur, chargés de procurer continuellement et à peu de frais les émotions du drame à toutes les classes d’habitans.

SPECTACLES SECONDAIRES. — CHANTEURS ET DANSEURS AMBULANS.

L’étude de l’antiquité nous prouve qu’il existait un nombre très considérable d’artistes de second ordre qui donnaient au peuple, dans les rues et sur les places, des divertissemens de toute espèce. Il y avait, d’abord, des musiciens ambulans, successeurs des anciens Homérides, qui parcouraient les villes en chantant des fragmens d’odes ou d’épopées. Ces musiciens de carrefours, aulètes ou citharèdes, étaient nombreux encore du temps de Lucien[171].

La danse n’était pas plus rare que la musique dans les rues d’Athènes. Aristophane introduit dans une de ses pièces une petite danseuse publique, assez semblable aux almées qu’on voit aujourd’hui au Caire montrer leur souplesse près de la mosquée d’Hassan. Le poète nous la représente dansant dans les rues d’Athènes sous la conduite d’une vieille, ou plutôt d’Euripide travesti en vieille[172], et accompagnée d’un joueur de flûte qui exécutait des airs persiques[173] ; car on ne permettait que des saltations étrangères à ces danseuses serviles, et on ne leur prostituait pas les mélodies nationales, réservées aux chœurs de femmes libres et de citoyens. Un archer scythe, témoin des sauts et des pirouettes de la gentille Élaphion, s’écrie dans son grossier enthousiasme : « Comme elle est légère, la petite ! on dirait une puce sur une toison[174]. »

L’imitation des animaux, qui précéda le drame satirique et la comédie, subsista dans certaines danses et continua de se montrer dans plusieurs jeux. Il y avait sur les places publiques de la Grèce des ventriloques, comme Parmenon, qui imitait le grognement du pourceau. D’autres contrefaisaient le gloussement de la poule ou le cri de la corneille. Théodore imitait le bruit des grandes roues hydrauliques[175]. Et non-seulement on simulait la voix et les allures des bêtes ; mais on donnait les animaux eux-mêmes en spectacle. Pindare emploie ce dicton proverbial : « Aux yeux des enfans, le singe qu’on montre est toujours un beau singe. »

COMBATS DE CAILLES ET DE COQS[176].

Les combats de cailles et de coqs étaient en Grèce l’amusement favori de toutes les classes. Il est déjà fait allusion à ces combats dans Pindare. Ces jeux, qui n’étaient d’abord qu’un passe-temps aristocratique et privé, finirent par devenir un spectacle public. Voici, au dire d’Élien, à quelle occasion : Thémistocle, marchant à la rencontre des Perses, vit un détachement de ses troupes arrêté à voir combattre des coqs. Il l’exhorta à déployer contre l’ennemi autant de bravoure que ces volatiles. Après la victoire, on décréta la célébration annuelle d’un combat de coqs[177], auquel assistaient les jeunes gens. La scène préparée pour les combattans était un échafaud carré (πῆγμα τετράγωνον), que l’on élevait au milieu du théâtre[178]. Les Grecs soumettaient les coqs au même régime que leurs athlètes : on les nourrissait d’ail pour augmenter leur ardeur ; on leur donnait des maîtres qui les dressaient à combattre ; enfin, pour rendre les coups qu’ils se portaient plus meurtriers, on armait leurs ergots de longs éperons d’airain[179]. À Pergame on exerçait aussi les coqs à combattre en public, et cet usage existait encore du temps de Pline, qui compare ces combats à ceux des gladiateurs.

Les coqs de Tanagra en Béotie, et après eux ceux de Mélos et de Chalcis, étaient les plus estimés. Un grand nombre de monumens et surtout de pierres gravées reproduisent des scènes relatives à ces combats. Tantôt c’est le génie ailé de la palestre ou du cirque qui tient dans ses bras un coq vaincu, qu’il protège contre son fier antagoniste ; tantôt ce sont deux génies ailés, l’un joyeux de la victoire, l’autre triste de la défaite de son coq. Nous savons, d’ailleurs, que le coq vaincu était réputé l’esclave du vainqueur et passait en la possession du maître de l’oiseau victorieux. On lit dans Aristophane : « Je suis un oiseau esclave. — Est-ce que tu as été vaincu par un coq ? » Et dans les Dioscures de Théocrite : « Je t’appartiendrai si je suis vaincu ; tu m’appartiendras si je triomphe. — Ce sont là les conditions des combats que se livrent les oiseaux à la crête empourprée. » On peut voir sur un camée antique un génie agonothète qui décerne des palmes et des couronnes à des coqs vainqueurs[180]. Ces divers monumens prouvent que les combats de coqs étaient une sorte de parodie gracieuse des luttes athlétiques, et, envisagé de ce point de vue, ce divertissement avait quelque chose de véritablement dramatique.

LES PAONS.

Les Athéniens eurent encore un spectacle où les oiseaux jouaient un rôle, celui des paons. À chaque néoménie, ou fête de la nouvelle lune, on montrait au peuple et aux étrangers, qui affluaient alors à Athènes, un certain nombre de paons qu’on entretenait pour les plaisirs publics. Ce spectacle ne put avoir quelque attrait que tant que ces oiseaux asiatiques furent rares en Grèce : Antiphane dit, dans une de ses pièces, que les paons étaient devenus de son temps plus communs que les cailles. Je croirais volontiers que l’éclat du plumage et la fierté du port de ce volatile étaient pour les Athéniens une sorte d’emblème de l’orgueil persique. Aristophane se moque de la monotonie de ce spectacle, qui, tout peu spirituel qu’il fût, lui faisait peut-être une concurrence dangereuse[181].

CHARLATANS. — JOUEURS DE GOBELETS. — DANSEURS DE CORDE.

Il y avait encore dans les carrefours de la Grèce, du temps d’Aristophane, d’Isocrate et de Théophraste, des charlatans, des devins, des diseurs de bonne aventure, des faiseurs de tours de toute espèce. Xénophon et son disciple Cratisthène de Phlionte, savaient préparer un feu qui s’allumait de lui-même. Diopithe de Locres alla un jour à Thèbes ayant, au lieu de ceinture, des vessies pleines de vin et de lait, qu’il faisait jaillir de manière à faire croire qu’il tirait ces fluides de sa bouche[182]. L’ancienne sphéristique[183] perfectionnée produisit les joueurs de gobelets et les escamoteurs : « Les épées lacédémoniennes sont si courtes, disait l’Athénien Démade, que nos joueurs de gobelets pourraient aisément les escamoter[184]. » On cite, parmi les plus célèbres prestigiateurs, Théodore et Euryclide. Les Istiéens ou Orites dressèrent dans leur théâtre, en l’honneur du premier, une statue d’airain tenant une petite boule. Les Athéniens ne rougirent pas d’élever au second, dans le théâtre de Bacchus, une statue non loin de celle d’Eschyle[185].

Cette inconvenance prouve, ce que nous savions d’ailleurs, que parfois les bateleurs donnaient leurs représentations sur les grands théâtres où accouraient les marchands étrangers, les nouveaux domiciliés ou métèques et les esclaves, tous gens qui n’entraient pas au théâtre les jours de représentations solennelles. À cette foule se joignaient les citoyens désœuvrés qui devaient ces jours-là payer leur place. « Vous le verrez, dit Théophraste, dans le portrait de l’impudent, parmi les farceurs qui amusent le peuple par leurs tours d’adresse, recueillir la recette à la porte et se disputer avec ceux qui prétendent entrer sans payer. »

Le simple saut de l’outre, fut aussi admis sur le théâtre, suivant le scholiaste d’Aristophane[186]. Alors l’outre était remplie d’air et non plus de vin[187]. De ce jeu d’équilibre sortirent peu à peu les danseurs de corde, appelés plus tard schœnobates[188], acrobates[189], névrobates et pétauristes[190].

MARIONNETTES.

Il n’y a pas jusqu’aux marionnettes qui n’aient été admises sur les théâtres grecs. Athénée reproche aux Athéniens de n’avoir pas rougi de prostituer aux marionnettes d’un certain Pothein la scène où naguère les acteurs d’Euripide avaient déployé leur enthousiasme tragique[191]. Eh quoi ! dira-t-on, les Grecs ont donc connu les marionnettes ? Oui, certes, et ils les avaient reçues des Égyptiens. Et puisque j’ai touché ce sujet assez peu grave, je ferai remarquer que le spectacle des marionnettes, comme tous les spectacles du monde, a eu une origine hiératique. La plus ancienne mention qui soit faite des statuettes à ressorts se trouve dans le père de l’histoire. En décrivant le culte de Bacchus en Égypte, Hérodote raconte que les femmes portaient en procession, dans les campagnes, des statues de ce dieu, hautes d’environ une coudée, et dont le phallus gigantesque était mu par des ficelles[192]. Les Grecs imitèrent cette pieuse et singulière mécanique[193]. C’est même une question de savoir si les premières statues grecques, celles qu’on nomma dédaliennes ne furent pas mobiles[194]. L’art chrétien a fait aussi usage de la statuaire à ressorts pour augmenter l’effet des grands spectacles ecclésiastiques. Un pélerin raconte avoir vu, dans l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, un grand crucifix à jointures flexibles qui servait dans les cérémonies de la semaine-sainte et du Tombeau. Le nom même de marionnette, diminutif de Marion, petite Marie, vient d’une célèbre procession en usage à Venise, et dans laquelle on finit par substituer des poupées de bois aux nobles Vénitiennes qui d’abord faisaient, sous le nom de Maries, l’ornement de cette antique solennité.

« Sur quoi comptes-tu le plus ? demande Socrate au bateleur Philippe.

Sur les sots, répond Philippe, car ce sont eux qui me nourrissent en venant en foule voir danser mes pantins[195]. » Platon compare nos passions aux fils qui font mouvoir les marionnettes[196]. Aristote, ou l’auteur ancien qui a écrit le traité De mundo, donne une idée très avantageuse du degré de perfection qu’avaient atteint dans l’antiquité les poupées à ressorts. « Quand, dit-il, ceux qui font agir et mouvoir de petites figures, tirent le fil attaché à un de leurs membres, ce membre obéit aussitôt… On voit leur cou fléchir, leur tête se pencher ; leurs yeux, leurs mains, tous leurs membres semblent ceux d’une personne vivante. Ces divers mouvemens s’exécutent avec grace et précision[197]. » On ne pourrait rien dire de plus en parlant des Fantoccini de Rome ou de Florence.

BOUFFONS. — PLANES. — ARTISANS DIONYSIAQUES.

Enfin il y avait les acteurs ambulans, des bouffons, des farceurs, des mimes, qui jouaient pour le peuple dans les rues ou sur l’orchestre des théâtres, c’est-à-dire, sur la partie située au-dessous du proscenium et la plus voisine des spectateurs. Ceux qu’on voyait dans les rues et les carrefours étaient plus particulièrement les Planes, espèce de mystificateurs publics dont les poètes comiques, entre autre Denys de Sinope, Nicostrate et Théognète, nous ont conservé quelques traits[198]. Il y avait aussi les Γελωτοποιοί qui passaient souvent de la place publique dans les festins[199]. Ces bouffons pullulèrent tellement à Athènes, qu’ils y formaient, du temps de Philippe de Macédoine, une sorte de corporation qui se réunissait dans le Diomée, ou temple d’Hercule. On les nommait les soixante à cause de leur nombre. Nous savons les noms de quelques-uns. Les bons mots de ces farceurs avaient acquis une assez grande célébrité pour que Philippe leur envoyât un talent, avec prière de lui faire passer par écrit toutes les plaisanteries de leur assemblée[200].

L’existence à Athènes d’une confrérie bouffonne n’a rien qui doive nous surprendre. Tout en Grèce était alors associations et confréries ; les chœurs religieux, les sacrifices publics, les théories, les initiations aux mystères, les représentations dionysiaques, donnaient lieu à des confréries, θίασοι[201]. Il y avait jusqu’à des compagnons ou confrères en fait de musique[202], comme nous en verrons au moyen-âge.

La grande compagnie des comédiens avait Bacchus pour patron. Tous les membres indistinctement portaient le nom d’artisans dionysiaques, ce qui n’empêchait pas cette corporation nombreuse et fort mêlée de se sous-diviser en plusieurs sociétés distinctes. Quelques-unes de ces compagnies de comédiens étaient fort honorées. Ceux, entre autres, qui coopéraient aux représentations solennelles et qui participaient aux concours tragiques, comiques ou satiriques, jouissaient de la haute considération attachée à ces importantes fonctions religieuses et nationales. Aussi verrons-nous à Athènes les acteurs de tragédie et de comédie souvent chargés d’ambassades[203]. Il n’en fut pas de même des comédiens du second ordre, c’est-à-dire, de ceux qui jouaient chez les particuliers et dans les carrefours, ni même des acteurs qui représentaient sur les théâtres publics, hors des jours solennels, sans l’assistance des chœurs nationaux et sans espoir d’être couronnés. Cette classe subalterne d’artisans dionysiaques reçut la dénomination commune de mimes. Ces acteurs populaires, précurseurs de Thespis, ont devancé le grand théâtre national et lui ont survécu.

MIMES

Le nom de mime n’est pas, à beaucoup près, aussi ancien que la classe d’artistes à laquelle il s’applique. En effet, cette expression n’apparaît guère en Grèce avant l’archontat d’Euclide. Ce mot, d’ailleurs, eut dans la langue grecque, et conserva dans la langue latine, une double acception. Il signifiait tout à la fois une sorte de petites pièces amusantes et les acteurs qui prêtaient leurs talens à la représentation de cette classe d’ouvrages. Comme genre littéraire, la grande famille des mimes n’offre ni l’élévation poétique, ni la régularité de formes, ni la pureté d’origine des trois genres de drames classiques. Cette souche bâtarde se divise en un nombre infini de rameaux divers et ne présente pas, comme la tragédie, la comédie et le drame satyrique, une continuité de productions issues d’un même système. C’est dans ce genre de créations capricieuses, toutes livrées à la fantaisie individuelle, qu’éclata surtout la mobile indépendance du génie grec.

Quant aux acteurs mimes, c’est-à-dire, aux comédiens placés en dehors des concours scéniques, ils offrent une extrême variété de types et reçurent beaucoup de noms divers. Je dois rechercher curieusement l’histoire et la filiation de ces acteurs populaires ; car, comme ils ont survécu au grand théâtre religieux et national, eux et leurs farces ont influé, plus directement que les anciens chefs-d’œuvre de la scène grecque et romaine, sur les origines et la naissance du théâtre moderne.

Je distingue deux classes d’acteurs mimes : 1o ceux qui jouaient des parades improvisées ; 2o ceux qui représentaient des pièces écrites.

MIMES IMPROVISATEURS.

Les premiers mimes, ou plutôt les premiers comédiens populaires, furent partout improvisateurs. N’était-ce pas un mime, sauf le nom inusité alors, que ce premier venu qui, selon Pollux, improvisait du haut d’une table un épisode plaisant ou héroïque, au milieu du chœur dionysiaque[204] ? Partout le nom que reçurent ces premiers acteurs atteste des habitudes d’improvisation. Suivant Samus de Délos, il y en eut qui s’appelaient αὐτοκάβδαλοι ; les Thébains les nommaient ἐθελονταί ; ailleurs ils portaient le nom de sophistes, ou de παραδοξολόγοι[205]. Les contrées mêmes qui repoussèrent les concours scéniques reçurent ces baladins. Sparte, entre autres, qui, par amour pour ses anciens airs nationaux[206], ne permit pas aux chœurs cycliques et dithyrambiques de se transformer comme ailleurs en tragédies et en comédies[207], Sparte qui railla et repoussa constamment les folles dépenses de la choragie athénienne, Sparte, l’ennemie des vaines paroles, admit néanmoins ces divertissemens modestes et ces petits drames d’un appareil fort simple et conforme à son génie. Les Lacédémoniens appelèrent dicélistes ces comédiens, probablement de condition servile et fort peu estimés[208]. Sosibius, qui vivait sous Ptolémée Philadelphe, nous a fait connaître les sujets ordinaires des anciennes farces doriques : « C’était, dit-il, un homme qui volait des fruits, ou un médecin étranger qui parlait un jargon ridicule[209]. » Cette indication nous fait voir depuis combien de siècles les médecins ont le privilége d’exercer la verve des poètes comiques.

MIMES ÉCRITS. — DIVERSES ESPÈCES DE MIMES.

Outre les mimes improvisés, il y eut en Grèce des mimes écrits, et de bien des sortes. Le plus ordinairement ces petites pièces étaient en vers, et chantées avec un accompagnement de flûtes, ce qui fit créer le mot mimaules. Comme l’iambe est de tous les vers le plus propre à la conversation, ces poèmes furent très souvent composés dans ce mètre, et nommés iambes ou mimiambes, ainsi que leurs auteurs. Mais la dénomination la plus générale, et qui prévalut, fut celle de mimes, pour les pièces et pour les acteurs, et celle de mimographes, pour les auteurs.

Indépendamment de ce nom générique, commun à tous les comédiens populaires, la plupart reçurent, selon les lieux et les temps, d’autres dénominations fondées, soit sur la forme et la nature des pièces qu’ils représentaient, soit sur le costume qu’ils adoptaient, et qui, pour quelques-uns, était fixe et invariable, comme l’est aujourd’hui celui des personnages de la comédie italienne.

Si l’on classe les mimes grecs d’après la nature des pièces qu’ils jouaient, on trouve les éthologues, les biologues, les cinédologues, les phlyaques, les acteurs d’hilarotragédies, de comédo-tragédies, etc.

Les éthologues, qui furent célèbres surtout à Alexandrie et dans la Grande Grèce, se vouaient, comme leur nom l’indique, à la peinture des mœurs, mais des mœurs les plus basses et les plus corrompues[210]. Les biologues avaient aussi la prétention de peindre la vie humaine[211]. Quelques critiques ont pensé qu’ils avaient reconquis les libertés de la comédie ancienne, et qu’ils traçaient surtout des portraits individuels. Les cinédologues, appelés aussi simodes et lysiodes, à cause de Simus de Magnésie et de Lysis, fondateurs de ce genre de pièces, se complaisaient, comme les phlyaques, dans des plaisanteries et des gestes de la plus révoltante obscénité. Dans la 96e olympiade, Alcée de Mitylène composa un drame d’un genre nouveau, une comédo-tragédie. Il fut suivi dans cette voie par Anaxandride de Rhodes, Colophonius et quelques autres. Plus tard, Rhinthon de Syracuse, établi à Tarente, composa, vers la 120e olympiade, des hilarotragédies, parmi lesquelles on cite un Amphitryon, qui peut-être fut un des modèles de la comédo-tragédie de Plaute[212]. Plusieurs savans modernes, Casaubon[213], Saumaise[214], Ziegler[215], ont pensé que les hilarodes dont parle Athénée[216], tiraient leur nom des hilarotragédies ; mais Hermann[217] soutient, au contraire, que les hilarodes, qui portaient des habits blancs, une couronne d’or, des sandales, et dont les chants étaient accompagnés d’un instrument à cordes, descendaient en ligne directe des rhapsodes, et n’avaient aucun rapport avec les hilarotragédies de Rhinthon et de ses imitateurs.

Si, au contraire, nous classons les acteurs mimes d’après les noms qu’ils reçurent de leur costume, nous trouverons les ithyphalles, les phallophores, les magodes, etc., dénominations qui n’étaient qu’une nouvelle manière de désigner en certains pays des mimes connus ailleurs sous d’autres noms. Ainsi les magodes, les ithyphalles et les phallophores rentraient incontestablement dans la classe des cinédologues. Les Sicyoniens, chez qui les chœurs phalliques et les épisodes sont aussi anciens et peut-être plus anciens qu’à Athènes, conservèrent aux chanteurs phalliques leur ancien nom de phallophores, pleinement justifié par leur costume, comme le prouvent tous les monumens. Le phallophore sicyonien, véritable type du mime primitif, ne portait pas de masque ; il avait seulement le visage barbouillé de suie, ou couvert d’écorces de papyrus[218]. Ce comédien de Sicyone, que nous verrons se transformer en Planipes à Rome et en Arlequin à Bergame, se ceignait d’un plastron fait d’un tissu de serpolet, surmonté de feuilles d’acanthe : de plus, il se coiffait d’une couronne de lierre et de violettes, et se revêtait d’une caunace. Les phallaphores s’avançaient en mesure, les uns par les portes latérales (πάροδοι), les autres par la porte du milieu ; leur début était invariablement :

« Bacchus ! Bacchus ! Bacchus ! c’est à toi, Bacchus, que nous consacrons ces airs. Nous ornerons leur simple rhythme par des chants variés, qui ne sont pas faits pour des vierges[219]. Nous n’employons pas de vieilles chansons ; l’hymne que nous t’adressons n’a jamais été chanté. »

Après ce prologue, le phallophore s’avançait d’un pas rapide. Il avait le privilége de persifler qui bon lui semblait, mais en s’arrêtant à une place. On voit que ce mime sicyonien, comme son successeur romain et bergamesque, entremêlait son jeu de sarcasmes improvisés et de plaisanteries préparées à l’avance.

Ithyphalle (penis arrectus) était le nom que reçurent des mimes à peu près de la même espèce que ceux dont nous venons de parler, et plus particulièrement en vogue dans la Grande Grèce. Les ithyphalles différaient des phallophores en ce qu’ils portaient un masque représentant, pour l’ordinaire, un homme aviné[220]. Leurs manches, de couleur violette, couvraient presque leurs mains ; leur tête était ceinte d’une couronne ; ils étaient vêtus d’une tunique bigarrée, moitié blanche ; de plus, ils s’enveloppaient d’une longue tarentine qui leur descendait sur les talons. Comme le phallophore, l’ithyphalle jouait dans les grands théâtres, mais seulement sur l’orchestre. Il entrait par la grande porte, s’avançait en silence jusqu’au milieu de l’orchestre, puis il se retournait vers la scène et disait : « Rangez-vous, faites place au dieu, car le dieu se tient droit, et entend passer et repasser par le milieu[221]. »

Athénée, qui nous a conservé ces détails, nous apprend que les pièces jouées par cette classe de mimes s’appelaient, comme eux, ithyphalles. Les magodes, ainsi que leur nom l’indique, étaient des comédiens d’origine persique et qui différaient peu des lysiodes. Ces mimes prenaient les sujets de leurs pièces dans les comédies, et les représentaient ensuite à leur manière et avec un appareil qui leur était particulier. Ils faisaient grand usage du merveilleux et de la magie, c’est-à-dire, probablement, de tours d’adresse[222]. L’acteur magode se faisait accompagner de tambours et de cymbales. Son chant était efféminé, et il ne gardait aucun respect pour la décence. Il jouait souvent sous des habits de femme ; mais ses personnages favoris étaient ceux d’entremetteur, de croupier, d’ivrogne ; il faisait aussi fréquemment le rôle d’un libertin en partie de débauche avec sa maîtresse.

PARODISTES.

Il faut ranger encore dans la classe des mimes les auteurs et les acteurs de parodies. Il y eut, en Grèce, des parodistes de toutes sortes. Aristoxène nous apprend qu’Eudicus se rendit célèbre par son adresse à contrefaire les lutteurs et les pugiles. Straton de Tarente parodiait les poètes dithyrambiques et Œnonas les citharèdes. « C’est lui, dit le même écrivain, qui a représenté Polyphème gazouillant d’une voix sifflante, et Ulysse, après son naufrage, parlant le jargon de Soles[223]. » On appelait plus particulièrement logomimes ceux qui parodiaient les mauvaises prononciations. Hégémon de Thase éleva le premier la parodie sur la scène et en fit une sorte de comédie. Aussi mérita-t-il d’être déclaré par Aristote l’inventeur de ce genre. Hégémon florissait à l’époque de la guerre du Péloponèse. Souvent il donnait à Athènes des représentations sur le théâtre de Bacchus. Il était en train de divertir la foule par le prodigieux talent qu’il avait de tout contrefaire, quand on annonça au théâtre les revers éprouvés en Sicile, et personne ne quitta la place. Athénée donne le nom de comédies aux parodies de cet auteur[224]. Il est probable qu’elles ressemblaient plutôt à la comédo-tragédie d’Alcée ou aux hilarotragédies de Rhinthon.

Quand, après l’issue malheureuse de la guerre du Péloponèse, toutes les libertés théâtrales furent abolies, les poètes comiques se réfugièrent dans la parodie littéraire ; ils se moquèrent les uns des autres, lorsqu’il leur fut interdit de se moquer des hommes d’état. Les Grenouilles d’Aristophane, qui obtinrent un grand succès et qui furent jouées deux fois, ne sont, au fond, qu’une parodie élevée à la hauteur comique ; c’est le chef-d’œuvre du genre.

Nous possédons sur un vase grec de Pæstun, publié par M. Millingen, un spécimen graphique extrêmement précieux d’une de ces tragédies burlesques. Un vieux campagnard, couché sur un lit, est torturé par trois vauriens de valets : cette scène semble appartenir à une parodie de Procruste. Les acteurs de ce petit drame sont ithyphalles et masqués ; tous ont les pieds nus, un seul excepté, qui ne porte pas cependant le socque ou brodequin comique[225]. Plusieurs vases peints du cabinet de M. Durand, offrent des scènes de ce genre. Un d’eux[226] nous montre trois acteurs ithyphalles et masqués, dont un est bossu et tient une lyre. Un autre vase représente la parodie de l’arrivée d’Apollon à Delphes. Le charlatan qui figure l’Apollon hyperboréen, est placé sur les marches de l’escalier qui conduit à ses tréteaux. Il est, comme tous les acteurs qui l’entourent, ithyphalle et masqué[227].

Enfin, pour n’oublier de mentionner aucune des diverses sortes de petites pièces dans lesquelles se décomposa peu à peu le grand théâtre grec, je dois citer le drame comédo-satyrique, dont, suivant M. Eichstædt, il subsiste un échantillon dans le fragment de la Lytierse de Sosithée[228] ; les silles, petits poèmes mordans qui se rapprochaient plus, je crois, de la satire épique ou didactique que du drame, et, finalement, les griffes, sortes d’énigmes, ou, comme nous dirions, de charades en action, que les anciens mimes, et entre autres, Cléon le mimaule, ne dédaignaient pas de représenter. Le plus singulier exemple que nous puissions citer de ces énigmes dramatiques est le griffe de Callias, intitulé : La Théorie ou les Évolutions des lettres. Il nous reste une analyse étendue de cette pièce dans Athénée[229].

Ce qui distinguait surtout les mimes des acteurs de tragédies et de comédies, c’est : 1o qu’ils jouaient sur l’orchestre, au lieu de jouer, comme les acteurs tragiques et comiques, sur la scène ou proscenium ; 2o qu’étant ainsi beaucoup plus rapprochés des spectateurs, ils n’eurent pas besoin de se grandir, et n’employèrent ni le cothurne, ni le socque, ni aucun des moyens d’exagération auxquels les comédiens (ὑποκριταὶ) avaient recours ; 3o que, dans la plupart des cas, ils jouaient sans masque et le visage seulement noirci ou coloré[230]. Il résulta de l’absence des masques que les hommes cessèrent de remplir aussi commodément les rôles de femmes. Exclues de la scène, les femmes furent admises sur l’orchestre ou le thymélé. On ne peut douter, en effet, qu’il n’y ait eu des femmes mimes en Grèce, μιμάδες[231], δεικτηριάδες[232], particulièrement dans les contrées doriennes, d’où elles passèrent en Sicile, puis dans la Grande Grèce, et enfin à Rome. Si même on en croit une phrase douteuse d’un auteur dont l’authenticité elle-même n’est pas certaine, il était permis aux femmes les plus distinguées de Sparte de monter sur la scène. « Nulla Lacedæmoni tam est nobilis vidua, quæ non ad scenam eat mercede conducta ». Mais d’habiles critiques contestent précisément les mots ad scenam[233].

Toutes les pièces connues sous le nom générique de mimes, tous les petits drames qui ne concouraient pas, comme les tragédies et les comédies, pour les prix solennels, et qui n’étaient, au temps de Sophocle et d’Aristophane, qu’un accessoire amusant du grand théâtre, prirent presque exclusivement possession de la scène, quand arriva la décadence. En effet, après l’occupation d’Athènes par Lysandre et sous les régimes diversement oppressifs qui suivirent, la tragédie faute de subsides, et la comédie faute de liberté, devinrent de plus en plus rares à Athènes. Acteurs et poètes se tournèrent vers les cours opulentes de Macédoine, de Sicile, d’Égypte et de Syrie. Alors, à l’ombre des palais de Pergame, de Pella, de Syracuse et d’Alexandrie, le grand art, l’art vigoureux et libre des Eschyle et des Aristophane, s’abâtardit et s’énerva. Le genre mimique, né depuis long-temps à Syracuse, grandit et supplanta les autres genres. Le goût trivial, prosaïque et libertin des princes de Macédoine, d’Égypte et de Syrie, finit par régner seul dans la Grèce esclave.

À Athènes, la comédie dite nouvelle, la comédie de Ménandre et de Philémon, fut l’expression la plus élevée d’un genre nouveau, qui, comme les mimes, se renferma presque uniquement dans la peinture des vices populaires et des ridicules de la classe la moins élevée. Peu à peu les différences qui avaient séparé les pièces de Sophron de la comédie d’Épicharme s’effacèrent ; alors, comme le remarqua plus tard l’empereur Antonin, il n’y eut plus, sous diverses formes et divers noms, que des mimes, c’est-à-dire que des imitations plus ou moins prosaïques de la vie commune et réelle : l’élément religieux, l’imitation poétique, l’idéal, en un mot, avaient disparu.

Charles Magnin.

  1. Pindare a exprimé énergiquement cette supériorité de la poésie : « Je dédaigne, dit-il, l’art du statuaire qui travaille lentement des simulacres oisifs pour les fixer sur une base immobile, etc. » Nem., od. V, v. 1-3.
  2. Revue des Deux Mondes, décembre 1833, pag. 573 et suiv.
  3. Thom. Gage, Relations des Indes occidentales, 3e partie, chap. XVII, pag. 163-172. Garcilasso de la Vega, Comment. Reales, lib. ii, cap. XXIII. — Clapperton, Second Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, tom. I, pag. 103-108. — Sidney Parkinson, Voyage autour du Monde, tom. I, pag. 125 et suiv. — Cook, Second Voyage, tom. II, pag. 402 et suiv.
  4. Les almées sont des danseuses improvisatrices. Le mot almée en arabe signifie savante.
  5. Aristot., De Poet., cap. iv, § 2.
  6. Globe, tom. VI, pag. 155-158.
  7. Horat. lib. ii, satir. iii, v. 248.
  8. Theophylact. Simoc., inter Bysant. script., tom. I, pages 1 seqq.
  9. Vincent Kadlubko vel Kadlubek, Res gestæ principum et regum Poloniæ, Varsoviæ, 1824.
  10. Voyez un article de M. de Villoison dans le Magasin encyclopédique, 7e année, tom. ii, pag. 451.
  11. De l’histoire de la poésie, Marseille, 1830, pag. 33.
  12. Voy. Revue des Deux Mondes, décembre 1834.
  13. La plupart des institutions civiles et politiques étaient fondées sur les oracles de Dodone ou de Delphes. Voyez Demosth., in. Mid., pag. 611, B, seqq.
  14. Cicer., De natur. Deor., lib. i, cap. xlii, et lib. iii, cap. xvi.
  15. Un autre système reporte à des rois étrangers, égyptiens ou autres, l’origine des dieux de la Grèce : c’est une variété moderne de l’évhémérisme, que je n’ai pas mission d’examiner.
  16. Fréret, Observ. sur l’ancienne histoire des premiers habitans de la Grèce. Acad. des Inscript., tom. xlvii, pag. 1 et suiv.
  17. Herod., lib. ii, cap. 53 et 146. — Æschyl., Prometh. et Eumenid., passim.
  18. Hist. de l’Acad. des inscript., tom. xxiii, pag. 25.
  19. Hesiod., Theog., v. 45 seqq.
  20. Strab., lib. viii, pag. 373, A.
  21. Marm. Oxon., epoch. xi.
  22. Eustath., pag. 771, 55, seqq.
  23. Strab., lib. xiv, pag. 654, A.
  24. Diodor., lib. v, § 55, tom. i, pag. 374.
  25. Strab., lib. x, pag. 468, C.
  26. Voyez la description de l’ancien autel de Jupiter à Olympie, fait de la cendre des victimes. Pausan., Eliac., cap. xiii, 5 ; Plutarch., De orac. defect., pag. 433, B.
  27. Marm. Oxon., epoch. iv et ix.
  28. L’incendie de plusieurs anciens temples le prouve.
  29. Hom., Iliad. xviii, v. 373 seqq.
  30. Hom., Odyss. xiv, v. 327. Æsch., Prometh., v. 828. — Voyez sur les prêtres de Dodone, adorateurs des chênes comme les druides, un Mémoire du président de Brosses, Acad. des Inscript., tom. xxxv, pag. 89.
  31. Hérodote (lib. ii, cap. lv) et Strabon (lib. vii, B, pag. 329) expliquent cette croyance populaire.
  32. Fréret, Mémoire sur les oracles rendus par les ames des morts, Acad. des Inscript., tom. XXIII, pag. 174. — Eustath., p. 1667, l. 63. — Plutarch., Non pusse suaviter vivi sec. Ep., pag. 1104 D.
  33. Æschyl., Eumenid., v. 94 seqq.
  34. Herodot., lib. v, cap. XCII. Les Grecs appelaient Mélisses des femmes inspirées attachées au service des temples (Pind., Pyth., IV, v. 106. — Aristoph., Ran., v. 1273). C’est une similitude peut-être notable que celle de ce mot et du nom de la femme de Périandre.
  35. Rois, i, cap. XXVIII. Ces évocations, venues d’Égypte en Judée, étaient sévèrement défendues par la loi mosaïque. Voyez Deuteron., cap. XVIII, 11
  36. Voyez Fréret, Mémoire sur les familles sacerdotales, Acad. des Inscript., ibid., pag. 51 et suiv.
  37. On dorait aussi les offrandes, et même les cornes et les sabots des victimes.
  38. Les vases sacrés portaient gravés l’image et quelquefois le nom du dieu auquel ils étaient consacrés. Plaut., Rud., act. II, sc. V, v. 21.
  39. Plutarch., Solon, cap. xxix.
  40. Plat., De legib., lib. vii, pag. 560, A.
  41. Ælian., Var. Hist., iv, 4.
  42. id., ibid. — Boèce (De musicâ, lib. i, cap. i) rapporte ce fait avec d’autres circonstances ; il cite le texte d’un prétendu décret dont Ot. Müller a prouvé la supposition (Doriens, 2e partie, pag. 324 et suiv.). Avant Müller, Heinrich avait élevé des doutes sur l’authenticité de cette pièce dans son Épiménide.
  43. Plutarch., Lac. inst., pag. 238, C. — Pindare a dit poétiquement : La lyre aux sept langues. Nem. v, v. 43.
  44. Marm. Oxon., epoch. xv et xvi.
  45. Herodot., lib. ii, cap. li.
  46. M. de Sainte-Croix. Recherches sur les mystères, tom. i, pag. 55.
  47. Cicer., De natur. deor., lib. ? cap. xliii.
  48. Gutberleth., De myst. deor. Cabir., cap. ii.
  49. Euseb., De præparat. evangel., lib. i, cap. vii.
  50. Fréret, Acad. des Inscript., tom. xxiii, pag. 27 et suiv.
  51. Strab., lib. x, pag. 470, D.
  52. Porphyr., De abstin., lib. iv, § 5, pag. 307. — Himer., Orat. xxxiii, § 7, 8 et 18, pag. 778 et 726.
  53. Strab., ibid., C.
  54. Eurip., Bacch., v. 57. — Heeren., De Chor. Græcor., pag. 39 seqq.
  55. Pausan., Phoc., cap. xxxi, § 4.
  56. Schol., in Aristoph. Plut., v. 846 et 1014.
  57. Du moins aux petits mystères. — Aristoph., Pac., v. 375.
  58. Homer., Hymn. in Cerer., v. 480, seqq.
  59. Pind., tom. III, pag. 1258, ed. Heyn.
  60. M. de Sainte-Croix, Recherches sur les Mystères, tom. I, pag. 347
  61. Harpocr., voc. Νιβρίζων.
  62. Cicer., De legib., lib. ii, cap. 4, § 36.
  63. Isocr., Paneg., pag.46, A, seqq.
  64. Lobeck, Aglaopham., tom. I, pag. 321.
  65. Aristoph., Ran., v. 366.
  66. Κατατιλᾶ, concacat.
  67. M. de Sainte-Croix, Recherches sur les Mystères, tom. I, pag. 348, note 3.
  68. Plat., Axioch., pag. 371, E.
  69. Aristoph., Ran., v. 145, seqq.
  70. id., ibid., v. 440, seqq.
  71. Disquisitions upon the painted greck vases. London, 1825, in-4o
  72. Myst. Cer. et Bacch. in vasculo ex uno onyche, tom. VII, Antiq. Græc. Gronov., col. 57-74.
  73. Montfauc., Antiq. expl., tom. II, pag. 182, pl. LXXVIII.
  74. Plusieurs auteurs anciens ont cependant écrit sur les mystères des traités qui malheureusement sont perdus. Voyez dans la préface des Eleusinia de Meursius une liste de ces auteurs, qui est loin d’être complète.
  75. Voyez surtout, dans le Catalogue du cabinet de M. Durand, le no 430, pag. 163 et suiv.
  76. M. Bœttiger prétend que les scènes dramatiques peintes fréquemment sur les vases grecs se rapportent aux sujets épisodiques traités par les cyclodidascalies prédécesseurs ou contemporains de Thespis (De quatuor ætat. rei scen., pag. 5 et 6.). Il semble, en effet, que ces figures, ne portant ni le masque, ni le cothurne, ni rien de ce qui a distingué l’appareil scénique depuis Eschyle, ne peuvent se rapporter qu’aux représentations hiératiques ou aux chorodidascalies du temps d’Épigène et de Thespis.
  77. Disquisitions upon the painted greck vases, pag. 36.
  78. Philostr., Vit. Sophist., lib. ii, cap. xx, pag. 601. — Brunck, Analect., tom. III, pag. 315, no 750. — Jacobs, tom. III, pag. 115, part. II. — Sopatr. Div. quæst., pag. 388, ed. Ald.
  79. Pausan., Attic., cap. XXXVIII, § 6.
  80. Lucian., De saltat., cap. XV.
  81. « Quand je médis de mon maître en cachette, dit un esclave dans Aristophane, il me semble que je suis épopte. » Voyez Ran., v. 745.
  82. Plat., Phœdr., pag. 250, B, C.
  83. Euseb., Præpar. evangel., lib. i, cap. vii.
  84. Clem. Alex., Strom., lib. v, pag. 688 et 689. — Euseb., ibid., lib. iii, pag. 98, B, seqq.
  85. M. Eméric David, Jupiter, introd., pag. CCLXIII.
  86. Porph., De abstin., lib. iv, § 16, pag. 353. — Hieron., Adv. Jovin., tom. IV, part. II, pag. 206. — Cette défense rappelle involontairement le second chapitre de la Genèse.
  87. Plutarch., De oracul. defectu, pag. 422, C.
  88. Galen., lib. vii, tom. II, pag. 86, ed. Basil.
  89. Pausan., Arcad., cap. XV, § I.
  90. Un hiéron n’était pas seulement un temple, c’était aussi l’enceinte et le territoire appartenant à ce temple, et consistant en bois, prairies, etc. Un hiéron était à beaucoup d’égards une abbaye païenne.
  91. Firmic., De error. proph. relig., pag. 24, ed. J. Maire
  92. Demosth., in Neœr., pag. 873, D.
  93. Cette prêtresse de Bacchus formait au second siècle, avec les Thyades ou bacchantes, un corps où les hommes n’étaient pas reçus. Voyez Plutarch., De Iside et Osir., pag. 365, A.
  94. Eurip., Bacch., v. 139. — Aristote cite les Achæi et les Heniochi, habitans du Pont-Euxin, comme étant de son temps encore anthropophages. Voy. Politic., lib. viii, cap. iii, § 4.
  95. Aristoph., Ran., v. 1032.
  96. Horat., Epist. ad Pisones, v. 392.
  97. On purifiait les prêtresses électives et les aspirans à l’initiation au moyen de l’air. Le van mystique était l’instrument de cette bizarre cérémonie : mystica vannus Iacchi. Le van était aussi le symbole de la séparation des initiés et des profanes. Voyez Sainte-Croix, Recherches sur les Mystères, tom. i, pag. 329, et tom. ii, pag. 80.
  98. Aristoph., Ran., v. 297, Schol., ibid.
  99. Plat., De republ., lib. ii, pag. 364, C.
  100. Theophr., Charact., 17.
  101. Demosth., De coronâ, t. II, pag. 516, A.
  102. Pausan., Eliac., ii, cap. xxvi, § 1.
  103. Strab., lib. ix, pag. 395, B.
  104. M. Fougerot, en 1781 (Magasin encyclop., an viii, tom. I, pag. 309 et suiv.), et plus récemment les auteurs des Antiquités inédites de l’Attique, traduites par M. Hittorff (pag. 30 et 31), ont constaté dans les ruines du temple d’Éleusis l’existence d’une crypte, qui formait sous la cella une pièce souterraine semblable à celles que l’on ménage, pour le jeu des décorations, sous le plancher de nos théâtres, et qui paraît avoir eu la même destination. Je pense que, dans l’époque sévère des mystères d’Éleusis, cette crypte put servir à faire monter dans la cella les figures et les symboles que le dadouque éclairait de son flambeau.
  105. Senec., Natur. quæst., lib. vii, cap. XXXI. Peut-être ce passage ne se rapporte-t-il qu’aux deux degrés d’initiation.
  106. Himer., Orat. xxxiii, § III, pag. 874, ed. Wernsd.Terent., Phorm., act. I, sc. I, v. 13-15. — Apollod. ap. Donat, ibid.
  107. Isaeus, Orat. de hœred. Philoctem., pag. 61, — Demosth., in Neœr., p. 862.
  108. Cicer., De legib., lib. ii, 15.
  109. Plutarch., Alcib., cap. XXII. — Lysias, Contr. Andoc. de impiet.Maxim. Tyr., Dissert. XXXIX, § 4. –
  110. Pausan., Et. II, cap. XXI.
  111. Mém. de l’Acad. des Inscript., tom. XLV, pag. 429
  112. Ces corbeilles renfermaient du sésame, des gâteaux, du sel, des pavots, des grenades, des férules, des pelotons de laine, un simulacre de serpent, une lampe, une épée, le cteis, etc. Voyez Clem. Alexandr., Protrept., cap. II, pag. 19.
  113. Plutarch., Phoc., cap. XXVIII
  114. Pausan., Attic., cap. II, § 4.
  115. Plutarch., ibid.
  116. Aristoph., Ran., v. 139. — Schol., ibid.
  117. Clément. Alex., Protrept., cap. II, pag. 45 — Le jeu de la sphère ou de la balle, celui de la toupie et des osselets, étaient des exercices hiératiques avant de devenir des amusemens populaires. Nous trouverons aussi au moyen-âge le jeu de la toupie et celui de la balle ou de la pelote pratiqués par le clergé dans les églises
  118. Plutarch., Alcib., cap. XXXIV, — Pindare a dit : Cérès amie des cymbales » Isthm., od. VII, v. 3.
  119. Il existait un usage à peu près semblable à Alexandrie. Suid., voc. τὰ ἐκ τῶν ἁμαξων σκώμματα
  120. Hesych. et Suid., voc. ΓεφυσίςMeurs., Eleusin., pag. 85. — Græc. feriata, pag. 73.
  121. Apollon., lib. i, cap. VI, § 1. — D’après une autre légende, Iambé était une joyeuse servante qui excita le rire de la déesse par ses saillies plaisantes. Voyez Pseudo-Homer., Hymn. ad Cerer., v. 195, seqq. — N’est-ce pas du nom de cette femme que vient le mot iambe, qui désigna d’abord exclusivement le vers satirique et enjoué ?
  122. Philostr., vit. Apollon., lib. iv, cap. XVIII, pag. 155.
  123. Demosth., in Mid., pag. 631. — Andoc., De myster., pag. 15.
  124. C’est faute d’avoir fait cette observation, que Fréret a distingué à tort les Dionysies des champs des Lénéennes. Voyez Mém. sur le culte de Bacchus, Acad. des Inscript., tom. XIII, pag. 242 et suiv.
  125. Demosth., in Mid., pag. 637. C. — Schol. in Aristoph., Acharn., v. 505.
  126. Le premier jour des Anthestéries s’appelait Pithégie, ou fête de l’ouverture des tonneaux. Voyez Plutarch., Sympos., lib. iii, quæst. 7, pag. 655, E.
  127. Argum. in Demosth., Orat. contr. Mid.
  128. Hesych., voc. Διονύσια. — Hesychius reconnaît trois Dionysies à Athènes ; Meursius les réduit à deux ; Ruhnkenius (Auctuar. emendationum, ap. Hesych., tom.  II, sub fin.) a rétabli les trois Dionysies ; mais il a eu tort, selon moi, de les supposer toutes trois annuelles.
  129. Thucydide (lib. vi, § 56) et Élien (Var. hist., lib. xi, cap. XIII) racontent comment Hipparque refusa d’admettre la sœur d’Harmodius aux fonctions de canéphore, et comment Harmodius se vengea de cet affront.
  130. Aristoph., Acharn., v. 263. Nous apprenons des poètes comiques qu’il se glissa de graves abus dans ces fêtes nocturnes.
  131. Demosth., in Mid., pag. 604, E. seqq., et 631, C.
  132. Voyez surtout un curieux chapitre du liturgiste Jean Beleth, De quâdam libertate decembri.
  133. Le Scholiaste d’Aristophane (in Pac., v. 417) nie l’existence des Panathénées annuelles, et l’auteur anonyme de l’argument du discours de Démosthènes contre Midias prétend que les petites Panathénées étaient triennales. Si ces assertions inconciliables ne sont pas de pures erreurs, il faut en conclure que l’époque de la célébration des Panathénées a plusieurs fois varié.
  134. Plat., De republic., lib. i, pag. 328, C.
  135. id., ibid., A, — Lucrèce (De nat. rerum, II, v. 73) a tiré de cet usage une belle allusion à la métempsycose : Quasi cursores vitaï lampada tradunt.
  136. Euseb., Chron. ad istud tempus. — Les concours gymniques sont mentionnés dans un décret rendu par les Athéniens en l’honneur d’Hippocrate. Voy. Hippocr. Opera, pag. 1290, seqq., ed. Foes. L’authenticité de ce texte est douteuse.
  137. Dionys. Halicarn., lib. vii, § 72, pag. 1488. — La pyrrhique a donné lieu à un grand nombre de dissertations. Comme les danses militaires sont naturelles à tous les peuples, même sauvages, les érudits ont eu beau jeu pour retrouver des traces de l’ancienne pyrrhique dans les danses populaires de tous les pays. Un des plus savans hommes du xvie siècle et des plus singuliers, Scaliger, raconte qu’étant page de l’empereur Maximilien, il dansa sæpe et diu la pyrrhique devant ce monarque et sa cour, non sine stupore totius Germaniæ (Poetic., lib. i, cap. XVIII). Mais telle était la forfanterie habituelle de Scaliger, que cette anecdote n’est nullement prouvée par son affirmation. Il est même très douteux qu’il ait jamais été page de Maximilien. On cite un autre exemple plus certain d’un pareil commentaire en action. Marc Meibom et Gabriel Naudé exécutèrent en Suède, devant la reine Christine, des échantillons de danses et de musique anciennes restituées d’après leurs systèmes. Le mauvais succès de ce singulier commentaire amena entre Meibom et Bourdelot, favori de la reine, une altercation et même des voies de fait, à la suite desquelles Meibom fut disgracié et obligé de quitter la Suède. Voyez Mémoires concernant la reine Christine. Amsterdam, 1757, in-4o, tom. I, pag. 241.
  138. Plutarch. Thes. cap. XXII, XXIII.
  139. Pausan., Attic., cap. XXIV, § 4, et cap. XXVIII, § 11. — Ælian., Var. Hist., lib. viii, cap. III.
  140. Porphyr., De abstinent., lib. ii, cap. XXX.
  141. Ascon. Paedian., Divinat. contr. Verr., pag. 29. — Quintil., lib. i, cap. X, § 16. — Les sauvages même ont des chants inspirés par le mouvement des vagues : « Les conducteurs de pirogues, dit Bowdich, ont des airs particuliers qui ressemblent au chant d’église, mais qui tiennent à l’inspiration du moment ; il serait très difficile de les retenir. » Voyage au pays d’Achantie, pag. 475.
  142. Aristoph., Concion., v. 276, seqq.Vesp., v. 219-221. — Ces chants et ces danses des juges d’Athènes nous paraîtront moins extraordinaires quand, plus tard, nous étudierons l’ancien cérémonial du parlement de Paris et des autres cours du royaume, où se pratiquaient diverses révérences et certains pas qui se rapprochaient beaucoup, à leur origine, de ce qu’Aristophane nous apprend des juges athéniens.
  143. Athen., lib. xiv, pag. 629, E.
  144. id., ibid., pag. 638. C.
  145. Plutarch., Phoc., cap. xxx
  146. id., ibid., cap. III.
  147. Probl., XIX, § 15.
  148. Aristoph., Ran., v. 403-413.
  149. id., Thesmoph., v. 107, seqq.
  150. Je sais bien qu’on regarde cette apostrophe comme une allusion aux mœurs efféminées d’Agathon ; mais n’est-ce pas là une explication un peu recherchée ?
  151. Senec., Epist. 84.
  152. Macrob., Saturn., lib. i, proœm., pag. 199, ed. Bipont. — Je dois ajouter que nous verrons bientôt les femmes figurer dans les chœurs funèbres.
  153. Donat., Prolegom. in Terent.
  154. Alciphr., lib. iii, Epist. 71.
  155. Environ 4,580 fr. de notre monnaie.
  156. Lysias, Pro Aristoph. bonis, pag. 642-643.
  157. id., Defens. muner., pag. 698-700.
  158. La seconde année de la 92e olympiade.
  159. Environ 2,750 fr. de notre monnaie.
  160. C’est la moitié de ce que coûtait un chœur tragique ; mais il faut remarquer que sous l’archontat d’Euclide les chœurs comiques avaient été forts restreints.
  161. En effet, la choragie était une des liturgies, ou charges publiques, que tout riche Athénien était tenu de remplir (Demosth., in Leptin., passim), mais qui ne pouvaient être imposées que de deux années l’une. id., ibid., pag. 542, B. — Xénoph., Œconom., cap. II, § 6.
  162. Aristot. ap. Schol. Aristoph., in Ran., v. 405.
  163. Antiph., orat. XVI, pag. 142. — Isocrate et Démosthène nous font connaître un singulier usage : lorsqu’un citoyen voulait en forcer un autre qu’il supposait plus riche que lui, à remplir une liturgie ou charge publique onéreuse, ce citoyen pouvait contraindre celui qui prétendait lui imposer cette charge à changer avec lui d’héritage. Isocrat., De permutatione, passim, et De pace, pag. 185, A. — Demosth., Philipp., i, pag. 52, D ; id., in Phœn., pag. 1023, A et passim.
  164. Plutarch., Dion, cap. XVII.
  165. Bœckh, Inscript. 225 et 226, tom. I, pag. 348, 349.
  166. Edm. Chishull, Antiquitates asiatic., pag. 155, seqq. — Il s’agit dans cette inscription de chœurs cycliques et non de chœurs scéniques. Ceux-ci n’étaient pas en usage dans toute la Grèce. On sait que les Spartiates, loin d’admettre chez eux la choragie scénique, plaisantaient souvent, au contraire, sur les folles dépenses où la mise en scène des ouvrages dramatiques entraînait les Athéniens. Voy. Plutarch., Sympos., lib. vii, quæst. 7, et De glor. Athen., pag. 348, F.
  167. Menandr. Fragm., pag. 61, ed. Meinek.
  168. Bœttig., Furien-Maske, num. x.
  169. Bœckh, De Græc. tragæd. princip., pag. 92, seqq.
  170. Boettig., De quatuor rei scen. œtat., pag. 12-16.
  171. Lucian., De saltat., cap. II.
  172. Aristoph., Thesmoph., v. 1172, seqq. — Les almées sont encore aujourd’hui conduites dans les cafés du Caire, d’Alexandrie, etc., ainsi que dans les maisons des particuliers, par des vieilles qui se font passer pour leurs mères. Voyez Correspond. d’Orient, tom. V, pag. 256, 257.
  173. C’était l’Oclasma que décrit Xénophon, Anab., lib. vi, cap. I, § 5.
  174. Aristoph., ibid., v. 1180.
  175. Plutarch., Sympos., lib. v, quæst. i, pag. 674, B, et De audiend. poet., pag. 18, C. — Dans quelques universités suédoises on pratiquait encore, au xviiie siècle, quelque chose d’analogue pour la réception des étudians. Le candidat, le visage noirci, était obligé de mettre en travers dans sa bouche des morceaux de bois ou des dents de sanglier, et de répondre aux questions qui lui étaient adressées, ce qui le forçait de faire entendre un grognement semblable à celui du cochon ! Voyez un curieux opuscule de M. J. Rydquist, conservateur de la bibliothèque royale de Stockholm, sur les plus anciens drames du Nord. Upsal, 1836, in-8o.
  176. Nous trouverons les combats de coqs chez presque tous les peuples, les Romains, les Indiens, les Celtes, les Anglais, les Mariannais, les Chinois, etc. Voyez les Mémoires de la Société des Antiqu. de France, tom. IX, pag. 194-198.
  177. Ælian., Var. Hist., lib. ii, cap. XXVIII.
  178. Suid., voc. Τηλία.
  179. Schol. in Aristoph. Ach., v. 165 ; Equit., v. 492 ; Av., v. 730.
  180. Tassie, nos 6952, 57, 59.
  181. Athen., lib. ix, pag. 597, C, D. — Aristoph., Ach., v. 65.
  182. Athen., lib. i, pag. 19 et 20.
  183. Voyez un Mémoire de Burette sur la Sphéristique, Acad. des Inscript., tom. i, pag. 143 et suiv.
  184. Plutarch., Apophthegm. lacon., pag. 216, C.
  185. Athen., ibid.
  186. Schol. in Aristoph., Plut., v. 1130.
  187. Poll., lib. ix, cap. VII, § 121.
  188. La schœnobatie est recommandée comme exercice hygiénique dans Hippocrate. De victus rat., lib. iii, pag. 266, 55.
  189. On ne trouve pas dans les écrivains anciens le mot acrobate, mais seulement le verbe ἀκροβατέω. Voy. Lucian., Icaromen., cap. 10.
  190. Vopisc., Carin., cap. XIX.
  191. Athen., lib. i, pag. 19, E. — Eustath., pag. 457, 35, seqq.
  192. Herodot., lib. ii, cap. CVII. — Plusieurs voyageurs modernes ont signalé en Afrique des pratiques religieuses à peu près semblables ; Grandpré, entre autres, raconte, dans son Voyage en Afrique (tom. I, pag. 118) qu’étant au Congo en 1787, il fut témoin d’une fête où des hommes masqués portaient processionnellement un phallus énorme qu’ils agitaient au moyen d’un ressort.
  193. Lucian., De Deâ Syria, cap. 16.
  194. Il est très vraisemblable que la prétendue mobilité des statues dédaliennes n’est qu’une métaphore admirative ; cependant plusieurs passages qui les concernent peuvent faire croire à une mobilité réelle. Je lis, par exemple, dans Platon : « N’as-tu pas fait attention aux statues de Dédale ? — À quel propos me dis-tu cela ? — Parce que ces statues, si elles n’ont pas un ressort qui les arrête, s’échappent et s’enfuient, au lieu que celles qui sont arrêtées demeurent en place. » Plat., Menon., pag. 971, D, E. — Cf. Euthyphr., pag. 11, C, D. — Callistr., Ecphrasis seu statuæ, § VIII, ap. Philostr., pag. 899.
  195. Xenoph., Sympos., cap. IV, § 55.
  196. Plat., De leg., lib. i, pag. 644, E.
  197. Aristot., De mundo, cap. VI, tom. I, pag. 376. — Il est curieux de rapprocher de ce passage la traduction qu’en a faite Apulée. De Mundo, tom. II, pag. 351, ed. Oudend.
  198. Athen., lib. xiv, pag. 615, E, seqq. — Par une étymologie forcée, on a mal à propos rapproché les planes de la planipedia romaine.
  199. Xenoph., Sympos., cap. I, § 12, et cap. IV, § 50.
  200. Athen., lib. xiv, pag. 614, D, seqq.
  201. Aristoph., Thesmoph., v. 40. — Poll., lib. iv, cap. 7 et 8. — Athen., lib. ix, pag. 362, E. — Harpocr. et Hesych., voc. Θίασος.
  202. Μουσικῆς θιασώται, Plutarch., De musicâ, pag. 1131. E.
  203. Demosth., De fals. legat., pag. 295, D, E, et passim. — Æschin., De fals. legat., pag. 397, E, et passim.
  204. Poll., lib. iv, cap. XIX, § 123.
  205. Les Παραδοξολογοῦντες étaient plus particulièrement peut-être ce que nous appelons charlatans. Voyez Diod., lib. iii, § 35, pag. 201.
  206. Athen., lib. xiv, pag. 632, F. — Pratinas a dit : « Le Lacon est une cigale née pour les chœurs. » Athen., ibid., pag. 633, A.
  207. Plutarch., Instit. Lacon., pag. 259, B — Les vastes théâtres dont les ruines subsistent encore dans le Péloponèse prouvent que les Spartiates ont connu les grandes représentations scéniques, au moins sous la domination romaine.
  208. Athen., lib. xiv, pag. 621, D, E. — Agésilas fit l’application injurieuse du nom de dicéliste à un tragédien qu’il voulait mortifier. Voy. Plutarch., Agesil., cap. XXI, et Apophth. Lacon., pag. 212, F.
  209. Athen., ibid.
  210. Ces mimes passèrent de la Grande Grèce à Rome. Cicéron blâme sévèrement leur licence. Voyez De orat., lib. ii, cap. LIX et LX.
  211. Jacobs, in Analecten von Wolf, tom. I, pag. 105, seq. — Coray, Plutarch., tom. IV, pag. 351. — Il existe à l’Escurial, dans un manuscrit de Choricius sophista, de Gaza, un discours, περὶ τών μίμων ; titre qui est développé comme il suit in interiore libri : ὁ λόγος περὶ τῶ ἐν Διονύσου τὸν βίον εἰκονιζόντων, id est : Oratio de iis qui in Bacchi (theatro) mores assimilant, Yriarte, tom. I, pag. 404.
  212. Athen., lib. iii, pag. 111, C. — Épicharme et Euripide ont traité aussi le sujet d’Amphitryon ; il y eut de plus Les deux Amphitryons d’Archippus.
  213. Casaub., in Athen., pag. 167.
  214. Salmas., Plinian. exercit., pag. 79, ed. Traiect.
  215. Ziegler, De mimis Roman., pag. 39.
  216. Athen., lib. xiv, pag. 620, D.
  217. Herm., De dramat. Græc. comico-sat. (opuscula, tom. I, pag. 43, seqq.)
  218. Athen., ibid., pag. 625, C, D. — Suid., voc. Σῆμος.
  219. Cela semble prouver que chez les Sicyoniens les jeunes filles n’étaient pas admises au spectacle des mimes.
  220. Suid., voc. φαλλόφοροι.
  221. Athen., lib. xiv, pag. 622, B, C.
  222. Sophocle et plusieurs autres écrivains emploient le mot μάγος dans le sens de prestigiateur, comme l’expliquent Suidas, voc. μάγος et le scholiaste ad Œdip. Tyr., v. 387.
  223. Athen., lib. i, pag. 19 et 20. — C’est, comme on sait, du mauvais langage parlé dans cette ville qu’est venu le mot solécisme.
  224. Athen., lib. ix, pag. 407.
  225. Millingen, Peintures des vases grecs, pag.  69-70, pl. XLVI. — Cette peinture peut aussi servir à fixer plusieurs points douteux d’architecture théâtrale et de mise en scène. Elle laisse voir, par exemple, deux parties qui manquent dans presque toutes les ruines des théâtres anciens, l’hyposcenium et les colonettes.
  226. Vases peints du cabinet de M. Durand, no 670, pag. 230.
  227. id., no 669, pag. 229-230.
  228. Eichst. (De dram. comico-satyr.) réfuté par Herm. (Opusc., tom. I, pag. 44.)
  229. Athen., lib. x, pag. 453, C, seqq. — Dans les anciennes peintures des tombeaux de l’Égypte on peut voir une danse où l’on figurait des mots et des lettres. Rosellini, Monum. civ., pl. C, 4.
  230. Je crois que les mimes ithyphalles et ceux qui jouaient les comédo-tragédies ou parodies de pièces tragiques étaient seuls masqués.
  231. Suidas, voc. Κρίσεως, ex. Æliano. — Claudian., Epigr. II, in Brunck Analect., tom. II, pag. 447.
  232. Athen., lib. xiii, pag. 576, F, ex Polybio, lib. xiv, cap. II — Nous trouvons plus particulièrement en Syrie des femmes lysiodes. Voyez Athen., lib. v, pag. 211, B.
  233. Cornel. Nepos, Profat., § 4. — On propose de lire ad lænam ou ad cænam… condicta.