Œuvres complètes (Beaumarchais)/Œuvres inédites/Texte entier

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Œuvres complètes (Beaumarchais)/Œuvres inédites
Œuvres complètes, Texte établi par Édouard Fournier, Laplace (p. ill15-778).

ŒUVRES INÉDITES

ou

NON RECUEILLIES DANS LES ÉDITIONS LES PLUS COMPLÈTES

THÉÂTRE ET AFFAIRES DE THÉÂTRE

JEAN BÊTE À LA FOIRE

PARADE[1]

PERSONNAGES

JEAN BÊTE.

JEAN BROCHE (le père)
JEAN BROCHE (la mère)
parents de Jean Bête.

ARLEQUIN.

GILLES.

CASSANDRE.

ISABELLE.

SCÈNE I

JEAN BÊTE, ARLEQUIN.

JEAN BÊTE (il va et vient en colère). Ah ! malheureux Jean Bête !

ARLEQUIN, le suivant.

Monsieur !…


JEAN BETE. Z’infortuné Jean Bête !

ARLEQUIN. Monsieur !…

JEAN BÈTE. J’ai beau crier comme un chien brûlé.

ARLEQUIN. Monsieur !…

jean bête.

Courir comme un rat z’empoisonné.

arlequin.

Monsieur, Monsieur !…

jean bête.

Grimacer comme un z’échappé du purgatoire.

arlequin donne un coup de bâton.

Monsieur !…

jean bête.

Je ne vois point mon valet z’Arlequin.

arlequin, (un coup).

Me v’là.

jean bête.

Z’il m’aurait revangé.

arlequin.

Eh ! me v’là, tête de cruche.

jean bête.

Il aurait fiché des coups à cet enragé de Gilles.

arlequin, redoublant les coups.

Êtes-vous sourd ? me v’là.

(Jean Bête se retourne, ils se choquent et tombent.)
jean bête, se relevant, en colère.

Maraud ! punais ! cheval !… Je t’appelle depuis une heure.

arlequin.

Pardi, Monsieur, faut que vous soyez devenu tout d’un coup sourd, aveugle et muet de naissance ; vous m’appelez, je réponds.

jean bête.

Tu m’as répondu ? double vilain !

arlequin.

Demandez plutôt à la compagnie.

jean bête.

Et qu’est-ce que tu faisais ici ?

arlequin.

Mon ouvrage ; depuis t’un quart d’heure je m’occupe à battre votre habit, et en vous retournant vous m’avez crevé la fressure d’un coup de poing dans le nez.

jean bête.

Ah ! mon cher Arlequin, tu me vois t’abîmé dans un débordement de douleur.

arlequin.

Mon cher maître, vous me percez le cœur de parque en parque ! Est-ce qu’on vous a flanqué t’en prison ?

jean bête.

Ça me serait, je t’assure, bien inférieur.

arlequin.

Z’on vous a passé par les verges ?

jean bête.

C’est bien pus pire !

arlequin.

Fouetté z’et marqué ?

jean bête.

V’là z’encore z’une belle fichaise auprès de mon état.

arlequin.

Quoi donc ? pendu ? z’étranglé ? z’aux galères ? z’et puis t’exilé z’hors du royaume ?

jean bête, d’un ton théâtral.

Tout cela peut-il z’approcher de l’éclatant z’inconvénient qui vient de me couler sur la tête !

arlequin.

Z’à moins d’être sorcier ou lieutenant de police, z’on ne devine point.

jean bête.

Tu connais la charmante Zirzabelle ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

arlequin.

Ah ! ah ! ste demoiselle chez qui vous vous amusez quelquefois à faire l’enfant ?

jean bête.

Eh non ! tu parles de mademoiselle Tiremond, qui z’accouche les autres, et qui découche pour elle-même.

arlequin.

C’est donc celle qui, de désespoir quand vous êtes parti, voulait z’entrer aux Grands Cordeliers z’en qualité de sœur converse.

jean bête.

Z’elle-même.

arlequin.

La fille de monsieur le bonhomme Cassandre.

jean bête.

C’est toi qui l’as nommée.

arlequin.

Mordieu ! vous auriez dû me dire ça pluton que plutarque, on aurait vu…

jean bête.

Tu sais comme je l’adore à la fureur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

arlequin.

Ah ! monsieur, ste vengeance-là z’est vile, et même puérile. La mort ne viendra peut-être que trop tôt nous serrer le chifflet à six pieds de terre ; ne cherchons pas noise, croyez-moi ; déguisez-vous plutôt en Anglais qui vend de l’orviétan, j’ai là un habit de Turc qui sera z’à merveille pour ça, nous v’là dans le temps de la foire, nous pourrons trouver le moyen de vous revenger de s’t’escogriffe de Gille ; et c’est d’autant plus aisé que mademoiselle Zirzabelle z’est ici avec monsieur son père.

jean bête.

Zirzabelle à la foire ?… Qu’eu z’émotion d’entrailles.

(Il tombe sur Arlequin.)
arlequin.

Est-ce votre dévoiement qui vous reprend ?

jean bête.

Z’hélas !

arlequin le soutient.

Ce que c’est que l’amour de la tendresse du sexe fluminin.

jean bête.

Maraud ! tu me dis ça sans préparation.

arlequin.

Vraiment, ignorez-vous que monsieur le bonhomme Cassandre fait z’un gros commerce de mouchures de chandelles pour faire des croix, et de pelures d’oignons pour les enterrements.

jean bête.

Et sa fille ?

arlequin.

Z’elle a sa petite boutique devant elle, attachée à son ventre ; z’et elle gagne fort bien sa vie z’en vendant des pommes. Ah ! c’est un si grand plaisir de l’entendre crier dans la foire : « J’ai la rainette, j’ai la rainette ; … calvil rouge, calvil rouge… les gros rembour, les gros ; j’ai la rainette : » que ça vous donne envie de mordre à même ; et le soir, quand le jour est entré dans la nuit, comme elle a beaucoup de sagesse, elle en fait un petit commerce ; oh ! diable ! elle fera une bonne maison.

jean bête.

Ce que tu dis là z’est très-probable et très-raisonnable, mon cher Arlequin.

arlequin.

Paix ! v’là monsieur Cassandre avec ce galefretier de Gilles.

jean bête.

Z’allons-nous-en, car ma colère me reprend.



Scène II


CASSANDRE, GILLES.
gilles.

Eh bien ! monsieur le bonhomme Cassandre, vous l’ai-je rossé là d’une force importante ? Mais aussi faut convenir qu’ vous êtes un chien malheureux comme une pierre.

cassandre.

Tu vois, mon ami Gilles, je travaille depuis trente ans comme un serpent ; je me donne un casse-tête terrible, tout le long de l’année ; et z’au bout de ça…

gilles.

Pardienne, faut que vous ayez marché sur une planète bien maléfice, monsieur Cassandre ! Vous avez été autrefois au pilori ; z’un accident vous a flanqué pour six mois à Bicêtre, feu madame Cassandre vous battait comme un plâtre, vous avez fait z’amende honorable il y a trois ans, vous avez la mine d’un singe, vous êtes fait comme un scorpion, lourd comme un bœuf, bête comme un cochon, sale comme un picpus, puant comme un cul-de-sac



Scène III


GILLES, CASSANDRE, ISABELLE.
gilles.

Monsieur Cassandre, v’là votre fille qui revient rouge comme une cocodrille.

isabelle.

Et moi si z’on ne me donne pas mon amoureux, j’irai m’enterrer dans les bras d’un cloître, jusqu’au dernier moment de ma mort, car v’là comme je suis.

cassandre lève la canne.

Qu’eu d’emportement, fille dénaturée !

isabelle pleure.

On n’a qu'un pauvre petit zamant pour tout plaisir, et z’on vous l’ôte ! c’est z’un père cruel qui vous l’ôte ! ah ! ciel !

cassandre.

Et sans doute qui vous l’ôte. Ne voudra-t-elle pas bientôt que je lui métamorphose tous ses joujous en z’amants ? ça conviendrait bien à z’un père noble ! On a bien raison de dire que l’oisiveté est la mère ou la tante de tout vice, je ne sais pas ben lequel. Parce que mamselle est une grande fainéante qui ne sait pas s’occuper toute seule, et qui ne saurait faire œuvre de ses dix doigts, il lui faut toujours un z’amant pendu à sa ceinture comme un hochet ; et remue-toi, grande lâche, tricotte, fais comme ta mère : couds, couds ; c’était ça z’une femme.

isabelle.

C’est bien aisé à dire : couds, couds, mais toujours faire ces choses-là toute seule, ça z’ennuie à la fin.

cassandre.

Je ne sais sur quelle étoile elle a marché z’aujourd’hui, pourquoi n’êtes-vous pas dans ste foire ?…

isabelle.

J’ai la migraine.

cassandre.

Z’à vendre votre rainette ?

isabelle.

Je ne peux pas t’aller vendre des pommes crues, quand j’ai la tête en pomme cuite…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



Scène IV


JEAN BÊTE, ARLEQUIN déguisé en ours, GILLES, CASSANDRE, ISABELLE.
jean bête.

Ici, Messieurs, c’est la victoire
Des grands spectacles de la foire.
Un ours sorti des noirs climats,
Où les femmes sont frigidas.

Il danse comme Alcibiades,
Il est galant comme Amilcar,
Aussi généreux qu’un César,
Aussi brave qu’un Miltiades.
Donnez la patte, mon mignon.
Fort bien, vous aurez du bonbon.
Les plus beaux tours de passe-passe,
Le fameux pigeon qui trépasse,
Et retourne chez les vivants ;
Et cent autres tours excellents :
Entrez, chalandes et chalands.
Ici l’on arrache les dents
Et les cheveux sans accidents.
Marchandise de contrebande,
Des cantharides de Hollande,
Écoutez, seigneurs les galants,
Votre serviteur Tchicabelle
Crève les yeux si proprement
À tout surveillant d’une belle,
Que le jaloux tient la chandelle,
Sans s’en douter aucunement.
De cette pastille nouvelle
J’éveille les feux d’un amant,
J’en vends en France énormément ;
Votre serviteur Tchicabelles,
Lequel possède les secrets,
Et l’art des toilettes nouvelles,
Qui double l’effet des attraits,
Montre aux dames, aux demoiselles,
Et même gratis aux plus belles,
Comme il faut busquer un corset,
Pour couper la taille plus fine,
Et serrer d’en bas le lacet,
Pour faire exhausser la poitrine ;
Comment par les plis d’un jupon
L’on fait bondir la croupe en rond ;
Et comment l’art de la chaussure
Un soulier de couleur obscure,
Grande boucle et le haut talon,
Rend le pied furtif et mignon.
Sur tous points ma méthode est sûre,
Pour faire jouer la figure,
Je leur montre qu’il est prudent
D’opposer le beau feu du rouge
Au vif éclat du diamant.
Que prendre demi-bain ou douge,
Matin et soir exactement,
Est se conduire sagement
Pour être bastante à toute heure ;
Que soigner ses secrets appas,
Friser ses cheveux an compas,
D’une adresse supérieure,
Au beau sexe est le grand moyen
D’attirer tous les gens de bien.
Femme leste, accorte et parée,
Est plus qu’à demi désirée.
Telle qui m’entend le sait bien.
Le matin pour cet art utile
Votre serviteur montre en ville,
Et chez les belles ne prend rien.
Loterie, extraits, ternes, ambes.

gilles.

Monsieur l’Turc, de quoi sont les lots ?

jean bête.

Coups de pieds au travers des jambes,
Capables de briser les os.

gilles.

Ceux qui z’y mettront s’ront bien sols.

jean bête.

À Vienne, grande capitale,
Où gît la cour impériale ;
Chez nous se formait grand concours,
Lorsque nous faisions danser l’ours,
Grande foule, rumeur, scandale,
Lorsque nous annoncions nos tours,
Ces fameux tours de passe-passe,
Ce fameux pigeon qui trépasse,
Et retourne vers les vivants,
Et cent autres tours excellents ;
Pour écarter la populace,
Je me vis tantôt obligé
De mettre à douze francs la place :
Le gain peut être combiné,
Nous n’avons jamais étrenné.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

gilles.

N’y a pas là d’quoi remplir la panse.

jean bête.

Les gens de ma profession
Vivent de réputation.

gilles.

Ils n’mourront pas d’indigestion.

jean bête.

De plus j’ai certaine poularde.
Qui, pendant que l’on me regarde,
Me pond des œufs tant excellents,
Que je m’en régale en tout temps.
(Il mange un œuf.)
Soit que j’aille ou que je repose,
Soit que j’agisse ou que je cause,
Toujours j’en trouve un bien venant.

(Il montre l’œuf.)

gilles.

Pargué, c’tour-là z’est surprenant.

jean bête.

Messieurs, examinez la chose.

(Il mange l’œuf.)

Il n’en faut plus qu’encore autant.

gilles.

Si l’roi voyait s’t’oiseau charmant,
Pour vous l’ach’ter plus tôt, j’parie,
Qu’il vendrait tout’ sa ménagerie.
Ça vaut, morgué, z’un ortolan.

jean bête.

Nous vînmes ensuite à Florence,
Cité belle en magnificence :
Là sont accueillis les talents ;

Chez nous bientôt grande affluence,
Les places n’étant qu’à six francs ;
il fallait voir toute la ville
Inonder notre domicile ;
Aussi, Messieurs, à ce prix-là
Notre jeu jamais n’étrenna.

GILLES.

Eh ! qu’eu pitié ! fichu misère.

JEAN BÊTE.

Le pays, à mon savoir-faire,
N’étant pas autrement prospère,
D’autant moins que l’hôte, un vrai fat,
Voulait d’argent, non d’opiat ;
Je fis mes tours de telle sorte
Que, par un insigne bonheur,
Le grand-duc il ma fit honneur
De m’envoyer une cohorte
Qui nous mit en delà la porte.
France, tu nous vis à ton tour,
Sans cela tu fusses jalouse ;
À Marseille, galant séjour,
À Bordeaux, Messieurs, à Toulouse,
En modérant, de jour en jour,
De trente sous la place à douze,
Grâce à la générosité
Du Français curieux, avide
En tout genre de nouveauté,
Notre spectacle tant vanté
N’a jamais désempli de vide.

GILLES.

Pargué ! v’là qu’est ben débuté,
C’métier-là doit ben faire envie !

JEAN BÊTE.
Ainsi, malgré les envieux,
À Vienne, en France, en Italie,
Nous avons reçu dans tous lieux
Les honneurs de l’ignominie.
Après avoir charmé la cour,
Messieurs, le peuple aura son tour.
Ce pauvre peuple, il me fait peine,
Il n’a qu’un jour en sa semaine
Pour son chétif amusement.
De plus, il a fort peu d’argent :
Je veux donc lui faire la grâce
De m’établir dans cette place ;
Est-ce dix sous ? huit sous ? six sous ?
Que pour ce beau jeu l’on exige ?
C’est bien peu pour un tel prodige.
Quoi ! cinq sous ? quatre sous ? trois sous ?
Non, Messieurs, point d’impatience,
Des places, vous en aurez tous ;
En faveur du peuple de France
Je mets le parterre à deux sous ;
Profitez de la circonstance.
Si quelqu’un, Messieurs, parmi vous,
Manque de fonds, j’ai la ressource :
Du voisin qu’il tire la bourse.

GILLES.

Z’y n’l'entend pas mal, Guilleri,
Pour nous fair’ mettre au pilori.

JEAN BÈTE.

Pour commencer, sautez, Florine ;
Sur vous j’ai fondé ma cuisine.
En attendant de plus beaux tours,
Messieurs, voyez, danser mon ours.

(Gilles et Cassandre sortent.)


SCÈNE V


JEAN BÊTE, ARLEQUIN en ours, ISABELLE.

ISABELLE. Ah ! sainte Jérusalem ! c’est mon cher z’amant.

JEAN BÈTE. Pardon ! charmante Zirzabelle, si j’ai fiché le tour à monsieur votre père et à Gilles ; c’est pour à cette fin de les renvoyer sains et saufs, et que nous puissions parler un moment de notre flamme à la face des oiseaux du ciel et de la terre.

ISABELLE. Personnage aimable, redressez-vous.

JEAN BÈTE. Vous savez que le don de mon cœur vous est dû z’à plus d’un titre ; permettez-moi de vous le faire encore une fois à genoux, et de vous le renouveler mille fois.

ISABELLE. Je le veux ben ; mais, si vous connaissiez mes pi ines, elles sont bien différentes de ma personne, car je vous en cache plus de la moitié.

JEAN BÈTE. Non. ne me cachez rien, je veux tout voir, je veux tout savoir.

ISABELLE. J’ai l’eu beau dire à mon ch’ père que le destin me destine à filer ma destinée /.’avec vous, que je n’ai pu défendre mon cœur, que vous me l’avez pris ; z’il prétend qu’avec, le même entregent beaucoup d’autres peuvent me le prendre aussi ; ce qui me console, c’est que z’on ne me mariera pas sans que je dise : oui. Mon cher père fera tout comme il l’entendra, ça m’est indubitable ; maïs z’en fait de mariage {en déclamant] : Quand je devrais m’en repentir, «amais autre ipie vous n’aura mon consentir

JEAN BÈTE. Ah ! charmante Zirzabelle !

ISABELLE. Monsieur Jean Bêle, ce que vous allez me répondre est plein d’esprit : mais quoique vous me fassiez grand plaisir, retirez-vous, retirez-vous, pour Dieu ! retirez-vous. Mon père est colérique et rusé ; s’il revenait z’avec Gilles, quelque chemin que vous prissiez, z’ils vous le couperaient tout net. Qu’est-ce que je deviendrais ? vous m’alarmez, vous me déchirez les entrailles ! retirez-vous, retirez-vous, pour Dieu ! retirez-vous

jean bête.

Ne craignez rien, charmante Zirzabelle, et permettez que mes gens fassent le coquecigrue z’autour de nous pendant que je vous en conterai.

isabelle.

Mais combien sont-ils donc à faire le guet ?

jean bête.

Soyez tranquille : ils sont un.

isabelle.

Qu’ils veillent donc tous ensemble exactement.

jean bête.

Est-ce que je voudrais vous exposer ? croyez que je suis aussi sûr d’eux que de moi, c’est z’Arlequin.

isabelle.

Mais qu’eux ressources avons-nous donc ?

jean bête.

Qu’eux ressources ? ne nous reste-t-il pas l’enlèvement, la fuite, le rapt, l’adultère, la désolation, la tribulation, etc., etc., sans le reste.

isabelle.

Ah ! mon cher z’amant, ce sont des petites niches que je serais t’au désespoir de vous faire ; cependant, monsieur Jean Bête, en votre absence les siècles me paraissent des jours, et si de colère je fais mes quatre repas, en revanche ma douleur est cause que je ne peux pas fermer l’œil de la journée.

jean bête.

Et moi qui ne saurais boire ni manger les trois quarts de la nuit. J’aurai l’honneur de vous faire t’enlever par mon valet z’Arlequin, et pourvu que vous ne vous effrayiez pas du bruit…

isabelle.

M’effrayer du bruit, cher z’amant ! ma mère m’a toujours dit que j’étais fille légitime du régiment Royal-Canon z’et que monsieur le bonhomme Cassandre n’était que mon père z’apocryphe, autrement dit, mon bâtard : jugez.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

arlequin, ôtant sa tête d’ours.

Doucement, doucement, monsieur mon maître, que chacun file sa corde, s’il vous plaît !

jean bête.

Pourquoi donc prends-je un valet, maraud ? est-ce pour me servir moi-même ? j’ai t’une maîtresse à z’enlever, je veux que tu me l’enlèves.

arlequin.

Pour quinze francs de gages par an, il faut que tout le gros ouvrage de la maison me tombe sur le corps.

jean bête.

Je te remettrai z’en ours.

arlequin.

Êtes-vous ben lourde, mamzelle ?

isabelle.

À peu près comme deux personnes, pas tout à fait encore.

arlequin, faisant le geste de la prendre par les reins pour la charger sur son épaule.

Allons, venez ça moi, j’ai de la z’humanité.

isabelle, criant.

Eh ben donc, ben donc ! z’insolent ! est-ce qu’on z’enlève une demoiselle de condition cul par dessus tête, les quatre pattes en l’air comme un chat retourné ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

arlequin, regardant derrière lui, crie :

Sauve qui peut, voilà le vieux vilain !

isabelle.

Ah ! j’entends Gilles qui jure, et mon père qui raquillonne.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

jean bête.

Tâche de les dissuader du chemin, z’Arlequin ! que j’aie le temps de me sauver et d’employer un autre tartagène…

arlequin, les poussant chacun d’un côté.

Tirez, la belle ; détalez, le galant, v’là justement z’une assiette cassée dans ce coin-là : je vas me déguiser en raccommodeux de faïence, et m’amuser à leurs dépens.



Scène VI


CASSANDRE, GILLES.
(Arlequin ôte sa veste, sur laquelle il s’assied.)
cassandre, avec un grand bâton qu’il traîne.

Où est-il ? où est-il ? s’t’infernal marchand d’opiat ?

gilles, armé d’une tête à perruque et de son pied.

Et son diable d’ours ?

cassandre.

Je veux t’être emmuselé comme un forçat !

gilles.

J’veux t’être vuidé comme un poulet, si…

arlequin, faisant semblant de ne pas les voir et de percer un morceau d’assiette avec la pointe de son couteau.

J’l’y avais promis,
Afin qu’al me prise.

cassandre, reprenant.

Oui, je veux t’être emmuselé comme un forçat…

gilles.

Oui, je veux t’être vuidé comme un poulet…

arlequin, chantant.

D’la mettre à Paris,
Z’ouvrière en chemise. — Bon.

gilles s’arrête et regarde Arlequin.

Quel diable de tableau z’a la silhouette est venu s’établir là, devant not’ porte ? Il ressemble à ce possédé d’ours comme deux gouttes d’eau, monsieur Cassandre, venez donc voir !

ARLEQUIN, chantant. Les filles sont comme ça : L’cœur est leux z’amorce.

CASSAN’DRE. tu n’as que ton ours dans la tête ; ne vois-tu pas que c’est un honnête citoyen de Chambéry, qui travaille en vaisselle plate d’hasard ?

ARLEQUIN, chantant. Prenez-les par là, Z’elles n’ont pus de force, — Bon.

GILLES. S’il y a quelque temps qu’il est là, il pourra nous dire ce qu’est devenu le Turc et son diable d’ours. Ah ! jarni, qu’il lui ressemble !

ARLEQUIN", chantant. La fariradondaine gué, La fariradondé.

CASSAN’DRE. Tu as raison, Gilles… Hé ! l’ami ?

ARLEQUIN, chantant. Un jour j’l'aperçus Seul avec ma belle…

GILLES. Parlez nous donc, visage de cul de chaudron !

ARLEQUIN. Le v’là qui s’met dessus L’herbette auprès d’elle. — Bon.

CASSAN’DRE, le touchant avec le bout de son bâton. Eh ! l’ami, l’ami ! dis-nous un peu…

ARLEQUIN’, lui donnant un grand coup de batte. Bonjour, messieurs, vous ne m’aviez jamais vu ? Eh bien ! vous me voyez.

GILLES. Comme lu dis, barbouillé !

ARLEQUIN, branlant sa batte. Réparateur de cheminées, raccommodeur d’assiettes et rebouisseur de plats, messieurs (il donne un coup à Gilles) ; gare de mon jour.

CASSANDRE. Ces ! fort bien fait, z’ami ; mais…

CILLES. Y a-t-il déjà quelque temps que tu es assis devant ste porte ?

ARLEQUIN. Comme je me porte ? mieux qu’un oignon, toujours, car il se porte la tête en bas, et moi tu vois que la terre baise cadet mon ami.

CASSANDRE. Dis-nous t’un peu, mon garçon…

ARLEQUIN. Messieurs, votre serviteur, je n’ai rien à vous dire ; je n’ai point vu l’homme que vous cherchez, et qui vous a exterminés.

CASSANDRE. Ah ! ah ! comment sais-tu que nous cherchons t’un homme qui nous a exterminés ?

ARLEQUIN. C’est vous qui le dites.

uili.es. Nous ne l’en avons pas encore parlé, figure do poêle a marrons.

ARLEQUIN. Non ? eh bien ! je l’ai donc rêvé ?

GILLES. Oui, mais sais-tu bien, poêlon, que nous allons te fourrer les deux poings dans le gosier, ci te retourner comme une peau de lapin, si tu ne nous dis pas ce qu’il est advenu ?

ARLEQUIN, chantant. Turlututu, chapeau pointu… n’est-ce pas un homme à pied, déguisé t’en Anglais avec un habit de Turc, pour vendre des drogues et débiter des menteries, que vous cherchez ?

CASSANDRE. Justement !

GILLES. Et qui a z’un enragé d’ours qui grogne… boum… boum…

ARLEQUIN. Oh bien ! celui que j’ai vu est habillé en pêcheux qui vend des goujons, et il est moulé sur un àne, monsieur, et qui lirait : hi hou, hi bon.

UII.I.ES. Répondez, père Cassandre, c’est z’à vous que monsieur parle.

CASSANDRE. J’entends bien ; mais enfin, mon garçon, à àne ou à pied, ous qu’il est z’allé ?

ARLEQUIN. Rah... Il est bien loin -’il court toujours.

GILLES. On te demande de quel coté z’il a tourné ?

ARLEQUIN. Oh ! de quel côté ? vous voyez bien ce cul de sac, à main droite, si bien garni de Meurs, paroles ne puent pas, tout le Ions du mur.

GILLES. A main droite ?

CASSAN’DRE. Je le connais, c’est z’oii je vais toujours… quand je veux… Oh ! s’il a donné dedans, il est pris.

CILLES. Par le nez d’abord ; il y est donc entré ?

ARLEQUIN. Au contraire, il a enfilé t’une grande rue à main gauche où a ste maison qui fait le coin.

GILLES. Relie indication ! comme s’il n’y en avait pas à toute rue !

CASSAN’DRE. A-t-il dit dans quel quartier il allait ?

ARLEQUIN. Oui : il a nommé un certain faubourg qui finit en au.

GILLES. Ah ! ah ! le faubourg Saint-Martin ?

ARLEQUIN. Non ! c’est un nom en au.

CASSANDRE. Le faubourg Saint-Honoré ?

ARLEQUIN. En au, je vous dis ! c’est le faubourg… le faubourg…

GILLES. Eh ! que vous êtes donc bête, monsieur Cassandre ! c’est le faubourg Saint-Marceau ; n’y a que celui-là z’à Paris.

ARLEQUIN. Oh ! que ce n’est pas ça ; je l’ai sur le bout de la langue, le faubourg… ah ! le faubourg Saint-Antoine. Je savais bien qu’à la fin je le trouverais.

I ISSAXDRE. En au le faubourg Saint-Antoine ! c’est z’apparemment de la nouvelle ostographe de ce Voltaire ! Ça ne fait rien, il faut toujours courir après lui ; et y a-t-il bien longtemps qu’il est parti d’ici ?

ARLEQUIN. Il y a environ… sept a huit jours.

. . . . .

gili.es à Cassandre. Je crois que le citoyen de Chambéry se moque de vous, monsieur le bonhomme Cassandre.

CASSANDRE à Gilles. Je ne suis pas t’a m’en apercevoir. (À Arlequin.) Et il avait z’un âne, dis-tu ?

GILLES. C’est sûrement z’un ours qu’il veut dire.

ARLEQUIN. Comme vous voudrez : un âne, un ours, tout ça m’est égal. Mais, pour son âne ou pour son ours, il avait tant couru, il était si fatigue, si z’éreinté qu’il doit être à présent… crevé, messieurs.

GILLES. Grouin, mon ami, est-ce que tu te fiches de nous ?

ARLEQUIN. Oh ! messieurs, je sais trop ce que je vous dois pour y manquer, avec plaisir assurément ; mais si vous avez beaucoup de questions à me faire, dépêchez, car votre compagnie commence à m’ennuyer.

CASSANDRE. Nous ne faisons que d’arriver.

ARLEQUIN. Je ne sais comment ça se fait, n’y a qu’un moment que je vous connais et je suis déjà dégoûté de vous.

GILLES. Comment dis tu ça, mannequin ?

ARLEQUIN se levant. Je ne m’appelle pas mannequin, z’on me nomme Arlequin, fils de Vilebrequin, petit-fils de Maroquin, surnommé Chasse-Coquin.

{Il les rosse avec sa batte, les pousse ; ils tombent l’un sur l’autre, la tête à perruque roule par terre.)

GILLES, criant. Ah ! monsieur Vilebrequin, monsieur Maroquin ! Z’au guet ! z’au guet !

ARLEQUIN. Je vous apprendrai à z’estropier mon nom, faquin.

GILLES, par terre, lui faisant la moue. Oum, oum, vilain ours.


SCÈNE VII


CASSANDRE, GILLES, par terre.

ISABELLE, avec un éventaire de pommes. J’entends du bruit devant notre porte, est-ce que mon z’amant serait revenu ?

xassandre Ah ! l’enragé !

GILLES, criant. Ah ! l’endiablé !

i- BELLE, voyant la tête à perruque. Ah ! ah ! il faut que mon ch’père ait passé par ici, car v’là sa tête qui roule.

TOUS DEUX, se relevant. Aïe, aïe, aïe.

ISABELLE les aperçoit. Eh ! qu’est-ce que vous faites donc là, mon ch’père, avec Gilles dans le tas d’ordures ?

CASSANDRE. Je suis t’éreinté.

GILLES. Je suis t’abimé.

ISABELLE. Est-ce que vous avez revu c’t'homme de tantôt ?

CASS v Non, c’est z’un marchand de faïence ; nous revenions Gilles et moi pour le chercher, aïe, aïe, aïe.

ISABELLE. Qui, ce marchand de faïence ?

CASSANDRE. Eh non, pour chercher c’t'homme de tantôt, nous l’avons trouvé z’ici, z’assis par terre, aïe, aïe.

ISABELLE. Qui, c’t'hommc de tantôt ?

C ISSANDRE. Eh pour ça, mon Dieu, non, c’est ce marchand de faïence que nous avons trouvé, nous avions pris t’un bâton chacun, Gilles et moi, pour le mettre à la raison, aïe, aïe, aïe.

ISABELLE. Qui, ce marchand de faïence ?


C liSS 1.NDRE. Eh ! non, langue de Jéricho, pour mettre à la raison c’t’homme de tantôt, mais, comme nous lui parlions amicalement, Gilles et moi, z’il nous a rossés à tripe abattue, aïe ! aïe ! aïe !

isabelle.

Mais c’est c’t’homme de tantôt qui vous a rossé, mon ch’père, à qui contez-vous ça ? est-ce que je n’y étais pas ? moi qui suis encore toute enflée des coups que j’ai reçus de lui.

gilles.

Du marchand de faïence ?

isabelle.

Eh non ! de l’homme de tantôt. Quel galimatias de faïence mêlez-vous donc là dedans ?

gilles.

Galimatias ! sans doute, quand j’en ai mon gros doigt de la main z’en suppuration. Mais si je ne lui coupe pas les deux jarrets d’un seul coup, flon ! je veux ben qu’on dise de moi que je ne m’appelle pas Annibal, Alexandre, Jules César, Gilles.

isabelle.

Est-ce qu’il n’a pas de nom, ce marchand de faïence ?

gilles.

Un nom superbe ! il dit qu’il s’appelle Charlequin, fils de Vilebrequin… Mais moi, je crois en vérité que c’est c’t’enragé d’ours, qui s’est fait savoyard, car il lui ressemble !…

isabelle, riant.

Est-ce que ça s’peut donc, z’imbécile ?

gilles.

Pourquoi pas ? j’ai vu plus de cent maris qui étaient devenus ours, oui, qui dansaient z’en ville, et qui faisaient au logis houn, houn, houn. Quand un ours aurait pris sa revanche et se serait fait homme !

cassandre.

Eh ! mais, taisez-vous donc, langues de Capharnaüm, z’ils font un bruit que je n’y vois goutte. C’te journée-ci est malencontreuse en diable ; rentrons en attendant le médecin que j’ai envoyé chercher par un Savoyard de mes amis.

gilles.

Tenez, le v’là z’avec son aide de camp qui porte la bannière de la médecine.



Scène VIII


GILLES, JEAN BÊTE, en médecin ; CASSANDRE, ISABELLE, ARLEQUIN, en apothicaire, portant une seringue à la main.

gilles, avec un doigt entouré d’une grosse poupée.

Ah ! monsieur le médecin, z’on vous attend z’avec une impatience superbe !

jean bête.

Qu’avez-vous, mon ami ?

gilles chante.

Air : Ariette de Mon pauvre cœur dans le Peintre amoureux.

J’ai bien du mal z’à t’un endroit.

jean bête.

Voyons.

gilles.

J’en souffre au bout du doigt.

Quand ça m’travaye, Aye, aye, ave, aye, J’vous pousse des cris !

jean bête.

Bon, c’est z’un panaris.

Ensemble.

GILLES. JEAN BETE. J’vous pousse des cris ! Z’un panaris, Que chacun en est surpris. Z’un panaris.

gilles.

C’est z’une enflure Qui z’est dure Z’outre mesure.

jean bête.

C’est là sa nature.

Ensemble.

GILLES. JEAN BÊTE. Ce que j’en souffre, et que j’endure, Quand on veut l’panser, Ferait renier Il faut le fourrer Dieu z’à un trépassé. Dans un lieu chaud et serré.

gilles.

Dame, quand ça renfle, C’est sans exemple, J’vnus puisse des cris !

jean bête.

Mais c’est z’un panaris.

Ensemble.

GILLES. JEAN BÊTE. J’vous pousse des cris ! Z’un panaris, Que chacun z’en est surpris. Z’un panaris.

jean bête.

Monsieur fiston, ceci vous regarde.

arlequin.

Manquez-vous d’argent, mou ami ?

gilles.

C’est par où je brille, est-ce que vous savez guérir aussi de c’te maladie-là, monsieur Piston ?

arlequin.

Si j’en avais le secret dans ce temps-ci, je serais trop z’affairé z’auprès des plus grands seigneurs, pour pouvoir songer à vous, mon ami ; mais c’est que nous avons deux façons de traiter un mal, nous l’allongeons à ceux qui payent et le raccourcissons à messieurs les gratis.

gilles.

Eh ben, là, traitez-moi sans façon, comme ces derniers : je n’ai pas le moyen d’être malade, en vérité.

arlequin.

Ça va t’être fait dans un moment.

(Il met la seringue contre sa joue, comme pour voir si le lavement est à son point.)

Est-ce que vous allez m’en couler d’une douce pour guérir mon doigt ?

ARLEQUIN, mettant la seringue à terre. N’ayez pas peur : tout ce qui coûte seulement deux liards n’entre jamais dans le traitement de messieurs les gratis. (Il tâte le doigt doucement.) Ça vous fait-il mal quand z’on y touche ?

GILLES, se plaignant. Ah ! ah ! ah ! o, u, i.

ARLEQUIN tâte plus fort. Tant mieux ! et quand on le presse ?

GILLES, criant un peu. Ah ! ah ! ah ! o, u, i.

ARLEQUIN. Tant mieux !

(Il lui tortille le doigt de toute sa force.)

gilles crie de toute sa force. Ah ! ah !

ARLEQUIN. V’là qu’est fini ; demain, si ça ne va pas mieux, nous recommencerons.


SCÈNE IX


JEAN BETE, en médecin ; ARLEQUIN 1 , en apothicaire ; GILLES, CASSANDRE, ISABELLE.

ISABELLE. Est-ce vous qu’êtes le médecin, monsieur ?

JEAN BÊTE. Seriez-vous, charmante enfant, du nombre de s’te famille infortunée qui a été blessée z’à t’une bataille de coups de bâton ?

ISABELLE. Oui, monsieur.

JEAN RÈTE. Ayez confiance en moi : je m’appelle monsieur Moribond, médecin de Montpellier. Quelle maladie avez-vous, pour que je vous dise ce que c’est ?

GILLES, riant. Monsieur Moribond ! v’là un médecin qui porte le nom de ses pratiques.

ARLEQUIN, lui donnant un grand coup de pied dans le cul et se remettant gravement. Faut pas z’interrompre la consultation, faut pas interrompre.

GILLES. Eh bien ! regardez si z’on ne jurerait pas que c’est encore s’t’enragé d’ours.

JEAN BÊTE, à part à Isabelle. Est-ce que vous ne me reconnaissez pas, ma Zirzabelle ?

ISABELLE, à part. Oh ! sainte Epiphanie ! c’est mon Jean Bête ! (Wa»(.)Mon ch’pcre, v’ià qui z’est fini : vous m’avez un- t’entre les mains de isieur ; je m’y tiens, je n’aurai l’a l’avenir rien de caché pour lui ; je vais chanter, danser, chiffler, etc. Voulez-vous l’autre chose de moi, monsieur Moribond ? GILLES. Jarni qu’aux z’enjoleux de filles ! Ici se trouve dans le manuscrit une grand* lat uni . EAN BÊTE. Mademoiselle...., je prie monsieur vot’père de trouver bon que je vous épouse, là, z’en vrai mariage. J’ai toujours respecté messieurs les bonhommes Cassandre 11 y a des bonhommes Cassandre dans tous les états : j’en ai vu dans l’épée, dans la robe, dans le sacerdoce, le ministère, la finance ; et partout z’ils sont très-estimés z’et parents z’en droite ligne de messieurs Gobe-Mouches, qui sont z’aussi fort z’étendus. CASSANDRE. Monsieur, monsieur, vous nous faites beaucoup d’honneur de vouloir bien entrer dans ma famille. .. J’ai fort l’honneur de connaître aussi messieurs Moribond, qui sont sûrement z’une famille très comme il faut. JEAN RÈTE. D’autant plusque vous rencontrez z’en moiz’un médecin très-éelatant Gilles, en riant. C’est celui à qui j’ai chatouillé 1rs côtelettes ce matin ! Ah ! ah ! ah ! ah ! ARLEQUIN lui donne un coup de pied au cul et se remet gravement. Faut pas interrompre comme ça le fil d’une conversation. GILLES, se grattant la fesse. l’ardinc ! v’ià z’un maudit apoticuflaire . toujours ARLEQUIN lui donne un coup de pied an eut et se remet gravement. Vous interrompez toujours I vous interrompez toujours ! gili.es, se frottant la fesse. Comme on voit bientôt de queul métier sont les pens, regardez s’il me vise ailleurs. JEAN BÊTE. Monsieur le bonhomme Cassandre, si j’ai t’ébauche mamezelle vole fille , je ne demande pas mieux qui ; de l’achever de peindre ; mais il est temps de vous dire z’a quelle fin tous mes larlagèmes et déguisements d’opéra Je ne suis pas l’un véritable beau Léandre, comme vous le croyez ; je m’appelle Jean Bête, monsieur, auteur de parades, fils de Jean Broche, petit-fils de Jean Fonce, arricre-pelil-lils de Jean Lognc, issu de Jean Farine, qui suri ail de Jean Desvignes, lequel descendail en droite ligne de Jean Sans-Terre et de Jean Sans-Aveu, qui sonl une famille aussi z’illustre que les bonhommes Cassandre. Vous saurez en outre qu’un de mes grau ds-pères.i.

CASSANDRE.

Du côté des hommes ou des femmes ?

JEAN BÊTE.

De tous les côtés, monsieur, de tous les côtés.

CASSANDRE.

Mais était-il votre grand-père paternel ?

JEAN BÊTE.

Certainement, monsieur, mon grand-père paternel, maternel, fraternel, tanternel, sempiternel : il fut ce fameux Jean Broche, qui fourrait z’un fer rouge dans le cul des passants, sur le Pont-Neuf, pendant le grand hiver. Ceux qui ne s’en souciaient pas lui payaient z’au moins le charbon ; ce qui fit sa fortune en peu de temps : son fils devint secrétaire du roi, langueyeur de porc, monsieur ; son petit fils, maître des raquettes, intendant, et est z’aujourd’hui conseiller rapporteur en la cour, qu’est mon cousin Lalure .... Il n’y a pas longtemps qu’ils sont morts z’à Beaune, où z’une branche de messieurs Jean Bête, qui z’y fleurit beaucoup, leur fait faire tous les ans un beau service avec un cataplasme magnifique, ousqu’on y débite un discours superbe et catalogue au sujet : v’là, monsieur, quelle est ma postérité.

ISABELLE se met à genoux.

Mon ch’père, je me jette à vos jambes : permettez que j’entre aussi dans la famille des Jean Broche. Je ne savais pas que mon cher z’amant fût Jean Broche par le côté des femmes, mais je m’en suis toujours douté à ses bonnes façons.

CASSANDRE.

Monsieur, monsieur, z’en ce cas-là c’est une grande différence. Vous parlez des bonhommes Cassandre. Où est-ce qu’il y a z’une famille aussi z’étendue que messieurs Jean Bête ? C’est bien d’eux qu’on peut dire qu’il n’y a pas d’état ni de grade dans le monde, où ils ne remplissent les premières places ; mais il y avait longtemps que rencontrer un des messieurs Jean Bête, qui eût la bonne foi de porter son véritable nom, sans avoir jamais pu y réussir. Z’on a beau les reconnaître partout ; ils aiment mieux se faire passer pour conseillers gobe-mouches, insipides savants, ignorants sorboniqueurs, fades poëtereaux, forfantiers militaires, financiers lourdets et faquinets courtisans, que de dire tout uniment, comme vous : Messieurs, je m’appelle Jean Bête, fils de Jean Broche, petit-fils de Jean Fonce, etc. Ah ! monsieur, z’en faveur d’une pareille sincérité, je me fais un honneur infini de vous donner ma fille

Approchez, mes enfants. Je n’ai pas t’une pièce de douze sous à vous donner ; mais ma bénédiction ne vous manquera non plus que l’eau du puits. Ma fille, voilà monsieur Jean Bète que je vous mets dans la main : usez-en maintenant comme des choux de votre jardin : et vous, monsieur Jean Bête, voilà ma fille que je vous accorde : la voulez-vous pour votre femme naturelle ?

JEAN bête met un genou en terre devant Isabelle sans parler.

CASSANDRE.

Vous ne répondez pas ?

jean bête serre Isabelle dans ses bras sans se lever. Monsieur Cassandre, qui consent ne dit mot.

CASSANDRE.

Je ne veux pas t’en entendre davantage, mon gendre ; et qui comprend z’est heureux. Vous larme d’une seule parole ;et, puisque le ? mariages sont /.’écrits au ciel, comme je le vois par tout ce qui m’arrive aujourd’hui, je n’ai rien de plus pressé que de vous faire z’épouser bien vite, l’un et l’autre, devant z’ou derrière le chœur de l’église, comme vous voudrez. Queu quantième avons-nous aujourd’hui. Gilles ? GILLES.

Je n’en sais rien, monsieur Cassandre ; mais il n’yaqu’à compter : c’était vendredi le ("dimanche du mois ; jeudi prochain, c’est le mardi gras : il est bien aisé t’a c’t'heure.

CASSANDRE.

Ah ! je me reconnais : nous tenons (’aujourd’hui le trente-quatre, fête de saint Charles et z’un jour trop z’agréable dans le canton, pour que nous ne l’employions pas t’a nous réjouir comme les autres.

ISABELLE.

Et de quoi guérit-il, saint Charles ? Saint Roch z’est pour la rage, saint Hubert pour la peste, saint François z’a t’un cordon assez méritoire chacun z’a son petit district. Qu’est-ce qu’il z’a fait, saint Charles, mon ch’père ?

CASSANDRE.

Ce qui z’était ?eh ! pardienne, Ces donc sourde ? est-ce que tu ne les entends pas tous crier ? s’t'ici : Z’il a sauve not’ père ! s’t'ilà : Z’il a marié note fille ! s’t'autre : Il fait subsister not’ maison ! ’lance coin-ci : J’équions ruinés sans lui ! dans ce coinlà : z’il est le soutien des familles ! un peu plus loin : Z’il est le père des pauvres ! et tretous ensemble : Puisse-t-il vivre encore cent ans ! (// crie en se bouchant les oreilles :} Eh ! messieurs ! messieurs ! je vous crois, je le désire aussi ; mais vous nous gueulez tous aux oreilles, que c’est un train z’à rendre les gens sourds.

ISABELLE.

Où voyez-vous donc tout ça, mon ch’père ? il n’y a personne ici : est-ce qu’il devient imbécile donc ?

JEAN BÈTE.

Tout ce qu’il z’a dit z’est vrai, ma chère Zirzabelle, excepté qu’il az’orné la fin de son discours d’une image d’théorique. Monsieur votre père est z’un Cicéron qui z’a toujours brillé dans le style ratoire.

GILLES. Oh ! dame ! quand il s’y met, c’est z’un vrai p’tit Volterre à terre.

ARLEQUIN lui donne un coup de pied au cul et se remet gravement. Ce qu’on dit là ne vous regarde pas : z’on parle d’un Charles, et vous vous appelez Gilles.

Gilles Morguiennes ! avertissez donc quand vous frappez : on se rangera.

ISABELLE. Mon cher z’amant, je crois que vous m’en contez un peu, et ce n’est pas bien à vous ni à mon ch’père d’abuser z’avec des contes moraux l’innocence d'une jeunesse nubile comme je puis l’être. Ousqu’il y a un saint dans ce monde-ci qui ne soit pas depuis bon longtemps dans l’autre ? Moi je n’en ai jamais vu que dans la châsse Saint-Ovide et dans l’almanach.

JEAN bête Je vais, ma charmante, vous expliquer ça tout aussi clair que six et six font quinze : c’est qu’ils disent comme ça qu’ils chôment à la fous deux saints du même nom : le Charles qui z’est mort et que personne ne connaît, et le Charles qui est vivant et que tout le monde z’aime ; l’ancien, qui est bon (dit M. le curé) pour l’autre monde nouveau, que’ nous savons tous qu’est ben pus meilleur pour celui-ci : s’t'ilà, qu’un z’écorche en latin au lutrin, et s’t'ici qui mérite ben qu’on le en bon français ; enfin, le saint Charles de Rome, qui ne nous vient zen passage une fois par an que pour user not’ encens et nos cierges, et le saint Charles d’Élhioles, que chacun de nous retrouve à tous moments dans ses besoins pressants. Pour moi. je suis de leux avis. Mais les saints que je fête le plus volontiers sont les gens qui font du bien.

GILLES. Vivat aussi ! c’était la Toussaint il y a trois jours ; n'ayez pas peur qu’ils aient fourré s’t'ici dans la mêlée avec la foule : il leux est trop cher pour ça.

ARLEQUIN donne un coup de pied au cul à Gilles et se remet gravement. Mais qui est-ce qui vous demande vot’ avis ? Vous mettez toujours vot’nez dans les matières des autres !

Gilles, se frottant la fesse. O ! c’est ben là z’un vrai propos de seringue. Va !... si tu n’avais pas t’une arme aussi z’entrante, je t’aurais déjà t’éreinté.

CASSANDRE, à Jean Bête. Mais, puisque vous en savez tant, not’gendre, expliquez-nous donc z’aussi comment que ça se fait que deux saints s’appellent de demesme.

JEAN BÊTE. M’ c’est que le nom de famille de l’ancien z’a servi de nom de baptême au nouveau : v’là comme z’en fait de saint ça s’est toujours z’enfile de l’un /’a l’autre, dans tous les ièi les di s sièi les. Par exemple, moi qu’ai l’honneur d’être monsieur Jean Bête [il oie son chapeau, tous Joui de même), le Saint dont auquel j’ai succédé z’au nom s’appelait de famille Jean. S’t'ila qui vomira z’hériter du mien (je suppose), z’un chacun voit bien commenl faudra qu’il se nomme. ISABELLE. Queux i -prii spirituel que mon Jean Bête ! c’est z’utie chiclopédie ! CASSANDRE. Mais, not’ gendre, quand z’on a quel’ chose a dire z’à l’un des deux saints, comment fait-on pour les reconnaître JEAN BÊTE. Ah ! ah ! ah ! d ! iv à tous, s’il y en a z’un -’iil qui s’y trompe. Il- vont se mettre à genoux cagneux devant celui-là : Saint Charles Born on c. r i iez pour nous ; z’y viennent toutbonnement à celui-ci : Saint Charles bien-aime, obligez-nous. Je ne sais pas si le Borromée z’accorde loui e qu’on l’y demande ; mais, pour le bienaimé, z’il estsùr qu’il n’y manque jamais. GILLES. Ah bon ! laissons en paix ce Laramée et chan- • le i :n-aimé. ARLEQUIN d ’ v de pied au cul ù Gilti s et se renh ! iji c, ment. Ce piiii garçon-là z’est incorrigeable : z’on ne peut pas lui former le tempérament z’au -GILLES, se frottant lu fesse. Ah ! jerni, t’i i CASSANDRE. A qui que t’en as donc toujours, Gilles ? on n’entend que lui, ce Jérémi : ! CILLES. Oui, puisqu’il faut le dire en musique, oui. Géi ol toujours son vilain pied z’à mou cul ; ça a m î i in. - fess - en bi u farcy, z’et mon croupion . ’. s-tu, vieux ci sol ut .’ CASSANDRE. Queux inondations de platitudes ! SCÈNE X LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, LES PAYSANS DU VILLAGE. UN JEUNE G VRÇON. Ah ! monsieur Jean Bête, faites-nous doue des couplets pour chauler quand nous irons au-devant -h’ not’ seigneur, z’avec ne- 1 Tanche- de bouquets. JEAN BÈTE. Qnoil vous n’avez ni chansons ni vers à lui lâcher s’t'annéc ? uni : jeune fille. Nous avons cherché z’un poëte dan- tout le village, par mer et par terre ; mais nous n’en avons pas tant seulement pu z’attraper la queue d’un ir Jean Bêle.

JEAN BÊTE.

Ah ! qu’il va t’être charmé de vot’accident !

LA JEUNE FILLE.

Pourquoi donc ça ?

JEAN BÊTE chante. Premier couplet.

D’compliments, z’il en a par d’sus la tête.
Qu’eu chanc’pour lui ! z’il va passer sa fête
Sans vermisseaux, sans couplets ennuyeux.
C’est ben gracieux,
Très-gracieux,
Fort gracieux.
Tout le monde répète en chœur :
C’est ben gracieux,
Très-gracieux,
Fort gracieux.

JEAN BÊTE. Deuxième couplet.

N’savez-vous pas qu’c’est un homme modeste,
Qui craint l'z'éloges et les fuit com’ la peste ;
Je l’vois là-bas qui m’approuve des yeux.
C’est ben gracieux, etc.

LE CHŒUR.

C’est ben gracieux, etc.

JEAN BÈTE chante. YroiÀièn Dil’lui :.(’devions vous jouer chacun z’un rOle ; Mais d’puis huit jours j’ons perdu l’mait’d’école Qui ("sait nos vers ; il répondra : Tant mieux. C’est ben gracieux, etc.

LE CHŒL’R. C’est ben gracieux, etc. JEAN BÈTE. Quatrième couplet. (jutons les garçons lui fass’la révérence ; Qu’parmi les filles la pus gentille s’avance, Et vous l’baise en godinelt’sur les yeux. Via c’qu’est gracieux, etc.

LE CHŒUR. V’ià e’qu’est gracieux, etc.

JEAN BÊTE. ist pas là z’encore ma seule raisou pour vous r’fuser des couplets, mais c’est que j’ai juré de n’en plus faire. Si vous saviez ce qui m’est z’arrivé s’t’etél…

ISABELLE.

Eh ! quoi donc, monsieur Jean Bête ?

JEAN BÊTE chante. Cinquième couplet J’fais des vers en prose pour une Nanelle ; Elle me remercie ; les v’là dans sa pochette. Quai’jours après jles rlrouvis dans les lieux. C’est ben gracieux, etc.

LE i; C’est ben gracieux, etc.

GILLES, riant. Ah ! ah ! ah ! ah ! v’là ben l’pus bon, le dernier ! c’est le couplet de l’auteur. Ah ben ! tenez, monsieur Jean Bête, je vous conseille c’te fois-ci d’être constipé pendant pus de quinze jours, car vous pourriez ben rencontrer dans l’p’tit endroit que vous venez de dire tout ce quevousnou ? z’étudier z’aujourd’hui.

ARLEQUIN donne un coup de pied au cul de Gilles et se remet gravement. Tu peux être sûr que toutes les fois que tu parcul, mon pied : je te le garde.

GILLES, en colère, se frottant lafess. Ah ! c’est trop fort z’à la fin ! Est-ce que tu ne qu’on ne touche là qu’avec que tu /’■ rais te mesurer avec moi à z’armes >■..

ARLEQUIN. Je n’oserais, dis-tu ?

GILLES. -eringue, puisque tu vois que je n’ai pas de pot de chambre pour te répondre.

ARLEQUIN" jette sa seringue. Tu vas voir si j’ai besoin d’elle pour te manger lu cul jusqu’à la prunelle. (Il aie sa robe.) Reconnais-moi donc, je suis l’ours.

GILLES, effrayé. Ah !

JEAN BÊTE ôte sa robe de médecin. Et moi le Turc.

TOUT LE MONDE, surpris. Ah !

LE CHEVALIER. armé de toutes pièces, de de l'intermède espagnol, entre et dit :

Et moi le diable, car il faut qu’il se fourre partout.

(Tout le monde crie et s’enfuit.)

Il reste seul au milieu du théâtre en silence, il est garni sur ses armes d’artifice de table de la tête aux pieds, avec des estoupilles qui se communiquent. Deux personnages, habillés comme dans la scène des ombres de l’intermède, an ivent, tenant dans chaque main une gerbe allumée; ils tournent et niellent le feu à deux gerbes que lient de même le chevalier armé, avec lesquelles il allume le reste de son artifice. Pendant ce temps, l’orchestre, avec cors de chasse en pleine trompe et un ballet, joue la marche du roi de Prusse comme dans les fêtes publiques.

ARLEQUIN, en ours, entre à cheval sur les épaules de Gilles, qui court comme un homme qui fuit, et s’arrête enfin devant les spectateurs.

Messieurs, si notre spectacle vous a paru froid, au moins serez-vous forcés de convenir qu’il a fini chaudement.

FIN DE JEAN BÊTE À LA FOIRE.

COLIN ET COLETTE EN UN ACTE PERSONNAGES THIBAUT. COLIN. P F. R S N N A G E S MATHURINE COLETTE. La scène est à la campagne. SCENE I COLETTE, COLIN dans le fond du théâtre, cueillant des fleurs.

COLETTE. Colin, Colin !… où donc est-il ? mais je le vois qui s’amuse à cueillir des fleurs. Sans doute qu’il me les destine. Ah ! que j’aurai de plaisir à les recevoir de sa main ! Mais que vois-je ? il prend lui-même la peine d’en former un bouquet, il le baise ! Ah ! Colin, Colin, que je ressens bien vivement ces preuves naïves de ton amour !

COLIN, accourant et cachant son bouquet. Bonjour, Colette ! Qu’avez— vous ? vous me paraissez émue.

COLETTE. Oh ! ce n’est rien ; mais qu’avez-vous vous-même ? votre gaieté en ce jour surpasse celle de tous les autres jours.

COLIN. Je ne me suis jamais senti tant de joie.

COLETTE. M’aimeriez-vous plus que de coutume ?

COLIN. Oh ! cela n’est pas possible.

COLETTE rit. Ah ! ah ! ah !

COLIN. De quoi riez-vous, Colette ?

COLETTE. De votre embarras.

COLIN. Eh ! d’où naitrait-il ?

. La note qui sert d’historique à la parade de Jean Bête peut servir aussi pour cette petite pièce et pour les deux qui la suivent, et dont nous prenons le texte dans le tome l, r des manuscrits de Beaumarchais,.1 la liihliuilà-qm’du 1 1 i omédie-Française. C’est trilogie mélangée, avec une sorte d’idylle en dialogue | r comt encer, pui : une parade, et, poui finir, une pièce du plu gro ici I i rd dn le ton < ! <■ Vadé, si.1 la mode alors 5111 les théâtres de On verra, par quelques allus s, que tout cela fut fait encore pour uni liut-Chart. rèto de M. Lr Normand, a Étiollcs. Ed. F.

COLETTE. Allons, allons, cessez de vous contraindre : ce bouquet que vous cachez m’est sans doute destiné : attendez que je vous le prenne pour me l’offrir.

COLIN. Que voulez-vous dire ?

COLETTE. Allons, vous faites l’enfant.

COLIN. J’ignore…

COLETTE. Finissez donc, monsieur Colin ! voulez-vous attendre que je ne sois plus d’humeur à l’accepter ?

COLIN. Oui.

COLETTE. Et d’où vient ?

COLIN. C’est qu’il n’est pas pour vous.

COLETTE. Qu’entends-je ? quoi ! ces fleurs que je vous ai vu cueillir avec tant d’attention, ce bouquet que vous avez pris plaisir à former, que je vous ai vu baiser avec joie…

COLIN. N’est pas pour vous.

COLETTE. Et c’est vous qui me le refusez !

COLIN. Oui.

Colette, vivement. Va, ingrat ! ne te montre jamais devant mes yeux. Je vais fuir les endroits où je pourrais te rencontrer, et j’abandonne à ma rivale tous les droits que j’avais sur ton cœur.

COLIN. Ah ! Colette, arrêtez !

COLETTE. Non ! je ne veux rien entendre.

COLIN. Ce n’est qu’un jeu…

COLETTE. Laisse-moi, perfide ! tu ne jouiras pas longtemps de ton triomphe, et ta tendre Colette saura bientôt mettre fin à une vie qu’elle ne chérissait que pour toi.

SCÈNE II

COLIN, COLETTE, THIBAUT. Eh ! morgué ! qu’avez-vous donc, mes enfants ? comme vous vous querellez ! on dirait déjà que vous étiez mari et femme. Te voilà tout en larmes, Colette ! Oh ! ventregué ! monsieur Colin, ce n’est ni biau ni honnête : il faut avoir pu de complaisance pour le biau sexe.

COLIN. Eh ! mon oncle, ne me jugez pas sans m’entendre.Colette ignore…

Colette, vivement. Non, perfide, je n’ignore rien, et je ne suis que trop instruite…

THIBAUT, à Colette. Laisse-le parler, Colette.

Colette, vivement. Je ne saurais, j’étouffe.

THIBAUT. Tu auras ton tour…

COLETTE. Comment justifiera-t-il son procédé ?

THIBAUT. Nous allons voir…

COLETTE. L’ingrat ! sur le point de m’épouser !

THIBAUT, à Colin. Comment ! ceci est donc bien sérieux ?

COLIN. Me serait-il permis enfin de dire un mot ?

COLETTE, vivement. Que va-t-il dire ?

TBIBAUT. Voyons.

COLETTE, vivement. Ah ! que les hommes sont fourbes !

COLIN. Souffrez…

COLETTE, vivement. Après tant de serments…

COLIN. Que je vous instruise…

COLETTE. De m’aimer toujours…

THIBAUT, impatient. Oh ! dame Colette, si tu veux que je sache de quoi il s’agit, il faut au moins que tu te taises.

COLETTE. Comment ! vous n’êtes pas encore au fait ?

THIBAUT. Et le moyen ?

COLETTE, vivement. Je vois bien que vous êtes de son parti.

THIBAUT. Mais. Colette, vivement. Vous m’auriez rendu justice.

THIBAUT. Je…

COLETTE, vivement. Tout le monde me trahit.

Thibaut, vivement. La peste m’étouffe, si…

SCÈNE III

MATHURINE, susdits acteurs.

MA.THURINE, accourant. Et à quoi vous amusez-vous donc là ? Tout le village est assemblé pour célébrer la fête du seigneur de ce château ; ils sont tous mis en rond pour convenir ce qu’ils feront pour le divertir : les uns préparont des feux d’artifice, d’autres voulont jouer des comédies ; le magister, qui a pu d’esprit, compose des chansons ; il a déjà déchiré plus d’une rame de papier ; il dit qu’il n’est embarrassé que de la rime ; mais not’pal’fermier Colas, qui n’entend ni rime ni raison, a dit qu’il voulait le mettre au fait. Qu’attendez-vous donc là, les bras croisés, tandis que tout le monde est occupé ?

THIBAUT. Rendez-nous plus de justice : je nous sentons tous animés du même zèle, et si je ne nous distinguons pas, ce ne sera pas not’faute. Mais il s’agit d’un petit différend entre nos deux amoureux. Vous savez comme ils s’aimaient hier : eh bien ! ils ne peuvent pas se souffrir aujourd’hui.

mathurine. Eh ! d’où vient ?

THIBAUT. Colette va te l’expliquer.

COLETTE. Colin me refuse son bouquet !

MATHURINE. Ah ! Colin, ce n’est pas honnête.

COLIN. Puis-je en faire un larcin au seigneur de ce château ?

COLETTE, tendrement. Quoi ! c’est à lui que vous le destiniez ?…

COLIN, sur le même ton. Et quel autre que lui pourrait le dérober à Colette ?… …

COLETTE. Ah ! Colin, que j’ai d’excuses à vous faire ! mais, du moins, m’en donnerez-vous la moitié ? car je veux aussi lui présenter quelque chose.

COLIN. Belle Colette, comme nos deux cœurs n’en font qu’un, ce bouquet sera leur image ; et, pour qu’il ait du plaisir à le recevoir, ce sera vous qui pour nous deux le lui présenterez.

THIBAUT. Et queux personnages ferons-nous donc, nous autres ? J’avons pour lui le même cœur, pour que vous le sachiez, et je prétendons être tout de notre long couchés dans ce même bouquet.

MATHURIN. Oui, nous avons ça de commun avec tout le village.

COLIN. Nous y comptons bien.

THIBAUT. Lui çà, mes enfants, puisque nous voilà tous d’accord, allons nous préparer pour célébrer de notre mieux la fête du seigneur de ce château.

FIN DE COLIN ET COLETTE.

LES BOTTES DE SEPT LIEUES

PARADE EN UN ACTE [2]

PERSONNAGES

CASSANDRE, père d’Isabelle.

ISABELLE, fille de Cassandre, amoureuse de Léandre.

LÉANDRE, amant d’Isabelle.

GILLES, valet de Cassandre.

ARLEQUIN. valet de Léandre.

La scène est proche de Montfaucon, vis-à-vis la maison de M. Cassandre.

ANNONCES

ARLEQUIN ET GILLES, sortant de deux coulisses opposées, crient ensemble

Les bottes de sept lieues, Messieurs, Mesdames, les bottes de sept lieues ! Allons vite, z’il n’y a pas de temps t’a perdre, et nous vont commencer drès toute à c’te heure.

GILLES.

C’est z’ici que l’on voit cette fameuse paire de fées, ces fameuses bottes du fameux Petit Poucet, que la fameuse histoire, composée par ce fameux monsieur Perrault, z’a rendues si fameuses dans tout le fameux univers du monde entier, par la fameuse et unique vertu z’entr’autres de s’agrandir et s’apetisser suivant la jambe plus ou moins fameuse de celui qui les chausse : vertu malheureusement z’inconnue, Messieurs, de toutes les plus fameuses fées passées, présentes et à venir.

ARLEQUIN.

Le titre z’est d’une singulière singularité, Messieurs et dames ; mais la chose l’est z’encore davantage. Ainsi n’allez pas, suivant la mode, juger de l’homme par l’habit, z’et de la pièce par l’étriquette du sac, prendre not’parade pour quelqu’à


propos de bottes. C’est du tâtez-y, Messieurs, c’est du tâtez-y. Ne vous amusez point plus longtemps avec ces dames ; prenez vos billets et entrez dedans.

GILLES.

Vous allez voir paraître, Messieurs, Mesdames, cette fameuse Isabelle sans pareille, cette actrice t’inimitable qui joue la comédie comme ceux qui l’ont z’inventée z’en personnes naturelles.

ARLEQUIN.

D’autres que nous, Messieurs, vous crieraient z’à tue-tête que tous les princes et seigneurs d’Allemagne, d’Italie, de Danemark, d’Espagne, d’Angleterre, de Russie, de Maroc, d’Hollande, d’Égypte, de Portugal, de la Chine, de la Cochinchine, l’ont vue z’et revue ; mais nous ne sont pas de ces charlatans, Messieurs, et de ces aboyeux de foire qui ont besoin de parer leur marchandise, t’et nous pouvons nous vanter sans risque que chez notre Zirsabelle la viande prie les gens.

GILLES.

Nous conviendrons t’a la vérité, Messieurs, que cette z’incomparable Zirsabelle, t’avant que de venir en France, a été z’effectivement en Perse, z’en Suède t’et même z’en Bavière ; mais là comme z’ici elle ne s’est exercée que dans les sociétés particulières, et n’a jamais mis le pied sur z’aucun théâtre publique, non, Messieurs, t’et personne, mort z’ou vif, ne peut se vanter de l’y avoir vu mettre ni à Paris, ni en province, ni dans les pays étrangers tant que deçà que delà des mers.

SCÈNE I

ISABELLE, seule.

Je souhaite de tout mon cœur que mon ch’père z’ait ses affaires t’en aussi bon état qu’il veut nous le faire z’accroire ; mais en tout cas t’il faut qu’elles le tracassent furieusement, pour l’avoir t’obligé de sortir de si bon matin z’avec notre valet Gilles.

Les bonnes gens, me croyant z’apparemment dans un profond sommeil, ne m’ont point z’enfermée t’à l’ordinaire. Vous voirez qu’ils t’ont z’oublié ou qu’ils n’ont jamais su que fille z’à mon âge z’a toujours

(Elle chante ce vers.)

Hélas ! t’a propos de cela, feu ma ch’mère disait z’avec grande raison qu’une fille, t’avant d’être pourvue par mariage, z’était z’exposée à avaler bien des couleuves. Pauvre z’Isabelle ! t’il me paraît que l’amour ne te promet pas toujours poires molles. En effet, je ne sais ce qu’il me garde encore ; mais ce maudit z’enfant sé si tellement z’à loquer z’à ma porte et le fait z’avec tant d’opiniâtreté z’en faveur du beau Liandre, notre voisin que je n’ai pu z’à la fin l’empêcher d’entrer.

t Non, je ne me comprends pas moi-même : car z enfin, t’après m’avoir vu z’attraper quatre fois i dlx — se P E ans.— j’ai, par ces vi]ains, , , , , , „’.. comment puis-je fau jour d’aujourd’hui m’exposer de nouveau t’au risque d’une cinquième aven-Nlv ; IJ|’Pourquoi me plonger d’avance dans l affliction d’une tristesse douteuse el incertaine’ Kesistons tant que nous pourrons, t’a la lionne heure ! mais, quand nous sommes f aussi z’une fois 1 obligés de céder z’à ia force, faisons-le de bonne grâce, oui ; et c’est, je crois, ce dernier parti qu’il me faut prendre. Z’au bout du compte, qu’ai-je à me reprocher ? Ce cher Liandre.d’un côté, larabus ’: nl terriblement ma vertu depuis quelques jours ten ça ; et, de l’autre, monsieur Gassandre mon Père, dont Dieu veuille avoir l’âme s’il venait z’à dégeler, me tenait z’et me tient encore dan* la contrainte d’une gêne si gênante, surtout depuis a mort de ma ch’mère, qu’il neveut pas tant seulement laisser entrer chez nous un homme : tellement .pie je serais réduite a n’en point voir si des que lui z’el Gilles sont z’endormis, je n’avais -indo me saisir des clefs et de me rendre z’ici toutes les nuits pour m’entrelenir z’un brin z’avec mon cher Liandre.

Ma >s le voici, , „., /, , propos, et’z’on a bien raison de dire que quand on parle du loup l’on en voit ’a queue

SCÈNE II

ISABELLE, LÉANDRE, ARLEQUIN.

ARLEQUIN.

Malcpeste, monsieur ! con v— jeunes Biles matineuses quand l’amour leur trotte dans la tete ! A I « ’ » 1 " z’est-il sept heure-, et voilà do, , T LIEUES, SCÈNE lit.

mam’zelle z’Isabelle faux champs, elle oui —ni vant le droit de bourgeoisie, n’a’coutume, , , "f lover qu’a onze.

LÉANDRE.

Laisse-nous l’ensemble z’et fais le guet pendant Cé temps, t a crainte de surprise. ARLEQUIN.

Ah ! rapportez-vous-en z’à moi:vous savez bien monsieur, que ce n’est pas la première fois qu’Arlequin z a eu l’honneur d’exercer l’office de portemanteau.

SCÈXE III

ISAliLLLE, LÉANDRE.

LEANDRE.

J’ai z’été z’averti, ma toute belle, par mon valet /Arlequin. M, , o votre vieux bourru de père z’était zalle ta l’an— suivi de Gilles ; et, comme la tendr le mon amour s’est lait z’une loi do saisir tavec von— toute— les occasions faux cheveux ie P’-ofitez avec la satisfaction du plus grand plaisir dc cette favorable absence pour vous entretenir un moment de la vive flamme du feu de ma brillante ardeur.

ISABELLE.

Ah ! cherz’amant, jenesaislà où qu’vous allez pécher tout ce que vous me dite.— ; mais vous avez do— manières d’expressions qui s’expriment z’autrement que tout le monde.

LÉANDRE.

C’est que vos veux, ma divine, ne sont pas faits comme les ceux des autres ; et, suivant lel’art militaire que j’ai si Ion-temps fétudié z’en qualité de milicien, selon la place on dresse les batteries. I— LBELLE.

Que cela z’esl galant !

LÉANDRE.

Ile parbleu ! comme dit l’autre, suivant les gens l’encens, et Userait ridicule de faire les préparais du l’ort-Malioii pour a-Me.-er lîirètre. Savez-vous bien que j’aimerais quasi presque autant me voir z’englouti dans la profondeur de l’abîme du plu-, affreux gabbanum, que de vivre dans la contrainte z’où votre benêt de père vous lient ? ISABELLE.

Il est véritablement vrai de dire que le sort, 1e ma destinée l’estben z’à plaindre; maisz’où la bête, cherz’amant.z’esl at(acbee, z’il faut qu’elle broute.’ Z et que taire ?

LÉANDRE.

Comment ! que faire ? Ce que font tous les autres t’en pareil cas. lYt ce que je vous ai déjà proposé tanl de lui-, parbleu, mam’zelle ! puisque monsieur Cassandre no veutpoint consentir à l’hyménée de notre mariage, laissez-vous l’enlever. ISABELLE.

M’laisseï enlever ! Ah ! cher z’amant, je sais bien que vous m’avez assez mis le feu sous le ventre à ce sujet ; mais tenez, il me siérait mal de faire la petite bouche z’avec vous : t’aussi vous avouerai-je naturellement que ce n’est pas tant la chose que la manière qui m’effraye ; z’une fille bien élevée comme moi, et qui, sans trop de prévatisation, passe t’avec justice pour la plus vertueuse des environs de Montfaucon, d’où nous sommes nés natifs moi z’et vous, ne doit-elle pas s’observer plus qu’une autre ?

LÉANDRE. J’en conviens, mon aimable z’Izabelle ; mais notre mariage réparerait la brèche qui pourrait z’avoir

ISABELLE. Ah ! pardine ! vous ne m’en coulez pas mal, z’et voilà t’en effet z’une belle chose que le mariage pour réparer le tort fait à l’honneur des filles ! Z’encore une fois, cher Liandre, je vous le répète, les coups que j’appréhende le plus de recevoir du public sont les ceux de la langue ; je me moque du reste : arrangez-vous là-dessus. Partant, que mon pauvre honneur soit à couvert, je n’en demande pas davantage ; et, si vous trouviez quelque comment pour qu’il ne parût pas que j’y consentisse, je veux que trente mille diables me tordent le cou si je ne me laissions t’enlever par vous, toute brandie, vingt fois pour une.

LÉANDRE. Ah ! ma délicieuse, si nous ne sommes plus t’en dispute que sur la magnière, sous vingt-quatre heures vous êtes t’à moi… Comptez qu’une façon ne m’a jamais t’effrayé, et qu’aidé de l’intelligence d’Arlequin, j’enlèverais la sultane favorite du grand Monomotapa z’à la barbe de tous les Constantinopolitains et de leurs janissaires.

SCÈNE IV

ISABELLE, LEANDRE, ARLEQUIN. ARLEQUIN, tout essoufflé. Gare les bœufs, monsieur, le Darou z’est au bout de la ruelle, et Gilles le suit, chargé comme une bourrique, mam’zelle.

ISABELLE, d’un air tendre. Retirez-vous, cher z’amant.

LÉANDRE, lui baisant la main. Ah ! charmante z’Isabelle, quand ne me tiendrezvousplus t’un si cruel discours ? (Elle rentre.)

SCÈNE V LEANDRE, ARLEQUIN. ARLEQUIN. De mon métier, je ne suis guère t’homme à m’embarrasser des affaires des autres t’a moins que je ne croie y trouver mon profit, ceci soit dit sans vous déplaire, mon cher maître ; cependant je serais fort curieux de savoir ce que ce benêt de Gilles porte avec tant de peine, et qui semble rendre le bonhomme Cassandre si gai ; mais les voici, cachons-nous t’et z’écoutons, peut-être quelque mot de leur conversation nous mettra-t-il z’au fait.

SCÈNE VI LÉANDRE, ARLEQUIN, cachés ; CASSANDRE, GILLES, chargé d’une valise qui paraît très-lourde.

CASSANDRE, s’arrêtant tout court. Gilles !

GILLES. Monsieur !

CASSANDRE. Mets bas.

GILLES. Comment, que je mette bas ? Et pour qui me prenez-vous donc ? Est-ce que j’ai la mine d’une jument poulinière ou de quelques autres semblables bêtes, monsieur Cassandre ?

CASSANDRE. Eh ! non, je veux tout seulement te dire que tu te débarrasses de cette valise t’afin que je puisse causer t’ici sans témoin z’avec toi z’avant que de rentrer z’au logis.

GILLES, mettant la valise à terre. Je n’approuve point du tout cette causerie-là, moi, parce que votre chienne de valise t’est si lourde que j’ai grandement besoin de boire z’un coup.

CASSANDRE. Va, va, cela ne tardera pas et je serai court.

GILLES. Ah ! la chose ne vous sera pas difficile, monsieur, tant mieux, voilà ce que j’aime, moi, et je ne suis point de l’avis de feu madame Cassandre qui ne cessait de vous chicaner là-dessus.

CASSANDRE. Eh ! mon pauvre Gilles, laissons les morts t’en paix.

CASSANDRE. Je n’ignore pas ton attachement pour moi, aussi vais-je te donner…

GILLES, tendant la main. Ah ! monsieur…

CASSANDRE, continuant. Une preuve de ma confiance.

CASSANDRE. Cette valise que tu trouves si pesante doit l’être z’en effet, puisque, outre quelques nippes, elle renferme vingt mille écus qui m’appartiennent.

GILLES. Vingt mille écus, monsieur Cassandre. Eh ! mais, sans trop de curiosité, est-ce que vous auriez volé un coche ?…

CASSANDRE. Ces vingt mille écus proviennent du la succession de feu mon cousin, M. Gobillard, le vidangeux, dont je suis l’unique héritier.

GILLES. Diantre, je n’aurais jamais cru qu’il fît si bon à fourrer son nez dans ce commerce-là.

CASSANDRE. Comme l’argent mort ne rapporte rien…

GILLES. On voit bien, sur votre respect, Pierre Cassandre, que le grand âge vous fait radoter ; qu’appelez-vous de l’argent mort ? est-ce que vous avez jamais vu trépasser un écu ?

CASSANDRE. Que tu as l’esprit bouché, mon pauvre Gilles ! par de l’argent mort z’on entend, comme je viens de te le dire, un fonds qui ne rapporte rien ; or, z’afin de ne point tomber dans cet inconvénient, je vais partir pour Coulommiers z’avec un confrère de la rue des Lombards que le mauvais état de ses affaires t’oblige z’à vendre t’une maison qu’il a dans ce lieu.

GILLES. Mordié, père Cassandre, c’est se goburger de moi tout à fait que de vouloir me faire z’accroire que dans une ville comme Paris, où l’on ne parle que de sentiment z’et de goût, z’un confiturier se ruine, tandis qu’un vuidangeux s’enrichit. Oh ! cela choque le bon sens, et à bien prendre le tout…

CASSANDRE. Malgré tes réflexions t’à entre temps cela z’est pas moins vrai ; or, pendant mon voyage je te laisse le soin de ce précieux trésor t’et de ma fille z’Isabelle, te recommandant surtout de ne point lui laisser parler z’à ce grand escogriffe de Léandre qui, nonobstant mes défenses, ne laisse pas de rôder perpétuellement z’autour de cheux nous.

GILLES. Vous avez raison, monsieur, chat z’échaudé craint l’eau froide, et d’ailleurs je soupçonne ce vivant-là d’être z’assez de votre goût, et d’aimer surtout z’en manière de fille les fonds qui rapportent ; mais, laissez-moi faire, Gilles n’est pas t’un sot, père Cassandre, bien fin qui l’attraperait, z’et vous pouvez battre aux routes quand il vous plaira.

CASSANDRE. Le voyage ne sera pas long.

GILLES. Oh ! quand vous seriez cent z’ans z’et un jour, tenez, cela me serait z’égal ; je réponds de tous vos fonds, et si les filles, comme l’on dit, ressemblent z’au salpêtre, la vôtre, monsieur, court risque de sauter rudement pendant votre absence, car j’aurai soin de tenir la vôtre fièrement z’enfermée, et cette clef ne sortira pas de ma boutonnière.

CASSANDRE. Cela z’est fort bien imaginé, mon cher Gilles. (Ils portent la valise à eux deux et rentrent.)

SCÈNE VII ARLEQUIN, LÉANDRE. ARLEQUIN. Parbleu, mon cher maître, ce serait une bonne capture t’a faire, vingt mille écus t’et une jolie fille qui vous aime.

LÉANDRE. Z’il est vrai que mam’zelle /.’Isabelle m’aime, et je n’en saurais douter z’après les preuves non z’équivoques que j’en reçois tous les jours ; t’el surtout depuis la permission qu’elle vient /.’enfin de me donner de l’enlever ; mais comment venir z’à bout de cet animal de Gilles ? tu as entendu comme M. Cassandre lui a défendu de me laisser parler z’à sa fille. ARLEQUIN. nli ! /.’il y a bien des choses dans le monde dont z’an premier coup d’œil l’entrée paraît diablement difficile, et qui, en les approfondissant un peu, prouvent tout le contraire. Je ne me rebute point z’aisément, moi, z’et l’occurrence de ce voyage me fait z’espérer de trouver, z’après quelques réflexions, le moyen d’escamoter la fille et les vingt mille écus. LÉANDRE. Ah ! quant à l’argent, ce n’est pas ce qui me tente, z’et quoique feu mon bonhomme de père ne lût qu’un marchand de peaux de lapins, ce que j’ai… suffit pour rendre z’Isabelle z’heureuse t’et moi aussi. ARLEQUIN. Ah ! ce que vous avez… peul /.’être beau et hou, mais vingt mille écus joints l’a cela ne troubleraient pas, je crois, la paix du ménage : le désintéressement mal placé nie démonte, et a. vous entendre parler, les petits enfants vous prendraient pour un de ces vilains ogres qui n’aiment que la chair fraîche ; mais… (// se frotte le front comme un homme qui réfléchi et se met ù rire.) LÉANDRE. Qu’as-tu donc /.’a rire de celte force ? ARLEQUIN, ruinl toujours. Parlons vite, mon cher maître, cette idée m’en fait venir z’une autre qui, Loute singulière qu’elle paraisse, pourrait fort bien nous réussir. (Ils sortent.) SCÈNE VIII CASSANDRE, ISABELLE, GILLES avec une clef « sa boutonnière, CASSA ». Encore z’une fois, ma fille, je vous défends de parler z’à Léandre, cet homme ne me convient z’en aucune façon, et j’ai mes raisons pour ne point z’aimer ces lorgneux de filles.

ISABELLE. Mais qu’eu mal y a donc à cela ? z’un évêque regarde bien z’un chien, mon ch’père.

CASSANDRE. Oh ! il regarde ce qu’il regarde, et moi je défends ce que je défends, et je veux t’être z’obéi, je vous le répète, mam’zelle ; je n’aime point les goguelureaux qui, du matin z’au soir guettant z’une fille, comme le chat fait la souris, ne font sans cesse que tourner autour du pot avec elle.

ISABELLE. Oh ! ni moi non plus t’assurément ; mais Dieu merci, Liandre n’agit pas de même t’envers moi, et si vous connaissiez comme moi, mon ch’père, la droiture de ses intentions…

CASSANDRE. Oh ! morbleu, il n’y a pas de droiture qui y tienne, et je vous ordonne absolument de l’éviter.

ISABELLE. Moi, mon ch’père, oh ! je n’aurai jamais ce cœur-là.

CASSANDRE. Nous le verrons Gilles ?

GILLES. Monsieur.

CASSANDRE. Songe que tu me répondras de sa conduite.

GILLES. La commission z’est chatouilleuse ; mais cette clef vous en répondra mieux que moi. (Cassandre sort.)

SCÈNE IX ISABELLE, GILLES. i.iiii.-. Allons, mam’zelle, rentrez. ISABELLE. Oui, traître, je rentre, (àpart) mais si mon cher z’amanl me tient ce qu’il m’a promis, ce ne sera pas pour longtemps, cl z’on appelle cela reculer pour mieux sauter. SCÈNE X GILLES, seul. On n’a ma foi pas tort d’avoir raison de dire que la fortune z’est bien capricieuse, aussi est-ce unefumelle, et, comme dit l’autre, de même que le froid z’arrive toujours t’au plus mal vêtu, l’eau va toujours à la rivière. En effet, demandez-moi z’un peu si le vieux fou de Cassandre, bon équarrisseur de Montfaucon et déjà riche, avait besoin d’avoir z’aiïaire delà succession dupèreGobillard, _> :  ; tandis que moi, pauvre Gilles, verrais tous les Gadouards t’el lesécorcheux de Taris tortiller de l’œil, sans hériter seulement de la peau d’un chien mort. SCÈNE XI LÉxiNDRE, ARLEQUIN déguisés, GILLES. arlequin", portant itnr paire de bottes sur ses épaules. Voici notre homme. léandre. Non, non, cher z’Arlequin, l’il esl impossible que Gilles nous reconnaisse t’au travers du déguisement d’une telle métamorphose. ARLEQUIN. Oh ! parbleu, je lui en défie, à peine puis-je me reconnaître moi-même. GILLES. A qui en veulent ces originaux ? ARLEQUIN. Si vous me secondez rumine il faut, je vous proteste qu’avant qu’il soit peu, je vous rendrai maître de la clef et de la serrure. (, ili.es. Cela fait deux minois qui ne me conviennent pas du tout. ARLEQUIN. Il nous écoule, z’entrons t’en matière sans faire semblanl de le voir. (Haut à Léandre.) Oui, seigneur, vous avez bien l’ait, très-bien fait, Tort bien fait z’encore de refuser les cent mille écus que le Grand Mogol vous offrit hier au soir de celle paire de belles. CILLES. Refuser cent mille écus d’une paire de bottes ! ARLEQUIN, baisant Us loties. Ah ! chères bottes de mon âme, si j’étais possesseur d’un semblable trésor, je ne le troquerais pas contre tout l’empire de la Mésopotamie. LÉANDRE. Si j’ai t’en raison de lui faire ce refus, j’ai z’agi encore avec la sagesse d’une plus grande prudence z’en profilant delà vertu z’attachée z’à ces divines bottes, pour m’éloigner promptement fies Liais fie ce vilain /.’empereur qui ne parlait pas moins, comme tu sais, de me faire z’empaler sur-le-champ comme un poulet d’Inde. ARLEQUIN. Vraiment oui, il n’en allait que de là, et je n’en aurais pas été quille z’à meilleur marché. Voyez-vous, il faut que ces méchantes gens-là n’aiment guère le christianisme ! encore passe si, en vous privant de vos bottes, l’on vous eût dédommagé d’une telle perte par quelque place, de pacha à trois queues par exemple ou d’eunuque blanc, cela z’est, dit-on, fort z’honnête et très lucratif ; mais qu’avez-vous, seigneur. vous me paraissez dans l’embarras de quelques inquiétudes.

LEANDRE, fouillant dans ses poches. Oui, c’est z’une lettre que je me suis t’engagé de remettre ce soir t’à un banquier de Paris, et je l’ai oubliée ce matin z’à Rome sur la cheminée du signor Fourbini, qui m’avait chargé de cette commission.

GILLES. Il l’a oubliée ce matin à Rome, ah ! ah ! ah ! ah ! si cet homme-là n’est pas fou, il m’a l’air de n’être guère à jeun.

LÉANDRE. Donne-moi mes bottes, que j’aille chercher cette lettre tout à l’heure, et reste t’ici z’à m’attendre.

ARLEQUIN. Vous ne tarderez donc pas, seigneur ?

LÉANDRE. Non, je ne ferai que le chemin, z’et c’est l’affaire d’une centaine d’enjambées. [Il $0, 1.) SCÈNE XII ARLEQUIN, GILLES. ARLEQUIN’" «  » ne petite râpe avec un bout tir labac et dit: si c’eût été moi qui eût z’oublié celte lettre, j’aurais t’été un sot, z’un faquin, /.’une bête, z’un élourdi, z’un butor, z’et le resle; mais, comme mon maître z’a l’ail la faute, c’esl z’une peccadille qui ne vaut pas la peine d’en parler. (// râpe en chantant le couplet tuivant :) m f f i r • r^f m mes, nier é ^m fc=JMMf^g ^ ^ (///ail dijjérents lazzi en mettant du tabac dans sa main.) GILLES. Cet homme me parait jovial cl j’ai /.’envie île l’aborder pour lui tirer z’un brin les vers du nez. ARLEQUIN lui présentant du labac. Monsieur en prend-il ? GILLES. Non, monsieur, mais j’en use quelquefois quand il esl bon. ARLEQUIN. Oh ! cela z étant, vous pouvez l’essayer du mien z’en toute sûreté, l’empereur de la Chine n’en renifle point d’autre, z’et je tiens celui-ci de son porte-coton qui, lundi dernier, m’en lit présent de deux livres t’a Pékin. GILLES. A Pékin ! mais, monsieur, z’il me semble que je mi suis laissé dire comme ça qu’il y a bien loin d’ici à Pékin. ARLEQUIN. Oh ! non, z’il peut z’y avoir quelque cinq ou six mille lieues, tout au plus. GILLES. Comment, jarnombille, vous appelez cela rien ? ARLEQUIN. .le ne ilis pas que ne soit z’un chemin fasse/. considérable pour vous t’et bien d’autres, mais pour mon maître z’el moi c’esl une misère. un. Lies. Hé ! vous avez donc quelque diable, monsieur, qui vous sert « le voilure ? ARLEQUIN. l’i donc, est-ce que vous prenez le diable pour un crochet* ur ? apprenez que nous n’allonsjamais qu’à pied, et c’est ce qui fait que nous allons si vite. GILLES. Vous ous êtes donc fait dérater ? ARLEQUIN. Pointdu tout, comme vous ne paraissez pas t’avoir z’eu de l’éducation, z’il n’est pas que vous ayez lu z’ou entendu dire qu’il y avait z’i fois t’un bûcheron z’et. z’une bûcheronne qui avaient sept garçons, dont le dernier z’étant venu au monde pas plus gros que cela (il montre son pouce) fut appelé le Petit… GILLES. Poucet. ARLEQUIN. Justement. GILLES. lien, je sais cette histoire sur le bout de mon doigt, et j’ai z’été bercé avec cela. ARLEQUIN. Eh bien ! le Petit Poucet, puisque petit poucet il y a, sut si bien se pousser, qu’en… se poussant, Petit Poucet fit pousser d’autres petits poucets qui en tirent pousser d’autres t’aussi…, d’où d’autres sortirent z’encore. Tellement que de petits poucets en petits poucets, la fameuse paire de bottes de sept lieues t’a passé jusqu’à mon maître qui est le dernier de la race des Poucets. GILLES. Est-il possible ? ARLEQUIN. Cela est z’ausei vrai comme vous êtes t’un homme d’esprit. GILLES, faisant une grande révérence en se cannai. Ali ! monsieur. ARLEQUIN. Or, ces bottes l’ont z’encore z’une vertu dont l’histoire ne fait pas mention, c’est que le valet de celui qui les porte fait z’autant de chemin que lui sans être botté, quand ils voyagent z’ensemble, s’entend, aussi ai-je fait sept ou huit cents fois le tour du monde depuis quatre ans que, pour m’attacher z’à ce maître, je quittai Nogent-sur-Seine, mon pays natal.

GILLES. Comment, vous êtes de Nogent-sur-Seine, vous ?

ARLEQUIN. Oui, moi ; eh ! qu’y a-t-il donc d’extraordinaire z’à cela ! Est-ce qu’il ne faut pas être de quelque part ?

GILLES. Oui, sans doute ; mais, parbleu, je ne l’aurais jamais deviné z’à la couleur du teint de votre visage.

ARLEQUIN. J’étais t’aussi blanc que vous t’en quittant Nogent, z’et cette couleur me vient d’un coup de soleil ; mais pour faire passer cela j’attends la rosée de mai.

GILLES. Eh ! mais, dites donc, beau brunet, vous avez connu apparemment Gilles Bambinois ?

ARLEQUIN. Belle demande, puisque je suis son neveu.

GILLES. Son neveu, et de cette manière vous êtes le fils de la mère Bridoie ?

ARLEQUIN. Tout juste, et c’est ce qui fait qu’on m’appelle Bridoison.

GILLES, lui sautant au cou. Ah ! ventrebille, je suis bien aise de vous voir, cousin !…

ARLEQUIN’. Comment, cousin !

GILLES. Oui, pardine, nous sommes cousins quand vous ne le voudriez pas, puisque le Gilles Bambinois t’est mon père.

ARLEQUIN, pleurant. Ah ! cher cousin, dites qu’il l’était, car le pauvre homme z’est enterré il y a huit jours z’et j’ai laissé t’avant z’hier votre mère presque t’a l’agonie.

GILLES, pleurant. Mon père mort et ma mère ta l’agonie, in, hi, hi.hi, ha ! ha ! cela me traperce le cœur jusqu’au fin fond des boyaux, mon cher cousin.

ARLEQUIN. Il est vrai, cousin, que cela t’est fort t’affligeant, mais le pis que j’y trouve, c’est votre absence du pays dont z’est fort capable de profiter le cousin… là… comment l’appelez-vous ?

GILLES. Qui, le cousin Riffart ?

ARLEQUIN. Oui, le cousin Biffart et sa grande haquenée de femme, qui ne vaut pas…

GILLES. Mais il n’est pas marié, cousin, vous voulez t’apparemment dire sa sœur, la grand’Michelle ?

ARLEQUIN. Oui, la grande Michelle, ce sont bien les deux plus méchantes nourritures que le diable z’ait jamais faites, t’et vous ne seriez pas le premier z’à qui ils aient z’escroquô des successions ; moi qui vous parle, je sais ce qu’en vaut l’aune, z’et sans eux, hélas ! je ne serais pas réduit à servir comme je fais.

GILLES. Mon cousin, quelle emplâtre mettre z’à cela ?

ARLEQUIN, réfléchissant. Ma foi, la meilleure emplâtre serait votre présence, et, à votre place, je partirais sur-le-champ ; face d’homme fait vertu, et peut-être z’arriveriez-vous t’encore z’assez à temps pour avoir le plaisir de voir rendre l’âme z’à votre pauvre mère.

GILLES. C’est vrai que ce serait z’une grande consolation pour moi, mais je suis obligé d’attendre le retour de monsieur Cassandre, mon maître, qui m’a laissé le gardien de mam’zelle z’isabelle sa fille, z’et de la maison, z’où pour cause je la tiens renfermée par son ordre.

ARLEQUIN. Et son voyage sera-t-il long ?

GILLES. Non, il doit revenir z’après-demain z’au plus tard.

ARLEQUIN. Quoique le terme soit court, votre pauvre mère pourrait fort bien prendre congé de la compagnie si elle ne l’a déjà fait… ; mais z’il me vient z’une idée z’excellente : si z’en faveur du cousinage mon maître vous voulait prêter ses bottes, vous pourriez ce soir, lorsqu’Isabelle serait couchée, donner t’un coup de pied jusqu’au pays, et comme il ne faut que trois enjambées t’et quelque chose pour faire vingt-deux lieues, vous auriez le temps de voir ce qui se passe par vous-même et d’être revenu z’avant le réveil de votre maîtresse.

GILLES. Cela z’est mordié bien trouvé, cousin, mais croyez-vous que votre maître veuille me rendre ce service ?

ARLEQUIN. Je ne réponds t’encore de rien, quoiqu’il ne me refuse guère, mais nous en aurons bientôt le cœur net, car le voici.

SCÈNE XIII LÉANDRE, ARLEQUIN, GILLES.

GILLES. Peste, quel voyageur ! si tout le monde z’avait ces bottes-là, je ne donnerais pas quatre sols de la ferme des Postes.

ARLEQUIN. Eh bien ! monsieur, votre lettre ?

LÉANDRE, la lui remettant. La voici, et tu n’auras qu’à la porter ce soir z’à son adresse. Mais quel est cet homme ? ARLEQUIN. Monsieur, c’est mon cousin-germain, le fils de ce pauvre défunt Gilles Bambinois, mon oncle, dont vous savez que nous avons laissé la veuve t’à l’extrémité ; j’aurais t’une petite grâce t’à vous demander pour lui z’et que je vous prie de ne me pas refuser.

LÉANDRE. De quoi z’est-il question de s’agir ?

ARLEQUIN. Comme sa présence serait nécessaire z’au pays, que nous restons t’ici deux jours pendant lesquels vos bottes vous sont z’inutiles, t’il s’agirait, monsieur, de les lui prêter jusqu’à demain.

LÉANDRE. Prêter mes bottes ! mais tu n’y penses pas, z’est-ce que de semblables bottes se prêtent ? et puis, d’ailleurs, saurait-il en faire usage ?

ARLEQUIN. Du côté de la confiance, vous n’avez rien à risquer, monsieur, z’il n’y a jamais t’en que de très-t’honnêtes gens dans ma famille, vous le savez ; z’et z’à l’égard de la manière de se servir de ces bottes, c’est l’ouvrage d’un moment que de mettre z’au fait z’un homme t’aussi rempli d’instinct que le cousin Gilles.

GILLES. Ah ! vous avez bien de la bonté, cousin.

LÉANDRE. Tu me réponds donc de lui ?

ARLEQUIN. Comme de moi-même.

GILLES, se jetant aux genoux de Léandre. Et moi, seigneur de la petite poucetterie, je vous réponds de vos bottes corps pour corps.

LÉANDRE. Allons, débotte-moi, et voyons si l’intelligence de sa conception z’est telle que tu le dis.

ARLEQUIN ôte les bottes de Léandre et les met à Gilles avec force lazzi. Allons, haut le pied, cousin.

GILLES tombe. Ahi, ahie, heureusement que je me suis retenu sur le nez.

ARLEQUIN. Oui, cela a sauvé les joues, et ce n’est rien que cela : vite l’autre jambe.

GILLES tombe encore. Ahi ! ahi ! ahi ! mais cet apprentissage me paraît rude.

ARLEQUIN. Oh ! dame, cousin, z’on n’a rien sans peine dans ce monde, et z’au surplus, c’est toujours t’autant de fait, car te voilà justement dans la posture nécessaire z’à la première leçon.

GILLES, sur sut séant. Quelle chienne de cérémonie !

LÉANDRE, pendant qu’Arlequin attache les deux éperons de Gilles avec une ficelle, tire une corde de sa poche dont il lui lie les bras en disant : Voilà cette fameuse corde filée des propres cheveux de la fée z’Arpentine, qui préserve de danger tout voyageur qui a z’eu le bonheur de se voir z’une fois lié par z’elle. (Il lui prend sa clef sans qu’il s’en aperçoive, et entre chez Isabelle pendant qu’Arlequin amuse Gilles.)

SCÈNE XIV ARLEQUIN, GILLES. ARLEQUIN, d’un air mystérieux, avec un bouchon de liège brûlé, lui fait une paire de crocs et une mentonnière, en disant : Ceci, c’est la dernière z’opération après laquelle tu peux t’aller z’à tous les diables sans crainte ; mais, comme tu me parais t’un peu fatigué, cousin, je vais t’au-devant de mon maître qui est z’allé chercher z’une bouteille de vin chez le père Cassandre pour te faire boire z’un coup.

GILLES. Que dites-vous, cousin ?

ARLEQUIN. Sans adieu.

SCÈNE XV GILLES, seul.

GILLES, le voyant entrer chez Cassandre et s’apercevant qu’il n’a plus sa clef, fait des efforts inutiles pour se débarrasser, et dit : Ah ! misérable ! qu’ai-je fait ? ma pauvre clef ! chien de cousin de Lucifer ! z’au voleur ! t’au guet ! z’à la garde ! au feu !…

ISABELLE, dedans la maison, crie en même temps : Z’ami Gilles, t’au meurtre ! z’au secours !

SCÈNE XVI ISABELLE, LÉANDRE, ARLEQUIN, GILLES.

ISABELLE, conduite d’une main par Léandre et de l’autre par Arlequin, portant la valise, dit à Gilles : Ah ! coquin de Gilles ! me laisser z’ainsi t’enlever z’à tes yeux ! est-ce là ce que tu avais promis t’à mon ch’père ? Sois t’assuré, scélérat, que si je puis parvenir t’à lui donner de mes chères nouvelles, je n’oublierai pas de lui recommander de te faire pendre.

LÉANDRE. Tous vos cris sont z’inutiles, mam’zelle, et vous nous suivrez.

ARLEQUIN. Adieu, cousin, bon voyage ; si tu chemines toujours comme cela, les semelles de tes bottes dureront longtemps.

SCÈNE XVII

GILLES, seul. Ah ! bandits ! z’ah ! traîtres ! race de Caïn ! mais que dira mon cher maître, quand z’il verra son argent z’et sa fllle t’enlevés ? ne va-t-il pas croire que j’ai trempé dans tout ça ?

SCÈNE XVIII CASSANDRE, GILLES.

CASSANDRE. Mon voyage z’est remis z’à demain, t’et je n’en suis pas fâché z’après tout, parce que cela me donnera le temps de terminer quelques affaires.

GILLES, sans voir Cassandre. Ah ! pauvre père Cassandre, qu’allez-vous devenir ?

CASSANDRE. Que vois-je ? Gilles lié !… et que signifient ces bottes ?

GILLES. Oh ! qui que vous soyez, t’ayez pitié de moi.

CASSANDRE, effrayé, en se reculant. Oh ! serait-ce quelque lutin qui aurait pris I les habits de Gilles pour m’épouvanter ? ou, certainement, c’est ma défunte qui me joue z’encore ce tour-là !

GILLES. Oh ! non,’monsieur, c’est bien moi-même, je vous jure. CASSANDRE. Et qui t’a donc équipé de cette manière ? GILLES. Hélas ! que vous dirai-je ? ce chenapan de cousin Bridoison, qui est le plus grand coquin, monsieur, que la terre z’ait jamais porté… mon pauvre père enterré depuis huit jours… ma mère à l’agonie… Rome… le Grand Mogol… Pékin… le porte-coton de l’empereur de la Chine… Nogentsur-Seine. .. le pacha à trois queues… Isabelle… le Petit Poucet z’enfin… et que sais-je, moi ? CASSANDRE. Quel diable de galimatias me fais-tu là ? il faut qu’il soit devenu fou, z’et je ne m’étonne pas qu’on ait pris le parti de le lier. GILLES. Eh ! non, je ne suis pas fou, monsieur ; ce que je vous dis là n’est que trop véritablement vrai, z’et pour vous le couper court, Isabelle vient d’être z’enlevée. CASSANDRE. Comment ! ma fille z’enlevée ! et tu as z’une pareille action ? GILLES. Ah ! j’en souffrirais bien d’autres dans l’état z’où que je suis ; et vous-même z’enma place n’auriez pu z’empêcher qu’on n’enlevât la fille et la valise. i ASSANDRE, le prenant au colin. Comment, bourreau, ma chère valise levée f aussi !… Ah ! misérable ! tu seras pendu, is-tu dix mille vies, je te les arracherais du corps l’une après l’autre. SCÈNE XIX CASSANDRE, LÉANDRE dn » s son habit ordinaire, ISABELLE, GILLES. LÉANDRE, tenant Isabelle par la main. La constellation de l’étoile favorable de mon heureuse planète m’ayant fait z’accourir faux cris de mam’zelle, que quatre brigands voulaient forcer d’entrer dans une charrette z’au pied île Montfaucon, ma valeur z’ordinaire t’est venuez’àbout de la retirer de leurs pattes, t’et je viens, monsieur, z’avec le plus grand plaisir, la remettre entre les vôtres. CASSANDRE. Et ma valise, monsieur, ma valise ? I.EAXDRE. Mon valet z’Arlequin nous suit, et vous la rap-SCÈNE XX TOUS LES ACTEURS PRÉCÉDENTS ET ARLEQUIN, portant la valise. ARLEQUIN. Je ne sais ce qu’il y a là dedans, mais cela z’est d’une pesanteur diablement lourde. CASSANDRE à Léaudre qui aide Arlequin û se débarrasser de la valise. Ah ! monsieur, comment pourrai-je jamais m’acquitter z’envers vous d’un pareil service ? LÉANDRE. L’inclination de mon amour vous étant connue depuis longtemps, monsieur, il ne tient qu’a vous de me gratter par où ça me démange, en m’accordant l’aimable main de la charmante z’Isab Ile. CASSANDRE. Z’il y aurait de l’injustice z’à moi de vous refuser une partie de ce que je n’avais plus sans vous ; t’ainsi je vous donne z’Isabelle de tout mon cœur, et je garde la valise. ARLEQUIN’. Toujours pêche qui en prend z’un. ISAHELLE. Grand merci, mon ch’père : z’en faveur de mon mariage, je pardonne à Gilles que je comptais pourtant bien z’avoir le plaisir de voir pendre.

CASSANDRE. J’avais la même espérance ; mais je lui pardonne z’aussi, ma fille.

ARLEQUIN. Cela z’étant z’ainsi, je vais lui donner la clef des champs, pour le dédommager de la celle qu’il s’est laissé prendre.

GILLES, faisant un saut. J’en suis quitte z'à meilleur marché que je ne pensais ; et j’avais t’en effet terriblement peur que mon voyage ne se terminât z’en l’air.

LE PERE CASSANDNE. gaiement Q eue v ■il quin - ze jours. Mais à Char lot quand if • ni • ~ir> f — J* 1 t* i «=^ tf j ° Couple !. Damis, dont l’humeur est jalouse, Cache à son juge son épouse : Et Damis, près de lui toujours, Fait 2’une lieue en quinze jours. Que par cette h. ’Ile. z’au contraire, Il fasse donner son place ! : Pour aller vite, il n’a que faire Des bottes du Petit Poucet. ARLEQUIN.

e Couplet. 

L’amant qui se met en campagne, Si trop de respect raccompagne, Près de l’objet de ses amours, Fait /’une lieue z’en quinze jours. Mais s’il attaque en téméraire, Toul à la fois bouche et corset, Pour aller vite, il n’a que faire Des bottes du Petit Poucet. LÉANDRE. = Couplet. Sa monture il faut qu’on ménage Quand l’on veut faire un long voyage. ISABELLE. Fi donc ! mon cher. Ah ! quel discours ! GILLES à Isabelle. Gare la lieue en quinze jours ! ARLEQUIN au parterre. Quand z’on prêche sitôt misère, Aisément z’on se passerait De ce qu’on appelle à Cythère Les bottes du Petit Poucet. GILLES an parterre. Que le diable emporte les botles ! Je me suis vautré dans les crottes. Mais quoi ! les sols devraient toujours Faire /.’une lieue z’en quinze jours. Souvent /.’arrive le contraire, Cl llilhs s’en consolerait. S’il voyait content le parterre Des bottes du Petit Poucet. FIN I’ES BOTTES PF. SEPT LIEUES.

LES DÉPUTÉS DE LA HALLE

ET DU GROS-CAILLOU

SCÈNE DE POISSARDES ET DE MAÎTRES PÊCHEUX 1

PERSONNAGES.

LA MÈRE FANCHETTE.

LA MÈRE CHAPLU.

PERSONNAGES.

CADET HEUSTACHE.

JÉRÔME.

LA MÈRE FANCHETTE, à Cadet Heustache qui veut entrer le premier.

Hé ! mais vraiment, c’te pauvre petite bête, donne-l’y à faire, il l’a ben gagné. Encore un coup. Cadet, j’te le dis, qu’tu n’entreras pas t’aantnous : et qu’la mèr’ Fanchette qu’est moi, z’et la commère Cliaplu que v’ià n’auront z’en vertu d’Dieu pas fait six bonn’s lieues, sans r’proche, et n’seront pas venues tout z’exprès d’ia halle pour qu’un fichu mareigner d’eau douce comme toi lieu passe d’sus l’corps d’vant la présence d’honnête compagnie, entends tu, bouffi ? CADET. Si j’entendons ? Ah ! que d’reste. Pardi , tu brailles assez fort pour ça ; et on voit ben qu’tu comptes souper en ville, car t’a mis ta belle gueule ; mais, moi, j’te dis et j’te douze, c’est vingt-deux : que si tu viens de la halle avec ta marchandise, j’venons du Gros-Caillou avec la nôtre ; c’est z’encore plus loin, et qu’eu dépil d’Ia différence d’not’ civilité à l’endroit du biau sesque, j’entrerons d’vant vous, et à votre barbe encore ; liens, commère, fiche-toi bien dans la tête, une bonne fois pour tout, qu’jamais fille ni femme, fût-elle plus belle qu’la mère à Curpidon, n’a fait z’et ne fera jamais rester Cadet à la porte nulle part. JÉRÔME. Ni Jérôme non plus, vante-t’en z’en et du bon vent ; va, tuas raison, Cadet, d’soutenir l’honueur de not’ sec. LA MÈRE FANCHETTE. Hé ! j’nous fichons d’vot’ sec comme d’vot’ mouillé. i. Cette scène est en effet du plus pur poissard, et Vadé u’a pas fait mieux. Beaumarchais, comme dans les petites pièces précédentes, n’a pas épargné les couplets. Les airs notés doivent être de lui. On erra en effet, par une lettre à M<nc Panckoucke, qui viendra plus loin, qu’il s’amusait, dans sa jeunesse, à mettre en mnsiqoe des scènes ■ hautes en couleur *, qu’il accompagnait lui-même sur la harpe. Ed. F. JÉRÔME, lui prenant lu main. Mai-, sarpédié, la mère Fanchelte, faut raisonner une fois raison, et... LA MÈRE FANCHETTE, le repoussant. N’ous magne pas tant, hé ! monsieur Jérôme ! ça nous amollit. CADET. Bon. Hé ! d’queu chienne d’nature est donc ta pian ? nous, j’sommes tout au rebours : apparemment sans doute que c’est l’air du Gros-Caillou qui cause cela. LA MÈRE CHAPLU. Quoi qu’ça t’ fait à toi, commère ? lai-- - 5 entrer, pique c’est l’entêtement d’iieu obstination ; au bout de tout, n’suis-je t’y pas venue enseml ment àl’occasion du sujet d’Ia bonne fête de ce brave seigneur ? quoi qui pensera d’nous si j ’allons nous chanter penille d’vant ly comme des gcjis d’Ia lie du peuple, au lieu d’iy débargouiller c’te belle z’arangue qu’javons tant z’eu de peine z’à ficher dans la cervelle d’not’ tète ? JÉRÔME. Ah ! sacré nom pas d’un chien ! la mère Chaplu ; liens, tu raisonnes comme une peinture, et l’a pu d’esprit qu’un Colombat doré sur tranche. LA MÈRE CHAPLU. C’est vrai, ail’ s’élève tout d’un coup de d’mème qu’une soupe au lait. Et ne te souviens-tu pas de c’que te disait ta pauvre tante Saumon : qu’une femme, au lieur de se fâcher, avait toujours plus d’acquêt d’prendre les choses eu douceur ? CADET. Elle avait raison, la bonne mère, et j’sons éloti z’assez dans l’usage dec’t'habitude-là, nous autres. LA MÈRE FANCHETTE. Et Jésus ! bonne Vierge ! Madame, d’Ia douceur à la façon de ta manière, semble, avis qu’Ut ne serais venue z’ici qu’pour prendre leu parti, à ces hommes.

MERE CHAPLU. Qui, moi ? Apprend ?, gueule d’empeigne, qu’la mère Chaplu u’a jamais rien pris à personne, et qu’personne n’a jamais rien pris à la mère Chaplu ; qu’en tout bien z’et en tout honneur : tout l’munde n’te r’semble pas, Dieu merci !

LA MERE FAXCHETTE. h-, mon doux sauveur ! ne faites donc pas comme ça, madame Chaplu, dans l’état où qu’vous êtes, j’appn henderais qu’vous n’donniez mu’ échauflaison à vol’ lait ou qui n’vienneà s’ré pandre. LA MÈRE CHAPLU. Tredamme, ça pourrait z’arriver pour ce qui est de quant a l’égard de non-, mais lu ne risques rien su c’t'artique-là, toi, car ton lait est tout répandu, et il y alongtemps qu’on n’voil qu’ça chez loi, depuis les pieds jusqu’à la tète, chérubin d’enter. LA MÈRE FANCHETTE. Ile ! dis donc, Cadet, ne v’Ià ti pas t’encore une physionomie ben relichée, pour se ficher des autres ? LA MÈRE CHAPLU. Mieux r’Iieliee que toi et qu’loute la race de Gain, mine de Belzébuth ! menton d’bouis, nez d’doguin, cul d’chignoles, tète de mort, visage sans viande. LA .MÈHE FAXCHETTE. Voyez un peu c’te grosse dodue, comme elle nous méprise ; esl-ce à cause que tu as les tétons comme une affiche ? LA .MÈRE CHAPLU. Oui, l’aze te fiche. la mère FANCHETTE, faisant unerévérence. Grand merci, commère, c’est le fait d’une bonne chrétienne de souhaiter aux autres c’qu’elle voudrait tenir ; c’pendant, liens, mère Chaplu, t’es ben heureuse de m’prendre dans ma bonne lune ; j’te l’dis, et -i c’neiait [’respect d’ia considérance du respectable monde qui m’entend, j’t'aurions plutôt lâché un liton d’F par les oreilles, et une bordée de coups de poing sur la pourtraiture qu’tu n’aurais r’gardé par ou, oui. JÉRÔME, n la mère Fanchi ne. Hé ! fi donc, commère, est-ce qu’il estz’iei question d’s'agir d’ça ? LA MÈRE FANCHETTE. Ote-toi dlà, toi, ou j’te r’mouche. m mi M’i.i . les mains mr les ham fii s. Une bordée de coups de poing à la un n I plu ? une bordée de coups do poing ? Eh ! mais viens-y donc, m mphe de la Salpétrière, soubrette de la rue Fromenteau, blouque d’oreille d’gibet, débiteuse d’maux d’aventure, viens-y donc, moule d’enfants trouva s. LA MÈRE FANCHETTE. Moule d’cnfanl trouvés, hé bien ! c’est signe d’une bonne marque : c’est que j’avais du mérite ; mais toi, tu ne seras jamais qu’un moule à diables. LA MÈRE CHAPLU. Qu’il t’emporte, le bon saint ! LA MÈRE FANCHETTE. Ah ! l’as ben raison dTappeler saint, car il a souvent l’ait des miracles, sans ceux qui l’ra encore si tu n’es pendue bientôt. LA MÈRE CHAPLU. Pendue, non-’ hé ! à cause d’pourquoi donc çà, sultane favorite du fameux de la barrière d’Sève ? Est-ce que je n’sommes pas honnête femme, voyons ? LA MK.RE FANCHETTE. Oh ! c’est toul vu, c’est toul vu, n’ a qu’faire de mircloscope pour ça..., mais dors tranquille, va, c’est que j’badinions, et tu ne seras jamais pendue, car c’est toi qui pends les autres, on t’connail pour ça à la halle el partout, et on même que c’qu’il y a de bon z’à loi, c’est que lu les secoues bigrement, mais qu’tu ne les étrangles guère. LA MÈRE CHAPLU. Je ne les étranglons guère ? je ne les étranglons guère ? Ah ! chienne d’écrevisse du quai .Neuf, j’t'allons montrer comme jles étranglons, ou l’diable non- arrache quatre de tes dent.-. (C’jmme on n’a pu les empêcher de se joindre, elles se décoiffent.) LA MÈHE FAXCHETTE. Ah ! gueuse, tu m’égratignes. LA MÈRE CHAPLU. Ah ! chienne, tu me mords. (Ou les sépare avec peine, et elles se recoiffent.) CADET. Hé ! saperdie, mesdames, v’Ià une nouvelle manière de présenter un bouquet. Jl RÔMl . Je n’eroyons pas pourtant qu’vous en ameniez la mode, mais savez-vous bien qu’un autre «pie [’seigneur de ce château pourrait fort bien vous faire tout bellement sauter par la fenêtre, peur d’salir ses escaliers, el qu’vous l’y devez une fière excuse sur la contenance du procède de vos façons ?

LA MÈRE FANCHETTE. T’as raison, Jérôme, et j’Ij fsons d’bon cœur el a toute la compagniequi voudra p’t'ôtre bon nous pardonner c’te p’tite distraction. LA MÈRE CHAPLU. J’avons d’autant plus lieu d’eompter sus c t’espérance qu’ees messieurs el ces dame- -ont à même de .-avoir aussi ben qu’nous qu’il n’y a rien dan- le monde d’si chatouilleux quThonneur. Mais liens, Cadet, pour revenir à ce biau compliment qu’j'avions envoyé faire faire sous les charniers, n’vlà t’i pas qu'la contestation d’not’ dispute nous l’a fait z’oublier net comme un torchon ?

CADET. J’som’ étonné 3’ça, car de ta nature t’es t’accoulumée z’a bien retenir, toi, mais ça n lait zaguerres : au manquement d’vof défaut, j allons l’aire pour les deux bandes, et au bourgeois, sans tant dire chercher midi à quatorze heures que... sus l’bruit... et pardié, oui, sus l’bruit... d’ia... réputation. .. du... bon cœur... d’ia renommée qu’j'avons sans vanité répandu partout à pleine.- main-, du d’puis l’jour d’Ia petite loterie, dont duquel j’ons l’eu l’honneur que d’tirer d’vant lui l’an passé : si ben donc... enfin... que... sans vous interrompre pour r’venir à... ah ! oui... a notre compliment, c’qu’il y a d’bon à moi, c’est que jamais je n’m'embrouille ; j’Ii dirons donc qu sus ce bruit-là, après avoir bu I’rogomme à sa santé, j’sons partis dès l’matin en manière de dé] raides comme barres, vous d’Ia balle avec voire raie, six soles et douze merlans, el nous du Gros-Caillou z’avec deux belles carp - laitées, six tanches, quatre anguilles el quinze barbillons que j’ons r’monté à con nof bachol jusqu’ici pour li apporter tout ça en guise d’une façon de bouquet, el qu’si le reçoit d’au si boi amiqué que j’Ii offrons, j’n'aurons en vérité d’Dieu pas r i chemin ni à la coùtance. JÉRÔME. A cela j’ajouterons t’une petite chansonnette de la décomposition du cousin Belle-Humeur. p, m » ■ Q Vi t - ve Char - lot, que son i con - ten - te Sur les r-# - 1, flots c Q , a 1 lai

! 

VO - Llli’ tou ours Et i ue sans esse

* ;^==i 

belle il ]i|V - Vin chau - de LA MÈRE FANCHETTE [inclue air). Tendre maman, d’aise votre cœur nage ; Il vous faillit pour un si bon ouvrage Dans ce cher deux vous vous mirez toujours. Vins frais, chaudes amours. LA 5IERE CHAPLU. me - re Vaut’ en z’en com - mè re du bon vent

e Couplet. 

D’bon cœur est baillé le présent. Vante-t’en z’en, commère du bon vent ; Ça fait qu’il vaut d’or son pesant. Vante-t’en t’en. Chariot, prends garde à ta manière, Au rebours des gars d’à prési nt, Fa se firh.’ de la matière. Vante-t’en z’en, commère du bon vent. LA MERE FANCHETTE, « Cadet. Sons-jc t’i bons amis t’a présenl : Vante-t’en z’en. codmv’t • du 1 on veni.

LA MÈRE FANCHETTE, l’embrassant. Je t’aime comme mon enfant. Vanle-t’en z’en A la s mphonic. Messieurs, lâchez quelque ? notes, Puisque j’avons l’cspril content : Faut remuer le pot z’an crottes. CADET. Vante-t’en z’en, mais non pas d’un bon vent. CADET, moiur, ml sa jambe Drcs que I’ guihon z’est impotent, Vante-t’en z’en, imère du bon vent, L’entrechat n’esl pas ben brillant. Vante -t’en z’en. Grand merci de la préffri e To n’ trouverais ça ben plaisant, Si j’ t’allions rater la cadenee. Ensemble. Vante-t’en ,Iu i ih :t.

--i. comme dit c’t'autre, aimons-je t’y mieux nous enfuir que nous exposer à faire une lâcheté, et j’allons tout de c’pas remettre notre présent à monsieur l’maitre, car j’eomptons ben, nol’ bourgeois, qu’c'est vous qui fournira la sauce, dà I I I- 3 Dl'irUTES LiE LA HALLE ET I>U GROS-C ULLOU.

OBSERVATIONS

ACTE PREMIER.

Scène 1re. — Je la voudrais tournée à peu près de cette manière :

LE COMTE.

Mais, parbleu, si tu jases…

FIGARO.

Moi, jaser ?

LE COMTE.

Si ton indiscrétion allait me perdre.

FIGARO.

Je n’emploierai point pour vous rassurer es… etc., va bien.

Même scène, page 14.

FIGARO.

Une bamboche.

le comte, rêvant.

Tant mieux !

FIGARO.

Oui, il en sera meilleur à tromper, n’est-ce pas ?

LE COMTE.

Son âge ?

FIGARO.

Soixante ans.

. Ces observations, que nous reproduisons le plus exactement possible, d’après deux feuillets, volants intercales dans le tome 1er des manuscrits de Beaumarchais à la bibliothèque duThe-àtie-Fraueais, sont très-curieuses pour nous renseigner sur le premier état du Barbier de Séville, Lorsqu’avant de devenir comédie il étail enc, comme nous lavons dit dans notre Vie de Deaumnrc/iais, un opéracomique destiné â la Comedie-Italieuue. C’est *aus contredit, sur cepoint, ce qu’on a de plus intéressant. Ou y apprend, entre autres choses, que le Barbier, comme tous les premiers essais comiques de Beaumarchais, tournait eu quelques endroits à la parade, surtout vers la fin ; et nous voyons, par les dernières lignes, que c’est encore la société d’Etiolés, chez M. Le Normand, qui en avait en la primeur.

— De qui sont ces observations, qu’il est impossible d’attribuer a Beaumarchais lui-même, tant à cause des critiques qu’en raison aussi des éloges, uu auteur ne se distribuant ainsi, in petto, ni les uns ni les autres, pour le seul plaisir de se dire a soi-même du bien et dn mal de ce qu’il a fait ? Nous croyons qu’elles son ! de Gudin, l’ami, le conseiller toujours fidèle, et toujours aussi le collaborateur plus ou moins secret de Beaumarchais, ce qui attira même a celui-ci une malice de Rivarol, qui, dans sou Petit abnanachde nosgrands hommes, ne lui consacra pas une ligue, et se contenta de mettre à son nom : « Voyez Guuin de la Bhenellerie.1. — Ces observa’ tions, si elles sout de Gudin, expliqueraient comment il fut le seul qui put nous faire connaître, dans sou édition de.1807, un couplet du Barbier de Séville, opéra-comique. Elles justifieraient aussi certaine note inédite de Colle sur un entretien qu’il eut avec Gudin, et dans lequel celui-ci ne lui cacha pas sa part de travail dans ce qu’écrivait Beaumarchais, qui lui avait même pour cela donne— au-dessus de sa chambre uu cabinet : a Lorsque l’heure de fermer la porte de Beaumarchais pour tout le monde est arrivée, dit-il, je descends mon travail chez lui, et nous y mettons ensemble la dernière main. Il en est de même, ajoute-t-il, pour toutes les pièces de théâtre ; il eu fait la minute, je les lis ensuite ; j’écris mes observations, et nous achevons la pièce ensemble. » Cette note, que la découverte des observations données ici rend de plus en plus précieuse, n’a paru que dans uu article du Journal de l’Institut historique, 1834 ; in-8, p. 75. Ed. F. LE COMTE, toujours r&’attt.

Tant mieux.

FIGARO.

Sans doute : moins l’argus a de jeunesse, plus celle de l’amant devient piquante. LE COMTE.

Ses moyens de plaire ?

FIGARO.

Nuls.

t. ;  : COMTE.

Tant mieux encore.

FIGARO.

Apparemment a cause qu’une place menacée de famine est toute prête à se rendre, etc., etc. Acte i". — Tuât bon, si on lient serrer le dialogue davantage, ou ne Un plus dt chant, ACTE 11.

Depuis la scène ll : jusques à la VU’, pas un trait </■ musique.

■Je avis qu’aux Itala us il faut une grande gaieté ou un grand pathétique pour Sun passer. SCENES V e ET VI e.

Elles ta nnent un / 1 w de la parade. N’est-ce / » ’-s un petit moyen de gaieté que la Jeunesse soit vieux et l’Eveillé imbécile ?

scène vu 1’, charmante.

A la place du doigt : votre main tachée d’encre, etc.

scène vm c. Dialogue.

Je n’ai pas encore cet usage du monde qui assure le maintien des lemmesen foule occasion. Je l’aime assez ; mais les femmes peuvent s’en plaindre.

ACTE 111.

Quelle humeur ! quelle humeur ! Faites lotit au monde pour plaire aux femmes, si vous omettez un seul petit point, je dis un seul… etc., etc. Très-bien ! Je crains pourtant de l’avoir eu gin Ique part.

SCÈNE II e.

Trop longue et sans intérêt, quoique utile. SCÈNE IV e.

Longue aussi. A l’instant qu’elle vêtit étudier, trop </■ réplique des deux parts.

734

SCENE VI e .

h deui nii’iii’ • s : dans l’a

AFFAIRES DE THEATRE,

int du loul pi

L< i -n actère de Rosin

i il ttt :

Qu’un cœur est à plaindre !

c’est une femmi emportèt par la contrainte et la passion :

Tendre am inl qu’il offense,

Commence ta vengeance etc. ;

Dans la scbxe iii c du iv c acte, c’est une pi ! sonne timide qui dit :

Si le don de ma main ri "avait pas dû suivre à l’instant celui de mon coeur, vous ne seriez pas ici ; que la nécessité justifie à vos yeux ce que cette entrevue a d’irrégulier, etc. Cettt scène est fort bien faite. On peut < i travailler, la fleurir davantage ; les répliques moins longues.

Suit’, du iv e acte. — Après le duo, la scène parait lâche :

l n déluge de pluie, une mer de fange que les ravins ramènent, etc. ; pas bon. ROSINE.

Ali ! pauvre enfant, etc. ; mauvais. ExcepU les couplets, tout ce qui suit, jusqu’à Varrivi e du jaloux, me parait à refaire : mus unie gaieté, mus agréiii’ ut. , te.

Si le mouvement des personnages de tapisserie est neuf, et qui vous jugit z bien l’effet, a la pi ut • tri gai. Je me rappelle qui quand les diables frappaient sur le b mhotnnu , à Ëtiolt s, ci la n’était pas très-plaisant ’. ADRESSE

AU LIEUTENANT DE POLICE

! Le Noir estsupplié il 

vation aux personnes q

parce qu’il est trop gai

bie

rll,. ,, !,.,.

inieut point le Mariage de Fiijar

Il y a quatre an* que le Mariage di Figaro repose ru paix dans le portefeuille de l’auteur ; il n’était . Cette fin n’est pas facile à comprendre, appliquée au Barbier i m me i p ra-comique bouffe el pi e ique parade : mais puisq ■■ trouvi iudiq i dans les obsi nations, nous avons dû ne pas l’omettre. Uns autre note qui se trou’ u marge, au comi sur les auteui force, pesez-la . : ée i r nous une énigme. Ed. F.

Cette pièce, tirée aussi du Manuscrit du Théâtre-Français, i : ulement inédite, mais tout à fait inconnue, car M. de Loménie ne l’a pas même mentionnée ; elle <■- ! des plus cari ’Uses ; le coi ncement de la grande bataille ’lu Mariage de I lis ;■ ouvre le f< a contre ceux qui uni médit de sa comédie prè du roi el qui ainsi en cmpèchenl la représentation. i iu même lieutenant de police, que publie M. de I oin / édition, t. II, p. 304- : 06, n’esl que . m avoir autanl d’intérêt ni d’esprit. ■ ommum’eation officielle . ceci ci ’ une sorte de méi di Bi aumarchais s’y retrouve chez lui bii n a Ed. F.

te le montrer en public -, il

n’a Lut que céder aux plus vives instances des comédiens du roi, à celles de tous les théâtres de* princes ou de société qui désiraient jouer la pièce, aux demandes réitérées de tous les directeurs de province et des spectacles étrangers, lorsqu’il a consenti que les comédiens français en prissent enfin connaissance. Il n’est pas inutile d’ajouter ici que l’impératrice de Russie même, à qui les autres productions de l’auteur ont quelquefois déridé le fronl auguste,n’a pas dédaigné de lui faire demander exprès le Mariag< di Figaro pour son théâtre de Saint-Pétersbourg par M. le comte de Bibikoff, -"ii chambellan et directeur général de ses spectacles ’.

Mais, cette pièce gaie, que l’on trouvi trop gaie, parce qu’elle est quelquefois sérii u e, ayanl été faite uniquement pour amuser le roi et la reine de France, dans une grande réjouissance comme celle de l’événement heureux qu’on vienl de i ■ lébrer si tristement 8 ; l’auteur n’a voulu en faire l’hommage à personne avant que Leurs Majestés en eussent eu le premier divertissement. L’on peut juger par cel exposé, si, ayanl manqué se bji t, il doit se soucier beaucoup qu’on joue sa pièi e au rhéâtre-Français, ou qu’on l’y proscrive : certain que son ouvrage n’aura sans cela que trop de publ lejour qu’il consentira que d’autres théâtres s’en emparent.

Mais s’il regarde comme un très-petit mal que 1rs comédiens français ne jouent point le Mariage, il n’a pas la même insensibilité sur la sourde persécution que cet ouvrage essuie depuis que l’auteur, toujours fort invité et beaucoup trop honnête, a consenti d’en faire quelques lectures devant certains importants dont la mine en effet s’est forl allongée à certains traits de gaieté, sur lesqui Is messieurs les importants n’aiment pas qu’on s’exerce.

Mais, au talent près, l’auteur es ! un peu comme Molière, qui disait en faisant le Tartuffe, les Femmes i i surtout les Fâclu ua : Je sais bien que ma pièce ne plaira pas à tout le momie, mai- que m’importe à moi, pourvu que le roi s’en amuse ? [li i que M. Le Noir soit instruit que, longtemps avant qu’il nommât un censeur, un homme de la cour, et qui a l’honneur d’être de la société de la reine, avait appris à l’auteur que l’on faisait croire à Sa Majesté que la pièce était rejetée par les censeurs de la police, el qu’elle ne serait jamais jouée. On ajoutait même à la reine que cette pièce était scandaleuse et faite exprès contre la religion, i Cette demande lui lu’ t veléepar le c te i’ousoupolf, , I, imbi II in du gi id dm de Rus le, peo ’i" temps après, lors Ju t à P ; e grand-duc et la grande-du< : i Bea marcha > parvînt à lire sa pièce. V. V Introduction. Ed. F.

2. Allusion ani fêtes magniGquemenl tri te données à Paris pour I,, nais .un i’ du D iph n, au moi di janvii i 1182. Non avon ainsi, à quelque jours près, la date de cette pièce. Ed. F. le gouvernement, les bonnes mœurs, les parlements, tous les états de la vie, et que la vertu, comme on pouvait bien s’en douter, était opprimée dans cet ouvrage exprès pour y faire triompher le vice.

Allons… mes bons amis de cour.

Il est bon aussi d’instruire M. Le Noir, que plus de deux mois avant que l’auteur lui eut remis sa pièce, on proposait à Paris, dans les soupers, de gager cent et deux cents louis, qu’on empêcherait bien de jouer l’ouvrage. Il y a donc depuis longtemps un armement formé pour faire croire à ceux qui ne connaissent pas cette pièce, qu’elle est une œuvre informe et digne de la réprobation du gouvernement. Mais comme la seule chose qui importe à l’auteur est de bien prouver au public que sa pièce, quoiqu’infiniment gaie, est loin d’être immorale, il a l’honneur de prévenir les personnes timorées à qui cet ouvrage a le malheur de déplaire, que son intention est d’en détendre publiquement la moralité, dans une préface qu’il va mettre à la tête ; soit qu’on l’imprime en France avec une guirlande de censures, soit que la Russie ou quelque autre État du Nord lui donne publiquement l’honneur de l’impression ; et dans cette préface, qui ne sera pas un libelle punissable, car l’auteur y mettra son nom en toutes lettres, il discutera froidement tous les morceaux qui ont effarouché nos graves importants, en donnera le véritable sens, en tirera la moralité naïve, et fera connaître à tous les lecteurs de l’Europe les vrais motifs qui ont armé beaucoup de gens contre une pièce que l’auteur n’a faite comme elle est qu’après y avoir beaucoup réfléchi. Car, ainsi que Rabelais, il a cherché un tel mélange, qu’on peut lui pardonner la raison en faveur de la folie, et la folie en faveur de la raison que sa pièce renferme : et qu’elle obtint par là une indulgence universelle.

M. Le Noir peut donc être certain que la pièce était condamnée par l’intrigue, longtemps avant qu’elle lui fût soumise pour la faire censurer, ce qui doit surtout le mettre en garde contre les critiques qu’elle excite, et le jugement raisonnable et modéré qu’en a porté le censeur à qui il l’a confiée. Il avoue qu’il ne voit aucun danger d’en permettre la représentation, en retranchant seulement, dit-il, le mot ministre de ma plaisanterie, et adoucissant un jugement qui a l’air de ceux de Salomon (il de i ait ajouter : ou de Sancho Pança) : qu’au reste la pièce lui a paru pleine de gaieté, très-bien écrite, que les personnages y parlent comme ils doivent, selon leur état, et qu’il la croit très-propre à attirer à la Comédie, qui en a grand besoin, beaucoup de spectateurs et par conséquent île recette.

D’après ce jugement auquel l’auteur se tient, son intention est de commencer par mettre aux pieds du roi une petite dissertation sur l’historique et la vraie moralité de la pièce. Et il sait très-bien par qui la faire parvenir sûrement et promptement à Sa Majesté, qui n’a pas dédaigné quelquefois de lire sa prose manuscrite.

Si Sadite Majesté mal prévenue contre l’ouvrage l’a interprété en le lisant d’une façon défavorable, l’auteur ne désespère pas de réussir à ramener l’opinion d’un jeune roi, à l’amusement duquel cet ouvrage a été singulièrement destiné.

Si Sa Majesté s’en est rapportée, pour proscrire l’ouvrage, à l’opinion d’autrui, sans l’avoir lu, l’auteur se croira bien vengé de l’intrigue qu’on fait jouer contre lui, en expliquant dans sa petite dissertation tout ce qu’il sait de cette légère intrigue avec la citation des endroits qui déplaisent et que les critiques n’osent pas citer ; le tout accompagné des noms, surnoms, qualités desdits critiques : ce qui ne laissera pas que d’être un peu plus gai que le Mariage de Figaro. Le roi saura aussi que M. de Maurepas, l’homme le plus sage, mais le plus aimable de sa cour, connaissait et aimait beaucoup tout ce qui déplaît à nos messieurs dans cette pièce, qu’il se faisait un bonheur d’en entendre une lecture entière, parce qu’il n’en avait lu que les morceaux saillants, et qu’il croyait l’ouvrage très-propre à faire passer au roi et à la reine une soirée fort agréable.

Enfin, l’auteur, en comparant tous les morceaux analogues aux siens, tirés des pièces de théâtre qu’on joue librement depuis un siècle, établira devant Sa Majesté que dans ses critiques légères, qui ne sont point des satires, mais sans lesquelles la comédie n’est qu’un amusement d’enfants, il a été le plus modéré des auteurs dramatiques, puisque ce n’est qu’à travers des flots de gaieté qu’il s’est permis de faire jaillir un peu de morale et de raison, qu’on a bien de la peine à faire avaler autrement aux hommes. Si le roi ne s’est pas rendu le censeur d’une pièce de théâtre, exprès pour affliger l’auteur qui voulait le réjouir, et c’est l’opinion la plus probable : il faut conclure qu’il en est du Mariage de Figaro comme de certain arrêt du conseil surpris pour les comédiens français contre les auteurs dramatiques, et dont un maréchal de France disait toujours : Le roi l’a voulu, le roi l’a ordonné, le roi l’a décidé. Puis il se trouva que c’était le roi Gerbier qui avait composé l’arrêt, et que le roi Louis XVI n’en savait pas un mot. On le refit d’un bout à l’autre.

Or, il y a beaucoup de rois Gerbier en France, qui ont leur intérêt pour faire admettre ou proscrire les ouvrages ; heureusement que le roi Louis XVI est accessible et juste.

C’est donc à lui que l’auteur va s’adresser, en lui demandant la permission de faire une lecture de l’ouvrage devant Leurs Majestés, avec le commentaire.

Et l’auteur se propose de tenir cette conduite singulière, parce qu’étant un homme libre, honnête et ferme, qui ne veut rien tenir de personne, et qui ne fait de mal à personne, il se trouve être malheureusement du caractère de son chat, le plus doux animal du monde, mais qui ne peut s’empêcher d’égratigner lorsqu’on lui marche sur la patte avec un dessein prémédité de lui faire du mal.

LETTRE AU BARON DE BRETEUIL 11

Monsieur le baron,

Si vous n’étiez pas juge suprême, comme ministre de Paris, des objets qui composent la décence théâtrale, vous seriez encore, en votre qualité d’homme plein de lumières et de goût, le premier censeur que j’aurais désiré d’obtenir pour la comédie du Mariage de Figaro, que M. Le Noir veut bien vous présenter en mon nom.

Avant que de lire les quatre censures que la pièce a déjà subies, et que je prie M. Le Noir de mettre sous vos yeux, et dont trois la réclament pour le théâtre, je vous supplie de peser les respectueuses observations que j’ai l’honneur de vous soumettre ici.

Mon amour pour le théâtre français m’a toujours fait chercher les causes de la langueur où il s’endort depuis longtemps. D’une part, j'ai vu la paresseuse cupidité des comédiens ; de l’autre, les entraves de fer dont on garrotte à présent le génie. Un second théâtre français est l’unique remède au premier mal (toute la littérature demande ce théâtre ; et le coup d’œil éclairé d’un ministre ami des arts sur les productions théâtrales est seul capable de réparer le second en rendant au génie dégoûté l’émulation qu’il n’a plus, et qui le fait fuir un genre de conception qui n’enfante pour lui que des couleuvres.

À force de devenir délicats et fins connaisseurs, et d’affecter l’hypocrisie de la décence auprès du relâchement des mœurs, nous sommes devenus des bégueules rassasiées qui ne savent plus ni ce qu’elles veulent ni ce qu’elles aiment. Les mots bon ton, bonne compagnie, dont la latitude est si grande qu’on ne sait où ils commencent et finissent, ont détruit la franche et bonne gaieté qui

11. Document très-intéressant encore pour l’histoire du Mariage de Figaro. Comme celui qui précède, et dont il était la suite naturelle, il est inédit, sauf quelques parties, citées çà et là par M. de Loménie, t. II, p. 294, 30G, 31 2, 31 i, 319. Il en avail trouvé ! • "l dans les papiers de la famille. C’est sur l’autographe même de la larchais, tout vibrant encore de l’inspiration première, par le caractère heurté de l’écriture et la violence des ratures, que nous le publions. Ce très-précieux autographe, le plus importanl sans contredit que l’on possède de Beaumarchais, se trouve dans le tome V de ses Manuscrits, à la Comédie-Française. N’"n— ajoute| |u’parlie de cette lettre, destinée au seul baron de Breteuil, servit plus tard de base d’argumentation, avec de simples dificatious de teite, à un travail qu’une tout autre publicité attendait la préface du Mariage de Figaro. Beaumarchais aimait à remettre au grand jour ce que ses combats avec les ministres aurait ni pu lui faire perdre dans le désert des antichambres. Ed. F

distinguait de tout autre le comique de notre nation. Ensuite les mots décence et bonnes mœurs, qui donnent un air si important et si digne à nos jugeurs de comédie, qu’ils seraient désolés de n’avoir pas à les prononcer sur toutes les pièces, ont porté le dernier coup a la vigueur de l’intrigue dramatique, sans laquelle il n’y a jamais que de l’esprit à la glace et des comédies de quatre jours. Enfin tous les états de la société sont parvenus à se soustraire à la censure dramatique. On ne pourrait offrir au théâtre les Plaideurs, de Racine, sans entendre aujourd’hui tout ce qui porte une robe s’écrier qu’il n’y a plus de respect pour les lois et les magistrats.

On ne ferait point le Turcaret, de Le Sage, sans avoir à l’instant sur les bras le corps entier de la finance ; les Marquis de Molière, sans révolter toute la noblesse. Ainsi l’auteur qui se compromet avec le public pour l’amuser ou pour l’instruire, au lieu d’intriguer son ouvrage à son choix, est obligé de travailler entre des incidents impossibles, de persifler au lieu de rire, et de prendre ses modèles hors de la société, crainte de se trouver mille ennemis, dont il ne connaissait aucun en faisant son travail.

J’ai donc pensé que si quelqu’auteur courageux ne secouait pas toute cette poussière, bientôt l’ennui des pièces françaises jetterait tout le monde à l’opéra-comique et même aux boulevards, où, par un singulier contraste, la liberté bannie du théâtre français s’y change en une licence effrénée, où nos jeunes gens vont réellement perdre et leur goût et leurs mœurs. J’ai tenté d’être cet auteur. Si je n’ai pas mis plus de talent à mes ouvrages, au moins mon intention s’est-elle manifestée dans tous.

J’ai toujours pensé qu’on n’obtenait au théâtre ni grand pathétique, ni moralité, ni bon comique, sans des situations tories qui ne peuvent naître que de quelque disconvenance sociale dans le sujet qu’on traite. La tragédie se les permet souvent jusqu’aux crimes atroces : les conspirations, les usurpations du trône, le meurtre, l’empoisonneni, l’inceste comme dans Œdipe, le fratricide dans Vendôme, le parricide dans Mahomet, le régicide dans Macbeth, etc., etc. La comédie est plus modérée sur les disconvenances, parce que les sujets en sont tirés de nos mœurs. Mais comment frapper sur l’avarice, si l’on ne met en action un vicieux avare ? Sur l’hypocrisie, sans montrer, comme dit Orgon dans le Tartuffe, un lâche hypocrite épousant sa fille et convoitant sa femme ? Un homme à bonnes fortunes, sans le faire parcourir au cercle de galantes femelles ? Un joueur effréné, sans l’enveloppe de fripon, s’il ne l’est pas déjà lui-même ?

Ce n’est donc pas le vice, ni les événements qu’il entraîne qui font l’indécence théâtrale, c’est la critique ou la moralité qu’un auteur faible ou timide ne sait ou n’ose tirer de son sujet, qui rendent sa pièce équivoque ou vicieuse.

Lorsque je mis Eugénie au théâtre, tous nos jurés crieurs à la décence jetèrent des flammes dans les foyers, sur ce que j’avais osé montrer un seigneur libertin habillant ses valets en ministres, et feignant d’épouser une jeune personne qui paraît enceinte au théâtre, sans avoir été mariée.

Malgré ces criailleries, la pièce a depuis été jugée la plus morale de tous les drames, constamment jouée sur tous les théâtres de l’Europe, et traduite dans toutes les langues : parce que les bons esprits ont senti que la moralité, que l’intérêt naissaient entièrement de la disconvenance d’un homme puissant et vicieux qui persécute une faible fille trompée, vertueuse et délaissée.

Depuis, j’ai mis au théâtre les Deux Amis, dans laquelle un père avoue à sa prétendue nièce qu’elle est sa fille illégitime, et la pièce est encore du plus grand intérêt, parce que l’auteur s’attache à montrer les devoirs qu’impose la nature, sur les fruits mêmes d’un ancien égarement, que la rigoureuse dureté des convenances sociales, ou plutôt leur abus, laisse trop souvent sans aucun appui.

Me livrant ensuite à mon vrai caractère, j’ai tenté, dans le Barbier de Séville, de ramener au théâtre l’ancienne et franche gaîté, en l’alliant avec le ton léger, fin et délicat de notre plaisanterie actuelle. Mais comme cela même était une espèce de nouveauté, la pièce fut vivement poursuivie. À les entendre, il semblait que j’eusse ébranlé l’État, l’excès des précautions qu’on prit et des cris que l’on fit contre moi m’étonna. La pièce fut censurée quatre fois, cartonnée trois fois sur l’affiche à l’instant de la jouer, dénoncée même au parlement d’alors. Et moi, frappé de ce tumulte, je persistais à demander que le public fût juge de ce que j’avais destiné à l’amusement public. Je l’obtins enfin. Après les clameurs, sont venus les éloges, et l’on me disait partout : « Faites-nous donc beaucoup de pièces de ce genre. Il n’y a plus que vous qui sachiez rire. »

Un auteur échiné par les criards, mais qui se voit enfin un peu de laurier sur le front, reprend courage, et c’est ce que j’ai fait. M. le prince de Conti me défia publiquement de mettre au théâtre ma préface du Barbier, beaucoup plus gaie, disait-il, que la pièce, c’est-à-dire d’y montrer au public la famille de Figaro, que j’indiquais dans cette préface. Acceptant le défi, je composai sur-le-champ la pièce qui cause aujourd’hui la rumeur. Elle est restée cinq ans dans mon portefeuille. Eh ! plût au ciel qu’elle n’en fût jamais sortie !

Les comédiens ont su que je l’avais, ils me l’ont arrachée. Mais à l’éloge outré qu’ils en firent après l’avoir lue, toutes les sociétés de Paris voulurent la connaître. Et dès lors, il fallut me faire des ennemis de tout genre, ou céder aux instances universelles. Dès lors aussi, les criailleurs réveillés ne manquèrent pas de répandre que je blessais de plein gré, dans cet ouvrage, la religion, le gouvernement, tous les états de la société, les bonnes mœurs ; et qu’enfin la vertu y était opprimée et le vice triomphant, comme de raison, ajoutait-on. Courage, mes bons amis ! Dans le Barbier de Séville, je n’avais qu’ébranlé l’État, mais dans ce nouvel essai plus séditieux je le renverse de fond en comble.

Et pourtant, messieurs, de quoi s’agit-il ? D’un grand seigneur espagnol amoureux d’une jeune fille qu’il veut séduire, et des efforts que la jeune fiancée, celui qu’elle épouse, et la femme du seigneur, unissent ensemble pour faire échouer dans son dessein un maître que son rang, sa fortune et sa prodigalité rendent tout-puissant pour l’accomplir.

Si j’avais voulu faire une tragédie de ce sujet, mettant un poignard à la main de l’époux, que je n’aurais pas nommé Figaro, dans sa jalouse fureur je l’aurais fait noblement poignarder le puissant vicieux ; et comme il aurait ainsi vengé son honneur dans des vers bien ronflants, et que ce jaloux, tout au moins général d’armée, aurait eu en son rival quelque tyran bien horrible et régnant tout au plus mal, on aurait crié bravo ! bien moral ! J’étais sauvé, moi et mon Figaro sauvage.

Mais ne voulant qu’amuser nos Français et non faire ruisseler les larmes de leurs épouses, de mon convenable amant j’ai fait un jeune seigneur à peu près comme les autres : brave, généreux, galant, un peu libertin. Mais qu’oserait-on dire au théâtre d’un seigneur, sans les effaroucher tous, sinon de lui reprocher légèrement un peu de galanterie ? n’est-ce pas là le défaut le moins contesté par eux-mêmes ? Voulant faire le mien coupable, j’aurais craint de lui prêter un seul des vices du peuple : je le pouvais pourtant, et je ne l’ai pas fait. Son léger défaut n’aurait amené aucun effet comique dans ma pièce, si je ne lui avais opposé l’homme le plus dégourdi de sa nation, le véritable Figaro, qui non-seulement se moque des projets de son maître, mais s’indigne le plus plaisamment du monde qu’il ose jouter de ruse avec lui, maître passé dans ce genre d’escrime.

Ainsi, d’une lutte assez vive entre la puissance, la prodigalité, tout ce que la séduction offre de plus entraînant ; et le feu, l’esprit, les ressources que l’infériorité piquée au jeu peut opposer à cette attaque, il naît un jeu plaisant d’intrigue, où le vicieux époux contrarié, lassé, harassé, trompé dans ses vues et toujours joué sous jambes, comme dit Figaro, est obligé trois fois dans cette journée de tomber aux pieds de son épouse, qui, bonne, indulgente et sensible, finit par lui pardonner ses fredaines. C’est ce qu’elles font toujours, les douces créatures ! Et voilà tout, oui, tout, mais absolument tout. Qu’a donc cette moralité d’indécent, je vous prie ?

Mais votre Figaro est une espèce de soleil tournant qui brûle en jaillissant les manchettes de tout le monde ! Cela est vrai, messieurs. Mais sachez-moi gré de ce qu’il ne vous brûle pas aussi les doigts. Au temps qui court, on a beau jeu sur cette matière. M’est-il permis, dites-moi, de composer la comédie en homme de vingt ans ? toujours de vous faire rire, sans jamais vous rien dire ? et ne devez-vous pas me passer un peu de raison en faveur de ma folie, comme on passe aux Français un peu de folie en faveur de la raison. Si j’ai jeté sur les sottises du siècle, en riant, ce qu’une légère fleur de gaîté permet de critique badine, ce n’est pas que je ne sache en former de plus sévères ; mais je les garde pour un des sujets les plus moraux du théâtre, aujourd’hui sur mon chantier, la Mère coupable ; et si l’horrible dégoût que j’éprouve ici permet mais de l’achever, mon projet étant d’y faire verser des larmes à toutes les femmes sensibles, j’y répandrai les traits de la plus austère morale, et j’y tonnerai fortement sur les vices de mes contemporains. Attendez-moi.

Telle est, monsieur le baron, mon opinion que je vous soumets, sur la décence au théâtre, et sur ce qu’on y doit permettre ou défendre. Je reprends ma narration, aussitôt que les comédiens ont eu reçu par acclamation ce pauvre Mariage qui depuis eut tant d’opposants, je priai M. Le Noir de me nommer un censeur, en lui demandant, comme une grâce particulière, que la pièce ne lût lue par aucune autre personne ; ce qu’il voulut bien me promettre, en m’assuranl que. secrétaires ou commis, aucun ne toucherait le manuscrit, et que la pièce serait censurée dans son cabinet. Elle le fut par M. Coqueley, avocat ; et je supplie M. Le Noir de vous mettre sous les yeux ses retranchements, sa censure et son approbation.

Six semaines après, j’appris dans le momie que ma pièce avait été lue dans toutes les soirées de Versailles, el je fus au désespoir de la complaisance peut-être forcée du magistrat, sur un ouvrage qui m’appartenait encore : parce que ce n’est peint là la marche austère et tidele de la grave censure.

Bien ou mal lue, ou commentée, on trouva la pièce détestable ; les uns disaient immorale, les autres la jugeaient un tissu de bêtises. El sans que je susse par où je péchais. parce qu’en n’exprimait rien, selon l’usage, je me vis à l’inquisition, obligé de deviner mes crimes, el me jugeant tacitement proscrit. Mais comme celte proscription de la cour n’avait fait qu’irriter la curiosité de la ville, je fus condamne de nouveau à des lectures sans nbre.

les fois qu’en voit un parti, bienlôl il s’en forme un second, et l’ouvrage ainsi débute, l’esté équivoque, jusqu’à ce qu’il suit totalement jugé au théâtre. C’esl ce qui m’est arrivé : autant de partisans que de détracteurs. 1 — 1 ba et puis rien. Je n’en ai pas moins remis tristementl’ouvrage au portefeuille, avec l’approbation d’un ci Dseur en arrière, le blâme’ avant, et le vœu du public impatienté de voir son attente abi

Un an après, des personnes dGnl je respecte les demandes, ayant désiré donner une fête à l’un des frères du roi, voulurent absolument qu’on y jouàl le Mariage de Figaro. Pour toute condition à ma déférence, je priai qu’on ne confiât la pièce très-difficile à jouer qu’aux seuls comédiens français ; du reste je laissais tout à la volonté des demandeurs.

Je ne sais vraiment quelle intrigue de cour alors sollicitée obtint, enfin amena la défense expresse du roi de jouer la pièce aux Henus-Plaisirs ; ou plutôt si, je le sais, je crois inutile de le din.i qui le sait beaucoup mieux que moi, Encore une fois, je remis patiemmenl la pièce en portefeuille, attendant qu’un autre événement l’en tirai : celui-ci n’a pas tarde. L’an dernier j’étais en Angleterre occupe d’affaires graves. H me vient et lettre et courrier. Il faut le Mariage de Figaro. Poi ? it de salut sans Figaro. C’est encori uni fête pour le frère du Roi. Si vous n’arrivez pas promplement, on jouera la pièci sansvous, les comédiens ayant leurs rôles. Je reviens à Paris, et, toul en rendant grâce de la préférence, j’objecte les défenses du roi ; l’on se charge obligeammenl d’eu obtenir la levée. Je demande alors pour toute condition qu’on me permette de faire cen urei de nouveau l’ouvrage ; on me trouve un peu bégueule a mon tour, et l’on va jusqu’à dire que je fais le difficile, uniquement parce qu’on me désire. Mais comme je voulais absolument fixer l’opinion publique par ce nouvel examen, je tins Juin, et le sévère historien M. Gaillard, de l’Académie française, me fut nomme pour censeur par le magistrat de la police.

La pièce approuvé ! de nouveau, je portai la précaution jusqu’à prévenir qu’elle ne devait pas être jouée pour la fête, sans que j’eusse avant la parole expresse du magistrat, que les comédiens français pouvaient la regarder comme appartenant à leur théâtre ; et j’ose ici certifier que cette assurance me lui donnée par M. Le Noir qui certainement croyait toul Uni, comme je dus le croire moi-même.

À mon grand étonnement, et pour prix de ma complaisance, de nouvelles et sourdes objections sortirent contre l’ouvrage du plaisir mesuré qu’il avait fait à Gennevilliers. Résolu de les attérer, je demandai de nouveaux censeurs à M. Le Noir qui voulut bien me répondre alors : que la pièce ayant été censurée et approuvée deux fois, M. le garde des sceaux pensait que le tribunal de censure et l'auteur étaient tous parfaitement en règle qu’il ne restait plus qu’à lever la défense de jouer donnée par le Roi, le jour des Menus-Plaisirs, et que lui M. Le Noir avait eu l’honneur d’en écrire à Sa Majesté.

Deux mois après, ce magistrat m’instruisit que le roi avait daigné répondre qu’il y avait (disait-on) encore des choses qui ne devaient pas rester dans l’ouvrage ; qu’il fallait nommer un ou deux nouveaux censeurs, et que l’auteur le corrigerait d’autant plus facilement, qu’on disait que la pièce était longue. M. Le Noir eut la bonté d’ajouter qu’il regardait cette lettre du Roi comme une levée de la défense de jouer la pièce aussitôt après l’examen des nouveaux censeurs, et je fus consolé.

Mais tout ce bruit, toutes ces variantes, ces ordres, ces contre-ordres, et l’adoption, et la proscription avaient tellement effarouché les censeurs, que beaucoup n’ont pas voulu seulement ouvrir le manuscrit : car en ce pays, comme dans les autres, loin de tendre la main au malheureux disgracié, tout le monde le fuit dans la crainte de glisser avec lui dans la fosse, etc., etc.

Enfin, à force d’instances réitérées de M. Le Noir, et de supplications de ma part, M. Guidi[3] s’est pourtant laissé aller jusqu’à promettre qu’il lirait le manuscrit, non pas comme censeur, uniquement comme un homme importuné de la demande, qui depuis 30 ans n’avait pas mis le pied au spectacle, et que son genre de vie et d’opinion rendait, disait-il, moins propre que tout autre à cet examen dramatique ; quand on ne peut pas avoir ce qu’on aime, il faut bien tâcher d’aimer ce qu’on a. Mais comment y parvenir avec un censeur qui refusait sèchement de communiquer avec moi sur son travail ?

Un quatrième censeur a été nommé par M. Le Noir, et par moi vivement sollicité d’en accepter l’ennui : M. Desfontaines, auteur dramatique lui-même, et plus poli que le troisième censeur, a bien voulu me faire part de son approbation, de sa censure et de ses retranchements auxquels je me suis soumis sur tous les points : mais comme il en a remis quelques-uns à la décision du ministre, je vous supplie, monsieur le baron, de m’accorder l’honneur et la faveur d’une courte audience à ce sujet.

De quatre censeurs qui m’ont recherché, bien épluché, bien taillé de leur lithotôme, trois ont exigé des changements que j’ai faits ; leur approbation était à ce prix. Le quatrième n’a pas voulu me dire un mot de son opinion, et l’on dit qu’elle m’est contraire.

En cet état, ne sachant plus s’il reste ou non des obstacles à la représentation d’une gaîté, devenue pour moi si triste et si contrariante, j’attends vos derniers ordres en vous assurant qu’aucune affaire aussi grave qu’elle fût ne m’a coûté autant de peines et de travaux que le plus léger ouvrage qui soit jamais sorti de ma plume.

Et s’il est vrai qu’il ne se fait nul bon mariage en ce pays sans de grandes oppositions, en lisant ce détail vous avouerez que si l’on juge de la bonté d’un mariage par ses obstacles, aucun n’en a tant éprouvé que le Mariage de Figaro.

Je suis, etc.

LETTRE

AUX AUTEURS DU JOURNAL DE PARIS [4].

Messieurs,

Tout en vous remerciant de l’honnêteté que vous avez mise dans l’examen du Mariage de Figaro, je dois vous reprocher une négligence impardonnable au journal institué pour apprendre à tout Paris, chaque matin, ce qui, la veille, est arrivé de piquant dans son enceinte. Si quelque accident avait frappé le plus inconnu des bourgeois appelés citoyens, vous l’indiqueriez à l’article événement : et la foudre a tombé jeudi dernier dans la salle du spectacle, ou cinq cents carreaux ou carrés de papier, lancés du cintre, et contenant la plus écrasante épigramme imprimée contre la pièce et son auteur, sans que vous daigniez en faire la plus légère mention ! Tout ce qui fait époque, messieurs, n’est-il pas de votre district ? À quel temps de la monarchie rapportera-t-on un jour cette ingénieuse nouveauté, si les journalistes en gardent le silence ? Il faut donc que je vous supplée, en rendant au public le chef-d’œuvre destiné à son instruction. Ce n’est point ici le cas de nommer le valet complaisant qui l’a fait, le maître engoué qui l’a commandé, le colporteur honoré qui nous l’a transmis : ils trouveront leurs noms et mes remerciements dans la préface de mon ouvrage.

Il suffit de montrer ici comment cette épigramme en est le foudroyant arrêt.

sur le mariage de figaro.

Je vis hier, du fond d’une coulisse, L’extravagante nouveauté

Qui, triomphant de la police,
Profane des Français le spectacle éhonté.
Dans ce drame effronté, chaque acteur est un vice :
Bartholo nous peint l’avarice ;
Almaviva, le suborneur ;
Sa tendre moitié, l’adultère ;
Et Double-Main, un plat voleur.
Marceline est une mégère ;
Bazile, un calomniateur ;
Fanchette, l’innocente, est bien apprivoisée ;
Et la Suzon, plus que rusée,
A bien l’air de goûter du page favori…
De madame, et mignon du mari.
Quel bon ton ! quelles mœurs cette intrigue rassemble !
Pour l’esprit de l’ouvrage, il est chez Brid’Oison.
Mais Figaro !… le drôle à son patron
Si scandaleusement ressemble,
Il est si frappant qu’il fait peur.
Et pour voir à la fin tous les vices ensemble,
Des badauds achetés ont demandé l’auteur.

On ne peut nier que cette épigramme, la plus ingénieuse de toutes celles qu’on a prodiguées à ma pièce, ne donne une analyse infiniment juste de l’ouvrage et de moi. Il eût été seulement à désirer que l’auteur, moins pressé de jouir des applaudissements du public, en eût plus soigné le français et la poésie. On ne dit guère en effet qu’un acteur est un vice, parce qu’un acteur est un homme et qu’un vice est une habitude criminelle.

Il n’est pas exact non plus de nommer l’adultère un vice. Si l’impudicité mérite ce nom. l’adultère qui n’en esl qu’un simple acte, une modification, est seulement un péché. Nous disons : Il a commis le péché d’adultéré, et mm le vice d’adultère, un eût peut-être encore montré plusde goût, eu on-tirant le ton de la comédie, m l’on eût l’ait grâce aux lecteurs Français des mots un peu hasardés de goûter du page favori, etc., etc. Mai— ce s’ait la de faibles taches dans un ouvrage aussi rempli d’esprit que de justesse ; et je ne lai— os remarques légères qu’en laveur des jeunes gens qui s’exercent beaucoup dans ce genre estimable.

Au reste, >i l’épigramme, arrivant du cintre du spectai le, a été reçue à grands coups de sifflets, l’auteur n’eu doit pas conserver une moins bonne opinion de son ouvrage et de sa personne. Les nouveautés même les plus piquantes ont de la peine à prendre, et je ne doute pas qu’enfin on ne réu sisse à faire adopter celle façon ingénieuse de s’emparer de l’opinion publique, et de la diriger sur les ouvrages dramatiques.

AT’ROI

La seule chose qui lût en mon pouvoir avant mon malheur était de ne le point mériter ; la seule qui me reste après m’ètre soumis avec respect au coup affreux qui m’a frappé esl de mettre humblement aux pieds de Votre Majesté les accents de ma douleur, et les preuves de mon innocence. Grièvemenl insulté dans eJourhal deParis par un anonyme, sous le nom d’un prêtre 5, j’ai cru devoir reprocher aux journalistes l’abus qu’ils faisaient de leur permission d’imprimer ; puis, voulant comparer les grand— obstacles que j’ai <ii vaincre, pour taire jouer une comédie, aux attaques multipliées qu’on dédaigne après le succès, de même que j’aurais dit :

Après avoir combattu des géants, dois-je marcher sur des pygmées ? ou bien :

Après avoir lutté quatre ans contre une armée à découvert, dois-je user ma force aujourd’hui contre un écrivain qui se cache ? Si j’ai préféré d’imiter la métaphore du Psalmiste : Super aspidem et basiliscum ambulabis, et conculcabis leonem et draconem 33, c’est que, répondant à un prêtre, elle s’est présentée la première à mon esprit ; dans le rapprochement figuré de ces deux genres d’ennemis, j’ai nommé ceux-là lions et tigres, parce qu’ils m’ont fait beaucoup de mal ; ceux-ci insectes de la nuit, parce qu’en effet c’est l’abus des presses nocturnes qui fait naître tous les matins ces viles insultes anonymes, qu’il serait bien à désirer qu’un sage règlement réprimât.

Par quelle horrible méchanceté s’est-on permis, Sire, de tordre le sens d’une phrase indifférente écrite au sujet d’une comédie, de façon à irriter Votre Majesté contre moi ? par quelle fatalité plus grande encore sont-ils parvenus à y réussir ? Voilà, Sire, ce qui confond ma raison, et me pénètre de douleur.

Le témoignage que je vais invoquer, pour montrer au roi combien en écrivant j’étais loin de l’exécrable clémence de vouloir offenser mes maîtres, ne saurait leur être suspect : c’est celui du plus noble surveillant des actions de tous leurs sujets, celui du ministre de Paris, de M. le baron de Breteuil ; je supplie ce sage administrateur de


Cette lettre, complétement inédite, se trouve aussi dans les manuscrits achetés à Londres pour le Théâtre-Français. La date manque, mais on peut aisément lui en trouver une du 25 mars au 15 avril 1785. Tout le monde sait, en effet, que Beaumarchais, victime enfin de la lutte où les taquineries du Journal de Paris l’avaient entraîné depuis quelques mois, préparait à cette époque un mémoire pour demander au roi justice de l’ordre d’incarcération que ses ennemis du Journal et de la cour de Monsieur avaient obtenu contre lui, et qui lui avait fait passer près d’une semaine à la prison de Saint-Lazare. La lettre donnée ici est ce mémoire. — Sur cet incident, qui clot l’histoire du Mariage de Figaro, voir de longs détails dans l’Introduction. Ed. F.

22. L'abbé Suard, frère du journaliste académicien. Ed. F.

33. Tout ceci se trouve dans sa lettre du 6 mars 1785 au Journal de Paris, qui amena le soir même son arrestation. Ed. F. l’autorité souveraine, de se rappeler toutes les démarches que j’ai faites auprès de lui, même avant qu’on ne jouât ma pièce, pour que Leurs Majestés fussent détrompées sur le mal qu’on disait de l’ouvrage.

Je le supplie de se rappeler que, depuis son succès, surtout depuis que je l’ai commenté, dans un discours préliminaire 1, désirant mettre cet ouvrage sous la protection de Leurs Majestés, j’ai tenté de le leur dédier sous la forme la plus circonspecte, et sans même oser les nommer ; que dans ma dédicace imprimée, laquelle est jointe à ce mémoire, j’en appelais à leurs lumières de la tromperie qu’un leur avait faite ; Sire, il y a loin de cette conduite respectueuse au crime affreux qu’on m’a prêté.

Je supplie M. le baron de Breteuil de se rappeler encore que, sur ses objections contre le projet d’une dédicace, je l’ai prié de mettre au moins la pièce et la préface sous les yeux de Votre Majesté quinze jours avant que le public les eut, afin qu’elle fût prévenue d’avance contre tout le mal qu’on dirait, ce qu’il m’a promis avec bonté. Tant de soins, de respects et de précautions, pour m’assurer au moins le suffrage tardif de mes maîtres, pouvaient-ils donc me laisser craindre qu’on abuserait indignement d’une phrase indifférente, et dirigée sur mes ennemis, pour irriter contre moi les augustes protecteurs que je ne cessais d’invoquer ?

Qu’il me soit permis, Sire, de joindre à ces preuves de mon innocence une démonstration tirée de mon intérêt personnel.

En supposant qu’il puisse exister dans la France un homme assez capitalement fou pour vouloir offenser le roi dans une lettre censurée, et publiée dans un journal ; ai-je donné jusqu’à présent des marques d’une telle démence, que l’on pût hasarder sans preuve cette accusation contre moi ? Dans quel temps encore l’ose-t-on ? Dans le moment où vos ministres, Sire, ont tous des mémoires entre leurs mains, par lesquels je réclame la justice de Votre Majesté, sur les demandes qui touchent le plus ma fortune et mon existence.

Dans l’instant où M. le Contrôleur général allait mettre sous les yeux du roi le résultat d’un travail de quinze mois, des commissaires nommés par Votre Majesté 1, pour déterminer la quotité d’une créance très-étendue sur l’État, que mes sacrifices et mon zèle ont formée il y a plus de sept ans, et pour laquelle je souffre sans me plaindre depuis 1778.

Dans le moment où M. le comte de Vergennes était supplié par moi de rappeler à Votre Majesté avec quel soin j’ai rempli, sur l’invitation pres-I. La préface du Mariage de Figaro* qu (il enfin de pa Ed. F.

-.mie de M. le comte de Maurepas, il y a cinq ans, une mission secrète et pénible, dont M. Le Noir lui rendra compte et pour laquelle le roi me doit plus de deux cent mille francs’, que j’attends patiemment dans le silence et le respect depuis cinq années révolues.

Dans le moment où j’ai remis à M. le baron de Breteuil un mémoire très-important sur la propriété des gens de lettres, dont le succès dépend de la justice et de la bonté du roi que j’invoque dans ce mémoire. Cherche-t-on à blesser le souverain qu’on sollicite ? Outrage-t-on son maître à l’instant même qu’on l’implore ? Je supplie Votre Majesté d’arrêter ses regards sur cette réflexion douloureuse, en se rappelant que je sors d’une prison dont le nom seul détruit toute considération personnelle.

Et c’est dans ce temps même où tous les intérêts qui peuvent échauffer une tête bien saine me prosternent aux pieds du roi ; dans le temps où mon amour-propre, ma fortune, mon existence, l’intérêt de la littérature, et l’intérêt plus grand de prouver à nos maîtres qu’on les a trompés sur moi, sur mon ouvrage, me font une loi impérieuse de me les rendre favorables ; c’est ce moment qu’on choisit pour les persuader qu’une phrase très-innocente sur une question littéraire, soumise à la censure, approuvée, imprimée, répandue sous l’égide même de la loi, n’est que l’absurde et l’insolent projet de les blesser publiquement. Heureusement, la préface de ma pièce existait longtemps avant ma lettre au Journal, et j’y ai fortement désigné quels étaient les lions et les tigres qui déchiraient mon œuvre et ma personne. Ce sont eux dont j’ai dit (page 14, édition de Paris) : Dès lors, les grands ennemis de l’auteur ne manquèrent pas de répandre à la cour qu’il blessait dans cet ouvrage, d’ailleurs un tissu de bêtise :  ;, la religion, le gouvernement, tous les états de la société, les bonnes mœurs, et qu’enfin la vertu y était opprimée, et le vice triomphant, comme de raison, ajoutait-on. Ce sont eux dont j’ai dit (même page) qu’ils abusaient l’autorité par les plus insidieux rapports, qu’ils cabalaient auprès des corps puissants, qu’ils alarmaient les âmes timorées, et dont j’ai repoussé l’intrigue pendant un combat de quatre ans. Ce sont eux dont j’ai dit (page 46) : Ils ont même épuisé jusqu’à la calomnie pour tâcher de me perdre dans l’esprit de tout ce qui influe en France sur LE REPOS D’UN CITOYEN. 1

Ce sont eux qui, après un premier essai de l’ouvrage, ont répété partout qu’il était d’une indécence à ne pouvoir être supporté, ce qui fit ori. Il s’agit ici de la masse

bés aux différentes archives,

emmagasinés à grands frais, :

de M. de Maurepas, lui eût e

bas, sur cette affaire, une nu

uni me de papiers et parchemins déroque Beaumarchais avait recueillis et ins que l’État, malgré les promesses corc rien remboursé. On trouvera plus velle lettre de Beaumarchais au roi. Ed. F. donner par Votre Majesté, qu’on me nommât d’autres censeurs, mais dont le suffrage a démenti tout le mal qu’ils en avaient dit.

Ce sont eux dont le crédit, sourd à la cinquième représentation de la pièce, a fait imprimer et jeter dans nos salles de spectacle une épigramme affreuse où j’étais traité comme un scélérat, parce que l’ouvrage qu’ils voulaient proscrire avait un assez grand succès 11.

Ce sont eux qui depuis ont osé altérer la forme et le fond d’un billet familier de moi, écrit à un de mes amis, pour persuader au roi que j’avais insulté un duc et pair 22, à qui je n’ai jamais eu l’honneur de parler ni de rien écrire.

Ce sont eux qui, ne sachant plus comment s’y prendre pour me nuire, ont fait courir le bruit que j’étais à la Bastille pour une plate chanson 33, qu’ils avaient probablement faite.

Ce sont eux enfin qui, dans la feuille de Paris, ont employé quatre fois la plume d’un anonyme, pour tâcher de me mettre en colère, et qui, ne pouvant y réussir, ont abusé d’une phrase de ma réponse étrangère à Leurs Majestés, et qui ne pouvait désigner qu’eux, pour parvenir à indisposer le roi. Tels sont les lions et les tigres contre lesquels j’ai combattu, comme l’insecte iil delà mut. et le lâche écrivain qui leur a vendu sa plume pour m’outrager dans le journal.

Si Votre Majesté, après m’avoir frappé dans son courroux, revenant bientôt à son généreux caractère, a porté l’indulgence jusqu’à me faire grâce, quoi qu’elle me crût encore coupable, à plus forte raison espéré-je qu’elle ne me refusera pas justice, en me retrouvant innocent ; et si le roi jeter les yeux sur l’horrible anathème dont sou courroux frappe un particulier, il ne pourra qu’être louché de la vivacité de ma prière. Iiaus ma douleur profonde, je sens bien vivement qu’après avoir été si souvent averti de veiller, parce qu’on me tendait mille pièges, si je n’ai pu m’en garantir, un monarque entouré de mes enn mis. sans défiance de leurs projets, ne pouvait être en sarde contre tant d’insinuations redou blées, ni repousser la prévention, seul crime des âmes honnêtes, comme a dit le grand d’Agu isseau mais j’avoue aussi, qu’élevé dans la douce habilude de croire que, lai-saut la rigueur aux tribunaux, l’auguste main de dos maîtres ne Iraçail j i |ie des grài es, je n’ai pu voir sans désespoir que Votre Majesté dérogeât, pour moi seul n alheureux ! a la plus touchante, à la plus sublime i ogatives royales.

I. V. Il lettre ri ti ite

. i., i, Villcquicr, a m 11’I’" « disait qu’il a » ’1’adressé une lettre ble i propo tle certaines dames qui ne voulaient voir le Figaro qu’en loge grillée, lettre réellement écrite au i ( id. ni Dupaty. V VIntro luction. Ed. F. . I.n elei son de’/,’ » /. contre le mandemenl de I

! lie I de Beaumarchais, car Gudin ne l’a pas oubliée 

. édition. On a pu la lire pins haut. Ed. I ■ Je me suis examiné, Sire, avec plus de sévérité que ne le pourraient faire vos magistral i sercés ; dans ces jours de douleur, mais non d’avilissement (qui ue peut naître que du sentiment du crime) auxquels m’a livré l’ordre de Votre Majesté, j’ose dire avec vérité que je n’ai rien trouvé en moi qui m’ait attiré ma di .nie il n’est point de coupable qui ne put tenir ee langage, le roi a un moyen de s’assurer si je le suis ou non. Qu’il daigne, et je l’en supplie ardemment, m’accorder l’accusateur établi par la loi, et des juges très-rigoureux pour examiner ma conduite, et me punir si j’ai commis un crime : je bénirai toute ma vie cet acte de justice, sans lequel je suis comme rayé de la liste des citoyens. Non que je veuille me plaindre, Sire, du lieu qu’on m’a choisi pour prison, et que j’ajoute dans mon malheur un sentiment de houle à la privation de la liberté ! On souillerait, on détruirait les vraies notionsde l’honneur si l’on supposait qu’un acte émané de l’autorité pût y porter la moindre atteinte. L’honneur ne peut être affaibli que par un jugement des tribunaux, parce qu’alors on est censé avoir pu et dû se défendre : ce que l’autoriténe permet pas. Si « ; e— vérités tutélaires pouvaient être oubliées nu méconnues de quelques-uns de vos sujets, elles se retrouveraient dans le cœur île Votre Majesté, dont la gloire est de régner par les lois sur le premier peuple du monde. Mais il est. Sire, des convenances sociales qui graduent en France les actes rigoureux du pouvoir, relativement à létal, aux fondions, à la fortune, aux emplois, aux travaux de chacun de ..— sujets ; et ces nuances sont chères à une nation soumise, aimante, mais libre et généreuse. • les mouvements d’une vie agitée, je n’ai jamais manqué aux devoirs de sujet fidèle et profondément respectueux ; si j’ai rempli ceux de citoyen attache a la patrie et aux lois, ceux d’homme bienfaisant, juste et religieux dans l’exécution dises engagements ; si, après d’horribles débats, j’ai triomphé devant la loi de tous mes lâches ennemis ; ce vain bruit, qu’on nomme renommée, ce mouvement où je suis comme lancé par la force des circonstances, ne fut jamais m être un crime.

J’oserais dire même qu’il a produit d’heureux effets, el j’invoquerais avec confiance, sur quelque bien que j’ai pu taire au dedans, au dehors du royaume, le témoignage de personnes très-considérables, honorées en différents temps de la confiance immédiate de Votre Majesté, si je n’étais certain que la calomnie acharnée depuis si longtemps contre moi s’efforcerait encore de changer en un sentiment d’orgueil ou de vanité le témoignage que tout homme qui a tait le bien a droil de demander aux antres. ou de se rendre enfin lui-même.

J’ai de plus. Sire, l’honneur de rendre, comme chef de tribunal[5], la justice à une portion de vos sujets, au sein de votre capitale, et dans votre propre palais.

Ma fortune et celle de mes amis, dispersée en soutenant sous vos yeux une grande et noble cause, a besoin pour être recueillie que mon nom, traité partout avec honneur, ne soit pas avili dans ma patrie. Elle enchaîne à son sort celle de plus de cinquante familles de commerce qui ne doivent pas souffrir de la malveillance de mes adversaires ni de mes fautes, si j’en avais commis. Dans ce moment même créancier de l’État pour des sommes considérables, dont la liquidation et le payement prochain intéressent essentiellement un grand nombre de vos sujets, cette qualité de créancier me plaçait plus particulièrement sous la protection immédiate de Votre Majesté. Un instant m’a ravi cette récompense honorable des travaux de ma vie entière. Peut-être en ce moment n’est-il pas même un seul ministre qui, pour me sauver de ma ruine, osât vous prononcer mon nom, quoique les suites de ma détention rendent plus pressant mon besoin de leur justice et de la vôtre.

Puissé-je, Sire, être le dernier exemple d’une détention si malheureuse ! mais telle a été sa nature, qu’on m’accuserait partout d’une lâche insensibilité, si je ne faisais les plus grands et les plus respectueux efforts auprès de Votre Majesté pour essayer d’en obtenir ce qui peut seul dissiper aux yeux de la nation, de l’Europe, et de l’Amérique, le nuage dont cette détention a couvert et ma personne, et mon crédit.

Un ordre de votre propre mouvement, en m’enlevant de ma maison, m’a tout ôté. Un ordre de votre propre mouvement, en m’y faisant rentrer, ne m’a rien rendu. Mon respect et ma soumission m’ont fait obéir aux deux ordres, quoiqu’un profond sentiment de l’honneur m’ait forcé de résister d’abord à l’exécution du second. Mais si je suis coupable du crime irrémissible à tout Français d’avoir manqué de respect au roi, je ne suis pas assez puni par une prison fâcheuse, et la perte de mon crédit : la mort légalement prononcée était ma juste punition. Si je suis innocent, mon silence, ma douleur, une retraite volontaire à laquelle je dois me condamner dans ma propre maison invoqueront constamment votre justice. Elle est la propriété de vos sujets ; et le roi de France est trop grand pour jamais descendre à la moindre injustice. Un mot de sa volonté a suffi pour écraser le plus soumis de ses sujets, sans rien ajouter à l’idée de sa toute-puissance ; mais il en donnerait une sublime de sa justice, et qui le ferait bénir à jamais, s’il daignait ordonner à un tribunal sévère de juger l’accusé dans toute la rigueur de la loi. Cet accusé l’en supplie à genoux. Il ose croire que Votre Majesté, toujours grande et généreuse, daignera regarder le parti qu’il a pris d’attendre et de souffrir en silence, comme une supplique muette et touchante d’être mis en jugement, tant qu’un mouvement de bienveillance ne portera pas Votre Majesté à montrer d’elle-même qu’elle est persuadée de son innocence.

Je suis avec le plus profond respect,

Sire,

De Votre Majesté,

Le très-humble, très-obéissant et très-respectueux serviteur et sujet,

Caron de Beaumarchais.

À S. M. LE ROI DE SUÈDE

En lui envoyant la belle édition du Mariage de Figaroet mon Mémoire justificatif au roi[6].

Sire,

Après avoir généreusement défendu, protégé cette Folle Journée, qui depuis m’en a causé de si tristes, daignerez-vous, Sire, en accepter un exemplaire plus digne de votre bibliothèque que celui que mon meilleur ami vous a présenté de ma part ? Accoutumée à juger sainement de tout, Votre Majesté ne sera pas surprise que je sois forcé de saisir l’instant le moins heureux de ma vie pour mettre à ses pieds l’ouvrage le plus enjoué de ma plume.

La douleur, Sire, est sortie de la joie, et la gaieté même a produit l’amertume. Si Votre Majesté se rappelle tout le mal qu’on avait dit de la Folle Journée à nos maîtres, elle se souviendra aussi que c’était presque un crime à la cour que de justifier cette pièce ; et ma préface, qui prétend à l’honneur dangereux de le faire, a donné plus d’humeur, s’il se peut, que la comédie elle-même.

Sitôt qu’on l’a connue, Sire, mes ennemis ont calculé que, s’ils pouvaient seulement tromper le roi, l’irriter bien fort contre moi, en tordant l’expression d’une lettre insérée dans le Journal de Paris, ils obtiendraient l’anéantissement de la pièce et de la préface : ils se sont trompés, Sire, en un seul point. La proscription qu’ils appelaient sur mon ouvrage n’a foudroyé que ma personne ; et, par une suite de la bizarrerie attachée à cette production, la pièce a continué d’avoir un libre cours, pendant qu’on arrêtait l’auteur. Mais comme ce n’était pas tout perdre pour la haine, ma disgrâce l’a consolée ; je le serai moi-même infiniment, si le malheur qui m’a frappé ne vous laisse pas, Sire, l’impression fâcheuse que je l’ai mérité. Pour parvenir à l’éloigner, je vous supplie humblement, Sire, d’agréer l’hommage respectueux de mon Mémoire au Roi, avant même qu’il l’ait reçu. Tous mes amis qui le connaissent espèrent avec moi que Sa Majesté, détrompée, me rendra enfin la justice qu’elle ne refuse à personne.

Il appartenait à madame la comtesse de Boufflers de sentir, d’apprécier la résolution que j’ai prise, de me constituer prisonnier volontaire dans ma propre maison, jusqu’à ma justification démontrée[7].

Elle m’a fait l’honneur, Sire (et je me pare aux yeux de Votre Majesté de cette faveur honorable), de venir, avec madame la comtesse Amélie, réapprendre de vive voix combien elle approuvait ce parti. Un suffrage aussi respecté m’en garantit bien d’autres à Paris ; et j’ose penser qu’il m’en promet d’inappréciables à Stockholm. Je suis avec le plus profond respect,

de Votre Majesté,

Sire, etc.

POLITIQUE ET ÉCONOMIE POLITIQUE

MÉMOIRE SUR L’ESPAGNE’

(1764)

Si, au sortir d’une éducation cultivée et d’une jeunesse laborieuse, mes parents eussent pu me laisser une entière liberté sur le choix d’un état, mon invincible curiosité, mou goût dominant pour l’étude des hommes et des grands intérêts, mon désir insatiable d’apprendre des choses nouvelles et de combiner de nouveaux rapports m’auraient jeté dans la politique. Si, approuvant ma destination, ces mêmes parents eussent été à même de me choisir un patron pour marcher sous ses yeux dans cette carrière, j’aurais désiré de rencontrer en lui un ministre aussi plein de génie qu’aimable et accessible. Mais j’aurais voulu qu’il fût si grand seigneur lui-même, et tellement comblé des grâces de son maître, qu’on ne pût jamais le soupçonner de tenir au ministère que par le noble desir de le remplir dignement, et d’être couché sur la liste des grands hommes. Et enfin, si j’eusse été bien conseillé, j’aurais préféré de commencer mes études et mes courses par l’Espagne, afin que la rudesse de l’apprentissage me rompît au train des affaires en moins de temps.

Le hasard m’a mieux servi que n’aurait pu faire toute la prudence humaine. Je suis libre et garçon. M. le duc de Choiseul est à la tête du ministère de France. Je suis arrêté forcément en Espagne : qui m’empêche de me placer moi-même, comme il serait arrivé si j’avais présidé à l’assemblage de toutes ces circonstances favorables ? Commençons. Les intérêts que j’avais à démêler en Espagne étant de nature à exiger plus de courses et de sollicitations que de travail d’esprit, je me suis cher

[8]

ché un objet d’émulation qui fit diversion à tout l’ennui d’un voyage pénible et d’un séjour forcé dans le plus ingrat pays de l’univers. L’intérieur de l’Espagne, trop longtemps négligé par les étrangers, est devenu, depuis l’importante opération du pacte de famille, un objet intéressant à bien connaître pour les Français. La liaison naturelle des deux souverains n’ayant pas encore entraîné celle des peuples, qui se connaissent à peine, ainsi que leurs ressources respectives, c’est à la nation la plus active qu’il convient d’étudier l’autre, et de tirer un grand parti de ses observations.

Cette idée a fait naître en moi celle de devenir observateur ; je ne sais si je me suis trompé sur la définition de la science qu’on nomme politique, mais je l’ai envisagée sous ces deux points de vue : politique nationale et politique de cabinet ; et c’est la marche que j’ai suivie dans mes observations.

1o J’ai cru qu’un observateur national devait connaître à fond le génie du peuple pris en général, qui influe toujours plus qu’on ne croit dans les affaires publiques : les moyens du gouvernement, tant en guerre qu’en finance, d’où découlent les propositions ou demandes que nous pourrions avoir à lui faire ; les ressources du commerce intérieur et extérieur, d’après lesquelles nos avantages sur lui doivent se combiner ; les forces effectives de la marine, dont la nôtre doit recevoir de la consistance, et nos colonies peuvent tirer une grande utilité en cas d’association ; les productions naturelles du pays, différentes ou semblables aux nôtres, branche qui porte celle des manufactures, et qui, eu total, peut être la source d’un commerce d’utilité réciproque entre deux nations alliées, mais qui tourne toujours au profit de celle qui a le mieux senti cette utilité.

2o J’ai cru qu’un observateur de cabinet devait s’unir d’intérêt avec le ministre qui l’emploie ou pour lequel il travaille d’office, et dire : la politique du cabinet se réduit à deux points généraux : barrer ses ennemis, et dominer ses alliés ; l’étude du premier appartient à celui qui observe une nation rivale ; le second est l’emploi de celui qui réside chez un peuple uni politiquement avec nous. J’ai cru surtout que la parfaite connaissance du personnel de tous les gens en place était la première science qu’un observateur de cabinet devait acquérir, car on traite bien moins avec l’état des hommes qu’avec leur caractère. Voilà donc la tâche que je me suis imposée. Mais un particulier sans mission est souvent obligé de deviner ce qui fait mouvoir les machines d’un théâtre dont il ne voit que la décoration : il peut errer plus facilement que celui qu’une instruction perpétuelle met au fait des motifs. Cette raison aurait dû m’empêcher de donner le titre et la forme de mémoire à des observations où la première liaison nécessaire manque souvent. Mais on me l’a ordonné, et l’homme qui se dévoue doit servir ses maîtres a leur manière. Je demande grâce sur le style, parce qu’il s’agit moins ici de ma manière de dire que de ma façon de voir.

Le pacte de famille, ayant changé une partiedu système de l’Europe, a semblé mettre beaucoup de poiils dans la balance de la France, et l’union intime de deux puissances formidables n’a pas laissé que d’inquiéter les Anglais. Malgré leur air d’assurance, ils ont redoublé d’ell’orts pour se faire un appui certain de toutes les puissances du Nord. Aussi l’on peut diviser l’Europe en deux parts et regarder Vienne, Paris et.Madrid comme étant en opposition avec Londres, Berlin et Pétersbourg. Mais les politiques éclaires voient facilement que l’union de la France avec l’Autriche ne peut avoir une véritable consistance, et ceux qui connaissent bien l’Espagne savent assez quel peu de fonds on doit taire sur des secours réels de sa part. Ainsi dans une occasion pressée la France doit craindre de rester seule In rée à ses propres forces, pendant que l’Angleterre, la Prusse et la Russie feront des efforts nbinés très-réels contre elle. Voilà le tableau général : niais dans cet état des choses, et en suivant le véritable esprit du pacte de famille, il convient de tirer le meilleur parti possible de notre alliée l’Espagne, soit en l’employant utilement, suit en en taisant au moins uu épouvantail.

Cette nécessité admise, les intérêts de la France me paraissent porter sur deux fondements en Espagne, dont ou ne doit [dus s’écarter : 1° d’augmenter à toutes voies l’union politique des deux puissances ; 2° de donner au conseil de France le plus d’ascendant qu’on peut sur celui d’Espagne. Le lien politique ne pourrait que se serrer, si l’on fournissait à l’Espagne une occasion toujours prochaine d’entrer en querelle personnelle avec les Anglais. El c’est ce que l’auteur du pacte de famille a très-bien aperçu lorsque, dans le traité de Fontainebleau, il a donné à l’Espagne, en échange de la Floride cédée aux Anglais, la partie de la Louisiane baignée à l’orient par le Mississipi : province détachée, de peu de valeur pour la France et vrai flambeau de désunion entre des rivaux aussi combustibles que les Anglais et les Français. Je regarde donc comme le trait le plus délié de la politique du ministre de France d’avoir par celte cession mis en quelque façon aux POLITIQUE ET ECONOMIE POLITIQUE.


ilà doue la lâche i prises les Espa particulier nols et les Anglais. Ces deux puissances, dont les possessions étaient très-distantes, ne pouvaient guèn se brouiller que relativement aux querelles des Français ; niais aujourd’hui que les Anglais gênent les retours de toul le golfe du Mexique, el bloquenl en quelque façon la Havane parla possession de la Floride qui les rend maîtres absolus du canal de Bahama : aujourd’hui que ces hardis marins ont enfin acquis la liberté de la navigation du polie, à cause de la Mobile et Pensacola qui leur appartient ; aujourd’hui que le voisinage des deux Louisianes anglaise et espagnole favorise d’une part le commerce d’interlope, et que le projet de franchise du port de P tend à diminuer perpétuellement les revenus que les Espagnols tiraient <f> Indes Occidentales, la France me parait avoir acquis tontes les sûretés possibles que l’Espagne aura toujours, outre sa liaison avec nous, plus de sujets qu’elle n’en voudra d entrer pour son propre compte en querelle avec le— Anglais : ce qui resserre nécessairement le nœud politiq [ui la lie à la France. Je dis le nœud politique, car c’est toujours relativement à troisième que deux puissances s’unissent ; tout autre projet d’union qui porterait sur des objets personnels à chaque confédéré comme cullivation, manufactures, commerce, etc., serait illusoire, et irait diamétralement contre le but de l’association politique, qui est de garantir s i hacuii, par la réunion des deux forces combinées, ce qu’il possède contre les efforts d’un tiers ou même de s’agrandir à ses dépens. Le traité de Fontainebleau a donc mis l’Espagne dans la position la plus avantageuse pour nous, au regard des Anglais. La seconde base du système actuel est, comme je l’ai dit, d’augmenter tant qu’on pourra l’ascendant du conseil de France sur celui d’Espagne. Mais j’avais eu d’abord une grande difficulté, c’est la haine naturelle que le peuple espagnol nous porte, soit en rais le son infériorité en tout genre, soit à cause du profond mépris que les Français ont toujours ouvertement affecté pour les usages espagnols ; or la haine qui acquitte le mépris est longtemps invincible, el tout ce qui compose les conseils d’Espagne esl absolument peuple en cette partie.

Il est certain que tout le génie du ministre de France n’a pu encore assujettir que celui d’un « les ministres que nous avons vu ambassadeur à Paris. Le l’esté de la nation est partie indignée de se voir mêlée dans la querelle des Français qu’elle déleste, et partie livrée à la cabale italienne qui fail les plus grands efforts pour arracher l’Espagne a la France afin de la dominer seule. La famille royale est entourée, et les conseils sont pleins de gensqui fomentent et nourrissent cette aversion. On ne voit à Madrid dans la liaison île la France que la houle de la campagne de Portugal qui a dévoilé la turpitude espagnole, celle de la perte de la Havane et de cent quatre-vingts millions de piastres que la guerre a enlevés ; sans compter l’embarras de maintenir et défendre la Louisiane dont véritablement ils ne savent que faire.

Le Gênois Grimaldi, en le supposant même attaché de bonne foi aux intérêts de la France, est bien éloigné du crédit dont il s’était flatté en entrant en place.

Le Sicilien Esquilace, à la tête de la guerre et des finances, parties aussi délabrées l’une que l’autre, n’en a pas moins conservé sur le roi tout l’ascendant qu’il avait acquis à Naples, en forçanl les douanes, et en augmentant les revenus du prince aux dép i aerce et de la nation. Calculateur vieilli, concussionnaire blanchi dans les obscures combinaisons de l’intérêt numéraire. la raison politique et le bien général, non-seulement lui échappent, mais il les met au-dessous de tout. Le Grimaldi paresseux et peu éclairé, n’ayant que des moyens faibles pour balancer les vues étroites de ces âmes resserrées dans leur travail économique, s’est vu blâmé de tous ses traités à Madrid, et bientôt réduit au cercle étroit de sou département étranger dont la France est la partie la plus considérable.

Son rival, Esquilace, resté en possession de tout le crédit, ne lui a pas pardonné d’avoir tendre un instant à la prééminence, et se sert de son ascendant sur le roi pour barrer Grimaldi dans presque toutes ses vues. Il est même de notoriété à Madrid que, lorsqu’un ambassadeur, après s’être adressé à Grimaldi, ne va pas exposer ses demandes à Esquilace, il se voit ballotté et n’obtient presque jamais ce qu’il désire ; aussi sont-ils" tous ; i bien stylés a ce double travail qu’ils n’y manquent jamais:c’est un aveu qu’ils font volontiers et sans mystère. Il en est de même des particuliers que du corps diplomatique. Or le principal objet d’Esquilace étant de renverser Grimaldi, et celui-ci tenant beaucoup plus à sa place qu’à ses liaisons avec la France, on peut conclure qu’il n’est en Espagne qu’un très-faible appui pour notre système politique.

Voilà quels sont les deux premiers ministres d’Espagne; le bailli d’Ariéga, qui est le troisième te delà marine, ne doit être compté pour rien, si l’on en excepte la profession publique qu’il fait de haïr souverainement les Français. On en peut dire autant de tout ce qu’on appelle les conseils de Caslille, des Indes, d’IIazienda, etc. Le roi, d’un esprit assez borné, presque isole par sa méfiance générale, et tourmenté surtout de la crainte d’être dominé, si puissante sur les esprits faibles, ne laisse à tout ce qui l’approche qu’un crédit fort précaire sur ses résolutions. Ses ministres mêmes, avec une apparence de despotisme qui en impose aux sots, n’en sont pas moins devant lui comme de timides valets devant un maître aussi méfiant qu’absolu. Ses favoris ue soutiennent leur crédil illusoire qu’en n’en faisant aucun usage. Un seul homme balance toul le monde en: c’est Piny, valet de chambre chéri, le si ni a qui | ( roi se plaise à ouvrir son âme et avec qui il pa-se tous les jours enl res sur 24 ; c’est par cet homme aussi important qu’obscur que j’ai acquisla plus parfaite connaissance du car ; ce prince. Mais bois les ministres, Piny, et quelquefois le c-iil.---.-ui’pour les matières ecclésiastiques, il n’y a personne qui ose parler d’affaires au roi, ni qui influe en rien sur les décisions importantes.

— ce tableau, on sent qu’un moyen qui mettrait le ministre de France à portée de compter sur la personne du roi, et’le diriger en quelque façon sa volonté, le rendrait le— maître absolu des affaires d’Espagne. J’en vais parler lorsque j’aurai dit encore un mol sur quelques autres obsvaincre. Outre I éloignement de la nation pour nous et le peu de crédit que l’on a sur le roi d’Espagne, ce prince laisse élever son fils aîné dans une telle haine des Français, qu’en aucune occasion il n’en veut même parler la langue avec personne, quoiqu’il la sache fort bien, et l’on remarque qu’il ne manque jamais de dépriser tout haut les Français et d’en dire du mal lorsqu’il est que-lion d’eUX.

Cette haine, qu’il doit à son éducation, i —t un des points les plus opposés aux suites du système actuel, et les gens les plus raisonnables pensent que si le roi mourait ou devenait hors d tenir les rênes, ce qui n’est pas aussi peu vraisemblable qu’on pourrait le croire, la France aurait bien de la peine à conserver la bonne intelligence qu’on a crue cimentée solidement par le pacte de famille.

Maisle prince des Asturi — esl jeune; à l’instant d’être marié, il va prendre en quelque façon une nouvelle âme, et c’est le temps de cette première effervescence des passions qu’il faudrait mettre à profit pour détruire les injustes préjugés de — a enfance. Peut-être que les vues dont je vais vous entretenir peuvent opérer les deux bons effets d’il liiiner le père et de ramener le lil-. Les circonstances sont devenues très-favorables. Le mariage de l’infante de Parme, arrête, à ce qu’il semble, sur les sollicitations de la reine-mêre, méritait bien d’avoir été combiné par les politiques français, et si je pouvais deviner plus d’ascendant au ministre de France sur les délibérations de Madrid, je n’hésiterais : r que M. le duc ul a fait encore ce coup d’habile homme, de fixer la préférence sur une princesse aux trois quarts fi a) le ruiner par ce choix les projets ennemis qui avaient fait penser à l’infante de Portugal.

Au reste, le projet dont je veux parler n’est point ronde sur des aperçus chimériques, mais sur des faits certains, et vous avez vous-même donné saDS le savoir, Monseigneur, une forte impulsion à cette machine en écrivant au nom du roi de France, à Madrid, en faveur de madame la marquise de ***. Le roi d’Espagne, pressé par un heureux mouvement de bienveillance pour cette dame, et désirant lui faire des avantages dont personne ne pût s’autoriser pour en demander de pareils (car il est dans les principes et le caractère de ce prince de n’innover sur rien), a fourni lui-même l’idée de se la faire recommander par le roi de France…

Mais reprenons les choses de plus loin et disons tout, puisque nous avons commencé à parler : une demi-confidence n’est qu’un bavardage aussi malhonnête pour celui à qui on le l’ait, qu’inutile au bien des affaires qu’on traite ; cette partie de mon mémoire sera donc expressément confiée à la discrétion de M. h 1 duc de Choiseul et non au ministre du roi de France.

Le roi d’Espagne, faible, obstiné, méfiant et dévot, menant une vie de braconnier, n’en sent pas moins très-souvent le besoin d’être amusé. L’ennui, celle maladie de tous les rois, se fait plus vivement sentir à lui qu’à tout autre. Vingt fois ses regards ont cherché dans les personnes qui l’entourent un objet dont les agréments, l’esprit et l’attachement puissent le tirer de la triste monotonie de la vie qu’il mène ; une autre maladie, qui afflige assez ordinairement les vigoureux dévots, le ferail incliner volontiers du côté d’une femme pour se l’attacher de préférence. Mais le souvenir de l’empire que la reine Amélie s’était arrogé sur lui, et la crainte d’être subjugué par quelque esprit de la trempe de celui de sa femme, l’ont toujours arrête. L’inquiétude du roi, secrète pour tout autre, n’a pu l’être longtemps pour son valel de chambre favori. Celui-ci. Italien et rusé, a forl bien pensé que s’il pouvait diriger l’attention du roi sur une femme d’esprit, il acquerrait par elle un double appui dan— le cœur de son maître, dont il ne se croit guère plus sur que les autres. Les liaisons intimes où mes affaires m’avaienl conduit avec lui, et sa confiance en moi, l’ayant engagé à s’ouvrir sans réserve sur cet important objet, je compris sur-le-champ de quelle importance pour mon pays serait le choix d’une femme habileque l’on pùl gagner, et en gager à lier secrètement sa partie avec le ministre de France, el e bien celui à qui j’avais destiné tout le fruit de mes observations trouverait dans cette liaison d’avantages pour le soutien de son pacte de famille el d’illustration pour son ministère : en conséquence je lis tomber adroitement les regards de mon homme sur une femme que je lui désignai, en semblant les parcourir toutes ; et feignant ensuite de m’y arrêter par hasard, je lui prouvai sans peine que cette femme remplirait : rveille toutes les i ditions désirées, si on pouvait la défi rminer elle même, ouvrage dont je proposais dé me charger, étant assez avant daus sa confiance. Notre projet arrêté, pendant qu’il s’occupait à faire sur le roi l’essai que j’avais fait sur lui-même, je travaillai sérieusemenl à faire naître dans le cœur d’une femme d’esprit, ambitieuse, et telle qu’il n’était pas possible de mieux choisir, le désir, d’augmenter la fortune de son mari, de se rendre utile au royaume livre a l’exaction et plongé dans l’ignorance. Je flattai son amour-propre et le roman de sa tête, en lui montrant quelles suites glorieuses pourrait avoir une liaison sage avec le roi, par laquelle ce prince, naturellement ami du bien et dirigé par elle, prendrait toutes les voies ouvertes pour tirer son vaste État de la léthargie qui eu anéantit les forces. Mais celte dame ne se jugeant pas assez forte pour conduire toute seule un plan aussi étendu, et ne voyant autour du roi personne qui ne dùtyêtre contraire, tremblait de s’y livrer, lorsque je l’ai rassurée en la flattant sur la correspondance secrète qu’elle pourrait entretenir avec vous, Monseigneur, qui de loin, par quelque agenl secret, dirigeriez toutes ses démarches au bien îles deux nations, et surtout à la conservation de la ligue contre les Anglais, à qui elle porte la haine la plus cordiale.

t’.l sur l’objection d’une vie scandaleuse avei le rui, qui répugnait entièrement à ses principes et à son goût, je la fixai entièrement en l’assurant que, loin de faire entrer pour quelque chose l’oubli des devoirs dans mon plan, je n’avais jeté lesyeux sur elle qu’afin d’être plus certain que cela n’arriverait jamais. Je lui prouvai que le roi, faible et dévot, pouvant être a tout moment arraché au plaisir par le remords, l’édifice fondé sur uni’liaison vicieuse était exposé à s’écrouler au premier choc du confesseur ; au lieu qu’une rigueur adoucie par les charmes d’une agréable société, et une union fondée sur l’estime el soutenue par le respect qu’elle lui inspirerait, sérail un moyen bien plus sur pour le gouverner, qu’une faiblesse qui le mettrai ! toujours eu guerre avec sa conscience. Le favori du roi, aussi heureux que moi, eut le plaisir de découvrir que ce prince avait plus d’une fois distingué notre héroïne de la foule. Aussitôl que le roi se fut misa son aise en lui faisant cet aveu, toutesles nuits —e passèrent a en parlerouày rêver. Enfin, paraissant vaincu par son inclination et désirant que l’iny entamât la négociation, il lui ordonna d’écrire à la dame el de l’enu’auei’a se rendre à Saint-Ildefonse pour solliciter elle-même la justice du roi sur une dette de son mari. Je l’obligeai à partir sur-le-champ. Mais aussitôt que le roi la sentit près de lui, l’inquiétude commença à le tourmenter, il donna el rétracta dix fois l’ordre de lui parler de sa part et de l’inviter à le voir en secret ; el semblable aux enfants qu’une subite terreur empêche de se livrer aux choses qu’ils oui le plus désirées, quand une occasion naturelle se présentai ! de voir celle qu’il aimait, le roi trouvait plus de raisons pour éluder ce moment, qu’il n’avait mis de soin à le faire naître et, le danger une fois passé, il semblait ne sortir d’une espèce de suffocation que pour passer à une profonde tristesse. Tous ces symptômes d'une grande passion, aussi bien jugés par son favori que par moi, nous déterminèrent à saisir le premier ordre qu’il donnerait de parler de sa part, pour l’apporter sur-le-champ sans lui donner le temps de se rétracter, ce qui arriva bientôt : mais alors je fis refuser tout net par la dame de répondre à ce désir, afin que le roi s’occupât plus de nos refus que de son irrésolution, et que sa passion augmentât par la difficulté de la satisfaire, ce qui n’a pas manqué d’arriver. C’est là le point d’où il est parti pour imaginer et faire donner à sa belle le conseil de se faire recommander par le roi de France, car cette dame n’est autre que madame la marquise

      • ; ensuite, pour commencer à la toucher,

le roi a décidé tout seul, au grand étonnement des ministres, une commanderie de Saint-Jacques pour son mari, et lui a assigné une pension, outre une croix de diamants magnifiques qu’il lui a fait donner par son frère, l’infant don Louis, que lui-même avait désigné pour être parrain du marquis. Lors de sa réception, la lenteur des recommandations attendues de France l’ont impatienté cent fois, et surtout celle des longues formalités qu’elles devaient avoir pour arriver ministériellement jusqu’à lui, quoiqu’il sût par son favori qu’on avait travaillé efficacement en France pour les obtenir. En dernier lieu encore, pour attirer cette dame au palais et avoir de plus fréquentes occasions de la voir, ne pouvant créer de nouvelles dames d’honneur pour sa bru, parce qu’il y en a déjà une infinité sous la remise, il a pensé à lui faire proposer par Piny de demander les honneurs du palais et une pension, sans assujettissement au service. L’affaire en était là lorsque je suis parti pour revenir en France ; je la laissai irrésolue de se livrer aux vues que je lui avais inspirées, jusqu’à ce que je pusse l’assurer de Paris que sa partie se lierait quand elle voudrait avec M. le duc de Choiseul.

ESSAIS

MANUFACTURES D’ESPAGNE’

Vous m’ordonnez, madame, de jeter sur le papier tout ce que je pourrai me rappeler de notre i . Cet Essai n’est pas le seul du même genre, dans les manoserits du Théâtre-Français ; mais il est le plus curieux. On j verra, comme il le dit lui-même dans une lettre de ce temps-là, avec » quelle facilité de conception » il s’assimilait tout, et se mettait à même de parlerde tout. Sur la marge, il a écrit cette note : « En 176’», M. de Grimaldi , ministre d’Espagne, content de mon mémoire sur la conversation d’hier au soir. J’obéis : mais je vous préviens d’avance que si vous désirez l’aire quelque usage de ces débris, vous en serez forl met ontente lorsqu’ils ne seront plus échauffés par le feu du dialogue. Je ne puis que tracer froidement des idée-, sérieuses dont le fond vous appartient presq a entier, et que vous reconnaîtrez à peine, dépouillées de ce sel et de cet agrément que -vous y répandiez vous-même par la rapidité de vos répliques et la justesse de vos réflexions. Mais je "is déjà votre modestie s’offenser et repousser les dures vérités que je viens de lui dire. Dans la crainte de vous déplaire davantage, je me presse d’entrer en matière.

ESSAIS SUR L’ESPAGNE.

Article I er . — Il n’y a pas un homme raisonnable, lorsqu’il voyage en Espagne, lorsqu’il s’applique à connaître le pays, se- productions, le génie de ses habitants, qui ne tombe dans le plus grand étonnement de voir les Espagnols dans l’éternelle dépendance de leurs voisins, avec autant de moyens naturels de les y tenir eux-mêmes, ou tout au moins de se mettre au pair.

On sent assez que par le mot de dépendance je n’entends pas parler de cette servitude ou vassalité qui choque si fort l’amour-propre des peuples qui y sont réduits, mais d’une dépendance moins sentie qu’elle n’est réelle et qui sort de ces premiers principes de saine politique : 1° que toute nation qui paye les demies et surtout les choses de main-d’œuvre d’une autre, à prix d’or ou matière précieuse, est dans la dépendance de celle qui les lui fournit ; 2° que le peuple qui troque ses denrées et ouvrages contre ceux de ses voisins, sans bourse délier, est au point d’égalité avec eux. Ils sont dans une dépendance réciproque. Art. 2. — Or, on ne peut pas se dissimuler que l’Espagne ne soit dans le premier de ces deux cas, à l’égard de tout le monde. Les Français, par leurs étolfes, leurs modes, leurs bijoux ; les Anglais, par leurs draps, leurs blés, leur poisson salé, leur horlogerie et autres ouvrages métalliques ; les Hollandais, par I’affluence des marchandises de tous les pays du monde, dont ils sont les courtiers, asservissent l’Espagne. El ce royaume fournit aujourd’hui la preuve la plus complète que c’est moins la bonté, la quantité des matières premières, l’abondance inépuisable des mines d’or et de diamants qui fait la richesse d’un pays, que l’industrie, l’agriculture et le commerce de ses habitants.

Louisiane, me pria île faire un petit voyage aux diverses manufactures de soie, de laine et d’étoffes, qui languissent eu Espagne, et de jeter mes idées sur le papier, pour être ensuit.- traduites en espagnol, si le roi les approuvait. A mon retour, je fis ce mémoire, dont le roi a gardé la minute française, en envoyant la traduction espagnole au conseil d’Hacienda. » Ed. F.

Art. 3. — Celui qui aperçoit cet étonnant phénomène de l’Espagne est tenté de douter qu’il puisse exister dans un siècle plus éclairé que les siècles d’Auguste, de Léon et de Louis XIV. Lorsqu’il voit un pays qui fournit la laine la plus fine, la soie la plus parfaite, le salpêtre le plus abondant, la meilleure soude, le fer le plus doux, le vin le plus fort, les plus excellents fruits, le plus beau blé, les olives, les citrons, la vigogne, le coton, le chanvre, le poil de chameau et de chèvre, et toutes les matières premières les plus propres aux manufactures ; lorsqu’il voit ce pays habité par une nation spirituelle et agissante, il s’étonne comment ce peuple est obligé de tirer ses étoffes de soie et ses draps de l’étranger ; comment il paye sa poudre à canon plus cher que les autres ; comment il a ses cristaux, ses glaces, ses savons en si petite quantité ; comment il ne fournit pas les autres peuples de ses fers et fers-blancs ; comment il n’inonde pas l’Europe du superflu de ses blés et de ses fruits ; comment il ne fabrique pas les plus belles toiles et mousselines du monde ; comment il ne fait presque aucun usage de ses vins ; comment, habitant une presqu’île immense, il n’a pas même de poisson salé pour sa consommation ; et enfin, comment il n’aperçoit pas que la seule denrée dont il fasse usage dans le commerce, qui est l’or arraché de ses mines d’Amérique, n’est qu’une richesse fictive. En effet, l’or, considéré comme marchandise ou iv, luit en monnaie, n’étant antre chose par lui-même qu’un représentatif général île toutes les denrées, convenu entre les nations policéi qui a le plus de denrées nécessaires a l’autre attire ici essairement a lui cet or, qui eu tenait lieu, et reste riche des dépouilles de celui entre qui il a fail cri échange : carie peuple qui vend à son voisin les denrées de son cru, ne lui portant jamais que le superflu de sa consommation, ne peul pas s’appauvrir dans le commerce, puisqu’il n emploie que la partie de son revenu que l’abondance lui rend inutile ; au lieu que celui qui n’a que île l’argenl a donner en échange contre les objets du premier besoin qui lui manquent entame perpétuellemenl sou capital, et se trouve, au bout de la consommation, sans argent ni denrées. Ces deux peuples sont, au regard l’un de l’autre, comme les plateaux de la balance, dont la puissance de celui qui remporte augmente en raison double île son poids spécifique et de la légi -on voisin.

Art. i. — Mais ce n’est rien d’avoir aperçu le mal, si on ne s’occupe des moyens d’y remédii r ’que beaucoup de 1 — esprits ont déjà traité cette matière : leur sentiment, excellent en bien des parties, quoique défectueux en quelques-unes, loin de détruire le mien, lui servira d’appui. Je conviens avec eux qu’il faudrait rétablir des i turcs de toute espèce en Espagne, construire des chemins pour voiturer commodément les matières premières aux fabriques ; peut-être former des canaux de communication, pour en répandre à peu de frais les produits dans tout pro inces et les amener dans les ports de mer ; .■lever n marine pour les expoi i— r. di — pêcheries pour former des matelots et fournir le paj jures ; mettre plus de perfection dans le premier des arts, l’agriculture ; en un mot, faire une refonte générale de toutes les parties. Mais ce n’est pas en un moment ni par des ordonnances, fussent-elles sages comme celles de Lycurirue. mi inspirées comme celles de.uma, qu’on change les mo ut et les usages d’une nation : un sage gouvernement doit se ni deler sur la nature, qui ne l’ail rien par saccades. Les gens violents nuisent doublement à l’objet qu’on s’est proposé, en ce qu’ils le manquent absolument, et en ce que leurs suites découragent ceux qui se sont trompés de chercher à mieux faire une autre fois.

Art. :  ;. — J’ai cru m’apercevoir que le génie espagnol est fier et jaloux : mais les affections ou, si vous l’aimez mieux, les passions, que la nature place à son gré dans le cœur des hommes ni I nés ni mauvaises en elles : semblables à ces végétaux puissants dont l’habile médecin compose der, médicaments salutaires, et qui tuent entre les mains de l’empirique, ces principes d’activité deviennent des vices ou des vertus, selon qu’on a l’art de les tourner au bien, ou qu’on les abandonne à la pente du mal. C’est ainsi que, jusqu’à présent, la fierté et la jalousie des Espagnols ont toujours nui à leurs entreprises d’agriculture, de fabrique et de commerce, tandis qu’elles pouvaient être appliquées ;  ! •>, ■<■ succès à leur réussite. L’u seul exemple détaché va servir de preuve à ma proposition.

Art. 6. — Toutes les manufactures qu’on cherche à naturaliser en Espagne ont un commencement, un progrès et une chute rapides, parce que les étrangers qu’on est obligé d’appeler pour les établir, ayant de nécessité les premières places et les plus forts appointements, excitent la jalousie des naturels du pays. Ces derniers voudraient apprendre en peu de temps un métier qui est le fruit du travail de toute la vie des autres : ils en attrapent les principes avec assez de sagacité, mais non la perfection de l’art, que la longue habitude peut seule donner ; se croyant bientôt plus habiles que leurs maîtres, ils les négligent, les bravent, les chagrinent, les forcent à s’en retourner, et restent possesseurs des places et des appointements. Mais, par cette conduite maladroite, ils perdent l’émulation que donne l'exemple de la supériorité, ils cessent d’avancer dans leur art, et font des élèves moins habiles qu’eux. La comparaison des mêmes ouvrages fabriqués chez l’étranger dégoûte bientôt le public de leurs travaux, le débit devient plus rare, moins lucratif ; le découragement suit de près, et les impositions, peut-être toujours trop fortes, mais devenues insoutenables dans un temps de décadence, achèvent de détruire un édifice que l’orgueil et l’ignorance avaient ébranlé dans ses fondements.

On peut rapporter à cet exemple tous les genres de travaux de l’Espagne. Le même esprit régnant partout, il faut que la conséquence naturelle que j’en ai tirée arrive de manière ou d’autre, tant qu’on ne tournera pas au profit de la chose même cette fierté ou cette jalousie qui fait le fond du caractère espagnol.

Mais, comme il n’y a dans tout pays que le gouvernement qui voie dans le grand, il n’y a aussi que lui qui puisse mettre en œuvre les moyens supérieurs qui amènent nécessairement une nation à exécuter les choses que la prévoyance des chefs depuis longtemps disposait en silence ; et l’effet doit en être d’autant plus sûr qu’il a été préparé de plus loin. Jetons un coup d’œil sur les voisins de l’Espagne : il nous mettra tout d’un coup sur la voie qu’elle semble devoir tenir pour réparer le temps perdu.

Aht. 7. — Toutes les nations de l’Europe ne sont occupées qu’à s’étudier réciproquement et à tâcher de s’approprier touti — ertesd’autrui. Pourquoi l’Espagne seule a-t-elle l’air de rester, sur cette étude, dans la plus parfaite indifférence ? Les banquiers, les négociants, les manufacturiers, les mécaniciens, envoient d’un pays à l’autre leurs jeunes gens apprendre les différentes manières d’ouvrager, fabriquer, négocier, traiter. Les Anglais, les Hollandais, les Allemands. viennent en France ; les Français vont en Hollande, en Angleterre, eu Allemagne ; une découverte, en quelque art que ce soit, est enlevée presque aussitôt qu’elle parait, et de cette émulation réciproque, de ce commerce d’études et de lumières nait la balance qui règne entre ces nations.

Art. 8. — Pour appliquer ces idées au sujet que je traite, je voudrais que le gouvernement espagnol, à l’instar des autres gouvernements, favorisât de tout son pou rations de jeunesse, qu’aussitôt qu’on établit une manufacture pagne, on envoyât, eu France, en Angleterre, ou en Hollande, des jeunes gens étudier cet art sous les plus grands maîtres ; que l’on consultât plus les dispositions et les talents que les facultés des sujets, et qu’on les aidât de peu, suivant l’esprit des établissements que diverses puissances ont à Rome pour l’étude des arts de luxe et de goût. Pendant que des étrangers appelés exprès fonderaient la manufacture et commenceraient des écoliers en Espagne, il s’élèverait hors du royaume des sujets qui, revenant très-habiles, rafraîchiraient, pour ainsi dire, une science que les vices ci-dessus expliqués commençaient à altérer. Ces jeunes gens, étant 1. lient plus l’envie, mais animeraient l’émulation de levers 1 triâtes..Nul ne serait admis aux emplois les plus lucratifs, qu’il n’eût acquis chez l’étranger la su]h non ;, ;, i difficile à attraper dans des îtablior, ?.mentsde nouvelle date ; et, par ci d’élèves, chaque manufacture acquerrait bientôt ndeur et un débit que nulle autn

peut lui donner. On sentira facilement l’avantage de ces moyens, lorsqu’on réfléchira de les voisins de l’Espagne sont plus avancés qu’elle dans toutes ces parties.

Art. 9. — Le choix des gens appelé ; poi des établissements est surtout digne de l’attention du gouvernement, maïs il est difficile qu’un peuple qui vent attirer chez lui des maîtres habiles dans chaque art ou métier y parvienne sans de précautions et sans quelque sacrifice. Un député qui sait à peine la langue et connaît peu l’état actuel et les usages d’une nation él ère capable d’y découvrir à point

— r er et déterminer les sujet rés, les plus sages, dans toutes les professions, car ou ces gens sont placés avantageusement, ou ils sont veillés de près : d’où il résulte que les de ces commissions, malgré le z

y mettent, s’en acquittent ordinaireme mal au gré des commettants. Dans l’alternative de se compromettre ou de prendre ce qui leur tombe snus la main, on sent qu’ils ne peuvent guère déplacer que des sujets médiocres, ou des gens très--es.

Art. 10. — Ces considérations m’amènent naturellement à réfléchir que toutes les nal l’Europe ont les unes chez les autres des j sous diverses dénominations, dont les vues, les instructions, les correspondances, sont d’une tout autre nature, et j’ose ajouter, d’une bien plus grande utilité que celle îles fastueux ambassadeurs. L’Espagne est encore la seule qui n’ait point, hors de chez elle, de pareils agents, quoiqu’aucune ce n’en ait autant besoin. Je voudrais donc que le ministère d’Espagne entretint dans chaque capitale étrangère un agent, dont la fonction lût de l’instruire sur tous les objets d’agriculture, de fabrique, de commerce intérieur, de marine et même de finance : qui fût le point d’appui et le protecteur né de tous les sujets que l’Espagne y enverrait pour se former ; qui les veillât et les appliquât selon leurs talents. Je voudrais que son instruction secrète fût de connaître les grands sujets en tout genre, afin de pouvoir faire des choix à mesure qu’on en aurait besoin. Il y a un conseil de France à Madrid qui veille aux inti Français établis en Espagne, mai— qui n’est pis d’une grande utilité pour la France prise en général : au lieu qu’un consul d’Espagne à Pari-, pour peu qu’il fût éclairé, serait un homme important et national. Tout ce qui ne peut se faire par un and seigneur pour se donner

— d’un certain détail, se ferait par lui. Rien ne lui serait étranger, rien d’indigne de son attention.

Nouveaux moyens de fabriquer, manière d’entretenir les chemins à moins de frais, commerce, marine, agriculture surtout ; il alimenterait perpétuellement l’Espagne des découvertes, en tout genre, qu’il ferait dans le pays de sa résidence. Sa correspondance avec tous les consuls d’Espagne dans les villes maritimes le mettrait au courant de toutes les entreprises dont les projets sortent, ou viennent se résoudre à la capitale. Il ferait un résumé certain de toutes les opérations du pays, dont il instruirait ponctuellement sa cour. Mais il n’y a ni ambassadeur, ni secrétaire d’ambassade qui puisse être chargé de cet important détail ; il demande une constante résidence, une connaissance parfaite du local, et une facilité d’opération que la longue habitude d’un pays peut seule donner.

Art. 11. — Cependant cet homme si nécessaire, ce préposé, cet agent, ce consul, pourrait exister, sans qu’il en coulât beaucoup à l’Espagne. Il ne s’agirait pour cela que de ne point envoyer de secrétaire d’ambassade à la cour où il serait établi. Il en épargnerait les frais et, sans nuire à sa mission particulière, il en remplirait les fonctions d’une manière bien autrement intéressante qu’un nouveau venu, souvent rappelé avant qu’il ait eu le temps de connaître les moindres parties nécessaires à son état. J’espère, madame, que vous trouverez ceci assez bien prouvé pour qu’il ne soit pas besoin d’en faire une plus ample explication.

Art. 12. — Au reste, si j’ai choisi pour exemple dans ce mémoire la branche des manufactures, c’est parce qu’elles tiennent le milieu entre l’agriculture dont elles sont filles, et le commerce dont elles sont mères. Les manufactures décuplent, au moins, la valeur des biens que l’agriculture n’avait donne ? que simples, et ceux qui mit avancé que l’Espagne devait s’en tenir au commerce des matières premières, sans s’embarrasser des manufactures, "ut dit une sottise, trop démontrée par la conduite des étrangers qui trouvent un grand bénéficeà rapporter eu Espagne les marchandises fabriquées chez eux avec des matières premières tirées d’Espagne même. Ou si les doubles droits de sortie d’Espagne, d’entrée chez eux ; ceux qu’ils payent en resortant de leur pays et en rentrant ces marchandises en Espagne, les frai ? de fabrique, de transport, de voyage, les risques, les assurances, leur laissent encore un gain considérable : que serait-ce donc de celui que pourraient faire les Espagnols, s’ils fabriquaient eux-mêmes leurs matières ? Les bras l benl île surprise de voir répandre pareilles maximes : propos dignes de mépris s’ils sont le fruit de l’ignorance, et qui méritent punition si la mauvaise foi les enfante. Art. 13. — Les manufactures sont la source la plus abondante des commerces intérieur et extérieur. Elles doivent être surtout la mère-nourrice du commerce de l’Espagne avec ses colonie ? îles Indes, lesquelles ? onl a son etianl ce. j 1 1 — ■ ce royaume est à l’égard des autres peuples de l’Europe. Elles n’ont à lui offrir que de l’or, et malheureusement l’Espagne a été jusqu’à présent dans la dure nécessité d’en laisser passer en droiture la plus grande part aux étrangers, faute de pouvoir approvisionner elle-même ses colonies du produit de ses manufactures.

Art. 14. — Mais, si mes lumières ne me (rompent pas, ces maux n’affligeront pas l’Espagne encore longtemps. Les étrangers non : déjà plus le droit de se réjouir de l’ignorance où cette nation semble plongée sur ses vrais intérêts. Quand le génie veille et travaille, il ne le fait jamais sans fruit. Vous riez, sans doute, Madame, de l’air prophétique que je viens de prendre ; mais je m’assure que vous serez de mon avis lorsque je vous aurai dit mon secret qui n’en est point un. Nous savez que je suis chargé par une compagnie française de proposer au gouvernement cLEspagne de lui fortifier, garder, peupler la l.oui ? iaue, et que je lui demande en forme de dédommagement la préférence de la fourniture des nègres de toutes les colonies espagnoles. Ces propositions ne m’ont mis à même d’entretenir encore qu’un des ministres du roi, qui est celui des affaires étrangères. Mais lorsque, entre autres choses lumineuses, je lui ai entendu articuler que ce n’est plus le temps de fermer Venlrà des Indes espagnoles aux cohiis de toutes les nations quivoudraient s’y établir, paire que les étrangers ayant trouvé moyen d’attirer à eux, en mille manières, l’or du Pérou et du Mexique, laprécaution de n’y souffrir qui des indigènes, utile dans les premiers temps, est devenue peniieiruse a /’Espagne tlvut les vues doivent changer avec l’état et les spéculations d( ses voisins ; j’ai dit en moi-même : Voici un homme de génie, il touche du doigt les véritables causes d’un mal trop longtemps subsistant ; avec d’aussi grandes vues, un pareil homme est à sa place dans le ministère. Une autre fois, en parlant de l’énorme contrebande qui se fait aux Indes, je compris fort bien, quoiqu’il s’enveloppa I davantage, qu’il sentait lui-même l’impossibilité de l’empêcher jamais autrement que par l’abondance des approvisionnements lires de l’Espagne et par la concurrence de la modicité des prix avec ceux de l’étranger. Je me confirmai dans l’opinion que j’avais déjà prise dugénie et del’étendue des lumières de cet homme qui mérite bien d’être secondé. Et voilà d’où ma prophétie est partie.

Maisn’est-il pas temps que je m’arrête, Madame ? Je m’aperçois que je vous ferais un livre au lieu de l’extrait d’une conversation que vous m’avez demandé, si je m’enfonçais dans de plus longs détails. Agriculture, manufactures et commerce ; encouragements pour ces parties ; tout le reste y tient, et mon opinion est que, hors de là, point de salut.

À l’égard des moyens d’y réussir, j’en ai indiqué quelques-uns. Mais ce qu’il y a de certain, Madame, c’est qu’on n’est point dans la dépendance d’une nation lorsqu’on l’étudie, qu’on profite de ses lumières, qu’on apprend à éviter ses fautes, et qu’on se met dans le cas, pour commencer un objet, de partir du point où cette nation a bien eu de la peine à arriver. Les étrangers ont défriché le terrain épineux des manufactures, et si l’Espagne est bien servie par son agent, elle peut en fort peu de temps jouir des mêmes avantages que donnent les fabriques d’un pays, sans avoir eu la peine des essais longs et ruineux. Cette sagesse qu’on acquiert aux dépens des autres est une des plus utiles sciences du gouvernement et, comme vous voyez, celle qui coûte le moins à acquérir.

Voilà, Madame, en partie ce que nous avons dit hier au soir. Les moyens intérieurs, les impositions, mille autres choses s’y trouvaient liées. Je les ai écartées parce que ceci suffit pour rappeler à votre mémoire, toutes les fois que vous le désirerez, l’enchaînement des moyens que nous avons crus propres à tirer l’Espagne de l’état de langueur où chacun la voit. Mais ce mémoire sera d’une bien plus grande utilité pour moi, s’il vous fait quelquefois souvenir du respectueux attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être,

Madame,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur.

LETTRES

LETTRE DU SIEUR CARON FILS

À L’AUTEUR DU « MERCURE » 1.

Quoique je persévère, Monsieur, à garder pour l’Académie seule les preuves qui, comme je l’espère, me feront adjuger l’invention de l’échappement que le sieur Le Paute me conteste, ne me sera-t-il pas permis de faire remarquer l’avantage qu’il me donne sur lui, en avançant des faits contraires à ce qu’il a précédemment écrit ?

En lisant sa lettre insérée dans le second volume de votre journal de décembre dernier, on y verra qu’après s’être félicité lui-même de ce qu’il a si bien établi sa prétendue propriété sur la découverte en question, il conclut qu’il est le seul inventeur de l’échappement, indépendamment de ma confidence du 23 juillet dernier, qui, dit-il, est absolument fausse, et n’existe que dans mon imagination.

Il est triste pour le sieur Le Paute qu’un fait nié aussi hardiment puisse être démenti par une lettre signée de sa main, qu’il a écrite à mon père le 18 septembre dernier, qu’il a répandue dans le public, et dont il a donné une copie à messieurs nos commissaires.

Il est vrai, dit-il dans celle lettre, que vous me fites part, du 20 au 30 juillet, d’un nouvel échappement [qui approchait [<>rt du mien), mais je ne fus pas la diiji’<l< votre confidence intéressée. Il e-l donc constaté de sa propre main que je lui ai lait confidence, du 20 au 30 juillet, de ma nouvelle découverte.

Il est encore constaté par une gravure d’échappement que le sieur Le Paute vient de répandre dansle public, qu’il ne s’annonce que pour l’avoir mis " son ><iiiit il* p< i f, ction, et qu’il ne s’en dit plus {’inventeur, comme il a fait dans votre journal. Je me charge de démontrer, après le jugement de l’Académie, qu’il esl absolument faux que cet échappement suit celui qui était dans la pendule qu’il dit a

ir présentée a Sa Majesté le 23 mai 1 :  : • :’.. et qu’elle n’en avait point d’autre que mou pri mier échappement que je lui avais communiqué en janvier 1753, lorsqu’il m’accompagna à l’Observatoire pour eu demander date à l’Académie. I. Cette lettre, restée inconnue à M, de Loménic, n,. été publiée • i c <"Iiihm-.Ii, Mercure de lëvriei IÏ51 p. 214 no nu ni de la disons lu jeune Caron, alors tout à l’horlogi rie avi li i-él Le Pi ■ qui lui contestait, pour se l’approprier, I inveni i. i eh ippi ment. Ed. F.

Voilà donc des contradictions qui font voir que le manque de mémoire, peu important lorsqu’on ne veut dire que la vérité, devient très-dangi reux quand on a dessein de la voiler.

Je demande encore une fois au public judicieux la grâce de suspendre sonjugemenl jusqu’à ce que l’Académie ait prononce sur notre différend. J’ai l’honneur d’être, etc.

Caron fils.

A Taris, le 22 janvier 1754.

LETTRE DU SIEUR CARON FILS

HORLOGER DU ROI

A L’AUTEUR IUT ci MERCURE » ’.

Monsieur, je suis un jeune artiste qui n’ai l’honneur d’être connu du public que par I invention d’un nouvel échappement à repos pour les montres, que l’Académie a honoré de son approbation, et dont les journaux ont fait mention l’année passée. Ce succès me lixe à l’état d’horloger, et je borne toute mon ambition à acquérir la science de mon ni je n ai jamais port ; un œil d’envi : sur les productions de nies confrères (celle lettre le prouve), mais j’ai le malheur de souffrir forl impatiemment qu’on veuille m’enleverle peu de terrain que l’étude et le travail m’ont l’ail défricher : c’esl cette chaleur de sang donl je crains bien que l’âge ne me corrige pas. qui m’a l’ail déTendreavec la ni d’ardeur le— justes prétentions que j’avaissur l’invention de mon échappement, lorsqu’elle liii contestée il a environ dix-huit mois. L’Académie des sciences non-seulement me déclara auteur de cet échappement, mais elle jugea qu’il étail dans son elat actuel le plus parfait qu’on eût encore adapté aux montres ; cependant elle savait, et je voyais bien qu’il étail susceptible de quelques perfections, mais la nécessité de constater promptement mon titre, à laquelle mon adversaire nie , M. de Lomênie ni’cite qu’une partie de cette lettre publiée dansle Mercure de juillet 1755, p. t’7-183. — C’est la pièce la plus intéressante an procès ru revend tion d’invention soutenu par ie jeune Cai îontre Le Paute, On verra c bien il étail dé’â lui-même ardent, prêt au bruit, ne négligeanl rien pour s ttre en vue, mémo les journaux, dont si t lu gens savaient alors qu’un pût su servir. Le jeune horloger Caron esl i ci taincmeul un des preis industriels qui aient tiré parti de leur publicité. Celte eitro est c : use aussi par ce qu’elle i s apprend de la perfection étonnante qu’il avait acquise dans son art. Du. F. força en publiant ses fausses prétentions, m’empêcha de les y ajouter. Alors, devenu possesseur tranquille de mon échappement, j’ai donné tous mes soins à le rendre encore supérieur à lui-même, et c’est l’état où il est maintenant ; mais en même temps, trop bon cito n faire un mys je l’ai rendu public autant qu’il m’a ete possible. Les divers écrits que 1 1 I échappement a sionnés, et li i [ue l’Académie en a ] attirant sur lui l’attention des horlogers, il devint l’objet des réflexions et des recherches de quelques-uns des plus habiles d’entre eux, de sorte que pendant que j’y ajoutais les petites perfections qui lui manquaient, M. de Romilly s’aperçut qu’effectivement il en était —n. travailla de • té, et présenta à l’Académie, en décembre 1754, 1e changement qu’il y avait fait ; le soirmème de sa présentation, M. Le Iîoi m’en ayant ap] la nouvelle, je demandai sur-le-champ à l’Ai mie qu’en laveur de ma qualité d’au voulût bien examiner avant tout l’état d tion auquel j’avais moi-même porté mon peinent. Cette perfection était des repos plus près du centre et des arcs de vibration plus étendus : elle y consentit, et l’examen qu’elle lit des pièces que nous présentâmes l’un et l’autre lui montra que M. de Romilly avait atteint le même but que moi en travaillant surle même sujet : ainsi l’A toujours équitable dans ses jugements, ne voulant pas accorder plus d’avantage sur cette perfection à ma qualité d’auteur de l’échappement qu’à l’antériorité de présentation de M. de Romilly. qui n’est effectivement que d’un seul jour, a délivré a chacun de nous le certificat suivant, que je publie d’autant plus volontiers que M. de Romilly, qui a jugé mon échappement digne de ses recherches, est un très-galant homme, et que j’estime véritablement ; d’ailleurs je serais fâché que o concurrence entre lui et moi put être envisagée comme une dispute semblable à la première ; l’émulation qui anime les honnêtes gens mérite un nom plus honorable.

J’ai l’honneur d’être, etc.

{Extrait des.’■ l’Académit royale des sciences du 1 1 juin 1 735.

MM. de Mairau, de Montigni et L

nt été nommés pour examiner une montre à secondes, à laquelle est adapté l’échappement du sieur Caron fils, perfectionné par le sieur Romilly, horloger, citoyen de Genève, et par lui présentée à l’Académie, avec un mémoire sur les échappements en général, en ayant fait leur rapport, l’Académie a jugé que le changement fait à cet échappement, et qui permet d’en rendre 11" cylindre aussi petit qu’on le juge à propos, de rapprocher les points de repos du centre, et de donner aux arcs du balancier plus de trois cents degrés d’étendue, riait ingénieux et utile ; mais en même temps elle oe peut douterquele sieur Caron n’ait de son côté porté —-n échappement au même degré de perfection, puisque le jour même qui M Le Roi, l’un des commissaires, lui m donna sauce en décembre 1754, cet horloger lui lit voir un modèle de son échappement qu’il avait lionne, auquel il travaillait alors, et dont la roue d’échappement avait les dents fouillées par derrière, et était exactement semblable à la construction du sieur Romilly. dont il n’avait cependant point eu de communication

boite de preuve que le sieur Caron déposa en septembre 1 7i3 au secrétariat de l’Académie est jusques à présent restéi entn les mains de MM. les Commissaires, il y a plusieurs petits cylindn — do — inl ti ès-près du centre, mais qu’il n’eut pas alors le temps de perfectionner. Ainsi le mérite d’avoir amené cette invention au point de perfection dont elle était susceptible appartient également au sieur Romilly et au sieur son auteur ; mais le sieur Romilly en a la première exécution : en foi de quoi j’ai.-igné le présent certificat. Graxdjeax de Fouchv, secrél

île de celle occasion pour répoi Ir quelques objections qu’on a faites sur mon échappement, dans divers écrits rendus publics. Lu se servant de cet échappement, a-t-on dit. on [,’is faire des montres plates, m même rfi petites m mtres : ce qui. supposé vrai, rendrait le meilli ur i chappement connu très-incommode. Des faits seront tout’— ma réponse. Plusieurs expériences m’ayant démontré que mon échappement corrigeait parsa nature les inégalitésdu grand n —.n besoin d’un autre régulateur, j’ai supprimé de mes montres toutes les pièces qui exigeaient de la hauteur au mouvement, comme la fusée, la chaîne, la potence, toute roue à couronne, surtout celles dont l’axe est parallèle aux platines dans les montres ordinaires, et toutes les pièces que ces principales entraînaient à leur suite. Par ce moyen je fais des montres aussi plates qu’on le juge à propos, et plus plates qu’on en ait encore faites, sans que cette commodité diminue en rien de leur boute. La première de ces montres simplifiées est entre les mains du roi. Sa Majesté la porte depuis un an, et en i —i très-contente. Si des laits répondent à la prem jection, des faits— répondent également à la seconde. J’ai eu l’honneur de présenter à madame de Pompadour. ci — oui passés, une montre dans une bague, de cette nouvelle construction simplifiée, la plus petite qui ait encore été faite ; elle n’a que quatre lignes et demie de diamètre, et une ligne moins un tiers de hauteur entre les platines. Pour rendre cette bague plus commode, j’ai imaginé en place de clef un cercle autour du cadran, portant un petit crochet saillant ; en tirant ce crochet avec l’ongle, environ les deux tiers du tour du cadran, la bague esl remontée, et elle va trente heures. Avant que de la porter à madame de Pompadour, j’ai vu cette bague suivre exactemenl pendanl cinq jours nu itre à sec les : ainsi, en se servant de mou échappement etde ma construction on peul donc faire d’excellentes montres aussi plates et aussi petites qu’on le’jutera a propos.

J’ai l’honneur d’être, etc.

Cakon fils, horloger du roi.

Hue Saint-Denis, près celle île la Chanvrerie. A Paris, le 16 juin 11 i3.

LETTRE DE BEAUMARCHAIS AU DUC

D’AREMBERG’.

Mon cher duc, je suis allé chez Lauraguais, comme je vous l’avais promis. Aussitôt qu’il m’a vu entrer, il s’est levé, et sans me donner le temps de lui faire connaître la nature de mon affaire, il s’est écrié : « Arrive que pourra, les dettes d'honneur comme les dettes honteuses auront toutes le même destin. » J’ai prononcé votre nom. « D’Aremberg, a repris cet extravagant, a toujours été très-obligeant pour moi, mais il doit partager le sort des autres créanciers, et il n’aura pour sa part, hélas ! qu’un bien petit dividende. Vous avez sans doute entendu parler de ma banqueroute ; mon homme d’affaires me dit qu’elle s’élève à plus de cinq millions, et que lorsque nies affaires auront été arrangées, ce qui a son avis ne pourra pas avoir lieu avant deux ans, mes créanciers | rl’out recevoir 2 1/2 0/0 sur le montant de leurs créances.

t..te dois a d’Aremberg 40,000 livres : il possède de grauds biens en Allemagi t en Flandre : on m’a dit que’son grand-veneur n’esl pas en état de remplir ses fonctions. Si le duc consent a accepter ne 1 — services, je prendrai la place de son grandveneur, et je ne pense pas qu’il se trouve en Europe beaucoup d’hommes qui se connaissent aussi bien que moi en chevaux, en chiens et en tout ce qui — ! • rapporte a la chasse. Nuit mille livres seront mon traitement annuel, et nous serons i. Lettre bizarre, donl.m ne connaît m la date, ni même le teste original. Elle a p ; l’ai I en anglais, dans un recueil de Londres, the Monlhly Magazine, mai 1832, p. 502. Ceci n’en est <|ue la traduct, aussi exacte et aussi mouvementée que possible, d’après l’ail infime de l’esprit a.’Beaumarchais. Elle est très-curieuse pour ce qui s’y trouve sur les étrangetés de conduite et les folies (lu duc iv Lauraguais, longtemps i le Beaumarchais — un a vu, dans l’Introduction, qu’ils tirent ensemble I voyage de Londres pour acheter le libelle de Morande — puis, vers la lin, son plus m irtel ennemi quand Beaumarchais lui eut définitivement fermé sa l s,. Ed. F.

quitic— ni cinq an-. Parlez-lui île ce projet : il ne peut être que flatté’h’ma proposition, ■> Je ne pus m’empècher de sourire. « Ah ! ah ! continua-t-il, est ce que voit— au rie/, de— doutes sur mes talents ? je puis vous assurer qu’il existe des milliers de personnes qui m’ont visité a Manicamp, et qui tonte— témoigneront de ma rare habileté dans les matières de celle nature. Gn 5, jockeys, chevaux, enfin tout ce qui était en ma possession, me venait d’Angleterre, et mon ami Dorset n’eut jamais de chevaux plus beaux que les miens. Le dernier cheval dont je fis emplette nie coûta mil le gllinées, ci jamais cheval de race ne se vendit plus cher, mais j’eus la fantaisie de taire porter sur le reçu neuf cent quatre-vingt-dix-neuf guinées et vingt schillings, déterminé que j’étais à éviter le nombre 1,000.

ii Maintenant le seul trésor qui me reste est ceci et il montrait une bague qu’il portail au doigt) ; c’est un Irésor dont aucune puissance ter restre ne p’ourrail venir à bout de me séparer ; C’est lui qui me donne la force de surmonter mes malheurs ; c’est ma seule consolation !  ! trésor, monsieur, c’est ma femme, ma femme adorée. » Je crus qu’il devenait lou, et mon visage exprima sans doute l’émotion que j’éprouvais. « Non, monsieur, reprit-il, je n’ai point perdu la raison ; cette bague, "n plutôt une partie de cette bague, fut uni.’jolie et aimable femme ; elle me rendit, pendant qu’elle vécut, le plus heureux des hommes, et quand son âme s’envola dans les régions du ciel, je ne voulus pas que tant de grâce et de beauté devint la proie des vers. J’eus recours à Vanderberg, le chimiste, qui, ayant placé le corps de ma femme dans une feuille d’abseste, le livra aux flammes, et à l’aide d’une chaleur extraordinaire le tvdui-ita une petite quantité de poudre, qui ensuite, au moyen d’une certaine composition chimique, fut changée en une substance bleue vitrifiée. La voilà, monsieur, montée dans un anneau d’or ; c’est la plus Une essence de mon adorable femme. ■ ■ En ce moment, le domestique annonça quelqu’un. Je pris mou chapeau, et souhaitai le bonjour à Lauraguais.

A M. ROUDIL’.

Dans un bateau sur le Danube, auprès de Ratisbonno le 13 août 1"4.

Avant d’entrer en matière avec moi, mon ami. je dois vous prévenir qu’étant dans un bateau sur

Cette I i la —ne., nie sont i mues, mais mm telles nu ell. paraissent

ici. Nous tes. vous copiées sur l’autographe mi le Beaumarchais, aux manuscrits a, — la Comédie, avec une foule de fanantes qui en renouvellent presque entière 1 le texte. Gudin. qui les a publiées le premier dans son édition, ne nous avail même pas dit a qui la première étail adressée. Reste à savoir quel était ce

Id. a i]iu Beaumarchais en nui si long. — fin verra que ees

deux lettres sont le récit de cette é ■ mystification de son assassinat, que s avons tâché d’éclaircir dans notre Introduction. Ed. F. lequel il y a six rameurs, et parcourant un fleuve rapide qui m’entraîne, la secousse de chaque coup d’aviron imprime à mon corps et surtout à mon bras un mouvement composé qui dérange ma plume, et donnera dans le moment à mon écriture le caractère tremblant et peu assuré que vous allez lui trouver ; car j’ai fait cesser de ramer pour écrire cet exorde, afin que sa dissemblance à ce qui le va suivre puisse vous convaincre que le vice de mon écriture vient d’une cause étrangère, et non d’aucun désordre intérieur causé par mes souffrances. Ceci posé, tâchez de me lire, et tenez-vous bien.

Ma situation me rappelle l’état où se trouva, dans les mêmes lieux, un philosophe dont vous et moi admirons le génie. Descartes raconte que, descendant le Danube dans une barque, et lisant tranquillement assis sur la pointe, il ouït distinctement les mariniers, qui ne supposaient pas qu’il entendît l’allemand, projeter de l’assassiner. Il rassura, dit-il, sa contenance, examina si ses armes étaient en bon état, en un mot fit si bonne mine, que jamais ces gens, dont il suivait tous les mouvements, n’osèrent exécuter leur mauvais dessein.

Moi, qui n’ai pas à un si haut degré de perfection que lui la philosophie du parlage, mais qui me pique aussi de méthode et de courage dans mes actions, je me trouve dans un bateau du Danube, ne pouvant absolument souffrir le mouvement de ma chaise en poste, parce qu’on a osé exécuter hier sur moi ce qu’on n’osa, le siècle passé, entreprendre sur lui.

Hier donc, sur les trois heures après midi, auprès de Neuschtat, à quelque cinq lieues de Nuremberg, passant en chaise, avec un seul postillon et mon domestique anglais, dans une forêt de sapins assez claire, je suis descendu pour satisfaire un besoin, et ma chaise a continué de marcher au pas, comme cela était arrivé toutes les fois que j’étais descendu. Après une courte pause, j’allais me mettre en marche pour la rejoindre, lorsqu’un homme à cheval, me coupant le chemin, saute à terre et vient au-devant de moi. Il me dit quelques mots allemands, que je n’entends point ; mais comme il avait un long couteau ou poignard à la main, j’ai bien jugé qu’il en voulait à ma bourse ou à mes jours. J’ai fouillé dans mon gousset de devant, ce qui lui a fait croire que je l’avais entendu, et qu’il était déjà maître de mon or. Il était seul ; au lieu de ma bourse, j’ai tiré mon pistolet, que je lui ai présenté sans parler, élevant ma canne de l’autre main pour parer un coup, s’il essayait de m’en porter ; puis, reculant contre un gros sapin et le tournant lestement, j’ai mis l’arbre entre lui et moi. Là, ne le craignant plus, j’ai regardé si mon pistolet était amorcé ; cette contenance assurée l’a en effet arrêté tout court. J’avais déjà gagné à reculons un second et un troisième sapin, toujours les tournant à mesure que j’y arrivais, la canne levée d’une main et le pistolet de l’autre, ajusté sur lui. Je faisais une manœuvre assez sûre, et qui bientôt allait me remettre dans ma route, lorsque la voix d’un homme m’a forcé de tourner la tête. C’était un grand coquin en veste bleue sans manches, portant son habit sur son bras, qui accourait vers moi par derrière. Le danger croissant m’a fait me recueillir rapidement. J’ai pensé que, le péril étant plus grand de me laisser prendre par derrière, je devais revenir au-devant de l’arbre et me défaire de l’homme au poignard, pour marcher ensuite à l’autre brigand. Tout cela s’est agité, s’est exécuté comme un éclair. Courant donc au premier voleur jusqu’à la longueur de ma canne, j’ai fait sur lui feu de mon pistolet, qui misérablement n’est point parti, J’étais perdu ; l’homme, sentant son avantage, s’est avancé sur moi. Je parais pourtant de ma canne en reculant à mon arbre, et cherchant mon autre pistolet dans mon gousset gauche, lorsque le second voleur m’ayant joint par derrière, malgré que je fusse adossé au sapin, m’a saisi par une épaule et m’a renversé en arrière. Le premier, alors à portée, m’a frappé de son long couteau de toute sa force au milieu de la poitrine. C’était fait de moi. Mais pour vous donner une juste idée de la combinaison d’incidents à qui je dois, mon ami. la joie de pouvoir encore vous écrire, il faut que vous sachiez que je porte sur ma poitrine une boîte d’or ovale, assez grande et très-plate, en forme de lentille, suspendue à mon cou par une chaînette d’or : boîte que j’ai fait faire à Londres, et renfermant un papier si précieux pour moi, que sans lui je ne voyagerais pas. En passant à Francfort, j’avais fait ajuster à cette boîte un sachet de soie, parce que, quand j’avais fort chaud, si le métal me touchait subitement la peau, cela me saisissait un peu.

Or, par un hasard, ou plutôt par un bonheur qui ne m’abandonne jamais au milieu des plus grands maux, le coup de poignard violemment asséné sur ma poitrine a frappé sur cette boîte, qui est assez large, au moment qu’attiré d’un côté de l’arbre par l’effort du second brigand qui me fit perdre pied, je tombais à la renverse. Tout cela combiné fait qu’au lieu de me crever le cœur, le couteau a glissé sur le métal en coupant Jle sachet, enfonçant la boîte et la sillonnant profondément : puis, m’éraflant la haute poitrine, il m’est venu percer le menton en dessous, et sortir par le bas de ma joue droite. Si j’eusse perdu la tête en cet extrême péril, il est certain, mon ami, que j’aurais aussi perdu la vie. Je ne suis pas mort, ai-je dit en me relevant avec force : et voyant que l’homme qui m’avait frappé était le seul armé, je me suis élancé sur lui comme un tigre, à tous risques ; et, saisissant son poignet, j’ai voulu lui arracher son long couteau, qu’il a retiré avec effort, ce qui m’a coupé jusqu’à l’os toute la paume de la main gauche, dans la partie charnue du pouce : mais l’effort qu’il fait en retirant son bras, joint à celui que je faisais moi-même en avant sur lui, l’a renversé à son tour. Un grand coup du talon de ma botte, appuyé sur son poignet, lui fait lâcher le poignard, que j’ai ramassé, en lui sautant à deux genoux sur l’estomac. Le second bandit, plus lâche encore que le premier, me voyant prêt à tuer son camarade, au lieu de le secourir, a sauté sur le cheval, qui paissait à dix pas, et s’est enfui à toutes jambes. Le misérable que je tenais sous moi, et que j’aveuglais par le sang qui me ruisselait du visage, se voyant abandonné, a fait un effort qui l’a retourné à l’instant que j’allais le frapper ; et se relevant à deux genoux, les mains jointes, il m’a crié lamentablement : Mon sier, mon ômi ! et beaucoup de mots allemands par lesquels j’ai compris qu’il me demandait la vie. Infâme scélérat ! ai-je dit ; et mon premier mouvement se prolongeant, j’allais le tuer. Un second opposé, mais très rapide, m’a fait penser qu’égorger un homme à genoux, les mains jointes, était une espèce d’assassinat, une lâcheté indigne d’un homme d’honneur. Cependant, pour qu’il s’en souvînt bien, je voulais au moins le blesser grièvement : il s’est prosterné en criant : Mein Gott ! mon Dieu !

Tâchez de suivre mon âme à travers tous ces mouvements aussi prompts qu’opposés, mon ami, — et vous parviendrez peut-être à concevoir comment, du plus grand danger dont j’aie eu jamais à me garantir, je suis en un clin d’œil devenu assez osé pour espérer lier les mains derrière le dos à cet homme, et l’amener ainsi garrotté jusqu’à ma chaise. Tout cela ne fut qu’un éclair. Ma résolution arrêtée, d’un seul coup je coupai promptement sa forte ceinture de chamois, par derrière, avec son couteau que je tenais de ma main droite, acte que sa prosternation rendait très-facile : mais comme j’y mettais autant de violence que de vitesse, je l’ai fort blessé aux reins, ce qui lui a fait jeter un grand cri en se relevant sur ses genoux et joignant de nouveau les m. un-. Malgn la douleur excessive n dais au visage, et surtout à la main gauche, je suis convaincu que je l’aurais entraîné, car il n’a fait aucune résistance, lorsque, ayant tiré mon mouchoir, et jeté à trente pas le couteau qui me gênait, parce que j’avais mon second pistolet dan— la main gauche, je me disposais à l’atlai h i. Mais cel espoir n’a pas été long. J’ai u 1 e 1 nir de loin l’autre bandit, accompagné de quelques scélérats de son espèci. Il a fallu de nouveau m’occuper de ma sûreté. J’avoue qu’alors j’ai senti la faute que j’avais faite de jeter le couteau. J’aurais tué l’hon • sans scrupule en ce moment, ’■i c’était un ennemi de moins. Mais ne voulant pas vider mon second pistolet, le seul porte-respect qui me restai contre ceux qui venaient à moi, car ma canne était tout au

la fureur qui m’a saisi de nouveau, j’ai violemment frappé la bouche de cet homme agenouillé ’lu bout de mon pistolet, ce qui lu mâchoire el 1 assé quelques dents de devant, qui I onl l’ail saigner c un bœul ; il

et esl tombé. Dans ce moment, le postillon, inquiet de mon retard, et me croyant égaré, étail entré dans le bois pour me chercher. Il a sonné du petit cor que les postillons allemands portent tous eu bandoulière. Ce bruit el sa ni suspendu la course des scélérats, el m’onl donné le temps de me retirer, la canne élevée et mon pistolet en avant, sans avoir été volé. Quand ils m’ont senti sur le chemin, ils se sont dispersés, el mon laquais a vu, ainsi que le postillon, passer auprès d’eux el de ma chaise, en traversant la route avec vitesse, le coquin a la veste bleue sans manches, ayant son habit sur son bras, qui m’avait renversé. Peut-être espérait-il fouiller ma voiture, après avoir manqué nies poches.

Mon premier soin, quand je me suis vu en sûreté el à portée de ma chaise, a été d’uriner bien vite. Une expérience bien des fois réitérée m’a appris qu’après une grande émotion, l’est un des plus sûrs calmants qu’on puisse employer. J’ai imbibé mon mouchoir d’urine, et j’en ai lavé mes plaies. Celle de la haute, poitrine s’est trouvée n’être qu’une éraflure.

Celle du menton, très-profonde, se fût certainement prolongée jusque dans la cervelle, si lecoup eût porto droit, et si la position renversée où j’étais en le recevant n’eût fail glisser le couteau sui 1 os de la mâchoire inférieure. La blessure de ma main gauche, pins douloureuse encore à cause du mouvement habituel de relie partie, s’enfonce dan— le gras intérieur du pouce, el va jusqu’à l’os. Mon laquais, effrayé, me demandait pourquoi je n’avais pas appelé ; mais, indépendamment que ma chaise, qui avait toujours marché, se trouvait beaucoup trop loin pour m’en l’aire entendre en criant, c’était ce que je n’avais eu garde de faire, sachant bien que rien ne détruil la force comme de la consumer en de vaines exclamations. Le silence el le recueillement sont les sauvegardes du courage, qui à son tour esl la sauvegarde de la ie en ces grandi -ions. Imbécile ! lui ai-je dit, fallait-il aller aussi loin, 1 1 me laisst 1 assassiner ?

Je me suis fait promptemenl conduireà Nuremberg, où l’on m’a appris que quelques jours avanl les mêmes voleurs, en ce même endroit, arrêté le chariot de poste, el avaienl détroussé de 1-0, 000 florins divers voyageurs.

J’ai donné le signalement des hommes, du cheval, el l’on a mis sur-le-champ de nouveaux soldats en campagne pour les an rêter,

De l’eau el de l’eau de ie onl été mon pansement. Mais d plus grand mal esl une d 1 ur si aiguë dans le creux de l’estomac, chaque que le diaphragme se soulève pour l’aspiration, que cela me plie en deux à tout moment. Il faut qu’en ce débat j’aie reçu quelque grand coup dans cet endroit, que je n’ai pas senti d’abord.

En examinant depuis de sang-froid l’état des choses, j’ai vu que la double étoile du sachet et la bourre parfumée qu i •

fort du coup porté dans ma poitrine, l’o coup amorti. La boîte d’or, en le recevant, a fait comme une lame de fer-blanc ; et le coup, asséné de bas en haut, parce que je tombais à la renverse, n’a fait qu sus : c>’qui n’emqu’elle ue soit enfoncée, crevi sillonnée par la pointe du poignard. circonstance d’une boîte qui paraît destinée à contenir un portrait, quoiqu’un peu grande, et qui m’a sauvé la vie. a tellement frappé les honnêtes personnes de Nuremberg, qu’elles ne pouvaient se lasser d’examiner la boîte et le cachet ;

; se dire un 

grand office à la Sainte Vierge, en reconnais ce bonheur. Et moi, les laissant dans leur erreur, je leur ai fait remarquer en riant qu’il y aurait une contradiction manifeste et même indécente d’aller remercier la Vierge, parce que la boîte à portrait d’une femme qui ne l’est point m’avait garanti de la mort. Ils n’ont point manqué, comme bien vous pensez, de dire à cela que j’étais un drôle de corps. Je suis de leur avis : mais on a beau jeu de rire quand on se voit sur ses pieds, après une aussi diabolique aventure.

Si mon étouffement continue, je me ferai saigner ce soir à Ratisbonne, où l’on m’a dit que je trouverais encore plus de secours qu’à Nuremberg. Désormais il faudra changer mon appellation, et, au lieu de dire B*** le blâmé, l’on me nommera B*** le balafré. Balafre, mes amis, qui ne laissera pas que de nuire à mes succès aphrodisiaques ! Mais qu’y faire’.’ne faut-il pas que tout finisse ?

Faites avec moi quelques réflexions philosophiques sur ma bizarre destinée : il y a beau champ pour cela. Qu’est-ce donc que le sort me garde ? car quoiqu’il fît bien chaud à la barre du palais, il faisait encore de quelques degrés plus chaud dans la sapinière de Neuschtat. Cependant je suis sur mes pieds ; tout n’est donc pas dit pour moi.

Songez, mon ami, que je suis vivant, concevrez comment les choses mêmes qui paraissent si timides aux autres hommes qu’ils ne pren-seulement la peine d’y réfléchir, sont presque toujours pour moi la source d’une foule

; donc joyeux désormais toutes les fois que je me souviendrai que 

je suis en vie, car vous m’avouerez que ce serait nde platitude que d’aller mourir de cette sotte oppression d’estomac qui me reste, après m’être relevé vivant, quoique assassiné par deux scélérats. Me croyez-vous capable d’une pareille ’’ih que non ! vous avez ti

moi pour ni r. Je vais


d route pour la France : in

terminées. Mais j’ai l’air d’ui ecmabalins, ma main

Ajoutez que je grimace comme un supplicié toutes les fois que j’aspire : ce qui compose environ 40 grimaces par minute, lil manquer de m’enlaidir encore un peu davantage ; el vo ; Au milieu de tout cela, je ne puis m’empêcher de sourire de la mine bassement ridicule que fait un lâche coquin pris sur le temps, et forcé de demander quartier. Mais quand a frappé mes yeux, alors il n’était pas sa rire : aussi ne riais-je pas. Je voyais seulement quel extrême avantage a l’homme de sang-froid sur ceux qui le perdent. Voilà ce que j’ai étudié toute ma vie ; voilà ce à quoi j’ai rompu mon âme illante, à force de l’exercer sur le ; contradictions.

n’y a plus que les petites colères qui me rendent mauvais joueur. Le, grandes me trouvent toujours assez armé. Il faut pourtant que la nature soutire en moi de cet effort, puisqu’elle ne s’en donne la peine que dans les occasions majeures ? , et me laisse tout entier à mon vice radical sur les coups d’épingle ; et voilà certainement pourquoi je suis deux hommes : fort dans la force, entant et musard tout le reste du temps. Cet accident a fait tant d’éclat dans le pays, qu’il se peut très-bien que quelques gazettes en parlent. Mais comme elles ne diront apparemment le fait qu’en abrégé, je profite du loisir d’une route tranquille, sur un très-beau fleuve, dont le cours sinueux, changeant à tout moment l’aspect des ri■… — ijouit ma vue, et met assez de calme dans — peur que je puisse vous faire ce détail. S’il est un peu décousu, vous serez indulgent lorsque vous penserez que j’étouffe en respirant, et que tout le corps me fait mal, sans compter les élancements de mes blessures, qui ne m’auraient pas permis de soutenir plus longtemps le cahotement de la poste, ce qui m’a fait gagner le Danube par le plus court chemin.

La fièvre m’avait pris en quittant les terres de Prusse pour entrer dans l’électoral de Trêves et Cologne :’car toute la route depuis Nimègue, où finit la Hollande, à travers le duché de Elèves, est si affreuse, que la fatigue seule m’avait rendu malade. Quand le roi de Prusse, disent les habitants, n’aura plus rien à nous prendre, il ne nous prendra plus rien. paysest-il déplorable. Le Salomon du Nord, il faut l’avouer, aime un peu beaucoup l’argent, et en général a plus de quade vertus : aussi sera-t-il rangé dans la classe barbare des conquérants par l’histoire, et non dans celle des rois.

Je me serais fait saigner à Francfort, comme c’était mon projet, si je l’avais pu sans me trop arrêter ; mais n’y pouvant rester, à cause des affaires pressées qui m’appelaient ailleurs, on ne m’a pas conseillé d’ouvrir ma veine en courant.

Et voyez comme tout est pour le mieux. Si j’avais affaibli ce jour-là mon corps par la saignée dans une ville impériale, où aurais-je pris l’audace et l’ardeur fiévreuse qui m’ont tiré d’affaire le lendemain dans une forêt de sapins ? Réellement, mon ami, je deviendrai panglossiste. Je sens que tout m’y porte. Si l’optimisme est une chimère, il faut avouer qu’il n’en est pas de plus consolante et de plus gaie. Je m’y tiens.

Vous entendez bien que je n’écris point cet horrible détail aux femmes qui prennent à moi quelque intérêt : outre qu’il est trop long, telle d’entre elles mourrait de frayeur avant la troisième page ; et peut-être ne vous l’aurais-je pas écrit à vous-même, si je n’avais craint tout ce que vos conjectures pourraient avoir de funeste, en voyant dans quelque gazette étrangère :

ii Les lettres de Nuremberg portent que des vo. leurs, qui avaient détroussé le chariot de poste il y a quelques jours, ont arrêté le li août un i. gentilhomme français, nommé M. de Ftonac, et (. l’ont dangereusemenl blessé, quoiqu’ils n’aient <. pu ni le voler, ni le tuer. >•

Allez doue, mon ami, dans tous les domiciles mâles et femelles de ma connaissance ; et, après avoir commencé par assurer que je suis bien en vie, lisez ce que vous voudrez de ma lettre, en accompagnant votre lecture de toutes les réflexions consolantes que mon bonheur doit vous suggérer. Je puis être dans trois semaines à Paris (car je ne doute point que je n’y retourne encore. I n étouffement ne tue pas un homme de ma vigueur. Pour mes blessures, je dis comme le S’Germier : La chair, la peau, tout cela revient gratis. Adieu, mon ami.

Rassemblez, je vous prie, en l’honneur du pauvre écloppé, mon père, son hôle, mon petit Gudin, l’ami Châtaigneraie, 1. épine. Tribouillard, qui vous voudrez, et, en buvant à ma santé, repassez ce détail ensemble. J’imagine que vous pouvez faire de cela un dîner aussi agréable que philosophique. Quand vous me reverrez, vous direz tous comme les paysans des villages où je passe-, et qui ont appris mon aventure par les postillons de Nuremberg, parti— avant moi.

Il— — attroupent autour de ma chaise, et mou laquais me traduit qu’ils disenl : Viens donc voir ; i oilà ci monsù ur Français qui a été tué dans U bois dt Ni uschtat. Je ris, et il— ou renl de grandes bouches d’admiration de voirlemonsicurtuéqui rit. Mais je parle d’hier, car auj’d’hui que je suis sur le Danube, je n’offre plus rien à la curiosi lé des paysans. J’ai excessivement à me louer de la comp empressée de tout ce qui m’a vu à Nuremberg, ni de la vivacité avec laquell i s’est mis en quête des brigands. M. le baron de Loffelholz, I ire de la ville ; M. de Welz, conseiller aulique, administrateur des postes ; M. Charles de I elzer, officier des postes, fils d’un médecin de l’impératrice, a Vienne’, sa fetnun.M. le baron de Ginski, Polonais, et logé dans mon auberge ; l’h< ète ( onud-Gimber, mon aubergiste, et sa famille : je d me tous ces honnêtes gens avec joie, toujours ravi quand je rem ontre quelque part les hommes ainsi qu’ils devraient être partout. J’écrivais un jour d < Istende a M. le prince de Conti, en lui faisant le détail de tout ce qui me frappait dans ce port, que -i je m’étais un peu brouillé avec les hommes à la barre du parlement de Paris, je m’étais bien racc mode avec eux à la barre du port d’Ostende. [ci c’est la même chose pour moi : j’ai repris pour les hommes, à Nuremberg, l’amour qui m’avait un peu quille à Ni’ll-clllat.

Bonjour, mou ami. Quoique j’aie haché cette lettre à dix reprises, ce qui ne la fera pas briller par la composition, je suis las d’écrire, las.1 i In assis, las d’être malade, las d’être en route, et réellement un peu bien las de voir sans cesse ma chère paresse contrariée et gourmandée par une succession rapide d’événements si actifs qu’ils m’en font perdre haleine. Il y a longtemps que tous mes amis ont dit avec moi que quand j’aurai rattrapé ma tranquillité, j’aurai bien gagné le repos après lequel je cours. Où diable est-il donc fourré ! Je l’ignore. Enfin, las d’être tourmenté, je pourrai bien quelque jour jeter mon bonnet en l’air de tous les incidents de la vie, et dire aux autres : Lu voilà assez pour moi, tâchez de mieux faire ; et c’est ce que je vous souhaite. Bonjour, mon ami.

A M. GUDIN.

Dans mon ualeai

le 16 a..ùl 1771.

Prenez voire carte d’Allemagne, mon cher bon ami ; parcourez le Danube, de la forêt Noire.i l’Euxin, plus bas que Ratisbonne, après même la réunion de llnn au Danube à Passaw, en descendant vers Lintz, où commence a peu près l’archiduché d’Autriche : voyez-vous sur le fleuve, entre deux hautes montagnes qui, eu se resserrant, le rendenl plus rapide, un.’frêle barque à six rameurs, sur laquelle un.’chaise i mbarquée contii m un homme, la tête et la main gauche envelopj — de linges sanglants, qui écrit malgré une pluie diluviale et un étouffement intérieur tout à l’ait in..lin 1>’. mais un peu diminué i-i’matin par le rcjettemenl de quelque— caillots de sang qui l’ont forl soulagé ? Encore deux ou ici— expectorations de ce genre, encore quelques efforts de la nature bienfaisante, qui travaille de toutes ses fon es en moi à repousser l’ennemi intérieur, et je pourrai compter sur quelque chose de certain. En vous parlant ainsi, je vous suppose instruit, cher ami, par Roudil, à qui j’ai écrit hier et envoyé ce matin le détail exact de mon accident : je suppose encore que vous concevez que l’homme embarqué est votre pauvre ami, qui écrit difficilement à cause de l’ébranlement successif de chaque coup d’aviron.

Mais que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?


dit notre ami la Fontaine, en nous contant l’histoire de son lièvre. Et moi je dis : Q xie, à moins qm l I In peut lire, répondrez-vous. Je le sais, mais la lecture isole et l’écriture console. La réflexion est austère, et I entretien est doux, avec son ami bien entendu. Il faut doue que je vous dise ce qui m’occupe depuis deux jours.

J’ai réfléchi, et je me suis convaincu qu’en tout le mal n’est jamais aussi grand qu gérateur de sa natun nte. J’ai éprouvé maintenant, tant au moral qu’au physiqu ! | près les plus grands maux qui puissent atteindre un homme. L’est un spectacle —ans douti frayant pour vous, que votre ami renversé par des brigands, et frappé d’un poignard meurtrier : mais réellement, mon ami. croyez-moi, au moment qu’il arrive, c’est assez peu de chose que ce mal.

Occupé de la défense, et même de rendre à l’ennemi le mal qu’il me faisait, ce qui m’affectait le moins alors était la douleur physique : à peine la sentais-je, et la colère était bien sûrement mon affection dominante. L’est la frayeur, laquelle n’est qu’un mauvais et faux aspect de l’état des chosi s, qui tue l’âme et rend le corps débile : l’événement aperçu sous son vrai point de vue, au contraire. exalte l’une et renforce l’autre. In homme ose m’attaquer, il ose troubler la tranquillité de ma marche. C’est un insolent qu’il faut punir. Il en arrive un autre, il s’agit alors de changer l’offensive en défense ; il y a bien là de quoi occuper Lune tout entière. Si dans ce débat violent l’un d’eux me perce le cœur et que je succombe, alors. mon ami, l’excès du mal même l’ait cesser le mal ; et tout cela est bien prompt. Mai— personne n comme moi qu’un homme d’honneur attaque est plus fort que deux biches coquins dont l’aspect de l’homme ferme resserre le cœur et l’ait trembler le car ils savent bien que toutes les chances sont contre eux. D’ailleurs le premier des biens dans le mal est l’improviste. un n’a pas le temps d’avoirpeur quand le danger nous surprend. Voilà d’où nail la force d’un pollron révolté. Si vous ajoutez à cela l’impossibilité aperçue de se sauver par la fuite, le plus lâche des hommes peut i n devenir le plus brave à l’instant.

Nous reprendrons ceci dans un moment, car je suis an port de Lintz. Deux pâtres y sont descendus avi i deux clarinetti s, donl ils jouent fi et l’espoir de quelques craiti hes, d’un demi-florin, les t’ait tenir auprès de mon bateau malgré la pluie. Vous connaissez mon goûl pour la musique. Me voilà tout gai. Il pic mon âme s’affecte plus vivement du lien que du mal, et j’en sais la raison : le dernier, initiant 1rs nerfs dans un liraillement convulsif. dans une tension surnaturelle, détruit la souplesse, la duiirc mollesse qui les rend si sensibles au chatouillement du plaisir. On s’arme contre le mal : en s’irritant, on moins : au lieu qu’on • i de, on prête a la volupté une force qui est moinsen elle que dans l’agréable faiblesse où l’on tombe volontairement. Ma nanl que j’ai donné le demi-florin, entendez-vous deux cors qui se joignenl aux clarinettes ? Réellement ils jouent à faire le plus grand plaisir : el, dans ce moment, je suis à mille lieu » — di des poignards, des forêts, des parlements, en un ius les m.’, haut-, qui —.>nt bien plus malheureux que moi, qu’ils ont tant persécuté, i arils avaient tort.

Autre persécution ! On vient me visiter, et voir si je n’ai rien non-seulement dans ma valise, mais même dans mou portefeuille, contre les ordres de l’impératrice. Le plus plaisant est que ceux qui visitent mes papiers n’entendent pas le français : vous jugez quelle belle inquisition cela doit faire ! Encore un florin, car voilà à quoi cela aboutit, et à de grand— hélas ! sur mes blessures. Maintenant je suis reparti ; la pluie a cessé. Du sommet à la base des montagnes, les différentes nuances du vert des sapins obscurs, des ormes moins fonces et de la douce couleur des prés, i e beau canal qui m’entraîne au milieu di croupes élevées dont la culture a relégué à la cime, font un spectacle ravissant ; et —i je n’étouffais pas ce que je tâche d’oublier),.j’en jouirais dans toute la pureté d’une’; i douce situalion, une nos peintres viennent nous dire que la nature offre toujours a l’œil trois plan-, qui —"lit le principe de l’art optique de leurs tableaux ; moi, je leur soutiens que j’en vois quatre, cinq : tout dégrade à l’infini. Je n’ai pourtant pas l’œil aussi exercé qu’eux sur ces différences… Mon Dieu, que je souffre ! Figurez-vous qu’un i I lement affadissant me monte au cœur et me fait se : -— i. pourchasser quelques flegmes sanguinolents. L’effort de la toux sépare les èvi sd blessure de mon menton, qui saigne et me l’ait grand mal. Mais que les hommes sont diaboliques ! Mettre la vie d’un autre homme en mesure avec quelques ducats ! car voilà tout ce que ces gens v —niaient de moi. Si l’on osait dans ces occasions faire un traité de bonne loi. l’on pourrait dire aux brigands : Vous faites un métier —i dano gereux, qu’il faut bien qu’il vous profite. A com<■ bien évaluez-vous le risque de la corde ou de la ■ roue, dans voire commerce ? De mon côté, je dois évaluer celui d’un coup de poignard dans votre rencontre. » On pourrait ainsi former un tarif suivant les temps, les lieux et les personnes. N’admirez-vous pas, mon ami, comme je me laisse aller au vague de mes idées ? Je ne me donne la peine ni de les trier, ni de les soigner ; cela me fatiguerait, et je ne vous écris que pour faire diversion à mes souffrances, qui sont en vérité plus grandes qu’il ne convient souvent à mon courage. Cependant je ne suis pas aussi à plaindre que vous pourriez le penser. Je suis vivant quand je devrais être mort : voilà un terrible contre-poids à la violence du mal. Si j’étais bien certain que le bonheur de penser restât au moins à qui la mort a enlevé celui de sentir, j’avoue que j’aimerais mieux être mort que de souffrir comme je fais, tant je hais la douleur. Mais imaginer que la mort peut nous tout ôter ! ma foi, il n’y a pas moyen de la prendre à gré. Il faut vivre en souffrant, plutôt que de ne plus souffrir en cessant d’exister.

Lorsque les plus horribles pronostics faisaient frémir mes amis, la veille de ce fatal jugement : alors je voyais les choses différemment. Cesser d’être me paraissait préférable à ce qui me menaçait, et ma tranquillité ne se fondait que sur la certitude d’échapper à tout, en m’ouvrant cette poitrine que je vois avec tant de joie aujourd’hui sauvée aux dépens de ma boîte à portrait, de mon visage et de ma main gauche. Tout calculé, je crois que pour l’homme isolé ou sauvage le mal physique est le plus grand qui puisse l’assaillir ; mais que pour l’homme en société, le mal moral a quelque chose de plus poignant. Vous souvenez-vous, lorsque vous veniez me consoler dans ce beau château 1, bien plus beau que celui du baron westphalien, car il avait triples portes et fenêtres grillées, je vous disais : « Mon ami, si la goutte m’avait saisi au pied, je serais dans une chambre attaché sur un fauteuil sans murmurer. Un ordre du ministre doit valoir au moins la goutte, et la fatalité est le premier consolateur dans tous les maux. — Aujourd’hui je pense que s’il m’eût pris quelques-unes de ces enragées fluxions qui produisent des tumeurs sur lesquelles le bistouri seul a de l’autorité, après avoir souffert bien longtemps, le tour du bistouri serait venu : on m’aurait crevé le menton et la joue, et je serais comme je suis, à la longue douleur près, que j’ai esquivée : plus grands maux q l’être mal assassiné, l’ai cet ■ uni mal à ma main gauche :

! la différence d le au voleur. Je 

souffre, mais je au lieu que mon drôle ii a pas eu un florin de ma dépouille ; je lui crois les reins diablement offensés, il a la màcl’e lui on le cherche pour le rouer. Il vaut donc mieux encore être volé que voleur. Et puis, mon ami, comptez-vous pour rien (mais i i dis tout bas, tout bas. comptez-vous poui avoir bien lait i levou d

exercé à l’attente du mal ; d’avoir recueilli le fruit du travail de [ouïe ma s ie, et d’être certain que je n’ai pas adopté un mauvais prim pour fond’nu ni de ma doctrine que c’est sur soi qu’il faut exercer sa force, et non sur les ments qui — ibinent de mille manières que l’on ne peut pi i voir.’Réelle ni. à l’cxi d’avoir jeté le couteau, ce qui était mal vu, je ■ etl ; casion suprême avoir nu

cution toute la théorie de force et de tranquillité ilont j’ai tâché tonte mu vie do m’armer contre les maux ni— ni prévoir, ni prévenir. s’il y a un peu d’orgueil dans cette idée, je vous tire, mon ann. qu’il i i lire, et sotte vanité à laquelle je m i v >is u] éi ieur aujourd’hui.

Mettons tout au pis. À la rigueur, je peux mourir de cet étouffement ; il peut se former quelque dépôt dans l’estomac, parce qu’il est né de quelque violente commotion dans le fort du débat. Mais suis-je donc insatiable ? Quelle carrière est plus pleine que la mienne dans le mal et dans le bien ? Si le temps se mesure par les événements qui le remplissent, j’ai vécu deux cents ans. Je ne suis pas las de la vie ; mais je puis en laisser la jouissance à d’autres sans désespoir. J’ai aimé les femmes avec passion ; cette sensibilité a été la source des plus grandes délices. J’ai été forcé de vivre au milieu des hommes, cette nécessité m’a causé des maux sans nombre. Mais si l’on me demandait lequel a prévalu du bien ou du mal, je dirais sans hésiter que c’est le premier ; et certes le moment n’est pas heureux pour agiter la question de cette préférence : cependant je n’hésite pas.

Je me suis bien étudié tout le temps qu’a duré l’acte tragique du bois de Neuschtat ou Airschtadt. À l’arrivée du premier brigand, j’ai senti battre mon cœur avec force. Sitôt que j’ai eu mis le premier sapin devant moi, il m’a pris comme un mouvement de joie, de gaieté même, de voir la mine embarrassée de mon voleur. Au second sapin que j’ai tourné, me voyant presque dans ma route, je me suis trouvé si insolent, que, si j’avais eu une troisième main, je lui aurais montré ma bourse comme le prix de sa valeur, s’il était assez osé pour venir la chercher. En voyant accourir le second bandit, un froid subit a concentré mes forces, et je crois bien que j’ai plus pensé, dans le court espace de cet instant, qu’on ne le fait ordinairement en une demi-heure. Tout ce que j’ai senti, prévu, agité, exécuté en un quart de minute, ne se conçoit pas. Réellement les hommes n’ont pas une idée juste de leurs facultés réelles, ou bien il en naît de surnaturelles dans les instants pressants. Mais quand mon misérable pistolet a raté sur le premier voleur, mon cœur s'est comme roulé sur lui-même pour se faire petit ; il a senti d’avance le coup qu’il allait recevoir. Je crois que ce mouvement peut être justement appelé frayeur, mais c’i .-t le seul que j’aie éprouvé ; car lorsque j’ai été . frappé, manqué, el ’i 11 " je me suis vu vivant, alors il m’a monté au cœur un feu, une force, une audace supérieure. Sur mou Dieu ! je u vainqueur, el tout ce que j’ai fait delà en avant n’a plus été que l’effet d’une exaltation rurieuse qui m’a tellement masqué le dan i tait absolument nul pour moi. A peine ai je senti couper ma main : mais j’étais féroce, el plus avide du sang de mon adversaire qu’il ne Pavai mon argent. Celait un délice pour moi de si ntir que j’allais le tuer, el la Cuite de sou can pu seule lui sauver la vie : mais la diminution du péril m’a sur-le-champ rendu à moi-même ; et j’ai senti toute l’horreur de l’action que j’allais commettre. , sitôt qu je la pouvais commettre impunément. Mais lorsque je réfléchis qu m n second mouvemenl a été de le blesser seulement, je juge que je n’étais pas encore de sang-froid ; car cette seconde idée me semble mille fois plus or [ue la première. Mon ami, l’inspiration à jamais glorieuse a mes yeux est la noble audace avec laquellej’ai pu changer le lâche projel de tu< r un homme sans défense eu celui d’en faire mon prisonnier. Si j’en suis un peu vain dans ce moment-ci, je l’étais mille lois davantage dans ce moment-là. C’est dans la première joie de me trouver si supérieur au ressentiment personnel, que j’ai jeté au loin le rouleau ; car j’ai infiniment regretté d’avoir blessé cel homme aux reins en coupant sa ceinture, quoique je ne l’eusse fait que par maladn sse. Il entrait aussi dans tout cela je ne sais quel orgueil de l’honneur qu’allait me faire l’arrivée d’un homme outrageusement blessé, et livrant à la vindicte publique un de ses agresseurs garrotté. Ce n’est pas là ce qu’il y a de plus vraiment noble dans mon affaire ; mais il faut être de bon compte, je ne valais pas mieux que cela alors. Et je crois bien que c’est ta rage de voir ce Lriomphe insensé m’échapper, qui m’a fait brutalemenl casser la mâchoire à ee malheureux lorsque ses camarades sont accourus pour me l’arracher ; car il n’y a pas le sens commun à cette action : ce u’e^t là qu’un jeu de la plus misérable vanité.

Tout le reste a été froid et physique. Voilà, mon ami, mon aveu entier, el le plus franc que je puisse faire. Je me confesse à vous, mon cher Gudin : donnez-moi l’absolution. Si toul i nait mal, vous savez, mou ami, combien vous avez de gens à consoler : d’abord vous, car vous perdriez un homme qui vous aime bien ; ensuite les femmes : pour les hommes, mon père excepté, ils ont en général beaucoup de force contre ces sortes de pertes. Mais si je rattrape ma santé, écoutez donc, mou ami, je ne vous dis pas alors de brûler cette lettre, je vous ordonne de me la remettre. On ne laisse pas traîner son examen de con el vous sentez bien que >i je me mets sur le ton de vomir, comme je l’ai fait ce matii qui me suffoque, faute de se digérer dans mon estomac, cet horrible alimenl une lois expulsé je suis sur mes pieds. Adieu ; je suis las d’écrire, el même de penser. Je vais me mettre à végéti r, -i je puis ; cela vaut mieux pour des blessures que d’écrire, quelque vaguemenl qu’on laisse aller sa plume. Sache/ ci pem ami, que je u’ai . nlre affaire q m n tablir.

.1 ai i xminé à ma satisfaction tous les objets de mon voyage. Il n’y a pas à me rép Ire, car j’arrêterai maintenant le moins que je pourrai. vous embra er joyeusement encore une fois.

Allez voir, je vous prie, mon pauvre petil favori, car toul ceci est bien forl pour des têtes de femmes.

Allez voir aussi Julie, je vous en remercierai en arrivant. El ma petite Doligny, allez la voir aussi. Elle m’a montré un si tendre intérêt au tempsdema grande détresse. La pauvre marquise, ci la va sans dire.

Le 1 -. au soir.

Mon bon ami, tant qu’on ne trouve point de poste, ■ i qu’il reste du papier, la lettre n’esl point finie. J’ai dormi el rêvé qu’on m’assassinait : je me suis l’éveillé dans une crise mortelle. Mais que c’est une chose agréable que de vomir de gros et longs caillots de sang dans le Danube ! Comme la sueur chaude qui mouillait mon visage glacé est i .i ; respire librement ! 1 o

suyer mes yeux, donl l’effort a exprimé quelques larmes, comme ma vision est nette ! Les montagnes les plus hérissées sonl couvertes de vigm - des deux côtés du fleuve. Tout ce que je vois esl mi tour de force en culture. La pente est si roide, qu’il a fallu tailler les montagnes eu escalier, et flanquer chaque gradin d’un petit mur. pour empêcher l’éboulement des terres : c’est le travail de [’nom [ui boira le vin. Mais la vigne, qui ne boira rien, si vous voyiez comme elle suce de toute sa force le suc pierreux et vitriolique des rochers presque nus sur lesquels elle s’accroche ! vous diriez comme moi : chacun fait de son mieux ici. Dans ce lieu même, le fleuve esl si -erré’ qu’il bouilloi ; el le Qol me rappelle en petit noir- . de Boulogne à Calais, où nous fûmes si malades. Je l’étais pourtant moin- qu’aujourd’hui, quoique je souffrisse davantage. Mais j’ai bonne e p ements nient le sac, et la succession d’une souffrance amie el .1 un sou parfait n’e-i point le pire étal que doive craindre un ressuscité ; il esl même raisonnable de faire aller le bien pour le mal : d’ailleurs, je cours au-devant du soulagement. Encore 25 lieues d’Allemagne, c’est-à-dire 37 lieues de fiance, et je serai dans un bon lit à Vienne, où je vais faire le monsieur au moins huit bons jours avant de me remettre en route. Comme j’y trouverai des médecins, j’y trouverai probablement des saignées : c’est là le premier point de leur science. Je sens bien que j’approche d’une grande capitale : la culture, la navigation, les forts, les chapelles, tout m’annonce que nous arrivons. Les hommes augmentent à vue d’œil : ils vont se presser, et enfin seront accumulés au terme de mon voyage. C’est au terme de

; loignement que je veux dire ; car i aurai bien 

lieues à faire pour embrasser mes chers amis, à qui j’espère que vous ferez part des tvelles que je vous adresse. Ne pouvant écrire à tout le monde à la fois, j’adresserai tantôt à l’un, tantôt à l’autre, ce que je pourrai rédiger ; et il faut bien que tout cela fasse un corps entre vos mains, car pour moi je ne recommencerai pas à celui-ci ce que j’aurai dit à celui-là. Tant que j’ai eu la tôle pleine d’affaires, au diable l’instant que j’avais pour écrire ; mais depuis que tout est fini, je rede iens moi même, et je radote volontiers. Bonjour, cher ami : voilà mon cœur qui s’engage de nouveau ; tant mieux, je vomirai. Sans celte vilaine oppression, je ne serais que blessé, au lieu que je suis malade. Il faut absolument cesser d’écrire. Me voilà descendu à Vienne. Je souffre beaucoup, mais c’est moins un rimill’r ni qu’une douleur aigiie : je crois que c’est hou signe. Je vais m>— r •lier ; il y a Lien longtemps que cria ne m’est arrivé. Al COMTE DE VERGENNES’. in. irs 178’. Monsieur le comte, ani-liirr malin, dans une audience particulière que M. île Fleury voulut bien m’accorder, sur les besoins pressants que j’éprouve, il me parla des Américains, qu’il appela très-justement mes amis. Et il me dit qu’il faisait beaucoup pour eux en leur accordant le port il" Baj en franchise. Je ne pus m’empècher de m’élever fortement contre ce choix. El dans la foule de rais me revinrent en faveur de Lorient, Port-1 qui Morlaix, j’en iracii lan ’"us adresse dépôt des m empêcherait pourvoir en sommation i psI un des i illéa liai mu quej qui muse i lin r:c’est que le voisinage irehandises de la Chii I bientôt les Américains Angleterre de ers objets d’une ennui leur est chère, cl que ce moyen lus doux de 1rs attirer sur nos rives ar disleur île notre — Indes lier se r.’i.ii des in iomcnl.1.’la I. Lellre il iin qui n us n iiseiîiic au mi Irepiibos de lie; hais cl île ses créauci -’"" « ’I » Ié| lance des Américains, ses….. C’esl une pièce justificative iodispensi ■ i » «  « s dil lui loi i col is notre / Urodm tio Ed. F. el de les y garder. Une autre raison milite encore : Bayonne vous coûtera plus que mois ne pensez a mettre en état, et Port-Louis ne vous i iten rien. Ce ministre obligeantm’a promis de s’occupci de mon indispensable liquidation. Mais, lui ai-je dil. monsieur, depuis que mon mémoire est remis au roi, voila trois mois presque écoulés. Je suis serré dans un étau : les engagements d’un négociant comme i ne souffrenl pas de remise, et mes embarras s’accumulent tous li jours. La prise de mes deux vaisseaux me coûte plus de lmii cent mille livres, el depuis la publicité de mes pertes, on a tiré sur moi, par frayeur, pour une pareille somme au moins. Il m’est arrivé des remises d’Amérique, el les voila malheureusement suspendues. J’ai deux vaisseaux à Nantes tout neufs, dont l’un est de douze cents tonneaux, que je destinais à la paix pour la Chine. Se suis dans l’exclusion avec tout le monde, el celle exclusion de lous m’empêche encore de vendre ces deux vaisseaux. J’avais pour quatre mille livres de ballots sui l’Aigle, destinés pour le Congrès, et l’Aigle a éti pris. L’inondation subite arrivée à Morlaix vient de submerger deux magasins où j’avais pour cent mille livres de thé. Toul est avarié aujourd’hui. Avant-hier, à l’instant de mon paiement, l’agent de change Girard m’a emporté, par —a banqueroute frauduleuse, près de trente mille livres. Il me faut expédier deux vaisseaux à la Chesapeach, avanl la mi-mai, si je ne veux pas toul perdre en rapportant trop tard le misérable reste des tabacs do nies magasins de Virginie, dont la majeure partie a été brûlée par les Anglais, pan e qu’on me retient depuis quatre ans le Fier-Rodiigitt à Rochefort, ou il a enfin pourri. Ce temps estle plus fâcheux de ma vie, el vous savez, monsieur le comte, que depuis Irois ans j’ai plus de deux cent mille livres d’arrêtés par la masse énorme des parchemins de titres que M. de Maurepas m’a ordonné de racheter partout secrètement. Je ais périr si M. de Fleurj n’arrête pas promplement avec mois de me jeter l’a compte que je demande, comme on jette un câble à celui que le courant emporte. Il m’a promis de vous en parler, ainsi qu’au roi.. lai toujours bien servi l’État, je le servirai encore sans récompense, je n’en veux aucune. Mais aux noms de Dieu, du roi, de la compassion el de la justice, empêchez-moi de périr el d’aller enfouir honteusement à l’étranger le peu de courage el de talent— que je me suis toujours efforcé de rendre utiles à mon pays, el au service de i i roi. Ce que je demande esl de la plus rigoureuse équité, el je le recevrai comme grâce.

Je vous présente l’hommage de celui qui n’a pas dormi depuis deux mois, mais qui n’en est pas moins avec le dévouement le plus respectueux,

Monsieur le comte,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Caron de Beaumarchais.


LETTRE AU ROI 1.

Sire,

Il y a cinq ans que messieurs les comtes de Maurepas et de Vergennes apprirent avec colère qu’il se vendait à Paris des titres en parchemin arrachés des diverses archives de la chambre des comptes de la bibliothèque du roi, etc.

Ils prirent des précautions pour arrêter cet énorme abus. Mais voulant aussi recouvrer, s’il se pouvait, ce qui avait été dispersé, ils me demandèrent si je ne pourrais pas faire chercher et racheter partout sourdement ces parchemins sortis des dépôts, et les tenir sous clef à la disposition du gouvernement ; mais dans le plus grand secret, à cause des plaintes et réclamations que le bruit occasionnerait.

M. le comte de Vergennes peut rendre témoignage à Votre Majesté du zèle et de la discrétion avec lesquels j’ai fait ce service précieux.

On a racheté secrètement pour moi, tant à Paris que dans les autres villes du royaume, tout ce qu’on a pu recueillir de ces parchemins vendus, et depuis cinq ans il y en a eu d’emmagasinés sous ma clef, dans divers couvents de la capitale, environ cent milliers pesant.

J’ai plusieurs fois supplié ces ministres de faire enlever le tout, et de me faire rentrer mes frais avancés depuis plusieurs années. D’autres affaires ont suspendu la fin de celle-ci.

Je fais la même prière à Votre Majesté. Messieurs les comtes de Vergennes, baron de Breteuil, de Calonne et Le Noir sont parfaitement instruits de l’utilité de rendre ces titres à leurs dépôts et de la justice de ma demande. On n’attend plus que l’ordre secret de Votre Majesté. Le tout s’achèvera sans scandale.

A M. LE COMTE D’AUNAY

SECKÉTAIIIE DE LA LOGE DE ■ LA FÉLICITÉ » s. Paris, ce 12 lévrier I78.Ï.

Monsieur le comte,

Vous êtes le secrétaire d’une loge dont le nom ne présente que plaisir et bonheur ; et moi je suis . Celle lettre, eu marge de laquelle Beaumarchais a écrit : « Reims à M. le contrôleur général, le IS février 1785 », est relative à l’affaire îles papiers et parchemins d’archives, dont nous avons parlé dans une nul.— du M< : nioire au roi. Ed. F. . Demande de dons a l’un des maîtres d’une des loges maçonniques, pour « la petite Figaro », que le Journal de Pans lui repro-un pauvre collecteur de dons généreux, pour des infortunés qui souffrent,’l’ont ce que vous laites I r remplir les doux objets des amuse nts de votre loge <’~ pris par elle de bonne part, el moi je reçois des injures pour avoir l’ail servir la petite Figaro de prétexte à la bienfaisance que je sollicite. Notre sort est bien différent, monsieur le comte ! m moyen de les rapprocher serait peut-être de nous unir pour accomplir une œuv re intéressante. Les bonbons pour /-’petite Figaro vont tous en droite ligne à la pauvre veuve l’Ecluze, qui allaite un enfant et ni nourrit un autre, et voilà ce qui la recommande auprès de moi qui depuis longtemps travaille, à fonder, si je puis, un établissemenl public en laveur de toutes les pauvres mères qui noumssent’.

Si vous trouvez mon zèle bien vif pour le peu d’utilité’qui résulte de tanl de travaux fatigants, apprenez, monsieur le comte, que ce qui éprouve à Paris des contradictions désolantes a déjà un succès c plet à Lyon. Je prends la liberté de vous envoyer le dernier journal de cette ville qui vienl de m élre adressé ; Mm-— j verre/, deux lettres dont l’objet t. niellant peut échauffer les cœurs généreux que votre loge assemble, et les perte à diriger leurs bienfaits sur une pauvre nourrice, que je leur recommande, eu attendant que je puisse parvenir à fonder un revenu qui nous permette d’en secourir beaucoup.

J’ai l’honneur d’être avec respect, Monsieur le c te,

Votre, etc.

Vous vomirez bien me renvoyer le Journal île Lyon, dont je n’ai que cet exemplaire. A M. DE LANOIX*.

Paris, ce 15 mars 17’7.

La quantité d’affaires dont je suis écrasé, monsieur, m’a empêché de répondre plus tôT a votre lettre. Les détails sur le reculement des barrières du Royaume des cinqFermes vous parviendront avec tontes les autres décisions de l’auguste assemblée des Notable-, donl elle lait partie. Il y aurait de la légèreté, même de l’imprudence, a lent particulier d’avoir une idée làdessus, quand le gouvernement et les Notables s’en occupent.

Je passe au reste de votre lettre, et je voudrais répondre à votre confiance par un avis un peu profitable. Mais vous me paraissez sous le charme ehail.1.’n’avoir pis fuit voir dans le Mariage, après avoir parlé d’elle dans le Barbier, el qu’il avait alors ressuscitée en pauvre jeune lille digne de la bienfaisance publique, avec prière an Jour. ml. son ennemi, d’ouvrir pour clic une souscription ! Ed. F. . Il avait, pour cela, un bureau organisé chez lui. vieille rue du ’IV le,.i l’hôtel de Hollande. En. F. ï :. Lettre très-curieuse, trouvée aussi dans les papiers de Londres. Il, , u ve les meilleurs seils à un jeune industriel qui voulait quitter s i province [.oui Pai i^ et la cour, cl les plus intéressants détail, mu— la manière de vivre de Beaumarchais. Ed. F. d’une foule d’illusions, dont le prisme de la capitale éblouit les yeux des jeunes gens qui s’en approchent. Quoi, monsieur, vous avez le le bonheur d’être manufacturier en Lorraine, et vous voulez vous faire valet de cour ? Vous êtes libre, honoré ; vous pouvez tous enrichir sans en rien devoir à personne ; et vous avez la cruelle fantaisie de traîner dans les antichambres de Versailles ? Quelle fausse idée, grand Dieu ! avez-vous de ce pays-là ? C’est du cuivre et du verre, que vous prenez pour de l’or et des brillants.

Sachez que la reine de France est trop entourée de talons rouges, qui dévorent, pour s’occuper jamais d’un talon noir qui ne fait que la servir ! Eh ! que demanderiez-vous qui vous manque ? N’êtes-vous pas jeune, manufacturier, citoyen ?

Il en est de même chez M. le comte d’Artois. Laissez, monsieur, aux gens inutiles à tout bien la b i e ambition de ramper inutilement. Faites votre état avec noblesse ; et si vous aimez les belles-lettres, amusez vos loisirs avec elles. Ne perdez pas à servir trois mois par an ; c’est bien plus du quart de la vie ; car leur oisive inutilité verse du dégoût sur le travail du reste. C.’-l h m négociant qui vous parle, et qui connaît le prix du temps ; celui de la liberté, surtout.

A M. L’ËVEQUE DE VERDUN

MoNSKICXEl’H,

eptemb,

Parmi la foule d’infortunés que leur misère recommande à la charité chrétienne, à l’humanité bienfaisante, la femme Sénéchal m’a paru mériter la plus honorable exception. Mère de s. —pi enfants à Falaise, i i nourrice de la fille d’un pauvre employé de Paris, elle a pendant trois ans allaité la petite étrangère, sans recevoir aucun payement. Quand elle a ramené l’enfant, les parents étaient disparus —, en vain elle a cherché partout. Chai un lui —ii ail brusquement : <■ Pourquoi pleui i idiote ? Mêliez ça aux enfants trouvés ; vous n’aurez perdu que vos mois, mais votre embarras finira.

— Que j’abandonne mon enfant après l’avoir nourrie trois ans ! disait la pauvre femme en la serrant contre son sein. J’en ai sept, tous vivants. Elle sera la huitième, mon mari gagne 10 sols par jour, le ciel nous aidera peut-être. Nous ferons comme nous pourrons. — Elle l’a reportée en pleurant à pied de Paris à Falaise. I le Iraif sublime de vertu m’a touché jusqu’au fond de l’âme. Pendant que je la secourais, j’ai vu les pauvres mêmes se Les grands ne font rien pour les petits. Heureux cotiser pour elle. De cette sensibilité des pauvres, s ils les laissent tranquilles ! Non qu’ils soient méchants, malfaisants ; mais ils ont trop de grands à leurs trousses, pour que 1rs petits s’en approchent. Vous me parlez de moi, je fais de la prose et des chiffres tout le j ■ : le soir, des vers, de la musique. Mais ici l’accessoire ne nuit jamais au principal. Les arts libéraux, le plaisir, ne sont que mi : musements. Luborimpivbusesl en chef. Faites ’I" même, et, sous ce double aspect, la considération vous atteindra plus tôt qu’en ayant vingt i barges à Versailles.

nechangi, de projet, je vous prédis un rapide amoindrissement dans vos affaires, et puis leur ruine au bout du compte. Vgri ez ma sévérité comme une marque d’intérêt. Je suis né sans fortune, et l’ai perdue trois fois après l’avoir acquise. Si le travail forcé ne garantit pas de ce mal, jugez ce qu’on doit craindre de l’oisiveté ! Buffon est maître de forges ; llersehell, faiseur de lunettes ; Montgolfier, papetier ; moi, chétif littérateur, je suis négociant à Paris, armateur dans nos ports, imprimeur en Alsace, papetier en Lorraine, etc., etc., et m’honore plus de ces titres à l’estime qu’un courtisan n’est fier de la bienvi maître.

ultc à la main, j’écris mal,

même en écrivant. Toul cria gâte, el I la phrase, et le style de cette réponse : ne m’ôte rien du courage de vous détourner d’un fausse route, et de détruire un faux projet. Vdicu. Monsieur. je vous salue. Souvenez vous de Beaumabchais.

pie

e soutire

lettre, el

mais elle

, l suis remonté par une quèle jusqu’à l’humanité des riches. J’ai pins fait, Monseigneur : la croyant digne du prix académique destiné à de hautes vertus —. je I ai rec m lée partout. Mai — ; sans crédit auprès ir< philosophes. Permettez, Monseigneur, que je m’adresse à la religion dans un de ses augustes ministres. Puissé-je avoir quelque succès ! Les aumônes du roi, du ni vous êl dispensateur, me semblent ne pouvoir plus heureusement s’appliquer. Et j’apprends de la pauvre mère que vous les lui avez promises. Ce n’est donc pas votre charité, Monseigneur, c’est votre souvenir que j’éveille. Il ne manquera rien à ma joie, i, iv. evanl avec bonté la gratitude religieuse de la digne fen Sénéchal, vous ne dédaignez pas la reconnaissance bien ive encore d’un pur mondain, de celui qui est,

Avec le plus profond respect.

Monseigneur,

Votre de.

A M. PËRIGNON, PRÊT HE’.

Paris, ce 3 septembre 1 789.

Je ne méprise personne, Monsieur, et respecte le malheur de tout le monde ; mais je suis étonné de lettre est un appel de charité poi rices dont, 1 s’était fait la provide . Lettre

» de vi i tu. que M. de Montyi I

dans les papiers de Londiea

ces pauvres

la tirons de

d. F.

i venait aloi s

a. F.

et qui couvoir que personne ne respecte le mien ; en butte aux plus atroces noirceurs, troublé par mille infortunes, ma vie est devenue déplorable. Depuis un mois que le désir patriotique de prévenir un grand désordre m’a fait faire l’immense sacrifice d’une somme de douze mille francs pour les pauvres d’un grand faubourg 1, plus de cent lettres anonymes injurieuses m’ont payé de cette bonne œuvre, et votre lettre est la 422e (je viens de les compter) qui me demande des secours.

Douze secrétaires et la lampe merveilleuse ne suffiraient pas pour ré] Ire aux uns, re] sser l’injure des autres, etfairedubien à toutlemond ■’. El comment vous. Monsieur, qui vous blessez de ce que je ue réponds point à un inconnu qui demande pour une inconnue, ne calculez-vous pas que, plus un homme charitable a versé de bienfaits autour de lui, moins il lui reste de moyens pour soulager des inconnus éloignés, et dont la foule est innombrable ? Hélas !.Monsieur, je ne puis, je ne puis !

Savez-vous que ces douze mille In res, que j’étais loin d’avoir, m’ont coûté pour 1rs faire I t, 60 I.’el que si le faubourg n’eût été prêt à se révolter par misère ; si la sûreté publique nem’eûtpas emporté très-loin de mes moyens, la charité toute seule ne me l’eût pas l’ail faire ? Savez-vous que, pendanl que je vous écris avec un peu de colère, mon imprimeur attend, car c’est avec ses presses que je réponds aux scélérats ? Savez-vous qu’il y a dix-huit mois que je n’ai touché un sol de mes revenus ? Savez-vous que toutes mes maisons ont échappé dix fois au feu, et ma personne avec peine à la hart ? Si vous êtes, Monsieur, ministre des autels, je vous demande une petite place dans le Mémento de la messe pour un pauvre persécuté. Il y a eu deux hommes qui seraient bien étonnés s’ils revenaient au monde (c’est Louis XIV et Jésus-Christ), de voir comme on traite aujourd’hui les deux grands dcspotismes dont ils avaient couvert la terre. Mais il s’en élève un troisième qui esl celui du brigandage : celui-là est le pire de tous. Priez Dieu qu’il nous en délivre, et qui que vous soyez, Monsieur, recevez avec indulgence l’humeur d’un honnête homme poussé à bout sous toutes les formes. Un autre à ma place jetterait le manche après la coignée, mais je le garde pour me défendre contre les brigands qui m’attaquent, et les quatre sols qui me restent pour payer ceux qui m’aideront à en obtenir justice.

Je suis avec respect, Monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant Signé Caron de Beaumarchais.

tient les plus navrants détails sur la silnati mois, cette Révolution, dont il avait été u faite à Beaumarchais.

J. On a iu, dans Y Introduction, qu’il d< pour les pauvres du faubourg Saint-Antoiii n quo, dès les premiers

, des artisans, avait déjà

Ed. F.

nua en effet cette somme

i. Ed. F.

A MADAME PANCKOUCKE"

Maintenant, Madame, que je vous entends bien votre lettre est cent fois plus difficile à répondre que lorsque je n’entendais rien. Car on retrouve une chanson dans un ancien portefeuille, on la dot à recopier, on I envoie et l’on est quitte. Mais comment voulez— vous, Madame, que je trouve nue pièce entière à trois personnages, axe musique, premier, second dessus, alto, basse, cornet, hautbois ; que je n’ai peint vue depuis douze ans, que l’on m’a volée, et qui, si je la retrouvais, exi cerait un travail de copiste pendanl douze ou quinze jours ? El puis une scène qui n’a jamais été écrite et qui me forcerait, ] • me la rappeler, à me remettre à la harpe que j’ai quittée depuis dix ans ? J’aimerais autant qu’on me donnât pour lâche d’aller courir après ma jeunesse et toutes les folies qui l’accompagnèrent. Ma foi, Madame, j’ai bien peur de rester en chemin dans ma recherche. Un homme que j’aime et que j’estime, M. de Chalianon, nie fit la même demande l’an passe,.le me donnai beaucoup de. soins inutiles et je fus obligé île demander quartier, parce que celle partie si frivole et si agréable de mes anciennes oisivetés a ele mise au pillage pendanl les sept ou Imii années qui ont empoisonné mon âge viril. N’importe, Madame, je recommencerai mes recherches, et si le loisir d’embrasser une harpe nie vient jamais, je tâcherai de retrouver dans les recoins de mou cerveau musical les traits d’une scène qui ne manquait pas d’i ffets agréables. Elle élail haute en couleurs, connue nous l’avons dit ; li~ j. i|ic< femmes la soutenaient fort bien, dans le demi-jour d’un salon peu éclairé, le soir après souper. Elles disaient seulement que fêtais bien fou. Bon Dieu ! combien je suis devenu grave ! Il ne me reste de tout cela que le regret de ne l’avoir pas plus présent à l’esprit, pour vous satisfaire’, et le désir de le retrouver pour vous prouver avec quel plaisir je vous donnerais cette marque de respectueux deMiiieincnl el île tous les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Madame, Voire très-humble el très-obéissant serviteur, Caron de Beaumarchais.

M. Panckoucke m’avait faitdire qu’il me viendrait voir samedi. Je l’ai attendu toute la matinée sans le voir arriver. Serait-il incommodé ? Je relis ma lettre et j’y vois que je ne vous promets rien. Mais enfin vous me demandez des choses à peu près impossibles ! Pardon, Madame, je ferai l’impossible pour arriver à l’impossibilité que vous demandez.

. Cette lettre, citée par nous dans l’une des notes de la parade Us Bottes, lc sept lieu,’; -,.’bt i., i.-i i —..mi, — par ce que Beaumarchais dit lui-même de son talent sur la harpe et des petites partitions que. plus jeune, il s’amusait à faire sur ses farces. Ed. F.

AU PRINCE DE LIGNE 11.

Paris, ce 26 février 1791.

Mon prince,

Je ne suis pas de ces gens qui font les choses à demi : largement je vous dis mon prince, bien entendu que si vous me répondez, vous me direz mon citoyen ; et courtoisie pour courtoisie, je viens au fait.

Il y a environ cinq ans que vous portâtes aux nues l’invention d’un ancien musicien de votre régiment, qui avait eu l’idée d’un instrument aérocorde. Vous le présentâtes chez madame de Polignac ce qui était alors une grande marque de protection. Il devait avoir l’honneur de faire entendre à notre reine l’effet d’un courant d’air faisant vibrer une corde et produisant un son qui donnait l’espérance d’un instrument parfait, si l’on réussissait à mettre ce moyen en œuvre. Eh bien ! mon prince, cet homme de génie nommé Fschirszcfo s, ’ sl l ’ 1 ’ ; un autre homme de génie appelé Schneli, bon facteur de clavecin : et depuis quatre années ils ont tant fait par leurs efforts, par leurs essais et leurs journées, qu’il en est résulté un instrument céleste, dont l’effet ne ressemble ni au clavecin, ni à l'orgue, ni à l’harmonica, mais aux ’-'"- ariens d' un concert de voix virginales, qui chanteraient dans les nues le Gloria in excelsis : jamais des sons filés n’eurent un effet plus délicieux. Ils ont trouvé le moyen de les enflera volone, sans que la pureté de l’harmonie en soit nullement altérée. Enfin le charme de l’instrument est te que lame en est transportée ; qu’une mél " 11 ’" 1 "’ do "ce et sublime s’empare de celui .un • ^oute et le met dans une espèce d’extase rÏÏ gieuse dont ,1 ne voudrait plus sortir. C’est le "omphe sacre de la musique ; et grâces vous oent rendues rincei ,j ,

zcue fsasub. me confection ; car l’émulation 

,|1 " : os éloges ont donnée à leurs premiers efforts a mis les deux auteurs au-dessus de tou I 1 lacles.Hien ne les a plus arrêtés. Us ont vaincu ’""l" leur n,m "- M"" quatre années du labor ""P’-oàus, ei des dépenses de toute espèce onl achevée nu a peu près.

J l f vous n’avez pas assez lai, pour eux. mon P nnce ; s ’ vous ne les aidezà se défaire avant ! „-

, " h ’" 1 de le ur céleste aérocorde. Nous autres ci-Ef,

"i """""" P ’ US ; ’■ richcs l"""’ nous ’"" !"" des jouissances aussi coûteuses. Libres mais pauvres, ou seulement un peu aisés nous ~ obliges de laisser passer à’regret ce chef !

maintien des abus, des antiques abus, a laissé 

•1- fortunes assez considérables pour que nue ! qu un puisse acquérir cet instrument qui est d’un très-grand prix : ils revendront ce qu’ils pourront mais il leur coûte plus de trois mille louis „„ ;’,"’ V’" l :l b, ’ en iDStrUit ’ mon P rinc e, et celui ^ ul P Ietes ^ ’"ain pour vous faire parvenir la présene suppl. q si I, citoyen français que vous vîntes un matin embrasser dans son lit à Kehl el n ( e ’a" alors qu’un bourgeois de Paris, et votre serviteur dévoué.

Signé Beaumarchais.

LETTRES A MADAME AMÉLIE HOURET HE LA MARINAIE ’.

En arrivant de la campagne, madame, je recois ’ ;« ’étire dont vous m’avez honoré, en date dn ?n du mois passé.

Q uoi q u e J’aie plus de bonne volonté q [ e moyens de vous servir, plus de ce,,,,,,,, , ,„. ,,,’. Pouyo’iMlne faut pas que votre aimable et franche confidence reste absolument sans effel si j c ue puis vous être utile, je puis au moins vous écouler vous conseiller, vous consoler. Vous avez raisoi de P re ’ei’er ma maison, pour me conter vos peines a tous les biais qui regardent votre couvent Mai. in i-etourne à Chantilly,d’oùjene reviendrai que jeudi Pfodiain ; raites-moi crédit jusqu’à cette époque, e 1 Prenez ensuite le matin qui vous conviendra •"""",’" ce que je puis pour vous, mais le ton de ’ olr ? ’ettre me rail infiniment désirer de pouvoir quelque chose. À mon arrivée vous saurez que je suis de reloue par un mot, !,. ,„,„ . vous ,,,, .. ,’ , maîtresse alors, et moi je vous attends, avec le res P ecl du au malheur, surtout à votre sexe à votre esprit, par celui qui vous honore de tout son cœur.

P. Caron Beaumarchais.

I • Au milieu des ,>lns mars

Ed. F.

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II.

J'ai lu votre mémoire, aussi singulier que vous, très-étonnante créature : je vous le renvoie, quoique j'eusse une envie démesurée d'en faire prendre copie. Mais vous l'aviez confié à ma probité, sans me permettre aucune extension de liberté : je vous le renvoie pur et intact, à une lecture près, que je n'ai pu me refuser d’en faire à quatre ou cinq personnes, en taisant les noms et déguisant les lieux.

. Celte I- ii

il :U* Jeux, plus importantes, qui suiveul t ’. "’"" ■’■'■-|"»» | li«"-’i- assez c’ lue clonll i n ,, hr In i lus coin dérabe ri surfont i-, . i. - P l ’ '"’ "" ’■ plus me se trouve a Londres, Hi ’/„ ;’"" :■<""'"">> Muséum. Nous tenons là dan Sl "’ '«■ ’I" ’""an eclled’un a, Ir ,u- m,,., ans

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Vous avez beaucoup trop d’esprit : voilà mon sentiment et celui de mes amis. Votre style original, comme votre langage, votre grand caractère nous a tous enchantés. Quelques-uns même, plus gaillards les uns que les autres, brûlaient d’en connaître l’auteur ; mais je me suis contenté de jouir de leurs éloges, de leur admiration, sans compromettre votre secret. Maintenant, belle impérieuse, que voulez-vous faire de moi ? Premièrement, je ne veux plus vous voir ; vous êtes une incendiaire ; et, soit que vous brûliez ou non, vous mettez le feu partout ; hier, en vous quittant, il me semblait sur moi qu’il eût plu de la braise. Mes pauvres lèvres, ah ! dieux ! pour avoir seulement essayé de presser les vôtres, étaient ardentes comme si elles étaient dévorées du feu de la lièvre. Qu’avais-je besoin de voir tant de charmes ? Qu’avais-je besoin de voir votre jambe attachée au genou le mieux fait ? et ce pied, si petit, si furtif, qu’on le mettrait dans sa bouche… ? Non… non, je ne veux plus vous voir, je ne veux plus que votre haleine mette le feu dans ma poitrine. Je suis heureux, froid, tranquille. Que m’offririez-vous ? des plaisirs ? Je n’en veux plus de cette espèce. J’ai renoncé à votre sexe, il ne sera plus rien pour moi. Parlons raison si nous pouvons. Je sais votre affaire comme vous ; mais à quoi puis-je vous servir ? Qu’entendez-vous faire pour votre époux ? vous me l’expliquerez sans doute : soyez franche et nette avec moi. J’ai vu la beauté, j’ai lu, entendu l’esprit, voyons le cœur à découvert ; plus de séances bec à bec ; je deviendrais fou ; tous mes plans de sagesse se briseraient contre tant d’attraits ; et ma coquette, en se mirant, chercherait encore à se donner quelques charmes de plus ; son petit parler sec et brusque essayerait de nouveaux propos capables d’enchanter l’oreille ; et moi, suspendu comme une mouche à tous ces filets d’Arachné, je laisserais sucer, dessécher ma substance, égarer ma raison, soulever mes sens presque éteints ; et cette femme en miniature, avec ses idées de vingt pieds, ferait sa poupée de mon cœur. Non… non… arrêtons-nous, il en est temps ; mandez-moi ce que vous pensez, sentez, voulez, exigez de moi ; je suis votre conseil, votre respectueux admirateur, pas encore votre ami ; Dieu me préserve de vos charmes !

P. Caron Beaumarchais

III.

J’ai tout lu, Madame, et cela va fort bien ; vous êtes ce que vous devez être : noblement infortunée et fière au sein de l’infortune. Votre sollicitude pour le sort de madame votre mère honore votre cœur ; vous serez une bonne amie, puisque vous êtes une bonne fille ; il ne faut plus que vous tranquilliser. Je vous remercie de m’avoir assez estimé pour croire que de si beaux motifs, une position si cruelle devaient m’émouvoir. Si belle, si jolie, si jeune encore, et vous êtes pauvre ! Ah ! oui, vous êtes une honnête femme ; il ne faut plus que vous tranquilliser. Envoyez vite un secours à votre mère, et que cela passe avant tout. Payez sans retard chez vous, afin que vous soyez placée dignement : les autres peuvent attendre un peu ; prenez des termes et faites-m’en part ; je ferai en sorte que vous ne restiez pas en arrière. En me donnant mes coudées franches, je pourrai vous prêter assez pour remplir ces premiers vides. J’ai connu, mon enfant, l’infortune et ses suites, et sais qu’il en coûte à une âme fière pour solliciter de l’appui. Dieu merci ! vous n’êtes plus dans ce cas. Tant que j’en aurai vous ne manquerez pas, et votre sort est désormais en sûreté. Je vous apprendrai deux bonnes choses : à vous passer de tout ce qui vous manque, et à jouir modestement de ce que vous aurez. Comment s’appelle votre frère ? Je suppose qu’il a quitté son nom en entrant dans les Aides. Je tâcherai de travailler pour lui ; mais moi, pauvre, je suis bien mal avec la Ferme générale ! Défenseur perpétuel des droits du commerce de France contre tous les abus du fisc, défenseur de la justice et de l’humanité contre toutes les autorités ministérielles, on me redoute, on me maudit, pendant que dans les ports chacun me préconise. En général, il n’est point de milieu pour moi ; partout je suis, sans le vouloir, ou le bœuf gras ou le loup gris. N’importe, envoyez-moi le nom sous lequel votre frère est employé dans la régie, je ferai ce que je pourrai, sinon par moi, par mes amis : j’en ai fort peu, ils deviendront les vôtres. Ne parlez de moi à personne, jusqu’à ce que vous soyez bien instruite de la terrible enveloppe dans laquelle je vis. Le peu que je fais pour vous, charmante et digne femme, serait envié, jalousé, vous ferait exécrer par mille gens qui se croient des droits sur mes soins, mais qui sont à mille lieues de moi.

Fermons ce tiroir et ouvrons l’autre, car tout doit marcher à la fois. Vous m’avez dit tous vos secrets, sachez une partie des miens. Vous me demandez mon amitié ; mais il est trop tard, chère enfant, pour que je vous accorde une chose si simple. Malheureuse femme, je vous aime, et d’une façon qui m’étonne moi-même ! Je sens ce que je n’ai jamais senti ! Êtes-vous donc plus belle, plus spirituelle que tout ce que j’ai vu jusqu’à ce jour ?

Vous êtes une femme étonnante, je vous adore ; pourtant ne vous effrayez pas. Cela ne vous engage à rien, et cet amour, peut-être nouveau dans mon cœur, n’aura rien de commun avec nos relations sévères. Je voudrais pour beaucoup pouvoir oublier notre entrevue, vous restituer tout ce qui s’y passa, surtout en perdre la mémoire. Comment tenir une jolie femme sans rendre hommage à sa beauté ? Je ne voulais que vous prouver qu’on ne vous voit pas impunément ; mais ce doux badinage, sans conséquence avec une femme ordinaire, a laissé des traces profondes que ni vous ni moi ne pourrons jamais effacer. Il faut bien que vous dévoriez encore l’ennui de tout ce radotage, parce qu’il sera le dernier ; vous me troublez, vous me suivez, et vous m’empêchez de dormir. J’ai des agitations tout à fait déplacées, je sens le feu de votre haleine. Je voudrais dans ma déraison pétrir vos lèvres de mes lèvres pendant au moins une heure entière.

Je pensais cette nuit que ce serait un grand bonheur si je pouvais, dans ma fureur, vous identifier avec moi, vous dévorer toute vivante. Elle aurait ses bras dans mes bras, sa personne dans la mienne. Tout le sang qui part du cœur, au lieu d’aller chercher l’artère, pourrait se verser dans son cœur, et puis de son cœur dans le mien. Qui devinerait qu ôlle esl 1 i v J aurais 1 nr de toujours dormir, et nous jaserions en dedans ; mille autres idées extravagantes viennent croiser celle folie. Vous voyez bien, mon cœur, qu’il esl impossible à préseul que vous désiriez me rencontrer, lit pour consentir à me voir, il faudrait que vous fussiez aussi folle que moi : laissez donc là foules vos mignardises ; le ton de votre reconnaissance esl trop louchanl pour mon faible cœur ; ne serrez poinl ma main entre nos petites menottes d’albâtre ; ne les portez pas survotrecœur, comme vous le dites : biul cela me fait mal. je le sens, je le vois comme si cela était. Nous avons mille choses à non- dire, traitons-les par écrit ; vous vous verseriez tout entière que vous ne me soulageriez pas. Mon amour .’-i d’une Irempe à pari : il faudrait m’aimer, el je me rends justice, vous ne pouvez pas m’aimer ; vous ne vomiriez pas rendre malheureux celui que vous avez charmé par votre esprit, votre figure, votre hauteur d’idées el votre parfaite sensibilité. Ayant passe l’âge de plaire, je dois fuir le malheur d’aimer. Tout cela s’apaisera, j’espère, pourvu que je ne vous voie plus.

Ah ! Madame, j’ai profané vire bouche, puisque la mienne l’a pressée sans mourir. Femme, rends-moi l’âme que lu m’as prise, ou mets-en une autre à sa place.

P. Caron Beaumarchais.

MÉLANGES EN PROSE ET EN VERS

PLACET

À MESDAMES DE FRANCE, QUI M’AVAIENT PROMIS DE S’OCCUPER DU SOIN DE MA FORTUNE 1.

Comparaison tirer de l’Écriture sainte. Couvert de lèpre, assis sur un fumier, Nu comme un ver, mais armé de constance Job, autrefois, ne cessait de crier : « Frappez, mon Dieu, je bénis ma souffrance. »

Quoi ! dit Satan écumant de courroux, Mon art ne peut opérer la défaite ? Maudis ce Dieu qui te livre à mes coups ! Job répondit : « Sa volonté soit faite. »

Mais les voleurs égorgent les troupeaux ; Tes grains sur pied sont détruits par l’orage, Le feu du ciel a brûlé tes châteaux ! « Tout est à Dieu, je n’en eus que l’usage.

Ii-’- maux affreux t’ont ravi la santé, Tes fils sont morts et ton Dieu t’abandonne. « Non, non, dit Job, j’adore sa bonté ; S’il me punit, sans doute il me pardonne. »

Qu’arriva-t-il ? Satanas fut vaincu. Anges de Dieu, qui du ciel descendirent, Rendant à Job plus qu’il n’avait perdu, Dans sa richesse enfin le rétablirent.

Job mon patron, semblable est notre histoire : J’avais des biens, je n’ai plus un denier 2 ; Et comme toi je chante ici la gloire Du Roi des rois, assis sur mon fumier.

Jusqu’à ce point la copie est parfaite ; Reste à montrer le diable et ses agents Me tourmentant et pillant ma retraite, Puis faire voiries anges bienfaisants.

Le diable, c’est celui de l’injustice ; Ses agents sont avocats, procureurs, Qui par exploits, tourments, noir artifice, De tout mon bien ont été les voleurs 3.

1. Pièce de vers assez inattendue dans les Œuvres de Beaumarchais ; mais il s’adressait à de pieuses princesses et il fallait parler leur langage. Ou a vu dans l’Introduction comment il avait su arriver jusqu’aux filles de Louis XV. Ed. F. . La mort de sa première femme, arrivée uu peu auparavant, t’axai : miné.

. Allusions à ses procès avec les parents de sa femme. Anges du ciel, ce sont belles princesses, Dont le cœur est l’appui des malheureux, Leur seul regard a calme mes détresses, Il m’a prédit un avenir heureux.

VERS POUR GOURSAULT A MANON SILVIE ». Si vous m’en croyez, mon cher Goursault, vous serez ’h 1 moitié du bon persiflage que je médite a toute ma société, hommes et femmes. Pour que vous soyez au fait, vous devez vous rappeler que sur la plaisanterie de votre tourterelle vous avez fait deux envois de vers et qu’ils ont été lus en pleine table ; que quoiqu’ils soient très-jolis pour le fond des choses, on a trouvé qu’ils n’étaient ni assez bien mesurés ni assez richement rimes pour être sortis de votre plume ; le soir, en rentrant, on me les a montrés, et sur-le-champ j’ai imaginé de leur rendre la plaisanterie toute chaude. J’ai gagé que vous aviez exprès négligé les rimes et les mesures pour rire après aux dépens dis moqueurs ; on a tenu ma gageure et l’on m’a fait convenir que si vous l’aviez fait exprès vous ne tarderiez pas à venir rire aux dépens de ceux qui les ont critiqués.

L’on m’a interdit ensuite toute communication avec vous jusqu a lundi, qui est le terme accordé pour payer de part ou d’autre.

Sur-le-champ j’ai bâclé en vers la plaisanterie • 1 1 1 . - ji- oiis envoie. Il ne s’agit que de l’ecrii Y m. h-, main et de l’envoyer sur-le-champ par la petite poste a la divine Julie. Je me charge du reste. Vous écrivez trop bien en latin, en français, dans le style oratoire et familier, pour ne pas rire le premier des fautes que vous pouvez faire en vérifiant : tenez bon, je ne vous vendrai pas et je vous ménage deux ou trois scènes comiques qui sont le vrai sel de la société. Je suis, comme vous savez, votre serviteur et ami.

De Beaumarchais.

Dans tous les cas, rendez-moi le brouillon que . Petite mystification, prose et vers, dont s’amusa Beaumarchais aux dépens de sa société, et au profit de son ami le médecin Goursault. Nous avons copié cette pièce sur l’autographe aux manuscrits de la Bibliothèque nationale. Ed. F. Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/878 Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/879 Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/880 Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/881 Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/882 qui n’attend que sa dernière heure. Mon bourreau aperçut ma bourse qui était sur ma commode, il s’en saisit, et me reprit au collet et par les cheveux. À ce dernier trait, j’ouvris les yeux pour la seconde fois, je m’armai de courage, je m’emparai brusquement d’un couteau que je trouvai sous ma main. Cet acte de vigueur fit disparaître mon aventurier.

Je m’essuyai le visage devant un miroir ; et lorsque je fus de sang-froid, je m’aperçus que ma barbe était faite, et que mes cheveux étaient frisés, poudrés et accommodés. Je reconnus alors de quoi il était question : l’illusion que je m’étais faite avait été occasionnée par un nouveau garçon perruquier que son maître m’avait envoyé. Je fus très-satisfait d’en être quitte pour la peur, et je partis en riant pour aller à la campagne.


VIEILLE RONDE GAULOISE ET CIVIQUE

pour la rentrée d'eugénie beaumarchais de son couvent dans la maison paternelle.

Dédiée à sa mère, et brochée par Pierre-Augustin, son père, le premier poëte de Paris en entrant par la porte Saint-Antoine.
Ce 1er mai 1791, grand jour de joie dans toutes les villes de France.

Sur l’air : Ho, ho, s’fit-il, c’est la raison
Sur l’air : Que je sois maître eu ma maison.

1er COUPLET.

Hier Augustin-Pierre
Parcourant son jardin,
Regardant sa chaumière,
Disait d’un air chagrin :
Je le veux, car c’est la raison
Que je sois maître en ma maison.

2e

Quelle sotte manie,
Du bonheur me privant,
Retient mon Eugénie
Dans sou f…atal couvent ?
Je veux l’avoir ; c’est la raison
Que je sois maître eu ma maison.

3e

Elle use sa jeunesse
À chanter du latin ;
Tandis que la vieillesse
Me pousse vers ma fin !
Tant que je vis, c’est la raison
Que je l’embrasse en ma maison.

[9]

L’on danse à nos barrières ; I Le fisc abat son mur : J Et ma fille en prières, De son parloir obscur, Crie à mon cœur : Est-ce raison) Que tu me fermes ta maison ?) Sa mèr-e, et vous ses tantes, Courez me la chercher. Vous, nos braves servantes, Prépaie/ son coucher. Préparez-le, c’est la raison Qu’on m’obéisse en ma maison. bis. Blondi ».’que l’on attelle Mes plus beaux chevaux gris, Pour rouler ma pucelle Rien n’est d’un trop haut prix Dépêche, car c’est la raison Qu’on m’obéisse en ma maison. bis. bis. Roussel ! ouvrez la grille ;),. Je l’entends, je la voi. j Mes amis, c’est ma fille Qu’on ramène chez moi. Pensez-vous pas que c’est raison) Qu’elle entre en reineen ma maison ? j bis. bis. Bonjour, fille à ta mère. Dis : Adieu, Bon-Secours’ Je viens chez mon bon père Être heureuse à touj —. Papa le veut ; c’est la raison ■ Qu’il soit le maître en sa maison. Dans mon verger de Flore, I ois mes berceaux couverts.) Chaque arbre s’j colore ; .Mes gazons sont plus verts. C’est toujours la belle saison Quand tu parais dans ma maison. 10 e Tous ces beaux, que l’on nomme Te lorgnent-ils déjà ? Dis-leur : Mon gentilhomme, N’êtes-vous que cela ? Des parchemins et du blason j N’ouvriront point cette maison. ! Il » Esprit en miniature, Gros col et soulier plat, Breloque à la cainture ; Bien étriqué, bien fat ! . Couvent où elle fut élevée. bis. bis. Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/884

  1. Cette parade, qu’on ne connaît pas complète, et que nous avons dû mutiler encore, à cause de ses audaces, qui vont plus loin que celles des farces de Vadé et de Collé, se trouve dans le volume V des manuscrits de Beaumarchais, acquis à Londres par la Comédie-Française, au mois de septembre 1863. La famille en possède une autre copie parmi les nombreux papiers dont M. de Loménie eut communication : « Elle a, dit-il — ce qui est vrai — toute la verve grotesque du genre, toute la spirituelle effronterie d’équivoques et de quolibets qui le caractérise. » (Beaumarchais et son temps, 1856, in-8, t. I, p. 60, note.) — Nous ajouterons qu’elle n’était que le décalque moins accentué d’une autre plus grasse : Léandre marchand d’agnus, qui, dans le manuscrit de la Comédie-Française, la précède, écrite tout entière de la main de Beaumarchais. Elle fut faite, les dernières scènes le prouvent, comme la Trilogie, dont nous la faisons suivre, pour une fête de saint Charles, patron du fermier général M. Le Normand d’Étiolles, mari de Mmede Pompadour et collègue de Beaumarchais, en qualité de secrétaire du Roi. Mme de Genlis a parlé de ces fêtes données au château même d’Étiolles, dans la forêt de Sénart, tout près de Corbeil. Elle y joua, en I762, n’ayant que six ans, le rôle allégorique de l’Amitié, et y chanta un couplet qu’elle n’a, dit-elle, « jamais oublié. » (Mémoires, t. I, p. 17.) Peut-être ce couplet était-il de Beaumarchais, car souvent son hommage ne fut qu’une chanson, comme celle, en même style que cette parade, dont on a pu lire plus bas les six couplets :

    Mes chers amis, pourriez m’enseigner
    Z’un bon seigneur dont chacun parle.

    Villiers, dans son Manuel aux environs de Paris, 1804, in-12, t. I, p. 392, dit que Beaumarchais, déguisé en paysan, vint lui-même chanter cette chanson « qui fut si connue dans le temps. » Quel temps ? quelle année ? Peut-être 1774. La chanson fut en effet publiée pour la première fois dans la Correspondance secrète du mois de janvier 1775 (t. I, p. 166-167). Villiers, ajoutant quelques détails sur les divertissements d’Étiolles à la saint Charles, n’oublie pas celui dont cette pièce est un spécimen : « Beaucoup de personnes de Paris, dit-il, et des environs y étaient invitée. Ces fêtes consistaient en bals, parades, comédies, loteries où tout le monde gagnait. »

    Éd. F.
  2. Cette parade, un peu moins épicée que celle de Jean Bête, et que nous avons, par conséquent, pu donner plus complète, est, comme elle, curieuse à étudier, pour qui veut connaître un peu certaines origines de l’esprit de Beaumarchais, et comprendre les échappées de verve paradiste qu’il s’était permises jusque dans le Barbier de Séville et le Mariage de Figaro, et qui auraient été dites à la scène si les comédiens, notamment Préville et Dazincourt, ne s’y fussent opposés aux dernières répétitions. Cette phrase que disait Figaro au Docteur, dans le premier acte du Mariage : « Bonjour, cher docteur de mon cœur, de mon âme et autres viscères » ; cette autre à Basile, que Dazincourt eut tant de peine à lui faire supprimer : « Si vous faites mine seulement d’approximer madame, la première dent qui vous tombera sera la mâchoire, et, voyez-vous mon poing fermé, voilà le dentiste » ; enfin cette autre encore dont lui fit reproche la Correspondance secrète, t. XIV, p. 394, où, après que Figaro avait dit : « Je voudrais être César », Suzanne répondait : « Et moi, j’aimerais mieux être Pompée… » ; tout cela sentait la parade. Il n’était donc pas inutile de faire voir par quelles farces de son premier temps Beaumarchais s’en était donné l’esprit, à tel point que, même pour ses pièces les plus sérieuses, il ne pouvait plus s’en défaire. Ed. F.
  3. Ce censeur, qui n’avait pas encore été nommé parmi ceux auxquels fut soumis le Mariage de Figaro, avait pour attribution spéciale la censure du Journal de Paris. Mémoires secrets, t. XVIII, p. 218.) Ed. F.
  4. Cette lettre n’est pas inédite. Elle fut publiée le 14 mai 1784, dans le Journal auquel elle est adressée ; mais elle est si peu connue — aucune édition des Œuvres ne l’a donnée, et M. de Loménie n’en dit rien — ; elle est aussi d’une telle importance pour l’histoire du Mariage de Figaro, et elle nous achemine si bien, par un nouvel incident de ce grand combat, à la singulière catastrophe dont la lettre au roi, qui viendra ensuite, fut le dernier mot, que nous avons cru devoir la donner ici. Il est intéressant, d’ailleurs, de voir avec quelle gaîté Beaumarchais aida lui-même à la publicité de la plus mordante des épigrammes dont fut criblée sa pièce, et avec quelle malice ironique il la rend ainsi au Journal, où il n’ignorait pas qu’elle avait dû être sournoisement faite par Suard et le chevalier de Langeac, avec la collaboration probable du comte de Provence. Ed. F
  5. On a vu, dans l’Introduction, qu’il était lieutenant de la capitainerie du Louvre.
  6. Cette lettre complète le mémoire qui précède et devait, par conséquent, venir à la suite. Nous l’avons trouvée à la même source. Le roi de Suède, à qui elle est adressée, est Gustave III, qui vint alors en France sous le nom de comte de Haga. On a pu voir, dans l’Introduction, que Beaumarchais lui lut son opéra de Tarare. Ed. F.
  7. Beaumarchais s’était, en effet, astreint chez lui à une sorte de captivité, jusqu’au moment où le roi, après avoir lu son Mémoire, lui eût lui dire qu’il en était content. V. encore, sur ce point, l’Introduction. Ed. F.
  8. Nous l’avons trouvé au tome III dos manuscrits de la Comédie-Française. C’est la pièce la plus curieuse que nous ayons de Beaumarchais diplomate, s’efforçant de passer du rôle de a cassecou politique », comme sou Figaro, à celui d’agent sérieux et reconnu, ce qu’il se croit digne d’être et serait depuis longtemps, si sa naissance ue lui avait été un continuel obstacle. Toute la première partie, très-intéressante comme autobiographie et portrait de lui-même par lui-même, est remplie de ses regrets sur les torts de sou origine. Ce mémoire nous montre de plus, par mainte confidence, que, lorsqu’il alla en Espagne, eu 17G4, c’était bien moins pouravoir raison de Clavijo, le séducteur de sa sœur, que pour s’y acquitter, eu vue au reste de nos intérêts et de notre influence sur l’Espagne, de missions plus ou moins cachées et plus ou moins avouables, comme celle dont il est question a la fin du mémoire, et qu’il entama de connivence avec uu valet de chambre de la cour d’Espagne. Ed. F.
  9. i. Gudin a publié cette ronde dans son édition, mais incomplète. Nous la donnons ici d’après un des très-rares exemplaires qui en subsistent — car Beaumarchais l’avait fait imprimer pour ses amis — avec tous ses couplets, et la musique, qui sans doute est aussi de lui. Ed. F.