Œuvres complètes (M. de Fontanes)/La Prophétesse gauloise

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Œuvres de M. de FontanesL. Hachettetome 1 (p. 155-163).


LA PROPHÉTESSE GAULOISE.


ODE.


1814.


L’ombre fuit, Hésus se révèle,
Il descend sous l’arbre sacré,
Et l’éclat de l’aube nouvelle
Blanchit la cîme par degré ;
Aux armes ! la victoire est sûre,
J’en crois ce fruit, heureux augure
Que la faux d’or mit dans mes mains ;
Prends ta course, ô Peuple invincible
Et fais mentir, s’il est possible,
Les vieux oracles des Romains.

Telle, sous l’ombre d’un grand chêne,
D’où tonnait sa magique voix,
Chantait, le front ceint de verveine,
La Prophétesse des Gaulois ;
Brennus, d’un air plein d’assurance,
L’écoute, et voit en espérance

Fléchir les Alpes sous ses pas ;
Il craint peu leur cime escarpée,
Et son impatiente épée
Frémit, avide de combats.

Oui, criait l’auguste prêtresse,
Aux armes ! le Ciel a parlé.
Qu’entends-je ? Quels cris de détresse
Frappent le Tibre désolé ?
Des hauts sommets du Janicule
Romulus nous voit, et recule ;
Notre aspect l’a frappé d’horreur ;
Et les flancs gonflés de rapines,
Sa louve, au creux des sept collines,
Cache sa honte et sa terreur.

Brennus, le monde est au plus brave,
Il est le prix des grands exploits ;
Partout le lâche fut esclave,
Le fer est l’arbitre des lois.
Le captif en vain se soulève,
Et contre les arrêts du glaive
Réclame un impuissant traité ;
La force commande à la terre :
Hésus, par la voix du tonnerre,
Dicte en grondant sa volonté.

Par delà ces roches de glace,
De tes vaillantes légions

La Fortune appelle l’audace
Vers de plus belles régions ;
Là, sous les feux d’un ciel propice,
Le riche coteau se tapisse
De cet arbuste précieux
Qui, d’une grappe toujours pleine,
Verse un nectar qu’égale à peine
L’hydromel choisi pour nos Dieux.

Rapporte-leur de l’Italie
Ce trésor dont ils sont jaloux,
Répands sur la Gaule embellie
Les bienfaits d’un soleil plus doux ;
Que notre sol se fertilise,
Que sur les monts voisins d’Alise[1]
Flottent les pampres verdoyants :
Brennus, par d’utiles conquêtes,
Rends plus beaux les jours de nos fêtes,
Rends nos automnes plus riants.

Le chêne croît sur nos rivages,
Le chêne aux bras couverts de nœuds,
Colonne des temples sauvages
Où de loin s’adressent nos vœux ;
Il est l’emblême de la force,
Mais, de son indomptable écorce,

Nos mœurs conservent l’âpreté ;
Cherchons dans Rome et dans la Grèce
Les dieux amis de l’allégresse,
Et des arts et de la beauté.

De l’olivier, naguère encore,
Le Phocéen nous fit le don ;
L’habit de fin qui me décore
Me fut apporté par Sidon ;
Instruisant la Gaule étonnée,
Marseille, de tours couronnée,
Domine en reine sur les mers,
Et le jour vient où l’industrie
Rassemblera dans ma patrie
Les biens épars dans l’univers.

Non, ce n’est point un vain prestige,
Du sort le livre est devant moi :
Naissez, hâtez ce grand prodige,
Siècles fameux que je prévoi !
Sous votre nuit mystérieuse,
Ô quelle histoire glorieuse
Vous préparez à nos enfants !
Les Gaulois sont l’honneur du monde ;
Partout de leur race féconde
Mon œil suit les pas triomphants.


D’une nombreuse colonie
Ils ont couvert les champs latins[2] ;
Des fleuves de la Pannonie
Ils ont peuplé les bords lointains ;
Apollon ! toi que Delphe encense,
Contre nous arme ta vengeance,
Épuise tes feux et tes dards ;
Galatès aura l’avantage,
Avec lui la Grèce partage
Ses honneurs, sa langue et ses arts[3].

Quel est ce Numide implacable
Qui, de Brennus digne héritier,
Par ce sommet impraticable
S’ouvre encor un nouveau sentier[4] ?
Il marche à Rome, il nous appelle,
C’est nous dont l’intrépide zèle
Combat et triomphe avec lui ;
Se fierait-il à son armée,
Si notre audace renommée
N’en faisait le premier appui ?

Pourquoi de l’invincible étoile
Que nous suivîmes si longtemps,

Ai-je vu sous un sombre voile
Pâlir les rayons éclatants ?
Du moins, si le sort nous opprime,
Un caractère magnanime
Nous reste au sein de nos revers ;
Tel, sous l’acier qui le mutile,
Dans nos forêts un tronc fertile
S’enrichit de rameaux plus verts.

Du milieu de ces toits de chaume
Où des pêcheurs ont habité,
Au centre d’un vaste royaume
S’élève une vaste cité :
Je te salue, Île modeste,
Où la Seine, en un lit agreste,
Ignore aujourd’hui sa grandeur !
Que des palais couvrent tes herbes ;
Et des cités les plus superbes
Atteins et passe la splendeur[5].

On dit que, du milieu des nues,
Le soir, en magiques accords,
Des voix, des harpes inconnues
Se font entendre sur tes bords ;
Souvent le cygne au blanc plumage,
Par un prophétique ramage

Enchantant le cours de tes eaux,
A prédit la gloire future
Qu’enferme encor ta rive obscure
Sous un amas de vils roseaux.

Ô toi, dont la magnificence
Égalera l’immensité,
À tes murs, avant leur naissance,
J’attache l’immortalité ;
Je vois les temps qui se déroulent,
J’entends les troncs qui s’écroulent,
Tout périt, tout change ici-bas ;
Trois fois je compte mille années,
Et de nos grandes destinées
Le long honneur ne finit pas.

Mais le Ciel veut un sacrifice,
Pour prix d’un si rare bienfait ;
Le sang versé le rend propice,
Par le sang qu’il soit satisfait !
C’est moi qui serai la victime,
Point de pitié pusillanime !
Je défends les pleurs et le deuil ;
Druides, vénérables sages,
Bardes, et vous doctes Eubages,
Entonnez l’hymne du cercueil !

Quand je me livre en hécatombe,
Léguez ma gloire à l’avenir ;

Contre les terreurs de la tombe
Vous avez su me prémunir ;
J’appris moi-même à votre école
Que l’innocence qui s’immole
D’un peuple entier sauve les jours ;
La mort, objet de mon envie,
N’est que le milieu d’une vie
Qui recommence pour toujours[6].

Enfermez dans ma sépulture
Ma harpe, mon premier trésor ;
Joignez-y ma blanche ceinture,
Mes bracelets, mon collier d’or ;
De roses qu’on orne ma tête,
Que la main des vierges m’apprête
Mon voile le plus éclatant ;
Je veux monter, ainsi parée,
Vers la couche qu’a préparée
Le Dieu qui m’aime et qui m’attend.

Quand j’aurai franchi le passage
Du sombre fleuve de la mort,
De votre part qu’un doux message
Souvent m’arrive à l’autre bord !
Le trajet est court et facile ;
Dans la nuit, une barque agile

Y porte les mânes errants ;
Et du soir jusques à l’aurore
Nous pourrons correspondre encore
Des deux rivages différents.

Ainsi chantait la Prophétesse ;
Au monde elle fait ses adieux,
Sur l’autel monte avec vitesse,
Prend le fer et bénit les Dieux ;
Elle se frappe, tombe, expire :
Le peuple l’entoure et l’admire,
Des vierges dressent son tombeau ;
Et, sous leurs pleurs, naît auprès d’elle
Un Lis que le temps renouvelle,
Et qui fleurit toujours plus beau.

  1. Alesia ou Alexia, une des villes les plus considérables de l’ancienne Gaule, aujourd’hui Alise, près de Sémur, dans l’Auxois.
  2. La Gaule cisalpine.
  3. La Galatie ou Gallo-Grèce.
  4. Annibal recherche l’alliance des Gaulois ; ils lui donnèrent de grands secours.
  5. Paris a commencé dans la partie qui garde encore le nom de l’île.
  6. On a cherché, dans cet strophe et dans celles qui suivent, à rendre l’esprit de la mythologie gauloise.