Œuvres complètes d’Élisa Mercœur/Notice sur les Italiennes

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Œuvres complètes d’Élisa Mercœur, Texte établi par Adélaïde AumandMadame Veuve Mercœur (p. 259-264).


NOTICE
SUR LES ITALIENNES.

 

Ce souffle dévorant, ce souffle inspirateur,
Qui, du feu qu’elle enferme agrandissant ta flamme,
            Ainsi qu’un rayon créateur.
Semble échappé du ciel pour féconder une âme !

Élisa Mercœur.
 

Le désir de voir l’Italie s’enferma dans l’âme d’Élisa presque aussitôt que la vie dans son sein C’était ordinairement sous ce ciel si pur et non sous celui d’Espagne, qu’elle bâtissait ses plus beaux châteaux. Heureux privilège de l’imagination qui, sans le secours de l’art, élève ou fait crouler à son gré les monumens et les palais des rois.

Un jour qu’Élisa ne paraissait rien voir de ce qui se passait autour d’elle, je crus qu’elle était malade, et je lui demandai ce qu’elle avait.

— Beaucoup d’inquiétude, je t’assure, maman, me répondit-elle, beaucoup d’inquiétude !

— Et qui peut donc t’inquiéter ainsi, mon enfant ? Tu m’effraies ! Parle ?

— Tu sais combien je désire voir l’Italie…

— Oui…

— Et combien de fois nous sommes convenues entre nous que, dès que j’aurais gagné assez d’argent pour pouvoir en entreprendre le voyage, nous partirions aussitôt pour aller chercher des inspirations dans ce pays d’immortels et grandioses souvenirs ! Eh bien ! mon imagination, qui, comme de juste, devait nous accompagner, trouvant que la fortune tardait trop à venir nous trouver (et sachant bien que nous ne pouvons monter en voiture sans une bourse bien garnie), a pris les devans sans vouloir écouter une seule de mes observations… Et je puis (si je dois l’en croire) m’en rapporter à elle ; elle doit revenir chargée de tous les matériaux qu’il me faudra pour construire… Comme je la connais un peu mauvaise tête, je me défie d’elle ; je crains qu’elle ne fasse quelque bévue. Elle est, ma foi, capable, si ce qu’elle trouve ne répond pas à ce qu’elle espérait trouver, de dire quelque impertinence… Aussi, je la suis de l’œil pour la rappeler à temps… Ah ! la voilà qui met pied à terre elle fronce le sourcil, elle ne paraît pas satisfaite… Tu rirais si tu voyais comme elle se pose : en vrai héros de mélodrame un pied en avant, l’autre en arrière… une main appuyée sur le cœur… la tête haute, regardant autour d’elle, et paraissant chercher encore… Ah ! pourtant… la voilà qui se décide à parler ; c’est bien heureux !… Attends un peu que je l’écoute, car je l’entends aussi… Tiens, maintenant je puis te répéter mot pour mot son discours de début :

              Où sont tes dieux et tes poètes,
Doux pays au beau ciel, frais Eden de l’amour ? etc., etc.

Les vers suivent cette notice.

— Eh bien ! ne te l’avais-je pas dit qu’elle serait impertinente ?

Puis, prenant un ton sérieux, Elisa ajouta : Les vers que je viens de te faire entendre sont le début d’un volume de poésies que j’ai l’intention de faire, et que j’intitulerai les Italiennes, parce que j’en recruterai une dans chaque principale ville d’Italie. Je dédierai ce volume à M. le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, mon premier et digne protecteur [1]. Il y verra l’hommage d’un cœur reconnaissant, et l’accueillera, j’ose le croire, avec la même indulgence qu’il a toujours accueilli ce que j’ai eu le bonheur de lui présenter.

Je traiterai M. le vicomte Alban de Villeneuve comme j’ai traité M. de Chateaubriand, c’est-à-dire qu’il n’apprendra que mes Italiennes lui sont dédiées que lorsqu’il en recevra le volume ; et j’espère que, comme M. de Chateaubriand aussi, il sera assez bon pour me pardonner d’oser lui en adresser la dédicace sans en avoir avant sollicité son agrément.

Ainsi, tu vois bien, d’après cela, ma pauvre maman, qu’à défaut de mes pieds, qui sont cloués en France, il est à propos que mon imagination voyage à ma place. Mais qu’est-ce que l’imagination près de la réalité ? Comment bien nuancer le coloris que l’on ne voit pas ? Il me semble, vois-tu, que mes Italiennes contiendraient mille fois plus de poésies, si je pouvais les écrire sur les lieux mêmes ; là, les vers, je le sens, se placeraient sans difficulté sous ma plume… Par exemple, l’ode que je composerais à Florence ne serait-elle pas plus digne du Dante que celle que je composerai à Paris ? Ne décrirais-je pas d’une manière plus touchante à Ferrare que dans cette chambre l’amour qu’Eléonore d’Est inspira à ce malheureux Torquato, qui possédait à lui seul plus de génie qu’il n’en aurait fallu pour faire cinquante poètes ? Et lorsque je parlerais de la grandeur passée de Rome, s’il me plaisait de faire monter César au Capitole au milieu de ses quarante éléphans, chargés de flambeaux, ne me ferais-je pas mieux l’idée de cette pompe triomphale si je pouvais apercevoir l’espace que devait occuper ce cortège si grandiose ?… Enfin, il faudra que je voie tout des yeux de l’âme. Je t’assure bien pourtant que si je faisais les Vêpres Siciliennes en Sicile, je crois que j’y ferais entendre ce son de vêpres qui fut le signal du massacre des Français… C’est avec le secours de lord Byron que je me transporterai à Venise sur la place Saint-Marc, en face du palais du doge, pour faire tomber la tête de Marino Faliero… Enfin, comme on dit, du meilleur pain la soupe, je ferai de mon mieux. Si tout ce que je dois écrire pouvait au moins m’apparaître en songe, je serais bien heureuse !

Mes Italiennes commenceront par un dialogue entre l’Imagination et l’Italie, dont je viens de te dire quelques vers ; j’achèverai l’oracle, Pompèia, Napoléon, l’Insulaire, etc., etc… Mais je ne m’occuperai de ce volume, que lorsque j’aurai fini Quatre Amours, et Louis XI.

L’éditeur [2] qui devait publier les deux romans d’Elisa vint quelques jours après à la maison ; elle lui fit part de son projet, qui lui sourit, car il aime la poésie. Aussi il pria Élisa de ne pas en parler à d’autres éditeurs.

Ve Mercœur,
Née Adélaïde Aumand.
  1. Ce fut à M. le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, qui était préfet à Nantes lorsqu’Élisa publia ses poésies, qu’elle dut la protection de M. de Marlignac et la pension de 1 200 fr. que lui fit ce ministre.
  2. M. Charpentier.