Œuvres complètes de Béranger/À M. de Chateaubriand

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À
M. DE CHATEAUBRIAND


SEPTEMBRE 1831


Air d’Octavie (Air noté )


Chateaubriand, pourquoi fuir ta patrie,
Fuir son amour, notre encens et nos soins ?
N’entends-tu pas la France qui s’écrie :
Mon beau ciel pleure une étoile de moins ?

Où donc est-il ? se dit la tendre mère.
Battu des vents que Dieu seul fait changer,
Pauvre aujourd’hui comme le vieil Homère,
Il frappe, hélas ! au seuil de l’étranger.

Proscrit jadis, la naissante Amérique
Nous le rendit après nos longs discords,
Riche de gloire, et, Colomb poétique,
D’un nouveau monde étalant les trésors.

Le pèlerin de Grèce et d’Ionie,
Chantant plus tard le cirque et l’Alhambra,
Nous revit tous dévots à son génie,
Devant le Dieu que sa voix célébra.


De son pays, qui lui doit tant de lyres,
Lorsque la sienne en pleurant s’exila,
Il s’enquérait aux débris des empires
Si des Français n’avaient point passé là.

C’était l’époque où, fécondant l’histoire,
La grande épée, effroi des nations,
Resplendissante au soleil de la gloire,
En fit sur nous rejaillir les rayons.

Ta voix résonne, et soudain ma jeunesse
Brille à tes chants d’une noble rougeur. h*
J’offre aujourd’hui, pour prix de mon ivresse,
Un peu d’eau pure au pauvre voyageur.

Chateaubriand, pourquoi fuir ta patrie,
Fuir son amour, notre encens et nos soins ?
N’entends-tu pas la France qui s’écrie :
Mon beau ciel pleure une étoile de moins ?

Des anciens rois quand revint la famille,
Lui, de leur sceptre appui religieux,
Crut aux Bourbons faire adopter pour fille
La Liberté qui se passe d’aïeux.

Son éloquence à ces rois fit l’aumône.
Prodigue fée, en ses enchantements,
Plus elle voit de rouille à leur vieux trône,
Plus elle y sème et fleurs et diamants.

Mais de nos droits il gardait la mémoire.
Les insensés dirent : Le ciel est beau.

Chassons cet homme, et soufflons sur sa gloire,
Comme au grand jour on éteint un flambeau.

Et tu voudrais t’attacher à leur chute !
Connais donc mieux leur folle vanité.
Au rang des maux qu’au ciel même elle impute,
Leur cœur ingrat met ta fidélité.

Va ; sers le peuple en butte à leurs bravades,
Ce peuple humain, des grands talents épris,
Qui t’emportait, vainqueur aux barricades,
Comme un trophée, entre ses bras meurtris.

Ne sers que lui. Pour lui ma voix te somme
D’un prompt retour après un triste adieu.
Sa cause est sainte : il souffre, et tout grand homme
Auprès du peuple est l’envoyé de Dieu.

Chateaubriand, pourquoi fuir ta patrie,
Fuir son amour, notre encens et nos soins ?
N’entends-tu pas la France qui s’écrie :
Mon beau ciel pleure une étoile de moins ?




h*. Brille à tes chants d’une noble rougeur.

Dans un des couples qui précèdent celui-ci, je parle des lyres que la France doit à M. de Chateaubriand. Je ne crains pas que ce vers soit démenti par la nouvelle école poétique, qui, née sous les ailes de l’aigle, s’est, avec raison, glorifiée souvent d’une telle origine. L’influence de l’auteur du Génie du Christianisme s’est fait ressentir également à l’étranger, et il y aurait peut-être justice à reconnaître que le chantre de Child-Harold est de la famille de René.

Après ce que je viens de rappeler du grand mouvement qu’il a donné à la poésie moderne, il importe peu à M. de Chateaubriand que je répète ici ce que j’ai dit dans ma préface de l’influence particulière de ses ouvrages sur les études de ma jeunesse. Je crois plus à propos de faire ressouvenir qu’en 1829 M. de Chateaubriand, m’ayant honoré de marques d’intérêt et d’estime, en fut vivement réprimandé par les organes du pouvoir auquel la France était livrée. Je rougis d’avoir si faiblement acquitté ma dette envers le plus grand écrivain du siècle, surtout quand je pense qu’il a consacré quelques pages à immortaliser mes chansons. C’est un plaidoyer en leur faveur que la postérité lira sans doute ; mais l’avocat le plus éloquent ne saurait gagner toutes les causes. Puisse du moins la trop grande générosité de M. de Chateaubriand ne lui donner jamais de clients plus ingrats que le chansonnier qu’il a bien voulu placer sous la protection de son génie !



Air noté dans Musique des chansons de Béranger :


À M. DE CHATEAUBRIAND.

Air des Comédiens.
No 294.


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