Œuvres complètes de Lamartine (1860)/Tome 3/Secondes Harmonies poétiques et religieuses/Le Premier Regret/Commentaire

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Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 235-236).
COMMENTAIRE

DE LA QUATORZIÈME HARMONIE



C’était la pensée de Graziella. On connaît Graziella par les Confidences. Je n’ai rien à y ajouter en ce moment. Mais voici comment ces vers coulèrent un soir de mon cœur, longtemps après la mort de Graziella.

C’était en 1830, deux mois avant la révolution de Juillet, au printemps. J’étais en congé à Paris ; je demeurais alors dans le bel hôtel du prince de Monaco, rue Saint-Guillaume.

Un jour, ma femme me pria de l’accompagner à vêpres à Saint-Roch. Pendant que les prêtres chantaient les psaumes, je me tenais debout à l’ombre d’un pilier auquel était suspendu un tableau représentant l’exhumation d’une vierge. À la place du cercueil, on trouve des lis.

Ce tableau me rappela Graziella. Je sentis un grand coup au cœur ; je n’entendis plus rien, et ces vers roulèrent dans ma pensée, avec quelques larmes dans mes yeux. Je rentrai, et je m’assis pour écrire ces strophes. J’écrivis en rêvant et en pleurant jusqu’à près de six heures.

En ce moment on m’annonça la visite de deux hommes littéraires et politiques éminents, que je voyais quelquefois alors. C’étaient M. Thiers et M. Mignet. Un ami commun nous avait mis en rapport. Ils me demandèrent de quoi j’étais occupé : « D’un triste souvenir, » leur dis-je ; et je leur lus quelques-uns de ces vers. Ils en parurent émus. Le lendemain, je les terminai. Depuis, nous nous sommes rencontrés dans les académies, dans les assemblées, à la tribune, dans les révolutions, souvent pour nous combattre, jamais pour nous flétrir. Bien que ces hommes soient du nombre de ceux dont j’ai été le plus séparé par les événements et par les opinions, j’ai toujours conservé, de ces relations trop vite rompues, une vive réminiscence, et ce goût pour eux qui s’accommode si bien de l’admiration. Cette circonstance n’y est-elle pas pour quelque chose ? Des vers confiés à l’oreille, dans leur première émotion, sont un gage du cœur qu’on ne retire jamais tout entier.