Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/À feu Monsieur de Lozieres

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À FEU MONSIEUR DE LOSIERES[1].

ODE.


Mon Dieu, que la franchise est rare !
Qu’on trouve peu d’honnestes gens !
Que la fortune et ses regens
Sont pour moy d’une humeur avare !
LOSIERES, personne que toy,
Dans les troubles ou je me voy,
Ne me monstre un œil favorable ;
Tout ne me fait qu’empeschement,
Et l’amy le plus secourable
Ne m’assiste que laschement.

Si j’estois un homme de fange
Ou d’un esprit injurieux,
Qui ne portast jamais les yeux
Sur le sujet d’une louange,
Ou qu’on m’eust veu desobliger
Ceux qui me veulent affliger,
Je ne serois point pardonnable ;
J’approuverois mes ennemis,
Et trouverois irraisonnable
Le secours que tu m’as promis.

Mais jamais encore l’envie
D’escrire un pasquin ne me prit,
Et tout le soin de mon esprit
Ne tend qu’à l’aise de ma vie.
J’ayme bien mieux ne dire mot
Du plus infame et du plus sot,
Et me sauver dans le silence,

Que d’exposer mal à propos
À l’effort d’une violence
Ma renommée et mon repos.

Ô destin, que tes loix sont dures !
L’innocence ne sert de rien.
Que le sort d’un homme de bien.
A de cruelles adventures !
Ce grand Duc redouté de tous,
Dont je ne souffre le couroux
Pour aucun crime que je sçache,
Me menasse d’un chastiment
Contre qui l’ame la plus lasche
Fremiroit de ressentiment.

Il est bien aisé de me nuire,
Car je ne puis m’assujectir
Au soucy de me garantir,
Quoy qu’on fasse pour me destruire.
Je sçay bien qu’un astre puissant,
A tous ses vœux obeyssant,
Force les plus fiers à luy plaire,
Et que c’est plus de dépiter
La menace de sa colere
Que le foudre de Jupiter.

Mais que la flamme du tonnerre
Vienne esclatter à mon trespas,
Et le ciel fasse sous mes pas
Crever la masse de la terre,
Mon esprit sans estonnement
S’appreste à son dernier moment ;
Plus je sens approcher le terme,
Plus je désire aller au port,
Et tousjours d’un visage ferme
Je regarde venir la mort.

Ainsi, quoy que ce fier courage
Menace mon foible destin,

Sans estre poltron ni mutin
Je verray fondre cet orage,
Et conjure ton amitié
De n’avoir ny soin ny pitié,
Quelque mal-heur qui m’importune.
Dieu nous blesse et nous sçait guerir,
Et les hommes ny la fortune
Ne nous font vivre ny mourir.


  1. De la maison de Thémines.