Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Maintenant que Philis est morte

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STANCES.


Maintenant que Phillis est morte.
Et que l’amitié la plus forte
Dont un cœur fut jamais atteint
Est dans le sepulchre avec elle,
Je croy que l’amour le plus saint

N’a plus pour moy rien de fidelle.
 
Cloris, c’est mentir trop souvent ;
Tes propos ne sont que du vent,
Tes regards sont tous pleins de ruzes ,
Tu n’as point pour tout d’amitié ;
Je me mocque de tes excuses
Et t’aime moins de la moitié.

Je te voy tousjours en contrainte :
Il te vient tousjours quelque crainte ;
Tu ne trouves jamais loisir ;
Dis plustost que je t’importune ,
Et que je te ferois plaisir
De chercher ailleurs ma fortune.

Ne fais plus semblant de m’aymer ,
Et, quoy qu’il me soit bien amer
De perdre une si douce flame ,
Si tu n’as point d’amour pour moy
Je jure tes yeux et mon arae
De ne songer jamais à toy.

Je t’allois consacrer ma plume
Et te peindre dans un volume
Sur qui les ans ne peuvent rien.
Sçache un peu de la Renommée
Comme j’ay sçeu dire du bien
D’une autre que j’avois aymée.
 
Mais cela ne te touche pas :
Les vers sont de mauvais appas ;
Un roc n’en devient point passible ;
Ce sont de foibles hameçons
Pour ton naturel insensible
Que luy promettre des chansons.

Que veux-tu plus que je te donne ,
Aujourd’huy que Dieu m’abandonne.
Que le roy ne me veut pas voir ,
Que le jour me luit en cholere ,

Que tout mon bien est mon sçavoir ?
Dequoy plus te pourrois-je plaire ?

Si mon mauvais sort peut changer,
Je jure de te partager
Les prosperitez où j’aspire,
Et, quand le Ciel me feroit roy,
Un présent de tout mon empire
Te feroit preuve de ma foy.

Mais tu n’as point l’esprit avare,
Et quelque dignité si rare
Qu’un Dieu mesme te vint offrir,
Quelque tourment qu’il eust dans l’ame,
Tu le laisserois bien souffrir
Avant que soulager sa flame.

Quant à moy, las de tant brusler,
Et si pressé de reculer,
J’ay désesperé de la place.
La nature icy vaut bien peu,
Qu’un front de neige, un cœur de glace,
Puissent tenir contre le feu.