Œuvres de Albert Glatigny/À Mademoiselle Primerose

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 33-36).
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À Mademoiselle Primerose.



Bien avant les prés ta joue a des roses,
Mignonne, et je t’aime, et nous sommes deux ;
Viens, laissons dehors, sur les toits moroses,
Le vent murmurer ses chants hasardeux.

Le feu flamboyait dans la cheminée,
Si vif et si clair que nous avons cru
Revoir le soleil cette matinée,
Et que le Printemps nous est apparu.

Le ciel était bleu, sec était l’asphalte,
Et tu t’habillas pour aller au bois ;
Avril à l’Hiver avait crié : — Halte !
Monsieur Babinet était aux abois.

Cela n’a duré tout au plus qu’une heure,
Et de ce Printemps qui s’est fait chez nous
Il ne reste rien que moi, qui demeure
La main dans ta main, serrant tes genoux :

Car on peut s’aimer au mois de la pluie,
Loin des gazons verts, pris des matelas,
Et sur tes beaux yeux les pleurs que j’essuie
Me sont aussi doux qu’au mois des lilas !



Laissons-nous bercer par notre folie ;
À présent du moins, chère, aimons-nous bien,
Car peut-être, un jour, ô mélancolie !
Nous ne serons plus l’un à l’autre rien.

Beaucoup de baisers viendront sur tes lèvres ;
Pour qui seront-ils ? — Je ne le sais pas.
Mais, hélas ! je sais qu’auprès des orfèvres
On te voit souvent ralentir le pas.

Puis il est un dieu qu’on nomme Caprice,
Qui prend pour domaine un coin de nos cœurs,
Un dieu féminin ; il faut qu’il meurtrisse
Des morceaux d’amour en ses jeux moqueurs.

Ah ! ne hâtons pas la saison nouvelle !
Ce dieu, quelque jour, j’en ai grande peur,
Viendra mettre en fair ta jeune cervelle :
Ton amour alors, à toute vapeur,

Ira vers celui qui le sollicite.
Veux-tu le connaître ? — Il en est qui l’ont
Vu parfois venir dans la réussite
Que ton fait le soir, soit brun ou soit blond.

Viens plus près encor, viens que je t’embrasse ;
Restons en Hiver : quand viendra l’Été,
De mes longs baisers où trouver la trace
Sur ton front joyeux, si tu m’as quitté ?



Que deviendrons-nous, ma petite amie,
Lorsque nos deux cœurs seront sans parfum ?
Alors je serai de l’Académie,
Alors tu seras au bras de quelqu’un.

Je dirai : — J’aimais une qui fut blonde.
Ses yeux étaient bleus et ses sourcils noirs,
Son bras était blanc, sa gorge était ronde,
J’aimais à rester près d’elle les soirs.

Un matin l’oiseau, déployant ses ailes,
A, comme en un rêve, emporté l’amour ;
Ensuite, j’aimai d’autres demoiselles,
Et ces autres m’ont quitté tour à tour !

Quand je serai bien perdu dans mes rêves,
Quand j’évoquerai ton fantôme aimé,
Si je te revois, perle de nos Èves,
Que fera mon cœur alors ranimé ?

Que me diras-tu ? moi, que te dirai-je ?
— Tu fus mon bonheur ! — Je fus ton amant,
Quand autour de nous s’amassait la neige ! —
Saurons-nous encor nos noms seulement ?

Donc aimons-nous bien à l’heure où l’on aime
Celle que l’on presse entre ses deux bras ;
Fuyons l’avenir qui s’avance, et même
Dis-moi que toujours tu m’adoreras,


Peut-être, qui sait ? — la vie est si drôle ! —
Nous aimerons-nous, en effet, toujours,
Et n’oublîrons-nous jamais notre rôle,
Dans le drame à deux nommé les Amours !