Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/Correspondance/Lettre XXVIII

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Œuvres de Descartes, Texte établi par Charles Adam et Paul TanneryLéopold CerfTome I : Correspondance, avril 1622 - février 1638 (p. 188-189).
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XXVIII.
Descartes a [Condren].
[Amsterdam, 2 décembre 1630.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 63, p. 319-320.

Clerselier dit seulement : « à vn R. P. de l’Oratoire ». Mais Baillet (I, 218) nomme expressément le P. de Condren, comme le destinataire de cette lettre. Pour la date, voir l’en-tête de la lettre précédente.

Monſieur & Reuerend Pere,

Ie ſuis marry que vous ne m’auez mandé quelque choſe de plus difficile que de vouloir du bien à M. (Ferrier), afin qu’en vous obeïſſant, ie vous puiſſe témoigner combien ie vous honore. Mais pour ce qui touche M. (Ferrier), ie vous affaire que ie ne luy ay 5 iamais voulu de mal, & que ie me tiendray bien-heureux ſi ie puis ſeulement m’exempter de ſes plaintes. On ne ſçauroit ſans cruauté vouloir du mal à vne perſonne ſi affligée, et pour ſes plaintes, ie les excuſe tout de meſme que s’il auoit la goutte, ou que ſon 10 cors fuſt tout couuert de bleſſures. On ne ſçauroit toucher ſi peu à ceux qui ſont en tel eſtat, qu’ils ne s’écrient, & ils diſent ſouuent des injures aux meilleurs de | leurs amis, & à ceux qui s’efforcent le plus de reméeier à leurs maux. I’euſſe eſté bien aiſe 15 d’apporter quelque ſoulagement aux ſiens ; mais pource que ie ne m’en iuge point capable, il m’obligeroit fort de me laiſſer en repos, & de ne m’accuſer point des maux qu’il ſe fait à ſoy-meſme. Toutesfois ie luy ay obligation de ce qu’il s’eſt particulierement addreſſé à vous pour ſe plaindre, & ie me tiens heureux de ce que vous daignez prendre connoiſſance du different qu’il prétend auoir auec moy. Ie ne veux point vous 5 ennuyer en plaidant ma cauſe ; ie vous diray ſeulement en vn mot, qu’il n’eſt fâché que de ce que i’ay vû plus clair qu’il ne deſiroit ; & il ſçait fort bien en ſon ame, que ie n’ay rien appris, qui le touchaſt, que de luy-meſme. Que s’il dit qu’on m’ait dit de luy quelques 10 faux rapports, ce n’eſt que pour auoir plus de pretexte de ſe plaindre, & de s’excuſer ſoy-meſme ; il s’eſt trompé en cela, qu’il a crû me deſobliger grandement, en vne choſe qui m’eſtoit indifferente. I’ay prié le R. P. M (erſenne), qui ſçait parfaitement toute cette 15 affaire, de vous en vouloir inſtruire. Que ſi vous trouuez que i’aye failly, vous m’obligerez extremement de ne me point flater, & ie ne manqueray pas d’obeïr exactement à tout ce que vous ordonnerez. Ie ſuis,

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Monſieur & R. P.