Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/Correspondance/Préface

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Œuvres de Descartes, Texte établi par Charles Adam et Paul TanneryLéopold CerfTome I : Correspondance, avril 1622 - février 1638 (p. v-xiii).




PRÉFACE


I.

Les Œuvres de Descartes furent plusieurs fois éditées au xviie siècle, du vivant du philosophe et après sa mort, mais séparément les unes des autres, comme on le verra à propos de chacune d’elles en particulier ; même l’édition de Blaeu en Hollande, qui d’ailleurs est en latin (9 vol., in-4o, 1682-1701), n’offre pas une véritable unité, et ce n’est qu’après coup, en 1692, qu’on y trouve un catalogue des neuf volumes réunis, comme si leur publication avait été conçue sur un plan méthodique. La Compagnie des Libraires à Paris donna, de 1723 à 1729, une petite édition, qui, si l’on en excepte le texte latin de quelques lettres dont on n’avait que la traduction, et quelques versions françaises de lettres latines, n’est qu’une réimpression ; seuls les six volumes de Lettres (1724-1725) offrent une tomaison suivie ; sept autres volumes, pour le reste des Œuvres, n’ont qu’une tomaison factice. C’est donc bien à Victor Cousin (comme il s’en glorifiait à juste titre) que la France doit une édition des Œuvres complètes de Descartes (11 vol. in-8, Paris, Levrault, 1824-1826). Mais d’abord elle est tout entière en français ; puis les exigences de la critique, ainsi que les progrès de l’érudition, firent bientôt reconnaître à l’éditeur lui-même (il en convenait de bonne grâce à la fin de sa vie), que son œuvre avait besoin d’être reprise à nouveau. Joseph Millet, auteur d’une Histoire de Descartes avant 1637 (Paris, Didier, 1867), et depuis 1637 (Paris, Dumoulin, 1870), se préparait consciencieusement à cette tâche, et publiait même en tête de son second ouvrage le prospectus d’un premier volume ; mais la guerre survint, puis la mort prématurée de l’auteur en octobre 1870, et son projet fut abandonné. Bientôt après, les études de M. Louis Liard sur la philosophie cartésienne, lorsqu’il était professeur à la Faculté des Lettres de Bordeaux (1874-1880), le convainquirent plus que personne de la nécessité d’une édition nouvelle, et de concert avec M. Paul Tannery, alors ingénieur à Bordeaux, il songeait à la donner : le Descartes, qu’il publia en 1882, subsiste comme un durable témoignage de ces premiers travaux. Mais à partir de 1884, la Direction de l’Enseignement supérieur au Ministère de l’Instruction publique imposa à M. Liard d’autres devoirs, et désormais il s’employa tout entier à faire aboutir la grande œuvre à laquelle il s’était voué, la reconstitution des Universités en France.

Cependant le troisième centenaire de la naissance de Descartes approchait ; on ne pouvait mieux le célébrer que par une édition de ses Œuvres. M. Émile Boutroux l’annonça dans la Revue de Métaphysique et de Morale, du 15 mai 1894 ; et le zélé Directeur de cette Revue, M. Xavier Léon, se fit aussitôt le promoteur de l’entreprise. M. Paul Tannery était de plus en plus le collaborateur désigné, surtout pour la partie proprement scientifique : la nouvelle édition des Œuvres de Fermat, à laquelle il venait d’attacher son nom, avec M. Charles Henry, l’avait notamment engagé dans des recherches approfondies relatives à la Correspondance de Descartes et à celle de Mersenne. M. Charles Adam, après plus de dix années d’études sur l’histoire de la philosophie en France dans la première moitié du xviie siècle, connaissait bien la partie philosophique des Œuvres de Descartes. Il employa une partie de l’année 1894 à faire des recherches, avec une mission officielle, dans les Bibliothèques de la Hollande et de Hanovre, et il revint avec de nombreuses et importantes trouvailles. Au mois de novembre, un Comité fut constitué au Ministère de l’Instruction publique en vue de l’édition nouvelle ; voici les noms des membres de ce Comité :

M. Xavier Charmes, de l’Académie des Sciences morales et politiques, Directeur du Secrétariat et de la Comptabilité au Ministère de l’Instruction publique, Président.
M. Charles Adam, Professeur de Philosophie et Doyen de la Faculté des Lettres de l’Université de Dijon.
M. Émile Boutroux, Professeur d’Histoire de la Philosophie moderne à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris.
M. Victor Brochard, Professeur d’Histoire de la Philosophie ancienne à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris.
M. Gaston Darboux, de l’Académie des Sciences, Professeur de Géométrie supérieure et Doyen de la Faculté des Sciences de l’Université de Paris.
M. Xavier Léon, Directeur de la Revue de Métaphysique et de Morale.
M. Louis Liard, de l’Académie des Sciences morales et politiques, Directeur de l’Enseignement supérieur au Ministère de l’Instruction publique.
M. Paul Tannery, Directeur des Manufactures de l’État, Professeur remplaçant de Philosophie grecque et latine au Collège de France.

Dès la première séance, M. Adam présenta un Projet d’édition, qui fut examiné, discuté et approuvé en principe. Dans les séances suivantes, espacées le long de l’année 1895, on régla diverses questions : orthographe à suivre, format des volumes, choix des caractères, etc., et finalement, en janvier 1896, un traité fut signé avec la maison Cerf et Cie à qui était confiée l’édition.

Le troisième centenaire de la naissance de Descartes fut célébré à la Sorbonne, le 31 mars 1896, entre philosophes et savants, sous la présidence de M. Liard. Après une allocution du président, la parole fut donnée aux deux collaborateurs : à M. Tannery, pour une lecture sur « Descartes physicien », à M. Adam, pour une conférence intitulée « À la recherche des papiers de Descartes ».

Des cérémonies du même genre furent célébrées à Rio-de-Janeiro, à Moscou, à Prague, etc.

Bientôt M. Léon eut réuni, grâce à la publicité de sa Revue, un nombre suffisant de signataires pour l’édition prochaine. Le Ministère souscrivit pour 200 exemplaires. Le 15 juillet 1896, la Revue de Métaphysique et de Morale donna, comme prime aux souscripteurs, un fascicule consacré tout entier à Descartes, et pour bien marquer le caractère international de la souscription, M. Léon avait convié des savants et des philosophes étrangers à collaborer à ce numéro exceptionnel : c’est ainsi que les noms de MM. Natorp et Schwartz, pour l’Allemagne, Gibson, pour l’Angleterre, Korteweg, pour la Hollande, Tocco, pour l’Italie, se trouvent associés à ceux de MM. Boutroux, Brochard, Lanson, Hannequin, Blondel, Berthet, Tannery et Adam, pour la France. Enfin un Comité qui ne comprenait pas moins de soixante-quatre noms, tous empruntés à la Philosophie et à la Science, patronnaient la souscription non seulement en France, mais dans toute l’Europe (Allemagne, Angleterre, Autriche-Hongrie, Belgique, Hollande, Italie, Russie, Suède, Suisse), et jusqu’en Amérique[1].

II.

La première partie de l’édition comprendra la Correspondance, et la seconde les Œuvres, Opuscules, Fragments, etc. Comme les Lettres de Descartes nous donnent l’histoire de ses Œuvres, et que l’intelligence de celles-ci exige de perpétuels renvois aux dernières années de la Correspondance aussi bien qu’aux premières, il faut que celle-ci soit entièrement publiée avant qu’on en vienne aux Œuvres, Opuscules, x Préface.

Fragments, etc. Par contre, rien n'est plus aisé que de ren- voyer par avance aux Œuvres de Descartes : on n'aura qu'à reproduire plus tard pour celles-ci la pagination de chaque édition princeps, qui est celle que donne Descartes lorsque dans ses Lettres il renvoie lui-même à ses propres livres. Les deux publications de la Correspondance et des Œuvres seront donc successives, et non pas simultanées.

L'ordre chronologique s'impose. Sans doute les lecteurs seraient bien aises de trouver réunies toutes les lettres échangées entre Descartes et tel de ses correspondants. Mais il importe davantage de rétablir l'unité de la correspondance entière, afin que la pensée du philosophe apparaisse dans son développement continu ; elle serait morcelée irrémédiablement, si l'on publiait à part chaque correspondance particu- lière. Quant aux relations de Descartes avec tel ou tel, il sera facile de les reconstituer à l'aide de tables particulières, qu'on donnera en aussi grand nombre qu'il y a de correspondants, outre la table générale de toutes les lettres au dernier volume. Cette Correspondance exige en outre, pour être intelligible,


xii Préface.

quantité de notes, qui envahiraient la place réservée au texte de Descartes tout d'abord. Cette nouvelle difficulté est résolue par une répartition des notes en plusieurs catégories de la façon suivante .

1° Pour les lettres qu'on a trouvées sans nom ni date, les renseignements que nécessitent ces deux points, sont placés en tête dans un Prolégomène.

2° Bon nombre de détails, au cours de chaque lettre, ont besoin d'éclaircissements : ce sont des faits mentionnés par Descartes, ou bien des réponses à des objections qu'il a fallu retrouver ailleurs. Les indications nécessaires sont rejetées à la fin de la lettre, chacune avec les deux numéros de la page et de la ligne en question ; et le lecteur qui parcourt le texte, est averti, par un astérisque, qu'il trouvera plus loin un éclaircissement.

3° Au bas des pages, à la place ordinaire des notes, on s'est contenté de mettre des notules (titre d'un ouvrage cité, nom d'un auteur dont on n'avait que l'initiale ou une désignation imparfaite, renvois à des lettres qui précèdent ou qui suivent, etc...). Mais surtout on a rangé sur deux colonnes les variantes du texte, lorsqu'il y en a : pour plusieurs lettres, en effet, nous avons deux textes, l'un et l'autre de Descartes, le texte de la minute conservée par lui et que Clerselier a imprimée, et le texte de l'original que donne un autographe retrouvé. — En haut de chaque page, deux numéros indiquent le tome et la page de l'édition Clerselier pour la lettre au-dessous : la pagination est la même pour toutes les éditions des volumes II et III ; pour le volume I, elle change de la première à la seconde : nous donnons celle de la seconde et de la troisième ; un trait vertical, dans le texte, indique le commencement de chaque page de Clerselier.

4° Restent les notices sur les correspondants de Descartes, et sur tant de noms propres cités dans ses lettres. Elles seraient parfois assez longues, ce qui surchargerait encore les annotations au bas des pages. En outre, comme les mêmes noms reviennent assez souvent, il faudrait donc chaque fois renvoyer à la notice placée au bas de la première lettre où le nom se rencontre. Que de renvois et quelle complication ! On s'est décidé à réunir tous ces noms propres en une sorte de Dictionnaire biographique, publié à part, où le lecteur trouvera sur chacun les renseignements qu'il désire.

Ainsi présentée, la Correspondance de Descartes sera d'une lecture commode, offrant tous les avantages d'une édition savante, sans que l'aspect général du texte perde rien pour cela de sa beauté. MM. Cerf et Cie, répondant en effet au désir du Ministère de l'Instruction publique, n'ont rien négligé ni épargné pour que la France puisse montrer, à l'Exposition universelle de 1900, une édition de son philosophe, digne d'elle et digne de lui.

Ch. ADAM.
Dijon, 31 décembre 1896.

    MM.

    Ravaisson, Président de l'Académie des Sciences morales et politiques.
    Th. Ribot, Professeur au Collège de France, Directeur de la Revue philosophique.
    Séailles, Maître de conférences à la Sorbonne.
    † J. Simon, de l'Académie française, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences morales et politiques.
    Sully-Prudhomme, de l'Académie française.
    J. Tannery, Sous-Directeur de l'École normale supérieure.
    † Tisserand, de l'Académie des Sciences, Directeur de l'Observatoire.
    Vacherot, de l'Institut.

    ALLEMAGNE, AUTRICHE-HONGRIE, ALSACE-LORRAINE.

    B. Erdmann, Professeur à l'Université de Halle.
    R. EuCKEN, Professeur à l'Université d'Iéna.
    R. Falkenberg, Directeur de la Zeitschrift fur Philosophie und philosophische Kritik, Professeur à l'Université d'Erlangen.
    Gizicki, Privat-docent à l'Université de Berlin.
    Ed. von Hartmann.
    Kuno Fischer, Professeur à l'Université de Heidelberg.
    Natorp, Professeur à l'Université de Marburg, Directeur de l'Archiv für systematische Philosophie.
    Paulsen, Professeur à l'Université de Berlin.
    Riehl, Professeur à l'Université de Fribourg.
    Sigwart, Professeur à l'Université de Tübingen.
    Weissmann, Professeur à l'Université de Fribourg.
    Weyr, Professeur à l'Université de Prague.
    Windelband, Professeur à l'Université de Strasbourg.
    Wundt, Professeur à l'Université de Leipzig, Directeur des Philosophische Studien.
    Zeller, Professeur à l'Université de Berlin.

    MM.
    Bertrand, de l’Académie française, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences.
    Bouillier, de l’Institut.
    Bourgeois, Député, ancien Président du Conseil, ancien Ministre de l’Instruction publique.
    Boutroux, Professeur d’Histoire de la Philosophie moderne à la Sorbonne.
    Brochard, Professeur d’Histoire de la Philosophie ancienne à la Sorbonne.
    Brouardel, Doyen de la Faculté de Médecine de Paris.
    Brunetière, de l’Académie française.
    † Burdeau, Président de la Chambre des Députés.
    † Challemel-Lacour, de l’Académie française, Président du Sénat.
    {{AN|Darboux, de l’Académie des Sciences, Doyen de la Faculté des Sciences de Paris.
    Léopold Delisle, de l’Institut, Administrateur général de la Bibliothèque nationale.
    Fouillée, de l’Institut.
    Gréard, de l’Académie française, Vice-Recteur de l’Académie de Paris.
    Hermite, de l’Académie des Sciences.
    Janet, de l’Institut, Professeur de Philosophie à la Sorbonne.
    Janssen, de l’Académie des Sciences, Directeur de l’Observatoire de Meudon.
    Lachelier, de l’Institut, Inspecteur général de l’Instruction publique.
    † Marion, Professeur de Science de l’Éducation à la Sorbonne.
    † Pasteur.
    E. Perrier, de l’Académie des Sciences, Professeur au Muséum.
    R. Poincaré, Vice-Président de la Chambre des Députés, ancien Ministre de l’Instruction publique.
    H. Poincaré, de l’Académie des Sciences, Professeur de Physique mathématique à la Sorbonne.

    MM.

    Angleterre
    .
    Caird, Master à Balliol Collège, Oxford.
    Stout, Directeur du Mind, Professeur à St. John's Collège, Cambridge.


    Amérique
    .
    W. James, Professeur à l'Université de Cambridge (États-Unis).
    Schurman, Directeur de la Philosophical Review.


    Belgique
    .
    † Delbœuf, Professeur à l'Université de Liège.


    Hollande
    .
    Land, Professeur à l'Université de Leyde, éditeur des Œuvres de Spinoza.


    Italie
    .
    † L. Ferri, Directeur de la Rivista italiana di filosofia.


    Russie
    .
    Grote, Directeur de la Revue de Psychologie et de Philosophie.
    Wassilief, Président de la Société physico-mathématique de Kazan.


    Suède
    .
    Mittag Leffler, Directeur des Acta Mathematica, Professeur à l'Université de Stockholm.


    Suisse
    .
    Avenarius, Directeur de la Vierteljahrschrift für Wissenschaftliche Philosophie.
    Secrétan, Professeur à l'Université de Lausanne.
    Stein, Directeur de l'Archiv für Geschichte der Philosophie.

  1. La souscription était placée sous le patronage de :
    MM.
    Le Ministre de l’Instruction publique.
    Buisson, Directeur de l’Enseignement primaire au Ministère de l’Instruction publique.
    Xavier Charmes, de l’Institut, Directeur du Secrétariat et de la Comptabilité au Ministère de l’Instruction publique.
    Liard, de l’Institut, Directeur de l’Enseignement supérieur.
    Rabier, Directeur de l’Enseignement secondaire.
    Berthelot, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences.