Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/Tome 12/Texte entier

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René Descartes : Œuvres de Descartes, éd. Adam et Tannery, Tome 12




VIE & ŒUVRES

DE

DESCARTES

RENÉ DESCARTES
1596-1650



VIE & ŒUVRES
DE
DESCARTES

ÉTUDE HISTORIQUE
PAR
Charles ADAM

———

SUPPLÉMENT À L’ÉDITION DE DESCARTES
PUBLIÉE SOUS LES AUSPICES
DU MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE


PARIS
LÉOPOLD CERF, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
12, RUE SAINTE-ANNE, 12

1910




À
LOUIS LIARD
CRÉATEUR
DES
NOUVELLES UNIVERSITÉS FRANÇAISES





Le Recteur de l’Université de Nancy
aux Étudiants de France.
PRÉFACE


L’édition de Descartes que nous avons donnée, pouvait être considérée comme finie après la publication du tome XI. Il n’y manquait qu’un Index général des matières (nous nous réservions d’ailleurs de le publier séparément). Mais cette édition n’avait-elle pas besoin, en outre, d’être complétée par une étude sur la vie et les œuvres du philosophe ? Le lecteur l’attendait, ce semble, et aurait été déçu de ne point la trouver. Nous avons cependant beaucoup hésité à entreprendre une telle étude. À notre avis, dans l’état actuel de nos connaissances, il n’est pas possible, avant longtemps encore, de la mener à bien. Elle exige un grand nombre d’études préparatoires, dont deux ou trois à peine ont été faites, sur l’état des questions philosophiques et scientifiques au temps de Descartes, sur les influences que lui-même a subies, sur ses relations personnelles avec tel ou tel de ses contemporains. Une vingtaine de monographies au moins, qui demanderaient encore des années de recherches, seraient nécessaires au préalable : faute desquelles on ne peut que fournir des indications, effleurer les problèmes, sans presque en traiter aucun définitivement.

Nous nous sommes résignés cependant à ce travail, forcément imparfait ; et nous avions pour cela deux raisons. La première, c’est qu’on aura toujours de la peine à se retrouver au travers de ces onze volumes d’œuvres ou de lettres, malgré l’index général que nous annonçons : un fil conducteur est indispensable, et cette étude, telle quelle, au moins en tiendra lieu. La seconde raison, c’est que, au cours de ces quinze à vingt années bientôt d’un labeur assidu, nombre de matériaux ont été rassemblés par nous, outre ceux que nous avons déjà publiés à propos de chaque lettre de la correspondance, et dans les introductions, les notes et les appendices, au sujet de chaque ouvrage. Comme cette édition est à l’usage de ceux que l’histoire de la philosophie intéresse, nous en avons fait un instrument de travail aussi utile que possible, n’hésitant pas à y prodiguer les renseignements sans compter : chaque lecteur saura bien y choisir ce qui lui convient, et laisser là le reste. Néanmoins, quantité de documents n’ont pu être utilisés de la sorte, qui méritaient d’être publiés aussi ; leur place était donc indiquée dans une Étude sur la vie et les œuvres de Descartes.

Ce titre a paru préférable à tout autre. C’est, en effet, une étude sur Descartes seulement, que nous avons voulu donner, et non pas sur le Cartésianisme. Aussi n’avions-nous que faire de cette longue liste de livres qui se sont succédé depuis plus de deux siècles et demi, et qui ont pour objet le commentaire ou la critique de la philosophie cartésienne, sans ajouter un document à ceux que possédait déjà le xviie siècle sur la personne de Descartes : chacun de ces livres nous expose la pensée, sans doute fort intéressante, de son auteur propre, bien plus que celle du philosophe lui-même, et sous une apparence historique, il a toujours en réalité un caractère plus ou moins dogmatique. (Et nous craignons bien de n’apporter aussi, en dépit de nos efforts, qu’un livre de plus qui ne sera pas exempt de cet inévitable défaut, un livre à prétentions objectives, mais qui sera seulement peut-être un peu moins subjectif que les précédents.) Pourtant nous étudierons, non pas l’œuvre de Descartes, son œuvre de philosophe, ou son influence sur les siècles suivants et qui dure encore aujourd’hui, mais plutôt ses ouvrages, et les conditions et circonstances dans lesquelles chacun a été composé et publié. Le présent volume n’est pas un livre de philosophie, à proprement parler, mais un livre d’histoire : ajoutons, si l’on veut, d’histoire de la philosophie, et aussi de la science, ou plus simplement une contribution à l’histoire des idées en France et de l’esprit français au xviie siècle.

La seule Vie de Descartes, un peu complète, que l’on eût jusqu’alors, était celle d’Adrien Baillet ; et elle date de 1691[1]. Lui-même raconte, dans sa Préface, que Chanut, bien mieux que personne, eût écrit cette vie, et après Chanut, Clerselier, qui avait aussi connu « intérieurement » le philosophe. Après eux, il nomme un Oratorien, le P. Nicolas Poisson, qui en fut vivement sollicité par la reine Christine et par Clerselier lui-même, et qui se contenta de donner, en 1670, un petit livre de Commentaires ou Remarques sur la Méthode de René Descartes. Enfin, il nomme encore l’abbé Jean-Baptiste Legrand, devenu, après la mort de Clerselier en 1684, le dépositaire des papiers du philosophe, et qui préparait une nouvelle édition de ses œuvres ; Legrand s’empressa de mettre à la disposition de Baillet tous les documents qu’il avait recueillis déjà[2].

Nous pouvons dire que les deux tomes publiés par Baillet sont passés presque en entier dans les onze volumes de notre édition et dans ce volume XII. C’était, pour une bonne part, un assemblage de documents, dont les originaux sont maintenant perdus, et que nous ne connaissons que par les extraits qu’il en a imprimés : bien des pages ont été découpées, pour être mises chacune à sa place au cours de la correspondance ou des œuvres, comme il a été dit dans l’Introduction du tome I[3]. En outre, Baillet avait rempli en conscience son devoir de biographe, s’adressant de toutes parts à qui pouvait le renseigner : la famille de Descartes, c’est-à-dire ses neveux, fils du frère aîné Pierre (mort en 1660) et du cadet Joachim (mort en 1680), ainsi que les fils de ses amis. C’était déjà la seconde génération, mais par elle on remontait à la première, contemporaine du philosophe ; Baillet eut entre les mains des mémoires laissés par des hommes qui avaient connu celui-ci personnellement : Clerselier, Chanut, Mydorge, Hardy, Le Vasseur, etc. Il écrivit à quelques rares survivants, un M. de la Barre, à Tours, et Adrien Auzout, à Rome, celui-ci bien près de sa mort, en 1691[4]. Baillet fit écrire aussi en Hollande, où vivait toujours Jean de Raey, qui surveilla, avec Schooten, l’édition latine donnée à Amsterdam. Raey, pour toute réponse, se contenta de dire que la vie de Descartes était la chose la plus simple du monde, res simplicissima, et les Français feraient mieux de n’y pas toucher : ils la gâteraient, Galli eam corrumperent ! Nous avons cependant les souvenirs personnels de Jean de Raey sur Descartes : il les avait confiés, une quarantaine d’années plus tôt, à un jeune indiscret, et on les avait mis à profit, en oubliant de nommer l’auteur : d’où la réponse maussade de 1690[5]. Cet oubli avait été commis par un Allemand de Lubeck, Daniel Lipstorp, qui publia en 1653 une vie de Descartes. Baillet ne manqua pas de puiser abondamment à cette source, simple abrégé d’ailleurs de vingt-cinq pages seulement, mais d’une valeur inappréciable[6]. Il puisa de même, dans l’opuscule plus court encore de Pierre Borel, publié un peu après, en 1656, et composé aussi avec les souvenirs d’un autre ami de Descartes, Étienne de Ville-Bressieu[7]. Ces deux essais, ainsi que les Préfaces de Clerselier, de 1657 à 1666, étaient, jusqu’en 1691, à peu près tout ce qu’on avait sur la vie du philosophe[8]. Baillet trouvait donc une matière presque intacte, et il sut la traiter, rendons-lui cette justice, avec un soin et un scrupule religieux, en tous les sens du mot. L’écrivain, en effet, était prêtre, l’abbé Baillet, futur auteur des Vies des Saints, et il écrivait, n’oublions pas la date, aux environs de 1690, c’est-à-dire au plus fort de la réaction religieuse du règne de Louis XIV. Descartes était fortement suspect : n’avait-il pas été condamné à Rome ? Le pieux biographe s’applique manifestement à le réhabiliter, et à présenter son philosophe comme un bon catholique, croyant et pratiquant, dont il exagérerait plutôt la religion. Il en dit trop à cet égard, et les protestants réfugiés en Hollande n’ont point manqué d’en faire la remarque : M. Baillet, ont-ils dit, a fait de Descartes « presqu’un dévot[9] ».

On ne trouvera plus ici, cela va sans dire, les mêmes préoccupations, et tous nos efforts tendront à restituer (si cela est possible) un Descartes historiquement vrai. La principale différence entre l’œuvre de Baillet et la nôtre sera dans l’esprit général qui anime chacune d’elles. Mais les grandes lignes restent à peu près les mêmes, et de nombreux détails se trouvent confirmés, avec d’autres qui s’y ajoutent, grâce à une documentation nouvelle.

Celle-ci consiste d’abord dans des pièces d’archives, publiques et privées, notamment sur la famille de Descartes : bon nombre ont été découvertes et publiées, ces cinquante dernières années, par des érudits de Touraine, de Poitou, de Bretagne. Quelques-unes ont été recueillies en Hollande. On les trouvera, chacune à sa place, avec l’indication de leur provenance. Puis nous avions la correspondance complète (ou peu s’en faut) du philosophe, et surtout rétablie dans l’ordre chronologique, ce qui la rend bien plus instructive, et permet de suivre pas à pas la marche de sa pensée. En outre, plusieurs collections de lettres ont été retrouvées et imprimées, que Baillet n’a point connues : lettres de Pollot (publiées en 1869), et de la princesse Élisabeth (en 1879), lettres de Constantin Huygens le père, de Brégy, de Chanut, de Brasset, de Beeckman, la plupart publiées dans cette édition pour la première fois. Sans doute la physionomie générale de Descartes n’en est point changée du tout au tout ; mais elle est mieux éclairée, et bien des particularités curieuses s’y révèlent ou y apparaissent dans un meilleur jour.

Outre cela, plusieurs Recueils MS. ont été pour nous autant de mines précieuses. Ce fut, par exemple, en Hollande, le Journal d’Isaac Beeckman, signalé seulement en 1905 à Middelbourg, et dont la publication est si désirable pour l’histoire des sciences. Ce sont aussi les Lettres latines et françaises, de Constantin Huygens, ami particulier de Descartes, et père de celui qui fut le grand Huygens ; elles sont conservées à la Bibliothèque de l’Académie des Sciences d’Amsterdam ; ajoutons-y le Dagboek du même Huygens, qui seul a été imprimé jusqu’ici, l’année 1884. En France, nous avons utilisé, comme recueils de ce genre, à Paris, Bibliothèque Nationale, d’abord les trois volumes de Lettres au P. Mersenne (MS. fr. n. a., 6204, 6205 et 6206), déjà connues de Baillet, mais où il a emprunté moins largement que nous (et nous avons pu y joindre quelques lettres d’un grand intérêt, des mathématiciens Desargues et Debeaune) ; puis un cahier de Lettres de Saumaise (MS. fr., Collection Dupuy, 713) écrites en Hollande ; enfin deux documents tout à fait de première main : la correspondance de Chanut, résident, puis ambassadeur à Stockholm, (MS. fr. 17962-1796), laquelle avait à peine été utilisée (si même elle l’avait été) ; et une autre, plus importante encore, qui ne l’avait jamais été que nous sachions, celle de Brasset, secrétaire de l’ambassade, puis résident à La Haye (MS. fr. 17891-1790, quinze volumes in-f°, de 1616 à 1654). C’est peut-être cette correspondance, avec celle de Chanut, qui nous a fourni le plus de ces détails si propres à reconstituer le cadre où a vécu notre philosophe.


Est-il besoin de dire que chacun a bien voulu aider, à l’envi, l’éditeur de Descartes dans ses longues et laborieuses recherches. Toutes facilités lui ont été accordées à la Bibliothèque Nationale par Léopold Delisle et M. Henri Omont, et aussi par deux bibliothécaires, entre autres, MM. Blanchet et Dorez ; à la Bibliothèque de l’Institut, par Ludovic Lalanne, et son successeur, mon ami Alfred Rébelliau ; à la Bibliothèque de l’Université enfin, par M. Émile Châtelain

À l’étranger, je dois une mention particulière au Directeur de la Bibliothèque Royale de Hanovre, Eduard Bodemann, et au Dr Karl Kunze, qui l’a remplacé. Mais c’est surtout en Hollande que j’ai eu la bonne fortune de rencontrer de véritables collaborateurs, aux Universités de Groningue, Utrecht, Leyde et Amsterdam. À Leyde notamment, le vénéré Bierens de Haan, éditeur de Christian Huygens, le bibliothécaire, W. N. du Rieu, et son successeur, S. G. de Vries, s’étaient mis tout à ma disposition ; de même à Amsterdam, le professeur D.-J. Korteweg ; et à Harlem, des savants tels que J. Bosscha, et des érudits tels que C.-A. Duker ; enfin à Middelbourg, le jeune Cornelis de Waard.

C’est ainsi qu’un tel travail a pu être mené jusqu’au bout. En y mettant la dernière main, cet automne de 1910, je songe avec mélancolie à mon professeur de philosophie au Lycée de Douai en 1875-1876, Victor Brochard : ce fut lui qui, en janvier 1894, voulut bien désigner, pour cette tâche de confiance, son ancien élève, et lui donna le courage de s’en charger ; il en a suivi l’avancement, de volume en volume, avec un intérêt passionné, jusqu’à sa mort, le 25 novembre 1907. J’avais déjà perdu, le 2 janvier 1901, le maître-imprimeur, qui s’était enthousiasmé pour cette édition de Descartes, Léopold Cerf, dont le fils, M. Paul Cerf, a tenu à honneur de recueillir cette part de l’héritage paternel. J’avais aussi perdu, le 27 novembre 1904, le savant, dont la collaboration pour les mathématiques ne pouvait être remplacée, Paul Tannery, dont j’ai voulu que le nom continuât de figurer quand même en tête des volumes suivants à côté du mien[10]. L’édition a pu s’achever, en effet, sous les auspices de la Direction de l’Enseignement supérieur au Ministère de l’Instruction publique, laquelle avait trouvé dès le début un organe auprès du grand public dans la Revue de Métaphysique et de Morale, avec son dévoué directeur, M. Xavier Léon[11].

Mais il est surtout deux hommes, à qui je fais respectueusement hommage de cette œuvre accomplie, grâce à eux : M. Émile Boutroux, mon maître en histoire de la philosophie, de 1877 à 1880, à l’École Normale supérieure, et M. Louis Liard : celui-ci, sans lequel l’édition de Descartes n’aurait pas été entreprise, ni continuée, ni peut-être même achevée, et dont la haute approbation m’a constamment soutenu au cours de tant d’années, et m’a permis de conduire cette œuvre à bonne fin.

Ch. ADAM.


Nancy, 2 novembre 1910.



PORTRAITS ET GRAVURES




La première eau-forte, en tête de ce volume, est l’œuvre d’Achille Jacquet, décédé depuis lors[12]. L’artiste s’est surtout inspiré du portrait de Descartes, qui figure au Musée du Louvre, et qu’on attribue (attribution de moins en moins sûre) au maître de Harlem, Frans Hals. Jacquet, avec sa conscience scrupuleuse, et pour mieux se pénétrer de la pensée du philosophe, se plaisait à relire, au cours de son travail, le Discours de la Méthode.

La seconde eau-forte est l’œuvre du même artiste. C’est une reproduction, ou plutôt une interprétation par la gravure, d’un petit tableau qui était en la possession de l’abbé Le Monnier, curé de Saint-Ferdinand des Ternes à Paris ; après le décès de celui-ci, le tableau fut acheté, dans une vente publique, par M. Jules Feral, expert. L’abbé Le Monnier, qui l’avait signalé à Paul Tannery, voulut bien m’autoriser, en 1904, à le faire graver pour l’édition de Descartes ; il demanda seulement que le travail fût confié à Achille Jacquet. L’authenticité de ce petit tableau est attestée par une note à l’encre, écrite au dos sur le bois, d’une écriture du xviie siècle. La voici textuellement : « C’est le véritable Portrait de Monsieur René Descartes, envoyé par lui-même de Suède à Monsieur l’Abbé Picot, qui a traduit ses Principes de Philosophie en français, lequel en mourant le remit à Monsieur Dalibert, qui a fait venir de Suède les os de Mons. Descartes, & lui a fait efleuer à ses dépens un tombeau à Paris dans l’Église Ste Geneviève. Et après la mort de Monsieur Dalibert mon beau frère, j’ai eu ce portrait en 1671 . Signé : Rollandt P. — N° 401 . » Il est douteux que ce portrait ait été « envoyé de Suède ». Ce ne pouvait être, en effet, qu’à la fin de 1649 ou au commencement de 1650 : or il remonte à une date bien antérieure ; car il représente un Descartes assez jeune encore. Baillet parle d’un portrait du philosophe, que l’abbé Picot avait rapporté de son premier voyage en Hollande, l’année 1642 : voir ci-après, page 75, note b. fin. Ce renseignement du biographe concorde, pour une faible partie, avec l’inscription de notre petit tableau ; celui-ci sans doute aurait été fait quelques années plus tôt. On ne sait qui en est l’auteur : un artiste médiocre, disait Jacquet, et il avait raison. Mais le portrait est curieux, et nous le donnons entre les pages 74 et 75.

Nous avons reproduit encore, pour leur valeur documentaire, deux autres portraits de Descartes. L’un a été dessiné, d’après nature, par Frans Schooten le fils, en 1644 ; il fut gravé pour la traduction latine de la Géométrie, seconde édition, 1659. Le philosophe n’avait pas voulu le voir figurer, de son vivant, dans la première édition en 1649, bien qu’il le trouvât « fort bien fait », écrivait-il ; mais c’était dans une lettre adressée à l’auteur : le moyen de s’exprimer autrement ? Plus tard, Huygens le trouvera, au contraire, « bien mal fait » ; et nous serions plutôt de l’avis de Huygens. Seulement ce portrait, qui n’est pas d’un artiste, mais de quelqu’un qui a bien connu Descartes et qui savait un peu dessiner, a pour nous un double intérêt : il est authentique, et nous en connaissons la date. Nous l’avons donc donné en photogravure, entre les pages 358 et 359.

De même pour un dernier portrait, récemment retrouvé en Suède. En 1906, Gustave Retzius en avisa M. Gaston Darboux, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences de Paris. Puis l’Académie des Sciences de Stockholm fit hommage à celle-ci d’une copie à l’huile, reçue dans la séance du 4 mai 1908, et qu’on peut voir maintenant dans la grande salle de la Bibliothèque de l’Institut. En même temps une photographie de l’original nous fut envoyée pour l’édition de Descartes. Ce portrait aurait été fait à Stockholm, ce qui en fixe la date : novembre ou décembre 1649, ou bien janvier 1650. Ce serait l’œuvre d’un peintre de la reine Christine, David Beck, Hollandais de naissance, mais élève de Van Dyck. (Voir ci-après, p. 545, note f.) Quelques difficultés subsistent bien : Descartes paraît plus jeune, bien qu’il ait près de cinquante-quatre ans, sur ce portrait, que dans le tableau attribué à Frans Hals, qui pourtant serait antérieur. Mais c’est Descartes à la cour, et en représentation, et non plus le philosophe, celui qui dit : Je pense. On s’est même demandé si on n’était pas en présence d’une simple copie du Descartes de Frans Hals, et d’une copie médiocre : la physionomie, certes, est bien différente ; mais ce sont les mêmes détails de costume, la même attitude, et la tête regarde exactement de la même façon. Des mèches grises, cependant, apparaissent parmi les cheveux noirs ; et nous savons que, depuis 1649, Descartes portait des perruques un peu grisonnantes. (Voir t. V, p. 335.) D’ailleurs, le portrait est intéressant, et méritait également une photogravure[13] ; elle est à sa place, entre les pages 546 et 547.

Nous donnons encore deux autres planches hors texte. L’une représente un pavillon habité par Descartes, lors de son séjour à Utrecht, en 1635. Ce pavillon était situé à quelque distance de la ville, dont on aperçoit seulement le clocher, il se trouvait sur le Maliebaan, magnifique promenade plantée d’arbres, qui n’avait que deux maisons, et du même côté, sur les anciens plans. Notre planche est la reproduction d’un dessin du temps, qui appartient à la collection de la reine-mère Emma de Hollande, en son château de Soestdyk. Il nous fut gracieusement envoyé, sur notre demande, pour figurer dans l’édition de Descartes. À vrai dire, le philosophe n’habita pas longtemps ce pavillon, pas même une année. Mais nous n’avions rien qui rappelât le séjour prolongé qu’il fit à Egmond. Et s’il demeura deux ans au petit castel d’ Endegeest, on n’est pas sûr qu’il l’occupait tout entier ; d’ailleurs le domaine a été singulièrement transformé depuis lors : n’y a-t-on pas installé, en ces derniers temps, un asile d’aliénés ? Le pavillon d’Utrecht donne bien une idée du genre d’habitation qui plaisait à notre philosophe.

Restait à donner un fac-similé de son écriture. On avait le choix entre les autographes de Descartes que possèdent la Bibliothèque Nationale, la Bibliothèque de l’Institut, et la Bibliothèque Victor Cousin à la Sorbonne. (Voir t. I, p. lxviii-lxix.) Nous nous en sommes rapportés à M. Henri Omont, conservateur des MS. à la Nationale, qui choisit lui-même le texte le plus propre à être photographié, pour la teinte du papier et la netteté des caractères : c’est la dernière partie d’une lettre à Mersenne, du 4 mars 1641. (Voir t. III, p. 331-332, et Bibl. Nat., MS. fr. n. a. 5160, f. 22-26.) Nous l’avons insérée entre les pages 268 et 269 du présent volume.

C. A.


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LIVRE PREMIER

CHAPITRE PREMIER
LA FAMILLE[14]
(1596-1604)


Descartes naquit à La Haye en Touraine, le 31 mars 1596. Cette date nous est connue par une inscription autour d’un portrait du philosophe, que dessina en 1644 Frans Schooten, nation de « Poitevin », qu’il s’inscrivit en 1630 sur les registres de l’Université de Leyde[15] ; et il se présenta aussi comme « Poitevin » à Beeckman, lorsqu’il fit sa rencontre à Bréda en 1618[16]. En effet, son père et sa mère, et des deux côtés ses grands-pères et grand-mères, et une partie de ses ascendants encore, appartenaient à la province du Poitou.

Son père d’abord, Joachim des Cartes, était né en Poitou, à Châtellerault ; l’acte de baptême est du 2 décembre 1563[17]. Son grand-père, Pierre Descartes, docteur en médecine, avait exercé dans cette même ville, jusqu’à sa mort en 1566 (on a retrouvé sa pierre tombale)[18] ; et il y exerçait déjà en 1543, lorsqu’il se fiança (on a le contrat de fiançailles, du 3 octobre) avec Claude Ferrand. Celle-ci, grand-mère paternelle du philosophe, était fille de Jean Ferrand, aussi docteur en médecine à Châtellerault. Elle n’avait, à la date de 1543, que onze à douze ans, étant née en 1532 (la famille comptait neuf frères et sœurs), et elle survécut quarante-cinq ans à son mari, car on la retrouve encore vivante, dans des actes publics dont le dernier est du 29 novembre 1610[19]. Elle paraît avoir habité jusqu’à la fin Châtellerault.

La mère de Descartes, Jeanne Brochard, demeurait à La Haye lors de son mariage, dont le contrat est du 15 janvier 1589[20]. Elle figure comme marraine au registre des baptêmes de cette ville, par quatre fois, de 1574 à 1590[21], d’abord sous le nom de « damoiselle Jehanne Brochard » simplement, et la dernière fois avec cette addition : « femme de honorable homme, le sieur Joachim des Cartes, conseiller en Parlement de Rennes ». Mais son père, René Brochard, grand-père maternel du philosophe, était lieutenant général du présidial de Poitiers ; il vécut donc en cette ville, et y mourut, le 28 juillet 1586 ; il fut inhumé, le 8 août, dans l’église Sainte-Opportune. Son père également, Aymé Brochard, y avait été déjà inhumé le 24 juin 1533 ; il était en son vivant conservateur des privilèges de l’Université de Poitiers[22].

Quant à la mère de Jeanne Brochard, ou la grand-mère maternelle de Descartes, Jeanne Sain, elle s’était retirée à La Haye après la mort de son mari en 1586, et peut-être même avant ; car elle est mentionnée dans un acte du 10 janvier 1578 comme « femme séparée d’avec Me René Brochard[23] ». Un acte de baptême du 12 octobre 1588, à La Haye, la désigne sous le titre qu’elle avait du vivant de son mari : Madame, ou plutôt, suivant l’usage du temps, « Mademoiselle la Lieutenante de Poitou[24] ». Mais on a retrouvé l’origine de la famille Sain[25], et ceci nous ramène encore à Châtellerault. Le père de Jeanne Sain, de son nom Claude Sain, habitait Orléans, où il exerçait la profession de marchand ; mais il était né à Châtellerault, d’un père déjà aussi marchand, Mathurin Sain ; et il avait un frère aîné, qui resta dans cette même ville, comme contrôleur des tailles, Pierre Sain. Un fils de celui-ci, marchand d’abord, lui succéda en sa charge de contrôleur, et ne quitta pas non plus Châtellerault ; il s’appelait Jean Sain. Ce fut sa femme Jeanne Proust, que l’on choisit pour être marraine au baptême de René Descartes, petit-fils de leur cousine germaine, Jeanne Sain, donc leur petit-neveu, si l’on prolonge d’un degré la parenté, comme c’est assez l’usage. L’enfant n’eut qu’une marraine, mais il eut deux parrains : son oncle René Brochard, sieur des Fontaines, frère de sa mère ; puis l’un des nombreux frères de sa grand-mère paternelle, et son grand-oncle à lui, Michel Ferrand, lieutenant général du roi à Châtellerault[26].

On voit encore en cette ville la maison paternelle de Descartes, celle qu’habita son père, son grand-père et peut-être aussi quelque temps son frère aîné[27]. La famille se disait noble, de petite noblesse, il est vrai, et du dernier degré : du côté maternel, l’aïeul et le bisaïeul, René et Aymé Brochard, prenaient le titre d’écuyer ; son père Joachim des Cartes se disait aussi écuyer, et même son grand-père le médecin Pierre Descartes[28]. Celui-ci avait revendiqué, en 1547, le privilège essentiel de la noblesse, l’exemption des tailles. Et plus tard notre philosophe sera traité de gentilhomme en Hollande par son compatriote, l’érudit Saumaise, et par un personnage officiel, tel que Constantin Huygens[29] ; de même aussi quelquefois en France, notamment par un Jésuite qui paraît avoir été son condisciple au collège de La Flèche, le P. Georges Fournier[30]. Son nom d’ailleurs fut imprimé en tête des livres signés de lui, et dans la plupart des ouvrages du temps, en deux mots : M. Des Cartes[31].

Mais ce qui valait mieux que cette petite noblesse, ce sont les emplois publics ou les professions libérales de la plupart des membres de sa famille. Plusieurs, il est vrai, du côté des Sain, furent marchands, et déjà aussi officiers du roi pour les finances ; mais les Brochard occupèrent des charges de justice et de police, et les Ferrand furent des hommes de science ou d’étude, comme ce bisaïeul, conservateur des privilèges de l’Université de Poitiers, et qui lui-même avait épousé Anne de Sauzay, fille d’un bibliothécaire du roi[32]  : un de leurs descendants, Gaspard d’Auvergne, fut poète et traduisit Machiavel. Si donc plus tard le bonhomme Descartes, père de notre philosophe, dira dans sa vieillesse que son cadet n’était bon « qu’à se faire relier en veau[33]  », saura-t-on jamais de quel ton il disait cela ? Comme une boutade, et dans un mouvement d’humeur ? Ou comme la plaisanterie d’un vieillard jovial, glorieux, au fond, des livres de son fils ? Car enfin, sinon son père, le médecin Pierre Descartes, qui n’eut pas le temps de rien publier, du moins son grand-père, Jean Ferrand, avait été l’auteur d’ouvrages de médecine. Cet ancêtre nous apparaît même comme assez dégagé de préjugés en ce temps-là : son gendre, Pierre Descartes, étant mort en 1566, il voulut en faire l’autopsie, et consigna ses observations dans un traité qu’il publia en 1570 sur les maladies de la pierre[34]. D’autre part, au point de vue religieux, même largeur d’esprit sans doute : on était habitué à vivre avec des protestants à Châtellerault, et c’était une des villes du royaume où ceux-ci, depuis 1589, avaient le libre exercice de leur culte[35].

Toutefois, c’est par les situations où elle s’éleva dans le monde parlementaire que la famille de Descartes se distingua dès la fin du xvie siècle et surtout au xviie. Joachim, le père du philosophe, entra comme conseiller au Parlement de Bretagne : ses lettres de provision sont datées du 6 décembre 1585, et il fut installé le 14 février 1586. Mais il ne quitta pas pour cela le Poitou ni le pays de sa femme. Celle-ci lui donna cinq enfants, de 1589 à 1697 : quatre au moins naquirent à La Haye, où l’on a relevé leurs actes de baptême aux dates suivantes : Pierre, 7 octobre 1589 ; un second Pierre (le premier n’ayant pas vécu), 19 octobre 1591, qui fut le frère aîné de notre philosophe ; celui-ci, René, 3 avril 1596 ; et un dernier-né, le 13 mai 1597, qui mourut aussitôt, et coûta la vie à sa mère, trois jours après, le 16 mai 1597[36]. Le cinquième enfant était une fille, Jeanne, dont on n’a pas retrouvé l’acte de baptême : sa naissance doit être datée de 1590, ou bien de 1592 à 1595[37].

Tous ces événements de famille se passèrent à La Haye. Joachim Descartes n’avait donc pas emmené sa femme à Rennes ; et lui-même pendant un assez long temps n’y résida que trois mois au plus chaque année. Les sessions du Parlement de Bretagne étaient trimestrielles, une l’été et l’autre l’hiver, et chaque conseiller n’appartenait qu’à l’une des deux[38]. Joachim Descartes siégea d’abord de juillet à octobre ; puis il échangea avec un collègue, et siégea de février à avril. En outre les chemins n’étant pas sûrs en ces temps de guerre civile, pour aller de La Haye ou de Châtellerault à Rennes, plus d’une fois il demanda et il obtint d’être dispensé de siéger : c’est ainsi qu’il n’alla pas en Bretagne en 1589, 1592, 1593 et 1594, et passa tout ce temps en Poitou[39]. Par contre, il était à Rennes pour la session d’hiver, lorsque son fils René vint au monde, le 31 mars 1596 ; et il y était aussi l’année suivante, lorsqu’il perdit à la fois son dernier enfant et sa femme elle-même, 13 et 16 mai 1597.

Mais il se remaria avec une Bretonne, Anne Morin, de Nantes, où elle avait été baptisée le 2 septembre 1579[40]. On ignore la date de ce second mariage ; on peut la supposer aux environs de 1600. D’autre part, les sessions du Parlement étant devenues semestrielles, le séjour à Rennes s’imposait. Cependant le Poitou retint encore quelque temps notre conseiller : ainsi sa femme, Anne Morin, mit au monde un enfant, appelé Claude, dans un village proche de Châtellerault, à Oyré, où il fut baptisé le 9 novembre 1604[41]. Un autre, en 1609, appelé François, et qui, comme le précédent, n’a pas vécu, naquit, il est vrai, à Chavagne, paroisse de Sucé, près de Nantes. Mais seule la dernière enfant, une fille nommée Anne comme sa mère, est née à Rennes, où elle fut baptisée le 25 mai 1611. Vers 1607, Joachim s’était décidé à acheter en cette ville un hôtel qui existe encore, et à s’y installer définitivement. Breton désormais, du fait de sa résidence, c’est aussi en Bretagne qu’il établit toute sa famille, même les enfants de sa première femme, Pierre et Jeanne, à l’exception du philosophe René[42] Jeanne Descartes épousa donc à Rennes, le 21 avril 1613, Pierre Rogier, seigneur du Crévy, paroisse de La Chapelle, près de Ploërmel. Plus tard, Pierre Descartes, sieur de la Bretallière, devint d’abord conseiller au Parlement de Bretagne : pourvu le 10 mars 1618, et reçu le 10 avril suivant. Puis il épousa, le 26 septembre 1624, à Elven, Marguerite Chohan, dame de Kerleau. Le père ne pouvait pas faire moins pour les deux enfants de sa seconde femme : il résigna son office de conseiller en faveur de son fils, nommé comme lui Joachim, qui fut admis au Parlement de Bretagne, le 10 juillet 1627 ; et l’année suivante, en juillet 1628, il maria sa fille Anne avec Louis d’Avaugour de Kergrois. La famille Descartes était ainsi devenue et demeura toute bretonne, et elle tira désormais sa noblesse des emplois occupés par elle au Parlement[43].

Cependant les enfants de Jeanne Brochard étaient restés, semble-t-il, le plus longtemps possible à La Haye auprès de leur grand-mère, Jeanne Sain, sans doute jusqu’à la mort de celle-ci en 1610[44]. René, notre philosophe, dira plus tard à la princesse Élisabeth, la seule personne à qui dans ses lettres il ait jamais parlé de sa mère, qu’il perdit celle-ci « peu de jours après sa naissance », (en quoi il se trompe : ce fut l’année suivante, et peu de jours après la naissance d’un autre enfant ; mais il ignora sans doute cette circonstance) ; il ajoute qu’il hérita d’elle « une toux sèche et une couleur pâle », qui firent mal augurer d’abord de sa santé : longtemps on crut qu’il mourrait jeune[45]. C’était une raison de plus de le laisser presque à la campagne, dans cette petite ville de La Haye, confié, au moins jusqu’à son entrée au collège, aux soins de sa grand-mère et aussi d’une nourrice dont il gardera le souvenir : à son lit de mort, dans ses dernières recommandations, il la rappellera à ses deux frères, comme nous l’apprend une de ses nièces, Catherine Descartes, fille de son frère aîné Pierre[46]. Celui-ci fut également élevé à La Haye chez leur grand-mère : on lit son nom comme parrain, malgré son jeune âge, sur le registre des baptêmes de la paroisse Saint-George, le 16 octobre 1598 et le 13 janvier 1599 (il avait sept ans[47]). On lit de même le nom de leur sœur, « damoyselle Jehanne Descartes », comme marraine, à maintes reprises, de 1598 jusqu’en 1609[48]. Il est donc à peu près sûr que Descartes enfant grandit avec son frère et sa sœur. Celle-ci étant son aînée de trois ou quatre ans peut-être, c’en était assez pour qu’elle jouât à la petite maman avec le petit frère, et le philosophe ne l’oublia jamais : plus tard, il témoignait un intérêt particulier au fils de Jeanne, « son neveu de Crévy[49] » ; et plus tard encore, faisant allusion à la perte presque simultanée de deux personnes qui lui étaient très proches, il parle en termes discrets du « déplaisir » qu’il en ressentit[50]  : l’une de ces deux personnes était certainement son père, et l’autre probablement sa sœur.

Que dire maintenant de cette première enfance passée à La Haye ? Descartes n’en a guère parlé dans ses lettres, qu’une ou deux fois seulement. Ici, c’est un remède qu’il a vu employer avec succès dans son pays, pour guérir les enfants en bas âge, et qu’il indique à la princesse Élisabeth incommodée un jour « d’apostèmes aux doigts[51]  ». Là, c’est une confidence plus intime, faite à son ami Chanut, d’une inclination qu’il avait eue tout jeune pour une fillette qui louchait : longtemps ensuite il regarda avec complaisance tous les yeux louches[52] . Mais reçut-il en outre du milieu extérieur des impressions que l’on retrouve plus tard dans ses ouvrages ?

Il vivait à la campagne, dans un pays de vignes, par conséquent aussi de vendanges, et l’on sait qu’il affectionne les comparaisons avec le vin nouveau, le vin cuvé sur la râpe, et même le petit clairet[53] ; il est vrai qu’il parle aussi de pommes, à la fois saines et gâtées dans le même panier[54], et tout cela est bien de son pays : pommes ni raisins ne mûrissent en Hollande. Le souvenir des villageoises battant le beurre et séparant la crème du petit lait[55], lui était peut-être resté de ses premières années ; mais c’est aussi ce qu’il verra faire tous les jours sous ses yeux dans les villages hollandais. De même toutes ces images empruntées à la vie des champs pouvaient lui venir également du Poitou et de la Hollande[56]  : voyageurs égarés au milieu d’une forêt, dont le pied enfonce dans le sol humide et en fait jaillir l’eau, et qui la nuit prennent peur des feux follets se jouant au-dessus d’un marécage ; feuilles touffues des haies dans les champs, et branches d’arbre, où le vent souffle ; poussière soulevée à travers la plaine ; tourbillons formés par les courants des ruisseaux ou rivières ; incendies qui s’allument à l’intérieur des granges où l’on a rentré du foin trop peu sec ; et tout le mobilier d’une ferme, cribles pour le seigle et cribles pour « l’avene » ; et jusqu’aux chiens couchants, dressés pour la chasse ; sans oublier le repos que l’on goûte étendu à l’ombre d’un bois, et que trouble parfois un bourdonnement de mouches, à moins que l’on ne suive d’un œil amusé un vol de moucherons, qui prennent leur essor, et vont s’égayer au haut de l’air.

Tout cela, certes, se trouve en Hollande aussi bien qu’en Touraine et Poitou ; mais en Hollande même, si Descartes a presque toujours choisi de préférence une habitation à la campagne (non loin d’une ville cependant), ce besoin de grand air, et d’un espace libre autour de soi, et de verdure pour reposer la vue, ce goût des choses rurales enfin ne lui était-il pas demeuré de ses impressions du premier âge ? Elles lui revinrent avec force, semble-t-il, à la fin de sa vie. Un mot en dit long à ce sujet, dans une lettre de 1649 Brasset, un compatriote qui pouvait le comprendre, habitant comme lui loin du pays natal : Descartes hésitait à quitter la Hollande pour la Suède, « pays des ours, entre des rochers et des glaces », hésitation bien naturelle pour qui est né, dit-il, « dans les

jardins de la Touraine[57] ».
CHAPITRE II


LE COLLÈGE[58]


(1604-1612)


Montaigne enfant, bien que son père eût préféré pour lui l’éducation à la maison, fut mis au collège à l’âge de six ans. Descartes gagna deux années : on attendit qu’il eût huit ans, peut-être parce qu’il n’y avait pas jusque-là de collège dans la région. Mais, à la fin de 1603, les Jésuites obtinrent de Henri IV l’autorisation de s’établir dans plusieurs villes de France. Le roi leur donna notamment à La Flèche en Anjou une maison, qui prit le titre de « Collège Royal ». Paris même n’en eut point de semblable avant le Collège de Clermont, en 1619. Aussi les Jésuites ne négligèrent rien pour assurer le succès du nouvel établissement : recteur, professeurs et maîtres de tout ordre, durent être choisis avec un soin extrême, et le Collège de La Flèche devint de bonne heure, comme dira notre philosophe en 1637, « l’une des plus célèbres écoles de l’Europe ».

Les classes s’ouvrirent à la fin de janvier 1604 ; mais le petit René Descartes n’y entra qu’à Pâques, l’hiver terminé[59]. Il y trouva comme recteur le P. Chastellier, qui était du Poitou et connaissait sans doute sa famille. En 1607, ce fut le P. Charlet, aussi du Poitou, et de plus allié à la famille Brochard[60] ; il eut pour son jeune parent des soins tout paternels, on peut presque dire des tendresses et des gâteries de papa. Montaigne chaque matin était réveillé en musique au son de quelque instrument : on fit mieux pour Descartes, on le laissa se réveiller tout seul et se lever à son heure[61] : il ne couchait pas au dortoir commun, mais il avait sa chambre, étant de ces élèves appelés « chambristes ». On montre à La Flèche une salle assez spacieuse, décorée du nom d’« observatoire de Descartes », et qui aurait été sa chambre d’écolier. Mais c’est là une légende tardive, qui n’apparaît qu’en 1854, légende bien invraisemblable d’ailleurs, vu la disposition des locaux et leur insuffisance de 1604 à 1612. On peut le regretter : les fenêtres de cette salle, surtout l’une des deux, s’ouvrent sur les jardins et le parc, de l’autre côté de la petite rivière qui coule au bas. Quoi qu’il en soit, l’air était sain, le régime excellent : l’enfant se fortifia, et ce fut sans doute au collège que, en dépit des pronostics funestes de ses premières années, sa santé s’affermit définitivement.

Entré en sixième, il suivit le cours régulier des études ; le coup d’œil rétrospectif qu’il y jette en 1637, dans le Discours de la Méthode[62] en reproduit l’ordre chronologique. D’abord des « fables » et des « histoires », c’est-à-dire ce qu’on étudiait dans les classes de grammaire, sixième, cinquième et quatrième ; entendez par « fables » les Métamorphoses d’Ovide, et par « histoires » probablement les biographies des hommes illustres de la Grèce et de Rome. Ensuite la « poésie » et l’« éloquence », qu’on cultivait dans les classes d’humanités, troisième, seconde et rhétorique. Un Corpus Poëtarum, que plus tard il revit en rêve[63], fut sans doute feuilleté par lui : de là les quelques citations éparses dans sa correspondance, Virgile, Horace, Ovide, et encore Ausone et Sénèque le Tragique, auxquels il emprunta ses deux devises[64]. Un recueil semblable existait-il déjà pour les orateurs, sous le titre de Conciones ? Toujours est-il que Descartes cite également quelques passages des harangues de Cicéron.

Il apprit le latin à fond, non seulement comme une langue morte, mais comme une langue vivante qu’il pourrait avoir à parler et à écrire. Il la parla, en effet, quelquefois en Hollande, et même en France à une soutenance de thèses ; et il l’écrivit dans trois ou quatre de ses ouvrages et un certain nombre de lettres[65]. Quelques-unes de ses notes mêmes, rédigées pour lui seul et à la hâte, sont en latin[66]. Il maniait cette langue aussi bien et souvent mieux que le français, le plus souvent avec vigueur et sobriété, parfois aussi pourtant avec quelques gentillesses de style qui rappellent les leçons des bons Pères ; lui-même avoue qu’il a fait des vers, sans doute des vers latins, et une fois avec Balzac il se piqua de bel esprit et lui écrivit dans un latin élégant « à la Pétrone[67] ».

Les trois dernières années de collège étaient employées à l’étude de la « philosophie », qui comprenait trois parties : la logique, la physique et la métaphysique. En première année, on étudiait aussi la morale avec la logique ; et en seconde année, les mathématiques avec la physique. Tel était du moins le programme du temps de Descartes, de 1609 à 1612. Plus tard, à partir de 1626, les mathématiques furent étudiées séparément, en troisième année, la métaphysique étant dès lors enseignée en seconde année avec la physique. On connaît le nom du professeur de philosophie de Descartes, le P. François Véron, controversiste fougueux et d’une piété exaltée[68] ; et aussi de son répétiteur de philosophie, le P. Étienne Noël, alors jeune religieux, celui qui eut plus tard au sujet du vide des démêlés avec Pascal. Les Jésuites se servaient sans doute de cahiers qu’ils dictaient, en s’inspirant des auteurs célèbres en ce temps-là dans leur Compagnie, Toledo et Fonseca, par exemple, pour la logique[69]. Peut-être aussi, pour la physique, s’inspiraient-ils d’un Feuillant, Frère Eustache de Saint-Paul, dont Descartes se souviendra plus tard[70]. Pour les mathématiques, ils avaient un des leurs, Clavius, dont un traité d’algèbre fut imprimé en 1609 à Orléans, et que les contemporains appelaient « le nouvel Euclide[71] » ; quant à Viète (zélé huguenot, ne l’oublions pas), Descartes quitta La Flèche, et même plus tard la France, sans avoir vu, dit-il, la couverture de son livre[72]. Dès le collège, cependant, notre futur philosophe se révéla mathématicien ; et à en croire un de ses condisciples, plus d’une fois l’écolier embarrassa son maître[73] Mais si plus tard, en 1637, il critique en général l’enseignement de l’École, c’est-à-dire la Scolastique, cela ne l’empêchera pas de reconnaître l’année suivante, dans une lettre privée, que nulle part la philosophie ne s’enseigne mieux qu’à La Flèche, et que rien n’est plus utile pour un jeune homme, que d’en avoir étudié le cours entier, puisqu’elle donne la clé de toutes les sciences[74].

De fait (et pouvait-il en être autrement ?), l’ordre suivi par Descartes dans ses études de philosophie au collège, se retrouve en partie dans le Discours de la Méthode[75] : la logique d’abord, et c’est la deuxième partie du Discours ; puis la morale, et c’en est la troisième partie ; viennent ensuite, avec la quatrième et la cinquième, non plus, il est vrai, la physique et la métaphysique, mais dans l’ordre inverse, la métaphysique et la physique. Et cette interversion n’est rien moins que la réforme même de Descartes, avec cette autre encore : les mathématiques dans l’ancien cours d’études, ne venaient qu’après la physique, comme une partie de celle-ci, et plus tard, nous l’avons vu, après la métaphysique ; pour Descartes, au contraire, la physique ne sera plus qu’une partie des mathématiques, et celles-ci par l’évidence de leurs démonstrations tiendront le premier rang avec la métaphysique elle-même. Quant à la physique, elle était tout encombrée d’un vain attirail de « formes substantielles » et de « qualités occultes », qui en obstruaient l’entrée : prétendues explications qui n’étaient que trompe-l’œil, en réalité, c’étaient des barrières qu’il fallait abattre pour permettre à la science ses libres recherches. L’entreprise était hardie ; car cette ancienne physique était la philosophie d’Aristote, devenue celle de saint Thomas, et au Concile de Trente la Somme de ce Docteur de l’Église avait été placée pendant toute la durée des sessions, comme un autre livre saint, sur une table à côté de la Bible[76]. Aussi, pour renverser une physique ainsi appuyée sur la théologie, nous verrons Descartes recourir à Dieu lui-même, faire appel à l’Être parfait : la haute intervention d’une métaphysique nouvelle lui paraîtra nécessaire pour autoriser sa nouvelle physique.

Notre philosophe était religieux d’ailleurs, mais à sa manière et ici il convient de distinguer le fond qui est à lui, et la forme croyances et pratiques, venues de son éducation. Le catholicisme des Jésuites était assez peu gênant, somme toute, pour la liberté de penser intérieurement : des dogmes imposés, qu’on n’examine ni ne discute, restent extérieurs et presque étrangers à l’esprit, et le laissent beaucoup plus libre de philosopher, que s’il s’était appliqué à les pénétrer, et y avait adhéré tout entier. D’autre part, les Jésuites excellaient à frapper l’imagination et les sens par les cérémonies du culte ; et Descartes prit peut-être à La Flèche le goût de la musique et des chants. Surtout ils étaient habiles à enserrer l’âme comme dans un réseau d’habitudes de piété : non seulement leurs écoliers formaient de petites académies pour leurs études, une de grammairiens, une autre d’humanistes, une enfin de philosophes ; mais ils en avaient une encore, plus générale, sous l’invocation de la Vierge, et c’était une véritable confrérie religieuse[77]. Elle eut à La Flèche un ardent promoteur en la personne du P François Véron ; et sans doute Descartes, comme ses camarades, ne manqua pas de s’y affilier. Plus tard il revoyait en rêve (dans ce même rêve qu’il prit la peine de raconter) la chapelle de son collège, et aussitôt il y entrait pour faire sa prière[78]. Plus tard encore, il intervint une fois dans une querelle de ministres protestants en Hollande, et ce fut, coïncidence curieuse, pour prendre la défense d’une confrérie à Bois-le-Duc, justement une confrérie de Notre-Dame[79]. Bien plus, en 1619 (et pourtant il était dans sa vingt-quatrième année), un jour ou plutôt une nuit, en se réveillant toujours du même rêve, il avait fait vœu d’aller à Lorette, centre de dévotion des catholiques romains[80]. Un petit livre, publié en 1604 par un Jésuite, le P. Richeome, recommandait ce pèlerinage. Le P. Richeome était réputé le Cicéron de la Compagnie de Jésus, comme Clavius en était l’Euclide ; de plus il fut Assistant de France auprès du Général à Rome, de 1608 à 1615. Un ouvrage de piété, composé par un si haut dignitaire, avait été mis certainement entre les mains de tous les écoliers de La Flèche.

La foi religieuse de Descartes se doubla de fidélité monarchique, soigneusement entretenue par ses maîtres. Le collège Henry IV ne pouvait oublier son fondateur ; et le roi, de son côté, n’oubliait pas non plus le collège qu’il avait fondé. Il décida que son cœur y reposerait plus tard dans la chapelle ; et en effet, après l’assassinat du 14 mai 1610 par Ravaillac, le cœur royal fut transporté de Paris à La Flèche[81]. On le reçut en grande pompe, le 4e jour de juin. Descartes était présent à la cérémonie, qui dut faire sur lui grande impression ; il y figura même comme un des jeunes gentilshommes choisis pour le cortège. Plus tard nous le retrouverons qui assiste volontiers à des spectacles du même genre : couronnement de l’Empereur à Francfort, mariage du Doge avec l’Adriatique à Venise, ouverture du Jubilé à Rome. Surtout il conserva jusqu’à la fin ses sentiments de « bon Français », comme en témoignent ses lettres de l’hiver de 1649, écrites de Hollande pendant la Fronde[82].

L’éducation de notre philosophe à La Flèche avait été d’ailleurs celle d’un jeune noble, avec tous les exercices physiques usités en ce temps-là : le jeu de paume, qui reviendra souvent dans ses comparaisons ; et l’escrime, que même il réduisit en art dans un petit traité[83]. Et comme les Jésuites n’avaient point de fêtes dans leurs collèges sans comédie et sans ballet, Descartes prit part sans doute comme ses jeunes condisciples à ces divertissements, et s’en souvint plus tard pour composer lui-même une comédie et un ballet de cour aux fêtes de la reine Christine à Stockholm[84].

Un an après la cérémonie funèbre de 1610, le collège de La Flèche célébra une fête commémorative, en plusieurs séances. Le troisième jour, c’est-à-dire le 6 juin 1611, parmi les poésies récitées il y eut un sonnet, dont il faut donner ici le titre en entier : Sur la mort du Roy Henry le Grand & ſur la deſcouverte de quelques nouvelles planetles ou eſtoiles errantes autour de Jupiter, faicte l’année d’icelle par Galilée, célèbre mathématicien du grand-duc de Florence[85]. Les lunettes d’approche, récemment inventées, étaient la grande curiosité scientifique d’alors. Dès 1609, on en vendait à Paris dans les boutiques du Pont Notre-Dame ; les Jésuites en avaient fait peut-être revenir à La Flèche. Mais surtout on était dans l’admiration des curiosités que venait de découvrir avec ces lunettes le Florentin Galilée Galilei : en particulier les planètes de Jupiter, appelées aussitôt par lui « Astres de Médicis ». Et les bons Pères n’avaient garde d’omettre cette appellation flatteuse pour la famille de la Reine Mère, Marie de Médicis, régente de France, et leur protectrice. Le collège s’ouvrait ainsi aux nouveautés du dehors, et l’exemple était donné à Rome même. On était encore loin, en effet, de la condamnation de Galilée, qui ne sera prononcée qu’en 1633 ; le premier avertissement, assez bénin d’ailleurs, ne vint même qu’en 1616. Mais l’année 1611, le professeur de philosophie du collège des Jésuites à Rome faisait soutenir par ses élèves des thèses favorables aux nouvelles découvertes, et les dédiait à un cardinal ; celui-ci ne voyait en Galilée qu’un compatriote, dont on pouvait bien être fier pour l’Italie, puisqu’il découvrait dans le ciel, comme avait fait Americo Vespucci sur le globe terrestre, un Nouveau Monde[86]. Les Jésuites accueillirent donc sans méfiance d’abord les nouveautés astronomiques, qui devaient cependant à bref délai renouveler notre conception de l’univers.

Quand on est jeune, on s’enthousiasme volontiers pour l’événement du jour, surtout si c’est une belle invention ou une grande découverte : le télescope avec les merveilles qu’il fit voir aussitôt dans le ciel, fut peut-être le grand événement qui enthousiasma la jeunesse de Descartes, et dont toute sa philosophie devait plus tard se ressentir. Dès le collège, il entendit parler de ces quatre satellites qui tournent autour de la planète Jupiter, et de deux autres encore, semblait-il, autour de Saturne, et des phases successives que présentait Vénus aussi bien que la Lune, et bientôt enfin des taches du Soleil. Tous ces phénomènes nouveaux figureront en bonne place, principalement le dernier, dans sa philosophie, avec des explications tirées de principes nouveaux aussi, qu’ils auront certainement contribué à établir. Et nul doute que le jeune homme ne s’inté- ressât au nouvel instrument, appelé aussitôt « télescope », inventé, disait-on, par hasard. On souhaitait un peu partout, en Italie, en Allemagne, en France, comme en Hollande, que les savants en fissent l’objet d’une étude méthodique, afin d’en donner la théorie. Et c’est aussi le problème que se posera Descartes, dans sa Dioptrique, comme un bel exemple de l’application possible de la géométrie à une matière de physique. Puis, c’est encore là une idée qui lui était chère, l’effet pratique ne pouvait manquer de suivre : qui assignera des limites à la puissance d’une lunette construite scientifiquement ? Avec elle on verrait peut-être s’il y a des animaux dans la lune[87] ?

Ainsi Descartes emporta de La Flèche bien des semences qui dans un esprit comme le sien devaient fructifier. Ajoutons que ses maîtres eurent assez de confiance en lui pour lui permettre la lecture d’ouvrages ordinairement défendus. Lesquels ? Peut-être l’Art de Lulle, dont il parle dans le Discours de la Méthode, et une fois ou deux dans sa correspondance[88]. Peut-être les livres de Henri-Corneille Agrippa, sur l’incertitude des connaissances humaines, ou sur la philosophie occulte, dont il dit aussi un mot ou deux[89] ici la permission donnée par les Jésuites ferait vraiment honneur à leur esprit de tolérance, si l’on songe qu’à quelque temps de là, l’année 1623, en France même, à Moulins, le grief capital contre un pauvre diable, condamné à mort et exécuté comme sorcier, fut qu’on avait trouvé en sa possession un exemplaire de ce livre d’Agrippa, relié en peau de truie[90] ! Descartes paraît avoir lu encore la Magie naturelle, de Jean-Baptiste Porta ; mais cet ouvrage, dédié à Philippe II, roi catholique, et imprimé à Anvers, dans les Pays-Bas espagnols, n’a rien qui motive une interdiction[91]. À ces lectures notre philosophe gagna de ne point être dupe des faux savants, magiciens, alchimistes, astrologues. Déjà, par une disposition naturelle de son esprit, il ne s’étonnait pas facilement, et n’admirait presque rien : l’étonnement, selon lui, est toujours mauvais, et l’admiration même n’est pas toujours bonne. Cette disposition ne pouvait être que confirmée par la familiarité qu’il eut de bonne heure avec des choses réputées merveilleuses, qu’on eut le bon esprit de lui mettre entre les mains pour lui en faire voir l’inanité.

Aussi Descartes se montra toujours reconnaissant envers ses maîtres de La Flèche, et ne manqua aucune occasion de faire leur éloges[92]. Il était sincère en cela, sans aucun doute ; mais il y trouvait bien aussi quelque intérêt. Auteur d’une philosophie nouvelle, il aurait voulu que les Jésuites l’adoptassent, et qu’elle remplaçât Aristote dans leurs collèges. C’est pourquoi il a grand soin d’envoyer son Discours au P. Noël, recteur de La Flèche en 1637, et ses Principes au P. Grandamy, également recteur en 1644. Il sollicite leurs avis et leurs conseils, surtout ceux du P. Charlet, qui avait été pour lui comme « un second père », et qui de plus était Assistant du Général à Rome. En 1641, ses Méditations parurent avec une préface à la Sorbonne ; en 1642, il y joignit, en guise de postface, une lettre au P. Dinet, devenu provincial de France : il le met presque en demeure de faire enseigner sa physique nouvelle, au moins sa nouvelle doctrine des météores. On ne lui répond pas officiellement ; mais ce fait même de ne pas lui répondre, prouve qu’on gardait des ménagements et qu’on ne voulait pas rompre avec lui. L’écolier faisait honneur à ses anciens maîtres, qui avaient toujours pour lui quelque tendresse. Et puis il montrait tant de déférence et de soumission, tant de crainte d’être noté par l’Église ! Il en a trop montré, dira même plus tard un théologien comme Bossuet. Et si l’on songe à la nature déjà circonspecte et timorée de Descartes, c’est encore là un effet, et non le moins notable, de l’éducation reçue par ce futur philosophe dans un collège de la Compagnie de Jésus.
CHAPITRE III
JEUNESSE DE DESCARTES
PREMIÈRE PÉRIODE
(1612-1619)

Rien ne vaut pour la formation de l’esprit, non pas les études que font en commun les écoliers dans leurs classes, mais celles que plus tard un jeune homme poursuit, de son plein gré et par choix, de seize à vingt-cinq ans environ. Alors, en effet, naissent en lui les idées qui, le travail aidant, et si les circonstances sont favorables, se réaliseront au cours de sa vie. Descartes nous apprend lui-même que, sur la fin de 1619, c’est-à-dire dans sa vingt-quatrième année, il est entré en possession de sa méthode scientifique d’abord, et aussi d’une règle de conduite[93] ; quant à ses principes de philosophie ou de physique, simplement ébauchés à cette date dans son esprit, ils ne recevront une forme définitive que neuf ans après, en 1628-1629. Mais les résultats acquis dès 1619 supposaient de longues réflexions antérieures, commencées dès le collège ou tout au moins en 1612. La première partie du Discours de 1637 en donne bien un résumé, dans la revue critique que Descartes fait de tout ce qui lui avait été enseigné jusque-là. Mais l’emploi exact des sept années qui suivirent, de 1612 à 1619, et qui furent si bien remplies, nous reste totalement inconnu, et sur cette partie si intéressante de la vie du philosophe, nous en sommes réduits à des conjectures.

Nous savons à peu près ce qu’il fit en 1618-1619, grâce à la découverte récente (en 1905) d’un journal manuscrit d’Isaac Beeckman[94]. Mais pour les années qui précèdent, nous n’avons en tout que quatre documents : deux actes de baptême, où René Descartes signa comme témoin, à Sucé, diocèse de Nantes, le 22 octobre et le 3 décembre 1617 ; attestation de baccalauréat et de licence en droit, à Poitiers, 9 et 10 novembre 1616 ; un baptême encore où il fut parrain, dans cette même ville, le 21 mai de cette même année. C’en est assez pour rectifier sur certains points le récit de Baillet, et pour le compléter. D’abord il fait partir son héros pour la Hollande en mai 1617 : Descartes ne partit que l'année suivante, sans doute l’été de 1618, puisqu’on le retrouve en France, et même en Bretagne, jusqu’à la fin de 1617. En outre, Baillet qui fait résider le jeune philosophe à Paris, de 1613 à 1617, ignorait les séjours à Sucé, tout au moins l’automne de 1617, et à Poitiers l’année 1616. Nous ne sommes même pas certains que Descartes demeura à Paris les trois années 1615, 1614 et 1613. Baillet l’assure, mais n’en donne point de preuves. Lui d’ordinaire si soigneux de citer ses témoignages, n’en cite qu’un seul pour tout ce chapitre, et à propos d’une anecdote qui semble bien être le double d’un épisode, celui-là authentique, survenu dix à douze ans plus tard : disparition du philosophe, pour échapper aux importuns et aux fâcheux, et étudier en liberté. Descartes se serait caché à tous ses amis, dans une maison du faubourg Saint-Germain, deux années entières : quelle apparence[95] ! L’auteur de l’anecdote est un certain Porlier, qui avait pour oncle Chanut ; celui-ci, plus tard intime ami de Descartes, recevra de lui bien des confidences ; il se peut qu’on lui ait conté une histoire de ce genre, et qu’il l’ait redite à son neveu. Mais à quelle date faut-il la placer ? Et ne serait-ce point Baillet, qui au lieu de l’identifier avec le fait réel de 1627 environ, l’aurait rejetée si loin en arrière, afin d’avoir quelque chose à dire sur le premier séjour de Descartes à Paris ?

Ce séjour même est si peu vraisemblable, que l’honnête
Période de jeunesse.

biographe sent le besoin de disculper là-dessus le père du philosophe : quelle imprudence, en effet, d’envoyer un si jeune homme, presqu’un enfant, et de chétive santé, tout seul (avec un valet) dans la capitale[96]! Mais quoi! Descartes ne retrouvait-il pas à Paris un ami plus âgé, le P. Marin Mersenne ? Leur amitié, en effet, fut telle qu’on n’en saurait, semble-t-il, faire remonter trop haut l’origine. Elle ne datait cependant pas du collège de La Flèche : la différence d’âge entre les deux était de près de huit années[97], et Mersenne avait fini ses études depuis quelque temps, lorsque son jeune condisciple parvint dans les dernières classes. D’autre part, Mersenne, qui avait pris l’habit des Minimes au couvent de Nigeon près de Paris, le 17 juillet 1611, et fait profession,le 17 juillet 1612, à Fublaines près de Meaux, revint bien à Paris en octobre de cette année et y fut ordonné prêtre l’année suivante (sa première messe est du 28 octobre 1613) ; mais il partit en province l’avent de 1614, c’est-à-dire en novembre ou décembre, pour aller enseigner la philosophie à Nevers, où il demeura jusqu’à la fin de 1619. Si donc on veut que les relations de Descartes et de Mersenne commencent

de bonne heure, il faut faire venir Descartes à Paris les années 1613 et 1614 ; et c’est aussi ce que fait Baillet. Une autre circonstance a pu favoriser encore cette conjecture : la présence à Paris, comme député aux États généraux de 1614,de René Brochard, sieur des Fontaines, oncle et parrain de René Descartes; n’était-il pas naturel que celui-ci allât le rejoindre[98] ? Mais de tout cela nous n’avons aucune preuve.
Vie de Descartes.

L'amitié de Descartes et de Mersenne peut aussi bien dater du séjour de Descartes à Paris en 1622 ; Mersenne imprimait alors son premier grand ouvrage[99], et Descartes, âgé de vingt-six ans, avait tout intérêt et profit à se lier alors avec un savant, tandis qu'en 1613-1614 les relations du tout jeune homme qu'il était (dix-sept à dix-huit ans) avec un religieux, de beaucoup son aîné, ne se comprennent pas aussi bien. On pourrait également renvoyer à 1622 ou même plus tard les relations de Descartes et de Claude Mydorge, le seul autre ami dont parle Baillet pendant cette période de 1613 à 1617[100]. Mydorge mathématicien, qui s'occupait de miroirs et de lunettes, et des phénomènes de réflexion et de réfraction, aura plus de notoriété une dizaine d'années plus tard, et Descartes lui-même sera plus en âge de lui être présenté.

Est-ce la peine maintenant d’opposer conjecture à conjecture ? Irons-nous jusqu’à dire que Descartes n’alla point à Paris de 1613 à 1617, ou du moins n’y fit point de séjour prolongé ? Dans son Discours de la Méthode, lui-même ajoute à toutes les matières enseignées dans les classes la Jurisprudence et la Médecine, sans dire où il les a étudiées. On peut supposer que le collège de La Flèche avait des maîtres pour le droit, et même aussi pour l’anatomie, afin que les élèves n’eussent pas besoin d’aller l’apprendre ailleurs[101]. Descartes aurait profité de cet enseignement au collège même ; et c’est sans doute alors, plutôt qu’étant petit garçon, qu’on lui laissa cette liberté de travail dont il se montra plus tard si reconnaissant. Nous nous expliquerions ainsi qu’il n’assista pas, le 21 avril 1613, au mariage de sa sœur, avec Rogier du Crévy, à Rennes[102] : c’était un peu loin de La Flèche, et on n’était pas en vacances. Peut-être cependant passa-t-il une dernière année comme étudiant à Poitiers, en 1615-1616[103], afin de préparer son baccalauréat et sa licence en droit ? Il fut reçu à ces deux examens le 9 et le 10 novembre 1616[104]. On retrouvera çà et là dans ses œuvres, quelques expressions juridiques. Peut-être aussi fit-il alors à Poitiers quelques études de médecine, comme son aïeul paternel, le médecin Pierre Descartes, et comme son bisaïeul maternel, le médecin Jean Ferrand. Plus tard, pendant son séjour en Hollande, on le verra s’occuper de dissection, non pas en simple amateur, mais véritablement comme un professionnel.

Son frère aîné, Pierre Descartes, avait fait aussi des études de droit, et fut reçu bachelier et licencié trois ans plus tôt, les 7 et 8 août 1613[105]. En 1618, leur père lui acheta une charge de conseiller au Parlement de Rennes[106]. Et il pensa pour le cadet à la carrière des armes. René Descartes avait alors vingt-deux ans ; sa santé ne donnant plus d’inquiétude, on pouvait le faire voyager. La Hollande était comme une école de guerre pour les jeunes gentilshommes des pays étrangers. Son armée avait battu les Espagnols, et elle était commandée par le prince Maurice de Nassau, celui à qui une dame demanda un jour quel était le premier capitaine de l’Europe, et qui, après un moment d’hésitation, répondit que Spinola était le second[107]. La mode s’en mêlait : les jeunes Français allaient volontiers apprendre sous un tel chef le métier des armes, et en parlaient encore plus volontiers au retourErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Les Hollandais, il est vrai, étaient protestants, et ceci avait arrêté un futur ami de Descartes, d’ailleurs futur oratorien, Charles de Condren : son père voulait l’envoyer en Hollande faire son apprentissage, avant de servir le roi ; le jeune catholique préféra aller en Hongrie combattre les TurcsErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Mais Descartes n’avait point de ces scrupules,


a. Balzac écrivait à son cher Hydaspe, r jaiiv. 1624 : « Pour euiier la » rencontre de ces grands caufeurs, ic prendrois la polte, ie me mettroi »

• fur mer, ie m’enluirois iufqu’au bout du monde. Il femble que toutes » les paroles Ibient à eux, & que de dire vn mot, ce foit leur defrober

• quelque choie. Mais particulièrement ils me font mourir, quand ils » viennent frcjchement de Hollande, ou qu’ils commencent à eiludier en » Mathématique. » [Œuvres de Balzac, édii. i665, t. III, p. 371-372.)

b. Charles de Condren, né à Vaubuin près de Soissons, le i5 déc. i588. Son père se proposait de l’envoyer en Hollande ; mais le jeune homme supplia « que le voyage lût changé en celui de Hongrie : qu’il avoit de la » peine d’aller chez des hérétiques, & qu’il combattroit bien plus volon>• tiers contre les Turcs que contre des catholiques. » [Vies de quelq ss prêtres de l’Oratoire par le P. Cloyseault, publiées par le P. Ingold, Bibl. Orat., t. I, p. igo-i()i.) Dans le Pèlerin de Lorete, du jésuite Louis Hichcome (Bordeaux, petit in-8, S. Millangcs, 1604), dont nous avons déjà parlé, on trouve, cette page curieuse, qui nous renseigne sur les hahitudes du temps. Un tils écrit à s( ; n père, p. ytJS : « …Ayant apprins les " bonnes lettres iufques à l’eage de dixhuid ans, vous me liltes apprendre » à manier les armes auec la NoblefTe Françoife, aux meilleures Acadc » mies de l’Europe. Apres ic fus enuoyé vers Hongrie à la guerre cf)iitrc les Turcs, où ie commanday trois ans, auec honorable fucccz de mes •• trauaux, ^i contentcmeni des Seigneurs, ^ la compagnie delquels ie

Vu ; UE bEbCAmES. 6

�� � 42 Vie de Descartes.

d'autant plus que les Hollandais étaient alors des alliés et des amis de la France ; et plus tard il se fit gloire d'avoir porté les armes, pour les délivrer de l'Inquisition d'Espagne ^ En 1618, il ne leur cacha point cependant qu'il avait été élève des Jésuites, ce qui paraît leur avoir été à tous indifférent.

Il s'engagea donc comme volontaire , c'est-à-dire comme gentilhomme volontaire, s'équipant à ses frais, avec un valet au moms à son service. Il ne reçut point de solde, sauf une fois au début, un doublon, qu'il conserva en souvenir . Son père, qui venait de faire quelques sacrifices pour l'aîné, en fit sans doute aussi pour le cadet. On a retrouvé, à la date du 25 juillet 1618, une procuration de Joachim Descartes à son fils Pierre, l'auto- risant à vendre de certains biens en Poitou, qui lui venaient, ainsi qu'à Jeanne et à René, des successions de leurs mère, grand-mère et grand-tante, Jeanne Brochard, Jeanne Sain, et une sœur de celle-ci, Jeanne Brochard encore, dame d'Ar- change '^. Nous savons même, par un acte de partage de ces

» portois les armes. Ellant reuenu de ce voyage, & ne fe prefentant aucune » occâfion en noftre France où ie peufl'e m'employer honorablement félon » mon defir & vacation (ou vocation?), vous fuftes d'aduis, vous priuant y> de moy pour l'amour de moy, que i'allafTe voyager en Leuant, affin » d'apprendre la vertu en l'efcole du monde, voyant diuers pais & » diuerfes nations. . . »

a. Tome V, p. 25, I. 21-25 : lettre à Servien, 12 mai 1647.

b.' Tome X, p. 52 : Journal de Beeckman, IV.

c. « . . . Fœliciter arma literis coniungens, occupationibus militacibus » etiam minoribus incubuit apud Batauos, vbi optima eft harum rerum 1) fchola, voluntarieque per triennium belli tulit incommoda omnia abfque » vllo ftipendio; vnicum tantum accepit duplionem, quem femper in » militiae fua; monumentum feruare voluit; recul'auit etiam militum prœ- » fe£turam, quoniam militum officio fungi cupiebat, vt ei melius ars illa » & labores innotefcerent. . . » ( Vitœ Renati Cartefii, Summi Philofophi, Cotnpendium, Authore Petro Borello, p. 3-4. (Parisiis, M. DC. LVI.).

d. Alfred Barbier a publié [Société Antiquaires Ouest, t. VIII, 2= série, Poitiers, 1901) une procuration donnée par Joachim Descartes à son fils aîné Pierre, le 25 juillet 1618, à Rennes, en vertu de laquelle celui-ci pou- vait vendre en Poitou « telle partie, soit des propres de sond. procureur » filz par le deceds de ses defunctes ayeulles [Claude Ferrand et Jeanne » Sain), mère [Jeanne Brochard), et tante [Jeanne Brochard, femme de

�� � Période df. Jeunesse. 4J

trois successions, daté du 26 novembre 16 10, quelle en était la valeur totale. Et c'était une somme considérable pour le temps, puisqu'elle permettait à notre philosophe de dire plus tard qu'il n'était point, grâces à Dieu, de condition à faire un métier pour le soulagement de sa fortune •'. Ne dédaignant pas encore les titres, lors de ce premier

» Jean Demoulins, sieur d' Archange, conseiller au présidial de Poitiers], » soit des propres dud. constiiuant, qucsond. tilz et procureur adviscra. » (Page 639.) « De son côté, M« Pierre Descaries promet par la présente » employer tous les deniers qu'il touchera en l'acquit des rentes consti- » tuées des deniers deubz pour la composition de l'office de conseiller au » parlement de Bretaigne dudict M-^ Pierre Descartes, et de précompter » avec ses frère et sœur, René et Jehanne Descartes, sur les successions de » ses ayeulles, mère et tante, ce qui proviendra de la vente de leurs biens, » et le surplus des autres deniers les rapporter après le dcceds dudict » sieur constituant au partage de ce qui se fera de sa succession, entre M ledict procureur, René et Joachim, Jehanne et Anne Descartes, ses frères » et sœurs. . . » (Page 640.)

En vertu de cette procuration, Pierre Descartes vendit, le 10 décembre 1618, « étant présent à Chàtellerault. . ., le lieu, maison, mestairie des » Chappaudières, en la paroisse de Targé, Pouthumé et les environs, » consistant en loges, grange, estables, chesnevierres, vignes, prés, bois » de haute futaie, taillis, terres labourables, non labourables, avec les » terres sises au-dessous de Bcauregard, près de la ville de Chàtellerault, » et les terres du Charrau. . . » Prix, 2.5oo livres tournois. (Page 639.)

L'année sviivante, toujours en vertu de la même. procuration, Pierre Descartes se dessaisit d'une rente, acte du 7 octobre 1619. A remarquer que, dans ce dernier acte, son père et lui sont tous deux qualifiés d'escuyers. (Pages 640-641.)

Ici s'intercalerait l'obligation contractée par notre philosophe envers son aîné, Pierre Descartes, à Rennes, le 3 avril 1622, ainsi que la lettre d'atfaires à son père, du 22 mai suivant. (Tome I, p. i-3.)

Enfin voici une autre pièce, qui date de son retour d'Italie : « 27 juillet » 1625. — Procuration de René Descartes, escuier, sieur du Perron, » estant et demeurant de présent en cestc ville de Chastellcrault, logé au » logis de Sainct André, à .lehan Coûtant, sergent royal, à l'eH'et d'atfer- » mer. . . les métairies de la Brctallière, la Braguerie, la Durandièrc et le » Coudray, le fief de Mombaudon et la Parentière dans la paroisse de » Leigné-sur-Usscau à l'exception des rentes general/:s çt du bois de » Mondidier. » (A. Barbikr, Société Antiquaires Ouest, t VIII, 1901, p. 562.)

a. Voir ci-avant, p. i4-i5, note. Et t. VI, p. 9, I. 4-7.

�� � séjour en Hollande, il se fit appeler M. du Perron : les lettres pour lui, que nous avons de cette période, ne portent point d’autre adresse[108]. Le Perron était un petit fief du Poitou, qui lui venait de sa grand’tante, dame d’Archangé[109]. De même son aîné, Pierre Descartes, s’appela du nom d’un autre fief, M. de la Bretaillère. Plus tard, lorsque notre philosophe fut connu sous le nom de Descartes simplement (encore écrivait-on et imprimait-on M. des Cartes, en deux mots), on se souvenait toujours de cette première appellation ; lui-même l’employait encore, dans ses réclamations au « Magistrat » d’Utrecht en 1643[110] ; et elle reparaît dans le médaillon que Schooten dessina en 1644 : Perronij toparcha ; mais Descartes défendit de le publier, ayant, dit-il alors, toutes sortes de titres en aversion[111].

Combien dura ce premier séjour en Hollande ? Le journal de Beeckman, nous donne deux dates extrêmes : le 29 avril 1619, Descartes s’embarqua à Amsterdam pour quitter la Hollande ; le 10 novembre 1618, avait eu lieu sa première rencontre avec Beeckman à Bréda[112]. Descartes ne faisait-il que d’arriver en cette ville, ou bien s’y trouvait-il depuis quelque temps déjà ? On ne sait pas. Un texte postérieur, et assez sujet à caution, parle bien d’un séjour de quinze mois à Bréda[113] ; Descartes serait parti pour la Hollande en janvier 1618, ou même décembre 1617, ce qui est un peu tôt et surtout à une saison bien peu favorables[114]. Il se mit en route probablement l’été de 1618 et par la voie de terre, ce semble, plutôt que par mer : en janvier 1619, il se félicite d’avoir bien supporté une petite traversée, la première qu’il ait faite en bateau[115] ; c’était pour venir à Middelbourg, voir son ami Beeckman.

Le fait capital de ces cinq mois, novembre 1618 jusqu’en avril 1619, fut certainement cette amitié[116]. On savait déjà que le premier ouvrage de Descartes, Compendium Musicæ, signé et daté de Bréda, 31 décembre 1618, était dédié à Isaac Beeckman[117]. On savait aussi que plus tard leur amitié avait subi une éclipse, sauf à reparaître cependant, bien qu’avec quelques nuages. Mais on ignorait l’aube de cette amitié, et ce qu’elle était dans son premier feu. En 1618, Beeckman avait trente ans, et n’était pas encore le principal du collège de Dordrecht, c’est-à-dire un personnage ; il ne le devint qu’en 1627, après divers emplois à Utrecht et à Rotterdam. C’était simplement un docteur en médecine, et il avait été chercher ce grade en France, le 6 septembre 1618, près de l’Université de Caen : raison de plus de se lier avec un jeune Français, curieux comme lui des sciences de la nature. D’autre part, ce fut une bonne fortune pour notre philosophe, isolé et comme perdu parmi des gens de guerre, de rencontrer, dans le désœuvrement de la vie de garnison, un compagnon d’études, à qui il pût confier ses idées, ses recherches et déjà même ses découvertes. « Je m’endormais et vous m’avez réveillé », dira-t-il à Beeckman[118]. Celui-ci, en effet, par des conversations quotidiennes et d’amicales discussions, empêcha le jeune soldat de céder à la torpeur du milieu et de s’engourdir intellectuellement : il fut pour son esprit comme un agent excitateur. Sans aller jusqu’à dire que nous devons Descartes à Beeckman, celui-ci lui tint lieu un moment de frère aîné, l’aida à se développer, à prendre conscience de lui-même et aussi confiance en lui-même. Tous deux à certains égards se ressemblaient. Descartes ne se donnait pas encore comme un philosophe, ni même comme un physicien, du moins à l’ancienne mode, et pas davantage comme un pur mathématicien ; mais, et c’était là son originalité, il étudiait les mathématiques pour leurs applications à la physique, et d’autre part la physique pour la ramener aux mathématiques ; c’était un physicien-mathématicien et réciproquement, et Beeckman se flattait d’avoir justement cette même tournure d’esprit[119]. On peut dire que, de son côté, il devina Descartes. Le volumineux manuscrit qu’on a retrouvé à Middelbourg, révèle en lui un savant universel, d’ailleurs assez confus, comme Mersenne ; il y a noté, au jour le jour, tout ce qui lui paraissait digne d’être conservé pour son instruction. Or il ne pouvait pas savoir, en 1618-1619, que ce volontaire de vingt-deux à vingt-trois deviendrait plus tard un grand philosophe ; il ne le saura même pas en 1628-1629. Et cependant, il se remémore leurs entretiens, il les rédige aussitôt, il lui demande en communication ses écrits, quelques pages sur la chute des corps, sur l’équilibre des liqueurs, et sur ses inventions algébriques[120]. Il a le sentiment très net de se trouver en présence d’un esprit supérieur ; et ceci fait l’éloge de tous deux, de Beeckman autant que de Descartes lui-même.

Celui-ci quitta la Hollande en avril 169. Où alla-t-il ? S’il faut en croire ses propres déclarations et les lettres de Beeckman, il devait s’embarquer le 29 à Amsterdam pour Copenhague. De là il se serait rendu à Dantzig ; puis par la Pologne et la Hongrie, il aurait gagné l’Autriche et la Bohême[121]. C’était un grand détour ; mais il voulait éviter le trajet direct par le Palatinat et la Bavière : on était à la veille de la guerre de Trente ans, et les mouvements de troupes en ces parages rendaient les routes peu sûres. Toutefois, au dernier moment, il parait s’être ravisé, et avoir pris quand même le chemin le plus court. Nous savons en effet par lui, qu’il se trouva en Allemagne pour les fêtes du couronnement de l’empereur Ferdinand[122] : ces fêtes eurent lieu à Francfort, du 20 juillet au 9 septembre 1619. Or, du mois d’avril au mois d’août, aurait-il eu le temps de faire ce long voyage de Danemark, Pologne, Hongrie, etc. ?

Après le couronnement, il s’arrêta l’hiver en un quartier, où loin de toute distraction et même de toute conversation, enfermé comme il dit dans un poèle[123], (c’est-à-dire la chambre la mieux chauffée, où l’on se tenait dans les maisons allemandes), ses idées se fixèrent définitivement. Quel est exactement l’endroit ? On n’en sait rien. Aux environs d’Ulm peut-être, et dans quelque village, plutôt qu’à Ulm même. Cette grande ville se trouvait sur la route qui va de Francfort à Vienne : ville impériale, et place d’armes de premier ordre, avec une école d’ingénieurs, donc un centre d’études mathématiques, lesquelles, en effet, sont nécessaires pour les fortifications et l’art de dresser un camp. C’est d’Ulm que nous viennent les mathématiciens, disait-on dans les Universités de Leipzig et de Wittemberg : d’Ulm, et aussi de la cité voisine et rivale, Nuremberg[124]. Justement en ces années deux noms brillaient d’un certain éclat : Peter Roth ou Roten à Nuremberg, et Johann Faulhaber à Ulm. Descartes les cite l’un et l’autre, dans son Parnassus, opuscule de 1619[125]. Roth, il est vrai, était mort en 1617 ; et son principal ouvrage, dont le titre est mentionné par notre philosophe, date de 1604, Arithmetica philosophica. Descartes en eut sans doute connaissance par Faulhaber, qui était lui-même au plus fort de sa production scientifique. Quelques-unes des questions dont il s’occupait, se retrouvent dans des écrits de Descartes en ce temps-là : De solidorum elementis[126].

Mais, et ce serait là le point intéressant, Faulhaber était affilié aux Rose-Croix, et il dut en parler à Descartes, ou celui-ci dut s’en enquérir auprès de lui. Descartes s’en défendit, il est vrai, plus tard ; et Baillet, qui tient à le disculper entièrement à ce sujet, cite une phrase du Studium bonæ mentis, la seule phrase qui en ait été conservée[127], où le philosophe déclare qu’il ne savait rien de cette société secrète. « Rien du tout », traduit Baillet ; mais Descartes avait dit seulement « rien de certain », necdum… quidquam certi. Et il avait eu la curiosité, autrefois, de jeter au moins un coup d’œil sur les livres d’Alchimie, d’Astrologie et de Magie[128]. En outre, le peu qu’on sait des règles prescrites aux confrères de la Rose-Croix, s’accorde singulièrement avec certaines particularités de la vie de notre philosophe : exercice gratuit de la médecine, science occulte mise au service de l’humanité souffrante[129]. Enfin (ce n’est là, sans doute, qu’une coïncidence), son cachet, avec les deux initiales entrelacées R et C (René des Cartes), se trouvait être précisément le sceau de la Confrérie des Rose-Croix. Mais à Paris et en Hollande même, on lui eût fait un crime d’y être affilié, et nous comprenons qu’avec son habituelle prudence il ait repoussé loin de lui pareille imputation.

Est-ce en 1619 ou 1620, avant ou après cette réclusion Période de Jeunesse. 49

volontaire dans un poêle, qu'il vit Faulhaber ? Plutôt avant, semble-t-il, donc en septembre ou octobre 161 9 ; car il n'at- tendit pas la fin de l'hiver" pour se remettre en route, et gagner enfin l'Autriche et la Bohême. Mais le début de cette réclusion fut marqué par un événement capital, et qui fait époque dans la vie de notre philosophe. Il le jugea tel lui- même, puisqu'il le rapporte tout au long, et en fait presque le principal objet de son opuscule Olympien . Il s'agit de trois songes successifs qu'il eut dans la même nuit, ou plutôt d'un songe en trois parties, qui lui parut envoyé du Ciel même ou de l'Olympe. En effet, au-dessus de la région des choses sensibles, choses d'expérience, Expérimenta ; au-dessus de la région des choses intellectuelles, ou région des Muses, Parnassus : se trouve la région supérieure des choses divines, Olympica ". Le ferme esprit qu'était cependant Descartes, n'avait pas su se garder ici de l'enthousiasme, comme le note- ront sans indulgence Huygens et Leibniz**; et malgré soi, on pense aux illuminés et aux Rose-Croix. Le philosophe, mani- festement, eut un accès ou une crise de mysticisme, condition peut-être de toute grande découverte : il faut que l'homme soit soulevé hors de soi, au-dessus de soi, pour avoir une vision nouvelle de la vérité. Un songe ainsi interprété devenait comme un ordre divin de prendre enfin parti.

Quod vitœ sectabor iter ?

lisait Descartes dans son recueil de poètes, ouvert à une

a. Tome VI, p. 28, 1. 23-24.

b. TomeX, p. 179-188.

c. Ibid., p. 189-190 (Expérimenta), p. 213-248 (Parnaffus ? passim), p. 179-188 {Olympica).

d. « Cet endrort [remarque Huygens) où il raconte comment il avoit » le cerveau trop échauffé «& capable de vifions, & fon vœu à Notre- » Dame de Loretta, marque une grande faiblesse, & je crois qu'elle » paroîtra telle mefmc aux catholiques qui fe font défait de la bigoterie. » (Remarques sur l'ouvrage de Baillet, pp. Victor Cousin, Fragments philo- sophiques, i. II, p. i58, Paris, Ladrange, 3» édit., i838.)

Vie dk Dkscartks. 7

�� � page d’Ausone^ Et il obéit à cette injonction mystérieuse, semblable à un oracle des livres sybillins. En même temps, pour remercier le Ciel de cette faveur insigne, l’ancien élève des Jésuites, se souvenant de sa dévotion à la Vierge, fit vœu d’aller en pèlerinage au sanctuaire d’Italie le plus révéré alors de tous les catholiques, Notre-Dame de Lorette,

Nous avons la date de ce songe singulier : lo Novembre 1619 ’°. Cette même date reparaît encore ailleurs, avec une mention nouvelle ; Descartes vient de trouver les fondements d’une science admirable : X Novembris i6ig, cùm mirabilis scientice fundamenta reperirem <=. . . Le texte s’arrête là, malheureusement, et ne nous dit pas quelle était cette science : nous en sommes donc réduits, une fois de plus, aux conjectures.

Peut-être était-ce simplement la solution très générale d’un problème, solution qui vaudrait pour tous les problèmes du même genre ? Si l’on en croit Lipstorp, Descartes aurait fait part à Faulhaber d’une telle invention précisément, sans qu’on sache quel était le problème. Mais peut-être s’agissait-il aussi de tout autre chose. Nous n’avons que l’embarras du choix : mathématique universelle, ou bien réforme de l’algèbre, ou bien expression de toutes les quantités par des lignes, et des lignes elles-mêmes par des caractères algébriques, voilà autant d’inventions vraiment admirables, qui toutes peuvent être datées de cet hiver 1619-1620.

Commençons par la Mathématique universelle ^. L’idée était ancienne : elle remonte jusqu’aux Pythagoriciens, qui comptaient quatre sciences mathématiques, la Géométrie, l’Arithmétique, l’Astronomie et la Musique ; c’est la quadruple division qui reparaît au moyen âge sous le nom de quadriinum. A ces

a. Tome X, p. i83 et p. 216. Voir ci-avant, p. 21.

b. Ibid., p. 181 et 216. Voir aussi p. 179.

c. Mêmes textes.

d. Tome X, p. 377, 1. 9, à p. 378, Lu: Regulce &c., iv. Tout ce développemeat est résumé dans une phrase du Discours de la Méthode, t. VI, p. 19, 1. 29, à p. 20, 1. 10. quatre sciences s’en ajouta une cinquième, l’Optique, qui prit rang parmi les mathématiques, et même une sixième, la Mécanique, enfin beaucoup d’autres encore, dit Descartes sans les nommer ". On voyait bien les différences entre ces sciences, puisqu’elles étudiaient ici les figures et là les nombres, ou bien les astres, ou les sons. On voyait moins leur ressemblance, et Descartes fut le premier à la déterminer. Toutes considèrent dans leurs objets une même chose, à savoir des rapports de grandeur et des proportions : peu importe que ce soit entre des figures ou des nombres, entre les astres ou les sons. Mais ces proportions, susceptibles d’être exactement mesurées, ne peuvent-elles faire l’objet d’une science à part, supérieure aux cinq ou six autres, supérieure même à toutes, s’il est vrai qu’en toutes choses on peut considérer, comme dans les objets de ces sciences mathématiques, des rapports numériques et des proportions mesurables ? Ainsi se trouve constituée la Mathématique, qui n’est plus seulement le nom générique de plusieurs espèces de sciences, et comme leur étiquette ou leur désignation commune, sans autre objet que ceux de ces sciences elles-mêmes : elle a son objet propre, qui consiste dans les caractères communs, que l’on peut dégager des figures et des nombres, des astres et des sons. Descartes d’ailleurs, dans les mathématiques elles-mêmes, réduit tout à des proportions, comme pour en bien marquer l’unité, qui prépare leur universalité. La multiplication n’est que la recherche du quatrième terme d’une proportion; et la division, la recherche du troisième terme. Les puissances successives d’un nombre peuvent aussi s’exprimer par une série continue de proportions : la racine étant moyenne proportionnelle entre l’unité et le carré; celui-ci eçtre la racine et le cube; le cube,

a. Tome X, p. 377, 1. 14-13 : « . . .Mechanica, aliaequecomplures. » Voir aussi Mersenne, La Vérité des Sciences, 1625 : « Les Pytagoriciens, grands amateurs du quaternaire, ne faifoient que 4 parties des Mathematiques : l’Aritmetique, la Géométrie, la Muſique & l’Aſtronomie,... voyla le quadriuium Pythagorique. » (Page 232.) 5 2 Vie de Descartes.

entre le carré et le bi-carré, etc. S Mathématique universelle, ou science des proportions, voilà donc une première invention de Descartes, et qui suffirait à expliquer son enthousiasme.

Voici maintenant une autre invention, non moins impor- tante. L'Algèbre semblait tenir lieu déjà de cette Mathéma- tique universelle. Mais en l'état où elle se trouvait encore, Descartes n'y voit qu'un « art confus et obscur », dit-il, et non pas une science. Il lui fait surtout deux reproches". D'abord elle emploie des nombres, qu'elle multiplie les uns par les autres ou chacun d'eux par lui-même, de sorte que les pro- duits subsistent seuls dans les équations, sans qu'on puisse en démêler les facteurs : ainsi 225 se trouve être finalement la somme de 144 et de 8i, nombres qui sont eux-mêmes les carrés de 12 et de 9, et 225 d'autre part est le carré de i5 : à pre- mière vue, qui s'en douterait? Ensuite l'algèbre, pour exprimer les puissances d'un nombre, racine, carré, cube, etc., se sert d'un « chiflPre », au sens cabalistique du mot, lequel chiflFre consiste en caractères ou signes, ou figures, ou lettres même, qui n'expliquent point ces puissances, c'est-à-dire qui ne les rendent pas manifestes aux yeux, mais qui les dissimulent au contraire et les masquent, et empêchent qu'on puisse les addi- tionner ou soustraire aisément : ainsi la racine, le carré (quarré), le cube, s'exprimaient par les lettres initiales, R, Q, C, ou par des caractères dits cossiques, ^. ^, Ct, dont Descartes lui-même se servait encore cette année 1619 A ce double défaut, qui entrave l'algèbre et arrête ses progrès, il

a. Tome X, p. 384-387 et p. 463-464. Voir aussi le commencement de la Géométrie: t. VI, p. 369-370.

b. Tome VI, p. 18, 1. i-5 : « on s'eft tellement affuieti à certaines » reigles & à certains chiffres, qu'on en a fait vn art confus & obfcur. » La traduction latine, revue par Descanes, donne, ibid., p. 549 : « Alge- » bram verè, ut folet doceri, certis regulis & numerandi formulis ita effe » contentam. . . « 

c. Tome X, p. 377, 1. 5-j : « fi tantùm multiplicibus numeris & inexpli- » cabilibus figuris, quibus obruitur, ita poffit e.xfolvi... » On interprète ici multiplicibus et inexplicabilibus.

�� � Période de Jeunesse. ^i

apporte un double remède. D'abord toutes les quantités, connues et inconnues, seront désignées par des lettres de l'alphabet, les quantités connues par les premières lettres, a, b, c, minuscules, au lieu de nombres; les inconnues, par les mêmes lettres majuscules. A, B, C : il dira plus tard, et ce sera un nouveau progrès, par les dernières lettres de l'alpha- bet, Xj y, i^. Ainsi les quantités sur lesquelles on opère, demeureront toujours distinctes, et les facteurs d'un produit, par e.xemple, continueront d'apparaître dans le produit lui- même : si a et ^ désignent 3 et 4, on aura ab au lieu de 12, etc. D'autre part. Descartes renonce aux lettres, R, Q, C, et de même aux caractères cossiques, 2£, J, Ct, pour désigner les puissances. II les remplace par des nombres, 2,3, etc., qu'on employait déjà comme exposants ; seulement on les écrivait au-dessus des lettres précédentes ou des caractères cossiques, qu'ils désignaient, et qui se trouvaient ainsi faire double emploi : Descartes supprime lettres et caractères comme inutiles, et conserve leur désignation, qui prend place désormais après les quantités, connues et inconnues, a, b, c... et x,y, {, élevées au carré, au cube, etc., et qu'on écrit soit sur la même ligne a2,b3, soit un peu au-dessus x^,y\ Par exemple, i R, plus 4 Q, moins 7CC, qui s'écrivait aussi Pi 2g. P4S'. MyCC, deviendra tout simplement x + 4X- — 7jc\ Et cette double réforme de l'algèbre, ou si l'on veut, du langage algébrique, peut se résumer ainsi : remplacer dans les équa- tions les nombres par des lettres [a, b, c, . . . x, y, i), et inver- sement remplacer par des nombres les lettres ou figures ou caractères (R, Q, C, ou %, J, ft-O dont on se servait. Cette seconde invention n'était-elle pas admirable autant que la première ?

a. Tome X, p. 455, 1. 10-12, et p. 462, note b. Voir la Géométrie, t. VI, p. 372-376. Cette seule différence suffirait à établir l'antériorité des Regulce par rapport à toute la publication de lôSj.

b. Descartes s'en servait encore en 1619. Voir t. X, p. 1 34-1 56. Mais sa réforme est indiquée dans les Regulce, t. X, p. 433.

�� � C4 Vie de Descartes.

Enfin voici encore une troisième et une quatrième inven- tion. Par sa réforme de l'algèbre, Descartes avait perfectionné l'instrument de la science ; par sa Mathématique universelle, il avait indiqué nettement l'objet auquel on doit l'appliquer. Mais entre les deux subsistait comme un hiatus, qu'il va combler de la façon suivante. D'abord, toutes les quantités entre lesquelles existent des relations numériques et des pro- portions, peuvent être exprimées par des lignes. Descartes le dit en propres termes, dans le Discours de la Méthode, et il insiste dans la traduction latine ; il le redit plus explicitement dans la Géométrie; il l'avait dit déjà dans les Regulœ^. Et c'est toute la Science de la nature, ou toute la Physique, ramenée à la Géométrie. En outre, toutes ces lignes qui expriment des quantités, peuvent être exprimées à leur tour par des lettres a, b, c, et X, y, {, comme nous avons vu tout à l'heure, et prendront place ainsi dans des équations. Cette fois, c'est toute la Géométrie elle-même ramenée à l'Algèbre.

La Science forme ainsi comme un tout complet. Au-dessus de la Physique, la Géométrie, qui la domine et la dépasse, et par là-même l'absorbe ; au-dessus de la Géométrie, l'Al- gèbre, qui fait de même. On s'élève ainsi à une généralité de plus en plus haute et de plus en plus étendue. Et si l'on redes- cend, en sens inverse, les formules algébriques peuvent s'ex-

a. Re'gulce, t. X, p. 413-414, p. 430-451, p. 454-455 et p. 464-467. Voir aussi Discours, t. VI, p. 20, 1. 10-18 : « pour les confiderer mieux en » particulier, ie les deuois fuppofer en des lignes, r La traduction latine ajoute, ibid., p. 55i : « ...in lineis reâis. » Voir enfin la Géométrie, même t. VI, p. 371-374.

b. Tome X, p. 458-459 : Réguler. — Tome VI, p. 371, 1. 6-20 : Géomé- trie. Et p. 20, 1. 18-21 : Discours. Dans ce dernier texte, le mot chiffre est pris dans un sens particulier : « il falloit que ie les expliquaffe par » quelques chiffres, les plus courts qu'il feroit poffible. » La traduction latine donne, ibid., p. 55 1 : « fi eafdeni characleribus five notis quibul- ^) dam quàm breviffimis fieri poffet defignarem. » Le même mot latin se trouvait déjà dans les Regulce, t. X, p. 455, 1. lo-i i : « . . .vtemur cha- » ra£teribus a, b, c, &c., ad magnitudines . . .exprimendas. » Donc chiffres veut dire ici lettres, telles qu'on les emploie en algèbre.

�� � primer en telles et telles lignes ou figures, moins générales, mais visibles aux yeux ; et les lignes ou figures géométriques peuvent se traduire par des rapports entre les choses elles-mêmes qui sont encore plus particulières et concrètes, comme toujours est le réel. C’est ainsi un va-et-vient continu entre les conceptions de l’esprit ou les idées et les choses, les unes répandant sur les autres leur vérité, et celles-ci leur communiquant en retour la réalité.

Laquelle de ces trois ou quatre inventions vint à l’esprit de Descartes, le 10 novembre 1619 : on ne saurait le dire. Mais l’ensemble qu’elles constituent, remonte à ce temps-là, puisqu’il employa les neuf années qui suivirent, à s’exercer en cette science et avec cette méthode[130]. L’hiver de 1619-1620 marque donc la date décisive, et le point culminant de la vie intellectuelle du philosophe : d’un bond il s’est élevé au sommet d’où, comme à la lueur d’un éclair, toute l’étendue à parcourir désormais apparut un moment à ses yeux éblouis.

Ces inventions, en effet, sont bien de celles qui jaillissent tout à coup dans l’esprit, comme un trait de lumière, à la suite d’un long travail antérieur, et dont l’apparition produit une sorte d’éblouissement. Il n’en pouvait être de même des quatre préceptes de logique, adoptés aussi à ce moment par Descartes dans son poêle[131]. Il n’a pas eu à les inventer ; il les trouvait déjà, plus ou moins formulés, dans la plupart des traités. Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, qu’on ne la connût évidemment être telle ; diviser chacune des difficultés qu’on aurait à résoudre ; les examiner par ordre, en allant du simple au composé ; et revenir sans cesse sur ce qu’on a étudié, afin d’être bien sûr de n’avoir rien omis : voilà, certes, qui n’était pas nouveau, en effet, et c’est ce qu’avaient fait de tout temps, qu’ils s’en rendissent compte ou non, tous les vrais savants. Mais la nouveauté, et elle était grande, consistait à démêler ces quelques préceptes parmi tant d’autres, à les mettre à part, à les proclamer nécessaires et suffisants, capables de constituer à eux seuls une logique complète. Il fallait pour cela le coup d’œil du génie, et Descartes l’avait incontestablement.

Toutefois ces préceptes ont eu peut-être dans l’esprit de notre philosophe, à la date où nous sommes de 1619, une portée moindre, quoique très étendue encore, qu’on ne croirait à les lire dans le Discours de la Méthode en 1637. En effet, dans un écrit antérieur, qui est peut-être de 1628, les Regulæ ad directionem ingenii, où Descartes semble résumer ses travaux depuis 1619, il s’était fait des règles appropriées, et ce sont les mêmes que celles du Discours[132] Elles en ont bien d’avance, si l’on veut, la généralité, c’est-à-dire l’extension à toutes sortes de matières ; néanmoins, on voit qu’elles sont faites surtout et d’abord pour cette science des proportions, pour cette mathématique universelle, qui semble avoir été alors l’idée dominante du philosophe.

Le premier effet de cette méthode devait être, dans toutes les choses peu claires, la suspension du jugement, le doute. Mais cet état d’esprit, utile sans doute et même nécessaire au début de la recherche scientifique, serait nuisible et en fait impossible dans la vie courante. Là, il faut se décider, et promptement ; il faut agir. Primò vivere, deinde philosophari, disait-on jadis. Descartes fait une nouvelle application de ce vieil adage. Mais ici encore un petit nombre de maximes, trois ou quatre, lui suffiront ; et dès la fin de 1619, qui décidément fait à tous égards époque dans sa vie, son choix sera fait[133].

Né Français et catholique, il vivra en conséquence, sans prétendre rien innover ni en politique ni en religion : voilà pour le dehors. Quant à sa vie intérieure, il sera ferme et résolu, il saura prendre parti, après réflexion, et n’aura ensuite, quoi qu’il arrive, ni regret ni remords. Pour le reste, acceptation pure et simple des événements, indifférence même à leur égard : à quoi bon nous mettre en peine de ce qui ne dépend pas de nous ?

Ces deux dernières maximes rappellent la sagesse stoïque, tandis que la première serait plutôt épicurienne, sans que Descartes d’ailleurs songe à les concilier. C’était assez l’usage des moralistes du temps, de prendre leur bien où ils le trouvaient, et de mettre à profit tout ce qui leur paraissait bon dans l’héritage de l’antiquité. D’abord Descartes parle un peu comme Montaigne, et ses protestations de respect à l’égard de la religion de son pays, toutes sincères qu’elles soient, ne doivent pas nous en imposer. En ce temps-là, les plus enclins au scepticisme, en parole et en pensée, se montraient, dans leurs actions, chrétiens et catholiques comme tout le monde, et la philosophie sceptique qu’enseignera, par exemple, un Charron ou un La Mothe le Vayer, sera une sceptique « chrétienne ». En outre, le christianisme de Descartes, soigneusement mis à part dans la première maxime, se trouve accompagné de deux autres maximes, qui n’ont plus rien de chrétien : l’acceptation raisonnable de l’ordre du monde n’est pas, tant s’en faut, la soumission filiale à la volonté d’un Dieu, père de tous les hommes ; quant à la confiance en soi-même, en soi tout seul, dont témoigne cette fermeté et résolution qu’il prend pour la vertu, et quant au mépris de tout remords comme inutile ensuite, ce sont là des choses qui jurent par trop avec l’humilité prêchée par l’Évangile. C’est l’homme de la nature qui parle sur ce ton, non sans noblesse d’ailleurs, mais sans aucun besoin ni souci de la grâce divine ; c’est le philosophe païen, fidèle à l’esprit de l’antiquité et de la renaissance.

Mais voici qui est plus grave encore. Descartes réserve pour la fin une quatrième maxime, toute personnelle, il est vrai, qui lui enjoint d’employer sa vie à la recherche de la vérité. C’est à cette condition seule, que les trois autres maximes sont acceptées de lui provisoirement[134]. Mais alors le caractère de ces trois maximes en est tout changé : elles n’expriment plus la vérité absolue, la règle de conduite immuable, que l’homme doit suivre en tout temps, en tout lieu. Elles énoncent seulement ce qu’il est préférable de faire pour le moment, dans l’état actuel de nos connaissances, et en attendant mieux. Ce mieux, la science un jour le fera connaître : la morale future, morale définitive cette fois, sera fondée sur la vérité scientifique. Les conséquences de la quatrième maxime ainsi comprise, ont une portée incalculable : christianisme et stoïcisme, philosophie et religion, la foi et la raison même, telles qu’on les entendait jusqu’alors, perdent leur caractère absolu ; elles se trouvent entachées de relativité, et comme frappées de déchéance : elles deviennent quelque chose de provisoire, répétons-le, et par suite de précaire, destiné finalement à disparaître à la lumière de la science. Descartes retient momentanément, pour sa commodité particulière, ce qui lui paraît se recommander le plus dans le patrimoine des doctrines religieuses ou morales de son siècle ; mais c’est là le passé, dont il faut bien que le présent s’accommode, et le meilleur

de son esprit est résolument tourné vers l’avenir.
CHAPITRE IV

JEUNESSE DE DESCARTES

DEUXIÈME PÉRIODE

(1620- 1628)

Les neuf années qui suivirent, furent employées par Descartes à se défaire de ses préjugés, sans prendre encore parti cependant sur les questions qui divisaient les savants et les philosophes. Ce fut une période de libre examen à l’égard des idées qu’il tenait de ses premières études ou qu’il avait trouvées ensuite dans les livres. Mais en même temps que ce travail de destruction, il en poursuivait un autre, en vue de reconstruire une doctrine vraiment scientifique ; et pour cela, il s’exerçait à des difficultés de mathématiques, ou même aussi de physique, qu’il rendait quasi semblables à celles des mathématiques. Ainsi, démasquer partout le faux et le douteux, et le proscrire, mais aussi s’habituer à reconnaître le vrai et se préparer à l’établir inébranlablement : telle fut la double tâche du philosophe, de 1620 à 1628.

Et il se remit à voyager, préférant encore à tous les livres, comme il disait, « le grand livre du monde ». Par malheur, nous ne sommes pas beaucoup mieux renseignés sur cette nouvelle période que sur la précédente. Nous savons d’abord

a. Tome VI, p. 3o, 1. 10-14.

b. Ibid., p. 29, 1. 20-3 1. qu’il sortit de son poêle d’Allemagne au printemps de 1620, ou, comme il dit, « un peu avant la fin de l’hiver » ; et deux ans après, nous le retrouverons en France, à Rennes, pour la signature d’un acte, le 3 avril 1622[135]. Que devint-il dans l’intervalle ? Nous n’avons là-dessus que des témoignages peu sûrs, ou des récits qu’il est impossible de contrôler. Il reprit sans doute du service, comme volontaire, dans l’armée que le duc de Bavière rassemblait alors contre les princes protestants. La guerre de Trente ans allait éclater, et on sait qu’au début une intervention diplomatique du roi de France, favorable aux catholiques et à l’Empereur, amena une suspension d’armes de la Ligue évangélique ou protestante : un traité fut signé à Ulm, le 3 juillet 1620, à la suite de négociations commencées le 6 juin. L’armée catholique du duc de Bavière, comme en 1618-1619 l’armée protestante du prince de Nassau, devenait pour un Français une armée alliée ; et Descartes pouvait sans scrupule y servir[136].

Mais la Bohême, révoltée depuis 1619 contre l’Empereur, n’était point comprise dans le traité, et les troupes catholiques, redevenues disponibles, furent dirigées contre elle. L’électeur palatin Frédéric, prince protestant, avait été élu roi de Bohême ; sa royauté ne dura qu’un hiver : il perdit la couronne à la bataille de la Montagne Blanche, près de Prague, le 8 novembre 1620, et dès lors commença pour lui cette vie de roi en exil, qu’il traîna une douzaine d’années en Hollande, où nous le retrouverons plus tard, et surtout sa fille, la princesse Élisabeth. Descartes assista-t-il à cette bataille de Prague ? Bore ! l’affirme[137] ; mais dans la même phrase, il fait assister son héros aux deux sièges de Bréda, en 1625 et 1637, ce qui n’est vrai ni pour l’un ni pour l’autre ; et Baillet lui-même, bien qu’assez crédule d’ordinaire, se refuse cette fois à croire Borel. En tout cas il démontre, à grand renfort d’arguments, que Descartes n’a pu voir à Prague les instruments astronomiques de Tycho-Brahé, lesquels avaient déjà été à ce moment pillés et dispersés.

Un fait paraît significatif : Descartes note dans ses papiers le 10 novembre 1620, comme la date d’une de ses inventions (« une invention admirable », dit-il encore)[138], juste deux jours après la bataille, et il ne note point la bataille elle-même. C’était pourtant là une belle occasion, la plus belle qu’il ait eue vraisemblablement en toute sa vie, de s’éprouver lui-même, comme il dit. Il ne manquera pas de raconter avec force détails, dans ses Expérimenta, une aventure dont il se tira à son honneur, et qui n’était pas, tant s’en faut, une bataille : complot de mariniers, pour lui ôter et la bourse et la vie[139], à bord d’un bateau où il était embarqué. N’aurait-il pas raconté de même la bataille de Prague, s’il avait été parmi les combattants[140] ?

Mais cette aventure elle-même, sur les côtes de Frise, et qui paraît authentique, quelle en est la date ? Baillet la place au retour de ce long voyage que Descartes aurait continué de Bohême en Hongrie, Silésie, Pologne, Mecklembourg, etc. La chose est possible, en effet. Pourtant il n’est pas sûr, quoi qu’en dise Baillet, que Descartes soit repassé par la Hollande. Le contraire même est presque certain : Beeckman, en effet, dans son Journal, ne reparle plus de Descartes avant le mois d’octobre 1628[141] ; il ne l’a donc pas revu depuis l’hiver de 1619 ; et l’on s’était quitté en termes tels, que si Descartes était repassé si tôt après, en 1621-1622, par la Hollande, il n’eût pas manqué de revoir son ami, comme ce fut sa première pensée beaucoup plus tard, après un intervalle de neuf ans, en 1628. Peut-être aussi l’aventure des côtes de Frise eut-elle lieu fin d’avril 1619 ? On s’expliquerait ainsi le changement d’itinéraire de notre philosophe : s’il avait choisi le trajet par mer, d’Amsterdam à Copenhague, puis à Dantzig, pour se rendre par le long détour de la Pologne et de la Hongrie, jusqu’en Autriche, c’est que le trajet direct par terre lui paraissait peu sûr ; mais si, expérience faite, on se trouvait menacé de dangers semblables pendant une traversée, ne valait-il pas mieux y renoncer, et revenir à la voie de terre, où les risques ne pouvaient pas être pires ? Et Descartes aurait abandonné son voyage à Copenhague, où une lettre de Beeckman ne put le rejoindre, ce qui explique qu’il n’y fit point réponse[142], et il se serait dirigé sur Francfort, puis Ulm, et la Bavière. Mais ce n’est là qu’une conjecture, sur laquelle nous n’avons garde d’insister.

Descartes revint en France, en février 1622, dit Baillet, et y demeura jusqu’en septembre 1623 environ[143]. On est sûr en tout cas qu’après son long voyage, il vint se reposer chez les siens en Bretagne : il était à Rennes, le 3 avril 1622[144] ; puis il alla en Poitou, où il se trouvait le 22 mai de cette même année. Il passa probablement ensuite l’hiver de 1622-1623 à Paris : une lettre paraît datée de là, le 21 mars 1623, qu’il écrivit à la veille de se remettre en route, cette fois pour l’Italie[145]. Ce nouveau voyage était occasionné par des intérêts de famille : un sien parent, mari de sa marraine, et devenu commissaire général des vivres pour l’armée du côté des Alpes, venait de mourir ; il s’agissait de mettre ordre à ses affaires, et peut-être de recueillir sa charge. Nous voyons, en effet, Descartes occupé alors de questions d’intérêt : l’acte du 3 avril 1622 était un règlement de comptes avec son frère aîné, et celui du 22 mai suivant était un contrat de vente pour les biens du Poitou qui lui venaient du côté maternel. Il les vendit définitivement en 1623, assure Baillet[146] ; et ceci semble indiquer que Descartes n’avait alors aucune intention de se fixer dans son pays natal, et qu’il le quittait sans esprit de retour.

Baillet, en l’absence de documents certains, a rassemblé tout ce qui pouvait, à cette date de 1623-1625, attirer l’attention d’un voyageur en Italie ; il composa un voyage sur ces données. L’itinéraire était tracé d’avance, nous en avons comme une confirmation anticipée dans le Journal de Montaigne, une quarantaine d’années auparavant, en 1581[147]. A l’aller, la Suisse et le Tyrol ; on passait par Bâle, Inspruck, on suivait dans les Alpes la route si fréquentée déjà qui monte au Brenner, et on descendait par la vallée de l’Adige dans la Vénétie. Une armée française occupait alors en ces parages la Valteline, porte militaire de l’Allemagne sur l’Italie et de l’Italie sur l’Allemagne : Baillet pensa que notre voyageur ne pouvait faire autrement que de s’y arrêter[148]. A Venise, la grande curiosité, après le carnaval, était la fête annuelle des épousailles du doge avec l’Adriatique, et l’anneau d’or lancé en grande pompe dans la mer : Descartes, selon Baillet, ne manqua pas cette cérémonie. Comme elle avait lieu le jour de l’Ascension, il s’y trouva donc le 16 mai 1624[149].

De Venise on se rendait à Lorette, soit par mer, soit par une belle route le long de la côte. Descartes avait fait vœu, plus de quatre ans auparavant, d’aller en pèlerinage à Lorette, et d’y aller précisément de Venise : il y alla donc, le fait est presque certain. Montaigne y avait bien été, et sans rien omettre de ce qui se faisait en pareil cas : communion, par faveur spéciale, dans la chapelle même ; suspension, au mur de cette chapelle, d’un ex-voto, « un vœu », comme il l’appelle, le représentant lui Montaigne à genoux avec sa femme et sa fille devant une Notre-Dame, soit quatre figures en argent dans un tableau tout exprès apporté de France ; enfin divers achats, « pour près de cinquante bons écus », de cire, d’images, de patenôtres, agnus Dei, salvators, et autres telles denrées, dit-il, dont il y avait nombre de belles boutiques et richement fournies en ce lieu de dévotion[150]. Esprit libre, certes, et que les préjugés n’embarrassaient guère, Montaigne toutefois demeurait fidèle dans la conduite de sa vie aux pratiques du culte auquel sa naissance, son éducation et ses habitudes le tenaient attaché. Sans doute notre philosophe ne fit pas autrement, bien qu’avec plus de réserve peut-être. Outre ce vœu qui lui était échappé dans une nuit d enthousiasme, une curiosité bien naturelle pouvait aussi le pousser. Enfin un Français, un catholique, ancien élève des Pères, voyageant en Italie, et qui n’aurait pas été à Lorette, c’eût été un petit scandale ; et Descartes ne fut jamais d’humeur à scandaliser personne.

Rencontra-t-il alors un de ses compatriotes faisant le même pèlerinage, le P. de Bérulle, fondateur de l’Oratoire et futur cardinal ? On ne sait pas. Celui-ci passa à Rome l’automne de 1624, et Descartes s’y trouva au même temps. Le grand jubilé de 1625 allait s’ouvrir, le jour de Noël, 25 décembre 1624, au milieu d’un concours de catholiques venus de tous les pays du monde : nouvelle cérémonie, à laquelle, au dire de Baillet, notre philosophe voulut encore assister[151].

Quelques jours auparavant, il vit peut-être, dans cette même ville de Rome, un spectacle d’un autre genre : un hérétique Période de Jeunesse. 65

de marque ayant été condamné après sa mort par l'Inquisition, on brûla sur le Campo del fiore (où l'on avait déjà brûlé Jordano Bruno en 1600) son portrait, ses livres, et son cadavre même retiré tout exprès du cercueil. C'était Marc- Antoine de Dominis, ancien Jésuite et ancien archevêque de Spalatro, auteur d'un traité de l'Arc-en-ciel, publié en 161 1, et que notre philosophe avait peut-être lu-'. D'autre part, cependant, le pape Urbain VIII allait demander au roi d'Es- pagne l'élargissement d'un philosophe, le moine dominicain Campanella, emprisonné depuis vingt-sept ans; Descartes connaissait aussi ses écrits .

a. On lit dans le Mercure français, t. X, p. 809 : « Marc Anthoine de » Dominis auoit efté mis prifonnier à Rome au mois d'Auril de celte » année {1624), où eftant mort au mois de Décembre, fon corps fut » condamné par l'Inquifition à eflre bruflé : ce qui fut exécute publique- » ment la veille S. Thomas. » Le même Mercure français revient sur cette affaire dans le volume suivant, et la raconte tout au long, t. XI, p. 134-1 5 1 : « Le vingt-vniefme iour de Décembre, iour de faint Thomas » Apoftre (qui condamne maintenant au Ciel l'incrédulité facrilege des » hérétiques), en l'Eglife de la bien-heureufe Vierge Marie, autrement » dite la Minerue, en la tres-honorable & illuftre prefence de plufieurs » Cardinaux & autres perfonnes de mérite, auec vne grande & extraordi- » naire multitude de peuple fut fait ce qui s'enfuit :

» Premièrement, d'vn lieu haut & eminent, le pourtrait & effigie dudit » Marc Anthoine de Dominis fut monftré au public, veu & cogneu delà » multitude; en fuitte de ce, fon procez full leu, puis la fentence. Quoy » fait, en fécond lieu, ledit pourtrait, les liurcs, & le corps mort dudit » condamné, ainfi qu'il eftoit dans le cercueil, fut deliuré au Magiitrat » feculier, & par fon commandement ars & brullé au champ de fleur, par » les mains du bourreau. »

« Plufieurs afTiftans & prefens à ce trifte ô!i funelte fpeilacle louèrent » Dieu en la fainte Inquilition, d'auoir deliuré l'Eglife d'vne telle pede «Si » peftilentielle contagion » (Page 148-149.) Ce n'était point d'ailleurs pour ses écrirs philosophiques ou scientifiques que Dominis avait clé condamné, mais pour ses opinions religieuses : il voulait faire une seule Église de toutes les Eglises protestantes et catholiques.

b. Notamment le Defenju rerum £■ Magid, publié en 1620. Voir t. II, p. 48, 1. 7-17 : lettre de mars i638. « Il y a quinze ans, que i'ay vu ce » liure », dit Descartes; ce fut donc vers i62.<. Campanella (né à Stey- nano, en Calabre, 5 sept. i568) sortit de prison le i5 mai 1626. Il le devait surtout à Naudé, qui avait insisté auprès du pape, et ne manqua

Vie de Dkscartes. 9

�� � 66 Vie de Descartes.

Le retour en France se faisait par la Toscane et le Piémont. Borel assure que Descartes, en passant à Florence, visita Galilée"; cette visite eût été naturelle, en effet, et on s'étonne même qu'elle n'ait pas été faite. Mais notre philosophe déclare, dans une lettre du ii octobre i638, qu'il n'a jamais vu le savant florentin, et n'a eu aucune communication avec lui^ Après tout, Galilée était peut-être à sa maison des champs, lorsque Descartes traversa Florence. Et puis Galilée avait alors soixante ans, et Descartes à peine trente ; il n'était pas encore, loin de là, le philosophe que nous admirons aujour- d'hui, mais un petit gentilhomme inconnu, qui voyageait pour son agrément, tandis que Galilée, mathématicien du grand- duc de Toscane, était à cette date dans toute sa gloire. Une dizaine d'années plus tôt, en 1614, un Français, versé dans l'astronomie, Jean Tarde, théologal de Sarlat, passant aussi à Florence, n'avait pas manqué de rendre visite à un tel

pas de l'en remercier : Panegyricus diâus Urbano VIII pont. max. ob bénéficia in M. Thomam Campanellam collata, imprimé seulement en 1644. (Paris, Cramoizy, in-8.) Campanella trouva un asile en France, où Richelieu le pensionna. Mais il se brouilla avec Naudé, qui s'en plaignit amèrement à Gassend, duns une lettre entre autres, où on lit : « ...Je » reconnus qu'il y avoit de l'impofture manifefte dans fes écrits ; & » qu'ainfi ne foit, vous vous en pouvez éclaircir, en le priant de vous dire » fincerement, s'il eft vray qu'il ait jamais parlé au Diable, comme il dit » en fon Traité De Magiâ Naturali, lequel eft fur la fin De Senfu rerum. » Car s'il vous dit que fi, je luy fauray bien faire fouvenir qu'il m'a avoué » le contraire. Mais donnons encore cela à fa fimplicité. . . » (Les Cor- respondants de Peiresc, publiés par Tamizey de Larroque, fasc. XIII, 1887, p. io3-io5.) Naudé rappelle aussi que jadis le moine emprisonné lui donna « deux traités fort jolis, & avec intention que je les fiffe » imprimer quelque jour, lorfque je ferois en pays de liberté, qui eft à » dire en France, car c'étoit les mots propres qu'il me difoit. » (Ibid., p. 106.) Campanella mourut à Paris en 1639, et Constantin Huygens, qui s'intéressait à ses ouvrages, note sa mort sur son Dagboek : « 21 May. » — Obiit Parifiis 4= matutina P. Campanella annorum 71. »

a. Borel, i656, p. 4 : « In Italiâ verô Galileum aliofque claros conue- » nit viros, indeque ad Gauenfem obfidionem iuxta Genuam venit, & » tandem in Galliam rediit. »

b. Tome II, p. 388, 1. 23-26. Baillet (t. I, p. i23-i25) corrige lui- même à ce sujet l'erreur de Borel.

�� � personnage, et il nous a laissé le récit des entretiens qu’il eut, trois journées de suite, avec le célèbre « philosophe et astrologue », comme il le nomme[152]. On parla naturellement des récentes découvertes dues au télescope, et du télescope lui-même, instrument bien imparfait encore, et dont on aurait voulu corriger les défauts. On parla des taches du Soleil et de la surface « rabouteuse » de la Lune, et de ces planètes 68 Vie de Descartes.

aperçues autour de Jupiter et que Galilée avait appelées Sidéra Medicea, comme il convenait à Florence, tandis que Tarde, fidèle sujet du roi de France, appellera les taches du Soleil, qui pour lui sont de petites planètes, Astres de Bourbon, Bor- bonia Sidéra. On n'oublia pas ces deux petites étoiles visibles par intervalles autour de Saturne, ni surtout Vénus où l'on constate, à la lunette, les mêmes phases que pour la Lune, tantôt pleinement ronde, et tantôt semblable à «c une faucille lumineuse ». Enfin, sans la moindre gêne ni le moindre scru- pule, à cette date de 1614, on parla de Copernic, et de son hypothèse, de plus en plus probable, du mouvement de la Terre autour du Soleil centre du Monde. Selon Tarde encore Galilée est bien connu en France, et on lit ses livres au Collège de Bordeaux; nous avons vu qu'on ne les ignorait pas non plus à La Flèche, Quel dommage que Descartes n'ait pas eu une conversation du même genre avec Galilée en personne, comme il en eut sans doute plus d'une cependant avec des homnes d'études en Italie et surtout à Rome !

De Florence, si tant est qu'il y passa, il gagna le Piémont. Le connétable de Lesdiguières assiégeait alors la petite place de Gavi, et l'enleva aux Espagnols, le 18 avril 1625, pour le compte du duc de Savoie, allié de la France. Borel veut que Descartes ait assisté au siège de Gavi : c'était presque en effet sur sa route, et il suffisait d'un léger détour. Nous somrries d'ailleurs certains que notre philosophe rentra en France par le Mont-Cenis : lui-même le rappelle plus tard, et indique précisément cet endroit comme le plus propre à mesurer la hauteur des montagnes  ; et dans ses Météores, en 1637, à propos des avalanches, il se souvenait d'avoir vu ce phénomène en franchissant les Alpes au mois de mai, sans

a. Voir ci-avant, p. 66, note a. — « Ce fiege dura près d'vn mois ; car » il fut commancé en la fepmaine S" au mois de mars, & finit cedit iour » dix-huictiefme Auril mil lix cens vingt cinq, & a efté fort afpre. « [Mer- cury francois, t. XI, p. 456-457. MDCXXVI.)

b. Tome II, p. 636, 1. 10-12.

�� � Période de Jeunesse. 69

doute en mai 1625*. Du Mont-Cenis, il descendit en Savoie, se rendit à Lyon, et revint d'abord en Poitou : une lettre à son père est datée de là, le 24 juin 1625.

Quelles impressions rapportait-il de son voyage en Italie ? Le regret, semble-t-il, de ne pouvoir pas y passer sa vie. Il y pensera sérieusement, en effet : nulle part il ne trouverait autant de facilités d'études ; l'Italie était alors le pays du monde où l'on comptait le plus de savants et où la science était le plus en honneur. N'était-ce pas aussi, comme dira Balzac, ot le pays des orangers -^ » ? Mais précisément Descartes redoute la chaleur, dont aucun ombrage, ni éventail, aucune fontaine n'a pu le garantir à Rome. Il fait trop chaud pendant le jour, et la fraîcheur du soir est malsaine; enfin la police est insuffisante, surtout la nuit, où coupe-bourses et coupe-jarrets opèrent trop librement. Descartes, qui aime sa tranquillité, sera autrement satisfait de la Hollande. Mais retenons ceci : la question de religion ne fut pour rien dans ce qui l'attira en un pays ou le détourna d'un autre. Le catholicisme de l'Italie, bien qu'hostile à Galilée (hostile à demi, seulement jusqu'en i633), ne l'inquiétait pas, tant sa conscience se sentait en sûreté de ce côté-là. Pourtant il continuait à se défaire de tout préjugé, au moins dans le domaine de la spéculation, pous- sant hardiment sa pointe beaucoup plus loin qu'on n'avait jamais fait avant lui, et ne craignant pas d'atteindre les extrêmes limites du scepticisme.

Dans ces conditions, pensa-t-il jamais sérieusement à s'éta- blir en France, à acheter une charge et à se marier ? Baillet raconte que l'occasion se présenta pour lui de devenir lieute- nant général à Chàtellerault, mais que le prix de 5o.ooo livres l'effraya : ne pouvant pas y mettre du sien plus de So.ooo livres, il déclina pour le surplus les offres obligeantes d'un ami ^. Ceci

a. Tome VI, p. 3i6, 1. i5-22.

b. Tome I. p. 4-5.

c. Ibid., p. 201, 1. lo-i I, et p. 202-204. Tome II, p. 623, 1. 22-3o.

d. Tome I. p. 4-5. Le grand-père maternel de Descartes, René Bro- chard, avait été déjà lieutenant général à Poitiers. Voir ci-avant, p. 5.

�� � jo Vie de Descartes.

se passait en 162 5. Or cette année, précisément, Joachim Descartes le père, qui avait déjà fait entrer au Parlement de Rennes son fils aîné Pierre, recommença avec le fils qu'il avait eu de sa seconde femme, Joachim : il lui assura sa propre charge de conseiller, sous réserve que lui-même la conserverait quatre années encore^ Pourquoi se démettre ainsi en faveur de son troi- sième fils, lorsque le second, René, n'était pas jusque-là pourvu ? Etait-ce du consentement de celui-ci, qui aurait renoncé ? En ce cas, dès la fin de 1625, son parti était pris de ne rechercher aucune charge, et sans doute aussi de ne point se marier. C'est là cependant une chose à laquelle sa famille au moins songea pour lui en 1025. Et peut-être y eut-il quelque tentative à laquelle il se prêta. Une dame racontait plus tard qu'elle retint un moment son attention. Mais à la beauté même notre philosophe préféra toujours la vérité. Une belle femme se rencontre trop rarement, disait-il : aussi rarement qu'un bon livre, et un parfait prédicateur. Ajoutons cet argument plus sérieux : il dit quelque part que Balzac était si amateur de

a. Ci-avant p. 11, note b.

b. Baillet, t. II, p. 5oi : « . . .L'on ne doit pas prétendre que M. Def- » cartes ait dû être un Stoïcien fort rigide fur les vues que fes parents luy » avoient données vers l'an 1625, pour prendre une femme, lors qu'ils » luy propoférent d'entrer en charge, & de fe procurer un établiffement. » Dans cette intention, il avoit récherché une jeune Demoifelle de naif- » fance & de beaucoup de mérite, laquelle a été depuis fort connue daiis » le monde fous le nom de Madame du Rofay. [En marge : Rélat. MS. » du P. Poiffon.] Cette Dame n'a point fait difficulté d'avouer dans la » fuite que la Philofophie avoit eu plus de charmes qu'elle pour M. Def- » cartes: & qu'encore qu'elle ne luy parût pas laide, il luy avoit dit, pour » toute galanterie, qu'il ne trouvait point de beauté^ comparables à celles >) de la Vérité. Selon ce que la Dame dit un JDur au Père P..., nôtre » Philofophe encore jeune s'étant trouvé dans une compagnie de per- » fonnes enjouées, y difcourut loug-têms fur les engagemens que l'on » prend avec les femmes. Après avoir marqué à la compagnie l'étonne- » ment où il étoit de voir tant de dluppes, il alTûra qu'il n'en avoit pas » encore été touché jufques-là, & que fa propre expérience (pour ne pas » dire la délicateffe de fon goût) luy faifoit mettre une belle femme, un » bon livre, & un par/ait prédicateur au nombre des chofes les plus diffi- ■» ciles à trouver de ce monde. »

�� � Période de Jeunesse. 71

la liberté, « que même ses jarretières et ses aiguillettes lui pesaient" ». Descartes n'était-il pas un peu comme Balzac ? Ses réflexions lorsqu'un mari perd sa femme, et ses consolations mêmes, à un de ses amis en pareil cas, le donneraient à penser . Sait-on bien d'ailleurs ce qu'il fit, depuis son retour d'Italie, mai ou juin 1625, jusqu'à son départ pour la Hollande, prin- temps de 1629 ou peut-être même automne de 1628 ? Et d'abord où demeura-t-il ? A Paris, ce semble ; mais son séjour n'y fut pas continu, et à plusieurs reprises il passa quelque temps en province. C'est ainsi que, le 22 janvier 1628, il fut parrain d'un neveu, fils de son frère aîné Pierre Descartes, à Kerleau en Elven " ; et trois mois après, le 3o mars, Balzac lui adressait encore une lettre en Bretagne . Peut-être ce fut cet hiver 1627-1628, ou bien l'hiver suivant 1628- 1629, que loin de toute société il préluda à sa retraite définitive en Hollande par un essai dans quelque désert de France, entendez par là quelque coin perdu à la campagne '. Déjà à Paris même il se

a. Tome II, p. 349, 1. 15-17 : lettre à Huygens, août i638.

b. Tome XI, p. 441, 1. 3-5 : « ...lors qu'un mary pleure fa femme » morte, laquelle (ainfi qu'il arrive quelquefois) il feroit fafché de voir » refufcitée ». Et ceci n'est pas une boutade dans une lettre privée, mais un passage du traité des Passions de l'âme. — Quant au mot de Balzac, Descartes le rappelle assez malencontreusement à Huygens, veuf d'une année, et qu'avait beaucoup affligé la mort de sa femme. (Voir t. I, p. 371- 374.) Celui-ci, d'ailleurs, ne se remaria point. Dans un dialogue latin de son parent Gaspar van Baerle, De fecundis nuptiis, où les deux person- nages sont Baerle lui-même, et précisément Huygens (Zulechemius), on lit : « Barl. Penè mihi perfuafifti perpetuae viduitatis inftitutum, exemplo » tuo, & rationibus à tribus L. L. L. petiti?. — Zulech. Quid innuis iftis » tribus L ? — Barl. Liberos, Libros & Libertatem. Tune enim te fecundo » Sponfum fore ais, cùm definent placere Libri, Liberi atque Libertas. » (P. 65. j Conclusion : « Zolech. Si me vis praeeuntem fequi, pro uxore » tibi erunt Liberi, Libri atque Libertas. Haec fi dilexens, non eris iolus. » (P. 83.) Imprimé à la suite du recueil : Faces Augujlœ five Poematia, poésies de J. Cats [Jacobus Catsius) mises en latin par Baerle et Boey. (Dordrecht, typis Henrici Effaei, CI3 ID C XLIII.)

c. Tome I, p. 6.

d. Ibid., p. 569-571.

e. Tome V, p. 558, 1. 23-26.

�� � retirait volontiers des compagnies, afin de méditer plus à l’aise : nous savons, par le témoignage d’un ami qui lui avait donné l’hospitalité, Le Vasseur d’Étioles[153], qu’un beau jour Descartes le quitta, sans lui dire adieu, et demeura quelque temps caché ; on n’apprit que par hasard où il était. Découvert, notre philosophe s’excusa de son mieux, et d’assez bonne grâce, semble-t-il, auprès de la maîtresse du logis, qui Période de Jeunesse. jj

donna ce trait d'originalité à un ami de son mari". Le même Le Vasseur l'emmena alors, ou l'accompagna, dans un voyage en Bretagne et en Poitou. Ici se place une autre anecdote, authentique également, puisqu'elle est rapportée par Le Vas- seur qui en fut témoin. Ce fut une soutenance de thèses à Poitiers, au Collège des Jésuites (en juin ou juillet, vraisembla- blement) : Descartes y assista, et y prit la parole ; le lende- main deux Pères vinrent le remercier de cet honneur. La

��a. Cette anecdote est ainsi contée par Baillet, t. I, p. i52-i54, sous la date de 1628 : « ...Cela le fit réfoudre à fe paffer de luy feul autant » qu'il .luy feroit pofTible, & à fe contenter d'un petit nombre d'amis pour » le foulagement de la vie. Mais fa réputation fut un grand obftacle à

» cette réfoluiion. Elle avoit fait de la maifon de M. le ValTeur [En marge:

» De fon auberge des Trois Chappelets, rue du Four, il s'étoit logé chez

« M. le Vafieur.] une efpéce d'Académie, en y attirant une infinité de gens

» qui s'introduifoient chez luy à la faveur de fes amis. . . Ces compagnies

» commencèrent à luy rendre le féjour de Paris onéreux, & à luy faire

» fentir fa propre réputation comme un poids infupportable. . . Et pour

» commencer à fe délivrer des importunitez de ceux qui le fréquentoient

» trop fouvent, il quitta la maifon de M. le Vaffeur, & alla fe loger en un

« quartier où il devoit fe dérober à leur connoiffance, & ne fe rendre

» viliblc qu'à un très-petit nombre d'amis qui avoient fon fecrei. M. le

» Vaffeur [En marge : Relat. MS. de M. le Vaff.], à qui il n'avoit point

» juge à propos de le communiquer, fut quelque téms en inquiétude, ne

« trouvant perfonne qui pût luy apprendre de fes nouvelles. Mais le

» hazard luy ayant fait rencontrer fon valet de chambre dans les rues au

» bout de cinq à fix femaines, il l'arrêta fur le lieu, «Se l'obligea après

» beaucoup de refiilance de luy découvrir la demeure de fon maître. Le

» valet, après luy avoir ainfi révélé le principal de fon fecret, ne fit plus

» difficulté de luy déclarer le rerte. Il luy conta toutes les manières dont

» fon maître fe gouvernoit dans fa retraite, & lui dit entre autres chofes

» qu'il avoit coutume de le lailler au lit tous les matins lors qu'il fortoit

» pour exécuter fes commilTions, & qu'il efpéroit de l'y retrouver en:ore

» à fon retour. Il étoit prés d'onze heures, & M. le Vaffeur qui revenoit

» du Palais, voulant s'affurcr fur l'heure de la demeure de M. Defcartes,

» obligea le valet de fe rendre | fon guide, & fe fit conduire chez Mon-

» fieur Defcartes. Lors qu'ils y furent arrivez/ ils convinrent qu'ils entre-

» roicnt lans bruit, «Se le fidèle conducteur ayant ouvert doucement l'anti-

» chambre à M. le Valleur, le quitta auiïî tôt pour aller donner ordre au

» dîner. M. le Vaffeur s'ètant glillè contre la porte de la chambre de

» M. Defcartes, fe mit à regarder par le trou de la ferrure, & l'apperçut

Vie de Descartis. 10

�� � 74 Vie de Descartes.

cordialité des relations continuait ainsi entre l'ancien élève de La Flèche et les Jésuites \

Ces petits voyages exceptés, on peut admettre que pendant les trois années 1626, 1627 et 1628, notre philosophe vécut à Paris. Sans appuyer plus qu'il ne convient sur certains traits, on entrevoit cependant alors un Descartes jeune, vêtu à la mode (c'était la couleur verte en ce temps-là) , ne détestant ni la musique ni le jeu, et même heureux au jeu"; lisant même des

» dans l'on lit, les fenêtres de la chambre ouvertes, le rideau levé, & le » guéridon avec quelques papiers prés du chevet. [En marge : Rél. MS. » ibid.] Il eut la patience de le confidérer pendant un têms confidérable, » & il vid qu'il fe levoit à demy-corps de têms en têms pour écrire, & le » recouchoit enfuite pour méditer. L'alternative de ces poftures dura prés » d'une demie heure à la vue de M. le Vaffeur. M. Defcartes s'étant levé » enfuite pour s'habiller, M. le Vaffeur frappa à la porte de la chambre » comme un homme qui ne faifoit que d'arriver & de monter l'efcalier. » Le valet, qui étoit entré par une autre porte, vint ouvrir, & affefta de » paroitre furpris. Monfieur Defcartes le fut tout de bon, quand il vid la » perfonne qu'il attendoit le moins. M. le Vaffeur luy fit quelques repro- » ches, de la part de Madame le Vaffeur, qui s'éioit crû méprifée dans la » manière dont il avoit abandonné fa maifon. Pour luy, il fe contenta dé » luy demander à dîner, afin de fe racommoder enfemble. Apres midy » ils fortirent enfemble pour aller trouver Madame le Vaffeur, à qui » M. Defcartes fit toute la fatisfaftion qu'elle pouvoit attendre, non d'un » Philofophe, mais d'un galant homme qui fçavoit l'art de vivre avec tout » le monde. « Voir, pour une autre anecdote semblable, qui paraît n'être qu'une réplique anticipée de celle-ci, p. 35-36 ci-avant, note b.

a. Baillet, t. I, p. i36, place l'anecdote à l'année 1626 : « Pendant » qu'il ctoit en cette dernière ville {Poitiers), on vint prier M. le Val- » feur de vouloir honorer une théfe de fa préfence dans le collège des » Jéfuites [En marge : Rel. de M. le Vaff. MS.l M. le Vaffeur convia » M Defcartes de vouloir l'y accompagner : ce qu'il fit avec plaifir, quoy » qu'il fût déjà en réputation de ne pas eftimer la fcolaftique, ou la manière » dont les Pèripatéticiens traitent la Philofophie. Il voulut difputer même » à la théfe, & les Jéfuites fe tinrent tellement honorez de la manière dont » il en ufa dans un difcours latin qu'il fit d'abord, & dans fes argumens, » que le Père Recleur députa le lendemain deux Pérès de la Compagnie » pour l'aller remercier, »

b. Tome XI, p. i58, 1. i5-2o. Voir une note précédente, p. 72, note a, fin.

c. Tome IV, p. 529-530.

�� � Période de Jeunesse. 7^

romans, tout au moins VAmadis pour lequel il conservera tou- jours un faible """j ne reculant pas à l'occasion devant un duel (il connaissait bien, théorie et pratique, l'art de l'escrime)^, faisant d'ailleurs grâce de la vie à un adversaire qu'il avait désarmé, et ne lui imposant d'autre condition que de se pré- senter ainsi devant la dame pour les beaux yeux de qui l'on s'était battu : tels bientôt Rodrigue et don Sanche, dans le Cid de Corneille.

C'étaient là les mœurs du temps. Mais en outre, quelle atmosphère intellectuelle respirait-on à Paris, et comment un apprenti philosophe y pouvait-il être aidé dans son dessein de tout réformer ?

Descartes s'intéressait, sans doute, aux productions litté- raires, lui qui dès le collège avait été, dit-il, « amoureux de la » poésie'^ ». La vogue, pendant cette période de 1618 à 1626, fut à certains recueils de vers, fort licencieux, où une impiété

a. Tome I, p. 397, 1. 16-17, " P- ^9^-

h. Voir l'anecdote de Mad« du Rosay, t. X, p. 538. Il circulait encore une autre anecdote, mais dont Baillet a fait justice :

« Je fçay que quelques efprits oififs, dont toute l'induftrie confifte à forger » des aventures, s'entretiennent encore de quelque galanterie prétendue » que l'on a fauffement attribuée à M. Defcartes, touchant une Dame de » Touraine, qui fe vantoit d'avoir autrefois touché fon cœur, & de n'avoir » pourtant jamais reçu de luy que des civilitez innocentes. Elle s'appe- » loit de la Michaudiére, félon les uns, & de la Menaudiére félon les » autres. Il eft vray qu'il y avoit à Tours une Dame de ce dernier nom, )' du têms que M. Defcartes étoit en Hollande. Mais félon M. delà Barre » [En marge: Lettre à M. Legr. du 17 Août 1690. Lettre du 3o Août » 1690.] elle avoit le génie fi médiocre, que fon mérite n'a jamais pu » toucher ce grand Philofophe. Elle mourut le xxviii d'Août 1690, d'une » manière toute fubite. Il faut avouer que cette Dame ne s'étoit pas mis » trop en peine pour réfuter ou démentir ceux qui la complimentoient » fur ce point, ne fe croyant pas obligée de rejetter l'honneur qu'elle y » croyoit attaché. Mais il eft certain que M. Defcartes n'avoit jamais vu » cette Dame; & que cette Dame n'avoit jamais vu M. Defcartes qu'en » peinture, fur un tableau que M. l'abbé de Touchelaye avoit | rapporté » de Hollande au voyage qu'il y fit avec M. l'Abbé Picot en 1642, pour » aller rendre vifite à nôtre Philofophe. » (Baillet, t. II, p. 5oo-5oi.)

c. Tome VI, p. 7, 1. ro-i i.

�� � 76

��Vie de Descartes.

��fantaronne le disputait, il faut bien le dire, à la plus grossière obscénité^. Ils n'en .étaient que plus goûtés des jeunes sei- gneurs de la cour; n'en déplaise à Boileau plus tard, on les voyait, tous à l'envi,

A Malherbe, à Racan préférer Théophile.

Un de ces recueils pourtant parut dépasser les bornes, le Ramasse satyriqiie, publié en 1622, puis en i623. Le 1 1 juillet 1623, le Parlement ordonna d'arrêter quatre des auteurs, que l'on connaissait, en particulier Théophile de Viau. Pourtant huit à dix pièces seulement étaient de lui, sur 385, et encore une seule portait son nom ; mais c'était la première, en tête du

a. Le procès du poète Théophile de Viau [11 juillet 1623 au t" sept. 1625], par Frédéric Lachèvrk. (2 vol. in-8, Paris, Honoré Champion, 1909, xLvi-592 et 448 pages.) Voir t. I, p. xxv-xxviii, la liste des recueils en quesiion : Le Cabinet fatyrique, 1618, cinq fois réimprimé. Les Délices fatiriques, 1620.

b. Ibid., t. I, p. 1 1 3 : Le Parnajfe des Poètes fatyriques, M.DC.XXII, si!ns nom delibraîie, suivi de La Quint-ejfence Satyrique, ou Seconde partie du Parnajfe dei Poètes Satyriques de nojlre temps. Recherche^ dans les Œuvres fecrettes des auteurs les puis jlgnale^ de nojlre Jiecle. (A Paris, chez Anihoine de Sommaville, au Palais, en la Gallerie des Libraires près la Chancellc/ie. M.DC.XXII.) Ces deux recueils in-8 n'en forment, en réalité, qu'un seul. Le premier a 6 ff . lim. et 208 p.; le second est paginé irrégulièrement : 1-208, 207-222, 233-28o. Les deux parties renfermaient 385 pièces (i65 -(- 220) dont 128 de 18 poètes nommés, et 257 anonymes. Le nom de Théophile Hgurait en tête de la première pièce : « Sonnet par le fieur Théophile : Phylis, tout ejl f...,je meurs de la » V... », et ne reparaissait plus de tout le recueil. L'arrêt du 1 1 juillet 1623 ordonna d'appréhender au corps : Théophile, Frenide {sic, pour Frenicle), Colletei et Berthelot. — Le Parnajfe fatyrique fut réimprimé tel qi'el en septembre 1623, à dessein, semble-til, par les- ennemis de Théophile pour activer son procès. En 1623, pour la même raison, on en donna deux éditions nouvelles, avec son nom en vedette dans le titre : Le Par- najfe fatyrique du Jieur Théophile M.DC.XXV, in-8 de 38o pages. Le rnajfe des poètes Jatyriques ou dernier Recueil d:s Vers picquans et gr-! lards de nojlre temps. Par le Jieur Théophile. M.DC.XXV', in-8 de 38o pages. Dans ces deux éditions de i625, tout autre nom de poète a disparu (sauf Colletet, pour une. pièce seulement), afin de faire retomber sur Théophile, comme seul auteur, tout le poids de l'accusation.

�� � recueil, qui lui fut ainsi attribué. Le poète Théophile était comme le prince de cette folle jeunesse. Banni déjà le 14 juin 1619, il était rentré en France, grâce à de puissantes protections : il promettait d’ailleurs de se convertir au catholicisme (étant né protestant), et se convertit en effet, après la mort de son père en 1622. La première partie de ses œuvres fut publiée par Desbarreaux en 1621 ; elle commençait par une traduction française du dialogue de Platon, « de l’immortalité de l’âme » : les mauvais plaisants disaient « de la mortalité[154] ». Une seconde partie parut en 1623. Théophile avait pris la fuite, et s’était caché, non loin de Paris, à Chantilly, chez le duc de Montmorency. Un nouvel arrêt du Parlement le condamna, par contumace, à être brûlé en effigie, ce qui fut exécuté le jour même, 19 août 1623. Théophile jugea prudent de s’éloigner davantage ; mais comme il allait passer la frontière, il fut rattrapé au Catelet en Picardie, ramené à Paris sous bonne escorte, et emprisonné à la Conciergerie, dans la tour de Montgommery, le 28 septembre 1623. Son procès, un des grands procès du siècle, dura près de deux ans. Enfin, le 1er septembre 1625, l’arrêt définitif fut rendu, qui mettait à néant « les deffaux, contumaces et jugemens donnez contre ledict Theophille », mais « pour réparation des cas mentionnez audict procez », le bannissait à perpétuité du royaume de France. En même temps, par compensation, le Jésuite qui avait machiné toute cette méchante affaire, le P. Voisin, recevait l’ordre, « sans 78 Vie de Descartes.

» délais et sans répliques », de sortir aussi du royaume. Théo- phile ne se pressa point cependant de quitter Paris : il y demeura, plus ou moins caché, jusqu'à la mi-novembre i625 ; puis il accompagna quelques grands seigneurs à l'île de Ré, au château de Selles en Berry, enfin à Chantilly. Les premiers jours de septembre 1626, il revint même dans la capitale, mais pour y mourir presque aussitôt, le 25 septembre, à trente-six ans ; le lendemain, son protecteur, le duc de Montmorency, le fit inhumer en grande pompe : on ne comptait pas moins de dix-huit prêtres dans l'assistance '.

Descartes avait été absent pendant ce long procès : c'étaient les deux années de son voyage en Italie. Mais il se trouva de retour lors de la condamnation, qui ressemblait assez à un acquittement ; et il lut sans doute, comme tout le monde, ces pièces légères, en vers et en prose, que Théophile avait lancées de sa prison, pour se justifier même au prix de désa- veux et de repentirs, et qui, deux années de suite, en 1624 et en 1625, entretinrent la curiosité du public et sa sympathie. Elles ne cessèrent même point avec l'arrêt du i" septembre 1625, et il en parut encore jusqu'à la fin de cette année et l'année suivante S Ou s'il ne les a point lues, au moins con- naissait-il les œuvres de Théophile publiées dès 1621. Il en avait appris des vers par cœur, et s'en souvenait encore vingt- cinq ans plus tard : en 1647, dans une lettre à son ami Cha- nut, il cite de mémoire (et c'est la seule citation qu'il ait faite d'un contemporain) un quatrain de Théophile, le poète de leur jeunesse "'.

a. L.vcHÈvuE, loc. cit., i. I, p. 5o4-5o5, 5o6, S-S-Sjo.

b. Ibîd., t. II, p. 261 : ///^ Partie — Recueil Je toutes les pièces faites par Théophile, depuis fa prife jufyues à prefent. Mi/es par ordre. (A Paris, s. n., M.DC.XXV. In-8, p. 1-124.) On trouve le détail de ces pièces, ibia., p. 273-27S, ii" 25 346 inclus; une seulement est de iÔ23, onze de 1624, quatre de lôsS.

c. Ibid., t. Il, p. 280-285 : Pièces poui ou contre Théophile. N" 52 à 86 inclus.

d. Tome IV, p. 617, 1. 1-7 : lettre du r lévrier 1647. Voir Lachkvri:, loc. cit., i. II, p. 367. Ces vers se rcirouveni dans un Projet d'interroffa-

�� � Période de Jeunesse, 79

Les amis de Théophile n'avaient point tous fait preuve, au cours du procès, d'une grande fidélité. Desbarreaux lui-même, son premier éditeur et son ami de prédilection, « son bien- » aimé », comme on la appelé avec des sous-entendus vilains, se tourna un moment contre lui : Desbarreaux, bientôt à son tour prince des débauchés et des athées, mais qui sollicitait pour lors un siège de conseiller au Parlement de Paris, où il fut nommé le 3i mai i625\ Balzac lui-même, le trop léger

toire, parmi des questions toutes préparées, mais qui n'ont pas été posées à l'accusé. La proposition incriminée était : « Qu'il aimeroit mieux avoir » mis le feu à sa patrie que l'avoir irritée (sa maîtresse], et que Paris fit. » bien d'allumer l'embrasement de Troie pour amortir le sien. » (Ibid., t. I, p. 406.1 Toute la pièce, assez vive et légère de ton, n'a d'ailleurs rien d'obscène.

a. Jacques Vallée S^ des Barreaux, né à Châteauneuf-sur-Loire, le 6 nov. iSgg, fils d'un conseiller au Parlement de Paris, qu'il perdit le 24 nov. 1622, devint aussi conseiller en la même cour le 3i mai 1625, mais ne conserva pas sa charge ; il mourut à Chalon-sur-Saône, le 9 mai 1673. Ce fut le type du libertin et de l'athée au xvii« siècle. Descartes le connut-il? Peut-être. Mais à quel moment? Baillet assure, t. IT, p. 176, que Desbarreaux vint le voir en Hollande, l'été de 1641 ; mais Baillet cite en marge des lettres à Merscnne, dont il ne donne que les dates ; aucune de celles qui nous ont été conservées, ne nomme Desbarreaux ; et tout au plus se risque-t-on à le deviner dans un passage d'une lettre du 4 mars 1641, t. III, p. 332, 1. 6-9. Toutefois on peut alléguer deux textes de la correspondance entre Balzac et Chapelain. Dans les premiers jours d'août 1640, Balzac parle à ce dernier de « l'entreprife héroïque d'un » galant homme qui a paffé en ce pais, & qui va cherchant la vérité & » le bon vin par mer & par terre. Pour cet effet, il médite un pèlerinage » vers Monfieur Descartes à l'imitation de celui d'Apollonius vers Hiar- » chas. Néanmoins il remettra la vérité & Monfieur Descartes à l'année » prochaine, & ne paffera pas la mer, de cette campagne... Pour le » moment, il vifitera la Gafcogne, le Languedoc & s'arrefiera, pour faire » vendange à Frontignan. n A quoi Chapelain repond, le 11 août 1640 : « Nous verrons comment il l'exécutera (l'entreprife ou la penfée de B trouver la vérité & le bon vin) & s'il s'acquittera aulTi bien de celle qui » regarde l'Angleterre que de celle qui regarde la Provence. A vous en » dire toutefois mon opinion, je croy que l'année qui vient, il n'ira point » chercher Monfieur Descartes & qu'il fe contentera de ce voyage cy pour » tous les deux. Il croira fans doute qu'ayant trouvé le vin, il aura trouvé » la vérité. » Et le i5 déc. 1640 : « L'illuftre débauché n'eft pas encore » de retour. » Notons que, dans ces textes, il n'est pas question de la

�� � 8o V[K DE Descartes.

compagnon de Théophile dans un voyage en Hollande l'année i6i5, se montra dur pour lui, et injuste, et odieux, dans le recueil de Lettres qu'il publia en 1624, lorsque le poète était en prison, menacé de perdre la vie '. Descartes connut tout ce monde, et le coudoya du moins, si même il n'y fut mclé. En 1628, dans une querelle littéraire, il prit parti pour Balzac, qui venait de publier un second recueil de Lettres : il est vrai que le grand épistolier avait composé trois dissertations adressées « à Monsieur des Cartes », où l'on retrouve des maximes de morale, d'un stoïcisme mitigé, tout à fait sem- blables à celles que notre philosophe avait adoptées lui-même en 1619 '\ Ce serait à croire qu'il les lui a empruntées, afin de les mettre en beau langage : lui qui, comme le lui reprochait

Hollande, mais de PAngleterre, et qu'on parle de passer la mer. Chapelain croyait donc Descartes en Angleterre, sur la loi de Mersenne, qui le croyait lui-même, pour avoir ainsi inierprcté un passage d'une lettre du philosophe : lettre du i'^' avril 1640, t. III, p. 5o, 1. i3-20, et lettres du i3 et du 19 mai, t. IV, p. 2i3. Descartes, il est vrai, le détrompa, le 11 juin: t. III, p. 87, 1. 14.

a. LACHiiVRE, toc. cit., t. II, p. 171-187. Lettre à Boisrobert, du 12 sep- tembre, et lettre à Bouthillier, évcque d'Aire, du 20 septembre 1633. Ce sont les lettres XI et IX du recueil intitule : Lettres du S' de Balzac. (A Paris, chez Toussainct Du Bray, rue S. .lacques, aux Kpics Meurs. M.DC.XXIIII. Avec privilège du Roy.) Dans la première de ces deux lettres, on lit entre autres choses : « .le ne veux pas entreprendre fur la » Cour de Parlement, ny prévenir fes Arrefts par mon opinion : aulfi » bien, de penfer rendre cet homme là plus coupable qu'il s'ell fait luy » mefme, ce feroit jetter de l'encre fur le vifage d'un More. » A sa sortie de prison, Théophile y fit une réponse cinglante, qui ne fut imprimée qu'après sa mort, dans une édition de ses Œuvres en 1629, à Rouen, chez Jean de la Mare. A leur voyage en Hollande, Théophile (né à Clai- rac en Agenois, l'année 1590) avait vingt-cinq ans, et Balzac di.x-huit. Les jeunes gens se firent même inscrire à l'Université de Leyde, le 8 mai i6i5 : Balzac à la Faculté de Droit, et Théophile à la Faculté de Méde- cine. A Leyde, Balzac eut une assez vilaine histoire, dont Théophile semble l'avoir tiré. Il s'en souvint à !a suite des attaques de 1624; sa riposte se termine ainsi : « après une très exacte recherche de ma vie, il fe » trouvera que mon adventure la plus ignominieufe eft la fréquentation » de Balzac ». [Ibid., t. I, p. 10, et t. Il, p. i83.)

b. Tome I, p. i2-i3 et p. 56c).

�� � Théophile, « ne donnoit au public que ce qu’il avoit pillé des particuliers, et n’écrivoit que ce qu’il avoit luErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. ». Ces maximes sont d’ailleurs purement païennes, au bon sens du mot, et Balzac comme catholique était sujet à caution beaucoup plus que Descartes. Alla-t-il à Lorette, lors de son voyage en Italie l’année 1621 ? On ne sait pas ; toujours est-il qu’en 1623, il a parlé du pèlerinage, d’un ton singulièrement leste et sans révérence aucune[155].

Les esprits libres ne manquaient donc pas, à Paris et en France, ou plutôt les esprits forts, les libertins, bien que le procès de Théophile les rendît, à partir de 1625, beaucoup plus retenusErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Le P. Mersenne, dans un passage de son in-folio, achevé d’imprimer le 1er février 1623, évaluait leur nombre à 50.000 dans la seule ville de Paris, passage d’ailleurs presque aussitôt supprimé, et qu’on ne retrouve que dans de très rares exemplaires[156]. Le P. Garasse, dans sa

a. Ciié par Lachkvre, t. II, p. i83 : réponse de Théophile aux deux lettres de Balzac, ci-avant note a. Garasse, que Balzac avait aussi malmené, bien que ce fût son ancien professeur, lui répond entre autres choses : « …Ne rongez pas vos pattes comme un ours, pour produire en » iix mois une lettre de trois pages. » (Ibid., p. 199.)

b.

c. Lachèvri :, loc. cit., t. I, p. xxiv, a fait une curieuse statistique : « De » 1598 à 1625, onze recueils libres voient le jour en deux périodes : iSgS » 1607, cinq recueils ; 1614-1625, six recueils, sans compter quarante » deux réimpressions, alors (assure-t-il) que de 1626 à 1700, on ne » rencontre aucune publication nouvelle comparable en licence auxdits » recueils… » Et il pense être en droit de conclure que le but a été atteint : « Le libertinage a été étouffé en 1625, sans qu’il en ait coûté une » vie d’homme. L’atmosphère morale a été assainie. » (Page xxi.) Il va jusqu’à dire que la condamnation de Théophile, i" septembre 1625, est « une date qui marque la tin d’une période historique ». (Page 5o5.) N’exagérons rien.

d.

VlK DK DksCAKTKS. | |

�� � 82 Vie de Descartes.

Doctrine curieuse des beaux-esprits^, n'en compte pas tant, une centaine seulement contre loo.ooo bonnes âmes, et semble plus près de la vérité. Son gros livre de io25 pages (approuvé, notons-le, de Malherbe et de Racan) est surtout, lui-même le déclare, un Anti-Théophile : l'achevé d'imprimer, coïncidence fâcheuse, est du i8 août i623, juste la veille du jour où le poète fut brûlé en effigie. Le Jésuite, car c'en est un, s'y montre à la fois grossier et féroce : comme pour dicter aux juges leur sentence, il rappelle complaisamment le supplice, à Toulouse, 9 févriei 1619, du « prince des athées », Lucilio Vanini, « pauvre papillon », dit-il, « qui du fond de l'Italie est venu » se brûler au feu du Languedoc » . Il rappelle le supplice plus récent, à Paris même, en 162 1, de Jean Fontanier, convaincu aussi du crime d'athéisme, et se demande comment on ose encore, lorsqu'on est athée ou simplement déiste (c'est tout un à ses yeux), traverser sans frémir la place de Grève à Paris i^. Et il s'emporte contre la confrérie licencieuse de la « Croix de » Roses"^ ». Quelques vingt ans plus tard, en Hollande, Vanini

» athées, et celle qui la précède, ont été remplacées par un carton où le » chiffre formidable a disparu. Bien mieux, dans la préface, Mersenne » déclare que les impies exagèrent leur nombre. L'exemplaire de la 1) Bibliothèque nationale renferme les pages originales et le carton. . . >>

a. La Doâtine curiettfe des beaux efprits de ce temps ou prétendus tels, combattue & renverfée, par le P. François Garasse de la Compa- gnie de Jésus. I Paris, Sébastien Chapelet, 1623. In-4, i025 pages.) Garasse naquit à Angoulême en i585, et mourut à Poitiers, le 14 juin i63i. Nombre des athées, p. 788. Supplice de Vanini, p. 144-147; de Fontanier, p. 147-154. — Mersenne aussi, dans ses Qucejliones etc., de la même année, disait : « exemple Vanini, Atheorum Cœfaris ». (Page i56.!

b. Ibid. : « Malheureux, olez-vous bien paffer en Grève fans frémir, & » lans vous fouvenir qu'il y a encore allez de place pour vous, affez de » bois pour vous réduire en cendres, etc. ? » (Page 702.)

c. Ibid. : « Comme qui diroit les frères obliges au fec.et, les frères » cabaliftes, les frères bons ivrognes, qui portent bien le vin, & qui ne » publient leurs fecrets que dans les tavernes. « (Page 84.) Il rappelle que c'est la coutume en Allemagne « qu'en toutes les falles des hoftelleries il y » ait fur la table une couronne de rofes ou fraîches ou feiches, pendue au » plancher, pour dire qu'il faut garder le filence & s'oublier des paroles

�� � Période de Jeunesse. 85

est également le nom que Ton jettera à la tête de Descartes ; et les théologiens protestants d'Utrecht, plus acharnés contre lui que ne seront les catholiques et les Jésuites, voudront aussi faire brûler ses livres par la main du bourreau.

Pourtant le libertinage, comme on disait alors, pas plus celui de l'esprit que celui des moeurs, ne tenta jamais notre philo- sophe; au contraire, il entreprit plus tard de le combattre, et ce fut même une de ses raisons d'écrire. Les nouveautés phi-

  • losophiques ne paraissent pas l'avoir tenté davantage; et s'il

s'est rencontré avec les novateurs dans le même dessein de renverser Aristote, il ne s'accordait guère avec eux sur la doc- trine à mettre à la place. Il les cite tous une fois dans la même phrase, Telesio, Campanella, Bruno, Basson, Vanini, sans insister sur aucun d'eux : il avait peu lu ces auteurs, se con- tentant de jeter un coup d'œil sur les tables des matières, de feuilleter çà et là quelques pages, et refermant bientôt leurs gros livres où il ne trouvait rien qui le satisfît. Les modernes, pour lui, avaient les mêmes défauts que les anciens : le vrai- semblable leur tenait lieu an vrai, et était accepté par eux à ce titre. Mais on n'a pas le droit de dire alors qu'on sait, au

» licentieufes qui auront efté proférées parla chaleur du vin ». Et il cite le distique de Martial :

Inde rofam menfis hofpes fuf pendit amicis, Conviva ut fub ed diâa tacendafciat.

« Les frérots de la Croix des Rofes », dit encore Garasse, « ont efté con- » damnés à Malines comme magiciens & fous ce titre : pernicioftjffima » magorum Jocietas. » (Pages 90-91.) Enfin il donne ce détail curieux : règle de la confrérie, Omnes fratres virginitatÈm voveant. (Page 91.)

Les Rose-Croix ne furent pas oubliés dans le procès de Théophile. Dans le cinquième interrogatoire {7 juin 1624), dans le sixième (i5 juin 1624), et dans la comparution finale devant le Parlement, on lui demande : « Sy » c'eft luy qui a compofé ou fait imprimer un livre intitulé Les Enffans de » la Croix Ro\e, qui eft plain d'impieitez. » Théophile s'en défend avec énergie. (Lachèvre, t. I, p. 436, 444-445, 453 et 5oo.) Il y eut d'ailleurs nombre de publications à Paris, sur les Frères de la Rose-Croix, le années 1624 et 1625. (Variétés historiques et littéraires, par Édouai FouRNiER, Paris, chez P. Jannet, i855, t. I, p. 11 5-126.)

�� � sens propre du mot : savoir, c’est connaître ce qui est vrai indubitablement, et qu’on peut enseigner comme tel. Autrement, on usurpe le nom de savant ou de docte, et on abuse du terme d’enseigner, lequel n’a point de sens, là où il n’est point possible de démontrer[157]. Toutes ces attaques contre la scolastique n’étaient donc à ses yeux que des escarmouches, des combats d’avant-garde : l’action décisive n’avait pas encore été engagée[158].

La scolastique d’ailleurs, se sentant menacée, allait appeler à sa défense, comme la théologie, le bras séculier. Prudemment déjà Basson avait fait imprimer son livre hors de France, à Genève, en 1621 ^. Pierre Gassend, qui vivait loin de Paris,


c. Philofophia : Naturalis adverfus Arijiotelem Libii XII. In quibus abftrufa veterum phyliologia reltauratur, & Ariltotelis errores folidis rationibus refelluniur. A SEnAsriANo Bassone, doftore medico. Avec cette devise : « Amicus Plaio. amicus Socrates, fed magis arnica veritas. » La première édition parut à Genève en 1621 ; la seconde, qui n’est qu’une réimpression, paraîtra à Amsterdam, chez Louis Elzevier, en 1649. (In-8, 16 f. lim.. 63 I pages, et 40 pour la table.) Brucker en parle ainsi, Hift. Crit. Philojuphia’(Lipliie, 1766), t. IV, p. 467-468 : « …Sebartianum » Baffonem, qui in Prœfatione Philofophice naturalis IclUi dignilTima, >i tedatur, laboratiijje plurimos, vt veritatem quafi jepitltam eruerent, » int^cntia faxa. qiiœ viam prcepediebant, velfubmouijfe. veî certe crebris

�� � Période de Jeunesse. 85

fit paraître le sien à Grenoble en 1624 : Exercitationes para- doxicœ adversus Aristoteleos". Ce fut justement cette année 1624 (on était au plus fort du procès de Théophile, et la période de 1623 à 1625 est signalée décidément par une répres- sion rig-oureuse des idées nouvelles), qu'éclata l'affaire des thèses contre Aristote, Celles-ci, au nombre de quatorze, devaient être disputées publiquement, les samedi et dimanche, 24 et 25 août (jour de la Saint-Louis), par trois compagnons,

» difputationum iâibus valde concuffijfe, vt non difficile effet, ea remo- » uere, atque via facili ad veritatem peruenire. Imtno fuijfe plures » eorum, quitus complûtes Arijiotelicœ doârinœ falfttates paterent, » eafque non diffxmulajje. Quia tamen Peripatetica philofophia publico » fenatûs decreio iniunfla, régis auftoritate firmata, academia; Parifienfis » confenfu recepta fuit, nemo fere fuit, qui, quac inter amicos dilTerebat, » aui apud iuvenes difceptabat, publiée proloqui auderet, donec anno » MDCXXI, laudatus Sebaftiaiius Baflb, vir, ut iudicat Launoius acer- » rimi iudicii et fcientice maximœ, in libro modo addufto fignum quafi » tolleret, claflîcumque acf debellandam Ariflotelis philofophiam natu- » ralem caneret. Et tamen verifimile. elt, eum Parifiis id aufum non elfe; » liber enim iile non in Gallia, fed apud Geneuenfes anno MDCXXI » prodiit, poftea in Belgio obinfignem eruditionem recufus. »

a. Gassend (Pierre), né le 2% janvier 1552 à Champtercicr près de Digne en Provence. Élu théologal de l'église de Digne, le i" sept. 1614; ordonné prêtre en 1616, dans sa 25""= année; enseigna la philosophie à Aix, de 1617 à 1622 ; prépara et publia son ouvrage à Grenoble en 162JJ et 1624. Dédicace au baron d'Oppède, premier président du Par]eme,nt de Provence. Préface à Joseph Gaultier, prieur de la Valette (près de Toulon) : 24 févr. 1624. Gassend, qui avait été une première fois à Paris, avril-novembre 161 5, y revint en septembre 1624 (son livre avait paru à la fin d'août). En mars i625, il observe une éclipse avec Claude Mydorge, Mais en avril il retourna en Dauphiné et en Provence. Il revint encore à Paris en mai 1628; mais il partit sur la fin de cette année pour un voyage dans les Pays-Bas, en compagnie de Luillier. Ils furent absents neuf mois, et ne rentrèrent à Paris qu'en août 1629. Pendant cette première période, Descartes n'eut donc aucune occasion, semble-t-il, de rencontrer Gassend. (Paul Tannery tenait beaucoup à lui restituer ce nom, qui est en effet le sien, bien que l'usage ait prévalu de l'appeler Gassendi.) Le P. Fournier, entre autres, dans son Hydrographie en 1643, par exemple p. 578-583, imprime toujours : Munfteur Gajfand. Et dans les vers que nous avons reproduits, t. V, p. 495, v. 19 et 20, Gassend rime avec impuissant.

�� � 86 Vie de Descartes

Jean Bitault, Etienne de Claves « médecin chymiste », et Antoine Villon « le soldat philosophe ». Une des plus belles salles de Paris avait été retenue, et près de mille personnes y étaient assemblées déjà. Cette propagande par la parole parut sans doute plus dangereuse que celle des livres : avant que la dispute ne fût commencée, l'ordre vint du Premier Président d'évacuer la salle. Puis, à la requête de la Sorbonne, le Par- lement rendit aussitôt un arrêt, le 4 septembre 1624, ordon- nant que les thèses fussent lacérées, et les trois auteurs exilés du ressort de la Cour de Paris ; en outre, défense fut faite, « à peine de la vie », d'enseigner aucune maxime contre les anciens auteurs. La plus grande publicité fut donnée à cette affaire, notamment par le Mercure françois, qui la rapporta tout au long-'. Le P. Mersenne et Jean-Baptiste Morin approu-

a. Mercure français, tome X (imprimé en 1625, et contenant les années, 1623, 1624 et 1625), page 5o3-5i2. Texte de l'Arrêt du Parle- ment contre les trois nouveaux Philosophes Anti-Péripatéticiens :

« Veu par la Cour la Requefte prefentee le 28 Aouft 1624 par les » Doyen, Syndics & Doileurs de la Faculté de Théologie en rVniuerfité » de Paris, tendant à ce que, pour les caufes y conienuës, fuft ordonné » que les nommez Villon, Bitault & de Claues comparoiftroient en per- » fonne, pour recognoiftre, aduoùer ou deladuoûer les Theles par eux » publiées, & ouy leur déclaration eftre procédé contr'eux ainlî que de » raifon : cependant permis faire laifir lefdites Thefes, & deffenles faites » de les difputer : coppies imprimées defdites Thefes, pour ertres agitées » en public le 25 Aouft : Arreft du 29 dudit mois, par lequel- ladite » Cour auroit ordonné, que lefdites Thefes feroient communiquées aux » Doiileurs de la Faculté dé Théologie pour donner aduis fur icelles : » l'aduis de ladite Faculté du 2 Septembre contenant la cenfure des pro- » politions contenues efdites Thefes : le procez verbal de CalTault Huif- » fier, du 3 Septembre, contenant la perquifition .faite dudit Villon, ledit » de Claues ouy, conclurions du Procureur General du Roy, & tout » confideré,

B La Cour, après que ledit de Claues a efté admonefté, ordonne que » lefdites Thefes feront defchirees en fa prefence, & que commandement » fera fait par l'vn des Huiffiers de ladite Cour aufdits de Claues, Villon ■a & Bitault, en leurs domiciles, de fortir dans 24 heures de cefte ville de » Paris, auec deffenfes de fe retirer dans les villes &. lieux du relVort de » cefte Cour, enfeigner la Philofophie en aucune des Vniuerfitez d'iceluy, » & a 'outes perfonnes de quelque qualité & condition qu'ils foient,

�� � Période de Jeunesse. 87

vèrent la Sorbonne et le Parlement, dans leurs livres en i625\ Descartes, à son retour d'Italie, en eut certainement connais-

• mettre en difpute lefdites propolîtions contenues efdites Thefes, les » faire publier, vendre & débiter, à peine de punition corporelle, toit » qu'elles foient imprimées en ce royaume ou ailleurs.

» Faia deffenfes à toutes perlonnes, à peine de la vie, tenir ny » enfeigner aucunes maximes contre les anciens Autheurs & approuuez, » ny faire aucunes difputes que celles qui feront approuuees par les » Dofleurs de ladite Faculté de Théologie.

» Ordonné que le prefent Arreft fera leu en l'Ademblee de ladite » Faculté en Sorbonne, mis & tranfcrit en leurs regiftres, & outre cop- » pies collationnees d'iceluy baillées au Refleur de rVniverfité, pour » eftre diftribuees par les Collèges, à ce qu'aucun n'en prétende' caufe » d'ignorance.

» Fait en Parlement, & prononcé le 4 iour de Septembre 1624. Ledit » iour, ledit de aues mandé, lefdites Thefes ont efté defchirees en fa » prefence. Signé' Gallard. »

Etienne de Claves seul avait pu être arrêté. Villon, « ne voulant tenir « compagnie à la prifon de Théophile, de quoy il fut menacé, s'efuada. .. Chose curieuse, cependant, le nom d'Etienne de Claves est le seul qui ne figurait pas dans l'en-tête des Thèses, que voici : « Pofttiones pvblicœ. » loANNEs BiTAUDUs Xantoncnfis. Antonius de Villon Miles Philofophus. . Die Sabathi proximâ & Dominicâ 24 & 25 menfis Augufti 1624. Lute- » tias Parifiorum. In Palatio Reginae Margaritœ. »

Le Mercure ajoute que « ces Thefes furent depuis traduites en Fran- » çois par lean Baptifte Morin, Docteur en Philofophie & Médecine, qui » les feit imprimer, auec vne ample Réfutation ». Et il donne une longue analyse, p. 5o6-5i2, de cette réfutation. On lit, en marge, des choses comme celles-ci : « Villon dit que le monde fublunaire n'eftoit compofé » que de deux Elemens (fçauoir de Terre & d'Eau), & le mixte de cinq ). (d'Eau, de Terre, de Sel, de Souphre, & de Mercure). . . Villon par f es » principes banniffoit du monde la Matière & la Forme... Villon nie » tout principe de corps. » Et pour terminer : « Herefie qui Je tirait des » efcrits de Villon. » Cette hérésie était relative au mystère de l'Eucha- ristie. C'étaient déjà par avance les mêmes objections auxquelles les idées de Descartes seront aussi exposées. Le privilège pour ce tome X du Mercure français est daté du 18 mars 1625.

a. Mersenne, La Vérité des Sciences, 1625. Page 79 : « Thefes » d'Alchymie condamnées à Paris en 1624. Leur condemnation m'a » merueilleufement pieu. » C'est le Septique qui parle, et il énumère, sur la demande du Philofophe Chrétien, les 14 thèses condamnées : « II' me » femble qu'elles s'oppofoient particulièrement à la doclrine d'Arilfote, « & que les deus premières nioient la matière & la forme ; la troiliefmè

�� � 88 "Vie de Descartes.

sance; et qui sait? quand viendra le moment de rédiger sa philosophie, le souvenir qu'il en avait gardé, fut peut-être

» fe mocquoit de la priuation. . . Enfin ils fe vantoient de faire voir le » iour à d'autres thêfes, par lefquelles ils deuoient renuerfer tout ce » qu'on enfeigne des qualité^, & du mélang des élemens, de la gênera- it tion & de l'altération des météores, & de la nature & des propriété^ des » cieus. » (Page 8i.)

A quoi le Philofophe répond : « Il me iemble que quelques vn£s de » ces thefes font fort impertinentes : nommément les deus premières, » qui detruifent la matière & \a. forme; la feptieme, qui ne veut point » d'autres efpeces, ny d'autres genres que le diuers mélange de la terre, » de l'eau, dufel, dufouphre & du mercure ; la huicliefme, qui veut que » toutes les aâions viennent de leur mélange; & la treizième, qui affure » que toutes chofesjont en toutes chojes, & que tout ce qui ejl au monde, » ejî compofé d'atomes. Il eft fort facile de renuerfer toutes ces opinions, » & m'étonne comme ils ont été fi hardis que de faire ces proportions » en vne ville Chreflienne. >>

« Car s'il n'y a point de forme ny de matière, l'homme n'a Jonc ny » corps ny ame : ce qui eft contre la créance de la foy Catholique. »

« S'il n'y a point d'autres genres ny d'autres efpeces, qu'à raifon du » diuers mélange des cinq fubfiances qu'ils établiffent, donc l'homme eft » de mefme efpece que les pierres, que les plantes, & que les animaus : » ce qui eft tres-faus, & fans aucune apparence de vérité. »

« Si toutes les aâions viennent du mélange des mefmes fubfiances, il » faut donc conclure que les aftions de nos entendemens & de nos » volontez n'ont autre principe, ny autre fubjefl que le corps. »

« Enfin fi toutes chofes font en toutes chofes, il faut dire que le corps » fera dans l'efprit, & que l'entendement, la volonté, & tout ce qu'il y a » dans l'ame, fera vne mefme chofe que le corps : ce qui eft fi imper- » tinent, qu'il n'eft pas befoin de le réfuter. »

« Mais ie vous prie de me dire, fi elles n'ont point été condamnées R auec leurs auteurs. »

Le Septique répond : « Elles ont été cenfurées par les Doîfeurs de » Sorbonne comme téméraires & infolentes. C'eft pourquoy les Magi- » ftrats n'ont pas voulu qu'elles fuflent difputées, & ont banni les » auteurs de ces thêfes hors du refiort de tout le Parlement, afin de » reprimer l'audace & la témérité de tous cens qui veulent innouer. . . » (Page 82.)

« Il eft vray que les fauteurs de ces opinions exceptoient l'ame de » l'homme, quand ils nioyent les autres formes dans leur leconde thêfe, » auflfi bien que dans la feptiefme, lors qu'ils nioient la différence des » efpeces, que nous difons prouenir de la forme ; mais les do6tes & les » gens de bien iugeoient qu'ils n'exceptoient point l'ame raifonnable, qu'à

�� � Période de Jeunesse. 89

pour quelque chose dans sa détermination de se retirer hors de France.

En attendant, sans faire fi des curiosités littéraires et sans se désintéresser non plus des disputes scolastiques, Descartes devait être beaucoup plus attentif aux choses de la philosophie ou de la science, laquelle était pour lui surtout la physique renouvelée par la mathématique. Par exemple, le P. Mersenne, dans son énorme in-folio de 1623, oii il parle de tout, n'avait pas- manqué de faire mention des travaux d'optique de Claude Mydorge, trésorier de France à Amiens, qui habitait Paris^ On distinguait alors nettement la catoptrique et la dioptrique, l'une qui étudiait les miroirs, et l'autre les lunettes. Mydorge s'occupait surtout de catoptrique, et Descartes, comme nous verrons, de dioptrique. Mais l'une et l'autre des deux sciences recherchaient la meilleure courbure à donner aux surfaces polies, convexes ou concaves, courbure sphérique ou parabo- lique ou hyperbolique, c'est-à-dire les trois sections coniques. Mydorge, pour ses miroirs brûlants (ou plutôt « ardents », comme on disait alors), préférait la parabole. Descartes pré-

1) caufe de la peur du fupplice qu'on leur eût fai«il endurer comme h des » Libertins & des Athées, qui n'ont ny Dieu, ny l^cligion, s'ils eulVent » mis l'ame de l'homme au nombre des autres formes : ce qu'on penfe <■ qu'ils eulTent faicl s'ils n'eullent craint perfonne . . . » (Page 83.)

a. Qucejliones celeberrimœ in Genejim, i623 : c. xi à xvii, p. 498-538. — D'autre part, Lipstorp, dans ses Specimina de i653, p. 81, résume ainsi les trois années de Descartes à Paris (1626-16291 : « Interea elegan- » tioribus Viris quàm plurimis famà & alloquio innotefcebat. Hos inter ■ praecipuè eminebant Nobililf. Dn. Claudius Mydorgius, Senator Pari- » fienfis, in Francià Picardiae Qua;(lor, Florimondus de Beaune, in Curià » Blaefenfi Confiliarius Regius, R. P. Marinus Mercennus, Minorita, » Clarilî. loh. Bapt. Morinus. Mathematum cultores, & Mularum Ever- » getae ac promotores celeberrimi. Quorum primus Cartefio noftro vitra » quiDdam Parabolica & Hyperbolica, ut ik Ovalia & Elliptica prx-pa- » randa curaverat, quorum ope quantum fuerit promotus in mirabili » Refraélionum doilrinâ perficiendâ, norunt omnes ejus Amici. Quantum » autem opus ipfi contulerint Marinus Mercennus, <S( loh. Bapt. Mori- I nus, in novarum experientiarum fideli apparatu à le & aliis elegantio- » ribus comparato, dici fatis non poteft.idque epillolas ejus fatis arguent » in publicum propediem prodeundac. »

ViB DE DkSCAHTES. 12

�� � tendait démontrer, pour les lentilles des lunettes, l’excellence de l’hyperbole : c’était même là une de ses découvertes, dont il était en possession dès 1626[159]. Et comme elle n’intéressait pas seulement la théorie pure, mais qu’elle était susceptible d’application pratique, il en fit part à un ouvrier habile dans la taille des verres, Ferrier, capable de construire sous sa direction des instruments perfectionnés[160] ; plus tard, il voudra même attirer Ferrier auprès de lui, en Hollande, afin de le faire travailler sous ses yeux[161]. Il entra de même en relations avec un ingénieur, qui devint de ses amis, Etienne de Villebressieu : ils exécutèrent ensemble des expériences d’optique, qui étaient plutôt des curiosités amusantes, bien que fondées sur des raisons scientifiques[162]. Outre ses expériences sur la réfraction, faites de concert avec Mydorge[163], il communiqua à celui-ci ses solutions nouvelles des vieux problèmes à l’ordre du jour entre mathématiciens : duplication du cube et trisection de l’angle[164]. Enfin un professeur du Collège de France, astronome (d’ailleurs adversaire de Copernic) et aussi astrologue, dans l’ancien sens du mot, Jean-Baptiste Morin, se vanta plus tard d’avoir deviné Descartes[165] : il le connut donc personnellement, de 1626 à 1628. Mais la science n’était pas seulement étudiée pour elle-même et pour ses effets utiles : la grande préoccupation des esprits sérieux était de la faire servir, aussi bien que la philosophie, à combattre l’athéisme, la théologie ne suffisant plus à cette tâche. Le P. Mersenne ne craint pas de le dire, et excuse ainsi sa passion pour les recherches et les découvertes scientifiques : c’en serait fait de la religion, selon lui, si ses défenseurs n’étaient que des ignorants, étrangers aux-sciences ; on peut au contraire tirer de celles-ci de grands avantages pour s’élever à Dieu». Et il va jusqu’à publier un recueil de mathématiques, Synopsis mathematica, à l’usage des prédicateurs . Les titres de

a. Mersenne, Harmonie Vniuerfelle (l636). Livre VIII De l’Vtilité de l’Harmonie (pagination spéciale . « . . .11 me femble que ceux qui veulent bannir les fciences de la vie religieufe, font quali femblables à Julien l’Apostat. qui vouloir défendre l’eltude aux Chreftiens, afin qu’eftant dertituez de la lumière des fciences, ils deuinffent fi flupides, qu’ils ne peulVent fe detfendre contre les attaques des payens, & ne peuffent respondre à leurs objections. l’aduoùe librement’ que ie ne fuis pas de cet aduis, & que li les perfonnes dénotes fçauoient toutes les fciences en » perfection, par exemple, Il vn Religieux fçauoit la Philofophic auffi bien ou mieux que Platon & Ariftote, &’ la Géométrie aussi bien qu’Euclide, Archimede & Pergœus, qu’il auroit de grands auantages pour s’elleuer à Dieu. » (Page 20. j

b. Synopsis Mathematica, 1626. Mersenne la résume ainsi, dans un passage de son Harmonie Vniuerfelle, i636 : Livre VIII, De l’Vtilité de l’Harmonie & des autres parties des Mathématiques, p. i5 (pagination séparée) :

« Ils (les Prédicateurs) ne trouueront peuteftre pas hors de propos, que ie leur drefle l’idée de plufieurs prédications pour l’Aduent. »

« Surquoy ie dy premièrement que, s’ils fçauent vfer de l’abbregé, que i’ay tait imprimer pour eux, des principales parties des Mathématiques, intitulé Synopfis Mathematica : qu’ils pourront thoifir pour i’vn de leurs fermons quelque Proposition d’Euclide : pour le fécond, vne proposition d’Archimede : pour le 3, vne d’Apollonius : pour le 4, une de Serenus, ou de MenelauS, ou de Maurolyc : pour le 5, vne de l’Optique : pour le 6, vne de la Catoptrique : pour le 7, vne de la Dioptrique : pour le 8, vne de la Perspestiue : pour le g, vne des Parallaxes : pour le 10, vne du centre de pefanteur de 1 vniuers: pour l’onziefme, vne du centre des folides : pour le 12, vne de la ligne de direction : pour le 13, vne de la balance : pour le 14, vne des poids obliques : pour le 15, vne ou plusieurs des merueilles dit cercle : pour le 16, vne des machines : 92 Vie de Descartes.

deux autres publications de Mersenne sont significatifs : en 1 634, L'impiété des déistes, athées et libertins de ce temps combattue'^;

» & pour le xy, vne de l'Hydroftatique : & chaque iour l'on pourra » toufiours vfer d'vn mefme texte Vt Jugeret met de petra, oleumque de I) Jaxo durijjimo, pour le fujet de chaque fermon; car i'ay donné tous ces » Traitez dans ledit Abbregé. » (Page i5.)

« Pour lors (avait déclaré Mersenne, à propos de cette citation biblique » du chapitre 32 du Deuteronome), on ne dira plus que la Géométrie eft » plus feiche qu'vn caillou. » (Page 14.)

a. L'Impiété des Deijles, Athées, & Libertins de ce temps, combatuê, & renuerfee de point en point par raifons tirées de la Philojophie, & de la Théologie. Enfemble la réfutation du Poëme des Deijles. Œuure dédié à Monfeigneur le Cardinal de Richelieu, par F. Marin Mersenne, de l'Ordre des PP. Minimes. (A Paris, Chez Pierre Bilaine, rue faind lacques, à la bonne Foy, M.DC.XXIV. In-8, 5o pages non numérotées, plus 834 pages, et 9 pour la table) Permission du Supérieur (./Egidius Camart, général de l'Ordre), de Rome, 12 juin 1623. Approbation des religieux de l'Ordre, Paris, 25 janv., et celle des docteurs, 5 mai 1624. Privilège du Roy, 8 mai 1624. Dédicace, « de voftre Conuent de la Place » Royalle des FF. Minimes de Paris, ce 8 Juin 1624 ». A l'intérieur le titre est ainsi complété : Impieté des Deijles & des Athées defcouuerte & renuerfee. Et les opinions de Charron, de Cardan, de lordan Brun, auec les quatrains du Deijîe refute:{.

Ce n'est là qu'une première partie. Voici la seconde : L'Impiété des Deijies, & des plus fubtils Libertins découuerte, & réfutée par raifons de Théologie, & de Philofophie. Auec vu poëme qui renuerfe le poëme du Deijîe de point en point. Enfemble la réfutation des Dialogues de lordan Brun, dans lej'quels il a voulu ejlablir vne infinité de mondes, & l'ame vniuerfelle de l'Vniuers. Auec plufieurs difficulté^ de Mathématiques qui font expliquées daits cet œuure. Le tout dédié à Monfeigneur le Procureur General du Roy, par F. Marin Mersenne, de l'Ordre des PP. Minimes. Seconde Partie, ilbid., pet. in-8, 34 pages de préface, etc., plus 5o6 de texte et 53 d'index.) Mêmes dates que pour la première partie, plus celle-ci : Dédicace « à Monfeigneur Mathieu Mole, 9 juillet » 1 624 ». Notons cette double dédicace au procureur général et au premier président, lorsqu'on était au plus fort du procès de Théophile. Le bon Mersenne lui-même apportait son fagot au bûcher. — Le poème du Déiste, dont il parle, se composait de 106 quatrains que l'on faisait cir- culer sous le manteau. Il ne paraît pas avoir été imprimé. On le trouvera tout au long dans l'ouvrage cité de Frédéric Lachèvre, t. II, p. 91 : Le catéchifme des Libertins du XVIl'ftècle. Les quatrains du Déifie ou l' Anti- bigot {1622). Ces fameux quatrains sont tels, qu'un honnête homme peut fort bien y souscrire, et on ne voit pas ce qu'un philosophe comme Descartes y eut trouvé à reprendre.

�� � Période de Jeunesse. çj

et en 162 5, La Vérité des Sciences contre les Sceptiques ou Pyrrhoniens ".

De même, un auteur qui fut aussi des amis de Descartes, puisque plus tard en Hollande celui-ci demandera de ses nou- velles, Jean Silhon, fit imprimer en 1626 : Les deux Vérités, l'une de Dieu et de sa Providence, l'autre de l'immortalité de l'âme. Ces deux vérités (sauf cependant la Providence), sont précisément les mêmes que notre philosophe inscrira dans le premier titre de ses Méditations, en 1641 ; il est vrai que presque aussitôt, en 1642, il se ravisera et retiendra dans l'édi- tion suivante, surtout la première vérité, De l'existence de Dieu, se contentant d'y ajouter de la distinction de l'âme et du corps. Silhon, au contraire, avait repris en 1634 ses deux vérités et surtout la seconde, de l" immortalité de l'âme, et en avait fait la matière d'un ample volume de io56 pages.

Enfin Descartes connut aussi, de 1626 à 1628, un religieux de la nouvelle congrégation de l'Oratoire, le P. Gibieuf, et même assez intimement; celui-ci se croira autorisé à lui recom- mander un procès devant le Parlement de Rennes, où notre philosophe avait ses deux frères conseillers, et son père con- seiller honoraire. Gibieuf travaillait sans doute déjà à son grand ouvrage sur la liberté de Dieu et de la créature, De liber- tate Dei et Creaturœ, où Descartes croira retrouver quelques- unes de ses idées : plus tard, pour se défendre sur ce point de la liberté, il renverra ses adversaires au gros livre de l'orato- rien*". 11 est vrai que la doctrine de la grâce n'était pas encore ce qu'elle allait bientôt devenir dans l'Eglise, après la publica- tion de Jansenius (1640]. D'autre part, ce religieux de l'Ora-

a. La Vérité des Sciences. Contre les Septiques ou Pyrrhoniens. Dédié à Monlieur Frère du Rov. Par F. Marin Mersenne de l'Ordre des Minimes. A Paris, chez Toudaind du Bray, rue Saind lacques, aux Epics-Meurs. M.DC.XX\'.) Dédicace, i" août 1625. Privilège du Géné- ral des Minimes, 14 avril 1623. Approbation des Docteurs, 3o juin 1625. Privilège du Roy. 12 juillet 1625. In-8. 1008 pages.

b. Tome III, p. 36o, 1. 11-14, et p. 385-386 : lettres du 2 i avril et du 23 juin 1641.

�� � 94 Vie de Descartes.

toire" avait été d'abord un philosophe, qui pensait que la vertu païenne suffisait, à la rigueur, et qu'on pouvait se sauver sans connaître ni aimer Jésus-Christ, « enfin que nous n'étions pas » moins redevables de notre salut à notre propre volonté, qu'au » secours et à la miséricorde de ce divin Sauveur ». — « Vous » me paraissez un pauvre chrétien, » lui disait en plaisantant son supérieur le cardinal de BéruUe. « Vous n'avez pas assez » de reconnaissance pour Jésus-Christ; vous lui avez certaine- » ment plus d'obligation que vous ne croyez. » Mais nous

a. GiBiEUF (Guillaume), né vers iSgi, docteur de Sorbonne en i6ii, entra à l'Oratoire le i5 mai 1612, lors de la fondation. Il mourut au sémi- naire de Saint-Magloire, le 6 juin i65o. Son gros livre in-4o, De liber- tate Dei et creaturœ, parut en i63o; il eut aussitôt un très grand débit. Les propos qui suivent sont empruntés à la Bibliothèque Oratorienne : Recueil des Vies de quelques prêtres de l'Oratoire par le P. Cloyseault, publié par le P. Ingold, t. I, p. 142-144.

b. Bérulle (Pierre de), né le 4 févr. ib-jb, au château de Cerilly (près de Joigny-sur- Yonne) ; ordonné prêtre le 5 juin iSgg. Le 11 nov. 161 1, avec cinq autres ecclésiastiques de la Sorbonne, il fonda la Congrégation de l'Oratoire. Son but était la réformation du clergé, en réformant l'état de prêtrise : après la réforme des ordres religieux, celle des prêtres eux- mêmes. Il fut créé cardinal, le 3o août 1627. La nouvelle lui parvint à Paris, le 12 sept. ; et la cérémonie de ia remise du bonnet par la reine- mère, se fit le mardi 26 oct. 1627. !' issista au siège de la Rochelle : l'entrée des troupes du roi eut lieu ic 3o oct. 1628. Le 12 janv. 1629, parut chez A. Estienne une Vie de Jefus du cardinal de Bérulle. Il fut pris d'une fièvre violente le jeudi 27- sept. 1629, et mourut le mardi suivant 2 octobre. — Voir la Vie du Cardinal de Bérulle, par l'abbé M. HoussAYE. (Paris, Pion, 3 vol. gd. in-8, 1872-1875.) L'auteur trouva aux Archives Nationales, parmi les papiers de Bérulle, MS. 233, une fin de lettre avec ces mots : « . . .Monlieur, Voftre bien humble & obcill'ant » feruiteur Descartes. De Bloys ce 4= odobrc 1614. » Fl il en conclut d'abord (t. III, p. SSq), que les relations entre le philosophe et le reli- gieux remontaient à cette date. Mais, vérification faite : 1° rien ne rap- pelle dans ces quelques lignes ni l'écriture ni la signature du philosophe; 2» la date n'est pas 16 14, mais 1604; 3" cette lecture 1604 est confirmée par l'emploi du terme Monfieur ; en 1614, l'Oratoire était fondé, et on eût appelé Bérulle Mon Révérend Père. — Par contre, en 161 7, le pre- mier président du Parlement de Bretagne, M. de Cussei, était un neveu de Bérulle. Ajoutons enfin qu'en 1646, Cerizy, que Descartes connaissait aussi, publia un Éloge du Cardinal de Bérulle, que Merseniie vanta fort à Constantin Huygens, au moins pour la pureté de la langue.

�� � allons voir Bérulle et Descartes en présence, et l’intervention du fondateur de l’Oratoire fut peut-être décisive dans la vie du philosophe.

Ce fut à une conférence chez le nonce du Pape, Guidi di Bagno ; on l’appelait en France le cardinal de Baigné[166]. Un sieur de Chandoux (qui devait mal finir : compromis plus tard dans une affaire de fausse monnaie, il fut condamné à la potence[167]) exposa des idées nouvelles et fit impression sur les auditeurs, sauf toutefois un d’eux, qui était justement Descartes. Bérulle s’en aperçut, et invita notre philosophe à prendre la parole : celui-ci s’inclina, et avec une aisance dont tout le monde demeura surpris, il défit complètement son adversaire. Il prétendit prouver, par le même nombre de preuves, exactement le contraire, et le prouva. Le cardinal de Bérulle comprit aussitôt qu’il avait devant lui, non pas seulement un novateur, mais un réformateur véritable ; il l’entreprit donc et lui fit une obligation de conscience de consacrer désormais sa vie à la réforme 96 Vie de Descartes.

de la philosophie ". C'eût été un coup de maître pour le fonda- teur de l'Oratoire, que d'unir à sa réforme religieuse du clergé de France, une réforme scientifique et philosophique. Tourner tout de suite au profit de la religion une tentative qu'il estimait devoir être heureuse, quel rêve ! Et ceci se réalisa, en effet, non pas, il est vrai, dans la première période du cartésianisme, mais dans la seconde, celle de Malebranche, également prêtre de l'Oratoire. Il y eut alors comme une main-mise de la théo- logie sur la philosophie nouvelle ; celle-ci fut confisquée par le christianisme, c'est trop peu dire, par le catholicisme même : un mystère comme l'Incarnation, et par suite l'Eucharistie, devint presque une pièce maîtresse et comme la clé de voûte

a. Voir t. I, p. 217-218. — Baillet continue : Descartes n'avait pas la pensée " de faire palfer le fieur de Chandoux pour vn charlatan devant » raiVemblée. Il ne trouvoit pas mauvais qu'il fit profefTion d'abandonner » la Philofophie qui s'enfeigne communément dans les Écoles, parce qu'il » étoit perfuadé des rail'ons qu'il avoit de ne la pas fuivre; mais il auroit » fouhaiié qu'il eut été en état de pouvoir luy en ("ubflituer une autre, qui » fût meilleure & d'un plus grand ufage. [En marge : Mem. MM. de » Claude Clerfelier.j II convenoit que ce que le lîeur de Chandoux avoit » avancé, étoit beaucoup plus vray-femblable que ce qui fe débite fui- » vant la méthode de la fcholalHque; mais qu'à fon avis, ce qu'il avoit » propofé, ne vaioit pas mieux dans le fonds. Il prétendoit que c'étoit » revenir au même but par un autre chemin, & que fa nouvelle Philofo- « phie étoit prefque la même chofe que celle de l'École, déguilée en » d'autres termes. Elle avoit félon luy les mêmes inconvéniens, & elle » péchoit comme elle dans les principes, en ce qu'ils étoient obfcurs, & » qu'ils ne pouvoient fervir à éclaircir aucune difficulté. Il ne fe contenta » point de faire ces obfervations générales; mais pour la fatisfacHon de la » compagnie, il defcendit dans le détail de quelques-uns de fes Jéfauts » qu'il rendit ires-fenfibles, ayant toujours l'honnêteté de n'en pas attri~ » buer la faute au fieur de Chandoux, à l'indultrie duquel il avoit lou- » jours foin de rendre témoignage. Il ajouta enfuite qu'il ne croyoit pas » qu'il fût impoilible d'établir dans la Philofophie des principes plus » clairs & plus certains, par lefquels il feroit plus aifé de rendre raifon » de tous les effets de la Nature. »

« Il n'y eut perfonne dans la compagnie qui ne parût touché de (es » raifonnemens; & quelques-uns de ceux qui s'étnient déclarez contre la » méthode des Écoles pour fuivre le (leur de Chandoux, ne firent point » difficulié de changer d'opinion, & de fufpendre leur el'prit pour le déter-

�� � Période de Jeunesse, 97

du système. Ce fut là, certes, une déviation de la doctrine de Descartes; mais Malebranche, sans le savoir, revenait à la pre- mière pensée de Bérulle; et c'eût été une grande déception puur ce dernier, que notre philosophe, porté par l'élan naturel de son esprit, ne se soit pas montré tout d'abord aussi ortho- doxe en philosophie, que l'avait espéré le religieux.

En tout cas, Descartes suivit le conseil de Bérulle, lequel s'accordait trop bien avec ses dispositions personnel'es et ce que ses amis attendaient de lui. Ne le regardaient-ils pas comme le champion de la philosophie nouvelle, seul capable de prouesses contre les Géants de l'Ecole^? Au bout de ces neuf années, il était prêt à écrire enfin sa métaphysique,

» miner comme ils firent dans la fuite à la philofophie que M. Delcartes » devoit établir fur les principes dont il venoit de les entretenir. Le Car- >> dinal de Bérulle fur tous les autres [en marge : Clerfel. ibid.] goûta » merveilleufement tout ce qu'il en avoit entendu, & pria M. Defcartes » qu'il pût l'entendre encore une autre fois fur le même fujet en parti- » culier. M. Defcartes, fenlible à l'honneur qu'il recevoit d'une propofi- » tion fi obligeante, luy rendit vifite peu de jours après & l'entretint des » premières penfées qui luy étoient venues fur la Philofophie, après qu'il •> fe fût apperçù de l'inutilité des moiens qu'on emploie communément ■y pour la traitter. li luy fit entrevoir les fuites que ces penfées pourroient » avoir, fi elle-, étoient bien conduites, & l'utilité que le Public en reti- » reroit, fi l'on appliquoit fa manière de philofopher à la Médecine & à » la Mèchanique, dont l'une produiroit le rétablilTement & la conferva- « tion de la fantè, l'autre la diminution & le foulagement des travaux des » hommes. Le Cardinal n'eût pas de peine à comprendre l'importance » du delVein : & le jugeant très-propre pour l'exécuter, il employa l'auto- )• rite qu'il avoit fur fon efprit pour le porter à entreprendre ce grand » ouvrage. Il luy en fit même une obligation de confcience, fur ce » qu'ayant reçu de Dieu une force & une pénétration d'efprit avec des )i lumières fur cela qu'il n'avoit point accordées à d'autres, il luy ren- » droit un compte exac^ de l'employ de fc.. lalens. & feroit refponfable » devant ce juge fouveia'n des hommes du tort qu'il feroit au genre '• humain en le privant du fruit de fes méditations. [En marge : Clerfel. » ibid.] Il alla même jufqu'à l'alinrer qu'avec des intentions aulfi pures & » une capacité d'elprit aullî vafie que celle qu'il luy connoiiVoit, Dieu )j ne manqueroit pas de bénir fon travail & de le combler de tout le » fuccez qu'il en pourroit attendre. >• Baillet, t. I, p. 164-165.) a. Tome I. p. 570. 1. 28, à p. 571. 1. i.

VfK uE Dr.scARTrs. i3

�� � comme il l’avait dit déjà à Mersenne[168] : ce sera l’affaire de quelques mois. Il était prêt même à écrire sa physique, et n’aura besoin pour cela que de deux ou trois années. Seulement il prit la résolution de quitter Paris et la France : il lui fallait la tranquillité d’une retraite à la campagne, sous un climat favorable. Il pensa ne trouver ce qu’il désirait, qu’à l’étranger, dans un pays qu’il connaissait déjà : l’Italie ne lui convenant pas, à cause du climat, il choisit de préférence la Hollande.



LIVRE II

��CHAPITRE PREMIER

EN HOLLANDE (1628- 1649)

��Descartes se trouvait encore en France, et plus exactement en Bretagne, au printemps de 1628'. Mai» l'automne de cette même année, il était en Hollande. 11 n'alla donc pas au siège de La Rochelle, si ce n'est pour une courte apparition, assez invraisemblable^ l'été de 1628. Cette place forte, dernier bou- levard de la rébellion des huguenots, se rendit à Louis XIII, le 3o octobre. Or le 8 du même mois, Beeckman note avec soin, sur son Journal, l'arrivée de Descartes à Dordrecht ^. Les deux

a. Tome I, p. Syi : lettre de Balzac, 3o mars 1628.

b. Tome X, p. 33 etp. 33i. — L'unique témoignage que Ton ait, que Descartes ait assisté au siège de La Rochelle, est celui de Pierre Borel, Carte/il Vitœ CompenJiunt, i656, p. 4 : «... & in obfidione RupeUenfi » aliifque militaribus aclionibus etiam voluntariè adfuii. » Cette phrase fait suite à deux autres que nous avons citées, p. 66, note a, et p. 60, note a. Dans ces dix à douze lignes, Borel a rassemblé les quatre sièges fameux de ce temps-là : Bréda (deux sièges), Gavi, La Rochelle, et ne manque pas de faire assister son héros à tous les quatre. Mais le fait est inexact pour Bréda, douteux pour Gavi, et après le renseignement de Beeckman, il parait inexact aussi pour La Rochelle. D'autant plus que les inexactitudes continuent dans le récit de Borel : voir notre t. I, p. 207.

�� � loo Vie de Descartes.

amis étaient heureux de se revoir, après une si longue absence, et de reprendre des relations qui allaient durer cette fois, puisque notre philosophe revenait définitivement.

Les Provinces-Unies, comme on les appelait, étaient peut être le pays d'Europe qui, pour un homme d'études, offrait alors le plus d'avantages. Elles venaient de conquérir leur indépen- dance, après une lutte victorieuse contre l'Espagne, où elles s'étaient révélées comme une puissance militaire de premier ordre : leur armée, nous l'avons vu, était la grande école où venaient de partout s'aguerrir les jeunes nobles". Comme puis- sance commerciale, la Hollande tenait aussi le premier rang : son commerce, qui s'étendait à tous les pays de l'ancien et du nouveau continent, faisait d'elle à cet égard le centre du monde. De curieuses estampes de ce temps-là nous montrent l'intérieur de la Bourse d'Amsterdam, avec une foule cosmo- polite, où les larges chapeaux de feutre des marchands du pays se mêlent aux turbans enroulés des Turcs et aux bonnets poin- tus des Arméniens; c-t Descartes nous parle lui-même de ce grand port, entrepôt de tous les produits des deux Indes^ Cette prospérité matérielle n'était pas la seule : la Hollande ambi- tionnait aussi, comme il convient, la gloire des lettres, des sciences et des arts. La ville de Leyde, en récompense du long siège soutenu par elle contre les Espagnols, avait demandé et

��a. Voir ci-avant, p. 40-42.

b. Ciianut, résident du roi de France en Suède, rend ce bel hommage à la puissance commerciale de la Hollande, dans une lettre à M. de Brienne, écrite de Stockholm, le i5 déc. 1646 : ■< Il n'eft pas aifé de » diuertir le commerce de la Holande, où il fe fait depuis longues » années par la commodité de leurs haures, la fituation auantageufe au >' milieu des eaues, au delVous de l'Allemagne, & comme au centre de )) l'Europe, & où il s'exerce par vne longue traditiue de toutes les rufes » du traficq. Mais fi cela fe peut, on ne le doit point efperer par eftablifle- « ment de Compagnies, qui n'eurent jamais aucun fucces en France, » où elles fe propofent auec chaleur, fe forment à la hafte, fe refroi- >. diffent aux premières difgraces, & fe terminent enfin en procès entre .. les alfociez. » (Paris, Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 700. 1

c. Tome I, p. 203-204 : lettre à Balzac, 5 mai i63i.

�� � obtenu, en 1575, une Université, qui grandit rapidement, au point de dépasser, vers le milieu du xviie siècle, même les Universités d’Allemagne. Utrecht voulut avoir aussi son « Ecole Illustre » d’abord, en 1634, puis aussitôt après, en 1636, son Université ; Descartes vit naître celle-ci, et espéra même un moment qu’elle deviendrait le foyer de propagande de ses nouvelles doctrines. En 1646, Bréda eut son Académie, fondée par le Prince d’Orange. Et depuis 1632, une Académie encore existait à Amsterdam, la ville des marchands par excellence. Mais les marchands de ce pays-là avaient toutes les curiosités de l’esprit : leurs bibliothèques étaient pourvues de livres, et leurs appartements ornés d’estampes et de tableaux. C’est pour eux que peignaient et gravaient tant d’artistes, Rembrandt en tête ; et pour eux aussi que tant de belles éditions étaient imprimées, à Leyde et à Amsterdam, par la dynastie des Elzeviers. Descartes s’adressera à ces maîtres-imprimeurs pour quelques-uns de ses ouvrages, comme il demandera aussi son portrait au grand peintre de Harlem, Frans Hals. Et déjà bien des livres de France et même d’Italie (telle œuvre de Galilée, notamment[169]), qui n’auraient point paru sans difficulté dans leur pays d’origine, profitaient de la grande liberté qui régnait aux Pays-Bas protestants.

Il ne semble pas cependant que cette liberté fût la principale raison du choix de notre philosophe, bien différent en cela d’un de ses contemporains et compatriotes, Claude Saumaise. Celui-ci le déclare franchement, les savants de Leyde ne lui firent pas bon accueil, le regardant comme un intrus, qui venait prendre une de leurs places ; et le climat non plus ne lui était guère favorable, « quatre mois d’hiver », dit-il, « et huit mois 102 Vie de Descartes.

» de froid » . Mais, ajoute-t-il aussitôt, « c'est tout ce qui me » déplaît en ce pays; tout le reste m'agrée, et surtout la liberté. » Notre France n'est plus France pour ce sujet, et c'est ce qui » me la fera moins regretter". » N'oublions pas que Saumaise était huguenot, ou plutôt il le devint, de catholique romain qu'il était d'abord ; et s'il a quitté la France, c'est que la liberté y devenait moindre tous les jours pour ceux de sa religion. Il se félicitait de plus en plus d'avoir changé, appréciant fort d'être libéré « du pape et de la messe, des chapelets et grains bénits,

a. Lettres de Saumaise à M. du Puy, prieur de S. Sauveur à Paris. {Bibl. Nat., MS. fr., coll. Dupuy, 71 3) :

« A Leyden, ce 20 Nouembre i632 : ...n'ayant eu tout iufte que ce » qu'il me falloit de temps pour arriuer en ces quartiers auant l'hyuer qui » commence toufiours ici de bonne heure & finit bien tard. Et c'efl; tout » ce qui me defplait de ce pais, où toutes chofes au refle m'agréent fort » & fur tout la liberté. Noftre France n'eft plus France pour ce fubied, & » c'efl: la caufe qui me la fera moins regretter. . . » (Fol. i3.)

« A Leyden, ce 23 lanuier i633 : . . .L'air d'ici commence à ne m'eftre » gueres fauorable, & moins encore à ma famille. le tafcherai neant- » moins à m'y accommoder & accouftumer. l'aime mieux uiure ici, que » uiure en France; mais i'aimerois mieux uiure en France, que de mourir » ici. . . » (Fol. ig.)

« 1 1 mars 1634, Leyde : Pour moi, ie ne penfe qu'à recouurer ma » fanté ; ie ne fçai fi l'en viendrai à bout à ce renouueau. Elle empire » pluftoft que d'amander. Il faudra tout voir & fe refoudre à tout, plu- » ftoft que de reprendre le chemin de France, puifque la liberté y » deuient moindre touts les iours pour ceux de ma profeflîon. Encore » vault il mieux endurer la fumée que de fe ietter au feu. . . » [Fol. 35 verso.)

« A Leyde, ce i luin 1637 : . . .Nous auons au refte fenti en ce climat » de feptentrion des chaleurs depuis vn mois en ça, qui ne font pas tole- » râbles & qui ne cèdent pas aux plus grandes que l'on fent quelquefois B en France. l'aucis couftume de dire à nos Hollandois qu'ils auoient en » toute l'année quatre mois d'hyuer & huit mois de froid ; mais i'ai bien » (efté) contraint cette année de changer de langage. Nos aftrologues » iugent par la que l'eft'ctl de la comète a ceffé & que nous aurons doref- )> enauant les faifons plus réglées, c'eft à dire les eftés chauds & les » hyuers froids. Oultre cela il y a quafi trois mois qu'il ne pleut point en » cette contrée. Ce qui caufe la peiïe en beaucoup de villes & de nos plus >> voifines. Elle n'eft point encore en cette ci ni à la Haye. . . » (Fol. 12g verso.)

��

En Hollande.

et autres bagatelles[170] ». Plus tard, en 1638, il se moquera du vœu de Louis XIII (vouant la France à Notre-Dame), mauvaise affaire, selon lui, si les Espagnols s'avisaient par contre de se vouer à Jésus-Christ, qui doit être plus puissant que sa mère[171]. Nous sommes loin de Descartes, dont Saumaise dira d'ailleurs, pour l'avoir vu à Leyde en 1637, que c'était un catholique, et « des plus zélés[172] ». Nous verrons, en effet, notre philosophe, fidèle à la règle de conduite qu'il s'était tracée, choisir toujours avec soin les endroits où l'on pratiquait le catholicisme. À cet égard, les Provinces-Unies comprenaient trois évéchés, Leuwarden, Groningue et Harlem, avec un archevêque résidant à Utrecht. Au début de son séjour en Hollande, Descartes s'installa d'abord, entre Leuwarden et Groningue, à Franeker, où il y avait, outre les prêtres ordinaires, au moins deux religieux, un Franciscain et un Jésuite, naturellement en rivalité. À Leyde, où il demeura à deux reprises, en 1636-1637 et en 1640-1642, Saumaise nous dit que « quantité de catholiques s'y trouvaient, et des principaux, qui y avaient leur culte assez libre, quoique en maisons privées[173] » ; il s’y trouva même, précisément vers 1640, un Jésuite et un Oratorien : on a le nom de celui-ci, Ellequens. Enfin, Egmond, que Descartes habita de 1643 à 1649, était peut-être le pays le plus catholique de la Hollande, ainsi qu’Alckmar et Harlem : on pouvait même, dans cette dernière ville, faire ses dévotions devant une image de la Vierge, en récitant les litanies de Lorette[174]. Et Descartes, au cours de En Hollande. io^

polémiques philosophico-religieuses, fut couramment traité de papiste, d'élève des Jésuites, Jésuite lui-même, dans des pam- phlets où d'ailleurs, quelques pages plus loin, on l'assimilait à Vanini, prince des athées.

Ces attaques lui venaient de ministres protestants, qui firent campagne contre lui avec la dernière violence. Notre philo- sophe, certainement, n'eût pas essuyé en France autant de persécutions. Les Jésuites auraient ménagé en lui leur ancien élève, qui ne demandait aussi qu'à faire preuve d'une soumis- sion parfaite extérieurement. Mais les théologiens huguenots, en Hollande, plus violents de nature, et, si l'on ose dire, plus grossiers, encore dans l'ivresse d'un triomphe récent et qu'ils avaient payé cher, rendaient maintenant les coups sans compter, et montraient dans les moindres choses la plus rigoureuse intransigeance. Un ministre français, qui exerça son ministère à Bois-le-Duc, le constate avec chagrin. En France, dans les Parlements et autres tribunaux, dit-il, magistrats et avocats protestants siègent comme les catholiques sous les images du Christ et delà Vierge, suspendues aux murs des prétoires ; les protestants assistent aux convois funèbres des catholiques, oii, comme dans les processions, se déploient les bannières des confréries et autres emblèmes ; ainsi le permet le synode national de Charenlon. Mais pour des choses semblables en Hollande, pour moins que cela, à Bois-le-Duc, un gros scandale éclata, et toute une guerre de pamphlets où nous verrons que Descartes prit part, justement au sujet d'une confrérie de Notre-Dame-'. Si donc ce fut la liberté ou la

a. Samuel Des Marets [Maresius), ministre et théologien protestant, dans la dédicace de son livre Uliima Patientia, &c., adressée à son frère, Charles Dcs-Marets, avocat au Parlement de Paris, et datée de Gro- ningue, 2u oct. 1645, disait ceci : « . . . Hoc Belgium doclorcs habet eriili- >' cos... Plccleliam controvcrfiis non neceffariis 'tonturhant. Gratiiloi » noUra; Gallia; Eccleliis Reformatis, quod licet nullis in Orbe quoad » puritatem cédant, tamen hue ulque ab ejufmodi fcrupulis procul fuêre. " Pag. III.) ...Tranfeo quôd ludices «Se Senatores. Reformati in dica- » tlcriis publicis fedeant citra (crupulum l'ub imagiiiibus Cnicitixi & ). B. Maria.-, & iifdem in locis noftrif Religionis Advocati, m tu l'a-pil"-

Vlt DE DtbCARlES. 14

�� � io6 Vie de Descartes.

tolérance philosophique et religieuse, qu'il vint chercher en Hollande, il ne l'y trouva pas, certes, du moins au même degré qu'il l'aurait eue en France.

En réalité, notre philosophe ne demandait qu'une chose, une solitude relative, afin de pouvoir travailler à son aise, sans dérangement. Il voulait échapper à ces obligations de société, qui, à Paris et même en province, lui prenaient tout son temps. En France, il aurait trouvé toujours trop d'importuns à son gré et de fâcheux, qui ne respectent pas assez la vie privée, même consacrée au travail et à l'étude, tandis qu'en Hollande les habitudes et les mœurs permettaient à chacun de vivre à sa guise etcomme il l'entend". Qu'on ne s'imagine pas cependant que Descartes ait été un sauvage, un solitaire farouche, ennemi de toutes relations sociales. Sa correspondance montre assez qu'il n'oubliait pas ses amis de France, et qu'en Hollande même il ne tarda pas à contracter un assez bon nombre de fidèles amitiés .

» limè.^nte ealdem imagines caufas dicant. [Pag. iv.) Sexcenta ejufmodi » poffem enumerare, in quibus mei prascififtas crimeh idololatris partici- » patae facile poflent imaginari. Sed maxime ad hanc meam quîeftionem » pertinet, quôd Synodus Nationaiis Carentonia penuhima decrevit fas » effe piis & fidelibus, iis in locis in quibus mos iile jam inoleverat, » Pontificiorum funeribus & exequiis intereffe, licet in iliis vexilla ido- » lolatriae circumferantur & varii exerceantur adus Superftitionis illi- » citae... Hoc carpere \ei defendere nolo ; folùm volo non tam longe » proceffiffe meos Sylvasducenfes quos defendo. . . » {Pag. v.)

a. En Hollande même, il préféra aux grandes villes les endroits plus tranquilles, et même les endroits solitaires, pour les mêmes raisons. C'est ainsi qu'en i632, il quitta Amsterdam pour une toute petite ville, Deventer, et Golius écrira là-dessus à Huygens, le i'"' nov. i632 : « Ipfe » (Descartes) nunc Da'ventriam fecefïït, ut fe turbae & compellationibus » eximat, & poftea fe fruftuofius operibus impertiat. » Huygens regret- tait d'ailleurs qu'à Amsterdam même Descartes vécût presque dans la solitude, et il écrivait à Golius, le 7 avril i632 : « . . .Galli amici. . . tui, » cujus in magnà urbe [Amsterdam) paulum fepultae diftat inertiae celata » virtus. » [Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1896, p. 495 et 497.)

b. LiPSTORP en énumère quelques-unes, mais il en omet beaucoup d'autres, Specimina, i653, p. 85-86 : « Tangamus verbo ejus mores...

�� � En Hollande. 107

La plus ancienne fut avec Isaac Beeckman, puisque leur première rencontre date du lo novembre 1618; et c'est lui que Descartes, aussitôt revenu en Hollande, alla voir tout d'abord". Il y eut bien ensuite une grosse brouille entre eux, et notre philosophe écrivit des choses dures à son ami : mais c'était en latin, ce qui tirait moins à conséquence, et on se réconcilia. En attendant, Beeckman se montrait dévoué jusqu'à la bourse inclusivement, puisque Descartes mandera à Ferrier de ne pas craindre d'y puiser pour ses frais de voyage, de Dordrecht jusqu'à Franeker en 1629. Beeckman était, nous l'avons vu, un savant universel pour le temps, et il avait commencé par être docteur en médecine. Descartes se lia encore avec au moins deux autres médecins, en i63o, à Amsterdam : un catholique, Plempius, qui devint bientôt professeur à l'Université de Louvain dans les Pays-Bas espagnols", et un Allemand de Silésie, établi en Hollande, Elichman, inventeur de remèdes dont profitera Saumaise ; c'était un libre esprit, curieux de

» Illud intérim Une | affedu & veritatis jadurâ de eo dicere poffumus, » iilum ira apud Batavos prx-fertim vixifle, ut (quod de Germanis noflris » alio loco Tacitus loquitur) plus apud ipfum vaiuerint boni mores, » quàm alibi bona; leges. Sanè tam incorruptè, fobriô, temperanter, & piè » vitam apud iilos traduxit, ut earum virtutum ornamentis non minus » quàm iplius excellenti eruditione illedi, plures ipfum Viri Reverentià, » Nobilitate, Claritate & Eruditione eminentiores impenfè coluerint, & » gratiiïimâ ejus virtutes memorià adhuc recolant. Fuere inter illos prx- » cipui Illullris Ctaudiiis Salmafius ; Samuel Mareftus, & Abrahamus r> Heidanus, Theologix Doclores, Profed'ores, & Eccleliai^a;, aher in " Academià Groningenli, hic in almà Lugduno-Batavà ; Adrianus Hee- n rebordius, Illultris Collegii DD. Ordinum Holl. <S: Wtft-fV. Sub- » regens, & Philof. in hac Univerl. Profellor ; Jacubus Golius, & » Fraucifcus Schotenius, Matiiematici hujus Academiic percelebres ; » Johannes de Raey, Medicinie & Philofopliix- Dovilor cxcellens; Gotko- » fredus ab Haftrecht Nobilis Leodicenfis, Cornélius Hongland Nobilis » Batavus, Mon/. Picot Nobilis Gallus ; Mon/'. Chilot, nunc Portugalli;u '• Régis Mathematicus, «S: alii innumeri, omnes cruditionis fama celc- » briores. »

a. Voir ci-avant, p. 43-46. El surtout, t. X, p. 22-28, et p. 35-39.

b. Tome I, p. 14, 1. 29, à p. i5, 1. 2 : leitre du 18 juin 1629.

c. Voir notre t. I, p. 401.

�� � langues orientales, et que la religion n’embarrassait guèreErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. A Amsterdam encore, Descartes connut un mathématicien, Hortensius, ancien élève de Snellius à Leyde ; ils durent s’entretenir ensemble des lois de la réfractionErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu..

Leyde n’était pas loin avec son Université, et deux professeurs au moins devinrent presque aussitôt amis de notre philosophe : Golius, mathématicien et orientalisteErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., par qui il

a. Elichman (Jean), médecin silésien, né vers 1600, établi en Hollande, et qui mit Descartes et Plempius en relations à Amsterdam en 1630. En octobre 1634, il partit pour un voyage en Danemark ; il y était encore en février 1635, et voulait aller de là dans le Levant et jusqu’aux Indes. Saumaise, qui l’appréciait fort, songea à l’attacher à Auguste de Thou, qui devait aller en ambassade à Constantinople. Le projet n’eut pas de suite. Mais il est question d’Elichman dans plusieurs lettres de Saumaise à M. du Puy, prieur de St Sauveur, datées de Leyde, 27 nov. 1634, 16 févr., 8 et 21 avril, 1er juin 1635. (Bibl. Nat., MS. fr. 713.) On lit dans la seconde : « …Pour ce qui eſt de Monſr de Thou, ie ne croi pas qu’il puiſſe prendre en ſa compagnie perſonne duquel il puiſſe plus tirer de plaiſir & de proffit, que de cettui-ci (Elichman), meſmement pour vn tel voiage & vne telle demeure que celle de Conſtantinople. Ie ne vous dirai rien en exaggerant pour le louer, mais ſimplement ce qui en eſt, & mefme au delVous de fon mérite. Oultre fa langue maternelle & allemande, il entend, parle & efcrit fort bon François & bon Italien. 11 fçait la langue Arabique comme fa maternelle, & la Perfienne, » & n’eft pas ignorant de la Turque. Il a d’admirables fecrets en la médecine & en cette partie de la philofophie qui regarde les chofes naturelles. C’eft lui qui eft l’aucleur de ces pilules qui m’ont guairi, > defquelles il a feul le fecret. Auec tout cela, il eft d’une fort douce humeur, & n’eft aagé que de trente cinq ans. Pour fa religion, il ne » fault pas que Monf’de Thou appréhende d’en auoir du bruit ( ?) : » oultre qu’il eft fort homme de bien en fes meurs & fort pacifique, il femble que c’eft l’ordinaire de touts les médecins, de n’eftre pas fort » zélés pour aucune religion… » (Fol. 68.) Elichman était de retour à Amsterdam, fin mai i635. Il mourut en 1639. Voir notre t. I, p. 401, et t. II, p. 570 et 573.

b. HoRTENSius (Martinus), né à Delft en 16o5, professeur de mathématiques à VAthenceum Illustre d’Amsterdam, 1" mai 1634, mourut le 17 août 1639. Voir t. V, p. 6o3, au mot Hortensius.

c. GooL (Jacob), ou Golius, né à La Haye en iSgô, professeur de langues orientales à l’Université de Leyde en 1624, à la mort de son maître Erpenius ; il fit ensuite un voyage de quatre années dans le Levant (lenre du Prince d’Orange à cet effet, du 3o nov. i625) ; à son retour En Ho[.i,ande. 109

fut amené à reprendre le problème de Pappus, une des pièces principales de sa Géométrie, et Schooten le père \ dont le fils aîné, mathématicien également et habile dessinateur, tracera les figures de la Dioptrique en lôSy, et aussi des Principes en 1644; il dessina même alors, pour l'en-tête du volume, un portrait du philosophe d'après nature. Plus tard, Descartes connut d'autres professeurs de cette Université, Vorstius

en 1629, il occupa en outre la chaire de mathématiques, où il avait été nommé à la mort de Snellius en 1626; il avait appris sa nomination, étant à Constantinople. Il mourut le 28 septembre 1667.

Les langues orientales étaient d'ailleurs enseignées à Leyde, en vue de la propagande protestante dans le Levant. Voici à ce sujet un curieux renseignement, dans une lettre de Brasset à M. de la Haye, 17 avril 1647 : « ...Pour ce qui eft de la Religion, ilz irauaillent encores par » d'autres voyes pour en refpandre au Lcuant les mauuaifes femenccs, » y ayant à Leyden vn feminaire exprez de gens qui eftudient aux lan- » gués orientales pour aller puis aprez dogmatifer en ces contrées la; » ce qu'ilz font foubz prétexte d'eftre médecins, affin d'auoir vne entrée » plus libre dans les maifons des Grecz & autres. C'eft vn fecret que » i'ay appriz, long temps y a, de M. Riuet... » IBibl. Nat., MS. fr. 17899, f. 167 v.)

a. Il y eut jusqu'à trois Schooten, tous les trois professeurs de mathé- matiques à l'Université de Leyde. Le père, Frans van Schooten. mourut le 1 1 décembre 1646. Son fils aîné, du même nom, Frans, lui succéda, et mourut en janvier 1661 ; il eut pour successeur un frère cadet, Petrus, 1661-1679. Lipstorp, dans ses Sptcimina, i653, p. 84, donne ce précieux renseignement : « Illud intérim tacere mihi religio lit, non minimam >' gratiam, tum quoad Principiuruvt Philifophice, tum Dioptrices, tum » Meteororum evulgationem, nos debere Clariffimo Dn. Francisco Scho- » TENio, ne quid dicam de aliis innumeris ejus in Cartelium noftrum » meritis, qui fuâ de omnibus bene nicrcndi promptitudine effecit, ut » citiùs & elegantiori ornatu, quàm fieri alias licuiffet prodiérint. Ille » enim dclineavit ac depinxit omnes iftas figuras, quie in omnibus Carte- » fianis operibus confpicienda; nobis prcebentur. »

b. Vorstius ( Adolfus), né à Delft, 23 novembre 1 597, d'un professeur de médecine à l'Université de Leyde, Everardus Vorstius ; son père, qui avait lui-même passé quatorze ans en Allemagne, en Italie et jusque dans la Grande-Grèce, le fit aussi voyager, ses études faites, dans le Brabani, en Angleterre et en France, à partir de 1620. Le jeune Vorstius vint à Paris, à Saumur, où il connut Duplessis-Mornay. ot h Blois; puis il alla en Italie, à Venise, à Padoue où il vit Spigelius et Creinonini, et à Rome. En 1624, il devint professeur extraordinaire d'anatomie et de chirurgie

�� � iio Vie de Descartes.

pour la médecine, L'Empereur pour le droit ^ Il se lia en outre avec des théologiens réformés, Heereboord^ et Heydanus% partisans de sa philosophie. Enfin un médecin catholique de Leyde, qui exerçait la médecine plutôt par charité, Hoge- lande, fut pour lui un ami intime, un inséparable comme

à l'Université de Levde, et son père étant mort le 22 oct. de la même année, il lui succéda comme professeur ordinaire de médecine et de bota- nique. Il fut trois fois recteur, en i636, en i652 et en 1660, et mourut le 9 oct. i663. Nous avons une lettre que lui écrivit Descartes, 19 juin 1643. Il reçut notre philosophe à sa table (lettre du 24 mai 1647, ^- ^> P- ^^)- Plus tard, ce fut lui qui fit l'oraison funèbre de Saumaise en 1654; ei il eut lui-même comme successeur un cartésien, Florent Schuyl, traducteur et éditeur en Hollande du De Homine.

a. L'Empereur (Constantin), né à Oppyck, élève de l'orientaliste Erpe- nius, fut professeur d'hébreu à l'Université de Leyde en 1627, mourut en 1648. Cousin sous-germain d'un grand ami de Descartes, David le Leu de Wilhem. Voir t. V, p. 33. 1. i 3-14.

b. Heereboord (Adriaan), né à Leyde, en 16 14, étudia à l'Université de cette ville, où il eut pour maître Burgersdijk. Il y enseigna la logique dès 1641 ; qn 1642, pro-régent du collège des théologiens à Leyde; 3 juin 1644, professeur ordinaire à l'Université. Il mourut en lôSg. Il soutint de rudes combats pour la doctrine de Descartes, contre ses deux col- lègues, Revins et Triglandius, comme nous le verrons en son lieu.

c. Heidanus (Abraham) ou Van de.r Heyden, né le i*' août 1597 à Frankenthal dans le Palatinat, où s'était réfugié son aïeul, protestant de Malines. Son père fut pasteur à Amsterdam, de 1608 à 1626. Lui-même fut pasteur, d'abord à Naerdem de i6i8 à 1627, puis"à Leyde jusqu'à la hn de sa vie. En outre, il devint professeur de théologie à l'Université en 1648 [oratio inauguralis du 18 oct.). Plus tard, l'édit qui défendait d'en- seigner les opinions de Descartes ayant été renouvelé, 16 janv. 1676, Hei- danus protesta : il dut quitter sa chaire, le 4 mai suivant. Il mourut à 81 ans passés, le i5 oct. 1678. — Un des plus beaux témoignages en faveur de Descartes, est celui-ci de Heidanus : « als ick daerom denckô', hoe » menichmael ick 't gefelfchap en 't vriendelyck onthaal van d'Heer des » Cartes genoten hebbe, fyne ongeveynfde vrolyckheyt, fyne goetheyt » in ailes, dat men hem vragen wilde, op flaande voet te beantworden, » met fulcken klaerheyt van redenen. als of de Philofophie felfs door » fyn mondt fprak, fonder yemant te larteren, maar van ailes rediglijck » te oordelen. » [Confideratien ovcr eenige faecken onlanghs vuorge- vallen m te Univerfiteyt binnen Leyden, 1676, § 3o.)

d. Tome IV, p. 627, note c. Le petit ouvrage est dédié à Descartes : Nobilijffimo Clai-ijfimo Viro Du. D. Renato Des-Cartes, Philofopho incom-

�� � En Hollande. i i i

on dira, et lui dédia en 1646, un petit livre en latin sur Dieu et l'immortalité.

L'Université d'Utrecht se montra d'abord favorable aux nouveautés, comme il convient à une jeune Université sur

parabili, Cornélius ab Hogelande. S. D. Dabam Lugd. Batav. Anno 164.6, ipjis Cal. Septemb. :

i< Vir maxime, quid in tioc argumenti génère pro virium mearum » tenuiiaie prœftiterim. tuum elt judicare. Tua namque eft, tibique uni 1) debetur. plana ilia ac faciiis philofophandi ratio, quam in vcritate '1 indaganda fecutus fui. Eténim ad) hoc unum operam dedi, ut nihil 1) line du^'itatione alTererem. quod non fatis à me perceptum eflet. Tuo " excmplo, nullius opiniones, non obfcuras dubiafque rationes, fed » perlpicua illa atque facilia principia, à motu materiae ejulque forma & >' magnitudinc petita, in corporis animalis œconomia mihi propofui. » Sunt quidem illa tam obvia, ut vix ullus à ratione adeô (it alienus, qui " lis non quandoque utatur : l'cd quod ex his Iblis purifque ptiilofophari » jam liceat, tua liberalitati acceptum ftrimus. Et in lioc mihi gratulor. " quod ego, qui aliis operibus intcntus, librorum leclionibus non multum » vacare polïum, nec ullam Icriptorum tuorum partcm examinavi, ea » meditatus fui.rim, quas à divinis tuis l'pecuJationibus non admodum » abfona elle, amici qui iS; tua examinaruni & mea legerunt, conftanter '> aiicverant. . . ••

Plus tard Samuel Sorbière, Lettres et Di/cours 1660], p. 444-445, dira ceci : « Quant au Cornélius ab Hoghelande, duquel vous avez Cogita- » tiones de Œconomia Animalis, ceft un gentilhomme catholique, grand » ami de M. Descartes. Lorique je demeurois à Leyden, il exerçoit une « médecine charitable, & ne demandoit des pauvres gens qu'il traitoit « qu'un fidèle rapport du luccés de fes remèdes. Et comme il etoit ravi » d'entendre que les aiiaires fuccedoicnt bien, qu'on fe portoit un peu » mieux ou qu'on étoit entièrement guéri ; il ne fe rebutoit point auffi de ' fa pratique, lor(qu"on lui difoit que la maladie eiloit empirée. qu"un tel . fvmptome ètoit furvenu, «S: qu'à la quarantième felle le pauvre patient >' étoit expire ; car il ètoit fort homme de bien, il louoit Dieu de toutes )' chofes, & voyant, par le moyen de fes trois elemens, des raifons de » tous les phénomènes defquellcs il fe fatisfaifoit, il ne detefperoit » jamais de remédier une autre fois aux plus fâcheux inconvénients de fa » pharmacie. J'ai ete fouvent dans fon laboratoire, & je l'ai vu plufieurs » fois au vertibule de fon logis en pantoufles & en bonnet de nuit diftri- >■ buant de 8 à 9 heures du matin, «k de une à deux après midi, des » drogues qu'il tiroit d'un cabinet qui en ertoit bien pourveu. Son père » avoit travaille au grand œuvre, & même il en a écrit, fi je ne me » trompe. Mais le lils ne fe fervoit de la chimie que pour la médecine, " 6: il n'emplovoit ks remèdes de cet art qu'au défaut des comniuns èc » des galéniques, qu'il mettoit premièrement en uiage. « 

�� � 112 Vie de Descartes.

qui ne pèse encore aucune tradition. Les doctrines de Descartes y furent enseignées dès le début, en 1634, parle premier disciple qu'il ait eu en Hollande, Reneri% et bientôt après par un autre, plus connu, Henry de Roy ou Regius.

a. Rkgnier (Henri), connu sous le nom de Reneri, naquit à Huy en 1593. Il fit ses humanités à Liège, et sa philosophie à Louvain, où il connut Froimond [Fromondus). De retour à Liège, l'étude de la théo- logie au grand séminaire le détacha du catholicisme ; il se fit protestant, et vint à Leyde étudier l'Ecriture sainte. Déshérité de se.« parents, il se mit à enseigner à Leyde, puis à Amsterdam, où il vit peut-être Descartes sur la fin de 1628 par l'intermédiaire de Beeckman, et sûrement Gassend l'été de 1629. hu commencement de i63o, il quitta Amsterdam pour un préceptorat à Leyde, puis fut nommé professeur de philosophie au « Gymnafium Illuftre » de Deventer, le 4 (ou 14) oct. i63i, et y fit sa leçon inaugurale le 28 nov. lou 8 déc.) suivant. Descartes, quittant aussi Amsterdam, vint demeurer auprès de lui à Deventer, de mai ou juin i632 jusqu'à la fin de i633, où il retourna à Amsterdam. Le 18 juin 1634, Reneri fut nommé professeur de philosophie à la nouvelle Académie d'Utrecht, inaugurée le 20 août de cette année, et bientôt érigée en Uni- versité, le 16 mars i636. Descartes vint encore le retrouver à Utrecht, l'année i635. Reneri mourut le 18 mars 1639. — Le 16 juin 1637, Reneri écrivait à P. C. Hooft : « Monlieur, Eftant en Amfterdam pour diftribuer » quelques exemplaires du livre de Monf des Cartes à perfonnes de qua- » lité, dont il failoit eftime pour avoir eu l'honneur de les avoir veu & de )> leur avoir parlé aultrefois, il m'avoit recommandé de bailler un ou le » faire tenir à Voftre Seigneurie pour le grand ellime qu'il fait de voftre » mérite, defirant bien d'eftre tenu pour voilre très humble ferviteur. » J'efpere que vous trouverez le livre à voilre goût ; pour moy, je n'ay » encore rien veu d'approchant es aultres autheurs fur les fubjets qu'il a » choifi pour efchantillons d'un œuvre plus grand... « (P. C. Hoofts Brieven, édit. Van Vloten, Deel III, Leiden, iSS-, p. 21 3. J Reneri écri- vait cette lettre d'Utrecht, qu'il habitait depuis 1634; et c'est sans doute à Utrecht, pendant l'année i635, que Descartes aura fait connaissante avec Hooft, qui devint un des principaux historiens hollandais : P.-C. Hoofts Neederlandfche Htjioorien, federt de ooverdraght der heerjchappye van kai\ar Kaiel den Vy/den op kooning Philips ^ynen :{oon. (Amsterdam, Louys Elzevier, 1642 ; et 2» vol., ibid., Blaeu, 1654.)

b. Regius (Henricus), ou Henry de Roy, né à Utrecht, 26 juillet 1598, devint professeur de médecine théorique et de botanique à l'Université de sa ville natale (professeur extraordinaire, 6 sept i638; ordinaire, l'année suivante), puis professeur d'anatomie en 1649, enfin premier pro- fesseur de médecine, 2 déc. 1661. Il mourut à Utrecht, 19 févr. 1679. En août i638, Reneri lui fit connaître Descartes. Voir t. XI, p. 672-687.

�� � Pour suivre de plus près et diriger au besoin un enseignement qui l’intéressait si fort, notre philosophe s’était installé quelque temps en 1632 à Deventer, où Reneri était d’abord professeur ; puis il vint le rejoindre l’année 1635 à Utrecht. Il y connut l’historien P. C. Hooft[175]. Là, en dehors de l’Université, il se lia aussi avec des notables de la ville, comme Van der Hoolck[176] qui fut plusieurs fois bourgmestre, et un gentilhomme du voisinage, curieux de mathématiques. Godefroid de Haestrecht.

Notre philosophe, en effet, ne borna pas ses relations à des hommes d’études, amis de la science et des livres par devoir professionnel autant que par goût. Il était gentilhomme, et savait faire sonner ce titre à l’occasion. Il fréquenta de bonne heure des personnages de la cour, en particulier, grâce au professeur Golius, le secrétaire du prince d’Orange, Constantin Huygens le père[177]. Cet « honnête Hollando-Français », comme l’appelait Balzac[178], était un lettré, en vers et en prose, qui même rivalisait de préciosité avec les beaux-esprits de France ; et c’était aussi un amateur de curiosités scientifiques, qui s’intéressait particulièrement à l’optique et à l’hydraulique. Esprit distingué, il devina aussitôt en Descartes un génie supérieur, par les seuls entretiens qu’il eut avec lui, notre philosophe n’ayant encore rien publié. Ils devinrent grands amis : lorsque Huygens perdit sa femme en mai 1637, Descartes lui écrivit une lettre de consolation qui révèle, en effet, une réelle intimité[179]. Il connut aussi une sœur de Huygens, Constantia, , En Hollande. i i ^

et le mari de celle-ci, David le Leu de Wilhem", qui lui prêtait ses bons offices dans les affaires d'argent. Il soigna même,

enfants, dont quatre fils : Constantin, né le lo mars 1628; Christian (le grand Huygens), 14 avril J629; Louis, i3 mars i63i ; Philippe, 12 octobre i633; et une fille, appelée Suzanne comme sa mère, i3 mars 1637. Rectifions à ce propos une erreur que nous avons commise, t. 1, p. 374. Huygens, resté veuf, fut aidé dans l'éducation de ses enfants, non point par sa sœur, qui avait elle-même une famille et une maison à tenir, mais par une cousine-germaine, non mariée; il lui confia aussitôt son intérieur, qu'elle gouverna trente et un ans. On lit, en effet, dans son Dagboek (publié à Amsterdam, par J. H. W. IJnger, en 1884).:

« 17 May 1637. Intro in novas a;des, heu! fine meâ turture. » (Sa femme venait de mourir, le 10 mai.)

« 28 May [id.). Introiit in contubernium meum cognata Catharina » Zueria. »

« 4 May (i638). Cum Doubletiis, forore & cognata Ziieriâ, Harle- » mum & vicinos hortos luftro. . . »

« II Sept. (1643). Cognata cum 5 liberis meis Zulichemum appellit » circa meridiem. . . « 

« 29 Oct. (1Ô68). Difcedii Bredam cognata Catharina Zueria, polt- » quam 3i annos mihi cohabitavit. » L'aîné des fils venait de se marier, et avait amené sa jeune femme dans la maison paternelle : la vieille parente se retire donc. « 28 Aug. 1668. Conllantinus meus uxorem ducit. » — 25 Sept. [id.). Uxorem domum ducit Conftantinus meus... »

« 10 Oct. 1680. Obit Breda; Catharina Zuerius aitatis 8... » Le second chiffre manque. On peut lire de 80 à 90 ans. Catherine Zuerius avait donc, en 1637, au moins 37 ans. Elle venait justement de perdre un frère, Joris (George), mort le 4 mai 1637. Elle avait perdu son père Jacob Zuerius, le 28 juin 1629, et sa mère Elizabeth Zueria, le 26 août i63o. Celle-ci s'appelait de son nom de famille Hoefnagel; elle était sœur de Suzanne Hoefnagel, mère de Constantin Huygens, morte elle-même le 16 mai i633. Catherine Zueria se trouvait donc toute désignée pour devenir comme la sœur de celui-ci, et comme la tante ou la seconde mère de ses enfants; et Descartes a justement l'attention délicate de lui donner ce nom de sœur (t. I, p. 373, 1. i3). Ajoutons enfin que le texte de Clerselier donnait : Madame de Z., leare initiale de Zueria ou Zue- rius, que nous avons eu tort de changer en Madame de V., pensant à Madame de Wilhem.

a. David le Leu de Wilhem naquit à Hambourg, le i5 mai i588. Le 16 janv. i633, il épousa Constantia Huygens, sœur de Constantin Huy- gens, l'ami de Descartes. Elle était née à La Haye, le 2 août 1602, et y mourut le 1" déc. 1667. Huygens note sur son Dagboek la mort de son beau-frère, à la date du 27 janv. i658. Voir t. L p. 374.

�� � ii6 Vie de Descartes.

en 1640, comme médecin, une petite Wilhem, lorsqu'elle eut à subir une opération chirurgicale. Il s'intéressait aux enfants Huygens, admirablement élevés par leur père, et surtout au second, Christian, jeune mathématicien, qu'il disait être a de » son sang" », et qui devint, en effet, le grand Huygens. Et il alla sans doute plus d'une fois en partie de plaisir à cette maison de campagne, non loin de La Haye, séjour de prédi- lection de la famille Huygens : on y jouait aux quilles, et on se régalait d'une collation de cerises. Pour ses girouettes elle avait des sphères, ce qui faisait dire à Balzac, que la science apparaissait partout en cette maison, chez les habi- tants à l'intérieur, et au dehors jusque dans les ornements.

Lui-même recevait volontiers, à Endegeest ou à Egmond, dans ce qu'il appelait son « hermitage », quelques amis de choix, entre autres Alphonse de PoUot, ou PoUotti ou même Palotti*^. C'était un protestant du Piémont, dont la famille, fuyant la persécution du duc de Savoie, s'était réfugiée d'abord à Genève; puis comme il y avait cinq enfants dont trois fils, deux de ceux-ci vinrent chercher fortune en Hollande, au ser- vice du prince d'Orange : l'un, Jean-Baptiste, mourut tôt, le 14 janvier 1641, mais l'autre fit une belle carrière à l'armée et à la cour, et (tel autrefois Joseph en Egypte) devint le bienfai- teur des siens demeurés en Suisse. C'était Alphonse de PoUot,

a. Tome X, p. 63 1.

b. Ibidem. Voir aussi Balzac, loc. cit. (p. 5oi).

c. Alphonse Pollot, né vers 1604, d'une famille protestante de Dro- niera (marquisat de Saluées), réfugiée à Genève en 1620 pour échapper à la persécution du duc de Savoie. Il partit presque aussitôt pour la Hol- lande avec son frère Jean-Baptiste. Il devint successivement capitaine d'infanterie au service des États généraux; gentilhomme delà chambre du prince d'Orange, 3 mars 1^42; commandant du fort Sainte- Anne dans le polder de Namen, i5 mai 1645; et après la mort de Frédéric-Henri, maréchal de la cour de la princesse douairière, Amalie de Solms, i"' avril 1648. Il revint à Genève vers 1639, et y mourut, le 8 oct. 1668, bienfai- teur de sa famille et de la ville. — Jean-Baptiste Pollot était gentilhomme de la chambre depuis le 24 déc. 16*57, lorsqu'il mourut à La Haye, le 14 janv. 1641. Voir la lettre de Descartes, t. III, p. 278-281. Ces rensei- gnements sont tirés des archives d'Eugène de Budé, à Genève.

�� � En Hof.i.ANDt:. 1 17

l'ami de Descartes, assez intime encore pour que celui-ci, à la mort de son frère, lui écrivit une lettre de consolation. Singu- lière lettre d'ailleurs : il compare la perte do ce frère à celle d'un bras, que PoUot avait aussi perdu. Puis il fait lui-même un retour discret sur ses propres deuils; mais (peut-être était-ce une offre délicate), l'amitié d'un bon frère, ajoute-t-il, peut se réparer par l'acquisition d'un fidèle ami. Pollot, nous le verrons, mettra plus tard en relations le philosophe et la princesse Elisabeth de Bohême.

En sa qualité de gentilhomme français. Descartes ne pouvait se dispenser de rendre ses devoirs aux ambassadeurs de France à La Haye. Ce fut d'abord le baron de Charnacé', dont le père avait été, comme le sien propre, conseiller au Parlement de Rennes. Venu aux Pays-Bas en i633, Charnacé s'intéressait beaucoup aux lettrés et aux savants, qu'il mettait volontiers aux prises, pour le plus grand profit, pensait-il, de la science. Descartes ne manqua pas de lui offrir un exemplaire de son livre en i63j, et de le prier d'en faire parvenir deux à Paris, un pour le roi, l'autre pour le cardinal de Richelieu ; mais Charnacé fut tué presque aussitôt, au siège de Bréda, le I" septembre lôSy. Ce fut plus tard Gaspard Coignet de la

a. Fils de Jacques de Charnacé (1548-1617), qui fut conseiller au Par- lement de Rennes 'quatre années seulement, de 1577 à i582), le baron Hercule de Charnaci: naquit au château de ce nom, paroisse de Cham- pigné en Anjou, le 3 sept. i588. Élevé à la cour, de quatorze à dix-neuf ans, il demeura ensuite trois ans à Rome avec l'ambassadeur de France M. de Brèves, puis un an à Naples. Le 22 juillet 1618, il épousa Jeanne de Maillé-Brézé. qu'il perdit le 21 févr. 1620. Il se remit alors à voyager auprès des cours étrangères, et se lia avec Gustave-Adolphe. En 1628, il prit part au siège de La Rochelle. Puis Richelieu, à qui son mariage l'avait apparenté, lui confia plusieurs missions en Suède et en Allemanne. Le i3 janv. i633, des instructions lui furent données en vue d'une alliance avec les- Provinces-Unies : le traité fut signé à La Haye, le 5 avril 1(534. Bien qu'ambassadeur, il commandait le régiment que Louis XIII avait mis au service de ses alliés ; c'est ainsi qu'il fut tué au siège de Bréda, le i'='sept. it)37. — Sur son attitude à l'égard des hommes de lettres, voir t. II, p. 283, 1. 16-20.

�� � ii8 Vie de Descartes.

Thuillerie ^, à qui Saumaise dédia un ouvrage, et que Des- cartes fit intervenir en sa faveur pour obtenir gain de cause dans un procès à Groningue : il faut voir le ton que prend l'ambassadeur de France en cette occasion. Ce fut ensuite Abel Servien ^ : Descartes eut également recours à son intervention dans une affaire du même genre à Utrecht. Mais surtout il connut le secrétaire de l'ambassade, Brassef^, qui pendant

a. Gaspard Coignet, sieur de La Thuillerie, né en 1597, sans doute à PariSi mort en i65 3, à cinquante-sept ans 'baron, puis comte de Cour- son). Conseiller au Parlement de Paris, 27 août 1618, à vingt et un ans ; maître des requêtes, 2 3 déc. 1624, à vingt-sept ans; intendant auprès de l'armée au siège de La Rochelle, 9 févr. 1628; intendant d'Aunis, Sain- tonge et Angoumois, 16 nov. 1628; ambassadeur à Venise, 1632-1637, puis auprès de divers princes d'Italie, 1637-1640, enfin aux Pays-Bas, 1640-1648 : il arriva à La Haye, le 10 nov. 1640, et son audience de congé est du 23 mai 1648. Il fut d'ailleurs deux ans absent, d'avril 1644 jusqu'en avril 1646, comme ambassadeur extraordinaire en Danemark et Suède. — Sa lettre en faveur de Descartes est de mars 1644, t. IV; p. 96.

b. Abel Servien, marquis de Sablé et du Bois-Dauphin, comte de la Roche-Servien, naquit à Grenoble, en iSgS, et mourut au château de Meudon, 18 févr. lèSg. Procureur général au Parlement de Dauphiné, 1616; conseiller d'État à Paris, 1618 ; maître des requêtes, 1624; inten- dant de Guyenne, puis premier président du Parlement de Bordeaux, i63o; secrétaire d'Etat, négociateur du traité de Cherasco avec le duc de Savoie, i63( ; en disgrâce à Angers, 1 636- 1642. L'un des deux plénipo- tentiaires français au Congrès de Munster. 1643-1649. Ministre d'Etat après le Traité de Westphalie, mais en disgrâce pendant la Fronde. Surintendant des finances, en i65 3. — En se rendant au Congrès avec le comte d'Avaux. il s'arrêta en Hollande, nov. 1643 à mars 1644, et y vit Descartes qui lui fit parvenir à Munster, le 18 sept., un exemplaire des Principia. Du 29 déc. 1646 au 7 août 1647, Servien revint aux Pays-Bas pour une mission en l'absence de l'ambassadeur ordinaire La Thuil- lerie ; ce fut alors que Descartes eut recours à lui, 12 mai 1647. (Tome V, p. 24-27.)

c. Les quinze volumes de lettres, conservées h la Bibliothèque Natio- nale (MS. fr. 1789 1 à 17905 inclus), permettent de reconstituer ainsi la carrière de Brasset.

Date de naissance, le 2 5 (ou 26) oct. 1591 : « . . .cette folide confiance » que ie n'ay peu acquérir en la cinquante neuf""" année de mon aage ou » l'entre depuis huid iours », dit-il, dans une lettre qui porte, il est vrai, à la fin, la date du 2 nov. 1649, mais qui a été écrite en grande partie

�� � En Hollande. i 19

tout ce temps-là ne quitta point son poste de La Haye, et dont le foyer paraît avoir été aussi des plus accueillants pour notre philosophe. Un des premiers exemplaires de son petit Traité des Passions fut pour la jeune fille de Brasset, Marie- Charlotte, dont le rire joyeux le mettait sans doute lui-

ie jour de la « fefte de tous les Saintts », donc le i*^^' nov. (MS. 17901, f. 752 V.) El dans une lettre précédente, du 21 déc. 1648 : « . . .en l'aage » de 58 ans, & aprez en auoir confumé les meilleurs dans vn trauail » continuel & allidu depuis la fin de i6i5 ». (MS. 17900, f. 12'i.) Brasset est dans sa dSi^ année : or 1648 moins 5/, donne bien iSpi.

Profession du père : « ...feu mon père, lequel ayant eu l'honneur >' d'eftre longues années l'ecretaire des commandcmens de feu Mg' le » duc de Montpenlicr & Treforier de France en la généralité de Caen », écrit Brasset, le 21 janv. 1649. (MS. 17901, f. 69 v. et f. 60.) Et dans une lettre précédente, du 27 nov. 1648 : « ...ayant veu mon bon homme de » Père (à qui Dieu face paixj porter la toque de velours allez long tems » dans la généralité de Normandie. » (MS. 17900, f. 6go.)

Dans une même lettre, on lit : « ...depuis tantoll 34 ans que i"ay » l'honneur de feruir hors le royaume », et plus loin : « i'ay veu non » feulement depuis 33 anspallcz. . » (MS. 17901, f. 58 v. et f. 61.) Ceci étant écrit k 21 janv. 1649, trentre-quatre ans en arrière nous reportent juste à l'année 161 5, déjà indiquée ci-avant. Or dans une lettre du 8 juin 1649, il dira : « durant quatorze ans que i'ay feruy le Roy à Bruxelles ». [Ibid., f. 404.) Et le premier volume, MS. 17891, est le » Regilire des >■ Lettres & defpefches que i'ay (dit-il) efcrittes durant l'AmbalTade à » Bruxelles de M. de Pericard » ; ces lettres vont du 24 sept. 1616, au 17 mai 1624. Mais Brasset était là depuis 161 5, et on l'essayait, sans doute, avant de lui confier un emploi. En 1624, il obtint un congé pour revenir en France, et ce fut le seul : « ...bien que i'euffc droit & per- » milTion de faire vn tour en France aprez 22 ans que ie ne I'ay veùe & » 33 que i'en fuis abfent », écrit-il le 11 oct. 1646. (MS. 17898, f. 587 v.) Si de 1646 on ôte 22, on trouve bien 1624. (Le nombre de 33 est embar- rassant; même en le comptant pour 32 années accomplies, on trouve encore 1646 — 32 = 1614, et non i6i5. Mais peut-être Brasset avait-il quitté la France et voyagé un an avant de venir à Bruxelles ?)

Le second volume, MS. 17892, contient ce qu'il a écrit durant l'ambas- sade de M. de Baugy- à La Haye, de 1Ô28 à i635, et commence par une lettre du 2 nov. 1628. Plus tard, lettre du 27 juillet 1649, ii propos d'une question d'étiquette, Brasset rappelle tous les ambassadeurs qu'il a vus se succéder en Hollande, tandis qu'il était secrétaire, faisant parfois les intérims : M. de Baugy, en 1628; M. le Maréchal de Breze, ambassa- deur extraordinaire, et M. de Charnacé, ordinaire, sur la tin de i635 ;

�� � I20 Vie de Descartes.

même en belle humeur (ou, qui sait, le faisait peut-être aussi songera sa fille, qu'il avait perdue ?) Et nous avons l'écho des réunions de famille, la veille des Rois, par exemple, oii Descartes était invité : on ne buvait pas seulement de la bière du pays, mais aussi d'un bon petit vin de France, venu de

M. d'Estampes, en 1637; M. de La Thuillcrie, en 1641 ; MM. les comtes d'Avaux et de Servien, en 1644. (MS. 17901, f. 543 v.)

En 1645, il quitta six à sept mois la Hollande pour accompagner ceux-ci au Congrès en Westphalie. Le volume MS. 17897 contient, dit-il, les « Lettres que i'ay drelVees eftant Secrétaire de l'Ambaffade Extraordi- » naire pour le Traicté de la paix générale à Munfter, pour M. les Contes » d'Avaux & de Seruien. » La première lettre est du 3i janvier 1645, et la dernière du 24 juin 1645. Brasset écrivit cependant encore une lettre de Munster, le 7 juillet 1645 ; mais la suivante, du 1 1 juillet, est datée de Deventer.

Brasset revenait à La Haye, non plus comme secrétaire, mais comme résident. Le 21 juillet et le 4 août 1645, il présenta des lettres royales, du i3 mai, qui l'accréditaient en cette qualité. Il avait reçu en même temps le titre de « Confeiller d'Eftat priué, & des finances ». (MS. 17897, f. 274, 294, 296, 29g v. ; et MS. 17900, f. 3oo.) Justement l'ambassadeur La Thuillerie était en congé depuis avril 1644; son absence dura jus- qu'au i5 avril 1646. Il resta en Hollande deux années encore; mais le 23 mai 1648, il eut son audience de congé, partit le 3o, et ne fut pas remplacé. Le 8 mai, Brasset avait été accrédité de nouveau comme rési- dent. Lui-même explique ainsi son nouveau rang et ses droits : « ...Vous » fçavez que les Refidens ne font que d'vn degré au defloubs des Ambaf- » fadeurs Ordinaires, que leur fondion dans les affaires efl tout pareille, » & qu'ils parlent couvert aux Princes Souverains, quand ceux-cy fe » couvrent : ce que ie pratique fouuent, quand i'ay audience de M" les Eftats, aiïîz dans vne chaize à bras & doffier comme les Amb », lettre de janvier 1649. (^^- '79° ^- ^o.)

Il n'en était pas beaucoup plus riche. « Si en fuitte de cela les douze » mille francz font bien payez », écrivait-il le 20 mai 1645, « ie patien- » teray dans les fables de Hollande. » (MS. 17897, f. 299 v.) Par mal- heur, les paiements étaient fort irréguliers, et Brasset avait femme et enfants : cinq fils et une fille. Il appelle celle-ci, ainsi que leur mère, ses deux « Brabançonnes ». (MS. 17900, f. 10, et f. 12 v.) Il s'était donc marié à Bruxelles avec une femme du pays, et c'est à Bruxelles également qu'ils avaient eu leur fille, en 1628 au plus tard. Elle avait donc au moins vingt ans. lorsque Descartes fréquenta la maison, surtout à partir de 1647, ce semble. II y trouva un honnête intérieur de famille française à l'étranger; on y avait un vif souci de bien élever les enfants et d'assurer

�� � En Hollande. 121

la montagne de Reims. N'est-ce pas à son ami Brasset qu'il rappelait, dans une lettre, souvenir commun peut-être à tous deux, « les jardins de la Touraine » "?

Parmi d'autres Français établis en Hollande, il y avait aussi des ministres protestants, et Descartes en connut quelques- uns : Louis de Dieu*', à Leyde, et Abraham de Mori% celui-ci grand ami de Huygens; puis Etienne de Courc5lles,à Amster- dam, qui traduisit en latin le livre de i63 j [moins la Géométrie], esprit libéral, suspect à ce titre comme « remontrant ou armi- nien », théologien philosophe, plus philosophe encore que théo- logien. Les relations avec Samuel Desmarets' ne vinrent que plus tard, au cours de la polémique de Descartes avec Gisbert

leur avenir. « Depuis quatre ans entiers », écrivait le père, le i6 nov. 1649, " '^ i"^ conlume auec la fubllance qui deuroit feruir pour marier )' vne fille, & pouffer l'aifné de fes frères dans quelque charge d'où il peuft » prefter la main à quatre autres qui me demeurent auec luy pezamment » fur les braz. » (MS. 17901, f. 814 v.) Et le 21 sept. 1649, ^ "" ai^i de Paris en lui recommandant son aîné qu'il lui envoie : « Mon filz mènera » auec luy deux petitz frères, qu'il fault que ie tire de la vie libertine de » Hollande, pour leur en faire prendre vne plus ciuile... Refte vne » grande fille, que la mère garde, ne s'en pouuant deffaire fans argent. » {Ibid., f. 647 V.) Marie-Charlotte avait surtout en dot sa belle santé, sa bonne humeur et sa gaieté exubérante, dont les fils de Constantin Huygens avaient gardé le souvenir. Elle se maria plus tard, en 1657, en France, où Brasset était enfin rentré le 29 avril 1654, remplacé à La Haye par Chanut comme ambassadeur. Voir t. V, p. 450-451.

a. Tome V, p. 445, note. Voir ci-avant, p. 18, note a.

b. Tome VIII, 2« partie, p. 320.

c. Tome I, p. 274, 1. 20-23 : lettre du J2 déc. i633. — Tome IV, p. 299, 1. 2-1 1 : lettre du 29 sept. 1645.

d. Etienne de Courcelles, né à Genève, 2 mai i586, mourut à Amster- dam, 22 mai 1659. Son père, Firmin de Courcelles, qui était d'Amiens en Picardie, s'échappa de France, après le massacre de la Saint-Barthélémy. Sa mère Abigaïl Cox, était fille de Michel Copes, Parisien réfugié à Genève, où il fut pasteur. Etienne de Courcelles fut aussi ministre pro- testant, en France d'abord : neuf années à Fontainebleau, quelque temps à Amiens, puis dix ans à Vitry en Champagne, jusqu'en 1634, où il vint à Amsterdam. Ses œuvres furent publiées après sa mort par Daniel Elzevier : Stephani Curckll.ei, Opéra Theologica, 1675. (In-f", 18 ff. lim.. 1028 pp., et 17 tî. d'index.) En tête, éloge de l'auteur par Arn. Poelenburg.

e. Tome VIII, 2" partie, p. 319-324.

Vie dk Descartes. 16

�� � 122 Vie de 'Descartes.

Voët. Mais il connut aussi des ministres du pays, Golvius», notamment, à Dordrecht, ami de Beeckman et de Reneri, et qui essayera de s'entremettre un moment pour rétablir la paix entre le philosophe et ce terrible théologien de Voët, le plus grand ennemi que Descartes ait eu dans les Provinces-Unies. Ami de plusieurs ministres protestants, il le fut aussi de quelques prêtres catholiques .deux en particulier, Johan Albert Ban ou Bannius et Bloemaert, tous deux à Harlem. Huygens lui-même, huguenot cependant, les mit en relations. L'oc- casion en fut la musique, dont les deux prêtres étaient ama- teurs. Ils en goûtaient fort la théorie aussi bien que la pra- tique; Descartes s'intéressait au moins à la théorie; mais en outre plus d'une fois ses amis lui firent entendre des concerts d'orgue, sans doute dans les églises de Harlem, ou bien des chants religieux avec leur maîtrise. Huygens aussi était par- tisan de l'usage des orgues dans les temples protestants ^

Cette rapide esquisse, que nous aurons plus d'une fois l'oc- casion de reprendre et de compléter, montre assez que notre philosophe ne vécut pas dans l'isolement en Hollande. Plus d'une fois même le choix de ses résidences paraît avoir été dicté par le désir de se rapprocher d'un ami ou d'un compagnon d'études. C'est ainsi qu'on le trouve d'abord à Dordrecht auprès

a. CoLvius (Andréas), né à Dordrecht, en 1594, accompagna comme chapelain le chevalier Berk envoyé des États à Venise, 1620-1627, fut ministre de la communauté wallonne dans sa ville natale, 1629-1666, et y mourut, le i" juillet 1671.

b. On retrouvera Bannius et Bloemaert au chapitre des Méditations.

c. Tome III, p. i53, 1. 20-24 '■ lettre du 14 août 1640; p. 164, 1. 2-4; cl p. 32 1, 1. I. — Sur les concerts donnés à Descartes, voir t. II, p. i53 : lettre du i5 janv. i638.

d. Les résidences successives de Descartes en Hol.ande sont bien con- nues à partir de i636 jusqu'à son départ pour la Siède en sept. 1649 : Leyde, i636-i637 (étéj ; Santport près Harlem, été lôj/ à avril 1640; Leyde encore. 1 640-1 641 ; Endegeesi près de Leyie, avril 1641 à mai (643; Egmond du Hoef, mai 1643 à mai 1644; ïgmond, 1644-1G49. Avant i636, ce sont, avec des séjours intermittents à Amsterdam, i63o à i632, et 1633-1634: d'abord Franeker en t629, puis Deventer en i632-

�� � En Hollande. 12 j

de Beeckman, en octobre 1628, et sans doute aussi quelques semaines à Amsterdam. Mais il ne s'y attarda pas, et s'en fut le plus loin possible, à l'extrémité de la Frise orientale, presque au bout du monde civilisé*, comme s'il voulait échapper aux Français de passage dans une grande ville; il manqua ainsi, mais sans regret apparemment, la visite de deux compatriotes, Gassend et Luillier, qui voyagèrent en Hollande l'été de 1629. Son nom figure, à la date du 16 (ou 26) avril 1629, sur le registre des étudiants de l'Université de Franeker^. Plusieurs

i633, enfin Utrecht en i635. Notons que Descartes a commencé par l'en- droit le plus éloigné, Franeker ; puis il a été se rapprochant Deventer, Utrecht, pour s'établir finalement dans la Hollande proprement dite, non loin des villes principales, La Haye, Leyde, Amsterdam. — Lipstorp énu- mérait, pêle-mêle et sans souci de l'ordre chronologique, les résidences du philosophe : » Et ita nunc Egmondae, mox Endegeftas, | mox Amftelo- » dami, mox Lewardïe in Frifià occ, mox Daventriae, rurfus prope Har- » lemum in villulà, iterùm Harderwici, mox Ultrajedi, rurfus Lugduni » Batavorum,poti(Timùm verô in villulis folitarius egit, & hoc paclo viginti » & quod excurrit annorum fpatio aufo féliciter potitus eft. » {Specimina, i653, p. 81-82.) — Rappelons aussi ce passage de Voet, Admiranda Methodus, etc., 1643 : « ...Modo in Weftfrifià, modo in Geldrià, iterùm » in HoUandià aut Tranllfulanià, aut Traje£linà Diœceli vivere dicitur. » (Voir notre t. VIII, 2« partie, p. 142, note.) On retrouve bien dans cette énumération : Franeker [in Weftfrifià), Deventer {in Tranfifulanid) , Utrecht [in Trajeâind), etc. . . Mais on ne voit pas à quoi correspond in Geldrià ? Descartes aurait-il habité aux environs d'Arnhem ? Le baron de Pallandt, lors de notre visite au château de Rosendael, en 1894, nous disait que la tradition s'était conservée d'un séjour de Descartes en cet endroit.

a. On lit dans une lettre à Huygens, de J. van der Burgh, poète et diplomate, datée de Groningue, 22 oct. 1628 : « Je fuis icy en vn endroicl » oîi elle (la poefte) a aulTi peu de force que parmy les habitans de Nova » Zembla. . . Il {un muficien) me faiifl trouuer La Haye en Frife, & m'em- » pefche de me defplaire au mitant des marais. » {Musique et Musiciens au XVII' siècle, de Jonckbloet et Land, Leyde, 1882, p. clx.) Descartes pensera de même de ce qu'il appelle « le fejour de Weftfalie ». (Tome I, p. 274, 1. 8.)

b. Le registre MS. : Album Academice Franekerenfts, se trouve main- tenant à l'Université de Groningue. On y lit, à l'année 1629 : a April. » 16, Renatus des Cartes, Gallus, Philofophus » Gallus est le nom de la nationalité, comme on voit ailleurs Danus, Bohemus, Hungarus,

�� � 124 ^fE DE Descartes.

de ses lettres sont écrites de là, et plus tard il donne même la description de son logis : un petit château, séparé de la ville par un fossé*, presque à la campagne par conséquent, ce que Descartes préférera toujours comme habitation. Cepen- dant Amsterdam l'attira de nouveau, avant la fin de 1629 , et il y demeura, ce semble, en i63o et i63i, bien que l'on trouve encore son nom, le 27 juin i63o, sur le registre de l'Université de Leyde, avec la dénomination de français du Poitou". A Amsterdam, nous savons qu'il étudia l'anatomie (peut-être fit-il des dissections) avec Plempius, et qu'il habita une rue qui est encore aujourd'hui la rue principale de la ville, Kalverstraat . Puis Reneri, en qui il voyait un disciple fervent, ayant été

Friftus, etc. Le mot Philofophus est à noter : on lit d'ordinaire, Med. Stu- dio/us, ou Theol. St., ou Bonarum Lit. &Juris Stud , ou Jurijprud. Stud., ou enfin Philojophiœ Studio/us. Peut-être Descartes, n'ayant plus l'âge d'un étudiant en philosophie, a été pour cela qualifié de philosophe, Phi- Iqfophus, comme tel autre est qualifié de chevalier, Eques. Mais pourquoi cette inscription ? Il était étranger, en pays inconnu ; pour sa tranquillité personnelle, peut-être a-t-il voulu s'assurer au moins les garanties des étudiants de l'Université. Des mesures furent prises à cet effet, précisé- ment cette même année : « 5 Julij 1629. Décret. Sen. Acad. deiis quas fub » fpecie ftudioforum hîc commorantur, nec curant nomina fua referri in » Album Stiidioforum. . . Eos primo ad Reclorem & Senatum effe vocan- » dos. lifque decernendum tempus intra quod nomina fua curent in » Album referri. Quôd fi huic mandate non obtempèrent, interdicendum » ipfis effe omnibus ledionibus, difputationibus, exercitiifque Acade- » micis, quà publicis, quà privatis. . . » Recteur : Lubbertus. Profes- seurs : Amesius, Bouricius, Winsemius, Metius, Harstingius, Ainama...

a. Tome I, p. 129, 1. 16-18.

b. Trois lettres d'alors sont datées d'Amsterdam: 8 oct., i3 nov. et 18 déc. 1629. (Tome I, p. 32, 53 et ir>4.) De même, i5 avril i63o, 2 févr. et 23 mai i632. {Ibid., p. 147, 240 et 253.J

c. Album Studiosorum Acad. Lugd. Bat. (Hagae Comitum, Nijhoft, 1875), p. 228 : « Jun. 27, Renatus Descaries Picto. 33, Mat. (rectore » Francone Burgersdicio II, i63o) ». L'abréviation Mat. signifie Mathe- seos [Studiosus), ou bien Mathematicus. Quant au nombre 33, il indique l'âge : 33 ans. Seulement Descartes étant né le 3i mars iSgô, avait, le 27 juin i63o, trente-quatre ans et près de trois mois. Il s'est donc rajeuni d'un an.

d. Tome I, p. 401, note.

�� � nommé à la petite Académie de Deventer pour débuter, en octobre 1631, Descartes vint un moment s’installer auprès de lui, en 1632[180]. Et ce fut là sans doute qu’il rencontra cette Hélène, dont nous ne savons guère que le nom, et qu’il eut d’elle une petite fille, baptisée le 7 août 1635, sous le nom de Francine, dans l’église réformée de Deventer.

Mais Descartes avait quitté depuis longtemps Deventer. Il était revenu à Amsterdam, puisque c’est en cette ville, suivant un aveu fait à Clerselier, que l’enfant a été conçu, le 15 octobre 1634[181]. Et il demeura quelque temps à Utrecht, en 1635, ou du moins tout proche d’Utrecht ; un dessin d’autrefois[182] représente l’endroit qu’il habita, un joli pavillon avec porte cochère, à cinq ou six cents pas des remparts de la ville, sur la Maliebaan, alors simple emplacement pour le jeu du mail, avec huit rangées d’arbres, sans habitations, sauf deux, maintenant belle avenue bordée de maisons à droite et à gauche, et qui prolonge la ville de ce côté.

Puis Descartes vint à Leyde en 1636[183], pour l’impression de son livre ; et il choisit un libraire de cette ville, non pas Elzevier cette première fois, mais Jean Maire. Il y demeura jusqu’au printemps de 1637 : Saumaise le vit encore en avril[184]. Mais dès le mois de mai, il était parti pour un voyage de six semaines d’abord ; puis il s’installa près de Harlem, à la campagne, sans doute à Santport[185], qui est encore aujourd’hui un des endroits préférés en Hollande pour la beauté des arbres et des pelouses. Descartes s’y trouvait en pleine verdure, et avec toute commodité pour les études qu’il fit alors : dissection de poissons de mer, et de poulets dans l’œuf, et de lapins et de chiens, sans compter veaux et moutons, pour le cerveau et pour le cœur. Il semble même avoir vécu là un moment avec son enfant et la mère de son enfant : on sait que la petite fille mourut plus tard à Amersfort, le 7 septembre 1640[186] ; on ne sait pas ce que devint la mère.

Descartes revint encore à Leyde, et se logea en ville, depuis avril 1640 jusqu’à la fin de mars 1641[187]. Puis il trouva, à mi-chemin entre la ville et la mer, un petit castel, au milieu d’un parc, avec échappées entre les arbres sur la campagne environnante, charmante retraite que l’on visite encore aujourd’hui, Endegeest[188]. Là aussi il pouvait disséquer tout à son aise, et ne s’en fit pas faute apparemment. Il y demeura juste deux ans, de fin de mars 1641 jusqu’à fin d’avril 1643, sans doute la durée de sa location. Il menait un certain train de maison, avec domestiques des deux sexes, et peut-être même un équipage : au moins allait-il à cheval, et sans doute aussi en carrosse.

Désormais il ne changera plus de résidence, ou du moins les deux qu’il eut de mai 1643 jusqu’à la fin d’août 1649, seront dans les mêmes quartiers : Egmond près d’Alckmaar. Ce fut d’abord Egmond op den Hoef, pendant une année, de mai 1643 à mai 1644[189] ; à cette date il partit pour un voyage en France, et à son retour en novembre, il paraît avoir loué un autre logis ; ses lettres seront datées désormais d’Egmond tout court, sauf une cependant, d’Egmond binnen[190]. Un de ses bons amis, à qui il confiait le soin de ses affaires et qui reçut plus tard le dépôt de ses papiers. Antoine van Surck, seigneur de Bergen, habitait dans le voisinage[191]. L’endroit était des plus agréables. Descartes y avait, comme toujours, un jardin, pour ses expériences sur les plantes[192]. Mais surtout l’ancien château des comtes d’Egmond, dont les derniers débris ne disparurent que par suite de la guerre en 1799, bien qu’en partie détruit déjà au xviie siècle, présentait encore des ruines imposantes, à tenter plus d’une fois le pinceau d’un artiste[193]. Il devait y avoir un parc, avec des massifs et des pelouses, bref le genre de paysage où notre philosophe laissait volontiers errer nonchalamment ses regards et ses rêveries[194]. Dans l’admirable verdure de la campagne hollandaise, on se représente fort bien une maison isolée, demi-ferme et demi-manoir, à toit rouge au milieu d’un bouquet d’arbres, délicieux ermitage, où Descartes invitait parfois ses amis avec leur famille, l’été, lorsque les cerises ou les poires étaient mûres[195] : il y vivait d’une vie égoïste en apparence, pour lui seul et pour ses pensées ; mais elles deviendront celles de tous les grands esprits de son siècle, et le germe fécond de combien de réformes dans l’avenir ! CHAPITRE II

MÉTAPHYSIQUE

(1629)

��Lorsque Descartes vint s'établir en Hollande, il n'avait pas encore pris parti comme philosophe ". Il ne s'était pas pressé, et Beeckman Ten loue avec raison ; loin d'avoir la hâte de la plupart des novateurs, il laissait ses idées mûrir lentement. Mais le moment venu, le fruit se détachera presque de lui- même. Après une si longue préparation (elle n'avait pas duré moins de neuf années), quelques mois vont lui suffire pour jeter les fondements de sa métaphysique et de sa physique à la fois, en un mot de toute sa philosophie.

Les neuf premiers mois de son séjour dans les Provinces- Unies, c'est-à-dire ceux qu'il passa en Frise % de novembre ou décembre 1628 jusqu'à la fin de septembre 1629, furent employés à écrire un « petit traité de métaphysique ». Ce n'était pas qu'il songeât à une publication immédiate; il voulait

a. Tome VI, p. 3o, 1. 10-14, et p. 28, 1. 24-27.

b. Tome X, p. 332.

c. Tome I, p. 144, I. 8-24; p. 182, 1. 17-22; p. 33o, 1. 19-21. Lettres du i5 avril et du 25 nov. i6?o, et de mars 1637. Descartes arriva à Dor- drecht en octobre 1628, et il était à Amsterdam en oct. 1629. Son séjour à Franeker comprendrait donc les neuf mois de déc. 1628 à sept. 1629. Voir ci-avant, p. 123-124. — Voir aussi t. VI, p. 3i, 1. 1-4 : « Il y a iufte- » ment huit ans. . . » Le Discours de la Méthode, imprimé pour le mois de janvier 1637, fut donc rédigé les derniers mois de i636. Or, de la fin de 1628 à la fin de i636, il y a bien en effet huit ans.

Vie de Descartes. 17

�� � ne publier d’abord que sa physique, et étudier la métaphysique seulement pour lui-même, et comme préparation. La physique sera l’édifice, dont la métaphysique n’est que le fondement, connu d’abord de l’architecte seul, et qui n’a pas besoin d’apparaître aux yeux de tous. Ou pour reprendre une de ses comparaisons[196], la physique est comme le tronc de l’arbre ; les racines correspondent à la métaphysique, et elles restent enfouies comme il convient dans le sol.

Donc l’hiver de 1628-1629, il s’enferme de nouveau dans un poêle, comme il avait fait déjà en 1619. Ce fut certainement l’hiver : car il se représente lui-même assis auprès du feu, en robe de chambre, bien au chaud, et méditant[197] ; s’il regarde au dehors, il ne voit aller et venir sous ses fenêtres que des chapeaux et des manteaux, dit-il, qui cachent les passants, de larges chapeaux de feutre et d’amples manteaux, propres à garantir du froid. Il n’est pas jusqu’à ce morceau de cire, fraîchement tiré de la ruche, qui n’atteste la même saison : c’est à la fin de l’automne qu’on fait la récolte du miel à la campagne, et Descartes avait sans doute un rucher dans son jardin.

Il commence ses méditations exactement par où bon nombre de ses contemporains finissaient. Le scepticisme était pour eux comme un lieu d’arrivée et de repos ; ce fut pour lui le point de départ. Il se range d’abord parmi les sceptiques, et pousse même le scepticisme à ses limites extrêmes : il va aussi loin qu’on peut aller, et ne s’arrête qu’au bord de l’abîme ; mais là, par une volte-face soudaine, il se retourne contre ses compagnons d’un moment, et les met en déroute. Stratagème habile autant que périlleux ; jeu hardi, auquel il se complaît. Jamais partie plus belle n’avait été faite à des adversaires ; toutes les chances de gain, il les met de leur côté, mais pour être plus sûr qu’ils perdront ; en fin de compte, c’est lui qui gagne, et semble-t-il, définitivement. Métaphysique. i^i

Que l'on fît volontiers profession de scepticisme en France, c'est-à-dire à Paris, de 1620 à i63o environ, c'est ce que prouve, entre autres, Tin-octavo de 1008 pages, que publia Mersenne en 1625 sous le titre de La Vérité des Sciences contre les Sceptiques. Le premier livre, qui compte à lui seul 122 pages, reprend et énumère les raisons de douter qu'allé- guaient les anciens, Sexte, ^'Enesidème, etc., et toute la lignée de Pyrrhon. Descartes ne dédaigne pas ces vieux arguments, tirés des erreurs des sens ou des illusions de nos songes ; il les ramasse, et les refond, et leur rend la vie. Ce n'est pas contre un vain fantôme du passé qu'il s'escrime ; Charron , après Montaigne, avait redonné au scepticisme comme un regain de nouveauté, et on se trouvait en présence d'un ennemi réel, en chair et en os, qui s'élevait contre la philosophie et la science. Mersenne avait cru faire un coup de maître, après avoir attaqué en eux-mêmes les arguments des sceptiques, d'invoquer contre ceux-ci la Vérité des Sciences : il entendait surtout l'Arithmétique et la Géométrie. L'idée était heureuse, et l'avenir la justifiera. Mais Descartes n'estimait pas que les sciences fussent encore assez sûres d'elles-mêmes, ni assez exemptes d'erreurs, pour qu'il pût les opposer victorieuse- ment : tout mathématicien qu'il est (et son aveu n'en a que plus de prix), il ne fait pas difficulté de reconnaître que

a. Mersenne, Impiété des Deijles, 1624 : « ...vn tas d'ignorans, » lefquels ayans leu cefte Sagejfe (de Monfieur Charron), s'eftiment plus » habiles que ceux qui ont vfé leur vie à l'eftude des bonnes lettres & à la » contemplation des myfteres diuins. Vous les verriez auec leur modeftie » Académique mettans tout en doute. . . Pourquoi cela ? Parce qu'ils ont » leu, dedans la Sagejfe de Charron, qu'vne des conditions du fage eft » iuger de tout, & ne s'aheurter ou ne s'attacher à rien : afin que l'efprit » de ces fages demeure indiffèrent, gênerai, & vniuerfel. » (Tome I, p. 200.) Mersenne ajoute, il est vrai, ce correctif : « ...il faut auoir » recours à la 2. impreiïion; car eftant la dernière, & corrigée de fa main, » elle doit eftre tenue pour la meilleure; or il fait paroillre combien il eft » efloigné du Pyrrhonilme en matière de religion. Voicy fes paroles au » 2 chapitre de l'on Epitome : Cefte liberié, tant au iuger qu au furjeoir, » ne touche point les chofes diuines & furnaturelles. » Tome I, p. 201.)

�� � l’on commet parfois des paralogismes en mathématiques, et il tire de là une nouvelle et plus puissante raison de douter.

Mais peut-être la métaphysique va lui fournir la réfutation décisive du scepticisme ? Pas encore, et c’est même plutôt le contraire. Dès les premiers pas de Descartes dans ce domaine, il en fait surgir une raison suprême, et ce semble, irréfutable, de tout mettre en doute. Il suppose que Dieu lui-même est trompeur, ou pour ne pas blasphémer, qu’un malin génie, presque aussi puissant que Dieu, emploie toute son industrie à nous tromper. Le malin génie ainsi évoqué, ne serait-il point celui que la théologie appelait simplement le Malin, c’est-à-dire Satan en personne, prince des ténèbres, souverain maître d’illusion et d’erreur, à qui Milton fera jouer bientôt dans son poème le rôle que l’on sait ? Ce serait ici comme une dernière réapparition de la fantasmagorie du moyen âge à l’aurore de la philosophie moderne. Le débat s’élève tout à coup, et prend les proportions d’un duel épique entre le bon et le mauvais principe : l’un qui menace de priver l’âme humaine de son bien, qui est la vérité ; et l’autre, qui peut seul lui garantir cette même vérité immuablement[198].

Descartes triomphe, en effet, du malin génie, et de tous les sceptiques avec lui. Qu’il me trompe tant qu’il voudra, déclare-t-il, il ne pourra pas faire qu’en ce moment même je ne pense pas ; et si je pense, je suis. Donc, plus Descartes s’évertue à douter, et plus, par là-même, il fait acte d’un être qui pense, et s’affirme à ce titre comme existant. Ainsi, lorsqu’il semble donner cause gagnée à ses adversaires, en proclamant un scepticisme encore plus radical que le leur, au même moment, par une sorte de mystification, il leur prouve (et par quelle preuve irréfutable !) une chose certaine, la seule même qui soit certaine, à savoir qu’il existe. Pascal aussi plus tard aura de ces coups de génie, dans la polémique : tout paraît perdu, au contraire tout est gagné ; les nuages s’assemblent, Métaphysique. i^j

les ténèbres s'amoncellent, et soudain jaillit la plus ëclatuntc lumière.

Notons ce trait caractéristique de notre race, que Descartcs représente si hautement. 11 allîrme son existence, mais com- ment ? Par la pensée. Il existe parce qu'il pense, et non parce qu'il a un corps, et qu'il se meut, et qu'il aj^it extérieurement. La fonction propre de la France, et sa tâche dans le monde, n'est-elle pas la pensée ? Notons cet autre trait, caractéris- tique encore : la croyance que l'homme est libre, et l'usage qu'il fait de cette liberté. Là-dessus Descartes ne craint pas d'outrer sa doctrine : il revendique la liberté pour l'homme comme un privilège et presque un attribut divin, comme sa principale ressemblance avec Dieu '. Le sentiment intérieur que nous en avons, suffît à le prouver ; c'est même la seule preuve que Descartes en donne. Ne soyez pas libre, si bon vous semble, dira-t-il plus tard assez cavalièrement a Gas- scnd : ce n'est pas cela qui m'empêchera de me croire libre et de l'être, ainsi que tous ceux qui voudront bien comme n)oi en faire l'expérience . C'est parce qu'il est libre, qu'il a pu douter comme il a fait, et qu'il pourra toujours suspendre son jugement, et se préserver ainsi de l'erreur. La liberté humaine, s'opposant à un Dieu qu'on imagine trompeur, et refusant de se laisser tromper par lui, l'emporte sur ce Dieu lui-même; la résistance à l'erreur, quand on le veut bien, est invincible.

Que faire maintenant de cette vérité unique : l'existence de notre pensée ? Qu'est-ce que cette pensée, et peut-elle avoir confiance en elle-même ? Elle est certaine de sa propre exis- tence, et aussi que des idées existent en elle. Mais quelle est la valeur de ces idées, même claires et distinctes? La supposi- tion d'un malin génie, auteur de notre être, subsiste tou- jours : il ne peut pas nous empêcher d'être certains de notre

a. Tome VII, p. S;, 1. 1 1-27.

b. Ibid., p. 377, 1. 22-28.

�� � M 4 Vie de Descartes.

existence, en tant qu'êtres pensants; mais il ne nous permet aucune autre certitude. La première démarche de notre pensée sera donc de nous délivrer d'une telle obsession, et pour cela, de prouver l'existence d'un Dieu de vérité, cause de notre pensée et de tout notre être pensant.

Les preuves de Dieu ne manquaient certes pas dans les écrits du temps*, soit les traités de philosophie aux mains des écoliers, soit les ouvrages des hommes de lettres aux mains des gens du monde. Elles étaient étiquetées et cataloguées avec indica- tion de leur provenance : preuves de saint Thomas, preuves de saint Anselme, etc., et on n'aurait point de peine à trouver une ressemblance entre ces preuves en quelque sorte consacrées et les arguments dont Descartes a fait choix. Toutefois notre philosophe avait pris une attitude singulière, et qui lui rendait plus difficile qu'à tout autre, de prouver Dieu, Avec son doute hyperbolique, ni le ciel ni la terre n'existe encore pour lui, ni rien ni personne au monde, en dehors de sa propre pensée. Il en est réduit à celle-ci seulement ; et encore quelle pensée ! Elle existe bien; mais son existence est la seule chose dont . elle soit assurée. Pour tout le reste, elle est incertaine, elle

a. Mersenne disait en i623 : « Toletus probat animae immortalitatem » 60 ratlonibus. » [Quœftiones celeberrimœ in Genejim,p. 3^6-3y-.)

b Voir Eustache de Saint-Paul, « le Feuillant », Summa Philofophiee, 2« édit., 161 1 : Metaphyfica, Pars IV :

« . . .Triplex eft via cognofcendi Deum naturaliter ex D. Dyonifio :

» Prima caujalicatis , cùm ab ipûs rébus effeftis ad primam caufam » omnium effeclricem progredimur. »

« Secunda eminentice, cùm quicquid perfectionis eft in rébus creatis, » Deo qui eminenter omnia continet, attribuimus. »

« Tertia remotionv:, cùm quicijuid imperfeitionis eft in Creaturis à Deo » remouemus. » (Pag. ii4.)

Et Mersenne encore, Impieté des Deijles refutée, 1624 :

« Le Theol. Nous ne manquons d'autres raifons pour conuaincre les » Athées, telles que font celles qui font prifes de cet Axiome : tout ce qui » fe meut, efi meu par quelquvn ; ou tout ce qui eft, a eftre d'vn autre, » qui ne reçoit Jon eftre d'atileurs, excepté Dieu qui a fon eftre de Joy- » mefme. Mais ie me contente de les auoir déduites en la I queftion fur » la Genefe... » (Tome I. p. m.)

�� � Métaphysique. i j 5

hésite, elle ne peut faire un pas sans broncher ; elle semble condamnée pour toujours à l'immobilité absolue. Or c'est de cette infirmité même, que Descartes fera sortir la plus auda- cieuse et cependant, selon lui, la plus certaine des affirmations. Et remarquons-le, ce sont toujours les armes des sceptiques qu'il retourne contre eux ; leur propre thèse va fonder la sienne inébranlablement. Plus notre pensée doute, plus elle fait preuve d'imperfection. Or l'imperfection ne saurait être jugée telle que par rapport à la perfection, dont nous avors donc l'idée. Le philosophe transporte ici dans le monde intel- lectuel ce qui est bien connu des mystiques dans le monde moral : là, plus une âme place haut son idéal, plus elle se sent éloignée de lui; les plus parfaits sont précisément ceux qui se jugent les plus imparfaits. Considérées comme deux idées, perfection et imperfection sont corrélatives, et croissent en raison directe l'une de l'autre. Mais l'idée de la perfection ne pouvant pas venir de l'imperfection, il faut bien qu'elle vienne d'un être parfait : par conséquent celui-ci existe. Je pense, donc je suis, avait dit Descartes. Vérité unique, qui renferme deux parties. La preuve bifurque donc. D'une part, notre pensée {je pense), qui jusqu'alors n'a fait que douter, c'est-à- dire témoigner de son imperfection par rapport à la perfection, par là même prouvait Dieu. Et d'autre part, notre existence (je suis), c'est-à-dire notre existence d'être pensant, en qui se trouve ridée du parfait, ne s explique aussi que par l'existence de cet être parfait ^

Le fond de cette double argumentation se retrouverait chez saint Thomas et chez Aristote ; mais Descartes l'a transformée en l'adaptant à ses méditations. On raisonnait sur les causes secondes, dont la chaîne ne saurait remonter à l'infini ^ : causes

a. Tome VI, p. 33, J. 26, a p. 36, 1. 3.

b. EusTACHE DE Saint-Paul, Sutnma Philo/ophice. Metaphyjica. Quœjîio 2 : Virùm Deum effe demonjlrari pojftt & quomodo ?

■ <■ Secunda affertio. Deum effe à pojleriori demonftrari poffe, ita cer-

�� � ij6 Vie de Descartes.

du mouvement, de l'être, de la perfection même ; on raison- nait sur le contingent et sur le nécessaire, lequel était la cause première; et on ne distinguait pas entre le dedans et le dehors, les choses et l'esprit. Avec notre philosophe, il ne s'agit plus que de la pensée dans l'exercice raisonné de ses fonctions, dont

» tum eit apud Theologos, vt ipfum negare non folùm temerarium, fed » etiam parùm tutum in fide lit. . . »

a Sunt autem quinque potiflîmùm rationes (vt alias minus prœcipuas » praetermittamus), quibus Deum elTe ^ 27o/?er iorj demonftrari pofle docet » S. Tho. I. p. q. 2. art. 3. »

« Prima ducitur ex motu. Cùm enim quicquid mouetur, ab alio » moueatur, quod & ipfum moueri neceffe fit, idque ab alio : nec fas fit » in infinitum progredi, quia fie | non effet primum mouens : neceffe eft » deuenire ad aliquod primum mouens, quod caetera moueat, immotum : » quod Deus eft. »

« Secunda fumitur ex ratione caufœ efficientis. Ordo quidam eft cau- » l'arum efficientium, ita vt primum fit caufa medii, & médium vltimi : » quo fit vt fublato primo non fit médium nec vltimum : quod cùm fit » ablurdum, neceire eft in génère caufarum efficientium dari primum, » quod eft Deus optimus maximus. »

Tertia ex pojjibili & necejfario. Cùm enim ea quae lunt poffibilia non » lint neceffariè, & tamen effe poftînt : débet admitti ens aliquod neceffa- » rium, per quod ea quae funt poflîibilia, cùm non eftent, caeperint eftè : » quod quidem ens neceffarium fit caufa fuae neceflTitatis, ne detur pro- » ceflus in infinitum. »

« Quarta ex gradibus perfeâionum. Cùm enim detur in rébus creatis » magis & minus bonum, verum, nobile : débet efl'e aliquid optimum, » veriiïimum, nobilifiimum, quod fit menfura bonitatis, veritatis & nobi- » litatis cœterorum omnium, ac proinde quod fit fummè ac infinité ens, » ideoque caeterorum omnium entium caufa : quod eft Deus optimus » maximus. >>

« Quinta ex gubernatione rerum. Cùm enim res omnes naturales » etiam omnis cognitionis expertes propter finem operentur, nec fe ad » illum dirigere valeant, & tamen ab illo minime aberrent : necefte eft » vt fit aliquod fuprcmum intelligens, quod illas omnes ad fuum finem » dirigat. »

« Caiterum, quia prima ratio nititur axiomatc, iuxta Ariftotelis dogma >> quidem indubitato, fed tamen abfolute dubio, & fortaffe minus | pro- » babili : polVet loco iftius prima; rationis qua; aftertur à D. Tho. ifta » fupponi : nempe, Nihil habet effe à fe, fed ab alio : quare ne detur » progreffus in infinitum, dandum aliquid eft quod à nullo alio, fed à » feipfo habeat effe, ac proinde fit naturâ fuâ increatum & aeternum : » quod eft Deus. » (Pag. ri5-ii7, 2' édit,, i6ii.)

�� � la première est de douter. Par une sorte de gageure insensée, tant elle semble paradoxale, ce doute seul suffit à prouver et notre âme et Dieu.

Puis le mathématicien reparaît[199]. Les manuels de philosophie enseignaient que Dieu ne se démontre pas à priori, mais à posteriori seulement : par les effets, et non par la cause. Saint Anselme cependant avait tenté une démonstration à priori, et Mersenne la rapporte tout au long, en 1624, comme la « huitième » preuve de l’existence de Dieu, dans son Impiété des Déistes réfutée et renversée[200]. Descartes la reprend à son tour, mais en lui donnant encore une forme nouvelle. Il en fait ressortir le caractère à priori, et la compare à ce point de vue aux démonstrations mathématiques : de part et d’autre, l’évidence est égale, ou plutôt, n’en déplaise aux mathématiciens, elle est plus forte dans la démonstration métaphysique. La seule idée de l’être parfait implique l’existence de cet être, comme l’idée du triangle, par exemple, implique l’égalité des trois angles et de deux droits. Cette démonstration, donnée d’abord comme la troisième par notre philosophe, deviendra pour lui la première, celle qui doit passer avant les deux autres. Et en effet, la perfection emporte d’abord sa propre existence, ou l’existence de l’être parfait ; par là s’explique ensuite l’existence d’êtres imparfaits, qui ne se jugent tels que parce qu’ils ont l’idée de la perfection. La critique pourra s’exercer sur ces démonstrations, et en contester la valeur absolue. Elle ne saurait méconnaître, au moins, cette double affirmation absolue, de la pensée et de la perfection, qui est comme le premier et le dernier mot de Descartes ; ce sera toujours, dans la philosophie française, l’idée dominante ; bientôt même elle pénétrera dans le domaine politique et social, sous le nom de perfectionnement et de progrès.

Sans approfondir les attributs divins (Descartes a autre chose à faire), il expose cependant ses idées sur l’entendement et sur la volonté en Dieu. On ne conteste pas que l’entendement divin soit infini ; mais la volonté divine est infinie également, ou plutôt la liberté en Dieu est infinie. Ne l’est-elle pas aussi en l’homme ? Du moins Descartes l’affirmera toujours envers et contre tous : à plus forte raison doit-elle l’être en Dieu. C’est là un dogme de sa métaphysique, et il était bien aise de se rencontrer là-dessus avec des théologiens d’une orthodoxie éprouvée. Si Dieu n’est pas libre, en effet, il agit MÉTAPHYSIQT'E. I }C)

nécessairement; et on voit combien une telle doctrine est dan- gereuse. Non seulement Dieu se trouve assujetti au Styx ou au Fatum, comme un Saturne ou un Jupiter antique* ; mais le philosophe moderne, qui soutient pareille thèse, risque d'être confondu avec Jordano Bruno, qui enseignait l'infinité des mondes. Cette infinité est, en eflret, conçue par l'entende- ment infini de Dieu ; elle est donc réalisée nécessairement par sa puissance ou sa volonté infinie également. A quoi les théologiens n'avaient rien à répondre, sinon : que la liberté divine tempère cette infinie puissance, et la restreint à la création de ce monde seulement. C'est la réponse de Mersenne à Jordano Bruno, dans V Impiété des Déistes ren- versée^, et Descartes sera pleinement d'accord là-dessus avec Mersenne.

Le dogme de la création devient, par cette doctrine de la liberté divine, un dogme philosophique. Descartes l'étend à

a. Tome I, p. 147. 1. 7 ; p. 149, 1. 2 i ; et p. i5i-i53.

b. « . . .Bien que les fens ne fe portent que iufques aux eftoiles, neant- » moins la raifon nous monftre, difoit-il, qu'il y a vn efpace infiny hors la » conuexité du premier mobile, lequel a vne aptitude & capacité infinie » de contenir, puis que la caufe efficiente a vne puiffance infinie. » — A quoi le Théologien répond : « C'eft fort mal raifonné de conclurre vn » effet infiny d'vne caufe infinie, lors que la caufe n'agit pas neceffaire- » ment, mais librement. . . » (P. 283-284.)

« ...Si loft... qu'il eut apperceu que ie voulois conclurre que le » monde eft finy (car bien que Dieu ait vne puiffance de créer infinie, » neantmoins quant à l'effet il l'a tempérée par fa volonté, & l'a reftrainie » à la produiflion de ce monde feul, car il en pouuoit créer vne infinité) : » il refpondit incontinent que mal à propos la diuine volonté eft fuppofee » régler, modifier, & déterminer la puiffance diuine, & que de cette » maxime fuiuent infinies abfurditez en la Philofophie; & mefme que les » Théologiens n'admettront iamais qu'vn attribut dépende de l'autre. . . » [Impieté des Deijles renuerjee, 1624, t. II, p. 289-290.)

« ...C'eft lordan Brun qui a donné fujet à quantité d'efprits foibles & » légers, dans fon traité del infinito vniuerfo, de croire que le monde » eftoii infiny, ou qu'il y auoit vne infinité de mondes dans cet Vnruers, » parce qu'il penfoit, ou du moins s'eft efforcé de perfuader par quelques » paralogifmes, que Dieu agiffoit neceffairement; mais ce fondement » eftant très-faux, toutes les imaginations phantafques s'en vont par » terre. . . » (Page 299-300.1

�� � tout, jusqu’aux vérités éternelles, lesquelles sont créées librement par Dieu, mais une fois pour toutes, et demeureront éternellement ’. Il l’étend, ce dogme, jusqu’à Dieu, cause de tout le reste et de soi : Dieu crée tout, et se crée lui-même. On en vient à de telles témérités de langage, lorsqu’on transporte la création dans l’absolu.

Hâtons-nous de reprendre pied dans le monde réel de l’étendue, de la figure et du mouvement. Les vérités éternelles sont les lois de ce monde, et ce sont en même temps les principes des mathématiques. C’est à cela, en définitive, que Descartes voulait aboutir au terme de sa métaphysique. Que doit être désormais la physique? Une dépendance des mathématiques. Les choses sensibles ne paraissaient offrir, après l’examen qu’en avaient fait les sceptiques, que matière à incertitude et erreur. Tout n’est point cependant à rejeter en elles, et il n’est que de faire le départ entre ce qui peut devenir objet de science et le reste. Descartes examine, par exemple, un morceau de cire*" : il le dépouille, une à une, de toutes les qualités qui n’offrent pas à l’esprit la clarté et la distinction requises pour la connaissance scientifique : quelque chose subsiste toutefois, qui présente ces caractères d’être étendu, figuré, et capable de mouvement : tels les objets étudiés par les mathématiciens. Ou bien encore (c’est une autre comparaison de Descartes’), il a commencé par vider tout son panier de pommes, parce que bon nombre dans le tas étaient certai-

a. Tome I, p. 145-146, Mersenne disait déjà, Impiété des Deijles, 1624, t. I : « ...La moralité elt prifc du refpefl que nos aftions ont auec la règle de la volonté, laquelle règle eft à noltre égard le diâamen de la raifon; mais en Dieu, c’eft fa volonté mefme, car il n’a autre règle, autre loy, ou obligation que loy mel’me, ii bien que la moralité des allions libres de Dieu, telles que font fa mifericorde, fa charité, & fon » amour cnuers nous, n’elt prife d’aucune loy, que donne rintelleiH diuin à la volonté, mais de la volonté diuine, laquelle eft feule impeccable par nature, d’autant que toute feule elle eft fa règle, & le principe formel de fes aidions morales. » (Page 49.)

b. Tome VII, p. 3o, 1. 8.

c. Ibid., p. 5 12, 1. 16-21. nement gâtées ; mais d’autres sans doute se trouvent saines, et il s’agit de les démêler. Les choses sensibles ont des parties obscures, confuses, qui échappent aux prises et au regard de la science ; mais aussi des parties claires et distinctes, qui s’offrent presque d’elles-mêmes à la démonstration. Tout ce qui en elles est étendue, figure, mouvement, tout cela, et cela seul, peut être connu scientifiquement, c’est-à-dire mathématiquement. Car la mathématique est la seule science, et elle est toute la science. Avec son besoin de certitude absolue. Descartes n’en admet pas d’autre ; et d’ailleurs elle suffit, puisqu’elle s’attaque dans les objets à ce qui précisément est l’essentiel, et fait abstraction du reste. Que l’essence des choses matérielles soit en effet ceci, on n’en doit pas douter, à moins de supposer Dieu trompeur. Mais tout l’effort de la métaphysique cartésienne a été dirigé, et efficacement, contre cette outrageante supposition.

Si cependant l’on conserve des doutes, si l’on craint que cette essence des choses matérielles ne nous donne pas encore leur existence, ou la réalité du monde sensible, Descartes nous rassure à cet égard[201]. Outre ce monde géométrique, objet de la science, il y a le monde où nous vivons, nous composés d’une âme et d’un corps, monde lumineux et coloré, qui nous donne des sentiments de chaud et de froid, de pesanteur, d’odeur, de saveur, et de son. Tout cela existe, et a son fondement, non plus, il est vrai dans les choses elles-mêmes, et comme des qualités réelles de ces choses, mais en nous, c’est-à-dire dans cet assemblage que forment par leur union notre âme avec notre corps. Et ces sentiments ont leur office propre qui n’est pas de faire connaître à notre esprit le vrai et le faux, en quoi ils ne pourraient que l’égarer, mais d’indiquer à cet assemblage ce qui lui convient ou ne lui convient pas, ce qui lui est bon ou mauvais, utile ou nuisible ; et tout cela se fait suivant des lois, qui ont pour objet la conservation de la vie, lois dont les effets peuvent dans de certains cas donner lieu à erreur, si nous n’y prenons garde, mais dont on ne saurait demander pour cela qu’ils ne se produisent point, puisqu’ils sont des effets de lois naturelles. Les erreurs des sens, pierre d’achoppement tout à l’heure, et encore maintenant objet de scandale, qui semblent accuser Dieu de tromperie ou de mensonge, se trouvent expliquées par là ; et la véracité divine n’a plus besoin de justification.

Nous avons donc comme deux points de vue sur les choses, et la grande affaire est de ne pas les confondre : le point de vue de l’esprit pur d’abord, ou de la pensée, qui est celui des philosophes et des savants, et d’où l’on découvre peu à peu les rouages et les ressorts du mécanisme universel. Puis nous avons encore un autre point de vue, celui de la vie, ou de l’être vivant qu’est l’homme avec ses sensations et ses passions, l’homme complet, âme et corps tout ensemble. A ce monde des sens Descartes ne demande qu’une chose, de ne pas empiéter sur l’autre, qui est le monde intelligible, et de n’y pas introduire ses préjugés ; mais si on le maintient rigoureusement dans les limites et le rôle qu’il lui assigne, et qui est de pourvoir aux besoins de la vie, on ne saurait en méconnaître la parfaite légitimité.

Telle est, autant qu’on peut la reconstruire à l’aide des publications de 1637 et de 1641, la métaphysique de Descartes à la date de 1629. On serait tenté aujourd’hui de la trouver un peu réduite ; elle l’est, en effet, au minimum indispensable. Le philosophe ne s’attarde pas à spéculer longuement sur les principes de l’être et du connaître, et n’étale pas non plus un luxe de preuves en faveur de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme. De telles préoccupations pouvaient dominer chez un religieux comme le P. Mersenne, ou chez l’auteur d’une philosophie chrétienne comme Silhon, dans son livre sur Les deux Vérités. Celui-ci avoue que l’immortalité de l’âme offre encore plus d’intérêt pour lui, que l’existence de Dieu : il cherche, en effet, une règle de la vie présente en vue de la vie future[202]. Mais l’ambition de Descartes est tout autre ; il ne demande à la métaphysique qu’une chose, de fournir un appui solide à la vérité scientifique, et non pas une sanction suprême à la moralité.

On s’étonnera peut-être aujourd’hui, qu’il ait cru nécessaire pour cela de déployer un tel appareil. Certes, les savants n’en auraient que faire désormais : ne trouvent-ils pas dans la science même une suffisante garantie de vérité ? Et à voir d’ailleurs le succès croissant avec lequel, grâce à la science, l’esprit humain s’assujettit la nature, comment douter qu’il ne soit en possession des lois naturelles, dont il reproduit, et dirige, et transforme à son gré les effets ? Les applications heureuses des découvertes scientifiques valent maintenant toute une philosophie de la certitude. Mais on n’en était pas encore là du temps de Descartes ; et surtout son esprit avait des besoins de vérité, et des exigences en fait de démonstration, qui ne pensaient pouvoir se satisfaire que grâce à la métaphysique. Que voulait-il, en effet ? sinon opérer une révolution dans la science de la nature ; substituer à des principes surannés et qui avaient fait leurs preuves d’impuissance, de nouveaux principes, qui promettaient d’être efficaces. Pour cela ne fallait-il pas se prévaloir de Dieu lui-même, et invoquer son autorité absolue ? Les choses sensibles ne paraissaient fournir que matière à erreur ou à suspicion. Les choses intelligibles, au contraire, étaient l’objet de la démonstration et de la certitude. Comment faire pour étendre à celles-là le bénéfice de celles-ci, et annexer en quelque sorte les unes aux autres ? D’un côté, on avait une physique, la physique péripatéticienne, avec des notions obscures et confuses, trompeuses apparences ; et de l’autre, les mathématiques, avec des idées claires et distinctes, partant certaines, mais auxquelles la physique semblait réfractaire. Il fallait briser cette opposition par un coup d’état philosophique, et c’est ce que Descartes a prétendu faire. Jadis Moïse alla chercher le Décalogue au sommet du Sinaï, afin de l’imposer plus sûrement au respect de la foule. Notre philosophe (et l’état des esprits au xviie siècle lui en faisait encore une obligation) crut devoir aussi, pour faire accepter sa réforme, la présenter comme venant d’en haut. Il était parfaitement sincère d’ailleurs, son propre état d’esprit étant à cet égard celui de ses contemporains. Sans aller donc jusqu’à prendre l’attitude d’un prophète inspiré, il se laisse un moment ravir, et cela, non plus comme en novembre 1619 dans le songe plus ou moins trouble d’une nuit de fièvre, mais en pleine lucidité d’esprit, à l’enthousiasme que suscite en lui la contemplation d’un Dieu, foyer de toute lumière et de toute vérité[203]. CHAPITRE III

PHYSIQUE LE MONDE

(1629-1633)

��Le petit traité de métaphysique, que Descartes médita les neuf premiers mois de son séjour en Frise, lui prit à peine tout ce temps-là. II fut vite distrait, en effet, par d'autres occu- pations. Le phénomène des parhélies, observé à Rome, le 20 mars 1629, vint à la connaissance des savants de Hollande Tété suivant. Descartes en fut aussitôt informé par un des amis qu'il avait déjà dans le pays, Reneri, et invité à dire ce qu'il en pensait. Avec son habitude de généraliser les ques- tions et de les ramener autant que possible aux principes, il crut devoir, pour expliquer ce phénomène particulier, étudier tous les météores ; non content de cela, il reprit même l'étude de la physique entière, et l'idée lui vînt d'entreprendre un traité du Monde. Toutefois il ne l'aurait point présenté au public sous ce titre un peu ambitieux, et qui rappelait trop ceux des philosophes novateurs ; mais il trouva un biais pour faire paraître l'ouvrage sous un jour favorable, propre à attirer l'attention des hommes instruits aussi bien que des savarîts : ce sera un « Traité de la Lumière »; Et comme la lumière est répandue sur toutes choses en ce monde : Soleil et Étoiles, qui la produisent, les Cieux qui la transmettent, la Terre avec les Planètes et les Comètes qui la reçoivent, un Traité de la

Vie de Descartes. 19

�� � Lumière, entendu de la sorte, devient véritablement un Traité du Monde.

Nous n’avons point ce Traité en entier, sous la forme que Descartes lui donna de 1630 à 1633. Mais nous en avons certainement l’essentiel, soit résumé dans la cinquième partie du Discours de la Méthode en 1637, soit développé et surtout traduit en latin dans les Principia Philosophiæ en 1644. Outre cela, quelque chose de l’ouvrage primitif nous a été conservé, dont il est facile de vérifier l’authenticité, grâce à ces deux termes de comparaison ; enfin, dans maint passage, la correspondance, de 1629 à 1632, peut servir de contrôle[204]. Pourtant nous ne saurions trop regretter de ne plus avoir l’œuvre complète : la pensée du philosophe y apparaîtrait toute simple et naïve, sans réserve ni détour, sans souci de plaire aux théologiens comme sans crainte de leur déplaire. Le vrai Descartes, tel qu’il serait demeuré toute sa vie sans la condamnation de Galilée, se présenterait là sans artifice et au naturel.

Examinons donc ce qui nous reste du texte rédigé primitivement. On peut considérer les cinq premiers chapitres[205] comme une sorte d’introduction. Descartes commence par déblayer le terrain, et se prépare un champ libre pour la construction de son Monde. Il renverse l’obstacle qui se présente d’abord, la grande erreur, l’erreur capitale, laquelle est un préjugé commun à tous les hommes. Pour eux tous, en effet, les objets extérieurs sont semblables aux sentiments que nous en avons intérieurement : il y a réellement dans les choses, par exemple, du feu comme celui que nous sentons, et aussi de la lumière et des couleurs, des sons, des odeurs et des saveurs, bref tout ce que nous éprouvons en nous-mêmes de ce genre et sous ces différents noms. Or, selon Descartes, il n’y a point de science ou de philosophie possible, si l’on ne commence par détruire ce préjugé. C’est ce qu’il fait à l’aide d’exemples familiers, empruntés à l’expérience la plus commune ou à la plus simple réflexion. Aux réalités prétendues, qu’on suppose dans les objets, que va-t-il substituer ? Rien que des mouvements, et cela suffit à tout expliquer.

Il s’attaque ensuite à l’erreur des philosophes, laquelle est toute semblable à cette erreur du vulgaire ; au fond, c’est exactement la même. Les « qualités réelles », les « formes substantielles », etc., ne sont que des sentiments (ou sensations) que nous avons en nous, et que nous transportons au dehors, et réalisons de notre propre autorité dans les choses. La philosophie scolastique n’est qu’une traduction, en langage pédantesque, de croyances erronées, dont elle doit par conséquent partager le sort. Et Descartes prend l’exemple du feu : imaginez dans ce feu une forme, une qualité, une action, et expliquez avec cela, si vous pouvez, qu’il consume du bois, qu’il échauffe, qu’il brûle[206] ? Au contraire, n’y mettez rien de tout cela ; mais supposez, dans ce même feu, des particules de matière qui se meuvent en différents sens et avec des vitesses différentes, et vous avez une explication. De même pour la dureté et la liquidité, qu’on attribue vainement, comme des qualités réelles, aux objets durs et liquides : l’état de ceux-ci s’explique fort bien par la facilité ou la difficulté avec laquelle leurs particules demeurent jointes, ou glissent les unes sur les autres, suivant leur forme et la vitesse de leur mouvement.

Toutefois, et c’est la suite naturelle de l’introduction, après avoir ainsi renversé, Descartes prépare de quoi reconstruire. Les philosophes, en général, n’admettaient point le vide, pour des raisons philosophiques. Descartes pense là-dessus comme eux; mais il invoque surtout des expériences, et comme toujours, les plus familières : le tonneau plein, qui ne peut se vider tant qu’il n’a qu’une ouverture, et non pas deux, etc. Pourtant il donne aussi une raison primordiale : c’est que le vide est le néant, le rien ; or partout où il y a longueur, largeur et profondeur, il y a quelque chose. Quoi donc ? De l’étendue, et partant, de la matière, car c’est tout un.

Une conséquence immédiate de cette impossibilité du vide, c’est que le mouvement indéfini en ligne droite devient impossible : toute portion de matière qui se meut, en rencontre devant elle une autre, dont elle prend la place, et celle-ci une troisième, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on revienne, par un cercle, à la première ; il ne peut donc y avoir que des mouvements circulaires : Descartes cite l’exemple d’un poisson qui nage dans l’eau[207]. Et voilà, par avance, tout indiquée l’hypothèse des tourbillons.

L’absence de vide partout amène aussi Descartes à supposer partout une matière, de plus en plus subtile, et qui échappe d’ailleurs à nos sens. Il reprend encore à ce sujet une théorie des philosophes, relative aux éléments. Mais il la modifie par des considérations de mathématicien : les particules de matière ne peuvent être que de trois sortes, ou grosses (jusqu’à une certaine grosseur), ou petites, ou moyennes, c’est-à-dire entre les deux. De là trois éléments, ni plus ni moins ; le nombre en est fixé nécessairement. Et Descartes leur donne les noms de feu, d’air et de terre, avec des sens différents toutefois du langage usuel. En réalité, il voit d’avance dans ces éléments les matériaux des trois parties du monde qu’il va maintenant expliquer : le Soleil et les Étoiles, puis les Cieux, enfin la Terre avec les Planètes et les Comètes.

Cette introduction terminée, Descartes n’étudie pas encore le monde réel, que nous habitons. Afin d’être plus à l’aise en ses explications, il suppose, dans les espaces imaginaires, un monde à sa fantaisie, et il en raconte la formation. C’est un Roman, dit-il lui-même, ou bien une Fable[208]. On songe, en effet, aux métamorphoses d’Ovide, et aux antiques cosmogonies. Son œuvre est bien ici d’un poète, d’un créateur certes, par le souffle qui emporte sa pensée et parfois anime son langage : telle page rappelle tout à fait Lucrèce[209]. Mais notre philosophe est également un mathématicien, surtout par la méthode. Que fait-il, en effet, dans cette Fable, que de tracer comme le schéma général d’un monde quelconque, tel qu’il doit être, et dont la figure et les propriétés conviendront ensuite parfaitement au monde réel ? Il opère d’abord dans l’abstrait, comme font les géomètres avec leurs démonstrations ; mais pour revenir au concret, comme ils font encore, lorsqu’ils appliquent aux choses réelles ce qu’ils ont ainsi démontré.

Descartes imagine d’abord dans l’espace la matière qui doit le remplir : une matière dépouillée, bien entendu, de toute forme, de toute qualité, de toute action, et qui n’est pas cependant la « matière première » des gens d’École, vain fantôme incompréhensible[210]. Descartes la définit par l’étendue, et pour plus de précision, l’étendue des géomètres ; et c’est Dieu lui-même qui l’a ainsi créée. Peu importe d’ailleurs sa forme à l’origine et ses divisions en parties. En quelque état qu’elle se trouve d’abord, elle ne peut manquer d’atteindre un jour ou l’autre un certain ordre que nous allons voir : n’a-t-elle pas devant elle, pour y parvenir, l’infinité du temps, comme elle remplit déjà l’infinité de l’espace ? Et Descartes, pour en donner une idée, reprend cette belle comparaison de la mer, lorsque loin de tout rivage on la voit s’étendre à perte de vue autour de soi[211]. Il n’usera pas d’ailleurs de tout cet infini ; il n’en considère qu’une partie, mais une partie quelconque, si bien que ce qu’il démontre de cette partie-là, vaut également pour les autres, sans distinction, autant dire pour l’ensemble, pour le tout.

A la matière Descartes ajoute le mouvement. Il n y voit point l’effet d’un « premier mobile », comme prétendaient aussi les gens d’École ; mais le mouvement, ainsi que la matière, est encore une création de Dieu. Il ne comprend pas non plus sous ce nom de mouvement toutes sortes de changements, à la façon des scolastiques ; il réprouve l’extension abusive de ce terme à des transformations ou modifications d’un autre ordre : en pur géomètre, il n’admet qu’un seul mouvement, le déplacement d’un corps qui s’éloigne d’un autre et se rapproche d’un troisième, ou, si l’on veut encore, le changement de situation d’un corps par rapport aux autres qui l’entourent dans l’espace[212]. Et cela lui permet de parler des lois du mouvement. Il en énonce trois, établies par Dieu, et qui se déduisent de son immutabilité. La même quantité de mouvement subsiste toujours dans l’univers ; lorsqu’un corps en meut un autre, autant celui-ci gagne de mouvement, autant le premier en perd exactement ; toujours aussi un mouvement tend à continuer en ligne droite : voyez la pierre qui s’échappe de la fronde. D’autres règles encore pourraient se déduire de là : nous les retrouverons en 1644. Ces lois du mouvement sont, pour Descartes, les lois de la nature ; ce sont encore des vérités éternelles, les mêmes dans tous les mondes possibles ; aucun ne saurait se concevoir, qui put se constituer sans elles. On reconnaît là le langage du mathématicien, qui légifère, dans l’abstrait, et ne rencontre point d’obstacle ni ne souffre de résistance au développement impérieux de sa pensée.

Avec la matière et le mouvement, tout est dit : ce sont les seuls principes, et le reste s’ensuivra, comme une série nécessaire de conséquences. Un mot cependant encore avant de commencer : dans le monde que Descartes va construire sur ce double fondement, il n’y aura jamais aucun miracle[213]. Dieu a créé la matière ; il a créé le mouvement ; plus tard nous verrons qu’il créera l’homme encore. Nous savons aussi que, par son action toute-puissante, il conserve ce qu’il a créé : cette conservation n’est même qu’une création continuée. Mais il n’intervient plus autrement pour modifier dans leurs effets les lois qu’il a lui-même établies, et qui doivent, comme lui, demeurer immuables. Il n’y a place dans le monde de Descartes pour aucune intervention surnaturelle.

Les chapitres qui suivent[214], nous font assister à la formation de ce monde, ou plutôt des mondes en général, et dont le nôtre ne sera, nous le verrons tout à l’heure, qu’un cas particulier. Descartes montre d’abord comment se forma le Soleil, avec les Étoiles fixes, qui sont autant de Soleils. Il ne les appelle pas ainsi d’abord. La matière qui remplit l’espace, ne se meut point partout de même, mais çà et là de manières différentes, bien que toujours en définitive circulairement. Elle tournoie ainsi autour d’autant de centres, où viennent se rassembler les parties les plus subtiles et les plus agitées, qui sont l’élément du feu, et composeront les Étoiles. Nous sommes loin de notre Terre, et même de notre Soleil, et même de cette sphère de Saturne, la plus éloignée de nous, selon les anciens astronomes, et qui n’aurait au-dessus d’elle que le Firmament. Descartes a soin de rappeler que les nouveaux astronomes supposent déjà une distance infinie entre ce Firmament et Saturne, dont la sphère même n’est qu’un point en comparaison[215]. Et ses propres suppositions vont encore au delà infiniment. Car dans ces espaces infinis, tout remplis de matière, ni remparts de feu, ni murailles d’airain n’arrêtent l’essor puissant de sa pensée ; et les ailes de son imagination ne vont pas se briser contre la voûte de cristal d’un suprême et unique Firmament.

Mais les parties de la matière ne sont point toutes subtiles et flexibles, au point de se ranger docilement dans tel ou tel tourbillon et d’être emportées désormais en son cours. 1 5 2 Vie de Descartes.

Quelques-unes, plus grosses et de figures irrégulières, résistent, se rejoignent et font masse, puis, selon leur mouvement, ou bien se dégagent d'un tourbillon pour passer dans un autre, ou bien sont refoulées à l'intérieur juste à une certaine place, et là tournent indéfiniment avec lui. Et Descartes donne cette ingénieuse comparaison^ : deux rivières se séparent après s'être rencontrées un moment; mais cette rencontre suffit pour que de gros bateaux, en dépit du courant de l'une, puissent passer dans l'autre, tandis que des corps légers, simples fétus, ou flocons d'écume, restent dans leur rivière, et continuent d'en suivre le cours. Ainsi s'expliquent d'une part les Comètes, et de l'autre les Planètes, corps opaques les unes et les autres, et qui réfléchissent seulement la lumière. Les Comètes surtout attiraient l'attention, et les deux dernières, qui avaient paru en 1607 et en 1618, avaient été observées attentivement par Tycho-Brahé et par Kepler. C'étaient, au dire des Anciens, des phénomènes sublunaires, assez proches de nous par consé- quent. MaisTycho avait reconnu que celle de 1607 cheminait sur les sphères de Vénus et de Mars, loin de la Terre, et bien au delà de la Lune. Ce n'est pas assez dire, prétendait Des- cartes : des mêmes observations on pouvait aussi bien conclure qu'elle allait jusqu'à la sphère de Saturne et même encore plus loin^\ Il suppose, en effet, ses Comètes infiniment au delà, puisqu'il les promène de ciel en ciel, ou comme il dit, de tour- billon en tourbillon, dans les immenses domaines des Étoiles fixes, et non plus seulement du Soleil. Plus tard il récusera les astronomes qui alléguaient encore celle de 1572 pour les main- tenir dans le voisinage de la Terre et les tirer comme par force tout près de nous. Il invoquera Tycho, et non pas Kepler, on ne sait pourquoi. Le livre de Tycho sur les Comètes remontait à 1609, et Kepler en avait publié un autre plus récemment, en 1619- 1620. Mais Descartes ne cite Kepler que pour l'optique, et on ne sait même pas si la grande découverte du célèbre

a. Tome XI, p. 37, 1. 24, à p. 60, 1. 6.

b. Voir les Principes, en 1644 : t. VIII, i" partie, p. 98.

�� � Le Monde. i ^ j

astronome sur le mouvement elliptique, et non pas circulaire, des Planètes autour du Soleil, l'avait beaucoup frappé : il se contente de dire ailleurs, que le mouvement de la Lune autour de la Terre se fait en ovale.

Ici Descartes déguise à peine sa pensée : s'il ne donne pas tout à fait aux différentes planètes qu'il étudie les noms des cinq Planètes connues de son temps. Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, il les désigne cependant avec les carac- tères astronomiques encore en usage, ?, 9, à", a, i; en parti- culier il en met une à sa place entre ^ et cr', avec la petite planète qui tourne autour, et ce sera la Terre avec la Lune. Elle n'est point d'ailleurs la seule dans ce cas : Descartes n'ignore pas que les astronomes venaient justement de décou- vrir quatre petites planètes autour de cette autre grande qu'est Jupiter, et deux, autres encore peut-être autour de Saturne ^. Seulement il étudie d'abord le cas dans sa géné- ralité.

A cette question s'en rattachent deux, qui trouveront aussi leur application dans notre monde réel et plus particulièrement sur notre Terre : la pesanteur des corps, le flux et le reflux de la mer. Dans le Ciel ou le tourbillon où tourne chaque Planète, elle forme elle-même autour d'elle un petit Ciel ou tourbillon semblable ; les corps qui s'y trouvent sont poussés vers le centre, ou bien s'ils ne peuvent l'atteindre, vers la surface de cette Planète, par suite du mouvement circulaire de l'ensemble, et parce que tout autour il n'y a point de vide. Chaque tour- billon est, en effet, environné d'autres tourbillons qui le pressent, et ses parties intérieures sont refoulées vers le centre; autrement ce serait une dispersion de tout le tour- billon lui-même dans l'infinité du vide environnant. Que se passe-t-il, en réalité ? Un corps descend : la portion de matière qui se trouve au-dessous, prend aussitôt sa place au-dessus, et le pousse davantage. Un corps monte en l'air : ce qui se

a. Tome XI, p. 72, 1. 15-24.

b. Ibid., p. 73, 1. 3-23.

ViK DE Descartes. 20

�� � trouve au-dessus, prend sa place au-dessous et continue à le soulever. Tels les deux plateaux d’une balance, alternativement plus lourds et plus légers[216].

Quant au mouvement de chaque Planète sur elle-même, et au mouvement de toutes autour du Soleil, centre commun de tout leur Ciel, il va de soi ; et c’est à peine si Descartes fait remarquer, en passant, que les choses, telles qu’il les présente, répondent d’avance aux objections contre le mouvement de la Terre : il renverse, comme d’une chiquenaude, en passant, les difficultés que ce mouvement paraissait soulever[217].

Pour le flux et le reflux[218], Descartes l’explique par le mouvement d’une petite Planète (telle la Lune) autour d’une plus grande (telle notre Terre), et la poussée qu’elle exerce au-dessous d’elle sur l’air jusqu’à la surface de l’eau, et sur celle-ci qu’elle refoule à droite et à gauche vers les rivages, mais qui vient reprendre son niveau lorsque la Lune est passée. Galilée expliquait autrement le flux et le reflux. Mais Descartes ne le sut qu’après coup, et put dire avec raison que sa propre explication valait mieux certainement.

Après avoir ainsi parlé des Étoiles fixes (et le Soleil en est une), des Comètes, et des Planètes (et la Terre en est une aussi), c’est-à-dire des corps formés par les deux éléments extrêmes, le plus subtil et le plus grossier, Descartes étudie l’élément moyen, qui forme les Cieux. C’est là précisément qu’il pense trouver l’explication de la Lumière, objet principal de son Traité. Nous ne le suivrons pas dans tout le détail où il s’aventure pour expliquer le trajet des rayons depuis le Soleil et les Étoiles, parmi les petites boules de cet élément des Cieux, jusqu’à la surface de la Planète où se trouvent des êtres vivants avec des organes propres à en être frappés. Bornons-nous à noter le soin avec lequel, ici encore, notre philosophe écarte les formes et les qualités, vaines chimères Le Monde. i ^ ^

scolastiques, et définit le mot de tendance (ou plutôt le verbe tendre)', qu'il emploie en lui ôtant tout caractère mystérieux ou occulte, et le réduisant à une signification mécanique ou géométrique : un corps en mouvement, qui aurait telle direc-. tion, si d'autres corps ne se trouvaient là qui l'en empêchent. Notons aussi que Descartes procède toujours en mathémati- cien : il expliqué d'abord la nature, puis les propriétés de la Lumière , et les explique démonstrativement. Son explication est donc générale, et vaut selon lui, pour tous les mondes où se retrouvent des conditions semblables.

Son Roman terminé, le philosophe revient sur terre, et reprend pied dans la réalité". Là, malheureusement, le Traité reste inachevé. Des trois chapitres où il développait l'ensemble du monde physique, si l'on en croit le résumé du Discours de la Méthode, le premier seul (chapitre xv) nous a été conservé, et encore incomplètement. Descartes montre que ce Monde que nous voyons, avec son Soleil et ses Etoiles fixes, avec ses Comètes de temps à autre et leurs chevelures ou leurs queues, répond trait pour trait à celui dont il a tracé le schéma, et par conséquent s'explique par les mêmes raisons. L'insistance qu'il met à vérifier sa théorie sur les Comètes en particulier est remarquable. Ces phénomènes frappaient l'imagination des peuples, qui croyaient toujours y voir l'annonce et la menace de grands malheurs ; cette croyance persistera longtemps encore après notre philosophe. C'est pourquoi il jugea bon d'examiner les Comètes scientifiquement, et de montrer qu'elles ne sont rien d'autre qu'un phénomène naturel de toutes façons, en lui-même, dans ses causes, et dans ses effets. Il écarte d'ailleurs les Comètes de notre Terre, et les renvoie bien loin dans les profondeurs des Cieux : il satisfait ainsi et rassure à la fois les esprits.

a. Tome XI, p. 84, 1. 7-16.

b. Ibid., p. 84-103 : Chapitres xiii et xiv.

c. Ibid., p. 104-118 : Chapitre xv.

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De quoi parlait-il encore ? De choses qui intéressaient à la fois les curieux et les savants : comme les vents, dont la connaissance est si nécessaire à la navigation ; les montagnes et les mers, c’est-à-dire les parties soulevées ou abaissées de notre globe ; et à la surface de la Terre, les rivières avec les sources ou les fontaines ; le sol aussi et le sous-sol, avec les métaux dans les mines et les plantes dans les campagnes ; enfin il terminait par le feu, cette belle invention de l’homme, et l’un des principaux effets du feu, la production ou fabrication du verre. Nous retrouverons ces mêmes questions traitées en latin dans les Principia de 1644 ; mais rien n’en a été conservé dans la rédaction de 1632, et nous ne savons qu’elles s’y trouvaient déjà, que par les indications du Discours de la Méthode en 1637[219].

Ce Traité de la Lumière, qui est la première partie du Monde, est suivie d’une seconde partie, qui peut s’intituler Traité de l’Homme. Ici encore, Descartes aurait bien voulu procéder géométriquement, c’est-à-dire « en démontrant les effets par les causes » ; mais il eût pour cela fallu, dans le cas particulier, déduire de la semence ou du germe tous les organes, et expliquer ainsi la formation de l’animal. Il y renonça vite, en 1632, faute d’expériences suffisantes ; il se réservait d’ailleurs d’y revenir plus tard[220]. Pour le moment, comme il ne peut encore résoudre le problème, il le suppose résolu. Entendons par là qu’il considère le corps humain tel qu’il est et tout formé déjà ; ou plutôt, fidèle à la méthode qu’il a suivie pour le monde inanimé, il considère d’abord une machine semblable à l’animal au dedans comme au dehors ; il démonte cette machine, en étudie les ressorts et les rouages, les fait jouer sous nos yeux ; puis, revenant comme tout à l’heure à la réalité, c’est-à-dire à l’animal ou à l’homme actuel, il montre que les choses s’y passent de semblable façon, et comportent par conséquent une explication semblable. Si l’on en doute, c’est que l’on ne connaît pas bien encore deux sciences préliminaires, l’Anatomie et la Mécanique : l’une, qui nous apprendrait combien d’organes possède le corps humain, et l’autre, ce que peut faire une machine artificielle, œuvre de l’industrie humaine, à plus forte raison une machine naturelle, chef-d’œuvre de Dieu lui-même[221]. Descartes s’était exercé à Paris, avec d’habiles artisans, à construire de petits automates ; et il avait eu sous les yeux des modèles en grand, dans les jardins royaux de Saint-Germain-en-Laye.

Bientôt il lira aussi le livre de Harvey sur le mouvement du cœur, De motu cordis, publié en 1629. Il en parlera en 1637 ; mais il ne l’avait pas lu encore, lorsqu’il écrivit son Traité de l’Homme en 1632[222]. Aussi le cœur n’est-il pas pour lui, à cette date, a comme le grand ressort et le principe de tous les mouvements de notre machine[223] ». Descartes parle cependant déjà de la circulation du sang, mais sans qu’on puisse dire si lui aussi en avait eu l’idée, ou bien si, tout en n’ayant pas lu le livre de Harvey, il savait cependant, pour en avoir entendu parler, ce qu’il contenait : de fait, à plusieurs reprises, il rendra au médecin d’Angleterre, comme il l’appelle, cette justice « d’avoir le premier rompu la glace en cet endroit » ; il lui renvoie toujours l’honneur de la découverte, en ce qui concerne la circulation[224].

Toutefois, en 1632, Descartes commence par mettre sur le même plan, digestion et respiration, puis le pouls ou le battement du cœur et des artères, enfin la nutrition, sans paraître donner plus d’importance à l’une qu’à l’autre[225]. Ce sont les prin1)8 Vie de Descartes.

cipales fonctions de l'animal, et il les explique d'abord toutes ensemble. Le cœur est déjà suffisamment étudié, bien qu'avec moins de détails qu'en lôSy; Descartes note en quelques traits « la fabrique du cœur », ses deux cavités ou ventricules, et ses quatre vaisseaux, deux veines et deux artères : la veine cave, qui part du foie et amène le sang dans la cavité droite, et la grande artère qui de la cavité gauche le distribue dans tout le corps; et entre les deux, pour le conduire du cœur au poumon une artère encore (qu'on appelle la veine artérieuse), et pour le ramener du poumon au cœur, une veine (qu'on appelle l'artère veineuse). Il note, sans y insister, comme il le fera en lôSy, les petites portes ou valvules qui se trouvent à l'entrée de ces quatre vaisseaux, et qui s'ouvrent ou se ferment dans le sens contraire des artères et des veines; et il explique en peu de mots comment le sang qui entre et qui sort ainsi tour à tour, fait régulièrement enfler et désenfler le cœur, et battre les artères. Le sang distribué par celles-ci dans tout le corps, est cause de la nutrition, que notre philosophe explique aussi à sa manière. Mais surtout il assure que les plus petites parties du sang montent droit au cerveau, où elles forment les esprits animaux. Il compare ceux-ci à « un vent très subtil », à une « flamme très vive » : ce ne sont donc des esprits que de nom ; en réalité, ce sont toujours des corps % et Descartes leur attribue un caractère purement matériel, écartant l'équivoque que leur nom pouvait entretenir. Les esprits animaux, distri- bués par les nerfs dans les différents muscles, seront cause de tous nos mouvements .

a. Tome XI, p. 129, I. 4-6 ; et p. 335, 1. 4-5.

b. Voir aussi t. 111, p. 686-689 • lettre du 19 juin 1643. Dans un manuel que Descaries a eu entre les mains, Summa Philofophiœ d'Eus- lache de Saint-Paul, dit « le Feuillant ", la doctrine du temps se trouve ainsi résumée : Phyfica. Pars IV. Traâ. II, Quœjlio 4 : « . . .Noiandum >■ autem ell ex (an^uinc qui inter quatuor humores principcm locum " lenet, tùm vitales ciim animales fpiritits oriri. Namque vbi confeilus à n iecore l'anf^uisper venam cauam emitiitur. portio qua.'dam ex iplo purior » per venuiam à veaS cana ad cor aurahitur, ibique veiiemenii calore )i cordis perficitur. atque adeo in vitalem fpiritum conueriitur. Ca?terùm

�� � Le Monde. 1^9

Ce qui caractérise, en effet, Thomme, ou plutôt le corps humain, vu du dehors, ce sont les mouvements qu'il accomplit. Descartes en fait aussi l'objet principal de son Traité ; tout ce qui précède, et qu'on vient de voir, n'est qu'une introduction. Il distingue à ce propos trois choses " : d'abord, les mouvements eux-mêmes en général, mouvements des membres ou des organes par le moyen des muscles et des nerfs ; mais (second point) ces mouvements se font à propos des objets extérieurs qui agissent sur nos organes, et cette action est à étudier ; enfin (troisième point) à l'action du dehors répond une réaction du dedans, et Descartes étudie, en certains cas, cette réponse appropriée. Le mouvement se produit donc dans notre corps, après avoir été provoqué par les objets. Et comment se pro- duit-il ainsi à l'intérieur du corps ? C'est là le nœud de la question, et c'est par là aussi que commence notre philosophe.

Chose intéressante à remarquer, le mécanisme du cœur, tel qu'il le comprend, lui sert de modèle, semble-t-il, pour expli- quer, dans les muscles et les nerfs, un mécanisme semblable. Le va-et-vient du sang dans le cœur s'explique par les quatre vaisseaux qui y débouchent, et surtout par les petites portes ou valvules qui ouvrent et ferment, alternativement et dans le sens qui convient, l'entrée de ces vaisseaux. De même le va-et- vient des esprits animaux dans les muscles : les nerfs sont

» ex lis portio aliqua per arterias ad cerebrum perdufta, ibidem in fpiritus M animales conuertitur. Quidam his fpiritus naturales adnumerant, quos » lamen à fanguine vix difcerni poffe arbitramur : & probabile eft » fpiritus praefertim vitales non nifi accidentariô differre à fanguine. Sic » igitur fanguis nutrition! , fpiritus vitales vegetationi & palpitation!, u animales denique lùm fenfui, cùm motui fubferuiunt. Et quoniam hae » operationes per totum corpus erant neceffariae, idcirco natura tria » fubminiftrauit véhicula, quibus tùm fanguis cùm fpiritus per totum » corpus deferrentur, nempe venas fanguini, arterias fpiritibus vitalibus, » neruos animalibus deputauit : fie vt venae à iecore, arteriae à corde, » nerui à cerebro congruentiflîmè originem ducerent. Sed de his plura » apud Medicos. » (Édit. 2', 161 1, p. 304.)

a. Tome XI, p. i32 {division), p. 132-141 {première partie), p. 141-165 {seconde), p. i65-200 {troisième), p. 200-202 (conclusion).

�� � comme les vaisseaux qui apportent et qui remportent ces esprits ; et à l’entrée des nerfs dans les muscles se trouvent aussi de petites portes ou valvules, qui s’ouvrent et se ferment tour à tour. Descartes insiste sur cette hypothèse des valvules dans les nerfs, aussi bien que dans les vaisseaux du sang[226]. Or les muscles sont deux par deux, et qui s’opposent : lorsque les esprits animaux viennent en remplir un, il se gonfle et se raccourcit, et tire à lui le membre ou l’organe, que laisse aller le muscle antagoniste, vidé au même moment d’esprits animaux, et par conséquent dégonflé et relâché ; l’inverse se produit ensuite. Descartes pense expliquer ainsi les mouvements alternatifs des muscles de l’œil, donnés en exemple, ainsi que des muscles qui servent à respirer, à avaler, etc.[227]. Il tenait beaucoup à son explication, qui lui donnait comme le schéma de tous les mouvements du corps. Aussi ne la communiquait-il pas volontiers, de peur qu’on ne la lui dérobât ; et plus tard il ne pardonnera pas à son ami Regius de s’en être emparé, et surtout d’en avoir omis l’essentiel, pour ne l’avoir pas compris sans doute : à savoir ces petites valvules qu’il suppose dans les nerfs, et qui empêchent le retour des esprits animaux par les mêmes conduits ; comme, à l’entrée du cœur, des valvules s’opposent au retour du sang en arrière dans la veine cave et dans l’artère veineuse. Regius divulguera cette explication en 1646, et Descartes l’avait notée par écrit, dira-t-il, environ treize ans plus tôt, ce qui nous reporte bien à 1633 ou 1632[228].

Il n’en parle pas expressément, dans une lettre de la fin de cette année, où il indique les chapitres de son Traité de l’Homme[229]. Mais il parle des cinq sens ; et en effet, après avoir expliqué en général le mouvement des muscles, il étudie successivement le toucher, le goût, l’odorat, l’ouïe et la vue[230]. Le Monde. i6i

Il prend occasion de Touïe, pour rappeler les principes de la musique ; et à propos de la vue, il examine les erreurs oij nous tombons, sur la distance, la forme, la situation des objets \ Ceci encore est intéressant, car une erreur dont on connaît la cause, cesse d'être une erreur, et on en est préservé : Descartes ne pouvait donc prendre bien au sérieux, en ce qui le concerne, ce qu'il alléguait des erreurs des sens. A ceux-ci il ajoute les sentiments intérieurs *" : plaisir et douleur, faim et soif, etc. Toute cette partie, relative aux sens intérieurs ou extérieurs, est assez développée, et décrite avec une certaine complaisance : visiblement Descartes s'y intéresse, pour le moins autant qu'à telle ou telle question de métaphysique. En étudiant ainsi l'homme physique, et déjà les effets en l'homme de l'union de l'âme et du corps, lesquels se traduisent par des sentiments, aussi bien que tout à l'heure en étudiant le monde matériel, il se sentait vraiment philosophe.

Viennent enfin les mouvements accomplis par nous sous l'action des objets extérieurs ou par suite de nos sentiments internes. Et c'est pour les mieux connaître sans doute, que Descartes raconte, à la fin de i632, qu'il étudie des têtes d'animaux, veaux, moutons, etc., et ce qui se passe au dedans". Deux choses lui apparaissent comme essentielles : d'une part, les pores, à la superficie du cerveau, qui s'élargissent ou se rétrécissent pour livrer passage ou le fermer, selon les besoins, aux esprits animaux envoyés de là dans les nerfs et les muscles; d'autre part, à l'intérieur du cerveau, une certaine glande, que Descartes considère comme le centre même d'où tout part et où tout aboutit dans notre machine, la fameuse glande conarion. Cette vue qu'il a du cerveau et de ses principales fonctions, lui est propre, et il la revendique, lorsqu'il énumère, à la dernière page que nous ayons de son Traité "^^ ce qui est de lui

il. Toni-- XI, p. 160, 1. 27, à p. i63, 1. 5.

b. Ibid., p. i63-i65. Voir aussi t. VI, p. 55, 1. 17-19.

c. Tome I, p. 263, 1. 6-8. Voir t. VI, p. 55, 1. 9-12.

d. Tome XI, p. 200, i. 25-29, et p. 201, 1. 6-1 5.

Vie de Descartes. 21

�� � 102 Vie de Descartes.

et qu'il ajoute à ce que l'on savait communément en Anatomie. Il explique avec force détails, à titre d'exemple, ce qui se passe dans les différentes parties de l'œil pour l'accommoder à la vision des objets plus ou moins proches de nous, et encore les mouvements de la tête, des mains, des pieds, pour nous rap- procher ou nous éloigner». Il explique, à sa façon, l'état de veille, et le sommeil, et les rêves, et se complaît dans de minutieuses analyses, qui peuvent bien aujourd'hui paraître fantaisistes, mais qui avaient l'avantage en ce temps-là de montrer que le mécanisme pouvait suffire à tout, sans /orme, ni qualité on faculté, sans âme sensitive ni végétative.

Il n'insiste pas autrement, à la date de i632, sur ce caractère si particulier de ses explications : loin de l'accentuer, il le sous- entend plutôt. C'était sa tactique. Il l'avait indiquée dès les premières pages de son Traité du Monde : montrer, par quelques exemples, qu'on peut fort bien se passer de ces entités scolastiques, qui sont donc inutiles ; au lecteur de conclure ensuite, si elles existent ou si elles n'existent pas"'. Plus tard, quand il reprendra les mêmes questions, et que, dans le feu de la bataille, attaqué lui-même, il aura à se défendre, il ne se fera pas faute de railler au passage ces facultés auxquelles on avait recours en désespoir de cause, pures chimères, où l'esprit ne saurait rien comprendre'^'. Mais au début, il aimait mieux n'en parler que le moins possible, et les traiter par ce demi-silence, qui n'était que du mépris.

En revanche, il fait un constant usage, on pourrait presque dire un abus, des comparaisons empruntées à la chimie ou à la mécanique. Ce ne sont pas seulement pour lui des compa- raisons, mais des assimilations véritables, et presque des identifications. La coction des aliments dans l'estomac, par exemple, est de même nature que la fermentation du raisin

a. Tome X), p. 186-189, cl p. 190-197. h. Ibid., p. i7-î-r74, ei p. 197-199. c. Ibid., p 7-8. cl. Jbid., p. >43-244 ci p. aSo-zSi.

�� � Le Monde. 163

dans la cuve". La séparation entre les plus subtiles parties des aliments et les autres se fait de la même façon, dans les pores, que celui de la farine et du son dans un crible^. Enfin toute notre machine ressemble à ces orgues des églises, où Tair ramassé dans un soufflet, est envoyé de là par les doigts de l'organiste dans différents tuyaux; ou mieux encore, à ces nymphes et à ces dieux marins que, dans les jardins du roi, l'art hydraulique des ingénieurs faisait gesticuler, marcher, courir, se sauver, proférer même quelques sons dans les airs, sinon des paroles véritables.

Le manuscrit du Monde, que l'on avait encore en 1664, n'allait pas jusque-là, et c'est par le résumé du Discours de la Méthode que nous savons que Descartes insistait sur cette différence essentielle entre les machines de l'industrie humaine, si perfectionnées qu'elles fussent, et l'homme même*^: celui-ci parle, c'est-à-dire exprime par une infinité de combinaisons de signes, à propos des objets, une variété infinie de pensées. Il est capable aussi d'une infinie variété de mouvements, parce que, tandis que ces machines- ne sont que des instruments propres à de certains effets toujours les mêmes et qui dépendent de ressorts montés pour cela, l'homme possède dans la raison un

a. Tome XI, p. i23, 1. 6-8. Voir aussi p. 121, 1. 23-25 (chaux vive), et 1. 20-21 (foin nouveau).

b. Ibid., p. 122, 1. 3-6.

c. Ibid., p. i65, 1. 1 1, à p. 166, 1. i3. Cette comparaison des orgues fut reprise plus tard par Pascal (Pensées, édit. Brunschvicg, Paris, Hachette, t. II, 1904, p. 38), qui parait l'avoir empruntée à Montaigne. — Quant aux machines hydrauliques, voir t. X, p. 212 et p. 669. Voir aussi Mersenne, La Vérité des Sciences, 1625 : « Quelques-vns aioûtent (à la » Mechanique) vne autre partie, par laquelle on fait des merueilles, c'eft » la Taumatopij tique : qui contient la Pneumatique, qui fe fert de l'air & » du vent; V Hydraulique, qui fait prefque ce qu'elle veut de l'eau, ■> comme il fe voit aus fontaines de faind Germain en Lais ; VAutoma- » topijtique, qui femble faire viure les chofes inanimées, telle qu'eftoit la » colombe d'Archytas, ou la mouche de lean du Mont-royal ; & la Neu- t rofpajlique, à quoy on pourroit rapporter ce qui fe fait auec le vif- » argent. » (Page 23 1.)

d. Tome VI, p. 56, 1. 10, à p. Sg, 1. 7.

�� � « instrument universel[231] ». Magnifique expression du philosophe, et magnifique idée qu’il se faisait ainsi de l’âme raisonnable. Il aurait étudie l’âme en elle-même, comme il avait fait aussi le corps, et déjà l’union des deux ; et cette étude eût complété le Monde, que nous aurions ainsi en entier. Avait-il rédigé quelque chose déjà sur cette dernière partie si importante ? Oui, si l’on s’en rapporte au résumé du Discours de la Méthode en 1637[232]. Et pourtant, le doute subsiste, si l’on songe que, sur la fin de 1632, il n’en était encore qu’à cette partie du Monde, que nous avons vue : étude du corps humain et de ses fonctions à l’extérieur et à l’intérieur. L’année suivante 1633 est celle de la condamnation de Galilée, qui l’arrêta court dans son projet de publier. Aurait-il eu le temps, ces quelques mois de 1633, de construire jusqu’à la fin l’œuvre qu’il avait entreprise ?

En tout cas, rien de ce qui se rapportait à l’âme humaine ne nous a été conservé. La dernière page que nous ayons[233], marque un temps d’arrêt ou de repos, où le philosophe jette un regard en arrière sur le chemin parcouru : monde des plantes et monde des animaux, monde physique, monde astronomique. Comme dans un panorama grandiose se déroulait sous ses yeux toute une cosmogonie. CHAPITRE IV

CONDAMNATION DE GALILÉE

(i633)

��Le 23 juin i633, Galilée fut condamné à Rome par l'Inqui- sition pour ses Dialogues sur les deux plus grands Systèmes du Monde, celui de Ptolémée et celui de Copernic, publiés Tannée précédente. Déjà la même Inquisition lui avait fait changer le titre primitif: Du /lux et du reflux de la mer. Galilée expliquait le phénomène des marées par le mouvement de la Terre ^;

a. Le P. Georges Fournier, Hydrographie (i643), Liv. IX : Du Flux & Reflux de la Mer. Chap. xiv : Opinion de Galilée qui veut expliquer les flux & reflux de la Mer, par le moyen du mouuement de la terre.

« Monfieur GalTand, en l'vne de les doftes Epiftres qu'il a fait imprimer » cette année, reduilant l'opinion de Galilée en abrégé, & y adiouftant » quelque efclairciffement, dit : Que la mefme choie qui arriue à vne » barque à demy remplie d'eau, tandis qu'elle eft irainée fur la Mer, ou » fur vn lac calme : La mefme doit arriuer à la Terre, contenant l'eau de » la Mer en fes cauitez, s'il e(l vray qu'elle fe meine (lire : meuue) dans la n paifible région de l'Ether, du triple mouuement qu'on luy donne, à » fçauoir : du iournalier qu'elle fait à l'entour de fon propre cffieu, de » l'annuel qu'elle fait à l'entour du Soleil & au deffous du Zodiaque, & » de celuy de declinaifon, qui n'eft autre chofe que l'entreienement de fon » Effieu en parallelifme auec l'Elfieu du monde. » (Page 455.)

Page 45c : « ...Cette fimilitude dont fe fert Galilée pour déclarer » comme fe fait le flux & le reflux de la Mer, & par contre coup pour » prouuer & eftablir fon opinion du mouuement de la Terre : maintenant » que, comme le mouuement de la Terre e.xplique naifuement les flux de » la Mer, ainfi ces flux eltablillent folidement le mouuement de la Terre, & » que ces deux chofes fe preuuent l'vne l'autre, comme font celles qui ont

�� � i66 Vie de Descartes.

c'était la première fois qu'on proposait de ce mouvement une preuve sensible, et par conséquent frappante pour tous les esprits; jusqu'alors les astronomes n'avaient invoqué que des arguments d'ordre spéculatif. Le danger devenait pressant ; il menaçait la doctrine consacrée de la Terre immobile au centre du monde et autour de laquelle tourne le Firmament. Le Saint- Office pensa qu'il n'était que temps d'intervenir et de sévir.

La condamnation ne fut connue de Descartes que cinq mois après, et semble-t-il, un peu par hasard. Il était encore à Deventer, et venait d'y passer tout l'été ; ou du moins il ne faisait que de se réinstaller à Amsterdam, où nous le retrou- vons en i634, et il allait justement envoyer à Mersenne le

» vn mutuel rapport, & que les caufes font connoiftre leurs effecïs. Mefme » il fe perfuade que c'eft l'vnique expérience f'enfible dont les Sectateurs » de Copernic peuuent- faire eftat, veu que hors de là, le mouuement » gênerai qui emporte l'œil quant & la terre, eft inobferuable par l'œil. »

Le même P. Fournier termine ainsi son exposé de l'opinion de Galilée, p. 455-458 : m Ce font iufques icy les paroles de Monfieur Gaffand, » lefquelles eftant bien pefées, tout homme intelligent auoura qu'on ne » fçauroit pouffer cette fenience plus auant, & luy donner plus de iour & » de couleur, qu'il a fait en cette Lettre, que i'eftime préférable à tout ce » que Galilée en a efcrit dans fes Dialogues. L'honnefteté toutefois, & la » candeur de laquelle il fait vne très particulière profefTion, me donnant » toute alTeurance qu'il prendra en bonne part quelques inftances qu'on » peut raifonnablement obiefter, & qu'en effet il ne tient point cette fen- » lence : le luy diray en peu de mots. . . » (Page 459.) '

La lettre de Gassend à Naudé (4 avril 1643)^ dont parle Fournier, est intitulée : Novem Stellœ vifœ circa lovem, S de eifdem judicium. AcceJJit obfervatio geminatœ in Jingulos dies œjîus maris injiar reciprocationis perpendiculorum. (1643, in-f».)

Le P. Fournier discute point par point l'opinion de Galilée, et lui oppose surtout les observations des navigateurs dans toutes les mers du globe, « fans m'engager, dit-il, à réfuter l'opinion du mouuement de la » terre, ou à l'approuuer » (p. 459). Mais « Galilée eftant Italien, & « demeurant fur vne Mer, en la plus part de laquelle les flux & reflux )) font imperceptibles, a eu tort d'entreprendre d'efcrire d'vn fuiet qu'il » ne pouuoit connoiftre par fa propre expérience, auant que s'informer » de ceux qui demeurent fur l'Océan, & fçauoir parfaictement ce qui fe )) paffoit de plus ordinaire dans les Mers où les marées font hautes, fen- )) fibles & bien réglées. » (Page 460., « S'il eut interrogé les Diepois, les » Bafques, Anglois & Hollandois. , . » (Page 461.J

�� � Condamnation de Galilée. 167

manuscrit de son Monde. Mais, craignant le sort de Galilée, il n'envoya rien et s'en expliqua au bon religieux dans une lettre de la fin de novembre". Cette lettre ne parvint pas à son adresse. Descartes ne le sut qu'après une seconde lettre, où il rappelait la première : celle-ci avait-elle été simplement per- due, ou plutôt détournée et dérobée en chemin par quelque malveillant ? La méfiance et les soupçons de notre philosophe s'en accrurent, et il écrivit une troisième lettre plus explicite encore que les deux précédentes . Il ne parlait de rien moins que de supprimer entièrement son ouvrage, et de renoncer désormais à toute publication. On avait condamné le mouve- ment de la Terre : or ce mouvement faisait partie intégrante de sa Physique, et se déduisait nécessairement de ses prin- cipes : ceux-ci se trouvaient donc faux, si le mouvement l'était; ou du moins ils devenaient autant que lui condamnables, et passibles comme lui de la réprobation de Rome.

On se demande aujourd'hui ce qui pouvait effrayer Descartes à ce point ? 11 était en Hollande, pays protestant, hors d'atteinte par conséquent des coups qui avaient frappé Galilée. Pour lui, point de prison à redouter, ni d'interrogatoire avec menace de torture ; point d'abjuration, non plus, ni de relégation dans un endroic déterminé avec défense d'en sortir. Sans doute Galilée souffrit plutôt d'entraves à sa liberté intellectuelle, qu'à sa liberté physique ; mais c'était encore trop que cette contrainte morale contre laquelle protestait sa conscience de savant, aux prises peut-être elle-même avec sa conscience de catholique. Tandis que du bout des lèvres, et non sans un demi-sourire peut-être, il concédait à ses juges que la l'erre est immobile :

a. 'l'ome I, p. 270-27?. Voir aussi p. 285, 1. 2-4, ci p. 292, 1. 2-8. Toutefois cet accident arrivait de temps à autre. Saumaise écrivait de Leydc à .1. du l'uy, le i) juillet i632 : « ...ie vicii de roceuoir lettres de >' Monr"^ Bralfet, oii il mande que toutes les lettres de Hollande qui i) alloieni à Paiis, il y a huit iours, ont elle delfrouirées entre Anuers «S: .. Bucnberg... .• Bibl. Nat., MS. tr. 713, fol. 14.'

b. Tome 1. p. 2S1-282.

c. /hi.i.. p. 285-286.

�� � « Et pourtant elle tourne », devait-il se dire mentalement, comme le veut la légende, plus vraie ici encore et plus philosophique que l’histoire. Quoi qu’il en soit, rien de semblable ne menaçait Descartes personnellement. Aussi n’était-ce pas pour lui-même qu’il avait peur, mais c’était pour sa philosophie. Quel sort lui aurait-il été réservé ?

Notre philosophe avait, en effet, à cœur, beaucoup plus qu’il ne l’avoue, le triomphe de ses idées. Animé, comme tous les réformateurs, j’allais dire les apôtres, d’un ardent esprit de propagande, il tenait par-dessus tout à ce qu’elles fussent admises partout, et qu’on ne leur défendît point de pénétrer dans les Universités et dans les Collèges. Lorsqu’il publiera son livre de 1637, il ne manquera pas de l’envoyer aussitôt aux Jésuites de La Flèche, non seulement comme l’hommage reconnaissant d’un écolier à ses anciens maîtres, mais surtout afin de les intéresser à ses nouveautés, et d’obtenir qu’elles soient accueillies avec faveur et en quelque sorte adoptées par eux. Les remarques auxquelles il répondra avec le plus d’empressement, seront celles des professeurs de Louvain, Plempius, Fromondus et Ciermans, qui deviendront peut-être, du moins il l’espère, ses partisans dans cette grande Université catholique. Et il semble bien qu’il fera quelque tentative auprès de l’Université de Douai, et du Collège des Jésuites à Lille, dans l’espoir de gagnera sa philosophie tous les Pays-Bas espagnols. Plus tard, enfin, lorsqu’il reprendra son Monde sous un autre titre Principia Philosophiæ, ce sera surtout pour l’adapter à l’enseignement : il s’efforcera de le rendre irréprochable, quant au fond, et d’en faire, quant à la forme, un véritable livre de classe. Il aurait donc manqué son but, s’il avait donné en 1634 un ouvrage exposé à la condamnation de Galilée en 1633. A quoi bon publier une philosophie qu’il savait d’avance devoir être interdite dans les écoles, c’est-à-dire une philosophie destinée à ne pas vivre, une philosophie qu’on aurait étouffée avant sa naissance ?

Descartes en cela s’est trompé, et il eut le tort de ne prendre conseil que de lui-même. Mais à qui d’ailleurs se serait-il adressé en Hollande ? Ses amis, jusqu’à cette date, étaient presque tous des huguenots. Il n’avait pas à leur soumettre un cas de conscience, qui n’eût été pour eux qu’une occasion de plus de sarcasmes contre Rome, et qui sait ? de moquerie ou de pitié pour un philosophe papiste à ce point. Les Elzeviers s’empresseront, en 1635, de publier une traduction latine des Dialogues condamnésErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., et l’année suivante, une traduction latine également de la fameuse lettre de Galilée, en 1616, à la grande-duchesse de Toscane, Catherine de Lorraine[234], pour montrer que la théorie nouvelle pouvait s’accorder avec l’Écriture sainte. Mais, en 1637, notre philosophe était encore noté par Saumaise comme un catholique romain des plus zélés, et qui craignait par-dessus tout de déplaire à l’Église[235]. En France, sans doute, les choses se seraient passées autrement, et on

a. Syjlema cofmicum, authore Galil.eo Galil/ei Lynceo, Academiœ Pi/anœ mathematico extr aor dinar io, ferenijjinii Magni-Ducis Hetriiriœ philufopho & mathematico primario : in quo quatuor dialogis, de duobus ma.ximis Mimdi fyflematibus, Ptolemaico & Copernicano, vtriujque rationibus pliilofophicis ac naturalibus indejinite propojitis, differitiir. Ex italicà linguà latine conuerfum. Acceiïit appendix gemina, qua SS. ScripturiE dicla cum terrae mobilitate conciliantur. (Augudoe Treboc. Impcnfis Elzcviriorum, typis Davidis Hautti, i635, in-4, 8 ff. lim., 4g5 pp., 12 H’, n. ch.) Le traducteur est Matthias Berneggerus. L’ouvrage fut imprimé à Strasbourg, mais à la demande et aux frais des Elzeviers. 170 Vie de Descartes.

peut regretter que Descartes n'ait pas entendu ce qui se disait alors à Paris.

Il s'y serait trouvé dans un milieu orthodoxe, certes, mais qui n'acceptait pas sans mot dire tout ce qui venait d'au delà des monts. En dépit de Rome, le mouvement de la Terre était admis de la plupart de ces esprits curieux de nouveautés, et qui s'intéressaient à l'avancement des sciences. Sans doute, en i63i, l'un d'eux, Jean-Baptiste Morin, professeur au Collège de France, projetait de publier un livret contre le mouvement controversé; mais aussitôt Gassend, Mersenne, d'autres encore, s'efforçaient de l'en dissuader-. Il le publia cependant, bien qu'on lui eût communiqué en outre un écrit, non encore imprimé, et non signé, oîi le flux et le reflux étaient expliqués par ce même mouvement. C'était l'écrit de Galilée, qui allait être publié et condamné, et qui déjà circulait ainsi en France. Morin en devina l'auteur, et vit qu'il avait deviné juste, lorsque

a. Gassend à Gaultier, Paris, 9 juillet i63i : « M. Morin prinft la » peine, il y a trois jours, de me venir dire qu'il s'en alloit aux champs » pour un mois. Ceit pour mettre au net un traité qu'il vient d'achever » & qu'il veut incontinent après faire imprimer contre le mouvement de >> la terre. M. Valois, le P. Mercenne, moy et quelques autres de fes » amis, qui cognoiffent quelque chofe en cette matière, lui avons affez « naïvement dit noftre fentiment; mais il eft teru de celle opinion, comme » de fon aftroiogie, 6: croit d'avoir aulTi clairement démontré l'immobilité » de la terre au centre du monde, que vous lavez qu'il eft perfuadé d'avoir » démontré la cabale des maifons aftrologiques & autres principes de » cette nature. Je le crois en cela, pour dire le vrai; mais cela n'a pas » empefché qu'il n'aye auftî peu tenu de compte de tout ce que je luy ay » pu objecler ou refpondre fur ce fujet, que fur le faict de l'aftrologie. Il » m'a à tout le moins promis d'écrire fans aigreur & médifance & de » n'appeler plus Kepler entre autres terrejlrem fibratumque philojo- )> plium. » {Les Correspondants de Peiresc, p. p. Tamizey de Larroque, Aix, Marius Illy, 1881 : Gaultier prieur de La Valette, p. 62-6?.)

Gaultier à Peiresc, Aix, 20 sept. i632 : « Je vous remercie fort de ou -. pour : la communication de votre livre de Gallileus que je n'avois )> encore vu. Je n'ai encore pu prendre mon temps pour le lire, ce que » néanmoins je defire fort, & remarquez comme il met fur le marché une „ opinion tant mal agréable à la Cour de Rome. » (Ibid., p. .S9-60.) Voir aussi notre tome I, p. 263-264 : lettre de Gassend à Galilée, !=■• nov. i632.

�� � l’ouvrage fut connu chez nous dès la fin de 1632. Il n’en prépara pas moins un second livret, dans le même sens que le premier, et qui, terminé dès 1634 ne parut qu’en 1639. Sans doute par un sentiment de délicatesse, Morin ne le publia pas au lendemain de la condamnation de Galilée, ne voulant pas profiter du secours apporté à sa thèse par le Tribunal du Saint-OfficeErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu..

Les Français qui étaient à Rome, tenaient soigneusement leurs amis de France au courant de ce qui se tramait contre Galilée. Mais ceux-ci ne voulaient pas croire qu’on irait jusqu’au bout. C’est que l’admiration et même la vénération était grande parmi nos compatriotes pour l’illustre Florentin. Personne n’a si bien parlé de lui, à ce moment, que Jean-Jacques Bouchard, dans une lettre à Peiresc, datée de Rome, le 18 juin 1633, c’est-à-dire au plus fort du procès et cinq jours avant la condamnation : « C’est, dit-il, le vieillard le plus sage, le plus éloquent et le plus vénérable que j’aye jamais vu, et qui a en sa façon et en ses termes je ne sçay quoy de ces Philosophes anciens[236]. »

a. Voir pour ces deux livres de Morin notre tome I, p. 260 et p. 324. La publication du second fui aussi retardée par celle des Loniiitudes du même auteur. Toutefois, dans la Dédicace à Richelieu, du 24 juin \G’h^, on lit : n…OmifTis iis quœ in mex caufœ gratiam ada lunt Ronut aducr » fus GaliliEum. » Morin rappelle, dans le cours de ce second ouvrage, que Galilée avait eu lui-même connaissance de son premier, avaiu que l’impression ne fût achevée, trop tard cependant pour qu’il put en parler dans ses Dialogues. Il s’étonnait toutefois des raifons astronomiques (ou plutôt astrologiques] que donnait Mon’n pour l’immobilité de la Terre, mais ne disait mot des raisons physiques, en particulier, continue celui-ci, p. 54 : « &potirrimum de meâ demondratione aduerluspi^cipuum » eius lundamentum pro Telluris motu.petitum à caufà Huxùs Oi refluxùs » Oceani. Siquidem Manufcriptum illud cuius memini p. 5y meas Solu » tiùuis [son premier ouvrage, en //>’,’//)erai ipfius Galilu ;  ;, vt iani quoque » patet ex eius Dialogis. Idque mihi quidcm afleucratum luerat à Viro » clariffimo, qui fcriptum illud ex Italie adduxerat ipfunique nuhi com » municauerat ; fed Galihei nomen confuho fubticueram, quod Manu » fcripto non effet appolitum. Galilaei autem libro in lucem cditi>, ab » eoquc ad D. GalTendum hue mili’o iKt mihi oltenfo, vidi niulia d(jcla & » fubtilia, (jalilaei ini^eiiium redolentia. »

b. J.-.l. Bouchard, un des correspondants de Peiresc, écrivait de Rome. le 18 juin 1633. aux frères du Puy : « … il y a icy un Lincco, à propos de ij2 Vie de Descartes.

La sentence rendue ne pouvait que redoubler la sympathie pour la personne de Galilée, et la faveur pour ses idées. Un prêtre à Paris (et Descartes n'en pouvait croire ses yeux, lorsque Mersenne le lui manda en Hollande"), Ismaël Boulliaud, voulait écrire aussitôt pour le mouvement de la Terre; et il faut voir de quel ton, deux ans après, il parle de l'Inquisition : qu'est-ce que ce Tribunal, qui s'arroge un droit, que seuls pourraient avoir les Conciles, lesquels n'ont rien décidé en cette matière ': Mersenne, plus réservé dans la forme, en sa qualité de religieux, au fond devait penser de même. Dès 1634, c'est-à-dire un an presque jour pour jour après la condam- nation son achevé d'imprimer est du 3o juin), il publia Les Mechaniques de Galilée^ traduites de l'italien en français : dans sa préface, il exprime le vœu que le savant florentin donne au public toutes ses remarques, et ne s'inquiète pas si elles seront ou non conformes à l'orthodoxie. L'année suivante, en i635,

» Académiques, qui voit bien plus clair que touts ces gens cy avec fes » lunettes d'approciie, qui ne leur ;?j ont pas neantmoins fait découvrir » dans la Lune les irahil'ons que l'on luy a tramées à Rome, où il a efté » appelé par ceux de Tlnquifuion, lefquels l'ont mefme retenu prifonnier » quelque huid lire : dix-huit) jours, d'où il eft maintenant dehors. Je le » fus voir, l'autre jour, avec M. Doni, & luy leus les louanges que cer- >> tains maiftres de voftre Académie m'ont efcrites fur fes Dialoghi del » FlujDo el Refiuffo. qu'il receut avec un extrême contentement. C'eft le » vieillard le plus fage, le plus éloquent & le plus vénérable que j'aye » jamais veu, & qui a en fa façon & en fes termes je ne fçay quoi' de ces )> Philofophes anciens : auffi chés luy fe fait le cercle di tutti i virtuoji di » lioma. » En marge du MS., Bibliothèque Mé)anes à Aix, Corresp. de Peiresc, t. II, f» 410 : « ce Linceo n'eft autre que l'illuflre Galilei, alors >• âgé de 74 ans i>. {Les Correspondants de Peiresc, p. p. Tamizey de Larroque, Paris, A. Picard, 1881 : Jean- Jacques Bouchard, \). 58-9.)

a. Tome I, p. 288 et p. 290-291.

b. Les Mechaniques de Galilée, Mathématicien & Ingénieur du Duc de Florence. Avec plufieurs additions rares & nouuelles, vtiles aux Archi- tectes, Ingénieurs, Fonteniers, PhiloTophes, & Artifans. Traduites de l'Italien par L. P. M. M. \ Paris, chez Henry Guenon, rué S. lacques, prés les lacobins, à l'image S. Bernard. M. DC. XXXIV.) Achevé d'im- primer, 3o juin 1Ô34. — Préface : 'i le feray content, fi ie fuis caufe que - le fieur Galilée noL-'S donne toutes fes i'peculattons des mouuemens, & de

�� � Condamnation de Galilée. 17 j

il publie de nouveau la même traduction à la suite de Questions Physico-Mathématiques ; et dans ces questions, bien qu'il déclare d'abord « qu'il n'y a point de démonstration naturelle » qui contraigne d'embrasser la stabilité ou la mobilité de la » Terre », il donne un abrégé des Dialogues que Galilée a faits du mouvement condamné, 2t publie ensuite le texte de la condamnation en français, sans commentaire " : le lecteur reste

» tout ce qui appartient aux Mechaniques; car ce qui viendra de fa part » fera excellent. C'eft pourquoy ie prie ceux qui ont de la correfpon- » dance à Florence, de l'exhorter par lettres à donner au public toutes » fes remarques, comme i'efpere qu'il fera, puis qu'il a maintenant le » temps, & la commodité très libre dans fa maifon des champs, & qu'il a » encor allez de force, quoy qu'il foit plus que feptuai^enaire, pour acheuer » toutes fes œuures, comme il alTeure dans une lettre de fa main, que l'on » m'a communiquée. »

a. Quejlions Phyjico- Mathématiques. Et les Mechaniques du fieur Galilée, très excellent Mathématicien, & Ingénieur du Duc de Florence. Avec les Préludes de l'Harmonie vniuerfelle. Vtiles aux Philofophes, aux Médecins, aux Aftrologues, aux Ingénieurs, & aux Mulîciens. Traduites de l'Italien par L. P. M. M. (A Paris, chez Henry Guenon, rue S. lacques prés les lacobins, à l'image S. Bernard. M.DC.XXXV.) A Monlieur Melian, Threforier General de France. Signé : F. M. Merfenc M. (s. d.). Approbation, 20 juin 1634. Signé : Chapelas. Et une autre, à la même date. Signé : F. François de la Neiie, Minime. F. Martin Hérisse, Minime.

« Question XXXIV ; Quelles raifons a-t'on pour prouuer é' pour per- » fuader le mouuement de la terre, autour de fan axe, dans l'e/pacc de « vingt-quatre heures? » (Page i58.)

Merscnnc conclut « qu'il n'y a point de demonflration naturelle qui » contraigne d'embraffer la Itabilitéou la mobilité de la terre »..(Page 164.)

La phrase que nous avons reproduite, se trouve p. 164. Mersunne cite le livre de « Monfieur Morin Profedeur royal » contre ledit mouvement, et ceci, entre autres : « ...puis que Dieu a enuoyé fon Fils pour nous » fauuer par fa mort, l'on ne doit pas s'étonner s'il fait rouller les cicux » pour nous, & s'il a créé tout le monde corporel pour l'vfagc «Se pour le » plaifir des hommes ». (Page 161.1

'( . . .Je parleray encore du mouuement de la terre dans la queflion 44 » & 45, qui contiennent l'abrégé des Dialogues que (ialilee a faits dudil » mouuement, pour confirmer les Hypothefes d'Arillarque & de Coper- » nie. » (Page 166.)

Quellion XLIV : Qui a-il de plus notable dans les Dialogues que

�� � 174 Vie de Descartes.

juge, et c'était peut-être la façon la plus digne de répondre au Saint-Office. Plus tard, après la mort du savant italien, le religieux insérera dans un de ses ouvrages, Cogitata Physico- Mathematica en 1644, un bel éloge de lui% véritable pané- gyrique, qui fait le plus grand honneur et à Galilée et à Mersenne lui-même. On ne saurait demander plus à un R. P. Minime de TOrdre de Saint-François-de-Paule; il s'est montré, certes, en la circonstance moins embarrassé de scrupules que ne l'était notre philosophe.

Enfin beaucoup plus tard encore, un autre religieux, le P, Poisson, de l'Oratoire, témoignera, pour le Tribunal de l'Inquisition et pour ses arrêts, de la même dédaigneuse indif- férence^ C'était en 1670. Rome avait mis à l'index les œuvres

Galilée a faits du mouuement de la terre ? Cette quejiion contient tout/on premier Dialogue (Pages J01-210.)

Queilion XLV : Qui a-il de remarquable dans le fécond Dialogue de Galilée ? ( Pag. 210-214.

Sentence contre Galilée. (Pages 214-228.)

Mersenne mentionne la Congrégation tenue le 29 février 16 16, et r.A.b- juration du 22 juin i63?. imposée à ce vieillard de soixante-dix ans ^son âge est rappelé .

Le livre fut défendu, et l'auteur condamné « aux prifons formelles de » ce noftre fainft Office pour le temps qu'il nous plaira ». Et ceci enfin: (• Pour pénitence falutaire t'impolons que, durant les trois années fui- » uantes, tu die vne fois la femaine les 7 Pfeaumes Penitentiels. nous » referuans le pouuoir de modérer, changer, & leuer, du tout ou en partie, » les peines & pénitences fufdites. » (Pajes 224-225.)

a. \'oir notre tome X, p. 387-590.

b. Obfervation (du P. Poisson) fur ces paroles du Discours de la Méthode : « Or il y a maintenant trois ans que fefîois parvenu à la fin » du traité. « (Tome VI de la présente édition, p. 60, 1. 4-5.) Parlant du décret du 23 juin i633 contre Galilée, il dit :

« ...Le Rev. Père Merfenne a inféré ce Décret de l'Inquifition dans » fes Qiiejîions Phyfiques & Mathématiques, d'où je n'ay pas voulu le » tirer pour le mettre icy; d'autant qu'il eft alTez difficile de comprendre, » en le lifant tout entier, quel crime avoit fait | Galilée, pour luy faire » jurer fur les Saints Evangiles qu'il renonçoit à l'on fentiment. Car s'il i< eft contraire, comme on veut faire croire, aux exprellions de l'Ecriture, » oufre que le Père Antonio Fofcarini, de l'Ordre des Carmes, fait voir le » contraire dans une fçavante lettre qu'il écrivit à Fantoni fon gênerai, » en i6i5. il eft certain que. Dieu ayant parlé aux hommes. & par fes

�� � Condamnation de Galilée. 17^

mêmes de Descartes depuis i663. Le P. Poisson rapporte une anecdote qui remonte à 1 635, et qui, tout en nous nnontrant chez quelques-uns l'état d'esprit que nous venons de voir, justifie cependant jusqu'à un certain point les appréhensions de Descartes. Richelieu lui-même, sans doute pour faire sa cour à Rome et pouvoir lui résister sur d'autres questions à ses yeux plus importantes, demanda (autant dire ordonna) à la Sorbonne de s'associer à la condamnation prononcée contre le mouvement de la Terre. Et la Sorbonne obtempéra, sauf un docteur qui embarrassa fort ses confrères : il les convainquit, en effet, de contradiction, puisqu'ils enseignaient aujourd'hui la doctrine d'Aristote, condamnée jadis par des Conciles ; à plus forte raison, concluait-il, pourrions-nous enseigner une opinion qui n'est condamnée que par le Saint-Office".

» œuvres : habent enim, fi intelligantur, linguam fuam (Auc), & par fes » cfcritures, comme par deux langages differens, quel crime peut-il y » avoir d'expliquer l'un par l'autre? & que les exprcffions de celles cy, » qui s'accommodent aux ufages des hommes, foient reformées en ce » point par l'évidence de ceux-là, qui eft conforme à la vérité? »

« Cependant, comme je ne prens point de part dans ce démellé qui » regarde le mouvement de la terre, que Iss plus célèbres Ailronomes de » ce fiecle défendent comme l'hypothefe la plus vray-femblable, cjuoy » qu'en dife le Père Riccioli, je ne diray rien de l'autorité de ce décret, & » jufqu'où doit aller le refped que les Catholiques luy doivent ; la liberté » qu'on a d'en faire une queftion problématique, comme on a l'aii dans le » Collège de Clermont, à Paris, montre allez qu'on ne fi^auroit luy » donner le nom d'article de foy. » [Commentaires ou Remarques fur' la Méthode de René De/cartes, Vendofme, M.DC.LXX, p. 171-172.)

a. « ...Vous vous plaignez de moy, comme fi i'edois un peu trop » refervé à parler de l'Inquifition de Rome, & vous dites que ie devrois » eltre aufli françois dans la bouche, que ie le fuis dans le cœur. Mais ie » me repens fi peu de cette faute, que tous les Catholiques cdimcront » toûiours fort innocente, que lors qu'il n'ira point de l'interefl de la » vérité, il n'y a point de marque de rcfpeél & de foumiiïion que ie ne » rende aux moindres reglemens qui viendront de delà les Monts; & ie » n'euffe iamais parlé de l'authorité de l'Inquifition, Il elle n'clloit fortie » des bornes de fon pouvoir, pour les eflendre iufques fur les fciences » naturelles ; qui n'eftant que du reffort de l'efprit, c'cft auffi à luy feul » d'en décider, lorfqu'elles ne font pas contraires à la Foy. »

Or ie ne penfe pas qu'il y ait Théologien au monde, tant Icrupuleux

�� � ij6 Vie de Descartes.

Ce docteur avait raison, comme tous les esprits libres dans le public cultivé d'alors. Mais la Sorbonne n'en condamna pasmoins. Et Descartes, qui tiendra tant plus tard, pour son traité de métaphysique, à l'approbation de la Sorbonne (sats pouvoir l'obtenir d'ailleurs), dut à cette date de i635, s'il apprit l'incident, se confirmer dans la pensée de ne pas

» foi-il, qui ofe dire que le repos de la terre foit un article de foy, & par- » tatt ceux qui la croyent dans le mouvement, n'ont pas pour cela un » feniment contraire à la foy; mais pour faire voir que l'Inquifition, qui » a cecidé en faveur du repos, ne donne aucune authorité à ceux qui le » déendent, il faut que ie finiffe par le récit d'une petite hiftoire affez » di\ertilTante, dont m'a fait part un Abbé, qui a efté témoin de toute » l'a faire. »

« 11 y a environ trente cinq ans, qu'un célèbre profelTeur de Philofophie » dans l'Vniverfité de Paris fouftint, dans des thefes publiques, que l'opi- » nion de Copernic eftoit la pjus vrayfemblable des trois qu'on a coutume » de propofer dans les Echoles, & que l'Efcriture n'enfeignoit point le » contraire. Ce langage qui fembloit un peu nouveau, ne plût pas à toute » forte de peffonnes; & M. le Cardinal de Richelieu, entre autres, fe crût » trop intereffé à maintenir le repos de toute la terre, qu'il avoit tâché de » procurer par de longs travaux à quelques unes de fes provinces, pour » ne pas s'oppofer à tout ce qui pouvoit le troubler. Il employa donc tout » fon crédit, pour faire condamner cette Thefe en Sorbonne, dans les » termes à peu prés dont les Inquifiteurs s'eftoient fervi à Rome. Il elloit » trop maiftre dans cette Faculté, pour ne pas venir à bout de ce qu'il » avoit entrepris; mais il arriva qu'un Dofleur, qui vit encore & fe rend » recommandable tous les iours par les excellens ouvrages de Critique » Ecclefiaftique qu'il donne au public, trouvant cette conduitte un peu » étrange, obligea ceux qui avoient rendu cette fentence, ou de fe dédire ou » de tomber dans une contradiclion affez fâcheufe. Il leur demanda... »

« Il eftoit trop maiftre. . . alTez fâcheufe. IlJeur demanda. . . » Passage ainsi modifié dans les exemplaires vendus l'année suivante à Paris, 1671 : « Il I arriva neantmoins que, ne trouvant pas tous les Dofteurs difpofez » à fuivre aveuglement fa penfée, & à condamner une opinion, qui eftant » très-probable à leur fens, eftoit du moins auffi indifférente dans la Fov, » un d'eux qui vit encore & fe rend recommandable par les ouvrages » de Critique Ecclefiâftique qu'il donne au public, leur demanda... > (Pages 236-2?7.)

« Il leur demanda fi on pouvoit librement enfeigner les opinions » d'AriJîote dans l' Vniverfité de Paris; & dit qu'// avoit un grand fcru- 1. pule là-dejfus depuis qu'il avoit appris que cette doctrine avoit ejlé » défendue par plufieur s Conciles. On ne manqua pas de luy répondre

�� � Condamnation de Gaulée. 177

publier son Monde. Ses anciens maîtres, les Jésuites, plus tard, au temps du P. Poisson, toléreront bien quelques thèses sur le mouvement de la terre, en leur Collège de Paris ; mais en 1642, à La Flèche, ils combattaient encore, mollement, il est vrai, l'opinion de Copernic -^ Toutefois (et ce fut là peut-être la conséquence la plus grave

» que fort fcrupule ejioit fans fondement, & que, depuis le temps qu'on » ejïoit en poffefjion d'cnfcigner Arijlote, il n'y avait point de danger de » continuer, quelque défenfe qu'en euffent fait les Conciles. Cette réponfe » fi favorable à fon deffeiii luy tix iaire une autre demande : fçavoir, fi » l'Inquifition eJloit au deffus d'un Concile, & quel des deux avoit plus » d'authorité dans l'Eglise ? On luy répondit : Qu'iV n'y avoit pas feu- » lement de comparaifon à faire, & que les décrets de Sorbonne ne poii- » voient pas raifonnablement eflre compare^ a ceux des Conciles, qui » avoient fouvent efïé receûs auec plus de foumifjion & de refpeâ qu'on » n'en a pour ceux de l'Inquifition. Nollre Docteur ne manqua pas auflfl- » toft d'ajufter ces réponfes enfemble, & de dire : Si tes Conciles ne me » peuvent ofïer la liberté d'enfeigner & de fuivre la dodrine d'AriJiote, qu'ils condamnent ; & que l'authorité de l'Inquifition fait infiniment » inférieure à celle des Conciles, vous trouvère^ bon, s'il vous plaifi, que n i'enfeigne & que ie fuive l'opinion de Copernic, que l'Inquifition a con- » damnée. Et comme il lembloit renfermer tacitement dans fa conclu- » fion le décret de Sorbonne, auquel il eftoit obligé de déférer, du moins » par bienfeance, il l'expliqua, difant que ce qu'on en avoit fait, efioit » pour empefcher les divifions, qui partageant les Vniuerfite^ ne font » qu'aigrir les efprits & n éclair ciffent pas pour cela la vérité. »

» Ainfi, Monfieur, ce mal n'eftant plus à craindre depuis qu'on n'eft ■'• plus troublé fur la liberté des fentimens' qu'on doit laiffer aux Philo- » fophes, il ne faut plus rien appréhender fur ce point du cofté de la » confcience ; & on peut fans danger s'infcrire, comme vous dites, contre » rinquifuior. qui a condamné Galilée, fans qu'on bielle le refpecl qu'on » doit à l'Eglife ; mais on peut aulTi s'excufer, comme ie fais, de la » neceffité où ie fuis d'en ufer de la forte, fans fortir du devoir d'un bon » François qui fait profeffion de la Religion Catliolique, dont les loix » m'obligent de condamner ce qu'elle condamne, & d'approuver ce 1) qu'elle approuve. » [Commentaire ou Remarques fur la Méthode de René Defcartes, par L. P. N. 1. P. P. D. L., Vandofme, M.DC.LXX, Reponfe à la Lettre d'un Amy, p. 234-237.

a. Thèse soutenue à La Flèche, séance publique du 23 février 1642 : « Licet fententia Copernici falfa lit & temeraria, non potelt tamen ullis >> popularibus experimentiis fufficienter impugnari. » (Rochemonteix, loc. cit., t. IV, p. 1 14 et p. 367.)

Vie de Descartes. j3

�� � de la sentence de l’Inquisition en 1633), à cause d’elle et par sa faute, nous n’avons pas le vrai Descartes. L’effet moral que voulait l’Église fut produit, effet d’intimidation, qui retarda les progrès de la science et de la philosophie. Sans doute, physiquement, on n’avait point fait grand mal à Galilée. Encore fut-il menacé d’être arrêté à Florence et d’être amené à Rome les fers aux pieds ; encore fut-il enfermé dix-huit jours dans un dortoir du Saint-Office, et relâché seulement en considération de sa santé et de son âge ; encore fut-il menacé de la torture (et que l’on songe à l’effet d’une telle menace sur un vieillard de soixante-dix ans et malade)[237] ; encore fut-il condamné ensuite à ne pas s’éloigner de sa maison des champs, lui qui avait plutôt ses habitudes à la ville ; encore fut-il astreint, pour le reste de ses jours, à une pénitence et à une réclusion de moine. A cela près, on ne lui fit point de mal ; seulement on tenta de le déshonorer. Il dut avouer que ce qu’il avait dit et écrit, il ne le pensait pas. Une fois de plus, l’Église manifestait sa puissance par un acte d’autorité que beaucoup de catholiques eux-mêmes considérèrent comme un abus de pouvoir. Elle força la science à se rétracter, à abjurer. Sur un mot d’elle, ce qui devait être la philosophie du siècle, la grande philosophie des temps modernes, s’arrêta court, hésita, et ne reprit sa marche que timidement et en se détournant quelque peu de sa route.

L’avenir, certes, était à elle, et Descartes saura bien trouver un biais pour présenter ses idées, de façon à ne pas inquiéter les consciences. Mais ce sera toujours un biais. Sa philosophie en sera gênée dans ses libres démarches ; elle s’embarrassera peut-être d’un bagage métaphysique dont elle se fût volontiers allégée, et elle s’engagera, pour la physique, dans un détour qui n’est plus le grand chemin où elle allait d’abord droit devant soi. Lui qui s’était contenté, en 1629, d’un « petit traité de métaphysique », courte introduction à sa physique, l’aurait-il repris, comme il fît en 1640, en le grossissant ensuite de tant d’objections et de réponses, et en se gardant bien surtout de dire que ce n’était que le fondement de sa physique, rien autre chose, s’il n’avait point voulu se concilier les théologiens en leur donnant d’abord une sorte de théologie naturelle, et en les désarmant ainsi par avance pour le jour où il publiera sa physique ? Et celle-ci même, ne lui fera-t-il pas subir des remaniements, en y accolant des hypothèses nouvelles, une surtout, qui rappellera Tycho-Brahé plutôt que Copernic, sorte de compromis imaginé après coup pour la rendre moins suspecte ? La philosophie de Descartes restera donc, du fait de la condamnation de Galilée, non point faussée, certes, mais tout de même déviée, poussée hors de la voie où elle s’avançait d’abord d’une si franche allure et avec une si fière indépendance.


LIVRE III

��CHAPITRE PREMIER

DISCOURS DE LA MÉTHODE

DIOPTRIQUE MÉTÉORES GÉOMÉTRIE

(1634-1637)

��Frappé, plus qu'il n'aurait fallu, de la condamnation de Galilée, Descartes prit sur le coup une résolution extrême, celle de ne rien publier. Mais le pouvait-il, en conscience ? A Paris, on attendait depuis trop longtemps quelque chose de ce philosophe qui ne s'était retiré en Hollande que pour travailler plus à l'aise, « en parfait repos d'esprit' ». Et bientôt Mer- senne, comme pour lui forcer la main, insérera, sans le nommer encore, dans la préface de l'Harmonie universelle, en i636, un passage d'une de ses lettres de 1634, où il est question de la matière subtile : « on en verra la démonstration » physique », ajoutait le bon religieux, « lorsqu'il plaira à l'au- » teur de la donner^ ». Descartes lui-même, en quittant ses amis de France, n'avait-il pas pris des engagements, auxquels il devait faire honneur, sous peine de passer pour un de ces charlatans qui promettent des merveilles, et ne savent rien

a. Tome VI, p. 74, 1. 2d.

b. Tome X, p. 564-565, note.

�� � i82 Vie de Descartes.

tenir ^ ? Cependant, il ne voulut pas divulguer d'abord toute sa philosophie : il n'en proposera que des essais ou échantillons ; mais il les choisira de nature à intéresser vivement les lec- teurs et à leur faire désirer la publication complète.

La première émotion passée, il se remit donc assez vite au travail, et en peu de temps trois petits traités furent prêts  : l'un, sur un sujet mêlé de physique (Descartes disait : de philo- sophie) et de mathématique, la Diopirique ; le second, sur un sujet de pure physique (même remarque), les Météores ;' et le troisième sur un de mathématique toute pure, la Géomé- trie. Il rédigea ensuite une préface, intitulée Discours de la Méthode, et se prépara à publier le tout en un volume, sans nom d'auteur.

A qui s'adressera-t-il pour l'impression ? La peste sévissait à Leyde, l'année i635, une peste terrible qui fit plus de 14,000 victimes ; et d'ailleurs les Elzeviers montraient peu d'empressement. Descartes pensa un moment à un imprimeur d'Amsterdam, Willem Blaeu. Mais il finit par s'entendre avec un libraire de Leyde, Jan Maire, en i636. A Leyde, en effet, demeurait Schooten, professeur de mathématique à l'Univer- sité, et aussi le fils de Schooten, qui traça les figures de la Dioptrique, sinon des Météores; Descartes désirait sans doute surveiller lui-même et sur place ce travail . L'impression fut achevée pour la fin de i636 : le 5 janvier 1637, Huygens

a. Tome VI, p. 74,1. 3-3i.

b. Tome I, p. 370, 1. 12-16.

c. Ibid., p. 325, 1. 10-14. Le « malheur public », dont parle ici Huygens, est précisément la peste : le nombre des victimes (14,582) a été compté du 23 juin au 3i déc. i635 ; il y eut une fois juscju'à i,5oo décès en une semaine. Les Elzeviers réimprimèrent alors un petit livre de Théodore de Bèze, daté de Genève, 1579 : De Pejîis contagio & fugâ Dijfertatio, avec une lettre d'André Rivet. (A» i636, pet. in-12, 154 p) — Voir aussi t. I, p. 338, 1. 7-12.

d. Tome III, p. 45o, 1. i2-i3. Voir aussi t. I, p. 344, 1. iS-ig, et p. 395-396. Descartes, quoique fort mauvais « peintre », c'est-à-dire des- sinateur (il le dit, t. I, p. 339, 1. 8-1 1, et p. 447,1. 17-19), travailla lui- même à ses figures, t. I, p. 344, 1. 19-25.

�� � envoyait à Mersenne, de la part de Descartes, le paquet des épreuvesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Tout était-il imprimé déjà ? Il le semble bien. Le philosophe avait mis au point la Dioptrique d’abord, et rédigé la Géométrie à la hâte, pendant qu’on imprimait les Météores. Quant au Discours de la Méthode, il ne s’était résolu qu’avec peine à l’écrire, après tout le resteErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Mais ce discours faisait également partie de l’envoi de janvier 1637, puisque Mersenne écrivit aussitôt à Descartes quelques réflexions sur tel et tel passage. Le titre définitif était aussi arrêté : Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Plus la Dioptrique, les Météores et la Géométrie, qui sont des essais de cette Méthode. Le philosophe avait d’abord songé à un autre titreErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., un peu emphatique, on dut le lui dire et il le sentit : Le Projet d’une Science universelle qui puisse élever nostre nature à son plus haut degré de perfection. Plus la Dioptrique, les Météores et la Géométrie : où les plus curieuses Matières que l’Autheur ait pu choisir, pour rendre preuve de la Science universelle qu’il propose, sont expliquées en telle sorte, que ceux mesmes qui n’ont point estudié, les peuvent entendre. Il n’insista pas, et pencha plutôt vers l’autre excès, au gré de Mersenne : celui-ci aurait voulu qu’on mît Traité de la Méthode, et Descartes fut obligé de lui

a. Tome I, p, 345-346.

b. La première partie de la Dioptrique, au moins les deux premiers chapitres, qui regardent la réfraction, était rédigée au commencement de i632, où Descartes l’envoya à Golius (t. I, p. 235, 1. i-3, et p. 237, 1. 4-6) ; et le dernier chapitre, sur une machine de son invention, pour tailler les verres, avait fait l’objet de toute une correspondance entre lui et Ferrier, en 1629 et i63o. Le traité en entier était terminé pour le printemps de i635, et Descartes lut son manuscrit à Huygens en trois matinées à ce moment-là. (Lettres du 16 avril et du i" nov. i635, t. I, p. 3i5, 1. 7-9, et p. 329, 1. 17.) — Le traité des Météores ne fut rédigé qu’ensuite, « les » deux ou trois premiers mois de cet été », dit Descartes dans cette même lettre du i’^ nov. i635. A cette date, il n’avait plus qu’à le mettre au net, et ne savait s’y résoudre, pas plus, ajoute-t-il, qu’ « à faire une préface » qu’il y veut joindre », et qui sera le Discours de la Méthode. (Tome I, p. 329, 1. 28, à p. 33o, 1. II.)

c. Tome L p— 339, 1. 16, à p. 340, 1. 14. faire observer que ce n’était pas un Traité complet, mais un simple Avis touchant la méthode à suivre dans les sciences[238]. Le premier titre était peut-être trop pompeux ; le second parut vraiment trop modeste.

Descartes envoyait les épreuves à Paris uniquement afin d’avoir un privilège. L’imprimeur Jan Maire en avait bien un déjà, des États de Hollande, daté du 20 décembre 1636[239], mais qui ne valait que pour les Pays-Bas, et ne le protégeait pas en France contre une contrefaçon et une concurrence possible à Paris. C’était donc dans un intérêt commercial que notre philosophe demandait à Mersenne de lui faire obtenir un privilège du roi, non pas tant pour lui personnellement, que pour son libraire de Leyde[240]. Mais Mersenne l’entendit autrement. Il voulut quelque chose qui signalât le nouveau volume à l’attention publique et en assurât le succès. Les circonstances étaient favorables : le chancelier, Pierre Séguier, aimait les lettres, et de plus il avait épousé une cousine germaine du cardinal de Bérulle, ancien protecteur de Descartes. Séguier entra dans les vues de Mersenne : le privilège faisait une allusion flatteuse à ce qu’on pouvait attendre de l’auteur pour l’avancement des sciences et le progrès des arts mécaniques, et surtout il nommait cet auteur en toutes lettres : Des Cartes[241]. C’était aller contre la volonté expresse du philosophe, qui en témoigna quelque humeur à son ami trop zélé ; il ne retint que les termes essentiels du privilège, et supprima tout le DiOPTRIQUE. 18^

reste, qui ne parut qu'en 1644. Qu'avait-il besoin, par avance, de ces louanges officielles ? Elles équivalaient, lui disait-on, à des « lettres de chevalerie ». Mais sa naissance le faisait déjà gentilhomme. D'ailleurs, tant de formalités retardaient l'octroi du privilège, qui était impatiemment attendu à Leyde. Il est daté du 4 mai lôSy; Jan Maire le reçut les derniers jours du mois, et le volume fut achevé d'imprimer le 8 juin.

Singulier pouvoir des mots ! Supposons que Descartes eût intitulé Télescope le traité de la Dioptrique, et Arc-en-Ciel celui des Météores, préférant à la terminologie ancienne des appellations modernes : ces deux traités prenaient, ainsi que la Géométrie, un air de nouveauté, qui maintenant encore les recommanderait à l'attention des savants. Et peut-être le Dis- cours de la Méthode, simple préface, après tout, d'un impor- tant ouvrage, n'aurait point, par un phénomène unique dans l'histoire des lettres, fait oublier l'ouvrage lui-même, au point de se substituer à lui entièrement.

La Dioptrique, en effet, était un sujet d'actualité. Les savants l'avaient mis à l'ordre du jour, depuis l'invention des lunettes d'approche en 1608, et Descartes reconnaît que c'est bien

a. Le sens des mots Optique, Catoptrique, Dioptrique, se trouve ainsi expliqué, Mersenne, La Vérité des Sciences, 162b : « ...Or, comme il y a » 3 fortes de raions, fçauoir elt les droits, les réfléchis & les rompus : auffi » y a-i'ii 3 parties dans l'Optique. La première confidere tout ce qui fe » fait par le raion droit, tel qu'elt celuy par lequel nous voyons la lumière » & les couleurs, qui nous font oppofez, l'air qui eft entre l'oeil & l'obieifl » allant vniforme. La féconde partie contemple le raion réfléchi par toutes » fortes de miroirs, & s'appelle Catoptrique, c'eft à dire fcience des » miroirs. La troiiiefme enfeigne comment nous voyons par raions qui » font rompus, comme quand nous regardons vn bâton qui eft partie » dans l'eau, partie dans l'air, & fe nomme Dioptique, ou Me/optique, » parce qu'elle comidere la façon par laquelle les raions palVent par les » milieus diuers, comme quand ils trauerfent l'air, l'eau & le verre en » mefme inftant : on pourroit aulTi nommer cette partie Anaclajlique ou » Diaclajîique. » ^ Pages 229-230.)

b. De Uitvinding der Verrekijkers, van C. de Waard. (La Haye, 1906 in-8, p. 340.) Abrégé en français dans la Revue Ciel et Terre, 28' année (Br. in-8, p. 18, Bruxelles, Weissenbruch, 1907.)

ViB DE Descartes. 24

�� � i86 Vie de Descartes.

cette invention qui lui donna l'idée d'écrire un tel traité^. Il n'était pas le premier, certes; mais au témoignage d'un contemporain, le P. Georges Fournier, Jésuite, dans son Hydrographie en 1643, tous les ouvrages précédents en furent éclipsés, et ce fut le sien désormais qui fit autorité.

A la honte de nos sciences, déclare le philosophe, cette invention si utile et si admirable des lunettes d'approche est due au hasard; et l'auteur, Jacques Metius, d Alkmaar, n'avait jamais étudié. Descartes ignorait-il que ces lunettes avaient été inventées à Middelbourg, qui en était resté le principal centre de fabrication dans les Pays-Bas ? Lui, si cuneux de nouveautés, il n'aurait pas visité dans cette ville, en i6i8, la boutique du lunetier Lipperhey, qui dix ans auparavant, en 1608, s'en était dit l'inventeur? et pas davantage celle d'un autre lunetier, Zacharias Jansen, qui avec plus de raison, ce semble, avait élevé la même prétention? Le fils de ce Zacha- rias, Johannes Jansen, invoquera cependant plus tard le témoi- gnage de notre philosophe (après la mort de celui-ci, il est vrai), pour assurer qu'en 1618 on trouvait dans la boutique paternelle des verres disposés dans de longs tuyaux pour

a. Tome VI, p. iSp, 1. 17-22.

b. Hydrographie contenant la Théorie & la Praâique de toutes les parties de la Navigation. Compofé par le P. Georges Fournier de la Compagnie de lefus. (A Paris, chez Michel Soly, rue fainft Jacques, au Phœnix. M.DC.XLIII. Avec Privilège du Roy. Permiffion du R. P. Prouincial : Jacques Dinet, à Paris, ce 4 lanuier 1643. Privilège, 18 mai 1643. Gd in-f°, pp. 922. Acheué d'imprimer, 20 mai 1643.) — Le chapitre xix du livre X est intitulé : Des Lunettes d'approche ; « . . .le dis » que cette inuention eft incomparable, & que, puis que nous en ignorons » le vray Auteur, au moins nous deuons grandement prifer ceux lefquels » par leurs doftes efcrits ont tellement cultiué ce que le hafard a fourny » au premier Inuenteur, qu'ils l'ont conduitte en tel poinfl qu'il femble » qu'on n'y peut plus rien adioufter : tels que font Maurolicus en fes liures )> de la Lumière & de l'Vmbre : Porta en vn œuure exprès, qu'il a defcrit » des Lunettes & Miroiiers bruflants : Kepler en fon Optique, & princi- » paiement en fa Dioptrique : Aquilonius en fon Optique : Hierofme » Sirturus Milanois : le Père Schiner en fa Rofe Vrline : le fieur Tarde » Théologal de Sarlat : & fur tous nouuellement Monfieur des Cartes, » comme ie diray cy après. » (Page 5i i.)

�� � DiOPTRIQUE. 187

regarder la nuit les étoiles et la lune\ Il ajoute, il est vrai, que Metius vint lui-même examiner un de ces tuyaux, et fabriqua ensuite une lunette semblable; et il est vrai aussi que, dès 1608, Jacques Metius, comme Lipperhey et comme Jansen, avait demandé aux États de Hollande un brevet d'in- venteur. Mais Descartes tenait sans doute ses renseignements du propre frère de Jacques, Adrien Metius, qu'il connut comme professeur de mathématiques à l'Université de Franeker, et il s'en sera rapporté à lui ^

a. C. DE Waard, loc. cit., p. 140 : « Anno iSgo, is de eerfte buyfe » gemaeckt en geïnventeert binnen Middelburgh in Zeelant van Zacharias » Janfen, ende de Langfte waerr(en) doen ter tijt i5 à 16 duym ; waervan » datter 2 wech vereert werden : de eene aen den prins Maurytfyus en de » ander aen hertogh Albertus. De deftanfy van i3 à 16 duym is foo lange » gebruyckt geweeft tôt het jaer 1618; doen hebbe ick, met mijn vader » hierboven vernoumpt, de lange buyfe geïnventeert, die men gebruyckt » om by nachte te fien in de fterren en de maenne, daer veel in te fpeke- » leren is. Anno 1620 heeft Meetfyus een van onfe buyfen bekommen, » deweltke hy naergekonterfeyt heeft, voor fooveel als hij gekonnen heeft. » Defgelickx heeft oock Cornelis Dribbel gedaen. Als wy defe infter- » menten praflyfeerden, woonden wy op het kerckhof, daer nu de » venduyfy is. Waerre Reynnier Ducartes en Cornelis Dribbel en » Joannes Loof int leven, die fouden getuygen daervan konnen wefen, » dat ick de eerfte lange buyfen hebbe geïnventeert. Vorder en kan » ick, mijn Heeren, geen naeder onderricht daervan doen. — In Mid- » delburgh, den 3o Jannewary i655. Johannes Sachariassen. » Cette attestation, adressée aux magistrats de Middelbourg, soulève plus d'une difficulté. Johannes, par ex., en 1618, n'avait que sept ans; il n'a donc pu aider son père dans l'invention du perfectionnement dont il parle. D'autre part, la date de iSgo n'est point celle de l'invention : Johannes lui-même vingt ans plus tôt, en i634, en avait indiqué une autre plus vraisemblable à Beeckman, qui la rapporte dans son Journal : « Johannes Sacharias » feght, dat fijn vader den eerften verrekijcker maeckte hier te lande anno » 1604 naer eene van eenen Italiaen, daerop ftont anno i5go. » [Ibid., p. i55.) Notons cette même date de iSgo, qui apparaît.

b. Sur l'inventeur du télescope, le P. Fournier {loc. cit., p. 5i i) repro- duit textuellement d'abord la version de Descartes (t. VI, p. 81, 1. 3-7, et p. 82, 1. 2-18). Il y ajoute d'ailleurs celle de Sirturus, et continue par le passage que nous avons cité, p. 186, note b. — D'autre part, Peiresc, dans une lettre à Dupuy, datée d'Aix-en-Provence, 8 nov. 1626, parle de ces lunettes de Galilée, « ou plus toft (ajoute-t-il) de Jacques Methius qui en

�� � i88 Vie de Descartes

Il imagina, précisément en cette ville, une machine propre à tailler les verres. C'est de Franeker, en effet, que sont écrites les lettres de 1629, qui donnent là-dessus des instructions à Ferrier, l'artisan qu'il avait connu à Paris. Il tenta même de le faire venir auprès de lui, pour y travailler ensemble : on vivrait, disait-il, « comme frères ». Mais Ferrier ne put se décider. Il essaiera cependant de faire quelque chose, sinon en 1629 ou i635, du moins après la publication de ib3j : le P. Nicéron raconte, en i638, que Ferrier montrait à Paris une lunette excellente, composée de deux verres taillés, suivant le conseil de Descartes, en hyperboles Plus de dix ans aupara- vant, notre philosophe avait obtenu du même Ferrier, à Paris, de semblables verres ; mais il n'avait pas encore imaginé une machine tout exprès pour les tailler ; et il avait laissé Mydorge dessiner lui-même la figure à leur donner, pour le bien con- vaincre de l'excellence de l'hyperbole . Mydorge, en effet, qui étudiait surtout les miroirs, tenait pour la figure parabo- lique ; mais il dut reconnaître que, pour les lunettes, objet de la Dioptrique, Thyperbole est préférable ; et Mersenne le reconnut également'. C'était une nouveauté, et Descartes n'en

» eft le vray inuenteur primitif ». [Lettres de Peiresc, Paris, Impr. Nat., 1888, t. I, p. 79-80.) Fromondus, en 1627, dira de même de l'inventeur : « Fratrem fuum lacobum Metium fuiffe contendit Adrianus Metius Fra- » nekerenfis Mathematicus. » (Meteorologicorum libri,p. 112.) Enfin on trouve, dans les Momenta Defultoria de Constantin Huygens une épi- gramme de i633 : In Metium TeleJ'copii Inventorem. (Page 76, f édit., 1644.) — Adrien Metius, né comme son frère à Alkmaar, en 1571, mourut à Franeker en i6?5. Un livre de lui : Arithmeticœ & Geometriœ Praâica, fut édité par les Elzeviers à trois reprises, en i6i i, 1626 et 1640.

a. Tome I, p. 1 3, 32 53 : lettres du i8 juin, 8 oct. et 1 3 nov. 1629.

b. Ibid., p. 14, 1. 12.

c. Tome II, p. 376.

d. Tome I, p. 335-337, notamment p. 336, 1. 24.

e. Mersenne, Que fiions Phyjico-Mathematiques, i634 : « Queftion XIX. » A quoy Jenient les feâions Coniques, & quel f eut ejlre leur vfage? » (Page 94.)

Mersenne considère surtout « la feélion ou la ligne hyperbolique... » encore plus admirable dans les lunettes & dans la refraflion, que dans

�� � DiOPTRIQUE. 189

était pas peu fier. Jusque-là on s'était contenté de donner aux lentilles de cristal, qui servaient pour les lunettes d'approche, la forme sphérique, sans autre raison, si ce n'est qu'elle était plus commode à tailler et qu'elle réussissait. Galilée n'en employait pas d'autre en Italie, ni Scheiner en Allemagne^ ; et en Hollande même, un professeur d'Amsterdam, qui fut en relations avec Descartes, Martinus Hortensius, préconisait toujours la figure circulaire '\ Descartes fut même un peu

» les miroirs & dans la reflexion.. . . C'eft pourquoi les Lunetticrs >i deuroient faire les verres de leurs lunettes de longue veuc en forme » d'hyperbole conuexe. . . >' (Pages 95-96.) Et il renvoie à la Vérité des Sciences, 1. IV, c. 6, et à V Impieté des Déifies, partie II, c. 6, et c. i3 de la 25 objection, « où les proprietez & la fabrique des miroirs parabo- » liques font expliquées ». Mais surtout il renvoie aux livres « des ferions » Coniques de Monfieur Mydorge (dont on attend toujours les 6 der- niers) ».

a. Galilée, Sidereus Nuntius, 1610 : « Tubum primo plumbeum mihi » paravi, in cuius extremitatibus vitrea duo Perfpicilla, ambo ex altéra « parte plana, ex altéra verô unum Jphœrice convexum, alterum verô » cavum, aptavi. » [Edi^ione Na:{ionaIe, .vol. III, parte i», Firenze, 1892, p. 61-62.) — Scheiner, Roja Urfina, i63o : « Forma lentium qualis effe » debeal : forma, quœ huip materiae inditur, eft artificialis, fuperficies » nimirum vel plana, vel fphœrica [de reliquis etiim figuris nolo hîc » inquirere), eaque vel caua, vel conuexa. » (Page 98.)

b. Tome I, p. 327, 1. 8-1 5, et p. .328 ; puis p. 33i, 1. 6-1 5 : lettres du 28 cet. et du !»'■ nov. i635.

Voir aussi le P. Fournier, Hydrographie (1643), Liv. X : Des Lunettes d'approche, chap. xix :

« ...Telle a elle la figure de toutes les Lunettes iufques à prefent » [figure fpherique) ; mais depuis que Monfieur des Cartes Gentilhomme » Breton a imprimé la Dioptrique à Leinde l'an 1637, & qu'il a mondrc » que le cercle ne peut fuflfire, pour compoferla figure d'vn verre qui » face que tous les rayons qui viennent d'vn poinfl s'alfemblent en vn » poinft exactement, & que, (i au lieu de la figure Sphérique on en donne » aux verres vne Hyperbolique, on fera des Lunettes qui feront voir les >. obiefts diftinclement, fans confufion, (.S: en telle grandeur que l'on vou- » dra ; iS: qu'il nous a faict connoiftre que la caufe pour laquelle il a paru » fi peu de Lunettes d'aproche d'cxquife honte, (.11 t]uc les ouuriers ti'ont >• iamais rencontre que lors qu'ils ont failly fi ' rrufement, que, pen- u fants rendre Spheriques les fuperficies des vcn 'Is les ont rendues 1) Hyperboliques, ou de quelque autre figure equiuaintc : piufieurs fe » font mis à y trauaillcr de nouueau, iS; maintiennent <|iie,y/ la main des

�� � ic)o Vie de Descartes.

piqué que Huygens, qu'il pensait avoir converti à son hyper- bole, prêtât encore l'oreille aux objections d'Hortensius. Huy- gens, pour satisfaire son ami, lui offrit alors de faire tailler un verre hyperbolique par un tourneur de sa connaissance à Amsterdam. Mais il y fallait la fameuse machine ; et elle était difficile à construire. Descartes, cependant, était entré dans les détails les plus précis, et en avait fait un chapitre entier de sa Dioptrique, le dernier, celui auquel tout ce qui précède achemine peu à peu le lecteur.

L'ouvrage" peut se diviser en deux parties, avec une intro- duction. La seconde partie, qui comprend les quatre derniers chapitres ou plutôt « discours », vu, viii, ix et x, étudie les questions suivantes : — moyens de perfectionner notre vision, lesquels consistent à fabriquer des organes- artificiels, autre- ment dit des lunettes ; — formes ou figures que doivent avoir les verres ou autres corps transparents qui servent aux lunettes, et Descartes, écartant le cercle ou la sphère, exa- mine comparativement deux autres sections coniques, l'ellipse et l'hyperbole, pour donner la préférence à l'hyperbole ; — comment ensuite deux verres hyperboliques, l'un convexe et l'autre concave, doivent être placés dans un tube ou tuyau pour faire une bonne lunette ; — enfin et surtout, comment doit être construite la machine propre à tailler de tels verres. Quant à la première partie, elle comprend les quatre discours

» ouuriers né nous manque-, on pourra par cette inuention voir des obieâs » auffi particuliers & auffi petits dans les AJlres, que ceux que nous » voyons communément fur terre. Toute l'Europe attend quelque bon » effeft d'vne fi rauiffaiite demonftration. » (Page 5 12.) Tous les passages en italiques sont copiés textuellement de Descartes, t. VI, p. 211, 1. i-5, et p. 206, 1. 2-6.

a. La Dioptrique, t. VI, p. 81-227, ^^ divise ainsi :

I, Lumière, p. 81-93. — II. Refraâion, p. gS-ioS.

III. Œil, p. io5-io8. — IV. Des Jens, p. 109-114. — V. Images au fond de l'œil, p. 1 14-129. — VI. Vifion, p. 130-147.

VII. Moyens de la perfeâionner, p. 147-165. — YIU. Figures à donner aux verres, p. 165-196. — IX. Lunettes, p. 196-21 1. — X. Machine à tailler les verres, p. 21 1-227.

�� � précédents, iii, iv, v et vi. Pour savoir ce qu’on peut ajouter à notre vue par artifice, il faut connaître d’abord les organes dont nous a pourvus la nature. Et Descartes examine successivement — l’œil, organe extérieur ; — puis ce qu’il appelle les organes intérieurs qui servent au sens de la vue, c’est-à-dire les nerfs et le cerveau ; — puis les images qui viennent se peindre au fond de l’œil ; — enfin la vision elle-même. Mais avant tout il avait exposé les principes, dans une sorte d’introduction : — chapitre ii, lois de la réfraction ; — chapitre i, nature de la lumière.

Descartes ne pouvait choisir un meilleur exemple, et plus démonstratif, des idées qui lui étaient chères : il montrait dans un même sujet l’union de la géométrie et de la physique, l’union aussi de la spéculation et de la pratique, de la science des philosophes et de l’industrie des artisans. Cette machine à tailler des verres en hyperbole était l’application d’une découverte scientifique ; or, dans sa pensée, toutes les découvertes doivent aboutir ainsi à des inventions utiles. Et l’on ne saurait dire laquelle de ces trois choses le satisfaisait davantage : sa machine elle-même, sa loi des réfractions, ou l’étude des sections de cône par lesquelles les réfractions s’expliquent géométriquement.

Selon ce principe, que l’art doit toujours chercher ses règles dans la nature, et que les organes naturels doivent être les modèles des organes artificiels. Descartes étudie la structure de l’œil et le mécanisme de la vision. Il avait en cela des prédécesseurs : Jean Tarde, en France, dans son Telescopium[242], et Scheiner, en Allemagne ou plutôt en 192 Vie de Descartes.

Italie, dans sa Rosa Ursina ». Descartes ne paraît pas avoir connu Jean Tarde ; mais il cite, dans ses lettres, le nom de Scheiner. Qu'avait-il besoin, d'ailleurs, de ces exemples? La méthode était tout indiquée, et un esprit bien fait ne pou- vait manquer de la suivre. Déjà, dans le Tiaité de l'Homme, qui est comme une seconde partie de son Monde, on trouve une étude semblable de Tœil et de la vision ". Ce n'était là qu'un résumé de ce qu'on retrouve, sous les mêmes titres, aux chapitres m et iv de la Dioptrique. Ici Descartes met au point ce qui était seulement esquissé dans le Monde. Mais de part et d'autre, à propos de la vision, il étudie dans le même ordre tout ce qui s'y rapporte : lumière et couleur, situation et distance, grandeur et figure des corps; les deux premières sont l'objet propre de la vue, et les quatre suivantes, de la vue aidée des autres sens : de là trop souvent des erreurs, qu'il

dont voici l'une : « ...Ou bien il V inventeur] y paruint par vne autre voye. » C'eft que. voulant faire vn œil artificiel, & confiderant que l'art imite >• la nature, il print le naturel pour modèle. & forma cette vifion artifi- » cielle fur la naturelle : car il y a en l'œil & en la viiîon cinq ou fix » chofes lefquelles font exactement imitées au Telefcope. >- Tage 108.) Suit l'énumération de ces cinq ou six choses. Le latin disait : « Vel quia » naturam ars imitatur, ex oculo exemplar eligens, modum videndi feu » rationem qua fit vilio tanquam ducem fequutus' ert. Sex enim in oculo Il deprehenduntur. quorum fimilitudinem telefcopium exprimit, & » apprime reprœfentat. » iPage 86.

a. Peiresc écrivait à Du Puy, le 22 r.ov. i633 : ■< Le P. Scheiner, dans » fa Rofa Vrftna ii63o;, femble mener le lecteur comme par la main fe » promener dans l'on œuil, pour y voir receuoir les images des objecls )i & les rayons d'icelles fe reunir par les effecls de TOptique tout de » mefmes que dans vne chambre obfcure où l'on les introduifit à trauers » vn verre conuexe (qui faicl le mefme effeil que noflre humeur cryftal- » line, pour grolTir plus ou moings les objeils, félon fa conuexité plus » ou moings grande , & y trouuer fon fecours aux courtes veùes en la » concurrance d'vn concaue, pour r'accourcir l'alfemblage des rayons » qui. ne fe pourroit faire que plus loing que ne porte le diamètre de >' noftre œuil. qui efl: la vraye raifon de l'vfage des verres concaues aux » courtes veiies : ce que perfone n'auoit jamais imaginé deuant luv que )« je fçaiche. . . » Lettres de Peiresc, Impr. Nat.. 1890, t. IL p. 646.

b. Tome I, p. 245, 25o, 282 et 33i.

c. Tome \T. p. io5-io8. et t. XI, p. i5i-i58.

�� � DiOPTRIQUE, IC)J

explique dans la Dioptriqiie beaucoup mieux que dans le Monde. Quant à l'œil, la description en est la même, à peu près, dans les deux ouvrages. Descartes l'emprunte, pour une bonne part, aux anatomistes, ainsi que la structure des nerfs, bien qu'il y ajoute aussi du sien. 11 n'oublie pas non plus, pour faire comprendre le trajet des rayons lumineux dans les diffé- rentes parties de l'œil, la comparaison de la chambre noire =•, inventée naguère par Jean-Baptiste Porta. Mais surtout il avait disséqué lui-même, à plusieurs reprises, l'œil d'un bœuf, et complété ses observations anatomiques par des expériences : il adaptait cet œil à une ouverture qui donnait d'un côté sur le plein jour, et de l'autre sur un endroit obscur, et rendait visibles ainsi, soit sur le fond de l'œil, soit sur un linge blanc, les images des objets extérieurs. Descartes disait que, dans la Dioptriqiie, il avait mêlé la géométrie et la physique ; il pou- vait ajouter encore : et l'anatomie, ou comme on disait en son temps, la médecine, « suite naturelle de la physique » ; et le

a. Tome VI, p. 1 14-1 15. Voir déjà Jean Tarde, dans son Telefcopium, 1620, ou la traduction française, 1623 : « Si vne chambre eft fi bien » fermée qu'aucune lumière n'y entre que par vn petit trou : l'image de » ce qui fera dehors ou qui s'y fera, paroiftra dans la chambre en la » muraille qui fera oppofite, pourueu qu'elle foit blanche & nette : » comme nous auons veu cent fois par expérience, qui eft plus forte & » plus concluante que toutes les demonftrations qu'on fçauroit faire. Car » les efpeces entrées dans ce trou, vont donner contre la muraille oppo- » fite qui les arrefte, & manifel^e à celuy qui eft caché en quelque coin » de cefte chambre. Tout de mefme les efpeces entrent par le trou de 1) l'vuée dans l'obfcurité de l'œil où elles font arreftées par l'humeur » cryftalin, ou [lire au ?) bout du nerf optique, comme par vne muraille » blanche, & de là le nerf optique les voit, & les prend pour en faire le » rapport au fens commun. » (Pages 70-71.) Voir aussi Kepler, Paralipomena ad Vitellionem [Francfuni, MDCIV) : « Prop. Vil. Problema. In caméra claujâ & in propofito pariete reprœ- » fentare qtiicquid extra cameram è regione vel ejl vel geritur, quod » qtiidem in oculos incurrit. Hanc autem primus, quod fciam, .1. Baptista B Porta tradidit, Magiœque Naturaiis non minimam partem fecit. Sed » experientià contentus, demonftrationem non addidit. » {Kepleki Opéra, éd. Ch. Frisch, iBSq, vol. II, p. 160.)

Vie de Descartes. ib

�� � 194 ^lE DE Descartes.

physicien -géomètre apparaissait en lui doublé d'un habile observateur et expérimentateur.

On retrouve ce même ensemble de qualités dans l'étude qu'il fit de la réfraction. Le Monde n'en donnait qu'un résumé, d'une page à peine, et renvoyait à la Dioptrique. C'est, dans celle-ci, le second chapitre, rédigé dès la fin de i63i, puisque Descartes l'envoya à Golius en janvier 1632". Il y joignit, le 2 février, l'indication d'une expérience pour vérifier la loi de la réfraction, et rappela ce que lui-même avait expérimenté déjà avec Mydorge. à Paris, cinq ans auparavant . Golius, huit à dix mois après ces lettres de janvier et février i632, trouva dans les papiers de Snellius, son prédécesseur en la chaire de mathématiques à l'Université de Leyde, un exposé de cette même loi, avec une démonstration diff^érente ". Golius fit aus-

a. Descartes à Golius, janvier i6'32 : « ...Pour ce que vous me mandez, » & que M. H(orten(ius) me témoigne que vous defirez voir de ma Diop- » trique, ie vous en envoyé la première partie, où i'ay taché d'expliquer » la matière des refradions, fans toucher au reile de la philofophie. » (Tome I, p. 234, 1. 29, à p. 235, 1. 3.) — A Mersenne, juin i632 : « Pour » la façon de mefurer les refradions de la lumière, injlituo cotnparatio- » nem inter Jinus angulorum incidentiœ & angulorum refraâorum. Mais » ie ferois bien aife que cela ne fut point encore divulgué, pource que la » première partie de ma Dioptrique ne contiendra autre chofe que cela » feul. » [Ibid., p. 255, 1. 25-3o.) Dans la rncme lettre, Descartes avait dit : « le fuis maintenant icy à D(euentcr), d'oij ie fuis refolu de ne point » partir que la Dioptrique ne foit toute acheuée. » (Page 254, 1. 3-5.)

b. Tome I, p. 239, variantes, col. 2.

c. Pour toute la discussion qui suit, voir un*e étude de D.-J. Kor- teweg : Descartes et Snellius, d'après quelques documents nouveaux. (Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1896, p. 489-501.) Et une autre, plus récente, de G. Milhaud : Descartes et la loi des sinus. (Revue générale des Sciences, 3o mars 1907, p. 223-228.) — On se rend compte combien peu la question était avancée en 1620 et 1623, en lisant ce passage de Jean Tarde, Telefcopium, dans la traduction française :

« Prop. 22 -• Les Optiques ont accoullumé de rechercher la proportion » qui eft entre ces deux angles (angles de l'incidence & de la refracHon) : » pour de cognoilTance de l'vn, venir à la cognoidance de l'autre. . . »

« Prop. 23 : L'angle de la refraâion au verre ou cryjial ejl prefque la » tierce partie de l'angle de Vincidence qui ejl fait en l'air. C'eft à dire, » il l'angle de l'incidence elt de 21 parties, les 90 faifant l'angle droit.

�� � DiOPTRIQUE. 195

sitôt part de sa trouvaille à Constantin Huyg^ns, en notant d'un trait sûr la différence, à son avis, entre la découverte du philosophe français et celle du savant hollandais, leur compa- triote : excellents mathématiciens tous deux, ils avaient suivi des procédés inverses l'un de l'autre, Snellius partant des effets observés, et Descartes des principes et des causes. Ainsi tombe l'accusation trop facilement soutenue plus tard par Leibniz, que Descartes avait appris d'Hortensius, professeur à Amsterdam et ancien élève de Snellius, la loi de la réfrac-

» l'angle de la refradion fera de 7 parties... Ce qui doit eftre entendu s auec condition que l'angle de l'incidence n'excède pas 25 ou 3o par- » lies : car s'il excedoit, on n'y trouueroit pas mefme proportion... La » feule expérience a fait cognoiftre cefte proportion par plufieurs moyens, » vn defquels. . . » (Pages 79-80.)

Citons ici intégralement, et d'après le MS., la lettre du 7 avril i632, de Huygens à Golius, dont nous n'avions pu donner qu'un fragment, p. 106 ci-avant, note a :

« Ex quo poftremùm à te abij, Vir dodifTime atque amiciffime, fecuta » me imago eft mirabilis Galli, amici, non citra inuidiam meam, tui, >i cuius in magna urbe paulùm fepultas diftat inertiic [celata écrit d'abord, » puis barré ; fepulta récrit au-dessus et encore barré ; finalement en » surcharge, de nouveau : celata] virtus. Iliam prœcipuè, quam de » Refracti radij demonftratione, tanquam de re leui ac perfpicuâ, fpem » fecit, nufquam depofui. Quasfo verô, dum per hos dies feftos tuus es, » efto hic, quod fuifti femper, quodammodo & meus quoque, & illud âge » feriô, ne ab his regionibus [en surcharge : quod minabatur] decedat » vir praeftantiflîmus, nifi hoc faltem nomine literato, quo quidem » debitor cenferi in uniuerfum nofter poteft, quôd fementis in hoc » folo fadae meCfem indigenis inuideri nulla ratio patitur. Amicitiam » viri, non tam ineptus met aeftimator fum, ut ambire geftiam. Nec vim » faflurus fum quaerenti latebras, quo pofteriiati magis illufcefcat. Sed » quando, coaetaneis ferè nobis, quod te dicere memini, parùm liquet » uter alteri fuperrtes efle poflit, iterùm te rogo curare fedulô ut velis, ne » fe totum fuo fajculo inuideat, aut hoc faelicitati noftras deeffe velit, » quod feriùs elTe non cœperimus, aut cras viuere, qui pridem nati » fumus, & ad gloriam noftram pertinere ducimus quod eodem foie » iilullramur cum nobiliffimo Planeta, qui inter nebulofa fidera latendi, » ut immérité certè, fie tandem fruftra, confilium ceperit. Vale, Goli ., clariffime, & me ama. Hag. VU Id. Apr. CIO IDC XXXII. » (Amster- dam, Acad. des Sciences, Constantini Hugenii Efijiolœ Latinœ, MS., Epift. i5C.)

�� � tion ; et le grand Huygens eut tort de croire aussi là-dessus trop facilement, de la part de Descartes, à un emprunt, sinon un plagiat. Comment Hortensius aurait-il su de Snellius une chose que le successeur de celui-ci, et qui détenait ses papiers, ignora jusqu’en novembre 1632 ? Or, Descartes était en possession de sa loi, non seulement depuis la fin de 1631, mais dès 1627, à Paris, avant de venir s’installer en Hollande. Sans doute, il était venu autrefois en ce pays, pendant quelques mois de 1618 à 1619. Mais la découverte de Snellius ne paraît pas antérieure à 1626, puisque Golius, qui le quitta cette année pour ne plus le revoir, n’en avait pas connaissance encore. Bien mieux. Descartes, lors de son premier voyage en Hollande, entrevoyait déjà la cause des réfractions, comme on peut le deviner à ses notes de 1619. Il parle, en effet, de la différence de matière entre les corps que le rayon lumineux traverse, en passant, par exemple, de l’air dans l’eau, ou dans le verre, ou dans différents liquides ou solides. Descartes n’insiste pas sur cette idée, à laquelle il revient, sans insister davantage, dans la Dioptrique[243]. Ce n’était plus là de la science, ou de la physique toute simple, mais déjà de la métaphysique ; on dépassait la région positive des faits et de leurs lois, pour pénétrer jusqu’aux principes ; et ceux-ci, notre philosophe avait résolu de ne pas les publier encore.

En effet, son premier chapitre, fondement de tous les autres, et qu’il intitule De la lumière, ne donne pas ce que semblait promettre ce titre, à savoir « la nature de la lumière » : seules les propriétés de celle-ci y sont expliquées, et encore au moyen de comparaisons[244]. Tantôt, c’est la balle du jeu de paume : suivant qu’elle est lancée contre un corps dur, ou bien mou, ou bien liquide, un mur, une toile, ou de l’eau, et qu’elle le rencontre plus ou moins obliquement, elle se réfléchit, et l’angle Météores. 197

de réflexion égale l'angle d'incidence, ou bien elle s'amortit, ou elle s'enfonce en déviant. Tantôt, c'est une cuve pleine de raisins : au travers de la masse des grains ronds, qui se trouvent foulés, le jus coule quand même en ligne droite : tout droits aussi sont les rayons lumineux qui passent entre les globules célestes. Tantôt enfin c'est l'aveugle, qui se rend compte des objets en les touchant de son bâton ; ce bâton est mû tout d'une pièce en un instant : ainsi le mouvement d'un rayon, depuis un corps lumineux jusqu'à nos yeux, est instan- tané. Chose curieuse, dans cette dernière comparaison on est « instruit à voir par un aveugle qui ne voit point' ».

Nous finissons ainsi la Dioptrique , par où Descartes l'a commencée. Nous l'avons parcourue à dessein en sens inverse, remontant des effets aux causes, tandis que le philosophe, fidèle à sa méthode, descendait des causes aux effets. Il pose d'abord ou plutôt il suppose son principe, qui est ici la nature de la lumière, sans l'expliquer autrement que par des comparaisons ; et il en déduit la propriété qui se rap- porte à son sujet, c'est-à-dire la réfraction. Puis, il avance comme par degrés dans l'étude de l'organe de la vue. Enfin, il ajoute à l'œil naturel le secours de cet œil artificiel, qui est la lunette d'approche récemment inventée ; et il s'efïorce d'ap- porter à celle-ci les perfectionnements de la science.

Les Météores étaient peut-être les phénomènes qui frap- paient le plus l'imagination populaire, soit pour l'émerveiller,

a. Paroles du P. Poisson, dans ses Commentaires ou Remarques, p. 178-179 : a . ..Il commence fa Dioptrique par l'Hypothefe & la Com- » paraifon qu'il fait d'un aveugle dont il étudie | les fentimens & les » penfées pour nous enfeigner à difcerner ce qui fe paffe en nous » lorfque la lumière frappe nos yeux. Et bien que ce (oit une chofe afl"ez » furprenante d'eftre inftruits à voir par un aveugle qui ne voit point, & » d'apprendre ce qui fe fait dans l'œil par un homme qui n'en a point » l'ufage : neantmoins, à prendre precifement cette Hypothei'e dans » fes bornes, on ne peut rien apporter qui nous falle mieux concevoir » tout le fyfteme de la veuë, & qui en explique mieux les accidens. » (Pages 178-179.)

�� � soit pour l’épouvanter. On leur attribuait volontiers des causes surnaturelles. Quelle tentation, pour un savant, de montrer que là aussi tout s’explique naturellement ; et s’il y réussissait, quel triomphe pour la science ! Il y avait deux choses dont notre philosophe voulait délivrer, et si l’on ose dire, exorciser l’esprit humain : l’étonnement, toujours mauvais, et nuisible à la science, en ce qu’il arrête toute recherche, et immobilise l’esprit dans un ébahissement stupide devant un fait réputé merveilleux ou miraculeux ; puis ce sentiment, dont l’étonnement n’est d’ailleurs qu’un excès, et dont le savant doit aussi se garder, l’admiration, qui l’incite à croire qu’un fait est plus difficile à comprendre qu’il ne l’est, et passe la portée de notre connaissance. A la première page des Météores, Descartes annonce qu’il prouvera, par des exemples, « qu’il est possible de trouver les causes de tout ce qu’il y a de plus admirable sur la terre » ; et à la dernière page, il conclut que la preuve est faite, et « qu’on ne verra rien dans les nues à l’avenir, qui donne sujet d’admiration[245] ».

Les nues comprennent, en effet, pour lui tous les Météores, et sont comme le centre d’où il convient de les examiner. Elles sont formées de vapeurs, et non pas d’exhalaisons, ce qui oblige d’abord Descartes à marquer la différence entre les unes et les autres ; puis, comme ce sont les vents qui les élèvent et les assemblent en l’air, de là une étude préalable des vents ; puis on voit les nues se dissoudre en pluie, en neige, en grêle, autant de phénomènes à étudier ; des nues aussi viennent les tempêtes, le tonnerre et les éclairs ; après ces choses « qu’on voit dans l’air en même façon qu’elles y sont », Descartes examine enfin celles « qu’on peut y voir sans qu’elles y soient[246] », l’arc-en-ciel, les couronnes autour des astres, les parhélies ou faux soleils. Les nues font donc bien l’unité de tout l’ouvrage.

Toujours habile à profiter des circonstances. Descartes Météores. 199

reprend l'étude de ce phénomène observé à Rome, le 20 mars 1629, et qui toute cette année avait intéressé les savants : les parhélies, ou apparition de quatre ou cinq faux soleils autour du véritable. A plusieurs reprises, il s'en était informé dans sa correspondance, et en i636, il en fait à dessein le chapitre final, et comme le point culminant de son traité. C'était encore un phénomène de réfraction". D'autre part, Mersenne lui avait mandé de Paris une observation, qui d'ailleurs laissa d'abord incrédule notre philosophe, jusqu'à ce qu'un heureux hasard lui permit de la constater à son tour : apparition d'une couronne autour de la flamme d'une chandelle. Descartes en fut témoin un soir dans la chambre d'un bateau qui de Frise le transportait à Amsterdam, en traversant le Zuiderzée. Il compléta par là son avant-dernier chapitre, sur les couronnes des astres. C'était toujours un phénomène de réfraction. Il se trouvait ainsi amené à expliquer l'arc-en-ciel. L'explication qu'il en donne, demeure acquise à la science, et Descartes y voyait comme une heureuse illustration de sa méthode. L'arc- en-ciel est un bel exemple de réfraction : Descartes l'étudié d'abord dans une boule de verre remplie d'eau, et dans un cristal taillé en forme de prisme ; puis de ces phénomènes qui sont à la portée de tous, il passe aux gouttes de vapeurs dont sont formées les nues, et aux couleurs, rouge, jaune, vert, bleu, qu'elles font apparaître à nos yeux'^.

a. Tome I, p. 23, 1. 1-22; p. 245, 1. 21-25, et p. 25o, 1. 7-11. — Tome VI, p. 354-366.

b. Ibid., p. 3 18, 1. 6, à p. 32o, 1. 5. — Tome VI, p. 345-354, et notam- ment p. 35i, 1. 3o et suiv.

c. Tome VI, p. 525-544. Sans doute Descartes avait vu aussi à Tivoli, près de Rome, cette curiosité si bien décrite par Montaigne :

« . . .11 y a des eftancs ou des gardoirs, aveq une marge de pierre tout » autour, aveq force piliers de pierre de taille haus, audeffus de cet » accoudoir, efloingnés de quatre pas environ l'un de l'autre. A la tefte » de ces piliers fort de l'eau aveq grand force, non pas contre-mont, » mais vers l'eltanc. Les bouches eftant einli tournées vers le dedans & » fe regardant l'une l'autre, jetent l'eau, & l'efperpjllent dans cet eftanc, » avec tele violance, que ces verges d'eau vienneni à s'entrebatre & ran-

�� � 200 Vie de Descartes.

L'arc-en-ciel est précédé ordinairement de tempêtes, avec tonnerre et éclairs, ou tout au moins de pluie. Le chapitre de Descartes sur les tempêtes est bien documenté : il emprunte largement aux récits des navigateurs et même à des conver- sations de marins ^, si bien que plus tard le P. Fournier ne se fera point scrupule de l'utiliser dans son grand ouvrage de 1643, de V Hydrographie ou Théorie et pratique de la navigation ^. On comprend que plus tard encore, en 1649, Descartes, au cours de la traversée de Hollande en Suède, émerveilla par ses connaissances nautiques le maître du navire. Il n'a garde d'oublier les feux Saint- Elme, ni ces constellations que les anciens appelaient astres d'Hélène, ou Castor et Pollux, et qui, d'ailleurs, depuis Aristote, figuraient dans tous les traités de météorologie. Et il en donne toujours des explications natu- relles ^ De même pour les feux follets, qu'il appelle, suivant

» contrer en l'air, <Sc produifent dans l'eftanc une pluie efpelïe & conti- » nuelle. Le fôleil tumbant là-delTus, enjandre, & au fons de cet eftanc » & en Fair, & tout autour de ce lieu, l'arc du ciel, li naturel & li appa- » rant qu'il n'y a rien à dire de celui que nous votons au Ciel. Je n'avois » pas veu ailleurs cela. » (Pages 270-271, Journal de voyage de Mon- taigne, p. p. Louis Lautrey, Paris, Hachette, 1906.)

a. Tome VI, p. 3i5, I. 18 et 1. 25-26.

b. Voir Hydrographie, p. 476 et p. 704, et notre tome VI p. 3i2,l. 14- 21 (la jolie phrase sur les hirondelles et les moucherons), et p. 3i3, 1. 14 et 1. 3o-3i (sur les (( travades » et la petite nuée blanche dite « œil du )■ bœuf «, Olho de Boy en portugais). Au livre XV. Des vents, chap. .xx : Du feu S. Telme [slc], p. 692, 692-693 et 693, on retrouve, mot pour mot, des phrases entières de Descartes, t. VI, p. 314, 1. 21, à p. 3i5, 1. 26.

c. Le P. Fournier conserve quelques scrupules de religieux: « Puifque » toutefois la caufe de telles flammes eil naturelle, & que c'eft rarement )i que les démons le niellent parmy ces feux, c'ell: foiblell'e d'efprit de le » perfuader que toutes les flammes qui paroilTent, ou les tempeftes & » tonnerres qui furviennent, foient excités par quelque ennemy qui » s'ayde de Magie, & employé les forces des Démons pour fatisfaire à fa » pafîion. Et partant ie conclus que, lors qu'on voit de ces feux repofer » fur nos Hunes, cela ne nous doit eflonner. voire pluftofl donner » quelque alVurance que le fort de la tempefte ell pall'é. « Loc. cit., p. 694.; Et le bon religieux termine ainfi : « Enfin on a de couflume » d'inuoquer S. Telme, & reciter Ion oraifon. » Et il parle des miracles de ce saint. « qui mourut à Tuy, ville de Galice >>.

�� � Météores. 201

l'usage, « des ardants ». Quant à ces escadrons de fantômes qu'on croit voir parfois la nuit combattre en l'air, il n'a jamais vu de tel spectacle, et pense que les relations qu'on en fait, sont « falsifiées par la superstition et l'ignorance ». Il fait mieux que de n'y pas croire : il donne trois ou quatre bonnes raisons, qui expliquent naturellement ces visions imaginaires^.

S'il détourne l'esprit de ces vains prodiges, c'est pour lui offrir, par contre, des réalités, qui, dit-il, « bien qu'elles » n'aient point été observées par les Anciens, ne laissent pas » d'être une des plus rares merveilles de la nature^ ». Ce sont les petites étoiles à six pointes, dont se composent les flocons de neige. Kepler en avait écrit un traité, en 161 1, que cite notre philosophe. Il s'enquiert aussi des observations sem- blables, qu'avait faites en 1629 Gassend. Mais surtout il observe lui-même curieusement la neige, l'hiver de i635; et plus tard, dans une lettre à Chanut, il rappelle en plaisantant ces expériences qui lui sont « tombées des nues*" ». Il observe

a. Tome VI, p. 323, 1. 22, à p. 324, 1. 24. — Le Mercure français, t. X, p. 285-286, année 1624, raconte encore des histoires de ce genre : « Efmerueillable prodige veu au Ciel en la Principauté d'Anhalt. » Et aussitôt après, p. 287 : « Durant les feftes de la Pentecofte au mefme » lieu, fe veirent en l'air deux caualiers fur leurs cheuaux tout en feu, » l'vn d'eux traifnant par la bride vn cheual aufTi tout en feu. Deux iours » auparauant, il fe veit à Venefchav en Bohême, deux armées dans le » Ciel combattre l'vne contre l'autre. Il y pleut auiïi vne grande quantité » de fang ou eau rouge. » Dans le même t. X, on lit encore, p. i85-i86 : « Vne relation porte qu'au commencement de l'efté (1624), il aduint auiïî » à Rome vn tremblement de terre, mais qu'il ne caufa aucune ruine ; & » que quinze iours après il parut dans le Ciel grand nombre d'efclairs & » de feux, qui durèrent toute la nuift. L'Autheur de cefte relation dit que » les Romains (lefquels font fort fuperftitieux en ces prodiges) faifoient » le lendemain courir vn bruict, qu'ils auoient veu des cheuaux, des » armées & des lances dans le Ciel ; mais pour luy, qui les confidera fort » attentiuement & fans lunettes, il n'y auoit rien veu que des cfclairs, & » quelques traifnees de feu comme des fufees, félon ce qu'il y auoit plus » ou moins de matière. » (Lire peut-être /e/on qu'il, et plus haut avec des lunettes ?)

b. Tome VI, p. 232, 1. i 5-2i, et Discours VI, p. 291-31 1. Voir aussi t. I, p. 127.

c. Tome IV, p. 377, 1. 23-27 : lettre du 6 mars 1646.

Vie de Descartes. 26

�� � 202 Vie de Descartes.

de même la grêle pendant l'été. Outre ce qu'il en dit dans ce chapitre des Météores, nous avons quelques-unes des notes prises par lui à cet effet, et rédigées en latin ^. Mais Descartes ne se contente pas de noter : il explique pourquoi la neige doit prendre telle forme et non pas telle autre; il en donne des raisons mécaniques. Elles sont fort intéressantes, et notre philosophe trouve toujours, pour les exprimer, d'ingénieuses comparaisons. « Jetez, par exemple, dit-il, confusément un » rang ou deux de perles rondes toutes défilées sur une assiette, » et les ébranlez, ou soufflez seulement un peu decontre, afin » qu'elles s'approchent les unes des autres » ; vous les verrez « s'arranger naturellement en telle sorte..., que chacune en » ait six autres qui l'environnent. »

Nous ne nous attarderons pas au chapitre « des Nues », bien que ce soit le chapitre central. Celui qui précède, le cha- pitre « des Vents », qui soulèvent et rassemblent les nues dans les airs, paraît avoir attiré davantage l'attention =. Le P. Four-

a. Tome XI, p. 623-624 et p. 626-627. ■ b. Tome VI, p. 288,1. 16-29.

c. Disc. V, Des Nues, p. 279-291, et Disc. IV, Des Vents, p. 265-278. Le P. Georges Fournier, Liv. XV, Des Vents, chap. xxii, De la caitfe des Vents, dit ceci : « ...ceux qui ont le mieux traidé des vents, outre » Ariftote au 2. de fes Météores & en fes Problèmes fect. 18 & 26, Theo- » phralîe, & autres Anciens. Nous en auons eu deux difcours excellents » depuis quelques années : Tvn de Monlleur Verulamius Anglois, où il y D a de très belles remarques, mais qui ne font gueres bien digérées; & » l'autre de Monfieur des Cartes Gentiliiomme Breton, au difcours 4 de » fes Météores : ce difcours eft prelVé, nerueux, & tel qu'il n'y a pas vn » mot qui ne foit conliderable, & plein de fuc & de lumière. » [Hydro- graphie, 1643, p. 695.)

Aux pages 695 et 696, on retrouve textuellement des phrases de Des- cartes, t. VI, p. 266, 1. 25, à p. 267, 1. 1. Comparez aussi, d'une part, p. 268, 1. 18, à p. 269, 1. 3, et de l'autre, p. 697. sur les Vapeurs et les Exhalaisons. D'une part, p. 270, 1. 14, à p. 271, 1. 28, et de l'autre, p. 698-699, chap. XXV [Vent du Nord]. D'une part, p. 27?, 1. 4, à p. 274, 1. 12, et de l'autre, p. 699, chap. xxvi (Vents de printemps). D'une part, p. 274, 1. 12-26, et de l'autre, p. 699, chap. xxvii [Ethejies). Puis, p. 274, I. 27, à p. 275. 1. 3, et p. 696. Puis, p. 275, 1. 10-12 et 1. 19-21, et p. 688. Puis, p. 275, 1. 3o, à p. 276,1. 7, et p. 690. Enfin, p. 276, 1. 19-25, et p. 697,

�� � Météores. 20J

nier le cite dans son Hydrographie, et en copie maint passage. Dès 1637, notre philosophe avait souhaité que ses Météores au moins fussent enseignés, au lieu de l'ancienne physique, dans les collèges des Jésuites". Et voici que l'un deux, cinq à six ans après, en 1643, lui donne une place d'honneur dans un ouvrage de science à l'usage des gens de mer. Non seulement la formation des vents est expliquée à l'aide d'un vieil instru- ment de cabinet de physique, l'éolipyle (cette fois encore un phénomène artificiel servait à l'explication d'un phénomène naturel)^; mais la division des principaux vents qui soufflent avec tant de régularité à la surface des mers, et qu'utilisent les navigateurs, se trouve reproduite, avec quelques remarques sur les vents particuliers à chaque région et les causes qui en rendent la prévision presque impossible. Déjà, dans un cha- pitre de son Monde", chapitre d'ailleurs perdu, Descartes avait donné une théorie des vents qui soufflent entre les tro- piques; cette partie si intéressante des Météores permet d'y suppléer.

En continuant de remonter ainsi des eflPets aux causes, nous sommes ramenés aux vapeurs d'où procèdent les vents. Mais les vapeurs, du moins celles qui s'élèvent de la surface des eaux, amènent jusqu'à cette surface le sel, qui ne va pas au delà ; et Descartes en prend occasion d'étudier, chemin faisant, ce corps '^. Il le fait, suivant sa méthode : nature et propriétés du sel, celles-ci se déduisant de celle-là; puis formation du sel ou plutôt des grains de sel avec leur figure géométrique. Là son imagination se donne quelque peu carrière ; encore

a. Tome I, p. 455, 1. 20-26. — Le P. Fournier avait-il connu Descartes personnellement ?

Fournier (Georges), Jésuite, né à Caen, 3i août iSgS, entra au noviciat de Tournay, 29 sept. 1617, revint en France en 1620, professa les mathé- matiques à la Flèche (1629-1634), à Dieppe (i634-i636), probablement à la Flèche encore (1636-1640), à Hesdin (1640-1642), fut préfet des études à Caen, et mourut à la Flèche, i3 avril i652.

b. Voir aussi t. XI, p. 637-638.

c. Tome VI, p. 44, 1. i i-i3.

d. Ibid., p. 248, 1. 17-26. Et Discours III : Du Sel, p. 249-264.

�� � 204 ^'^ ^^ Descartes.

est-elle réglée par les principes qu'il a supposés, et qui con- sistent dans la nature de l'eau et la matière subtile. Grâce à ces suppositions, tout s'explique très simplement, et notre philosophe ne cesse de répéter « vous ne vous étonnerez pas », ou « ce n'est pas merveille », si telle ou telle chose arrive. Il trouve, en effet, explication à tout : propriétés communes qui rendent le sel piquant, et augmentent le poids de l'eau de mer; phénomènes plus curieux et plus rares, comme l'étincel- lement des vagues parfois pendant la nuit, ou bien la pro- duction artificielle de la glace avec un mélange de sel commun et de glace pilée ou de neige". Descartes avait ses raisons de s'étendre ainsi sur l'explication du sel : il voulait, par un exemple typique, montrer comment sa philosophie substituait avec avantage aux prétendues /orme^ de l'Ecole, formes pure- ment verbales, et simple dédoublement abstrait de la réalité, ce qu'il appelle encore du même nom de forme, mais forme géométrique cette fois, et qui offre à l'esprit quelque chose de clair et de distinct, quelque chose aussi de fécond, puisqu'on voit naître de là toutes les qualités ou propriétés d'un corps. Enfin cette dernière raison est aussi à retenir : dans tous les traités du temps sur les Météores, il était question, sinon du sel, au moins de la salure de la mer, de salsedine maris.

C'est peut-être aussi parce qu'il suivait encore la tradition du passé, et ne voulait point rompre avec un antique usage, que Descartes commence son traité par un chapitre sur les Vapeurs et les Exhalaisons. On ne faisait pas autrement depuis Aristote, et les contemporains de notre philosophe ne man- quaient pas de diviser ensuite les Météores en quatre sortes ou espèces, d'après les quatre éléments, le feu, l'eau, l'air et la terrée Descartes ne conserve pas cette division; de plus, il

a. Tome VI, p. 255, 1. i6, à p. 256, 1. 26, ctinccllcment des vagues ; p. 252, 1. 26, à p. 253, 1. 21, glace artificielle.

il. Ibid., p. 232, j. 4-12.

c. Voici dans la Summa Philofophica d'Eustache de Saint-Paul (dit le Feuillant), i" édit., 1609, et 2» édit., i6m, le sommaire du chapitre

�� � Météores. 20^

écarte certains phénomènes que l'on rangeait parmi les Mé- téores, les comètes, par exemple, et aussi les tremblements

consacré aux Météores : De mixtis imperfeâis,feu Meteoris, p. 225-246 :

Vapor & exhalatto (p. 225-226).

De imprejffionibus ignitis (p. 226J, lucidis (p. 232), humidis (p. 236), ficcis (p. 243).

De ignitis : De Cometa, & quibufdam aliis (p. 226). De fulgure & ful- mine (p. 229). De igné fatuo, Caftore, PoUuce & Helena (p. 23i).

De lucidis : De variis coloribus apparentibus in aère, vbi de hiatu, voragine, & cohortibus armatis (p. 232). De corona, virgis, pareliis & parafelinis (p. 234). De Iride &. ladeo circule (p. 235).

De humidis : De nube, pluuia, niue & grandine (p. 236). De nubecula, granedula, glacie, rore & pruina (p. 237). De falfedine maris, ejufque fluxu & refluxu (p. 239). De fontium & fluminum origine (p. 242).

De Jiccis : De terra; motu (p. 243). De Ventis (p. 244).

Descartes étudie les mêmes objets dans un autre ordre et dans un autre esprit; en outre il exclut des Météores les comètes et les tremble- ments de terre : t. VI, p. 323, 1. 12-21.

D'autre part, Charles d'Abra de Raconis donne, à la fin du tome I de son Cours de Philosophie, édition de 1637, un Appendix intitulé : Defi- nitiones, Diuijiones, ac Regulce ex Logicâ & Phyficâ Arijîotelis. In gratiam Jiudioforum Philofophicce ittuentutis. (Pages 765-816.) Voici le passage relatif aux Météores :

« Ex Libris.Meteorologicorum.

a Definitio exhalationis & vaporis. — Exhalatio eft fpiritus calidus & B ficcus, qui è terra vel terreo corpore educitur. Vapor eit fpiritus calidus » & humidus, qui ex aquâ vel aqueo corpore educitur. »

« Definitiones Meteororum ignitorum. — 1. Flamma (fiue fax). — » 2. Torris (fiue tœda). — 3. Candela (Que lampas). — 4. Lancea (fiue » trabs ardens, iaculum ignitum, fafcis). — 5. Capra faltans. — 6. Stella » cadens, afcendens, difcurrens. — 7. Ignis perpendicularis. — 8. Ignis » fatuus. — 9. Ignis lambens. — 10. Draco volans. — 11. Caftor, PoUux, » Helena. — 12. Cometa. — i3. Fulgur. — 14. Fulmen. — i5. Tonitru. » — 16. Circulus lacleus. »

« Def. Met. aqueor'm. — i. Nubes. — 2. Pluuia. — 3. Nebula. — » 4. Nix. — 5. Grando. — 6. Glacies. — 7. Ros. — 8. Prujna. »

« Def. Met. terrestrium. — i. Terra; motus. — 2. Ventus. (Diuifio » ventorum : in cardinales & latérales, générales & prouinciales, ordi- » narios & turbulentes fiue tempeftates.) »

« Def. Met. aereorum, _/îwe phantafmatum in aëre apparentiiim .

» I. Vorago. — 2. Halo (fiue Corona). — 3. Virgas (fme bacilli).

» 4. Parelius. — 5. Iris. » 'Pages 806-809.}

�� � 2o6 Vie de Descartes.

de terre. Son étude d'ensemble y gagne en unité ; et tous les chapitres s'enchaînent dans un ordre rigoureux. Il modernise en outre le sujet, en y insérant, pour les expliquer, les observations et découvertes les plus récentes. Les vapeurs et les exhalaisons elles-mêmes sont étudiées à un point de vue tout nouveau, et c'est là, dès le début, que Descartes introduit, à titre de simples suppositions, quelques-uns des principes de sa philosophie. Vapeurs et exhalaisons appartiennent à la région des corps terrestres, c'est-à-dire à ce petit monde qu'est la Terre, par opposition aux grands Cieux et aux Étoiles fixes. Les exhalaisons se composent de plusieurs parties : les plus subtiles, qui sont les esprits ou eaux-de-vie; et les plus gros- sières, qui sont les terres; entre les deux, se trouvent les sels volatiles et les huiles. Mais Descartes ne s'en sert point pour expliquer les Météores ' : il se contente des vapeurs, et à ce

a. Le P. Fournier, dans son Hydrographie {1643), 1. XV, c. xxiii, suit l'opinion de Descartes : « Que il vous me demandez (dit-il) pourquoy, » contre l'auis de pluileurs : le me 1ers plurtoft des vapeurs- que des exha- » laifons, le vous diray que c'eft principalement par ce que les exhalai- » fons ne Je tirent & ne fe détachent des corps terrejlres qu'auec vne » grande chaleur, & ne fe condenfent derechef que fort peu, quelque » froideur qu'il y ayt : là oii une chaleur médiocre fait que l'eau tant » foit peu tiede/e dilate en vapeur : & fort peu de froideur la fait pareil- » lement retourner en eau. De plus, à peine pouuez vous iamais dilater » les exhalaifons ny pas mefme l'air, en forte qu'elles tiennent deux ou » trois fois plus d'efpace que deuant, au lieu que les vapeurs en occupent » plus de cinquante mille fois d'auanlage, comme il le connoill euidem- » ment par vn grain d'encens qui fe refoud en vapeur. . . « (Page 697.) Les passages en italiques sont empruntés textuellement à Descartes, t. VL P- 268, 1. 18, à p. 269, 1. 3. A noter à la tin : « cinquante mille » fois ». Descartes disait seulement : « deux ou trois mille fois ».

Jean Tarde, Borbonia Sidéra {1620], ou bien Aflres de Borbon {1623), rapporte que, poar expliquer les taches du soleil, récemment découvertes, on avait pensé aux exhalaisons, p. 10 : « Quelques-vns fe » perluaderent que c'el^oient des nuées cachées dans l'air, lelquelles à » caufe de leur fubtilité ne pouuoient eftr'e apperceuës que lors qu'elles » fe trouuent entre le Soleil & nous. » Jean Tarde combat d'ailleurs cette opinion par sept arguments, et il ajoute : « Le défaut de parallaxe a » efté caufe que quelques-vns ont voulu eftablir ces nuées tout contre le » Soleil, mais auec vn erreur plus grand que le premier. Car il n'y a

�� � Météores. 207

propos, il étudie la composition des corps durs et des corps liquides. Ceux-ci (ainsi s'explique leur liquidité ou fluidité) sont analogues à de petites anguilles, qu'on vient de pêcher, et qui déposées en tas au fond d'un bateau, glissent les unes sur les autres, « et se joignent même et s'entrelacent, mais sans se » nouer ni s'accrocher jamais, de sorte qu'elles peuvent tou- » jours être aisément séparées" ». Au contraire, les parties dont se composent les corps durs (ainsi s'explique leur dureté), sont entrelacées, et accrochées, et liées les unes aux autres, « comme les diverses branches des arbrisseaux qui croissent » ensemble dans une haie ». Et ces suppositions en supposent elles-mêmes une autre, celle-ci primordiale : la matière subtile, qui remplit tout l'espace, le vide n'existant point dans l'univers.

Ainsi Descartes donne une première idée de ses principes, à l'aide de comparaisons familières, selon sa coutume, et pré- tend expliquer ensuite, de proche en proche et comme par degrés, jusqu'aux phénomènes les plus merveilleux. Il prétend même en produire de nouveaux, sans avoir besoin d'un pouvoir magique pour cela ; c'est la science qui est appelée à devenir désormais la grande magicienne. Jean-Baptiste Porta n'avait- il pas déjà réuni dans un même titre ces deux termes qui

» point d'apparence que des fumées, des exhalailons terreftres, des » vapeurs aqueufes puiffent pénétrer les orbes des trois planettes infe- » rieurs, pour paruenir iufques au Soleil : la doftrine des Météores » répugne à cela : il n'y a pas vn feul météore, foit-il terreftre, aqueux » ou igné, qui paffe au delTus de la fupreme région de l'air. Il y a plu- » fieurs montagnes au monde, le fommet defquelles monte fi haut, qu'il » n'y a nuées, vents, pluyes, grefle, foudres, ny autres météores qui y » puifl'ent attaindre. Ouide, au premier de la Metamorphofe, tefmoigne » cela du mont Parnalfe :

» Mons ibi verticibus petit arduus aftra duobus, » Nomine ParnaJJus, Juperatque cacumine nubes. »

Le même souvenir classique est évoqué par Descartes, t. VI, p. 23i, 1. 10-14. a. Tome VI, p. 233, 1. 19-31.

�� � naguère, rapprochés, auraient fait scandale. Magie naturelle^ ? Notre philosophe, et cette alliance de mots n’est pas moins audacieuse, parle aussi, sans le moindre embarras, d’une Science des miracles^.

Descartes le déclare lui-même : la Géométrie n’a été composée, et même en partie inventée, que pendant qu’on imprimait les Météores^. N’exagérons rien cependant : l’invention ne portait sans doute que sur des détails, soit quelques problèmes qui servaient d’exemples à telle ou telle règle ; mais les grandes lignes étaient arrêtées depuis longtemps dans son esprit. On ne s’expliquerait pas autrement, malgré sa merveilleuse facilité de travail, qu’il eût rédigé un tel ouvrage en si peu de temps et pour ainsi dire à la dernière heure. Lui-même raconte en 1638 que, pour les tangentes des lignes courbes, point culminant de son œuvre, il était en possession de sa règle depuis plus de vingt ans’* : ce qui nous reporte à 1617 environ. Il n’était alors qu’un tout jeune homme, de vingt et un ans ; mais les grands mathématiciens sont tels à un âge où il serait matériellement impossible d’être, par exemple, un grand physicien ou un grand naturaliste ; une étonnante précocité, loin d’être l’exception, est comme la règle du génie dans les mathématiques.

D’autre part, Descartes avait résolu dès 1628, et sans doute beaucoup plus tôt, un problème que les géomètres se transmettaient d’âge en âge depuis l’antiquité, et qui demeurait

a. Tome X, p. 347, note c.

b. Tome VI, p. 343-344, et t. I, p. 21, l. 8-22. Voici encore un curieux passage : « …Oſtendere decreui hæc abſque dcemonis ope à vero mago » id eft lapiente fieri polTe… Meteora enim arte parari polTunt, pof » femque hîc pluuias arte paratas, &c. ex Paracelfi arcanis modum recen » fere ; polTem fulmineos lapides lubilo generatos arte ex CarteliJ inuento » etiam referre. Sed hœc cum multis aliis ad Magiam meam remitto » naturalem. » (Page 265, Pétri Borelli, Hijloriarum & Obferuationum Medicophyficarum Centuriœ IV, Parifiis, 1 656.1

c. Tome I, p. 458, 1. 5-8.

d. Tome II, p. 178, 1. 8-10 : lettre du 29 juin t638. parmi eux comme à l’ordre du jour : la duplication du cube ou la question de deux moyennes proportionnellesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Il y joignait un second problème, qu’on ne séparait guère du premier, et qui exerçait au même titre la sagacité des savants : la trisection de l’angle. L’un et l’autre se trouvent traités et résolus au troisième livre de la Géométrie, avec celui de plusieurs moyennes proportionnelles[247]. Déjà pour la Dioptrique et pour les Météores, Descartes avait choisi des questions d’actualité, qui ne pouvaient manquer d’intéresser les curieux : la récente invention des lunettes d’approche, et l’observation plus récente encore des parhélies. Maintenant, il choisit de même deux problèmes classiques, qui, de l’aveu de tous, attendaient encore leur solution. Il ajoute même un troisième problème, celui de Pappus, que son ami Golius, le professeur de Leyde, lui avait indiqué. Descartes lui en envoya aussitôt la solution, en janvier 1632, avec des demi-confidences qui prouvent qu’à cette date l’essentiel de ses trois livres de Géométrie était déjà présent à sa pensée[248]. Ce problème de Pappus devait, comme les deux précédents, attirer la curiosité, d’autant plus qu’il est mis en vedette, même au détriment de l’ordre, qui eût exigé, Descartes l’avoue[249], qu’il ne vînt qu’après d’autres logiquement. Il le fait suivre encore d’autres questions d’actualité : les ovales ou ellipses, annoncées dans sa Dioptrique, et qui devaient servir pour les miroirs brûlants et surtout pour les lunettes d’approche. Avec le problème de Pappus, notre philosophe payait pour ainsi dire son tribut aux Anciens : ses contemporains

a. Tome X, p. 342-344. Voir aussi p. 651-659. Et sur la vogue de ce problème, ibid., p. 519 et p. 591-592. Viète n’avait eu garde de l’oublier. Francisci Vietæ Opera Mathematica (Lugduni Batavorum, Ex Officinà Bonaventuræ & Abrahami Elzeviriorum, cIↃ.Idxlvii, in-f°), p. 347-35o : Variorum de rébus mathematicis refponjorum Liber VIII. — « Cap. i : p Problema de duabus mediis, âXoyov. — Cap. 11 : Hiftoria duplicationis » cubi. » 2 10 Vie DE Descartes.

s'efforçaient de restituer, à grand renfort de conjectures, quelques ouvrages perdus des géomètres d'autrefois, ce qu'ils appelaient ressusciter un auteur*; mais n'étant point philo- logue encore s"excuse-t-il de ne pas énoncer ce problème dans le texte original, c'est-à-dire en grec^ et d'emprunter pour la commodité des lecteurs la traduction latine), il laisse là ce vain labeur, et s'attaque à une question que personne n'avait encore su résoudre, ni parmi les Anciens, ni parmi les Modernes; et il la résout. Rien ne pouvait mieux montrer l'excellence de sa méthode : elle triomphait là où jusqu'ici l'on avait échoué. Les trois livres de la Géométrie comprennent chacun deux parties bien distinctes : les règles et les exemples de ces règles ; la théorie pure, et les applications de la théorie à des problèmes.

a. Vitfte lui-même, loc. cit.. p. .135-347 • Apollonius Gallus,feu exfiif- citala Apollunii Pergœi -ly. i-x-^w'i Geometria. — Viète commence ainsi : ■< Problema .\poiIonii de defcribendo circulo quem très dati con-- » lingant, Geometricà ratione conftruendum propoful ■^■Ioo.vl'iî'.':: , non •■ Mechanicà. Dum itaquc circulum per hyperbolas tangis, rem acu non » tangis. Neque enim hyperbolœ defcribunturin Geometricis /.ar' s-ictty,- « aov.xiv Ào-'cv. Duplicavit cubum per parabolas Menechmus, per con- 11 choïdas Nicomedes : an igitur duplicatus eft Geometrice cubusr... M Id verô nemo pronunciabit Geometra. Reclamaret Euclides, & tota » Euclideorum iciiola... Problema quod propofui planum eft, tu ceu >■ folidum explicalli. » (Page 325., A la page précédente, tin d'un autre opuscule à Adrianus Romanus, on lit : « Porro ad exercendum, non » cruciandiim. ftudioforum ingénia, Problema hujufmodi conftruendum >i lubjicio : Datis tribus circuliSj quartum circulum eos contingentem ■> de/criberc. Propol'uit enim Apollonius in libris -=.-A ÎTry.o.ôv, fed illi » periere injuria temporis... Non dubito quin Algebriftie idipfum in » formulam oîîoasvo-.. conceptum abfolvent, ut pote : Datis J'emidiametris .» fingulis trium quorumlibet circulorum, iina cum centrorum dijîantia, » femidiameter quarti circuli eos contitigentis, ac fui centri à reliquis « centris dijiantia erit data. Sed quœ Problemata Algebrice abfolvit 1) Regiomontanus, is le non polie aliquando Geometrice conftruere » fatetur. An non ideo quia .A.lgebra fuit haclenus traflata impure ? » (Page 324.1 — Nous retrouverons encore , ce problème classique dans Descartes, qyi le donnera à résoudre à la princesse Elisabeth : t. IV, p. 38-42 et p. 45-5o, lettres de nov. 1642. — Sur ce que Viète dit de Regiomontanus. voir notre tome V, p, 532.

b. Tome VI, p. S;;, en marge.

�� � GltOMKTRIE. 2 1 I

Théorie et règles sont ce qui doit ici le plus nous arpêter. Le premier livre est de beaucoup le plus court : il n'a même pas la moitié de chacun des deux autres". Oescartes y traite un sujet qui lui est tellement familier, qu'il se comprend lui-même à demi-mots, et ne se doute pas des endroits où d'autres que lui pourraient trouver des difficultés. Il indique la notation nou- velle, dont nous avons déjà parlé : d'une part, toutes les quan- tités, connues ou inconnues, sont exprimées, les unes par les premières lettres de l'alphabet, a, b, c... et les autres par les dernières, x, y, i, au lieu des signes ou caractères jusqu'alors en usage ; d'autre part, les chiffres ou plutôt les nombres ont deux rôles bien définis, suivant la place qu'ils occupent : avant les lettres, ce sont des coefficients; après, ce sont des exposants, qui expriment les puissances, carré, cube, carré de carré, etc.. Avant Descartes, Viète avait bien opéré une réforme analogue, moins nette cependant, et qui surtout n'avait point prévalu^: emploi des chiffres romains pour les

a. rome VI, p. 369-38; (Livre I), p. 388-441 (L. Il), et p. 442-485 (L. III). Soit 19, 54 et 44 pages.

b. Ibid., p. 371, 1. 4-1 5. Notons encore ici le sens du mot « chiffres » pour « lettres » ; de même, p. 474-475. Voir ci-avant, p. 52, note b. Dans un curieux passage du t. il, p. 5o3, 1. 1 1 et i5, Descartes a reproduit une équation telle qu'on la lui avait envoyée : iG — 9Q -|- i3N eg. 1/288 — i5. il la traduit ainsi en son langage : y^ — 9yy + ^^y — 121/2 -f- '5 :« o.

c. Paul TANrreRv, La correspondance de Descartes dans tes Inédits du fonds Libri (Paris, Gauthier-Villars, 1893, br. in-8, pp. 94), p. 42. Voir

notre tome V, p. 418, 1. 1-3. Viète distinguait nettement deux sortes de calcul, l'un au moyen des nombres, l'autre au moven dt caractères ou d'espèces. Voir ses Opéra Mathemalica, cdit. 1646, p. 4. C'est le cl-.ap. iv du premier opuscule,/;/ Arlem Analyticam Ifagoge: « Logiftice numerofa » eft qujc per numéros, Speciofa quœ per fpecies feu rerum formas exhi- » beiur, ut pote per Alphabeîica clementa. » On lit déjà, dans le chap. i, après la définition de l'Analyse et de la Synthèse, celle de la Zététique qui les complète : « ...Zctetice, quà invenitur cequalitas proportiove » magnitudinis, de quà qua-ritur, cum iis qux data funt... Forma autem » Zetelin incundi ex arte propriâ ell, non jam in numeris fuam Logicam » cxercente, quae fuit ofcitantia vcterum Analyftarum ; fed per Logiflicen » fub fpecie noviter inducendam, feliciorem multô & potiorem numerofa

�� � exposants, ii, iii, iv, v, etc., ce qui ne facilitait pas encore assez les additions et les soustractions ; usage des consonnes, b, d, c… pour les quantités connues, et des voyelles pour les inconnues, a, e… Tout cela ne valait pas ce que Descartes appelle[250] son a, b, c.

Mais cette notation, qui devait être de si grande conséquence, ne réformait encore que le langage des mathématiciens. Aussi Descartes proposait, dès les premières pages, Géométrie. 21?

une autre innovation, qui portait sur le fond même de la science : et c'était, à la faveur de l'Algèbre, l'introduction du calcul de l'Arithmétique dans toutes les opérations de la Géo- métrie; d'un côté, comme de l'autre, tout ne sera plus qu'addition ou soustraction, multiplication ou division, ou extraction de racines, ces trois dernières opérations d'ailleurs étant elles-mêmes expliquées parla règle des proportions". Ici, notre philosophe a parfaitement conscience d'innover à la fois contre les Anciens et contre la plupart des Modernes : il note, en passant, que a les Anciens se faisaient scrupule d'user » des termes de l'Arithmétique en la Géométrie», pour n'avoir pas vu assez clairement leur rapport; de là beaucoup d'em- barras et d'obscurité "^ Plus tard, il déclarera n'avoir rien à dire à ceux qui concevaient toujours ces deux sciences « comme » toutes diverses » ; mais ceux, dit-il, qui savent «la conjonction » qui est entre la Géométrie et l'Arithmétique, ne peuvent » douter que tout ce qui se fait par l'Arithmétique, ne se face » aussy par Géométrie" ». Qu'on ne vienne donc pas lui opposer Viète : celui-ci maintenait la séparation des deux sciences ; l'Arithmétique, même avec l'extension que lui donnait l'Algèbre, continuait d'être traitée à part, et la Géométrie également à part. Les partisans les plus déterminés de Viète étaient bien forcés de le reconnaître : l'un d'eux, Beaugrand, cite même à cet égard un texte décisif. Viète ne méconnaît pas (et c'est là déjà un progrès), que « ce qui sert aux nombres, se puisse, le » plus souvent, appliquer aux grandeurs » ; mais tandis qu'il veut enseigner dans un ouvrage particulier ce qui facilite l'ana- lyse des équations, « il traitera ailleurs de ce qui peut rendre » les constructions géométriques plus aisées », Viète voit bien,

a. Tome VI, p. 369-371.

b. Ibid., p. 378, l. 23-28.

c. Tome II, p. 504, 1. 1-6 : lettre du 9 févr. 1639.

d. Tome V, p. 509. Lettre de Beaugrand à Mersenne. Le texte même de Viète est cité : « Ferc autem qua; profunt Geometrx ad eù|Avi/avtav, » profunt & Arithmctico, vel etiam è contra. At ctiam de effeîiionibus » (Jeomctricis dicetur fpecialius fuo ioco. Nunc autem circa numerofam

�� � pour ainsi dire, les deux rives, et passe successivement de l’une à l'autre : Descartes jette résolument un pont entre les deux. La portée de cette innovation ne passa pas inaperçue : un professeur de mathématiques de Louvain trouvait même que le titre de Géométrie disait trop peu, pour un tel ouvrage : il aurait fallu l’intituler Mathématiques. A quoi Descartes répond que cette fois le titre aurait dit trop : les Mathématiques comprenant encore la Mécanique, par exemple, qu’il n’avait pas voulu traiter ". Mais il revendiquait hautement l’union des deux sciences, Arithmétique et Géométrie, en une seule, comme son œuvre propre, et dont il avait le droit d’être fier. Le point de soudure, en quelque sorte, est bien marqué par lui en quelques mots : les lignes de la Géométrie (les lignes droites, s’entend), trouvant leur expression dans les lettres, ou comme il dit dans « le chiffre » dont se servira désormais l’Algèbre.

La seconde partie du livre I est remplie ensuite par le problème de Pappus : énoncé du problème en latin, solution simplement esquissée, mise en équations, avec indication du genre des lignes courbes dont on aura besoin selon les cas. Mais il faut d’abord pour cela dire « quelque chose » de la nature des courbes ; et ce sera l’objet du livre II.

Toutefois, Descartes conseille à ses lecteurs, même à des savants comme Mydorge, de passer du livre I au livre III, pour

)) Analylin magis elfe intcnium, noUri cil iiidiiiiii. >> Ces lignes se trou- vcni loui au commencemcm de la seconde partie du traité de Viètc, De emendatione a’quatiomim, p. 127, loc. cit. Remarquons que le commentaire de Beauf^rand, dont nous reproduifons les termes, eli jilus explicite encore sur la séparation des deux sciences.

a. Le P. Ciermans, Jésuite, que nous retrouverons au chapitre suivant. Voir i. II, p. 5(), 1. 9-12, et p. 70-71 : letirf.s de mars i63>^.

h. Tome VI, p. 371, 1. 16-20.

c. Jbid., p. 377-380 (énoncé du problème), p. 38o-382 (indication de la solution), p. 382-385 (mise en équaiionsi, et p. 385-387 (indication des gf-nrps selon les cas). Voir les notes de Piiul Tannery : t. I, p. 235 : t. IV, p. 3^4- -îGô; et t. VI, p. 721-725.

d. Tom.- i, p. 457, I. 21-24. ’i P- 5o2, I. 1-3; t. 11, p. 22, 1. 25- 27, etc.

�� � Géométrie. 21^

revenir ensuite au livre II, qui est, en effet, le plus difficile, mais aussi le plus important. Suivons donc ce conseil, et pas- sons au livre III. Descartes y traite d'abord de la nature des équations, et donne, dit-il lui-même, les règles de son algèbre '. C'est là que ses ennemis pensèrent le prendre en faute. Viète, avant lui, en avait dit tout autant sur les équations, et même l'avait dit mieux, sans commettre certaines erreurs qu'on repro- chait à Descartes. Mais on se trompe, répond notre philosophe: loin de redire les mêmes choses que Viète, il commence au contraire par où Viète avait précisément fini. C'est ce qu'il a vérifié lui-même, en « feuilletant » un Viète qui se trouvait, dit-il, « par hasard entre les mains d'un de ses amis». Ces der- niers mots surprennent d'ailleurs ; car il venait aussi de dire, quelques lignes plus haut, qu'il avait tâché de ne mettre, dans sa Géométrie, que ce qu'il croyait « n'avoir point été sceu ni » par Viète, ni par aucun autre" ». Il était donc au courant de ce que savait Viète ; et il avait dû le lire auparavant. D'autre part, le défenseur attitré de Viète en France, Beaugrand, qui avait édité un de ses opuscules en i63i, crut retrouver dans le livre III de la Géométrie plusieurs lègles déjà données par Viète, et imprimées en 161 5; et il ne craignit pas de lancer contre notre philosophe*, une accusation de larcin. Qui des deux se trompe, où essaie de tromperie lecteur ?

Constatons d'abord un point : c'est que Descartes connais- sait de Viète au moins l'opuscule édité en i63i (puisque Mersenne le lui envoya, et qu'il en accusa réception, mettant même l'éditeur au défi de résoudre le problème de Pappus"^^).

a. Tome I, p, 479^ 1. 28, à p. 480, I. 2. — Beaugrand iroiivcra ci- lan- gage de Descartes « insolent » : t. V, p. 5 12, fin.

b. Ibid., p. 479, 1. 15-17.

c. Tome V, p. 5o3-5i2 : lettre de Beaugrand à Mersenne.

d. Tome 1, p. 479, 1. 20-2 f.

e. Ibid., p. 243, 1. 7-20. Descaries s'autorise, pour cnvo\er à Beau- grand ce défi, des dernières lignes de l'opuscule de Vicie. In Artem Analyticen Ifagoge : ■< Denique falluol'um probleiua prolilcniaium ars •■ Analvtice... jure (ibi adrogat, quod ell Nillu.m non Phoiii.i;ma sol- » vi;ri:. » {Opern Mathematica, i(i4<i, p. iz.j Plus tard i'édiicur de Vicie,

�� � Mais il n’avait rien d’autre de ce mathématicien dans sa bibliothèque, pas plus qu’il n’avait rien d’Euclide, ni d’Archimède =’, et il dut emprunter le Viète d’un ami. Descartes avait peu de livres, et ne prenait guère la peine de les lire, ou les lisait mal. Nous en avons ici un exemple de plus : au lieu de lire d’un bout à l’autre le livre de Viète, il regarde d’abord à la fin, selon son habitude, et n’y relève qu’une chose, d’après les titres des derniers chapitres, c’est que l’auteur finit son ouvrage par où, « sans y penser », lui-même commençait. Mais s’il avait parcouru les chapitres antérieurs, surtout ceux du premier traité (l’ouvrage de Viète a deux traités), il y aurait remarqué sans doute les mêmes ressemblances avec ses propres règles, qu’avait notées la malignité de Beaugrand : celui-ci signalait, en effet, les chapitres vii, ix, x à xiv, et les suivants, du premier traité,

en 1646, Franciscus à Schooien, reprend, h l’honneur de Descaries, im conimentaire que Beaugrand avait fait de ces paroles: « Onde demum » concludit ("peciolam ilhim Analytin... rpecioluni i|uoc]iie folumniodû » libi vindicare Problema : Omne, in quo de quantitatum a\]ualitatc vel » proportione inquiritur , Problema utctinque fotvere. In qiio (i tollas " vocem utcunque, quam nelcio quâ ratione mouis appofuerii, non video » qiiid univerfalius Problema exquiras : cùm univerla Matiielis non nilr « dodrina quantitatis (it dicenda : adeô ui onine id qiiicquid ibidem lol- » vendum proponitur, non ni(i in quaniiiaium wqualiiaie vel proportione aliquâ expljcandâ conliltat. Quod etiam liimmi ingenij Vir Renatus des Cartes, in Dijfertatione de Metliodo reâe regendœ latinnis, fcribit le circa Mathematicas Scientias in génère animadvertille, nimirum, etiamii 111* circa diverla objeâa verl’enlur, in hoc tanien convenire omnes, quôd nihil aliud examinent quàm relationes five proportiones quafdam, qu* in iis reperiuniiir. " [Ibid., p. 54S-546.)

a. Tome 1, p. 4()7 et 52i (Aristote). Tome II, p. 472, I. 20 (Euclide). Tome in,p. f66, I. 4-6 (Archimède). Poini davantage de Pappiis : t. 1, p. 27S, I. 21-24. Les livres de Viète étaient d’ailleurs devenus très rares. Vaulezard, dans la dédicace de son Introduction en l’Art analytic de François Viete traduit en nostre langue, disait déjà, à la date de 1630 : « A peine cognoist-on auiourd’huy de Viete que le nom ; le temps en a derobé la plus-part des liures, & les plus grandes Biblioieques en seroient tout à fait dégarnies, si les Anges tutelaires des sciences n’en auoient heureusement consérué quelques-uns. »

b. Tome V, p. 505. L’ouvrage de Viète, De AEquationum recognitione & emendatione, comprend deux traités. Le premier, Tractatus primus, Géométrie. 217

et les chapitfes i, iv, vi, viii, du second % et ne parlait pas des derniers. Beaugrand n'avait donc pas tout à fait tort. Mais Descartes n'en eût pas moins maintenu son jugement. Beau- grand reconnaît, en effet, lui-même que Viète (avec raison, selon lui) n'étend pas ses règles à toutes les équations, mais en borne l'usage à une certaine catégorie seulement. Or, que dit Descartes ? Ceci simplement, et pas autre chose : « qu'il » détermine gétiéralement en toutes les équations » ce dont Viète n'a donné que quelques exemples particuliers ;\\ s'étonne même que telle ait été la conclusion de l'auteur; cela montre bien, répète-t-il, « qu'il ne pouvait déterminer (ce qu'il avait écrit) en » général" ». Ces exemples étaient nécessaires sans doute pour bien établir les règles, c'est-à-dire pour commencer; et Des- cartes a pu se servir d'un tel commencement. Mais comme il le dépasse aussitôt, grâce à la généralisation qu'il ne craint pas, lui, de proposer, il le perd de vue, et va de l'avant. Et c'est précisément cette généralisation qui lui permet des applica- tions heureuses, lesquelles sont bien siennes également, à

p. 84-125 des Opéra Mathematica {1646), comprend lui-même vingt et un chapitres.

a. Tome V, p. 5o6, 5o8, Sog et 5 10. Ce second traité, Traâatus Jecundus, comprend quatorze chapitres, Opéra Mathematica, ç. i26-i58.

b. Voir le « Troisième Factum (de Beaugrand) contre la Géométrie de » Descartes », publié par Paul Tannery, La Correspondance de Descartes, etc. [i8g3) : •<■ Après tout, s'il y a une infinité d'équations qui fe produi- » fent par la multiplication d'autres équations, il y en a auiïi une infinité » d'autres qui ne peuvent eflre produites fuivant cet ordre... Et c'elt ce » qui a retenu ce grand efprit de Viete, à qui toute la pofterité fera » obligée pour les œuvres excellentes dont il a favorifé le public, de rien » écrire de général fur ce fujet. . . » (Page 54.)

c. Tome I, p. 479, 1. 22-27. Beaugrand lui-même, dans son « Troi- >• sième Factum », parle du •< recueil d'équations qui elt fur la fin du » fufdit Livre de Viete ». (Loc. cit., p. 5i.) En effet, dans ce livre De Emendatione /Equationum, les quatre derniers chapitres du second traité sont intitulés ainsi, cap. xi, xii, xiii et xiv : « Singularium aliquot conlli- » tutionum, ad œqualita s multipliciter adfedas pertincntium, colleclio. » — Earundem colleftio altéra. — Earundem colleclio tertia. — CoUeftio » quarta. » (Opéra Mathematica, 1646, p. i56-i58.)

VlK DE DeSCARTKS. 28

�� � des problèmes que, somme toute, ni Viète ni aucun de ses disciples n’avaient encore résolus.

Nous ne pouvons pas ici examiner, et encore moins discuter, une à une, toutes les règles que donne Descartes pour les équations : combien de racines en chacune de celles-ci ; distinction des vraies et des fausses racines ; changement des fausses en vraies, et réciproquement ; moyens d’augmenter ou de diminuer la valeur des racines ; moyens de les rendre toutes vraies ; comment on supprime le second terme d’une équation, et comment on supplée aux termes manquants ; distinction des racines réelles et imaginaires, etc.[251]. Notre philosophe donne une théorie complète « de la nature des équations », laquelle, dit-il (et ceci paraît encore une réponse aux critiques qu’on lui avait adressées en alléguant Viète), « laquelle n’a jamais été, que je sache, assez expliquée ailleurs[252] ». Si en effet, dans le détail, telle ou telle règle peut paraître empruntée à Viète (bien que Descartes y mette aussi sa marque personnelle), il se montre bien lui-même, et là n’est véritablement que lui, dans l’ensemble, dans sa façon originale de réunir les différentes parties en un seul et même tout, en un système. Ce mérite qu’on ne saurait lui contester, il s’en rendait compte parfaitement. Plus tard, il l’opposera tacitement à celui de Viète, dont la doctrine, dit-il, a besoin que quelque savant homme la mette « par ordre » ; car les écrits de ce « très excellent mathématicien » ne sont que « des pièces détachées, qui ne composent point un corps parfait[253] ». Aussi, plus tard encore, en 1646, lorsque Mersenne lui offrit un exemplaire, et même plusieurs, s’il voulait, de la nouvelle édition de Viète, qui venait de paraître, grâce à lui, à Leyde, chez les Elzeviers, notre philosophe remercia, c’est-à-dire refusa, en ces termes : « S’il vous plaît », dit-il à son ami, « d’obliger quelque autre en lui donnant le livre que vous m’offrez, je m’en pourrai fort bien passer », Gf:ometrie. 219

et/ il ajoute dédaigneusement : « n'ayant rien à y apprendre, » et n'étant pas curieux d'en orner simplement ma biblio- » thèque " ".

Sa propre théorie des équations ne lui avait-elle pas permis, en effet, non plus seulement de construire mécaniquement, avec des compas de son invention , mais de résoudre géométrique- ment les deux problèmes qui avaient tant tourmenté les géo- mètres : duplication du cube et trisection de l'angle'? Et il est si bien maître de son sujet, il le domine de si haut, que ce sont là pour lui comme deux problèmes-types, qui peuvent servir de modèles pour en résoudre autant qu'on voudra de semblables. Il suffira de savoir se servir d'une des sections coniques, la para- bole. La méthode en avait été indiquée par notre philosophe à Beeckman, *dès 1628, dans toute sa généralité; et sans doute il la pratiquait depuis longtemps déjà^ Il compare sa propre règ'e et celle de Cardan, et établit la supériorité de la sienne' Enfin, comme pour ôter aux incrédules l'ombre d'un doute, il montre qu'on peut, par elle, trouver non plus seulement, comme tout à l'heure, deux moyennes proportionnelles, mais quatre, mais six, et même davantage^; et qu'on peut aussi, par elle, diviser l'angle non plus seulement en trois, mais en cinq parties égales, inscrire dans un cercle une figure de onze ou

a. Tome IV, p. 554, 1. 12-19 : lettre du 2 nov. 1646. Voir aussi, ibid.,

p. 23l-232.

b. Tome Vl, p. 391-392 et p. 443. Voir aussi t. X, p. 232-2?5.

c. Ibid., p. 469-470 et p 470-471. Voir ci-avant, p. 90. — Etienne Pascal, le père, avait étudié une variété de conchoïde, appelée par Roberval le Limaçon de M. Paschal. Le mathématicien Du Verdus attribuait à Roberval lui-même le trace de la tangente, la quadrature, et la propriété de la courbe comme podaire d'un cercle. Il attribuait à Etienne Pascal l'applicatinn de cette courbe à la trisection de langle. qui avait été probablement, dit Paul Tannery, l'occasion de son inven- tion. Intermédiaire des Mathématiciens, t. VII, 1900, p. 106-107.

d. Ibid., p. 471, 1. 1-17, et p. 4-5, 1. 2i-?o.

e. Tome X, p. 342-346. Tome VI, p. 464, 1. 17-24, et p. 476, 1. i3-i8. Et encore t. X. p. 637-638.

f. Tome VI, p. 471-475 ; notamment p. 474. 1. 6-10.

g. Ibid. p 476-483, et surtout p. 483-484.

�� � treize côtés égaux, et une infinité d’autres exemples de cette même règle[254]. Il termine par là sa Géométrie : les bornes qui arrêtaient les mathématiciens sont franchies ; il les laisse même bien loin derrière lui. Mais surtout la carrière est ouverte ; et Descartes y prévoit les progrès que « nos neveux », dit-il, ne manqueront pas d’y faire ; c’est à lui qu’ils en seront redevables à jamais[255].

Pourtant, la partie principale et pour ainsi dire le cœur de son ouvrage est le livre II. Notre philosophe y traite « de la » nature des lignes courbes ». Il indique la manière de décrire ces lignes, en les construisant par points. Ses déclarations à ce sujet sont d’une netteté parfaite : tous les points d’une ligne courbe ont nécessairement quelque rapport à tous les points d’une ligne droite ; et ce rapport peut être exprimé par une équation <=. Comme on peut trouver pour chaque courbe une infinité de points par où elle passe, on a ainsi le moyen de la décrire, à condition que ce soient des points qui lui soient réellement propres, et qui n’appartiennent véritablement qu’à elle. De là, des conséquences à l’infini, que Descartes annonce sans donner d’explications : de cela seul qu’on connaît le rapport de tous les points d’une courbe à tous ceux d’une droite, il devient aisé (le mot n’est-il pas ironique ?) de connaître les diamètres, les essieux, les centres et autres lignes ou points, avec qui chaque courbe aura quelque rapport ; et même on pourra aussi, par cela seul, trouver quasi tout ce qui peut être déterminé touchant la grandeur de l’espace qu’elle comprend. Et combien encore d’autres propriétés’?

Parmi celles-ci, une seule est traitée par lui avec détails, comme « le problème le plus utile et le plus général, qu’il ait » jamais désiré de savoir », et c’est le problème des tangentes^ Il

a.

b.

c. Ibid., p. 392, 1. 20-25.

d. Ibid. f p. 4.11, 1. 12-17, 611.27-29.

e. Ibid., p. 412, 1. 25, à p. 413, 1. 8.

{. Ibid., p. 41 3, 1. 23-26 ; t. I, p. 492, 1. 17-23.

�� � donne, à ce sujet, dans sa Géométrie, une première méthode. Chaque point d’une courbe appartient aussi à une droite qui touche la courbe en ce point, et que Descartes appelle, selon l’usage du temps, contingente : nous disons aujourd’hui tangente. D’autre part, une tangente peut toujours être coupée par une ligne droite qui lui est perpendiculaire, en son point de contact avec la courbe : et c’est ce que nous appelons aujourd’hui la normale. Descartes arrive aux tangentes, d’abord en partant des normales ; il tourne ainsi la question et la prend à revers[256]. D’un point quelconque du diamètre de la courbe (laquelle sera, par exemple, une parabole), il trace un cercle qui coupe cette courbe en deux points ; et de chacun de ces deux points, il tire une ligne appliquée par ordre, comme on disait, soit une perpendiculaire au diamètre (c’est l’ordonnée), qui détermine sur celui-ci un segment : le rapport entre segments et ordonnées, permet d’établir une équation entre ces deux grandeurs variables ; les propriétés spécifiques de la courbe (ici une parabole) permettent d’en établir une autre pour les mêmes grandeurs : de là, pour les deux inconnues, un système complet d’équations. Mais les deux points où le cercle coupe la courbe, vont se rapprochant l’un de l’autre, à mesure que le rayon du cercle diminue, jusqu’au moment où ils se réunissent, le cercle ne coupant plus la courbe, mais ne faisant que la toucher ; et son rayon devient alors, au point de contact, précisément la normale de la tangente cherchée, et la ligne tirée de ce point perpendiculairement sur le diamètre, détermine le point de la droite qui répond au point de la courbe[257]. C’est là, pour Descartes, un procédé général dont il use pour tous ses problèmes, et il n’use que de celui-là : coupant, dit-il, d’un cercle une ligne droite pour les problèmes plans ; coupant d’un cercle encore une parabole pour les problèmes solides ; et enfin, ajoutait-il, pour ceux qui sont d’un degré plus composés, coupant toujours d’un cercle une ligne plus composée elle-même que la parabole : ainsi de suite à l’infini[258].

Toutefois, il fut amené, dans sa Correspondance, à une seconde méthode, un peu différente en apparence, bien que la même au fond ; et il y fut amené par sa polémique avec Fermat. Celui-ci avait traité le problème des tangentes, en reprenant les termes où l’avait posé Apollonius : des plus grandes et des plus petites quantités, de Maximis et Minimis[259]. Sa solution présentait une lacune, que Descartes n’eut point de peine à combler, par un emprunt à sa propre méthode : si bien qu’il put dire, que le fondement de sa méthode était également celui sur lequel devait s’appuyer la méthode de Fermât, pour être bonne. Fermat considérait aussi deux lignes appliquées par ordre (deux ordonnées) de la courbe au diamètre de celle-ci ; puis, sans dire comment ni pourquoi, il les identifiait en une. Descartes reprend la question ainsi présentée : il considère ce qui doit devenir la tangente de la ligne courbe, comme une sécante d’abord ; ce n’est plus, comme tout à l’heure, un cercle qui coupe la courbe en deux points (et avec le cercle disparaît la considération de la normale], c’est une droite menée d’un point du diamètre, pris en dehors de la courbe, et qui la coupe aussi deux fois. Mais cette droite peut tourner de son point fixe d’origine en se rapprochant de la courbe ; les deux points où elle coupe celle-ci, se rapprochent par suite l’un de l’autre, et finissent par se réunir : la sécante est devenue tangente. En même temps, comme tout à l’heure, les équations établies d’abord à l’aide des ordonnées de ces deux points et des segments qu’ils déterminent sur le diamètre, subissent des variations en conséquence, et aboutissent finalement à une seule racine, qui permet de trouver, en corrélation, le point de la tangente à la courbe, c’est-à-dire un point de la courbe elle-même, et le point où l’ordonnée de celle-ci rencontrera le diamètre, c’est-à-dire un point de la droite correspondante[260]. La méthode est donc bien la même, avec cette différence que la ligne courbe est coupée par une ligne droite, plus proche de la tangente, au lieu de l’être par un cercle. On peut dire que Descartes est redevable à Fermat de cette modification, qui a prévalu ; mais Fermât est encore plus redevable à Descartes de la correction apportée à sa méthode ; celle-ci étant d’abord vraiment défectueuse[261].

Nous venons de voir l’essentiel du second livre de la Géométrie. Tout le reste n’est là que pour servir d’exemple. C’est d’abord le problème de Pappus, auquel Descartes revient[262] pour le traiter avec autrement d’ampleur que dans le premier livre. Encore se garde-t-il d’en donner un exposé complet. Il donne d’abord la construction, mais, dit-il, comme font les architectes pour les bâtiments : ils prescrivent seulement ce qu’il faut faire, et laissent le travail des mains aux charpentiers et aux maçons. Il donne aussi la démonstration, mais avec sa notation propre, « son a, b, » comme il dit, laquelle est sans doute beaucoup plus claire et plus facile, non pas encore toutefois pour ceux qui n’en ont point l’habitude. Enfin, il ne donne qu’une partie de l’analyse, omettant l’autre à dessein, pour que « les esprits malins » ne puissent s’en prévaloir[263]. Non content de cet exemple du problème de Pappus, il ajoute une autre question non moins intéressante en ce temps-là : la question des ovales, qu’il avait annoncée dans sa Dioptrique : c’est-à-dire l’étude théorique des moyens de rendre les lentilles autant concaves ou convexes qu’il est requis pour le perfectionnement des lunettesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Il avait déjà étudié autrefois cette question. Mais ici encore, il se garde de tout expliquer, et laisse bien des points à éclaircir aux mathématiciens. La Géométrie présente ainsi successivement de merveilleuses clartés, mais aussi trop d’obscurités vouluesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu..

En cela Descartes est difficilement excusable. Que dans la Dioptrique et les Météores, il n’ait pas voulu divulguer entièrement ses principes, et n’en ait laissé entrevoir qu’une partie, à titre de simples suppositions, on comprend et on excuse cette prudence, bien qu’excessive peut-être : le philosophe craignait pour son livre une condamnation semblable à celle de Galilée. Mais qu’avait-il à craindre pour sa Géométrie ? Plus complète et plus claire, elle eût été plus vite entendue, et d’un plus grand nombre. C’est précisément ce que ne voulait pas Descartes : méfiant et ombrageux à l’excès, il craignait qu’on ne méconnût l’originalité de son œuvre, si elle était trop aisée à entendre, ou qu’on ne s’appropriât ses inventions. Crainte puérile, et qui n’est pas à sa louange. Ou plutôt, il se plaisait, du fond de sa retraite, à voir ses rivaux de France, tout Conseillers, et Présidents, et grands Géomètres qu’ils fussent, aux prises avec des difficultés dont ils ne pouvaient venir à bout : il avait fait en sorte, dit-il familièrement, qu’ils « n’y pussent mordre[264] ». Singulier plaisir, et qui révèle une fois de plus le mystificateur qu’était un peu Descartes. Il eut d’ailleurs plutôt à regretter, semble-t-il, ce calcul machiavélique. D’abord, il lui fallut presqu’aussitôt autoriser un gentilhomme de ses amis à écrire une Introduction à sa Géométrie, pour en faciliter l’intelligence aux géomètres eux-mêmes. Cette pièce, retrouvée depuis peu, sous

a. Tome VI, p. 424, I. 9, à p. 440, I. 6. Voir aussi, p. i83, I. 1O-17, et p. 238. Et enfin, i. X, p. 281, 310-H24CI 32J-328.

b. Ibid., p. 485, I. 5-7 ; i. I, p. 411, 1. 1 2-20 ; i. Jl, p. i5 2, I. 18-22 ; t. III, p. 86 ; i. V, p. 142-143, etc.

c.

�� � Géométrie. 22^

le titre de « Calcul de Monsieur Descartes " », s'adressait à des esprits de la valeur de Desargues, par exemple. Descartes recommanda de l'envoyer aussi à La Flèche : il était curieux d'avoir le jugement des professeurs de mathématiques". Mais il ne reçut rien de ce côté -là. Rien non plus de Louvain, bien qu'il eût indiqué à Plempius deux mathématiciens des Pays-Bas espagnols, dont il eût aimé aussi recevoir les remarques, Wendelin et Van der Waegen^ En Hollande, d'autre part, son fidèle Reneri, qu'il avait cependant initié lui- même aux mathématiques, se donnait beaucoup de mal pour le comprendre, à l'Université d'Utrecht. Somme toute, il n'était guère compris que d'un gentilhomme, aux environs de cette ville, Godefroid de Haestrecht% l'auteur probable de l'Intro- duction, et à Leyde, ville universitaire s'il en fût, par deux professeurs : non pas même Golius ', qui lui avait indiqué le problème de Pappus et qui s'inspirait de lui pour son ensei- gnement, mais deux jeunes gens, formés par lui, Gillot, autre- fois son domestique, et maintenant professeur à l'École des ingénieurs p, et Schooten, fils d'un professeur, et plus tard, en 1646, professeur lui-même à l'Université. Plus tard encore, en 1649, ce sont les notes de Schooten qui contribueront le plus à éclaircir la Géométrie de Descartes, jointes à celles du seul mathématicien de France qui soit entré pleinement dans sa pensée, et qui ait adopté et développé lui-même, comme nous verrons, ses théories : Florimond Debeaune.

a. Tome X, p. 659-680. Voir, pour Desargues, t. II, 88-89; P- '^2, 1. 10-18.

b. Tome II, p. 276, 1. 4-7 : lettre du 27 juillet i638.

c. Tome I, p. 41 1 , 1. 20-23 : lettre du 3 oct. 1637.

d. Tome II, p. 101-102. Voir aussi, p. 334-335. c. Ibid., p. 101 , p. 577 et p. 58o-58i.

f. Ibid., p. 3o, 1. 25-26 : lettre du i" mars i638. Voir aussi t. X. p. 637-639.

g. Tome II, p. 3o. I. 22-25, et p. 89, 1. 14-16 : lettre du 3 i mars i638. Voir t. III, p. 32, et t. IV, p. 339-340 : du 27 dôc. 1645.

Vie de Descartes. ay

�� �

Le Discours de la Méthode réalisait, en 1637, une promesse faite depuis longtemps, puisque Balzac, en 1628, pressait Descartes de la tenir, en donnant une « Histoire de son esprit[265] ». Le philosophe y ajouta ce qui s’était passé depuis lors ; et c’est ainsi que le Discours a été notre guide, non seulement pour ses premières études, au collège de La Flèche, pour ses préceptes de méthode et ses maximes de morale en 1619, pour l’emploi des années 1620 à 1628, mais aussi pour la phase décisive qu’il traversa en 1629, et pour son Monde de 1630 à 1633. Le Discours contient en effet, jusqu’à cette date, une autobiographie du philosophe ; il raconte, comme il dit, « en quelle sorte il a tâché de conduire sa raison », sans prétendre pour cela enseigner comment chacun doit conduire la sienne[266]. « Ce sont ici mes humeurs et opinions », avait déjà dit Montaigne ; « je les donne pour ce qui est en ma créance, non pour ce qui est à croire[267]. » Seulement, Montaigne donne les « Essais » de ses facultés dans toute leur libre allure qui n’était que fantaisie et caprice, sans règle ni joug d’aucune sorte : Descartes donne des essais de son esprit réglé et discipliné, assujetti à une méthode : somme toute, les essais de cette méthode elle-même.

Le Discours fut peu critiqué. Les quatre préceptes qu’il formule parurent seulement un peu courts pour une méthode complète ; aussi Descartes n’avait voulu donner qu’une partie de sa méthode[268], et celle-ci se retrouve avec plus de détails dans les Regulæ. Mais surtout les preuves de l’existence de Dieu parurent à quelques-uns trop brèves, et non exemptes d’obscurité[269]. Là-dessus, notre philosophe s’excuse. Il sait bien qu’il ne les a pas suffisamment développées ; mais d’abord il n’a ajouté ces quelques pages qu’au dernier moment, pressé par le libraire, et lorsque le volume était presque achevé d’imDiscours de la Méthode. 227

primer =■. Ainsi nous avons failli ne pas avoir même cette esquisse que l'on a regardée comme l'essentiel de la philosophie de Des- cartes. Déjà le Monde se passait presque entièrement de méta- physique, ou du moins le philosophe gardait par devers lui ce fondement pourtant nécessaire de sa physique. S'il en parle davantage en 1637, c'est par précaution, semble-t-il, afin de se concilier les théologiens. Mais surtout, ce qui rendait peu claires les preuves de Dieu, c'est qu'il n'avait pas osé, il l'avoue, développer comme il l'aurait voulu ses raisons de dou- ter des choses sensibles ' : autre précaution peut-être, afin de ne point paraître donner trop dans le scepticisme, ce qui eût indis- posé ses anciens maîtres contre lui. Et pourtant il s'agissait de la grande erreur, qui avait faussé jusque-là, selon Descartes, toutes les spéculations scientifiques ou philosophiques: l'erreur qui consiste à considérer le monde sensible comme exactement tel que les sens nous le représentent, erreur dont il faut à toute force délivrer l'esprit humain, si l'on veut qu'il puisse trouver la vérité dans les sciences.

Car c'est toujours de la découverte scientifique principalement qu'il s'agit, et on ne saurait trop relire, à ce propos, la sixième et dernière partie du Discours'^. On y voit quelle idée notre phi- losophe se faisait de la science ; et c'est bien l'idée moderne,

a. Tome I, p. 56o, 1. 7-1 3. Voir aussi pourtant, même t. I, p. 339, 1. 26- 27. — Rappelons que le Discours fut rédigé seulement après la Dioptrique et après les Météores. A la date du i" nov. i63-, où ces deux traités étaient achevés fsauf toutefois, pour le second, la mise au net), le Dis- cours qui devait servir de préface n'était pas commencé, et Descartes ne pouvait se résoudre à s'y mettre. (Tome I, p. 329, 1. 28, à p. 33o, 1. 11.) Détail caractéristique : dans l'édition princeps de 1637, les trois traités ont été imprimés d'abord, avec une pagination qui se suit : Dioptrique, p. 1-1 53; Météores, y- 155-294; Géométrie, p. 295-413. Le Discours, bien qu'il figure en tète, a été imprimé après coup, avec une pagination spéciale, p. 1-78. La table des matières, qui suit immédiatement les trois traités, ne renvoie qu'aux chapitres que contiennent ceux-ci; le Discours n'y est pas mentionné.

b. Tome XI, p. 1 1, 1. 16-17 ^' '• 23-25.

c. Tome l, p. 349, 1. 29, à p. 35i, 1. 2 ; et p. 56o, 1. 13-27.

d. Tome VI, p. 60-78.

�� � opposée à celle des Anciens comme à celle du moyen âge, ou plutôt les réconciliant toutes deux. L’antiquité avait trop cru sur la foi d’Aristote, que la science, et c’était là sa noblesse et sa dignité, ne devait être qu’une activité de l’esprit, en lui-même et pour lui-même, la plus haute de toutes d’ailleurs, pure contemplation, sans effet pratique au dehors : la métaphysique n’était-elle point la première de toutes les sciences, parce que la plus inutile ? Le moyen âge, au contraire, avait surtout cru à l’art, au « grand art » : art secret d’ailleurs, et pour lequel on ne craignait pas d’évoquer les puissances surnaturelles ; le but était d’agir sur la nature, de transformer des corps, peut-être d’en créer : l’alchimie ne rêvait rien moins que la transmutation des métaux, la production artificielle de l’or, et qui sait ? peut-être la création de la vie elle-même. Mais ce but, elle s’imaginait l’atteindre par tâtonnements ; elle cherchait au hasard et sans méthode. Et il en était ainsi de tous les arts particuliers : chacun avait ses procédés et ses tours de main, et réussissait parfois à faire des chefs-d’œuvre, mais par des moyens tout empiriques ; il fallait pour cela le génie d’un artiste, ou tout au moins l’habileté d’un artisan. On ne pensait pas que la science pût prescrire des règles au travail humain, le rendre à la fois plus simple et plus fécond, et le mettre, avec un peu d’étude, à la portée de tous. L’idéal de Descartes sera d’unir la conception de la Science comme dans l’antiquité, et celle de l’Art comme au moyen âge, étroitement et définitivement ; c’est là, en effet, la double condition du progrès.

A cet égard, son ambition n’a point de bornes, et rien vraiment ne lui paraît impossible. Ne parle-t-il pas d’abord d’un Projet de Science universelle qui puisse élever notre nature à son plus haut degré de perfection[270] ? Ce titre primitif du Discours de la Méthode ne fut pas maintenu, il est vrai. Mais notre philosophe ne renonce pas cependant à un tel rêve : il l’affirme tranquillement, audacieusement, avec une absolue confiance[271]. Il ne veut plus de philosophie spéculative, ou de science purement théorique, sans application et sans utilité ; il lui faut une philosophie pratique, une science qui donne à l’industrie humaine des règles et en assure désormais le progrès. Ce n’est pas seulement le feu, l’eau, l’air, la terre, que nous pourrons, les connaissant mieux, faire servir à nos besoins. Descartes, dans les campagnes de Hollande, n’avait qu’à regarder autour de lui, pour voir, en effet, une contrée qui apparaissait déjà, presque tout entière, comme l’œuvre de l’homme : où la terre, conquise sur l’eau, n’était que pâturage, et culture, et jardins ; où l’eau elle-même, distribuée en de nombreux canaux, facilitait le transport des habitants ou des marchandises ; où l’air, agité par le vent, faisait tourner les ailes de ces grands moulins, qui remplaçaient les bras de tant d’hommes de peine. En outre, Descartes ajoute que les produits du sol eux-mêmes pourront être améliorés par la science. Enfin, son imagination subissant encore la hantise du merveilleux d’autrefois, il se promet de la connaissance scientifique des astres et des cieux, ou tout au moins de la médecine, les moyens d’agir sur les esprits, les tempéraments et les humeurs, et de rendre par là les hommes « plus habiles et plus sages[272] ».

Plus tard, en 1647, il reprendra la comparaison biblique de l’arbre de la Science. Et ce ne sera pas seulement pour dire que la Métaphysique est la racine de cet arbre, et que la Physique en est le tronc ; mais les branches et surtout les fruits représentent à ses yeux, les trois applications principales de la Physique, c’est-à-dire la Mécanique, la Médecine et la Morale[273]. La Mécanique, lorsque la science aura réussi à en calculer et diriger les effets, nous rendra « comme maîtres et possesseurs de la nature[274] ». La Médecine, lorsqu’elle ne se contentera plus d’être un art plus ou moins empirique, mais qu’elle sera devenue aussi une science, fondée sur l’anatomie : que ne pourra-t-elle pas ? Nous préserver de l’affaiblissement de la vieillesse, et retarder peut-être de deux ou trois siècles l’heure de la mort[275]. C’est le rêve du vieux Faust, au milieu de ses fourneaux d’alchimiste, repris par un philosophe moderne, et dont la science ferait une réalité. La Morale enfin, ou la troisième de ces applications de la Physique, lorsqu’elle sera aussi traitée scientifiquement, — et ceci complète bien le rêve d’une sorte de paradis en ce monde, — nous donnera sur nos passions, c’est-à-dire au dedans de nous aussi bien qu’au dehors, un pouvoir presque absolu[276].

Voilà pourquoi Descartes publie son Discours de la Méthode avec des Essais de cette Méthode. Il voudrait associer le public à sa réforme et à son œuvre, convier ceux qui le peuvent à entreprendre les expériences nécessaires, et faire entrevoir l’avenir qui attend l’humanité, si elle s’engage résolument dans les voies de la science. Ce philosophe, qui affecte de ne s’étonner de rien et de ne rien admirer, est au fond un enthousiaste ; la crise passagère de mysticisme, en cette nuit du 9 novembre 1619, dont il nous a conservé le souvenir, n’est rien en comparaison de cet enthousiasme pour la science, qu’il laisse voir ingénument à la fin du Discours, et qui demeure le principal ressort de son activité scientifique. L’enthousiasme d’ailleurs ne se retrouve-t-il pas ainsi dans l’âme de tous les héros ? CHAPITRE II

Q.UERELLES PHYSICO-MATHÉMATIQUES

(1637- 1640)

��Descartes n'avait pas attendu la publication de son livre pour quitter Leyde *. Dès le mois de mai lôSy, peut-être même sur la fin d'avril, on ne le vit plus en cette ville ; il fit d'abord un voyage de six semaines, puis se retira « en un coin de la » NorthoUande », qu'il ne nomme pas, si ce n'est une seule fois, au bas d'une lettre à Pollot, du 6 mai lôSg : et c'était le village de « Santporte, à une lieue de Harlem vers Alkmaer^ ». On a tout lieu de croire que jusqu'en avril 1640, c'est-à-dire près de trois années, il demeura en ce « coin ». C'est, en eflPet, dans une maison des champs aux environs de Harlem, que Plem- pius le visita aux vacances de ibSy. Dès le mois d'août, et après s'être assuré sans doute par un séjour de quelques semaines qu'on y serait commodément, il s'occupa d'y faire venir auprès de lui son enfant, âgée de deux ans, qu'il appelait sa nièce, et aussi la mère de son enfant, Hélène^ : ce n'était pas, comme

a. Tome 1, p. 412,1. i.

b. Tome II, p. 1 5 r , 1. 20, à p. 1 52, 1. 9 : lettre du 17 mai t638.

c. Ibid., p. 546, 1. 1 1.

d. Tome I, p. 401, note : « in priedio circa Harlemum ».

e. Ibid., p. 3o3-?94 : lettre du 3o août 1637.

�� � on eût dit au xviie siècle, une personne de condition, loin de là ; elle était en service, et il s’agissait d’abord de l’en retirer. Une fois en sa vie, au moins, le philosophe n’avait pas été exempt des faiblesses humaines ; il en acceptait résolument les conséquences. On comprend toutefois que, sans se cacher, mais n’étant plus seul, il ait préféré, encore plus qu’auparavant, vivre à l’écart. Or, à Santpoort, il n’avait pas à craindre d’être gêné par les voisins ; et cependant il était sûr de trouver, à deux pas, quand il voulait, la conversation d’un ou deux amis : dans les lettres de cette période, il fait assez souvent mention de visites à Harlem chez Bannius ou Bloemaert. Il donne même à Mersenne l’adresse de Bloemaert, pour les lettres qu’on lui écrit à lui-même[277] ; c’est là qu’il les fera prendre, et la distance n’était pas grande, puisqu’un jour, au moment de cacheter ce qu’il venait d’écrire, il se ravise, envoie un exprès à Harlem pour voir s’il n’y avait pas quelque chose pour lui, et a encore le temps de répondre le même soir à trois lettres qu’on lui rapporte[278]. Plus tard, en octobre 1639, après une visite à La Haye, il prend, pour rentrer chez lui, le bateau de Harlem[279]. Plus tard encore, parlant d’une violente tempête, il ajoute que pourtant elle ne s’est pas fait sentir dans la mer, « à dix ou douzes lieues de là[280] » ; il voulait dire la haute mer, celle qu’on va voir à la pointe du Helder, et c’est bien à peu près la distance où elle se trouve de Santpoort. Enfin, lorsque, après avril 1640, il est revenu demeurer à Leyde, il envoie à Mersenne l’adresse de Bannius[281], ne pouvant plus, comme il l’avait fait jusque-là, remettre lui-même à celui-ci les lettres qu’il recevait pour lui dans son propre paquet. Polémiques. 2 j j

Descartes passa donc ces trois années à la campagne, son séjour préféré. Il avait toute commodité pour disséquer, et rien ne lui manquait pour cela : anguilles qu'on lui apportait toutes vives, et poissons de mer, comme le cabillaud et la morue, et même des animaux vivants, comme des chiens et des lapins". Il avait aussi son jardin, dont il tirait des légumes et qui lui servait aussi pour des observations : on y trouvait des herbes potagères, bettes et chicorée, qui même une fois lui jouèrent un singulier tour par leur bruissement insolite ; d'autre part, on lui envoyait de Paris, des graines d'une herbe sensitive, qu'il Semait lui-même et donnait à semer autour de lui poui des expériences ^ Il recevait quelques amis dans sa solitude : Gillot vint une fois de Leyde passer quelques jours avec lui, et Reneri vint aussi d'Utrecht ; Huygens et Pollot le visi- tèrent de La Haye^. Mais ces visites étaient rares, et le philosophe avait presque tout son temps à lui, comme il le désirait. Il n'en avait point trop pour répondre aux questions multiples, dont Mersenne l'assaillait presque à chaque cour- rier. Jamais vos lettres ne sauraient m'être importunes, lui disait le philosophe^ Et il rédigeait de longues épîtres,

a. Tome I, p. 522-523 {cor piscium); p. 525, 1. io-i5 (arteriœ et venœ) ; p. 526, 1. 20, à p. 527, 1. 28 {vivi cuniculi thorace aperto). Tome II, p. 66, 1. 6, à p." 67, 1. 18 {anguillœ corculum); p. 68, 1. i-3, et 1. 9-29 (id.); p. 86-88 (œil d'un bœuf ): lettres du i5 février, 23 et 3 1 mars i638. Tome III, p. 139, 1. 19-21 ; p. 141, 1. lo-ii {chiens ouverts tout vifs): 3o juillet i6^o. Et surtout t. XI, p. 583-594, avec la date de 16J7 ; p. 599-600, déc. i63-j ; p. 617-619 {cabeliau sic, et stokvisch).

b. Tome II, p. 33o, I. 3-23; p. 396, 1. 20, à p. 397, 1. 12; p. 421, 1. 1-4 : lettres du 23 août, 11 oct. et i5 nov. i638.

c. Ibid., p. 595, 1. i3-i6; p 619, 1. 11-14 i P- 6^3, 1. 4. Tome III, p. 40, 1. lo-i 3 ; p. 47, I. 3-6 ; p. 78, 1. 22-24; P- '76. '• 17-21. Lettres du 16 cet., I 3 nov., 25 déc. 1639 ; puis du 1 1 mars, i" avril, i r juin et 1 5 sept. i64(j.

d. Ibid., p. 179, 1. 11-12; p. 527, 1. 17-19; p. 545, 1. 6-14 : lettres du 29 juin i638, du 9 mars et du 6 mai 1639.

e. Huygens ne partageait pas ces sentiments de Descartes sur le bon religieux. Il déconseillait à Anne-Marie de Schurmann d'avoir un com- merce de lettres avec Mersenne, 26 août 1639 :

« Nobilidima Virginum, » Impoluii mihi, ut vides, curam epillolij huius P. Marinus Merfen- ViK oK Dkscaktes 3a

�� � 2 j4 Vie de Descartes.

qui ressemblaient parfois à de véritables traités : des cinq volumes de la correspondance, l'année i637-i638 à elle seule en remplirait presque un tout entier. Une lettre de lui est souvent une réponse à deux, trois, quatre, quelquefois six et jusqu'à sept lettres de Mersenne-^ Le bon religieux ne crai- gnait pas d'abuser : il entassait questions sur questions; encore

» nus, monachus Parifienlis, non de minimis ex eorum ordine quos oi « oSyiVo; tuoXiôv tj^Xo; Minimos appellant. Et gerendus nios fuit amico, » multà mihi fcriptione, cum publicâ, tum ad ine & alios priuatà notus. » De cxtero, non is lum, qui amicitiie inter vos copulandae autor vel » proxeneta dici geftiam. Sacra enim ut omittam, & pertinacem à nobis » de i'ummâ veritate dillenl'um, vir ell hic c;çnobita eruditionis vaftœ, » difful'as, indigeftx : faciem dicas Uniuerfi, quam Poeta fabulatus eft, » ante mare & terras : ingenium denique, quocum li commercia literarum )' inis, priedico, non ignarus mali, epilloiis, quceltionibus, problematis » quotidie te exercendam, fatigandam, obruendam. Quid hîc ftudijs tuis » tibique expédiât, l;a--'(ipaCoa;vy, , ut facis, longe pretiollffimam rerum, » xa'pov, tute videris. Ad primam hanc, ni failor, lalutationem ut nihil » reponas, vix, opinor, humanitati tuas imperabis. Nilî facis, curandis » literis operà meà, li- gratani habes, uti licet. Vale, decus Belgij ab » AddiclilTimo tibi C. H. » Rhenobergœ VII Cal. Septemb. CID lOC XXXIX. » {Amfterdam, Académie des Sciences, Constantini Hugenii Epijlolce Latinœ MS., Epift. 278.)

Et encore cette autre lettre : Bannio. Rhynberg. 26 Aug. 1639.

« Vir clarilTime ac doclifTime,

« A Merfenno noftro, omnigence, led indigeftœ eruditionis viro, non » unà, ut vides, plagà te ferio. Sequuta enim fêle funt h^ec epilloiia bre- » uiflimo interuallo. Quid facias ? Ita ingenium elt hominis, quem nili » plané fugis & abdicas, ferendum ell varia multàque qu^xliione ad nau- « leam exerceri. Ad alferam harum li ambigis, vide numquid heroe » Descartio digna (It. Latet hîc certè ous-i/.ov t;, ex quo nondum videre » memini qui le latis commode expediret. Quanquam inter Gallos Ger- » manolque peritiflimos & mulic;c non ignaros tibicines aiunt omnes » ab imo lurlum tonos exprimi, quod fateor equidem vix me adduci ut >..credam... Rhenobergas, VII Cal. Sept. CID IDC XXXIX. » Jbid., Epirt. 279.1

a. Tome II, p. 420, 1. 2, et p 438, 1. 2 sept lettres en tout); p. 493, 1. 3 ; p. 495, 1. 6 : p. 498, 1. 17 ; p. 5oo, 1. 1 ; et p. 5o3, 1. 20 (cinq lettres du 1", 8, i5, 25 et 28 janvier 1639), etc.

�� � Polémiques. 2 j ^

une, ajoutait-il : elle ne vous demandera, pour y répondre, qu'un tour de chambre, fait tout doucement % en vous promenant. Et Descartes improvisait effectivement ses réponses, séance tenante, avec une facilité qui tient du prodige, ayant quelque- fois à répondre à vingt ou trente choses différentes en une après- soupée. Il avait, il est vrai, des adresses particulières et qu'il gardait pour lui, qui lui épargnaient de longs et fastidieux cal- culs ; en deux ou trois lignes il expédiait ce qui eût coûté à d'autres une page entière; ou bien ce qu'il mettait tout au long pour ses lecteurs, lui-même l'avait trouvé « en trois coups de plume » ; bien mieux, excité et comme grisé par son propre travail, l'esprit allait plus vite que la main, les inventions se succé- daient, se pressaient l'une l'autre, et à chaque trait de plume, c'était un théorème nouveau . Il écrivait ainsi fort avant dans la soirée, parfois jusqu'à minuit, ou plutôt jusqu'à tomber de sommeil : sauf à avertir, dans une lettre suivante, qu'on ait à corriger, ou même à supprimer les dernières lignes, écrites lorsqu'il était à moitié endormi". Il l'avoue de bonne grâce :

. . .Quandoque bonus dormitat Homerus.

Descartes n'était pas seulement occupé à satisfaire, sans se lasser lui-même, son infatigable correspondant : il pensait aussi à une seconde édition de son livre de lôSy, mais cette fois en latin . Pour cela, il fallait d'abord le traduire, et tra-

a. Tome II, p. 119, 1. 27-29 : leure du 28 avril i638. Et p. 634, 1. 5-8 : du 25 déc. 1639.

b. Ibid., p. 263, 1. 4-7 ; p. 427, 1. 10-14, ^^ P- 428, 1. 1-2 : lettres du 27 juillet et du i5 nov. i638.

c. Ibid., p. 432, 1. I : lettre du i5 nov. i638.

d. Toine I, p. 379, 1. 2-6; p. 449, 1. 9-11, et p. 453-454; p. 56i, 1. 5-6 : lettres du 25 mai, 5 oci. 1637, et 22 févr. i638. Tome II, p. i2-i3; p. 26, 1. 10-14; P- 49-^0; P- 84, 1. 9-10; p. 85, 1. 8-1 3 ; p. 90 : lettres du i" au 3i mars i638. Puis il n'est plus aussi pressé et il hésite même, ibid., p. 147, I. 23; p. i52-i53 : du 17 mai. L'impression est décidément retardée, p. 221, 1. 6-12, et p. 247, I. 5-6 : du i3 juillet. Il n'abandonne pas cependant le projet, mais l'ouvrage devra être en latin, p. 267, 1. 13-17; et il n'y compte guère avant un an, p. 268-269 • «^^ 27 juillet. Pourtant,

�� � 2^6 Vie de Descartes.

duire aussi les objections qui lui étaient adressées en français, ainsi que ses propres réponses. Il eut longtemps cette pensée, dès le mois de mai 1637 jusqu'à la fin de i63q, mais ne la réalisa pas. On peut croire cependant que la traduction du livre au moins, par les soins d'un ministre français à Amster- dam, Etienne de Courcelles, date de ce temps-là, et peut-être aussi la traduction de la Géométrie, par Schooten fils ; une ex- plication complémentaire, que Descartes lui adresse pour ajou- ter à certaine page, est en latin ". Mais la raison pour laquelle il renonça à publier un livre d'objections et de réponses, c'est que peu d'objections, en somme, lui furent envoyées, qui se rapportaient vraiment aux sujets traités par lui ; la plupart soulevaient d'autres problèmes, surtout mathématiques, qui demandaient un ouvrage séparé. Et la raison du petit nombre d'objections contre le livre même, c'est peut-être que celui-ci était rédigé en français. Descartes l'avait fait à dessein, pour que les femmes mêmes, écrivait-il à un Jésuite , pussent y entendre quelque chose ; et il semble bien que l'une au moins, et non des moindres, la duchesse d'Aiguillon, propre nièce de Richelieu, s'y intéressa'. Tous les curieux s'y intéressèrent

ce sera bientôt, dit-il, p. 334, 1- 6-8 : du 23 août. Il commencera dans trois mois environ, p. 344, 1. 4-7 et i5-i8, et p. 343, 1. i-3. Puis, le 1 1 oct., p. 3 92. 1. 19-19. Le i5 nov., p. 431-432, et p. 443, 1. i3-i7, il remercie des fautes qu'on lui corrige. De même, le 9 janv. 1639, p. 481, 1. 1-9; mais il hésite, la première édition s'étant si peu vendue. Il remercie toujours des corrections, le 9 février, p. 496, 1. 10- 1 5. Le i5 mai, Huygens compte sur une publication prochaine, p. 547, 1. io-i3. Et il insiste, le 28 mai, p. 55o, 1. i3-i5. Le i5 oct., nouveaux remercie- ments pour des corrections, p. 590, 1. u, à p. 592, 1. 1 1. Mais le 25 déc, il paraît dégoûté, p. 638, 1. 18-27. Et déjà, à cette date, il pensait à faire imprimer auparavant ses Méditations. Quant à la traduction latine de son livre de 1637, elle ne paraîtra (moins la Géométrie) qu'en 1644, avec les Principia, et sans aucune objection ni réponse.

a. Outre le passage cite dan^ la note précédente, t. II. p. 267, 1. 13-17, d'une lettre du 27 juillet i638, et cet autre passage, p. 638, 1. 21-22, du 25 dec, voir p. 5-7-578.

b. Le P. Vatier. Tome I, p. 56o, 1. 23-25 : lettre du 22 févr. i638.

c. Tome I. p. 376, 1. i3-i5. Conjecture fondée sur un fait certain, quatre ans plus tard, t. III, p. 388, 1. 6-9.

�� � P0[.ÉM1QUES. 2^7

également. Mais les doctes, qui étaient les faiseurs habituels d'objections, prirent-ils tous au sérieux ce livre qui était en français, et qu'on leur disait écrit pour des femmes? Beaucoup s'abstinrent donc ; ou s'ils le critiquèrent, ce fut en leur langue, qui était le latin.

Les premiers à qui notre philosophe envoya des exemplaires de son livre, furent ses anciens maîtres du collège de la Flèche, non pas le P. Véron, qui avait quitté l'enseignement pour la controverse religieuse*, ni même le P. Charlet, peut- être alors en Amérique^, mais au moins trois autres religieux, les PP. Noël, Vatier et Fournier. Avec une humilité feinte, il demande si l'on se souvient encore du petit élève d'autrefois ' ? On le rassure, on ne l'a pas oublié; seulement, le P. Noël est rec- teur; le temps lui manque pour lire lui-même ce livre de philoso- phie, et il le donnera à examiner. Le P. Vatier envoie quelques remarques plutôt louangeuses, que Descartes prend pour de bon argent ; on trouvait un peu courtes ses preuves de l'existence de Dieu ; il promit de les développer. Il attendait autre chose ;

a. Voir ci-avant, p. 23, note a.

b. Ce n'est qu'une conjecture. Mais comment expliquer, sans cela, que Descartes n'ait pas envoyé son livre au P. Charlet? Voir t. IV, p. 345, note b, et surtout p. 585, 1. 3-6.

c. Tome I, p. 383-384 : lettre du 14 juin 1637. Le P. Noël avait été repetitor philosophiœ à La Flèche, et Descartes le lui rappelle : « il y a » vingt-trois ou vingt-quatre ans », dit-il. Ces chiffres nous inquiétaient, attendu qu'ils nous reportaient en arrière à 1614 ou i6i3; nous pensions que Descartes avait quitté le collège en 161 2. Mais cette première date ne nous parait plus aussi sûre ; et nous avons vu, p. 39 ci-avant, que le séjour de notre philosophe à La Flèche a fort bien pu se prolonger davantage. Il suffirait (et pourquoi pas, en l'absence de toute donnée certaine?) de faire commencer ce séjour un peu plus tard, puisqu'il a duré tout de même « huit ou neuf ans » 't. IV, p. 122, 1. 10-11). Le texte ci-dessus viendrait à l'appui de notre conjecture, et nous ne iiroposons plus de le corriger, comme nous avions fait,i. I, p. 384. — Voir la seconde lettre de Descartes au P. Noél, où l'on entrevoit la réponse de celui-ci, ibid., p. 454-455.

d. Ibid., p. 558-565 : lettre du 22 févr, 1628. Et t. II, p. 2S, 1. 19-25 ; p. 5o, 1. 8-14 : lettres de mars i638.

�� � ne recevant plus rien, il pria Mersenne, au bout d’un an, le 27 juillet 1638, de rappeler discrètement aux bons Pères son livre[282]. Mersenne n’y manqua pas ; le 18 septembre, il informa Descartes que sa commission est faite. On lui répondit de La Flèche, et la réponse est à retenir. L’ancien élève des Jésuites avait voulu jouer avec eux au plus habile et au plus fin ; il y perdit sa peine. Il n’avait point livré le fond de sa pensée ; il s’était contenté de mettre en avant quelques suppositions, espérant qu’on les accepterait à la faveur de l’ordre et de l’enchaînement qu’elles permettent d’introduire dans les phénomènes. Les Jésuites éventèrent la tactique : craignant sans doute, s’ils approuvaient le tout, d’être engagés plus loin qu’ils n’auraient voulu, ils répondirent qu’ils ne pouvaient faire d’objections, tant que Descartes n’aurait point déclaré ses principes entièrement. Notre philosophe ne fut point dupe d’une telle défaite, et il le laissa entendre à Mersenne, le 15 novembre[283]. En somme, à La Flèche on se réservait ; et, en attendant, on se dérobait. Cependant un des professeurs, le P. Fournier, fera son profit, nous l’avons vu[284], de la Dioptrique et surtout des Météores ; il s’en appropriera maint passage dans son Hydrographie, en 1643. Ceci n’était-il pas autrement flatteur pour Descartes, que toutes les objections qu’il eût pu souhaiter ? Mais remarquons la date de 1643 : les Méditations avaient paru, à deux reprises, en 1641 et 1642 ; elles rassurèrent, sans doute, le religieux sur l’orthodoxie du philosophe.

En même temps qu’à La Flèche, Descartes avait pensé à Rome. Là, il connaissait au moins un cardinal, Bagni, ou Baigné, chez qui il avait fréquenté, lorsque celui-ci était nonce à Paris. Il lui écrivit donc, en lui envoyant deux exemplaires. Puis, comme l’observation des parhélies avait été connue en Polémiques. 2^9

France, et de là en Hollande, grâce à un autre cardinal, qui l'avait mandée à Peiresc, le cardinal Barberini, neveu du pape Urbain VIII, il était bienséant de lui faire hommage d'un livre qui donnait une explication de ce phénomène '. Descartes s'en remit de ce soin à Peiresc lui-même. Mais celui-ci vint à mou- rir, cette même année lôSy, le 14 juin, et on ne reçut aucune nouvelle de Rome. Descartes pria Mersenne de s'informer. Le nonce Bologneti oflFrit alors lui-même de faire parvenir de nouveaux exemplaires aux deux éminences. Point de nouvelles encore. Notre philosophe avait quelque raison de s'inquiéter : son libraire de Leyde ayant offert, en lôSy, d'envoyer le livre à un libraire de Rome, celui-ci avait répondu qu'il en voulait bien une douzaine d'exemplaires, « pourvu qu'il n'y eût rien » qui touchât le mouvement de la terre ^ ». Il les reçut donc, mais les renvoya aussitôt en Hollande, ou du moins voulut les renvoyer. Malgré les précautions prises par Descartes, son sentiment intime sur ce dangereux sujet se laissait deviner, et n'avait pas échappé, par exemple, au P. Ciermans, Jésuite et professeur à l'Université de Louvain ".

Dans cette Université catholique. Descartes connaissait au moins un professeur, le médecin Plemp, ou Plempius (Vopis- cus-Fortunatus). Il l'avait vu à Amsterdam jusqu'en i633, et revu tout récemment aux vacances de lôSy*. Cette année, Plempius était « recteur magnifique » : raison de plus de ne

a. Tome II, p. 85, 1. 20-23 ; p. 400, 1. 6-8; p. 464, 1. 16, à p. 465, 1. i : lettres du 3i mars, ii oct. et déc. i638, du 19 juin 1639. Descartes avait connu Bagni à Paris (voir ci-avant, p. g5). Quant à Barberini, il ne donne pas d'autre raison de lui envoyer son livre, que celle qui est rap- pelée ici, et qui suffit : t. II, p. 464, 1. 23. Il est inutile de supposer qu'il l'avait vu autrefois à Rome, sous prétexte qu'il se trouvait en cette ville, lorsque le pape, par un bref du 26 mars i625, nomma son neveu Fran- çois Barberin légat en France. Descartes, assure Baillet sans autre preuve, ne manqua pas d'aller lui rendre aussitôt ses devoirs. (Baillet,

t. I, p. 122-123.)

b. Ibid., p. 565, 1. 6-17 : lettre du 19 juin 1639.

c. Ibid., p. 59, 1. 23.

d. Tome I, p. 401.

�� � 240 Vie de Descartes.

pas l'oublier. Notre philosophe lui envoya donc trois exem- plaires de son livre. Plempius en garda un pour lui, confia le second à un de ses collègues, Fromondus, jadis auteur d'une Météorologie, et fit parvenir le troisième à un Jésuite en Flandre, à Lille ou à Douai, le P. Fournet".

Fromondus (ou Libert Froidmond)^ fut si diligent à lire son exemplaire, que, dès le i3 septembre lôSy, il remettait à Plempius dix-huit objections : trois contre des passages du Discours de la Méthode, six contre la Dioptrique et neuf contre les Météores. Plempius envoya le tout, avec une lettre de lui du i5 (ou du 19) septembre, à Descartes, un peu surpris de recevoir si vite des objections qu'il n'attendait que beau- coup plus tard. Ne voulant pas toutefois demeurer en reste, il se mit aussitôt en devoir de répondre, et le 3 octobre, il ren- voyait à Louvain une lettre qui, comme étendue, est presque le double des objections reçues =. Fromondus restait fidèle à la scolastique. Il prenait la défense des qualités réelles (une qua- litas dolorifica, entre autres), et des espèces intentionnelles, et des formes substantielles surtout. 11 avait celles-ci à cœur: car ou bien elles sont partout nécessaires, chez l'animal aussi bien que chez l'homme, et Descartes avait tort de les supprimer chez l'animal ; ou bien elles ne sont nécessaires nulle part, ni chez l'animal, ni, par conséquent, chez l'homme, où Descartes

a. Tome I, p. 399, 1. 2-7.

b. Né à Haccourt, près de Visé (Belgique), en i58-, professeur de philosophie à Anvers, puis à l'Université de Louvain, où il succéda à Jansénius en r634. Il édita V Augustinus de celui-ci, en 1640. En i63i et 1634, il avait pris la défense des décrets de Rome, de 1616 et de i633, contre le mouvement de la terre. D'autre part, il eut une polémique avec Voët, qui avait attaqué Jansénius : Defperata caufa papatûs. Fromondus répliqua en défendant son maître : Caufce defperatœ Gifb. Voetii crijis, i636. Descartes connaissait de Fromondus au moins deux ouvrages, qu'il cite : Labyrinthus de compofitione continui, i63i, cité aussi plus tard par Leibniz; ei surtout Meteorologicorum lib. VI (Anvers, 1637), que lui avait peut-être indiqué à Amsterdam en i63o ou i63i Plempius, redevable aussi au même auteur pour son Ophtalmographia. Voir t. J, p. 422, 1. n, et p. 449, 1. 12-14.

c. Tome I, p. 412-431.

�� � Polémiques. 241

prétendait, en vain, les maintenir. C'est la grande objection que l'on faisait déjà, en 1624, à Villon et à Bitault, ennemis, eux aussi, des formes substantielles '. Elle embarrassait fort les esprits et inquiétait les consciences. Aussi le débat exci- tait-il une vive curiosité. Des copies de la lettre de Fromondus et de la réponse de Descartes circulèrent en Hollande"". Avant la fin de lôBy, Pollot s'en était procuré une, et la communi- quait à Huygens, qui la faisait aussitôt transcrire : c'est ainsi qu'on l'a retrouvée dans ses papiers. Le ministre protestant Rivet en eut également connaissance. El plus tard, à Gro- ningue, au cours d'un procès devant le Sénat académique, un professeur, Schoock, citera ce même passage de la lettre de Fromondus, pour s'en autoriser contre Descartes.

Plempius avait aussi promis des objections, non pas préci- sément contre le mouvement du cœur, mais contre l'e.xplica- tion que le philosophe en donnait., Averti par Descartes lui- même, qui n'aimait pas qu'on mît trop de hâte à le lire, il prit son temps, au point de se faire rappeler plus d'une fois sa pro- messe ^ Il s'exécuta en janvier ou février, il répliqua même à une première réponse de Descartes, qui répondit de nouveau. Nous avons ainsi deux longues lettres du philosophe, datées du i5 février et du 23 mars lôSS"*. Plempius défend l'ancienne médecine, et se réclame de Galièn, contre Aristote d'ailleurs aussi bien que contre Descartes. Son principal argument est une force ou faculté pulsifique, pis pulsifica, indispensable selon lui pour expliquer le battement des artères et du cœur. Mais il ne nie pas le fait de la circulation. Là-dessus, Des- cartes invoque ses propres observations et expériences, faites

a. Voir ci-avant, p. 85-89.

b. Tome I, p. 309, 1. 22, à p. 5 10, 1. 2 ; p. 5i5, 1. 25-26. Tome II, p. 33 et p. 48, 1. 24, à p. 49, 1. 9. Tome III, p. 86, 1. i5-i6. Tome IV, p. 180.

c. Tome I, p. 409-4, . 1 p. 475-477 : lettres du ? cet. et du 20 déc. 1637.

d. Ibid., p. 521-536, et t. II, p. 62-69. " Confugls ad l'piritum vitiiji- » ctim », p. 65, 1. 7-8.

Vie de Descartes. 3i

�� � 242 Vie de Descartes.

parfois le matin même sur des animaux vivants ou fraîche- ment tués *. Les idées de notre philosophe reçurent une publi- cité nouvelle, du fait de Plempius : celui-ci résuma, en effet, la polémique dans une première édition de ses Fundamenta Medicinœ, en septembre i638. Seulement, le résumé fut trouvé inexact, notamment par Regius ; et plus tard Bevero- vicius demanda à Descartes le brouillon de ses deux lettres, pour les imprimer dans des Quœstiones epistolicœ, en 1644^ Plempius se piqua d'honneur : il donna aussitôt le texte en entier dans une seconde édition de son ouvrage en 1644, et dans une troisième encore en 1654. I^ gardait d'ailleurs ses positions, et tenait toujours pour sa vertu pulsifique.

Le troisième exemplaire de Descartes avait été remis à un Jésuite, le P. Ciermans, collègue aussi de Plempius à l'Univer- sité de Louvain, où il professait les mathématiques'^. Ciermans voit d'abord en Descartes une sorte de Christophe Colomb, un

a. Voir ci-avant, p. i52, note/. — Tome II, p. 66, 1. 7-1 1 : « Si mihi » nunc hic adeffes, ...videres anguiilae corculum, quod hodiè manè s ante horas feptem vel o£lo excidi. » Et p. 68, 1. 9-1 1 : « Quod confir- » mare iibet alio cafu hodiè etiam à me obferuato : nempè abfcidi cor- » culi anguillaï partem fupremam. . . »

b. Vopisci FoRTUNATi Plempii Amfterodamenfis, Artium & Medicinae Doftoris, atque in Academiâ Louanienfi Praflicen primo loco profi- tentis, De Fundamentis Medicince Libri fex Acribologiâ Scholafticâ accu- rati. (Lovanii, Typis ac Sumptibus lacobi Zegerfii, M. DC. XXXVIII.) Dédicace : « proprid. Calend. Septemb. i638 ». Privilège : « Bruxellae, » XVI lunij i638. Genfura, die 28 Augufti i638.» Sujets traités, p. 261- 268 : « Facultas vitalis quid & quotuplex. — Facultas pulfifica movet » cor. — Cor à facultate non à fanguine pulfat, contra Ariftotelem, Carte- » fium, Harvïum. » Et p. 265, on lit : « ...Cartefio amiciffimo vire ac » mihi familiariffimo. »

c. Tome III, p. 682, et t. IV, p. 3-6. Lettres du 10 juin et du 5 juillet 1643.

d. Ciermans (Jean), né à Bois-le- Duc, le 7 avril 1603, entra au noviciat des Jésuites, le 6 nov. 1619, fut professeur de mathématiques à Louvain et à Anvers; ayant demandé à être envoyé en Chine, il mourut en Por- tugal au moment de s'embarquer, l'an 1648. Auteur d'un recueil de thèses mathématiques et physiques : Annus pofitionum mathematicarum (Lovanii, 1641), dont quelques-unes contre Descartes. Voir leur polé- mique, t. II, p. 55-62 et p. 69-81 : lettres de mars i638.

�� � hardi navigateur, qui a découvert aussi un Nouveau Monde : c’était le compliment à la mode[285]. Puis, comme sujet de ses objections, il choisit l’arc-en-ciel, et se plaçant au point de vue même de Descartes, il engagea avec lui une discussion très habile et très serrée. Notre philosophe en profita pour éclaircir cette matière, qu’il estimait des plus difficiles, et fut amené à découvrir un peu plus le fond de sa pensée. La lutte reste courtoise ; Descartes ménage plutôt les trois professeurs, qui, s’ils étaient gagnés, pourraient introduire dans leur enseignement la philosophie nouvelle. Illusion pure : le cartésianisme sera condamné à Louvain, en 1662, un peu avant même de l’être à Rome ; et Plempius, devenu un personnage après avoir accompagné comme médecin l’ambassadeur du roi d’Espagne au congrès de Munster, s’emploiera de toutes ses forces, dès son retour en 1648, contre la doctrine de son ancien ami : il sera un des principaux artisans de la condamnation[286].

Descartes attendait aussi des objections de Lille, où les Jésuites avaient un collège[287]. Mais elles n’ont pas été conservées ; (ont-elles même été envoyées ?) Il semble avoir eu un moment l’espoir d’étendre sa propagande dans tous les Pays-Bas espagnols, en Flandre aussi bien que dans le Brabant, et aux deux Universités de Louvain et de Douai. Peut-être fit-il tout exprès dans cette vue le voyage de Douai en 1637 ? Un document postérieur l’assure, avec des détails tels, qu’on ne peut croire qu’il ait été inventé de toutes pièces : c’est le récit d’un 244 Vie de Descartes.

témoin'. Notre philosophe aurait été l'hôte du gouverneur de la ville, M. de la Bassecourt, grand amateur de philosophie; ce personnage se serait plu à réunir à sa table, pour les faire discuter après le repas, un professeur de l'Université et un gentilhomme polonais, compagnon de Descartes, celui-ci n'in- tervenant que comme arbitre. Il parle, en effet, d'un voyage

a. « Etant une fois forti de fa retraite, & fe voyant fur les frontières » des Pays-Bas catholiques, il peut avoir eu la penfée de paffer en » Flandre avant que de fe renfermer dans le poëlle. Il paroît au moins » qu'il fut à Doiiay vers ce têms-là, s'il eft fur de fe repofer fur la foy » d'une perfonne de probité [en marge : M. Maquets demeurant à Arras], » qui foùtient avoir vu M. Defcartes à Doiiay, & l'avoir revu environ » fept ans après à Paris, tant au collège de Boncourt avec le Chevalier » d'Igby, qu'aux Théatins avec le P. Chappuis, ce qui n'eft arrivé qu'en » 1644. Selon cette relation, M. Defcartes, accompagné d'un Gentil- » homme Polonois, vint rendre vifite à M. de la Baffecourt, Gouverneur » ou Commandant de la ville de Doiiay pour le Roy d'Efpagne, qui le » retint huit ou dix jours à le régaler & à l'entendre raifonner fur fa » Philofophie, dont il étoit devenu amoureux. Le Gouveineur s'appli- tt quant sur tout à defennuyer fon hôte par la diverfité des objets qu'ils » luy préfentoient, n'avoit pas oublié de luy procurer la compagnie des » plus habiles gens de l'Univerfité du lieu à fa table, afin de lier entre » eux de curieufes & fçavantes converfations après le repas. L'un des » plus renommez étoit un petit Dodeur bofl'u, appelle François Silvius, » habile Thomilte, l'un des grands Théologiens de fon fiécle, & le pré- » mier ornement de l'Univerfité depuis la mort d'Eilius. Il étoir de » Braine-le-Comte fur les extrémittez du Haynaut & du Brabant ; il » occupoit la Chaire Royale & ordinaire de Théologie depuis environ » dix-huit ans; & fa mon ne prévint celle de M. Defcartes que d'un an » & quelques femaines. M. de la Baffecourt ayant convié ce Dofteur de » venir manger tous les foirs chez luy tant que M. Defcartes y feroit, fe » procura à luy-même un plaifir dans leurs entretiens, dont il fe fit un » honneur le refte de fes jours; M. Defcartes y parloit peu, félon fon ordi- » naire; mais ce qu'il difoit étoit accompagné d'un flegme mêlé de » gayeté. L'ardeur du difcours étoit le plus foUvent entre le Dodeur Sil- » vius & le Gentil-homme Polonois. La converfation dégénéroit prefque » toujours en difpute, qui duroit fort avant dans la nuit, mais jamais hors » des termes de la Philofophie; & la chaleur les emportoit prefque toû- » jours, au grand divertilfement de M. de la Baffecourt. On en revenoit » toujours à M. Defcartes comme à l'arbitre d^s parties; & jamais il » n'abufoit de leur confiance, ny de leur foamiffion à fon jugement. Il » commençoit par les faire revenir un & l'autre des extrémittez où la

�� � Polémiques. 24^

de six semaines % sans dire où cependant, du I','" mai au 14 juin 1637 environ; et il recommande à Piempius d'envoyer son livre au P. Fournet , Jésuite flamand, comme s'il avait fait connaissance avec lui à ce voyage. Pourtant c'est Lille, et non pas Douai, qu'il cite dans une de ses lettres. Son livre eut-il ensuite quelque succès dans cette région ? On ne sait. A Lou- vain même, les libraires n'en reçurent que tardivement des exemplaires, et on ignore s'ils en vendirent beaucoup ^

V difpute les avoit jetiez, & il terminoit leur différent en peu de mots, » mais d'une manière qui contentoit l'un fans mécontenter l'autre, parce » qu'outre la douceur & l'honnêteté qu'il y apportoit, il propofoit fa » penfée d'un air de doute plutôt que de décifion. Autant que la modeftie » de M. Defcartes plaifoit à M. Silvius, autant celui-cy témoignoit-il être » peu fatisfait de h violence avec laquelle il le fentoit pouffé par le 1) Polonois Ce fut pourtant ce Dofteur qui fut caufe qu'on difputa de la » Philofophie jufqu'au départ de M. Defcartes, Car nonobftant la réfolu- » tion qu'il avoit prife dés le premier jour, de ne vouloir plus fe com- » mettre avec le Gentil-homme, il ne lailToit pas de revenir le lendemain » avec de nouveaux arguments pour réparer le mauvais fuccez de la a veille; & quoi qu'il s'en retournât toujours faifant de nouvelles pro- » teftations de ne plus entrer en lice, les civiiitez de M. Defcartes, » jointes à l'envie de tirer au moins une fois raifon du Polonois, luy » faifoient oublier fa proteftation; & il n'y eut que l'adieu de M. Def- » cartes, qui fut capable de luy faire garder enfin la promeffe qu'il » renouvelloit tous les Jours, de ne plus retourner à la charge. »

« M. Defcartes, comblé des amitiez de M. de la Baflecourt, s'en » retourna en Hollande vers le commencement de l'hyver. . . » \Baillet, t. I, p. 3o6-3o8.)

a. Tome I, p. 379, 1. 9-10 : lettre du 14 juin 1637.

b. Ibid , p. 399,1. 6-7. Le P. François Fournet naquit à Lens (Artois), en i58i. Entré dans l'ordre des Jésuites, en 1596 (avant le 4 oci., puisque ses premiers vœux sont du 4 0Ct. iSgS), ordonné prêtre le 19 mars 161 1, il fit profession le g oct. 1616; enseigna la philosophie trois ans à La Flèche, et deux ans à Douai ; la théologie, sept ans et demi à Douai. Recteur du collège de Lille, cinq ans et demi, et du collège d'Arras, trois ans, il mourut à Douai, le 10 janvier i638. Compagnon du provincial en 1637- i63S. Ces détails complètent un opuscule de Georges Monchamp : Un correspondant belge de Descartes, le P. François Fournet, S. J. (Bruxelles, 1893), et le rectifient : ce n'est pas à ce religieux que s'adresse la lettre du t. I, p. 456-458.

c. Tome I, p. 476, 1. i-3.

�� � 246 Vie de Descartes.

A Paris, les exemplaires ne furent mis en vente que sur la fin de 1637, au mois de décembre \ Les objections qui comp- tèrent le plus tout d'abord, aux yeux de Descartes, furent celles de Jean-Baptiste Morin. On se demande aujourd'hui pour- quoi ? Serait-ce à cause de l'auteur ? Morin était professeur au Collège de France, et Descartes l'avait connu à Paris; c'était un partisan de l'ancienne astronomie, adversaire de Galilée, bien pis, un partisan de l'astrologie, ce qui n'était pourtant pas une recommandation. Serait-ce à cause du sujet que Morin choisit pour ses objections: à savoir l'explication de la lumière ? C'était, en effet, pour Descartes, le sujet capital, puisque lui-même y ramenait tout dans son traité du Monde. Mais n'y aurait-il pas encore une autre raison? Avec Morin, on pouvait se promettre une discussion en règle, semblable à celles qui avaient lieu entre les doctes; il représentait la doctrine de l'École. Morin, en effet, définit les termes, selon la logique d'Aristote, par le genre et la différence ; il examine successi- vement, et par ordre, la forme et la matière, la cause du mou- vement ou le moteur, et le mouvement lui-même de ce corps à qui Descartes attribue la lumière. Notre philosophe, peut-être, était bien aise que ses' explications fussent mises à pareille épreuve : on verrait qu'elles pouvaient y résister victorieuse- ment. Ne l'avait-il pas déclaré à Fromondus? Bien qu'il ne se fût pas servi du syllogisme, tous ses arguments, néanmoins, pou- vaient revêtir cette forme consacrée : leur force n'en apparaî- trait que mieux ; seulement, cet appareil eût entraîné bien des longueurs '. Il répondit donc à Morin sur le même ton, et riva- lisa avec lui de subtilité scolastique. Morin en fut tout sur- pris et ravi, et Mersenne également ; l'un et l'autre croyaient que Descartes avait complètement oublié la philosophie de ses maîtres. Aussi Morin répartit par une longue lettre, le

a. Tome I, p. 485-486 : lettre de Chapelain, 29 déc. 1637.

b. Ibid., p. 536, et t. II, p. 196, 288, 362 et 408 : lettres du 22 févr., i3 juillet, 12 août, 12 sept, et oct. i638.

c. Tome I, p. 422-423 : lettre du 3 oct. 1637.

d. Tome II, p. 287 : lettre du i" août.i638.

�� � Polémiques. 247

12 août, à laquelle Descartes riposta longuement encore, le 12 septembre, toujours dans le même style. Morin révint à la charge une troisième fois, en octobre ; mais comme il ne s'attendait plus à une réponse, Descartes le prit au mot, et s'en tint là désormais*. On se demande si, au fond, il ne s'était pas moqué de son adversaire ? Affectant de le prendre au sérieux, et se mettant lui-même en frais pour répondre, il pensait sur- tout à ses lecteurs, au cas où l'on imprimerait objections et réponses. Car, en dépit de ses compliments, il ne s'était point hâté : il s'en excusait à Mersenne, le 3i mars, le 17 mai, le 29 juin "i il n'avait pas le temps, et d'autres affaires pressaient davantage. Il ne répondit, en somme, que le i3 juillet à des objections du 22 février ! Puis, il reconnut vite que ses pensées et celles de Morin, au lieu de se rapprocher, devenaient de plus en plus divergentes. Un petit fait, surtout, dut l'éclairer : à la fin de sa seconde lettre, du 12 août, Morin, tout joyeux, annonce à Descartes, qu'il vient de découvrir, par hasard, sa « matière subtile » ; il l'a vue voltiger dans un rayon de soleil qui passait par la fente d'une fenêtre ^ Descartes fut édifié : Morin n'avait rien compris à sa théorie, et il était inutile de s'attarder avec un tel adversaire.

Il en est un autre à qui il refusa toujours de répondre, bien que Mersenne, sans se lasser, l'en priât presque à chaque cour- rier pendant plus d'un an. Mais Descartes ne voulut pas lui faire cet honneur : on ne se retourne pas, disait-il, contre un petit chien qui aboie dans la rue et ne saurait mordre '^. C'était Pierre Petit', intendant des fortifications, curieux de choses

a. Tome II, p. 43-, 1. 4-10 : lettre du i5 nov. i638.

b. Ibid.,p.SS, 1. 4-1 5 ; p. 145, 1. 17-21,61 p. i52, 1. 22-24; p. 191,1.24-25

c. Ibid., p. 304, 1. 28 à p. 3o5, 1. 5. Réponse de Descartes : p. 372- 373, du 12 sept. i638.

d. Ibid., p. 267, 1. 8-9 : p. 533. 1. t3-i5 ; et p. 542, 1. 9-i.i.

e. Petit (Pierre), né a Montluçon, le 3 1 déc. i 598, mourut à Paris, le 20 loùt 1677. Baillet lui donne, à la date de i637-i638, t. I, p. 326, la qualité de « Commiffaire provincial de l'Artillerie et d'Ingénieur » du Roy »; plus tard' seulement, en 1646, t. II, p. 3^8, il l'appelle « Intendant des Fortifications ».

�� � 248 Vie de Descartes.

scientifiques, et qu'on retrouvera plus tard avec Pascal, lors des premières expériences du vide. Pour le moment, il expéri- mentait sur les réfractions, et ceci eût intéressé Descartes, d'autant plus que Petit promettait d'écrire contre sa Diop- trique : qu'il écrive donc, et l'on verra"! Mais auparavant, le même Petit avait envoyé au philosophe des remarques sur les quelques pages consacrées par celui-ci à l'existence de Dieu; et elles étaient sur un ton de raillerie, qui contrastait par trop avec le sujet : elles ne méritaient donc point de réponse. Descartes invoque cette raison de piété, et sans doute il était sincère. Mais il y ajoute une raison de prudence. Le discours de Petit lui parut renfermer, par endroits, des impiétés : « Si » même, disait-il, l'auteur était en un pays où l'inquisition » fût un peu sévère, il aurait sujet de craindre le feu"! » Descartes s'exagérait toujours les choses à distance ; mais on s'explique par là son refus péremptoire d'engager la lutte : il n'avait garde de se commettre avec un adversaire aussi compromettant.

Quant à 1' « Anti-Dioptrique » (c'est ainsi que Petit intitula son attaque contre la Dioptrique], Descartes, las de l'avoir trop longtemps attendue, ne voulut même plus la voir, lors- qu'il la reçut enfin. Il avait rencontré dans l'intervalle un esprit d'une autre trempe, à qui il renvoya Petit . C'était un conseil- ler au présidial de Blois, Florimond' de Beaune, dont le nom est ainsi écrit en deux mots par les contemporains ; mais il

a. Tome II, p. 32-33 : lettre du 20 avril i638. Page 86, 1. i3-2o; p. 96, 1. 20-25, et p. 97-98 : du 3i mars. Page 144, 1. 21, à p. 145, 1. 16 : du 17 mai. Page 391-392 : du '11 oct. Page 497-498 : du 9 févr. 1639. Page 533, 1. i3-25 : du 3o avril. Page 542, 1. 6-12 [id.]. Page, 564, 1. 3-io: du 19 juin 1639.

b. Ibid., p. 3o, 1. 9-17 : lettre du i" mars i638. Page 144, 1. i3-2i ; du 17 mai. Page 191-192 : du 29 juin. Page 266-267 : du 27 juillet. Page 344-345 : août i638. Page 391-392 : du 11 octobre.

c. Ibid., p. 260, 1. 19-21, et p. 392, 1. 1-4. : lettres du 27 juillet et du II oct. i638.

d. Tome II, p. 533, 1. i3-25 ; et p. 564, 1. 3-io : lettres du 3o avril et du 19 juin 1639. Voir aussi p. 225 ci-avant.

�� � Polémiques. 249

signait en un seul, Debeaune, et on peut dire de lui ce que lui- même disait, embarrassé pour l'adresse de notre philosophe : « Je ne sçay pas quelle qualité on luy donne ; je sçay mieux » celles de son esprit \ » Debeaune, donc, faisait force expé- riences sur les réfractions, et aussi force calculs; il en dressait des tables, qu'il envoya à Descartes. De plus, il avait une grande habileté manuelle, et taillait lui-même les verres dont il se servait, tandis que Petit était forcé de s'en remettre aux- artisans , aussi bien que Descartes d'ailleurs, qui avouait n'avoir jamais pratiqué aucun art ni métier, « non plus que s'il était » venu au monde sans mains"^ ». Enfin Debeaune était capable, par ses propres observations astronomiques, de vérifier lui- même ses mesures et de leur donner une parfaite justesse. Ce n'était plus seulement un amateur éclairé, comme Huygens en Hollande, ou peut-être aussi Du Maurier en France ; ce n'était pas non plus un pur savant, capable de donner une théorie sans rien davantage, et encore bien moins un simple prati- cien, incapable de science. Descartes fut ravi d'un tel ensemble de qualités réunies : le dioptricien de Blois lui parut vrai- ment « l'homme qu'il avait souhaité ». Un autre savant de France aurait aussi voulu réaliser le projet des lunettes, Girard Desargues, géomètre lyonnais. Il suivait depuis long- temps les travaux de Descartes sur ce noble sujet des » réfractions », et en i63o, il avait annoncé à mots couvertSj dans un petit livre de Récréations mathématiques, les décou-

a. Tome V, p. 5i3, note, et p. 528 (au bas de la page) : lettre du i3 nov. i638.

b. Ibid., p. 5i8 et p. 540-541 : lettres de Debeaune, 10 oct. i638 et 3 avril 1639. Et t. II, p. 542, 1. 6-9 : lettre de. Descartes, 3o avril.

c. Tome II, p. 452, 1. 5-9. Voir toutefois ci-avant, p. 32, note a.

d. Ibid., 1. 2-3. Voir aussi p. 5o5, 1. 17-23, et p. 5i2-5i3 : lettres du 20 févr. 1639. Voir enfin t. V, outre le passage cité ci-dessus, note a, p. 533 et p. 536 : fin des lettres du 26 févr. et du 5 mars 1639. Tout cela confirme la conjecture, que la lettre cl, t. II, p. 452, s'adresse bien à Debeaune; et Descartes l'avait annoncée à Mersenne, ibid., p. 466, 1. 22-25 (lire par conséquent 1. 25 : Petit ou Février (?), et non pas Roberval). Pourtant, voir aussi t. III, p. 286, 1. 7-17 : du 21 janv. t64i-

Vie de Descartes. Sa

�� � 2^o Vie de Dkscartes.

vertes du philosophe'. Plus tard, ce fut lui, semble-t-il, autant que Mersenne, qui, en considération de cela, voulut pour l'ouvrage de lôSy un privilège au-dessus de l'ordinaire, et fit auprès du chancelier Séguier des démarches pour l'obtenir ^ Il était prêt à en faire auprès de Richelieu lui-même, pour que le cardinal-ministre s'intéressât à la construction des lunettes. Descartes dut modérer ce zèle : il n'était pas assez sûr du succès, et il avait trop peur qu'un échec retentissant en cette matière ne jetât le discrédit sur lui-même et sur sa philosophie '^. Néan- moins il croyait toujours, pour les lentilles, à la supériorité de l'hyperbole ; et théoriquement, il avait raison, bien qu'on n'ait pu la faire réussir dans la pratique. Lui parlait-oii d'une lunette merveilleuse, celle de l'Italien Fontana, par exemple, à Naples : ilassurait que les verres devaient être hyperboliques, tandis qu'il s'était moqué de Petit, qui les préférait sphériques". Mais Mersenne lui-même l'étonna encore davantage : le bon religieux continuait de se servir, pour observer le ciel, d'un seul verre convexe, sans se rendre compte qu'il en fallait deux pour une lunette, un convexe et l'autre concave; aussi ne vit-il rien du tout de l'éclipsé observée le i juin lôSg '. On

a. Tome X, p. 5 5o-55i. Nous adoptons, pour la signature de cette note, D. A. L. G., l'interprétation : Des Argues Lyonnois Géomètre. Voir à ce sujet t. XI, Errata, p. viii

b. Tome I, p. 391, 1. 16-19, ci t. II, p. 3i, 1. 5-8 : lettres du 22 fuin 1637 et du \" mars i638.

c. Tome I, p. 5oo-5oi, et t. II, p. 3i, 1. 9-12, et p. i5 1, 1. 14-19 : lettres du 25 janv., du \" mars et du 17 mai i638.

d. Tome II,p.493,l. 5-i2, et p. 5i3,l. 19-25: lettres du 20 février 1639.

e. Ibid., p. 145, I. i3-i4 : lettre du 17 mai i638.

f. Ibid., p. 562, I. 9 : lettre du 19 juin r639. Voir le P. Fournier, Hydrographie, 1643, p. 582-583 :

« Eclipfe du Soleil du i. de luin 1639, obferuéc à Paris : i» par Mon- » fieur de Roberual, Profclfcur en Mathématique, Monfieur le Threfo- » riér Mydorge & le R. P. Petaut lehiire ; 2° Monfîeur Beaugrand, » Secrétaire, aiïiHé de Mcfficurs le Prelident l'alcai iS( Monfieur Hardi, » Confeiller au Chaftelet ; 3" Monfieur Bouillaud. ">

« Obferuée h Blois par Monfieur de Beaune, Confeiller du Roy, l'vn » des bons efprits & des meilleurs Mathemaiiciens de l'Europe. )i

« A La Flèche : les Pères Vaticr, Dcriennes & Fournier, tous trois

�� � a les noms des observateurs à Paris, à La Flèche, à Blois : on y chercherait en vain le nom de Mersenne.

Mais la polémique de beaucoup la plus importante, parce qu’elle contribua grandement aux progrès des sciences mathématiques, fut celle de Descartes avec les mathématiciens. L’histoire en est assez compliquée, et on a grand peine à en démêler les fils qui s’entrecroisent en bien des sens divers. Elle commence par une « friponnerie" », dira Descartes, dont le coupable était, à ses yeux, Jean de Beaugrand, bien que Mersenne fût aussi complice. Le mot nous semble gros, pour un méfait, somme toute, assez peu grave. Le 5 janvier 1637, Huygens avait envoyé à Paris les épreuves du Discours et des Essais, pour obtenir d’abord le privilège nécessaire à l’impression et non pour autre chose. Mersenne ne put se tenir de communiquer auparavant ce texte si impatiemment attendu à quelques curieux, entre autres à Beaugrand. Celui-ci le garda quelque temps, et le privilège en fut retardé jusqu’au 4 mai. Descartes s’imagina qu’on avait voulu étouffer l’ouvrage avant sa naissance, et Beaugrand paya cher ce qui n’avait été de sa part qu’une petite indélicatesse. Il avait publié, en 1636, une dissertation latine, intitulée Géostatique, sur les variations du poids des corps pesants, selon qu’ils se trouvent plus ou moins proches du centre de la terre . Ce fut d’ailleurs une déception, même pour ses amis : Fermât dut en convenir, bien que la proposition qu’il substituait à celle de Beaugrand ne valût pas mieux. Mersenne offrit à Descartes de lui envoyer cette Géostatique.

» Profeffeurs des Mathématiques, s’eftants rencontrez en ce temps au Collège Royal de La Flèche, obferuerent feparement la mefme Eclipfe.

» Obferuée à Aix par Monlieur Gaffand. »

a. Tome II, p. 84-83; p. ijS, 1. 9-ro ; p. 272, 1. 5-7 : lettres du 31 mars, 29 juin et 27 juillet 1638.

b. Tome I, p. 36i, note <j. Voir P. Duhem, Les Origines de la Statique (Paris, Hermann, 1905), t. I, p. 290-359, chap. xm et xiv : La Statique française. 2^2 Vie de Descartes.

Gelui-ci accepta sans empressement ; il se méfiait de ce qui pouvait venir de celui qu'il appelait dédaigneusement le « Géostaticien ». Beaugrand, piqué au vif, lui rendit la pareille, et ne l'appela lui-même, du titre du Discours de la Méthode, que le « Méthodique » et même le « Méthodique » impertinent" ». C'est qu'en effet, sitôt que Descartes eut entre les mains la Géostatique, enfin apportée en Hollande par un domestique qui lui venait de France, « le Limousin », en juin i638 : « jamais, dit-il, il n'avait vu tant d'erreurs jointes » ensemble en une seule proposition » ; et il ne ménagea pas les épithètes à un livre « si impertinent, si ridicule et si » méprisable ». Il voulut plus tard retirer ces paroles, qui lui étaient échappées, il l'avoue, en souvenir de l'ancienne « fri- » ponnerie » de l'auteur '^^; mais Mersenne, un peu à l'étourdie et sans grande discrétion, les avait déjà laissé voir à Beau- grand, qui ne pardonna pas. Il eut même à l'endroit de Des- cartes des insinuations perfides : il aff^ecta de l'appeler aussi « le soldat philosophe», miles philosophus "^ : c'était, on s'en souvient, le nom qu'avait pris Antoine de Villon, l'un des trois compagnons condamnés à Paris en 1624 pour leurs dange- reuses nouveautés. Toutefois, cette communication de la

a. Tome V, p. 5o3, 5o6, 5 10, etc.

b. Tome II, p. i83, 1. 20-22, et p. 189, 1. 8-9. Critique du livre de Beaugrand : p. 182-189. Voir aussi, p. 190, 1. 14-15 : lettre du 29 juin i638.

c. Ibid., p. 271-272 : lettre du 27 juillet i638. La preuve que Beau- grand en avait eu déjà connaissance, se trouve dans la lettre de lui, publiée au t. V, p. 504. Voir aussi, pour la lettre xcvii bis de Des- cartes, t. I, p. 479, L 2-7 et 21-22, et p. 480, 1. 7-1 3, le 3« des pamphlets de Beaugrand, publics par Paul Tannery, La Correspondance de Des- cartes (Paris, Gauthicr-Viliars, 1893), p. 5o-5i.

d. Second factum de Beaugrand, publié par Paul Tannery, /oc. cit., p. 44. Voir aussi- t. III, p. 137. Et ci-avant, p. 86, note a. Il est encore question du « foldat philofophe » dans le petit livre, EJfays de lean Key Dodeur en Médecine fur la recerche (sic) de la caufe pour laquelle l'EJlain' & le Plomb augmentent de poids quand on les calcine (A. Bazas, par Guillaume Millanges, i63o, in-i8, pp. 144), ou plutôt dans les lettres qui accompagnent la réédition de ce livret, par Gobet, en 1777.

�� � Polémiques. ^2^3

Géostatique à Descartes nous a valu de celui-ci un « Examen » de la même question, ou un petit écrit de Statique, comme il l'appelle, ou encore de Mécanique, qu'il envoya à Paris, le i3 juillet i638°. Laissant la Beaugrand, notre philosophe reprend le problème pour son propre compte, et le traite selon ses principes.

C'était le second écrit de ce genre. L'année précédente, Huygens, se trouvant à l'armée qui assiégeait Bréda, lui avait demandé, le 8 septembre, un petit traité « sur les fondements » de la mécanique, et les quatre ou cinq engins qu'on y » démontre». II voyait là sans doute un utile complément à la Géométrie un peu abstraite de son ami ; en bon Hollandais, il s'intéressait aux travaux publics et aux machines pour élever les eaux, si nécessaires au pays de Hollande. Descartes lui répondit sans retard, le 5 octobre, par une lettre qui est un véritable traité'; l'autographe, conservé précieusement par Huygens, se trouve encore dans la collection de ses papiers à Leyde. Le philosophe énonce d'abord, brièvement, son prin- cipe; puis il passe en revue successivement la poulie, le plan incliné, le coin, la roue ou le tour, la vis, et enfin le levier. Huit mois après, lorsque Descartes reprit la question pour ses amis de France, après ceux de Hoiiande, il insista davantage sur le principe; il le fit précéder et suivre de considérations propres à l'établir ; il y revint même dans une lettre suivante, du 12 sep- tembre i63S, pour 'expliquer encore, et déclara nettement

a Tome II, p. 222-245 et p. 247, 1. i3-i4'.

b. Tome I, p. 396-397, notamment, p. 396, 1. 25-27. O" lit dans Mer- senne, La Vérité des Sciences, 1625 : « La Mechanique denend de la » Géométrie, d'autant qu'elle parle de la quantité ou grandeur de toutes » fortes de forces mouuantes, de poids, de mouuemens, & de temps. Ses » principaus engins font la balance, le leuier, les moufHeg ou poulies, la » grue, l'engin & tout ce qui s'i raporte, comme lo coin & la vis. Ceus » qui s'exercent en cet art font appelez ingénieurs. Cette fcience nommée » par les Grecs 15 xtôv [Aa-cYavapiôiv [AT|^aviu.âTa)v -zi/vi], l'art de faire des » machines pour éleuer toutes fortes de fardeaus, quelques grans, & » quelques pefans qu'ils foient... » (Page 23o.;

c. Ib'd., p 4^32-435 et p. 435-447.

�� � 254 Vie de Descartes.

que la poulie, le plan incliné et le levier (il n'a pas examiné d'autres a engins » dans son second écrit) ne viennent là que pour servir d'exemples, sans lesquels son écrit eût semblé « trop sec et trop stérile » ; mais le principe est si clair, de soi, qu'il n'a besoin d'aucune preuve^. Nous sommes avertis: la partie essentielle, capitale pour lui, c'est la partie purement théorique, l'établissement du principe lui-même.

Le premier titre, en octobre lôSy, était ; Explication des engins par l'ayde desquels on peut, avec une petite force, lever un fardeau fort pesant. Descartes a le même objet en vue l'an- née suivante, bien que le nouveau titre : Examen de la ques- tion géostatique, donne un peu le change, et annonce des consi- dérations sur les centres de gravité des corps et les variations de pesanteur selon la distance de ceux-ci au centre de la terre. Le philosophe écarte sagement ces considérations, ou du moins ne s'y attarde pas, toujours « faute d'expériences ». Mais c'est la même chose, dit-il, d'élever de 2 pieds un poids de loo livres, ou d'un pied un poids de 200, ou de 4 un de 5o; dans les trois cas, et dans tous les autres du même genre, le travail est le même, comme on dirait aujourd'hui ; on se trouve en présence d'une quantité cou -tante. Et voilà, en quelques lignes, tout son principe.

On le jugea trop simple à Paris. Descartes ne tenait compte que de deux choses : le poids, d'un côté, et de l'autre, Vespace que mesure le corps en s'élevant. Mais le temps employé ? Et la vitesse surtout, avec laquelle le corps s'élève ? Descartes y avait bien pensé ; mais, systématiquement, il exclut les consi- dérations de temps et de vitesse, bien que conformes à la tra- dition de l'École (ou peut-être même à cause de cela) : c'eût été une complication en pure perte. Galilée, cependant, insistait sur la vitesse, et Descartes le savait bien, au moins par ouï- dire. Mais quoi ? il n'approuvait pas en cela Galilée. Et Stevin non plus, et encore moins Roberval, n'étaient ses maîtres en

a. Tome II, p. 358, 1. i-i6 : lettre du 12 sept. i638.

b. Ibid., p 228, 1. 10-21. Voir aussi t. I, p. 435-436.

�� � Polémiques. 2 ^ ^

cette matière. Descartes avait lu la Statique de Stevin, au moment où il rédigeait son second écrit, sinon même après, par hasard et sans doute à la hâte». Il eut aussi connaissance par Mersenne, mais cette fois après coup, d'un opuscule de Roberval sur la mécanique: bien des choses s'y trouvaient, qu'il n'y vit pas, soit qu'il ne voulût pas les voir, ou qu'il n'en prît pas la peine. Un seul point le frappa: c'est que l'auteur parlait du temps et de la vitesse. C'était assez : Descartes referma le livre, et il n'en fut que plus affirmatif sur son prin- cipe. Ami des idées claires et distinctes, il retrouvait cette clarté et cette distinction dans la considération de l'espace, mais nullement de la vitesse, laquelle, disait-il, suppose la connais- sance de la pesanteur, et de tout le système du monde'. En France, même le mathématicien le plus favorable à Descartes, Florimond Debeaune,eut quelques scrupules. Mersenne qui, dès le i" août, avait remercié Descartes de sa Statique^ en envoya une copie à Blois. Dans une lettre du i3 novembre, Debeaune y donne franchement son approbation. Il approuve la consi- ération de l'espace, et nous verrons aussi tout le reste ; il regrette cependant qu'on laisse de côté la vitesse, et pense

a. Tome II, p. 247, 1. 14-15 : lettre du i3 juillet !638.

b. Ibid., p. 390, 1. i5, à p. Bgi, 1. 12 : lettre du 1 1 oct. i638. « Je viens » de lire le Traitté de Mechanique du (leur Roberual », dit Descartes, et cela pour vérifier si celui-ci, comme il le prétendait, avait dit la même chose que lui dans son écrit de statique. Donc Descartes ne l'avait point lu auparavant. Et pourtant, il eut entre les mains, l'hiver précédent, le livre de Mersenne, V Harmonie Vniuerfelle, où le petit traité de Rober- val est imprime : voir t. II, p. i5o, 1. 19-20, lettre du 17 mai i638, et t. X, p. 572-573. Mais peut-être aussi l'opuscule de Roberval ne se trouvait point dans tous les exemplaires de L'Harmonie Vniuerfelle?

c. Tome II, p. 353-355; p. 391, 1. 9-12; p. 433-434; p. 543-544 : lettres du 12 sept., i5 nov. i638, et 28 avril 1642. Surtout la phrase, p. 355, 1. 5-8, que nous résumons. Voir aussi t. III, p. 614, 1. 1-28 : lettre du 2 févr. 1643, avec des expériences à l'appui de son opinion sur la vitesse.

d. Tome V, p. 520, même lettre. Lire tout l'alirtéa : « Pour le regard » du principe de M' Des Cartes. . . belles & excellentes chofes d'un tel » efprit. »

�� � pouvoir l’expliquer par ses principes, et l’introduire ensuite dans un Traité de Mécanique de sa façon. Descartes y fut trompé d’abord : il se crut en présence d’un partisan de la vitesse selon Galilée, et déclara que Debeaune se mécomptait[288]. Mais lorsqu’il sut ensuite que celui-ci avait une autre doctrine, il voulut bien l’examiner ; et ce lui fut une occasion de faire connaître lui-même quelque chose de ses pensées. Il maintint d’ailleurs que la considération de l’espace seul et du poids suffisait à établir le principe de la Statique[289].

Il est amené à éclaircir de même cette autre idée de force qui, jointe à celle de l’espace parcouru, constitue le principe : il veut dire la force ou puissance qui sert à élever un fardeau à l’aide d’un engin : ce qui doit dissiper tout malentendu. Le terme de force, en effet, était l’un des plus usités dans la terminologie scolastique, et de ceux aussi dont on abusait le plus. Il exprimait une notion confuse, empruntée à l’union de l’âme et du corps : par exemple, la force que déploie un homme pour soulever un fardeau, laquelle n’est point exactement mesurable ; l’épreuve actuelle que cet homme fait de sa force, n’épuise pas celle-ci, et il en a une réserve qu’on ne saurait non plus calculer ; deux choses sont ici mêlées, une action qui produit un effet utile au dehors, et un sentiment intérieur d’effort plus ou moins pénible. Tout autre est la force dont parle Descartes : ce sont les 200 livres au moment où ils font monter le fardeau à la hauteur d’un pied, ou bien les 50 livres qui le haussent de 4 pieds ; c’est la force appliquée, au moment même où elle s’applique, qu’elle provienne d’un homme, ou d’un instrument inanimé, poids ou ressort. Le philosophe restitue ainsi au mot de force un sens tout matériel, ou plutôt mécanique ou mathématique, qui le rend susceptible d’une mesure exacte, et d’être introduit dans un rapport, dans une proportion : c’est le nombre qui, multiplié par la dimension de Polémiques. 257

l'espace parcouru, donnera un produit constant". Debeaune, dont l'esprit n'était pas encombré, comme tant d'autres, par les entités de l'École, avait bien entendu ainsi la force : avant même d'avoir reçu à Blois cette explication nécessaire, il approuvait hautement ce que Descartes appelait « la force » appliquée •> ».

Il avait compris encore une autre innovation du philosophe, conséquence des précédentes : c'était de réduire le mouvement étudié à des dimensions S à deux seulement, dont l'une cor- respond à la hauteur où le fardeau est soulevé, c'est-à-dire à l'espace parcouru, et l'autre précisément à la force appliquée ou au poids qui soulève. Descartes en fut ravi : un homme enfin se rencontrait, qui comprenait d'emblée les avantages de sa méthode ; car ces deux dimensions s'expriment elles-mêmes par des lignes, et leur rapport s'exprime par un rectangle, autant de rectangles qu'il y a de rapports, et tels que le produit des côtés demeure toujours le même, 2 multiplié par 100, ou 4 multiplié par 5o, etc. <*. Mais si l'on considérait encore la vitesse, ce serait (outre les inconvénients déjà signalés) une troisième dimension, qui s'ajouterait aux deux autres ; et cette considération nouvelle, introduite dans le principe, en compromettrait la simplicité irrémédiablement. Toutes ces idées sont reprises par Descartes dans sa même lettre du 12 septembre i638, et exposées tout au long, avec une explication supplémentaire du plan incliné ', laquelle met bien en lumière les deux dimensions examinées, le rectangle construit en conséquence, bref, la représentation géométrique (en attendant qu'elle devienne algébrique) de notions méca- niques, qu'il a su enfin rendre intelligibles.

a. Tome II, p. 35;, 1. 12-27, «« P- 432. I. 7, à p. 433, 1. 8 : lettres du 12 sept, et du i5 nov. i638.

b. Tome V, p. 526 : lettre du i3 nov. i638.

c. Ibid.No'ir aussi t. II, p. 5i8, 1. 10-14, et p. 542-543 : lettres du 20 févr. et du 3o avril i63g.

d. Tome II, p. 352, i. 14, à p. 353, 1. 5 ; p. 354, 1- 28, à p. 355, 1. 2 : lettre du 1 2 sept. i638.

e. Ibid., p. 358, 1. 17, à p. 36o, 1.5.

Vie de Descartes. 33

�� � 2^8 Vie de Descartes.

Il pousse même une pointe hardie, comme cela lui arrive souvent, dans un sens ou cette fois on ne paraît pas l'avoir suivi. Il indique d'un mot, mais en insistant, que la pesanteur relative d'un corps doit se mesurer par le commencement du mouvement : « Notez que je dis, lorsque le corps commence » à descendre, et non lorsqu'il descend ". » C'était comme une lueur jetée sur l'infiniment petit. Et il ne s'agissait pas seule- ment d'écarter une fois de plus la considération de la vitesse : le philosophe avait ici le sentiment juste du (Caractère infinité- simal du mouvement en question *>. Mersenne ne comprit pas l'importance de cette remarque, lorsqu'il la reproduisit plus tard dans un de ses ouvrages'.

Il avait été, en effet, si frappé de ce petit écrit de Statique, qu'il parla aussitôt de le faire imprimer. Descartes s'y refusa d'abord ; ou du moins il recommanda de supprimer quelques lignes à la fin, qu'il avait écrites à moitié endormi '^. Mersenne ne donna pas de suite immédiate à son projet ; mais quatre ou cinq ans plus tard, lorsqu'il s'occupa de réunir en un volume ses Cogitata Physico-Mathematica, il demanda de nouveau à Descartes, le 2 février 1643, la permission d'y insérer sa Sta- tique, et Descartes y consentit*. Le livre parut en avril 1644 : la longue lettre du i3 juillet i638, et une partie de celle du 12 septembre s'y retrouvent en latin, et sans que l'auteur soit nommé ^ Mais Mersenne n'en donne que la partie qu'il jugeait la plus intéressante pour ses lecteurs, et qui n'était pas, tant s'en faut, la plus importante : il traduit les4)assages sur le

a. Tome II, p. 2j3, 1. 25-3o: lettre du i3 juillet i638.

b. P. DuHEM, Les Origines de la Statique (Paris, Hermann, igoS), t. I, p. 337-338 et p. 35o.

c. Tome X, p. 596.

d. Tome II, p. 592, 1. 3-23 : lettre du 11 oct. i638.

e. Tome III, p. 6i3, 1. 22-27.

f. Tome X, p. 595-597. Les Cogitata reproduisent (en le traduisant} le texte de Descartes dans l'ordre suivant : le levier [veâis], la poulie [trochlea\ et le plan incliné (plaiium inclinatum) : Prop. III, VII et IX. — Aux pages 5q5 et 596 de notre édition, lire partout /. // (au lieu de

��i

�� � Polémiques. 2^9

levier, sur le plan incliné, sur la poulie, sans même suivre l'ordre de Descartes, sans non plus les laisser ensemble, et surtout sans y joindre le principe essentiel que Descartes énonçait d'abord, ni les explications d'une importance capitale qu'il y avait ajoutées. Une publicité aussi défectueuse ne ser- vait qu'à demi les intérêts du philosophe ; une fois de plus, le bon religieux, dont Tesprit n'était qu'un pêle-mêle incroyable d'idées de toute sorte, montrait pour son ami plus de zèle que de discernement.

Ce n'est pas la seule fois qu'il agissait ainsi. Beaugrand, nous l'avons vu, avait obtenu de lui les épreuves du livre de Descartes en 1637, au grand déplaisir de ce dernier. Il ne garda même pas pour lui cette faveur ; il en fit part à un conseiller au Parlement de Toulouse, excellent mathématicien, Pierre de Fermât. Celui-ci s'attaqua d'abord à la Dioptriqite, et combattit les démonstrations de la réfraction et même de la réflexion \ Il se tenait d'ailleurs sur le terrain scientifique, et engageait un corps à corps qui ne déplut pas à son adversaire. Mais afin de montrer à Descartes à qui il avait affaire, Mer- senne joignit aux objections contre la Dioptriqite, un écrit de Fermât, De Maximis et Minimis, où celui-ci donnait une méthode pour trouver les tangentes des lignes courbes, comme si notre philosophe avait omis une matière de cette importance. Aussitô la querelle dévia, mais pour prendre autrement d'am- pleur. Descartes répondit qu'il avait traité cette matière dans sa Géométrie, et qu'on n'avait pas su l'y voir. Il n'en était pas surpris d'ailleurs : son procédé était si différent. Les géo- mètres du temps aimaient à se rattacher aux Anciens, conser- vant leur terminologie, les maxima et minima, par exemple, reprenant les débris de leurs oeuvres pour les réparer, comme on faisait des ruines des monuments antiques, mettant leurs propres ouvrages sous la protection d'un grand nom : Apol-

a. Tome I, p. 355-363 : Fermât à Mersenne.

b. Ibid., p. 486-490 et p. 493-495.

�� � 26o Vie de Descartes.

lonius Galtus, disait Viète, Apollonius Batavus, disait Snellius, et en Italie Getaldus, Apollonius redivivus^. Au contraire, Descartes, à l'égard du passé, entendait rester libre et indé- pendant, et ne rien lui devoir, pas même les termes dont il se servait, pour les problèmes qu'il se posait à lui-même. On pouvait donc ne pas reconnaître ceux-ci sous leur air de nou- veauté ; ou bien on ne croyait pas à cette nouveauté, et on cherchait à y retrouver quand même, comme sous un dégui- sement, les idées de ses prédécesseurs. Descartes revendiqua donc la supériorité de sa méthode sur celle de Fermât pour les tangentes ; il critiqua vivement celle-ci, et pour les mettre toutes deux à l'épreuve, il proposa un nouveau problème, qu'il se faisait fort de résoudre aisément par sa méthode; et il mettait au défi d'en venir à bout avec celle qu'on lui vantait. Mersenne aurait dû, peut-être, envoyer directement cette réponse à Fermât, au fond du Languedoc. Il préféra la montrer d'abord aux géomètres de Paris, et ce fut ainsi que Roberval fut engagé dans la querelle ^ Mersenne eut tort, certainement, aux yeux de Descartes. Mais est-ce à nous à le regretter ? Entre Descartes et Fermât, la discussion avait des chances de demeurer courtoise, et on se serait mis assez vite d'accord. Mais Roberval, dont la rusticité et la pédanterie ne sont que trop connues"*, ne pardonnait pas à Descartes de ne pas l'avoir

a. Tome I, p. 478, 1. 18-21, et p. 491, 1. 13-24. Voir ci-avant, p. 209- 210.

b. Ibid., p. 490,1. 1 5, à p. 491, 1. 12. C'est ce qu'on appellera \efolium de Descartes, ou le «^galand » de Roberval, p. 495.

c. Le premier écrit de Roberval pour Fermât contre Descartes est malheureusement perdu. Descartes y répondit, t. II, p. i-i5, lettre du i" mars i638.

d. « Il étoit né le 8 d'Août de l'an 1602, non dans le diocéfe de Soif- » fons, mais dans celuy de Beauvais, quoique fa mère eût été furprife » dans les champs de celuy de SoilTons, où elle faifoit la moiffon. Il » s'appeloit Gille Perjonne; mais étant venu à Paris, il prit le nom de )i Roberval, lieu de la demeure de fes parents. S'étant trouvé en état » d'enfeigner les Mathématiques, il avoit obtenu la chaire qui s'appelle » de Maitre Gervais à Paris, l'an i632, & dix-huit mois après il avoit » emporté à la difpute celle de Ramus, qu'il remplit jufqu'à la mort [en

�� � Polémiques. 261

compris parmi ceux à qui il fit présent de sa Géométrie. Ce fut donc entre eux une lutte violente, ou ils échangèrent force coups . mais chaque coup donné ou rendu marquait un point acquis au progrès de la science. L'affaire prit les allures d'un duel : du côté de Fermât, deux géomètres se portèrent en avant, Roberval et Etienne Pascal", qui d'ailleurs se retira presque aussitôt, forcé de se cacher à la suite d'une petite émeute de rentiers auxquels on supprimait un quartier de leurs rentes. Descartes constitua aussi ses seconds, qui devaient être arbitres du combat : les mathématiciens Hardy et Mydorge , tous deux autrefois ses amis à Paris. Au fond, on ne s'entendit point, parce qu'on ne voulut point s'entendre"^. Descartes affectait de prendre à la lettre la démonstration de Fermât, et profitant d'une petite lacune qui s'y trouvait, il montra qu'on pouvait dire la même chose de l'ellipse et de

» marge: arrivée en i6yS], quoiqu'il en eut encore une autre au Collège » Royal après M. Morin [en marge : ou M. Gaflendi félon d'autres]. » (Baillet, t. I, p. 3o4-3o5.) Nous avons donné la suite de ce passage, t. I, p. 5ig, et t. II, p. 14, où Baillet indique la cause de l'animosité de Roberval contre Descartes. Voir aussi t. I, p. 288, 1. 25, à p. 289, 1. 1.

Voici encore une curieuse anecdote, tirée d'une lettre d' « Ism. Boul- » liau à Chriftiaan Huygens », Paris, 6 déc. i658 : « Pour Monfieur de » Roberval, il a faid une fottife chez Monfieur de Montmor, qui ell » comme vous fçavez homme d'honneur & de qualité. Il a efté fi incivil » que de luy dire dans fa maifon, s'eftant picqués fur une des opinions » de Monfieur des Cartes que Monfieur de Montmor approuvoit, qu'il » avoit plus d'efprit que luy, & qu'il n'avoit rien de moins que luy que » le bien & la charge de Maiftre des requeftes ; & que, s'il eftoit Maiftre » des requeftes, qu'il vaudroit cent fois plus que luy. Monfieur de » Montmor, qui eft très fage, luy dift, qu'il en pourroit & devroit ufer plus » civilement, que de le quereler & le trai£ler de mefpris dans fa maifon. » Toute la compagnie trouva fort eftrange la rufticité & pédanterie de 1) Monfieur de Roberval. » {Œuvres de Huygens, t. II, p. 287.)

a. Tome II, p. 104-114 : second écrit de Roberval (et d'Etienne Pascal ?).

b. Ibid., p. i3, 1. 14-17, et p. i5-23.

c. C'était l'avis de Desargues, que Descartes eût pu aussi prendre pour arbitre. Voir la lettre retrouvée du 4 avril i638, à la fin de notre tome XI. Errata, p. ii-viii. Voir enfin ci-avant, p. 222-223.

« 

�� � l’hyperbole, que Fermat disait de la parabole[290] : preuve que la méthode ne valait pour aucune de ces figures, semblable à ces étrivières qu’on peut allonger ou raccourcir à volonté. Au contraire, elle devenait bonne pour toutes, si elle était un peu corrigée ; et Descartes fait lui-même la correction. Mais il ne la livre pas tout de suite à ses adversaires, et se contente de la confier à ses deux seconds[291]. Il assure que précisément le point que lui-même avait indiqué dans sa Géométrie pour sa propre méthode, suffit à rendre l’autre bonne.

Il s’agissait toujours de la théorie générale des tangentes ; mais d’autres questions vinrent bientôt s’y ajouter. D’abord, pour ne pas demeurer en reste avec Descartes, et peut-être pour se donner le temps de résoudre le problème qu’il avait proposé, on lui en proposa à lui-même plusieurs autres, pour l’éprouver. Ce fut d’abord, de la part de Fermat, le problème du centre de gravité du conoïde parabolique[292]. Là Descartes se montra vraiment supérieur. Plus tard il remarqua que ce problème avait été résolu déjà par Stevin[293] (et la remarque était de bonne guerre avec des gens qui lui reprochaient sans cesse à lui-même de ne faire que démarquer Viète). Séance tenante et sans délai, il résout non seulement la question proposée, mais toute une série de questions semblables qu’il y ajoute, donnant les centres de gravité, donnant les aires, donnant les tangentes, attestant ainsi sans aucun doute possible la valeur générale de sa méthode[294]. Il fait même mieux : il donne tout cela à résoudre au jeune Gillot, autrefois son domestique, instruit par lui aux mathématiques, et devenu un camarade Polémiques. 265

et comme un frère'. Rien ne pouvait dépiter davantage les géomètres de Paris. Mais Mersenne fut enthousiasmé de la réponse de son ami. Il n'attendit point, comme pour la 5/^- tique; il l'inséra aussitôt, bien que sans nommer l'auteur, dans la préface d'un ouvrage qu'il imprimait, et qui parut l'année suivante, en lôSg, Les Nouvelles Pensées de Galilée^; ce qui ne l'empêcha pas de l'insérer encore, traduite en latin cette fois, dans ses Cogitata de 1644'. Descartes eut ainsi pour cette question, et sans retard, grâce au bon religieux, les honneurs de la publicité.

D'autres questions lui furent posées, qui étaient fort à la mode en ce temps-là : parties aliquotes des nombres, nombres amiables, nombres parfaits, et diverses propriétés pour les- quelles on s'était adressé à un maître en la matière. Jumeau de Sainte-Croix . Descartes répondit à tout, de façon à satis- faire, et au delà, ce juge réputé. Pourtant il déclare qu'à la date de i638, il ignorait ce qu'on entendait par les parties aliquotes d'un nombre, et dut, pour s'en instruire, emprunter un Euclide*: il n'en avait point dans sa bibliothèque. Et dès le 3i mars, il envoyait une règle générale, qui étonna à Paris. Bien qu'il ne se fût pas occupé de questions numériques depuis dix-huit ans, dit-il encore ', il voulut bien s'y remettre, et y appliquer son analyse : les effets furent merveilleux. Non seulement il ajoutait de nouveaux nombres amiables, à ceux que Ton connaissait déjà; mais, pour chaque question, il ne

a. Tome II, p. 145-146 et p. 149-150 : lettre du 17 mai i638.

b. Tome X, p. 56 1 -563. Corriger, p. 563, 1. 8 : 164-;, en 1644.

c. Ibid., p. 592-595.

d. Tome II, p. 93-94, p. 148-149 et p. 149; p. 158-167; P- zSo-zSz; p. 254-257 et p. 273-274; p. 337-338; p. 427-430, et p. 472. Lettres du 3i mars, 17 mai, 3 juin, i3 et 27 juillet, 23 août et i5 nov. i638; du 9 janv. 1639.

e. Ibid., p. 472, 1. 1-3 : lettre du 9 j'anv. 1639. C'est a propos des nombres, qu'il dit que « chaque trait de plume luy apprend quelque » Théorème femblable », p. 428, 1. i-3. Et il se félicite que « fon Ana- » lyfe » réussisse là comme ailleurs, p. 25o, 1. 17-19, et p. 429, 1. 6-7.

f. Ibid., p. 168, 1. 5-1^ : lettre du 3 juin i638.

�� � 264 Vie de Descartes.

manquait pas d'indiquer la méthode générale qui permet- tait de découvrir des séries indéfinies, là où jusqu'alors on avait eu tant de peine à trouver quelques cas isolés. Et tout cela avec une virtuosité, que seul rebutait ensuite le travail du calcul : il s'en remettait alors au fidèle. Gillot^', lorsque Fermât demeurait court ; c'était sa façon de montrer le peu de cas qu'il faisait lui-même de pareilles questions. On ne pouvait être plus dédaigneux, et le gentilhomme reparaît ici au travers du mathématicien. Mais Mersenne recueillait précieusement ces nouvelles découvertes, et leur faisait place, entre autres à la règle donnée le 3i mars i638, dans ce même ouvrage qu'il avait en préparation, et qu'il publia en 1639. Il soignait de mieux en mieux la réputation de son ami.

Roberval cependant, très fier de quelques problèmes résolus par lui, demanda à Mersenne de les envoyer à Descartes, toujours afin d'éprouver sa méthode : en particulier le pro- blème de la roulette, ou de l'espace compris entre le plan hori- zontal et la courbe décrite au-dessus par le point d'une roue qui fait un tour entier, depuis le moment où ce point quitte le sol jusqu'au moment où il le rejoint. L'envoi est du 28 avril lôSS*^. Le 17 mai, Descartes y répondit : la question lui paraît assez belle, mais elle est vraiment trop simple ; et qui s'émer- veille de l'avoir trouvée, lui fait l'efiFet d'un homme qui coupe une pomme en deux, et admire ce qu'il voit dedans '^. L'espace compris entre cette courbe et le plan horizontal, est juste trois fois le cercle qui la décrit : il le démontre succinctement,

a. Tome II, p. 149, 1. 20-23, et surtout p. 195-196 : lettres du 17 mai et du 29 juin i638.

b. Tome X, p. 56i et p. 563-566. Corriger, p. 565, 1. 4 (note) : t. I, au lieu- de t. II. Mersenne avait déjà parlé, dans La Vérité des Sciences contre les Septiques, 1628, du nombre 120 et de ses parties aliquotes (p. 332). Il les disposait ainsi :

120. 60. 40. 3o. 24. 20. i5. 12. 10. 8. 6. 5. 4. 3. 2. I.

I. 2. 3. 4. 5. 6. 8. 10. 12. i5. 20. 24. 3o. 40. 60. 120.

Ces nombres, se multipliant les uns les autres, font tous le nombre 120.

c. Tome .JI, p. 116-H7.

d. Ibid.,p. 135-137. Surtout p. i35,l. 14, et p. 137, 1. 4-8.

�� � Polémiques. 26^

suivant la méthode analytique. Roberval avoua ne pas bien comprendre. Descartes, qui s'attendait sans doute à cet aveu, reprit sa démonstration, et la développa, suivant la méthode synthétique, le 27 juillet». 11 ne s'en tint pas là. Après avoir ainsi démontré l'aire de la roulette, il envoya, un mois après, le 23 août, une démonstration fort courte et fort simple, de la tangente de cette courbe, faisant remarquer qu'elle n'avait pas dû trouver place dans sa Géométrie, qui ne traitait que des courbes géométriques : or la roulette est une de ces courbes qu'il appelait mécaniques, ce qui n'empêchait pas d'ailleurs sa méthode de s'étendre au besoin jusque-là, et il le prouve pré- sentement. De son côté, à Toulouse, Fermât avait aussi trouvé la tangente de la roulette, et parlait de chercher maintenant le solide. Mais Descartes refuse d'aller plus loin % ayant d'autres occupations en effet. Toutefois il approuve la démons- tration de Fermât pour la tangente  ; il le dit à Mersenne, il le dit à Fermât lui-même, et c'est peut-être la première fois qu'il adressait à son émule un compliment sincère ; d'habitude, en homme de l'ouest, sinon du nord de la France, il parlait plutôt avec un certain mépris de ce méridional : « Monsieur » Fermât est Gascon », disait-il, « moi non^ ». Par contre, il ne voulue approuver aucune des cinq ou six démonstrations de la même tangente, que Mersenne lui envoya successivement de la part de Roberval ^ : il en était excédé à la fin, comme du

a. Tome II, p. 257-263. « Ce que i'ay mis icy fort au long, affin de » pouuoir eftre entendu par ceux qui ne fe feruent point de l'analyfe, peut » eftre trouué en trois coups de plume par le calcul », ajoute-t-il, p. 2Ô3, 1. 4-7. Voir aussi p. 400, i3-2i : lettre du 11 oct. i638.

b. Ibid., p. 3o8-?i3, et p 00, 1. 21-29.

c. Ibid., p. 395, 1. 20-23 etire du ii oct i638. Tome III, p. 8, 1. i3-ig, et p. 5o, 1. 21-23 : lettres du 29 Janv. et du i" avril 1640.

d. Tome II, p. 394, 1. i-5, et p. 406-407 :lettres du 1 1 octobre. Pour- tant il l'avait fort mal jugée d'abord, p. 333, 1. 9-21 : lettre du 23 août.

e. Témoignage de Schooten fils à Christian Huygens : lettre du 19 septembre i658 (t. III, p. i33).

f. Tome II, p. 434,1. 12-2 3, et p. 532,1. 12: lettres du i5 nov. i638 et du 3o avril 1639. « Quatreou cinq fois », dit-il d'abord ; puis « 5 ou 6 fois ».

Vie de Descartes. 34

�� � même cri d’un perroquet pendu à une fenêtre quand on passe dans la rue[295]. Telle est la part qu’il eut, du mois de mai au mois de novembre 1638, avec les géomètres français, à l’étude de cette question, qui leur avait été envoyée d’Italie.

Revenons maintenant à ce problème que lui-même avait posé à Fermat, dès le début, fin de 1637 ou commencement de 1638. Il s’agissait toujours de déterminer la tangente d’une certaine courbe qu’il indiquait[296] : laquelle des deux méthodes, celle de Fermat ou la sienne, y réussirait le mieux ? Il attendit, et l’attente fut longue : six à sept mois. Le 29 juin, il demanda, ironiquement, si l’on n’avait pas encore résolu sa question. Le retard était un peu de la faute de Mersenne qui, au lieu d’envoyer aussitôt la question à Toulouse, l’avait encore retenue pour la montrer d’abord à Roberval ; et celui-ci n’avait pas le travail prompt ni facile. Le 29 juin, Descartes en reparla à Mersenne[297] ; puis, le 27 juillet, il se moqua de Roberval, qui avait trouvé, non pas la tangente qu’on demandait, mais la figure de cette courbe, que notre philosophe connaissait bien, puisqu’il en avait envoyé la définition[298]. Seulement Roberval donnait un nom à la courbe, comme pour s’en attribuer la paternité : il l’appelait le « galand », nom d’un nœud de ruban à la mode parmi les femmes, ou encore « fleur de jasmin », à cause des quatre parties symétriques qu’il y trouvait, semblables à des pétales. Y avait-il là de quoi tant se vanter ? Descartes vit bien que ses prévisions étaient justes : on ne pouvait trouver la tangente sans sa méthode. Il en donna donc, le 23 août, une démonstration[299], succinctement, comme toujours, et laissant quelque chose à faire à ses rivaux. En même temps il leur proposait encore une courbe, différente de la première, semblait-il, en réalité la même ; il le savait bien, et le dit à Mersenne en confidence[300]. On retrouve ici ce goût de la mystification, que nous avons déjà noté chez notre philosophe. Mais il avait bien calculé : Roberval ne reconnut pas la courbe ; il ne comprit même pas toute la démonstration de la tangente envoyée le 23 août. Descartes se montra bon prince : il ajouta une explication, le 15 novembre[301]. Il triomphait, et peut-être même un peu trop. Fermât avait fini par trouver aussi une démonstration de la tangente demandée. Mais Descartes ne voulut pas croire que ce fût par son ancienne méthode, sinon corrigée suivant les indications que lui-même avait données ; ce n’était plus alors la méthode de Fermat, mais bien la sienne propre, qui réussissait[302].

Un triomphe incontestable lui était réservé ailleurs. Il avait reçu comme un renfort inattendu d’un autre mathématicien de province, Florimond Debeaune, en sa petite ville de Blois. Ce dernier s’étonna que les géomètres de Paris ne fussent pas capables au moins de développer l’équation du galand, qui leur avait été envoyée. Il l’écrivit à Mersenne, dans une lettre du 26 février 1639[303], annonçant qu’il s’était mis lui-même à ce travail et qu’il comptait bien le mener à bonne fin. En effet, le 3 avril, il l’envoyait à Mersenne, pour le faire voir à Roberval d’abord, ensuite à Descartes[304]. Notre philosophe ne pouvait souhaiter un plus beau couronnement à ce petit épisode de sa vie scientifique : d’autant plus que Debeaune n’avait eu besoin, lui aussi, que d’un quart d’heure, disait-il, pour développer cette équation : encore l’avait-il expliquée tout au long, et sans la brièveté coutumière de Descartes[305] De même, pour une 268 Vie de Descartes.

autre question que Roberval avait posée, et que Descartes avait aussi résolue, celle d'un certain quadrilatère : avec la géo- métrie commune, déclare Debeaune qui venait également de la démontrer, cette question ne demanderait pas moins d'une main de papier; avec la méthode nouvelle, ou « l'analyse » spécieuse », c'est l'affaire de quelques paroles seulement^. Debeaune avait étudié à fond, cet été de i638, la Géométrie de Descartes, sans s'arrêter aux difficultés qui rebutaient à la première lecture. Il avait rédigé, à son usage, des notes qui furent soumises ensuite au philosophe et publiées plus tard comme un utile éclaircissement. Persuadé aussi qu'on ne pos- sède bien une méthode géométrique, que si l'on en peut faire l'application à des problèmes nouveaux, que l'auteur n'a pas traités, il tenta de l'appliquer à deux lignes de son invention. En même temps qu'il cherchait lui-même la solution, il pria Mersenne de la demander aux géomètres de Paris, et aussi à Descartes en Hollande. Il reçut d'abord une solution de Beaugrand pour sa première ligne, il en remercia Mersenne le 25 septembre; puis, de Roberval, et il remercia encore, le 10 octobre. Dans l'intervalle il avait trouvé, de son côté, d'autres solutions, dont l'une le rendait perplexe. Mais, quel- que temps après, il reçut la réponse de Descartes, envoyée à Mersenne le 1 1 octobre. Il y vit, ce qui le tira de sa per- plexité, que la première ligne était une hyperbole : ce qu'il n'avait pas su voir d'abord, non plus que Roberval, ni Beau- grand. Il en fut un peu confus, pour eux, sinon pour lui; et reprenant la question, il reconnut, en effet, que Descartes avait raison s Quant à la deuxième ligne, l'idée que s'en étaient faite les deux géomètres parisiens, était tout à fait erronée, et Descartes s'en moquait fort. Mais Debeaune lui-même, qui pensait d'abord l'avoir résolue, s'aperçut vite que sa solution

a. Tome V, p. 542, dernier alinéa : lettre du 3 avril i63q. Et l'appré- ciation de Descartes, t. II, p. 56i-562, du 19 juin i63y.

b. /bùi., p. 5i5 : lettre du 25 sept. i638.

c. Sin celle première ligne, voir t. V, p. 514, 5i5-5i6, 517 et 528. Et I. 11, p. 420,1. 8 ; p. 424, 1. i3-22 ; p. 435, 1. i-3, et p. 444-445.

�� � n’était pas bonne ; il regretta de l’avoir envoyée à Roberval, et écrivit à Mersenne de ne pas la faire connaître à Descartes surtout. Mais il était trop tard : la solution avait pris le chemin de la Hollande, le 25 octobre. Notre philosophe ne la jugea pas, en effet, satisfaisante, et en marqua nettement le défaut, qui n’était rien moins, selon lui, qu’un cercle vicieux[306]. Mais, quoi ! Debeaune demanda alors une autre solution pour sa seconde ligne : que Roberval en donne une, puisqu’il a déjà envoyé l’asymptote, et que Descartes surtout veuille bien communiquer la sienne ! Debeaune l’en pria instamment dans une lettre du 13 novembre, que Mersenne était chargé de faire parvenir[307]. Mais celui-ci la retint sans doute quelque temps, d’autant plus que les Notes sur la Géométrie y étaient jointes, et que le bon religieux, selon sa coutume, ne put s’empêcher de les faire voir aux curieux de Paris. Toujours est-il que Descartes ne répondit à Debeaune que le 20 février 1639 : dans une lettre particulière, il lui donnait tout au long l’explication de la seconde ligne, plus quelques mots, sur une troisième que Debeaune lui avait aussi envoyée, assez semblable à la seconde ; il en avait même ajouté une quatrième, mais le philosophe laissa à son correspondant le soin de la trouver[308]. Cependant la solution de Roberval, réclamée par Debeaune dans toutes ses lettres, se faisait attendre : Descartes avait bien recommandé qu’on ne divulgât point la sienne[309]. Finalement, Roberval n’envoya rien. La victoire restait donc encore une fois acquise à Descartes, au moins dans l’esprit de Debeaune, excellent juge, s’il en fût. Personne n’était entré davantage dans la pensée du philosophe. Non seulement, il était d’accord avec lui sur l’utilité de la géométrie, qui doit toujours avoir un usage pratique, soit pour les lunettes, ce qui était le cas de l’ellipse et de l’hyperbole, soit (comme ce devait être le cas de ses lignes courbes) pour expliquer, par exemple, les relations entre des sons ou bien entre les vitesses de chute des corps. Mais surtout il envisageait, lui aussi, une « science des proportions », qui comprît toutes les recherches de géométrie et d’arithmétique, une « science de rapports » qui considère ceux-ci universellement, aussi bien entre les lignes commensurables et incommensurables[310]. Enfin, et ceci est à noter dans l’histoire des mathématiques, les lignes de Debeaune donnaient le premier exemple du problème inverse des tangentes, qui consistait à trouver non pas seulement la la tangente d’une courbe, mais cette courbe elle-même en connaissant d’abord la tangente[311] : précieuse ouverture sur le calcul intégral après le calcul différentiel, extension capitale de la méthode cartésienne.

Telles sont, résumées à grand traits, les principales questions que, pendant plus de deux ans. Descartes eut à débattre avec les mathématiciens de France. Nous ne pouvons nous prononcer ici sur le fond même du débat : c’est affaire aux historiens des sciences mathématiques, qui voudront en prendre la peine. Nous n’avons voulu que donner un fil conducteur, qui permît de suivre chaque question en particulier au milieu de l’enchevêtrement général. Nous ne nous prononcerons même pas sur le fond de la querelle entre Descartes et Roberval. Toutefois, à ce sujet, une remarque s’impose. Descartes ne craignait point qu’on mît au jour ses moindres faits et gestes et ceux de son adversaire. A deux reprises il envoie à Mersenne la liste complète de ce qu’il appelle les pièces du procès, avec mandat de les communiquer, non seulement à Mydorge et Hardy, ses deux seconds, mais à d’autres encore, tel que Desargues, et même à quiconque désirerait en prendre connaissance[312]. Mersenne, d’ailleurs, comme nous le connaissons, n’était pas homme à rien garder pour lui. Plus tard, Descartes refit lui-même, par deux fois, et la seconde, d’une façon qui n’avait rien de flatteur pour Roberval, l’historique de toute l’affaire, dans des lettres manifestement écrites aussi pour être montrées[313]. Par contre, quelle fut l’attitude et la conduite de Roberval ? Mersenne aussitôt mort, le 1er septembre 1648, il pénétra dans la cellule du religieux, dont il devait publier un écrit posthume, fit main basse sur les lettres que celui-ci avait reçues, et les emporta. Plus tard, après la mort de Descartes, lorsque Clerselier s’occupa de réunir, en vue d’une publication, la correspondance du philosophe, il ne manqua pas de s’adresser à Roberval, qu’on savait en possession du précieux dépôt, par suite de son larcin ; il lui demanda de lui confier les lettres de Descartes. Roberval refusa obstinément, et Clerselier dut publier une bonne partie de la correspondance d’après les minutes que Descartes avait conservées, et qui furent retrouvées dans ses papiers[314]. Par bonheur, Roberval ne détruisit point les lettres mêmes du philosophe ; sa rancune n’alla pas jusque-là, et quand il mourut, en 1675, elles furent remises au mathématicien La Hire, qui en fit présent à l’Académie des Sciences[315]. Mais le refus obstiné qu’avait opposé Roberval d’en donner communication, sa vie durant, n’est-il pas une présomption contre lui ? De même que nous avons aussi une présomption en faveur de Descartes, ne, demandant qu’à laisser voir ses lettres à tout le monde, et loin de redouter la lumière, la désirant, la réclamant pleine et entière. Ne semble-t-il pas que Descartes n’avait rien à y perdre, mais Roberval rien à y gagner ?

Ce ne fut pas seulement du côté de la France, que Descartes eut des querelles mathématiques ; ce fut aussi en Hollande même. Les géomètres de Paris avaient suscité contre lui comme champion Fermat de Toulouse. A La Haye, il en surgit un autre, de lui-même, Stampioen de Jonge, tout jeune encore, puisqu’il était né en 1610. Mais il passait, de l’aveu de Descartes, pour le plus savant de ceux qui enseignaient les mathématiques aux Pays-Bas[316] ; et plus tard, en 1644, c’est à lui que s’adressera Huygens pour instruire dans cette science ses fils[317], dont l’un devait être le grand Huygens. Il fallait bien, en effet, que Stampioen eût une certaine notoriété. On ne s’expliquerait pas sans cela que Descartes prit tant à cœur, comme nous allons voir, son affaire avec lui, au point de s’en occuper toute une année[318], payant lui-même de sa personne comme si ce n’était pas un autre qui y fût d’abord engagé, faisant intervenir ses amis[319] au risque de les importuner, sacrifiant même un voyage en France qu’il avait projeté pour cet été de 1640[320], et faisant craindre ensuite à plusieurs Polémiques. 27}

que, s'il quittait la Hollande à c^use de cela, il n'y voulût plus revenir.

Déjà en i633 Stampioen, âgé de vingt-trois ans à peine, avait proposé aux mathématiciens, en manière de défi, suivant l'usage du temps, un problème que Beeckman, encore vivant alors, envoya à Descartes. Celui-ci le résolut, et en proposa deux autres en revanche au même Stampioen, qui, semble-t-il, ne put les résoudre ^ Les choses en restèrent là quelque temps. Mais en i638 Stampioen publia de nouveau, sous forme de placard, avec un pseudonyme qui d'ailleurs ne trompa per- sonne, une « Question de Jean-Baptiste d'Anvers aux ingé-

» ainfi que luftinien nomme ceux qui n'ont pas animum redeundi », l'esprit de retour. (Pages iSS-iSg.) Voir un autre souvenir des études juridiques de Descartes, dans la lettre qui précède immédiatement celle-ci, p. i56, 1. 8 et lo. A ce propos, revenons sur les attestations de diplômes, p. 40 ci-avant, notes a et b. M. Félix Senn, professeur agrégé de Droit romain à l'Université de Nancy, propose de les lire ainsi :

René Descartes fut examiné « ad 40 Thefes de tejlamentis orditfandis » in utroque jure ». Voir à ce sujet : 1° les Instirutes de Justinien, Inst. lust., lib. Il, tit. X, De testamentis ordinandis ; 2" Decrétales de Gré- goire IX. Décrétai. Gregor. IX, lib. III, tit. xxvi, De textamentis et ulti- mis volunlatibus.

Pierre Descartes : « Examinatus ad /. E te eji, ff., de rébus crédit., & » ad cap. Antigonus, depaâis, etc.; pure & fimpliciter de jujlitid & jure :

  • & laudetur. »

E re ejl sont les premiers mots de la loi i . Dig. lib. XII, tit. i, De rébus creditis. Les deux jf. qui suivent, désignent dans les anciens MSS. le Digeste de Justinien. — Antigonus est le premier mot du cap. Antigo- nus, Décrétai. Gregor. IX, lib. I, tit. xxxv, De paâis, cap. I. — Ici, comme tout à l'heure, il y eut deux épreuves, l'une sur le droit civij. l'autre sur le droit canon : d'où la mention « in utroque jure ».

Pour les termes De jujîitia & jure, qui se retrouvent dans les deux attestations, voir Dig. lib. I, tit. 1, De juJlitia & jure.

a. Tome I, p. 2-5-279, et surtout p. 573-578, où toute la première partie de cette règle' (question de Stampioen) est rectifiée. Quant aux deux questions de Descartcs, la première,- p. 277, 1. 3, à p. 278, 1. i5, est à rapprocher du texte si curieux que nous avons publié, t. X, p. 269-276 ; le tableau, en particulier, qui suit la p. 276, en contient les éléments. La deuxième question, p. 278, 1. 16-24, ^^^ celle de Pap- pus, que Descartes avait résolue depuis bientôt deux ans. (Voir ci-avant, p. 108-109 et p. 209.)

Vie de Descartes. 3:

�� � nieurs bataves[321] » ; il annonçait en même temps la publication d’une Algèbre de son invention, qui permettrait de résoudre cette question et bien d’autres. Cette fois Descartes semble avoir pris l’alarme, comme si l’on menaçait de supplanter sa Géométrie et de l’étouffer au lendemain de sa naissance ; il s’exagérait, certes, le danger. Or il avait à Utrecht un jeune ami, Waessenaer, qui connaissait bien les règles de son calcul, et surtout savait s’en servir ; Descartes l’aida, en outre, de ses propres notes pour répondre à la question posée par Stampioen[322]. Celui-ci ne s’avoua pas encore vaincu. Non seulement il publia son Algèbre, qu’il intitula Méthode nouvelle, en 1639 (le privilège est du 25 mars) : Waessenaer, toujours aidé par Descartes, la critiqua aussitôt. Mais de plus, Stampioen lança coup sur coup jusqu’à trois défis, en octobre, le 5 et le 15 novembre 1639. Et le jeu devenait sérieux : pressé par ses adversaires, il s’était engagé, par acte notarié du 20 octobre, à déposer entre les mains d’un tiers 600 gulden pour les pauvres, au cas où il perdrait, et il les remit en effet le 5 novembre. De son côté, Waessenaer en fit autant[323]. Descartes, suivant sa tactique antérieure, ne voulut pas entrer lui-même en lice, bien que Stampioen l’eût nommé dans son troisième défi ; mais Waessenaer continua d’être son champion, poussé et dirigé par lui. Notre philosophe n’alla-t-il point jusqu’à lui envoyer une solution écrite, que celui-ci n’aurait qu’à copier, signer et dater : nous avons encore cette lettre du 1er février 1640[324]. Il s’agit des équations du troisième degré, et d’un moyen de les résoudre.

Cependant des arbitres avaient été constitués, dès décembre et peut-être même novembre 1639 : deux professeurs de Leyde, Golius et Schooten le père, et un professeur de Rotterdam, où Stampioen avait aussi enseigné, Berlikum ; le 8 janvier 1640, on en ajouta un quatrième, de l’Université d’Utrecht, Bernard Schotanus[325]. Descartes avait pleine confiance. Il espérait que le jugement serait rendu dans le courant de mars, au plus tard vers la fin de mars ; le 3 avril, impatienté, il le réclama pour Pâques, ne comprenant pas ces retards, que son esprit soupçonneux interprétait fâcheusement : Golius n’en avait pas pour un quart d’heure de rédaction cependant[326]. L’arrêt ne fut rendu à Leyde que le 24 mai : « Enfin, enfin », s’écrie notre philosophe, qui avait perdu patience[327]. Waessenaer, bien entendu, obtenait gain de cause ; mais on ménageait trop son adversaire, au gré de Descartes. Visiblement, les juges ne condamnaient pas volontiers un de leurs compatriotes, à la requête et sur les instances d’un étranger, quelque amitié qu’ils eussent pour ce dernier. On continua, d’ailleurs, de montrer peu d’empressement. L’arrêt n’avait de valeur pour le public, que s’il était accepté des deux parties, et surtout exécuté : il fallait que les 600 gulden fussent remis aux curateurs des pauvres. Stampioen avait déposé la somme entre les mains du recteur de l’Université de Leyde, lequel était alors Dedel. Celui-ci s’en était dessaisi, en faveur d’un hôpital, le Pestehuis. De quel droit ? demande Descartes. Quo jure ? Un dépôt est chose sacrée : depositiim res sacra. VEtil exige qu’on remette la somme, ainsi qu’il était convenu, au Conseil des Églises qui était comme le bureau d’assistance ou de bienfaisance de Leyde. Trois mois après le jugement, l’affaire traînait toujours en longueur : le 17 août, Descartes 276 Vie de Descartes.

écrit à son ami Wilhem, pour qu'on en finisse*. Six semaines se passent encore, et le 5 octobre il écrit une seconde lettre au même Wilhem". Enfin, il reçoit une quittance, datée du 17 octo- bre seulement, et signée, non pas comme il le demandait, des curateurs des pauvres, mais des régents du Pestehuis, qui gardaient pour eux les 600 gulden. Peu importe après tout : Descartes avait en mains la pièce nécessaire, sanction du jugement rendu, et qui attestait auquel des deux adversaires, Waessenaer ou Stampioen, demeurait la victoire.

Notre philosophe n'attendait plus que cela pour la dernière page d'un livre qui s'imprimait depuis deux mois. C'était un récit de toute cette affaire Stampioen- Waessenaer . Son honneur, disait-il, était engagé à cette publication <= ; il voulait dire sans doute son honneur de mathématicien, de même que, selon lui, le sort même de sa Géométrie en dépendait. Désormais elle avait pour elle le jugement des mathématiciens, qui faisaient loi. Descartes voulut mieux encore : il écrivit à Huygens, qui non seulement était de bon conseil, mais qui, lui aussi, par sa situation officielle, faisait autorité. Il lui soumit au moins la préface du livre projeté : elle était en flamand, puisque le livre devait paraîtra sous le nom de Waessenaer et s'adressait aux Hollandais. Elle relatait la première partie de la querelle : question aux ingénieurs bataves, avec la réponse de Stampioen, et celle de son adversaire, déjà aidé de Descartes. Huygens lut et approuva sans réserves, dans une lettre du 14 août 1640'^. On pouvait donc imprimer. La seconde partie donnait le pro- blème d'équations cubiques, qui avait été le sujet du défi, avec les deux règles envoyées aux arbitres : la mauvaise et la bonne, pour que le lecteur pût juger par comparaison ; la règle de Waessenaer avait été cette fois entièrement dictée par Des-

a. Tome III, p. 1 54-1 56. C'est dans cette lettre que se trouvent p. i56, 1. 8 et 10, les expressions juridiques signalées ci-dessus.

b. Ibid., p. 198-201. Voir p. 200, note b.

c. Ibid., p. 104, 1. 5-6.

d. Ibid., p. i5o-i53 : réponse de Huygens à une lettre de Descartes, p. I01-.I04. Descartes répondra lui-même à Huygens, p. 157-159.

�� � Polémiques. 277

cartes". Enfin les deux auteurs du livre ne s'en tiennent pas là : dans une troisième partie, comme pour achever la déroute de l'ennemi, Waesscnaer rappelle ce problème de i633, déjà proposé par Stampiocnet résolu par Descartes, del'aveude Stam- pioen lui-même , puis un autre problème, proposé par celui-ci dans un placard, ProblemaAstronomictim*', et queWaessenaer ne manque pas de résoudre encore : la solution ne lui coûtait guère, c'était Descartes qui la fournissait. Le triomphe était donc complet; personne ne pouvait plus en douter aux Pays-Bas. Mais ce n'était pas seulement pour ses amis de Hollande, que notre philosophe s'était montré si désireux d'obtenir gain de cause : il pensait aussi, à part lui, et peut-être même encore plus, aux mathématiciens de France. Un échec de sa méthode à Leyde aurait ea à Paris le plus fâcheux retentissement ; et les Roberval, les Beaugrand, et consorts, ne se seraient pas fait faute d'en triompher. Ils avaient été avisés, sans retard, du défi de Stampioen ; André Rivet"^ s'était chargé de ce soin, par une lettre de La Haye,oij il n'oubliait pas de dire que l'ennemi visé était, non pas Wacssenaer, mais Descartes lui-même. Mersenne aussitôt s'informa : il écrivit le 10 décembre 1639, puis le 3i, puis en janvier 1640*^. Descartes ne lui répondit d'abord que quelques mots, le 25 décembre ; mais comme son ami insistait, il lui exposa l'aflFaire tout au long, le 3i janvier,

a. Les irois parties de cet écrit, qui a pour titre : Den ott-wijfcn Wis- Iconjlenacr 1. 1. Stampioenius ontdeckt, etc., sont analysées, t. III, p. 30-3 I.

b. l'onie X. p. 646-647, Voir aussi t. II. p. 582 ; t. III, p. 3o-3i ; et t. IV, p. 228-229 et p. 232.

c. Kiviii (André), né h Saint-Maixeni, le 5 août 1573. Ministre pro- testant à Sedan, puis à Thoiiars, 01^1 Wilhem, qui voyageait en France, loncii chez lui en i6i3. Il fit à l'Université de Leyde, le 12 oct. 1620, sa lf(,(>n duuvciiinc, comme docteur et professeur en théologie; précepteur du prince d'Or.ingc, enfin directeur de l'Académie (Schola Illitjiris) fondée à Bréda en 1 (>46, il mourut en cette ville, le 7 janv. 1 65 1 . Il avait collahoré, avec ses collègues, Polyander, Waheus et Thysius, à la publi- cation d'une Syiiopjis piirioiis Thcologicc en 1625, réimprimée en i632, i(>4i, i(..S2 et i658.

d. Tome II, p. 636-637 (voir aussi p. 634, 1. 9-10). Tome III, p. 4-7.

�� � 278 Vie de Descartes.

au point où elle en était à cette date, ne ménageant pas les épithètes à Stampioen : badin, charlatan =>, etc. Il tint au cou- rant Mersenne, le 1 1 mars, puis le 1 1 juin, où il lui fait part de l'arrêt rendu le 24 mai en sa faveur, Mersenne n'aurait pas douté un instant de la parole de son ami. Mais le petit clan des géomètres hostiles à Descartes aurait encore bien moins douté de la parole de Stampioen, si ce dernier leur avait raconté la chose à sa façon, c'est-à-dire à son avantage propre et au détriment de Descartes. Justement Stampioen eut cette idée : il prépara un écrit en ce sens, qu'on aurait traduit en français, et qui était trop sûr d'avance de trouver bon accueil auprès de quelques-uns à Paris. Mais notre philosophe en fut avisé par Golius*^ (et même cet avis charitable dut dissiper les soupçons que le retard du jugement avait fait concevoir contre lui). Descartes put donc prévenir la manœuvre de Stampioen : il se hâta d'envoyer à Mersenne, le 6 août (ce qu'il n'avait pas encore fait), et le sujet de la gageure, et les deux solutions, celle de Stampioen et celle de Waessenaer, afin que l'on ne prît pas l'une pour l'autre : ce précieux papier, par malheur, n'a pas été retrouvé. Non content de cela, et sans doute pour faire connaître le fond du débat à d'autres encore qu'à Mer- senne, il écrivit tout exprès, à la date du 3o septembre, une solution nouvelle pour un mathématicien dont il avait jadis entendu parler, «il y a vingt ans», par son excellent ami Le Vasseur : il s'appelait Dounot'. Ce Dounot s'intéressait

a. Tome III, p. 5, 1. 3 ; p. .6, 1. 6 et 11. Descartés écrit même une fois, 1, 18 : « ce cherlatan » {sic).

b. Ibid., p. 40-41 et p. 88, 1. 3-6.

c. Ibid., p. 148, 1. 3-17.

d. Ibid., p. ,148, 1. 17, à p. 149, 1. 3.

e. Tome III, p. 187, 1. 17, à p. 188, 1. 2. Voir ci-avant, p. 73, note a. — L'explication remplit plusieurs pages, p. 187, 1. 10, à p. 190, 1. 20. Il est intéressant de remarquer que Descartes abandonne ici sa notation algé- brique, pour reprendre une de celles qui étaient en usage et que suivait Dounot; voir la note de Paul Tannery, p. 196-197. — L'année précé- dente, t. II, p. 5o3, 1. 12-1 5, il avait d'abord reproduit la notation de Dounot : i C — g Q -\- i3N eg. [^288 — i5. Mais il l'avait aussitôt

�� � PoLIiMIQUES. 279

précisement à la question ; l'année précédente, il avait lui- même posé à Descartes une question semblable, sur la racine de réquation cubique, et chose curieuse, il faisait déjà, sur la règle proposée dans la Géométrie, les mêmes remarques qu’al- lait faire aussi de son côté Stampioen ’. Descartes ne pouvait donc trouver à qui mieux s’adresser. Y prit-on garde à Paris ? Cela est fort douteux. Dounot mourut avant la fin de cette année 1640. Presque en même temps, l’ennemi de Descartes,

transposco dans sa notation nouvelle y^3 — 9 y^2 + 13 y — 12 v2 + 15 cxt o. — Avec Fermat et Roberval, il suivait de même leur notation plutôt que la sienne, par ex., t. II, p. i25 et suiv. : Aq -\- Bq -\- A in Ji bis, etc., au lieu de : a2 + b2 + 2 ab.

DouNOT (Didier), de Bar-le-Duc (comme il signe ses ouvrages), en réalité était né à Ligny-en-Barrois, le 14 févr. 1574. Outre l’ouvrage de 1610, signalé au t. II. p. Sog : Les Elemens de la Géometrie d’Euclide, etc., on connaît de lui : i« Con/ittation de l’Invention des Longitudes ou de la Mecometrie de l’Eymanl. Cy devant mifc en lumière fou\ le nom de Guillaume le Nautonnicr fieur de Cajiel- franc au haut Languedoc. Par Dounot de Bar-le-Duc, Dodeur es Droiirls iSt Profelléur en la divine Mathématique aux Académies du Roy. Dediee h t’a Majellé. (A Paris, Par Frani^ois Huby, rué S. laques, au Soufllci vert, devant le Collège de Marmoutier. MDCXI, 4-42 feuillets. — 2» Confutalion de l’Hydrostatique, ou Balance en l’eau. (Paris, 161 5, in-4.) Vui;- L’Intermé- diaire des Mathématiciens, t. Vil, r<)oo, p. 33 et iSo; 1. XIV, 1907, p. 58-59. — Voici encore un renseignement de Merscnnc : « Memini » vcrô Dounotium Geomctram metalla omnia fuilTc folitum ad liemi- » nam Pariricnfem reducere. » [Cogiiata Phyfieo-Malliematica, i<Î47. Hydraulica Phcenomena. Pag, 190.)

a. Tome II, p. 5o3, I. 20-23 ; et t. III, p. 190, 1. lo-ii. Des deux cotes, c’est la même équation cubique : iC — ON eg. 40, ou bien : iC — 6N 40 (Descartes l’écrit ainsi la seconde fois, et non pas AT’ — X ro 40^. Quant aux remarques (|ui visent la règle qu’il donne dans sa Géométrie, i. VI, p. 454-455, comparer Dounot, t. II, p. 5<i3, I. 24-25, et Stampioen, ibid., p. 607, 1. 7-1 1 et 1. 13-17. Heniaïqiions nous-mëincs, h ce propos, qu’on ne s’explique pas Dcscaries déclarant, le janvier ir)3y, « qu’il ignoroit, il n’y a pas encore vn an, ce qii’mi » nomine les parties Aliquotcs d’vn nombre », t. il, p. 472, 1. 1-2, et se servant en 1637, dans sa Géométrie, de ces parties aliquoies, sans leur tlonner ce nom, il est vrai, qu’il avait pu oublier :« le lernic lif peut «-llir » ditiilé fans fraclion par i, 2, 4, 8, i(i, 32 et 64 », t. VI, p. p5, I. 1-2, el p. .|54, I. 17-1.J.

�� � 28o Vie de Descartes.

Beaugrand, le « géostaticien », mourut aussi. Je prie Dieu pour leurs âmes à tous deux, répondit Descartes, lorsque Mersenne lui en annonça la nouvelle '^. Parmi tant de ques- tions dont était assailli de tous côtés ce correspondant affairé de notre philosophe, il est peu probable qu'il se soit arrêté, bien que celui-ci y fût mêlé personnellement, à la querelle de deux mathématiciens de Hollande, Stampioen et Waessenaer, qu'on ne devait pas plus connaître l'un que l'autre à Paris.

Le mathématicion Dounot n'apparaît qu'une ou deux fois dans la correspondance de Descartes. Mais combien d'autres noms pourrait-on y relever ! Mersenne s'empressait d'envoyer en Hollande toute observation ou expérience, toute idée, par- fois même toute anecdote, plus ou moins vérifiée, qu'il pensait devoir intéresser son philosophe, lequel d'ailleurs n'a garde d'ajouter foi à tout ce qu'on lui raconte : j'admire votre crédulité, dit-il assez souvent à Mersenne. Ce «maistre moine », comme l'appelle Huygens, ne donne pas toujours les noms propres, et il a fallu compulser trois volumes de lettres qui lui sont adres- sées, pour identifier tels correspondants qu'il ne désignait à Descartes que par leur profession et le nom de la ville qu'ils habitaient. C'est ainsi que le « médecin de Sens^ se nommait

a. Tome III, p. 277, 1. 7-9 : lettre du 3i déc. 1640.

b. MS. fr. n. a., 6204, 62o5 et 6206. (Paris, Bibl. Nat.).

c. Tome III, p. 121, 1. 26, et p. i37-i38, p. 2ii,l. 19: lettres du 3o juillet et du 28 oct. r64o. Outre les passages déjà cités, des lettres à Mersenne, de Villiers, de Sens, en voici quelques autres :

Du 3 févr. 1641 : « Apres vous auoir remercié du témoignage que » vous rendez auec quelque forte d'approbation de noftre piiilofophie » particulière, ie vous prieray de rechef à l'auenir, puifqu'il vous » plaift, ie puiffe eftre informé de voftre fentiment comme de vos » objeftions & dificultez, à cette fin que par la diuerfe rencontre » d'efprits, ainfy que des froilTements de caillous, le feu & la lumière » de la vérité fe defcouure, du moins qu'on puiffe rendfe raifon » pourquoy la chaleur & lumière ne peuuent faire les adions vitales des w brutes fans les formes qui nous font fi cachées, veu que tous les phi- » lofophes & médecins eflimeni cette chaleur naturelle eftre leur i" & )•• principal indrument, fans confidercr fi elle mefme ne pouuoit point

�� � Polémiques. 281

Villiers : il s'était intéressé jadis à Villon, De-Clavcs et Bitault, en 1624, et se montrait encore favorable aux nouveautés ; il méditait une philosophie avec le sel pour principe, « le sel » universel », à l'aide duquel, comme notre philosophe, il espé- rait bien se passer aussi des « formes substantielles ». Le f médecin de Lyon » auquel Descartes répondit lui-même une fois directement, était Lazare Meyssonnier-', qui pouvait faire illusion d'abord avec ses curiosités de savant, mais ne gagnait pas à être vu de trop près avec ses extravagances d'alchimiste. L' « homme de Grenoble  » était un Ecossais, devenu trésorier

» l'eruir de forme... » (Bibl. Nat., MS. fr. n. a., 62o5, p. 768.) Et encore ceci : « ...la vie des plantes, explicable par la chaleur naturelle. » {Ibid., p. 770. tin.)

Du 23 mars 1641 : « l'oubliois à vous dire quelque mot du plus » excellent de nos sens, la vue... : « Et fur la lumière »... M. des Cartes » en a tellement efcrit, que ie ne penfe pas que ma pbilofophie y puisse » rien adioullcr. » {Ibid., p. 802.)

De Sens, ce 21 juin 1641 : « Ainfy ie penfe auoir fatisfaii à ce que » me demandiez, vous alfeurant que (1 colligez iSt liez mes pro- » pofitions précédentes auec cette cy que ie vous fais, vous n'aurez, » comme ie crois, que faire d'ames ou formes es animau.v. F]t » pourquoy faire ces formes, tirées de la puiffance de la inaiiere? » Soni-elles plus fçauantes que nos elprits i^ feu naturel cy denanl » meniionez ? Paflibles qu'elles font, comme tirées de la matière, » font-elles plus puilfantes ? le ne vois ni ne cojjnois rien h loin cela : » myjîerium cjl, en etl'ecl, hoc quod audimiis i' ccrnimtis non rcuclan- » ditm, ficitt nec alla fere aniwalis. philofophia. Nous verrons (i les » Mechaniques de M. des Cartes nous feront plus facilement pénétrer ce » fecret, fecret di-ie que i'ellime conllller en la fabrique (?) des partyes de » l'animal, laquelle conllituée iS( faite par quelque inuention que ce foii, » ne faudra plus douter de toutes les aftions de la phantalie. . . » {Ibid., p. 806-807.)

l'A enfin, du 14 juillet 1642 : « Voila allez de ces doutes fur lefquels ic » defirerois fçauoirde vous ce qu'en ellime M. des Cartes en fa phyllque, » tfi principalement (i elle ell imprimée. » {Ibid., p. Bi5.)

a. Tome 111, p. i5, 1. i5 ; p. 18-21 ; p. 47, I. i3; p. 120, 1. 2-3 : lettrtv du 20 janv., i^' avril et 3o juillet 1640.

b. Ibid., p. 43, I. 8 : lettre du 1 1 mars 1640. Plus tard, .laci.|ues de Valois écrira- encore à Mersenne, de Grenoble, le 11 oct. 1643 : « le me » contente d'auoir la Dioptriquc ik Météores île M. des Caries en fran- » çois, (i ce n'ell qu'il les augmente en fon édition latine. Quand la Pliy-

ViK 01: Dkscaktes. 36

�� � 282 Vie de Descartes.

de France en Dauphiné, Jacques de Valois, curieux d'astrono- mie, et qui s'occupait des longitudes. L'« homme de Nîmes*», qui n'admettait pas la théorie mathématique de la lumière, s'appelait Guiraud. Enfin «votre religieux de Blaye», comme disait Descartes à Mersenne en parlant d'un minime, était le P. Lacombe, philosophe plutôt que physicien, et tout prêt à accepter, sinon même à inventer aussi, une métaphysique nou- velle. A ces quelques noms on pourrait encore ajouter plus tard celui de Deschamps, médecin à Bergerac, et de Bonnel à Montpellier". N'oublions pas que Fermât était à Toulouse et

» ftque fera imprimée, ie tafclieray de l'auoir. S'il fuit le ftile & le génie » de fes Météores, la pièce fera bien particulière, & nous aurons des » principes tout nouveaux des chofes. Lorfque la reponfe de M. Gaffendi » à ses Méditations metaphyfiques fera en vente, i'en acheteray une. . . » {Bibl. Nat., MS. fr. n. a. 6206, f» 164.)

a. Tome III, p. 192, 1. 25 : lettre du 3o sept. 1640.

b. Ibid., p. 191, 1. 8; p. 212, 1. 19-20 : lettres du 3o sept, et du 28 oct. 1640.

c. Tome II, p. 33, et t. III, p. 332-333. Deschamps écrivait à Mersenne, de Bergerac, en août ou septembre 1643 (réponse à une lettre du 5 août) : « le fuis grandement obligé à voftre bonté » de m'auoir enuoyé vos manufcrits pour accompagner le liure » de Monf' des Cartes que mon nepueu a apporté, qui font de » très belles pièces. l'ay leu fon liure, & pour vous en dire mon fenti- » ment, ie fuis efté efmerueillé de tant de belles chofes qui font expliquées » en fon liure. Mais i'ay trouué fort eftrange qu'il face les petittes parties » de l'eau comme de petittes anguilles fort ployables & glilTantes, & » celles du fel comme des petittes aiguilles difficiles à ployer, mais qui » pourtant peuuent eftre ployees, par le moyen de la matière fubtile. Or » pour vous dire mon aduis defdites parties de l'eau douce & du fel, il » me femble que Monf' de Cartes fe trompe de les croire telles qu'il les » dit. . . » [Bibl. Nat., MS. fr. n. a., 6206, f» 228.)

Et encore, le i" mars 1644 : « Noftre marchand m'a apporté la Nou- » uelle Clef géométrique de M' du Billy, ou il conftruit par une tref- » grande fubtilité plufieurs beaux problefmes géométriques, fans pour- » tant employer en fon algèbre autres finales équations que celles de » Diophante. Monfieur des Cartes fe fert en outre de celles de Tartaglia » & de Cardan, comme fait auffi le S' Alexandre AndrilTon en fon liure » de angulorum fedione, que i'achetay à Bordeaux l'efté palTé. Cenaine- « ment auant auoir veu ces liures, ie ne penloy pas que perfonne euft » encore ufé pour l'algèbre de lignes au lieu de nombres, ce qui m'eftoit

�� � Polémiques. 28 j

Debeaune à Blois, et que le « lyonnais » Desargues retournait parfois à Lyon. C'est donc de tous les points de la France, et non pas de Paris seulement, que par rintermédiaire de Mer- senne, les nouvelles littéraires, comme on disait alors, entendez par là scientifiques, parvenaient à Descartes, dont les idées étaient aussi par le même canal répandues en tous lieux. Et partout on était frappé de leur originalité et de leur hardiesse, et partout elles trouvaient des esprits préparés à les recevoir. Non content de le tenir ainsi au courant, Mersenne lui envoyait les livres nouveaux. Non pas les siens, il est vrai : à quoi bon ? Descartes y aurait sans doute retrouvé, réuni en volumes, tout ce dont Mersenne l'avait tenu au courant par ses lettres. La chose cependant ne laisse pas de surprendre ; mais elle est bien réelle. En 1645, le philosophe revient sur les parties aliquotes des nombres, dans une lettre à Mersenne, sans paraître se douter que celui-ci avait publié ce qu'on lui en avait dit, dans son livre de 1639; il ignorait donc ce livre".

» pourtant venu en la penfee du temps que i'efloy efcolier... Or fi la » Dioplrique latine de Monf"' des Cartes eil acheuée d'imprimer, & qu'il » y aye quelque chofe d'adjoufté, vous m'obligerés fort de me le faire » fçauoir. Les moyens qui m'ont conduit à la cognoillance de l'hyper- » bole requife pour l'union en un poinft des rayons parallèles, à. de » fon ellipl'e correfpondante, font entièrement différents des fiens, plus » faciles, & leur demonrtration toutte autre. » [Ibid., i" 23o.)

Enfin, le 8 mai 1644 : « ...Pour les raifons qui m'ont mené à la » cognoiffaace de l'hyperbole & de rcUipfe unifiantes les rayons paral- » lelz, ie me referue à vous en entretenir de bouche, ik vous commu- » niquer quelques autres raretés de dioptrique & des lunettes, outre ce » que MonP des Cartes en a efcrit, parce que maintenant ie defire ref- » pondre aux autres parties de vodre lettre, & dauantage que la dcmon- » ftration s'en doit faire fur des concs de carton, & qu'il feroit malaifé de » la faire fur le plan en une briefue lettre. Or il n'eft befoing de fçauoir » la mefure des angles de la refraflion, que Monff des Cartes a trouuée, » & donnée fans demonllration; car il fulfit de fçauoir l'angle de la » réfraction horizontale du diaphane qu'on veut employer, pour trouuer » l'hyperbole & l'ellipfe qui font necelfaires pour l'union des rayons » parallelz en cedit diaphane, par lefquellcs apprés on peut trouuer, en » deux façons différentes de celle de Monf' des Cartes, ladite mefure; •> dequoy les demonftrations font très aifees. . . « {Ibid., f» 23 1.)

a. Tome X, p. 565, note b.

�� � En 1638, il avait bien eu connaissance d’un autre ouvrage de Mersenne, V Harmonie Universelle, mais parce que son ami Bannius le lui avait prêté ; il ne l’avait donc point reçu». Enfin il ne paraît avoir jeté un regard sur les Méchaniqiies de Gali- lée, publiées par Mersenne en 1634, Q^^ quatre ans après, les derniers mois de lôSS*"; et ce point est important, Descartes ayant déjà rédigé, avant de connaître ce livre, ses pensées sur la statique, au mois de juillet de la même année.

Mais on ne manquait de lui faire tenir d’autres livres, assu- rément d’un intérêt moindre. Ismaël BouUiaud avait publié en i638 un traité de la lumière, de Naturâ Lucis. Dèscartes le reçut par les soins de Saumaise’. Il y vit que la lumière était moyenne proportionnelle entre la substance et l’accident. Cela le fit rire, et il n’en lut pas davantage. II préférera le Philolaûs du même BouUiaud, en faveur du mouvement de la terre . Saumaise, de son côté, lui avait fait cadeau de son livre de l’usure, De Usuris, premier volume en 1638 et second en 1639 : échange de politesses, Descartes lui ayant donné un exemplaire de son propre volume en 1637. Nous avons même la lettre d’envoi de Saumaise, du 22 novembre 1639*. Elle nous apprend que l’opinion si hardie du philologue en faveur d’une usure (modérée, s’entend), opinion naturelle dans un pays de négoce, mais qui heurtait la doctrine et peut-être aussi les habitudes

a. Tome II, p. i5o, I. 16-20 : leure du 17 mai i638.

b. Tome X, p. 573. Compléter le renseignement, t. II, p. 433, de la balance et du levier, par celui-ci encore, t. II, p. 469, de la romaine. Huygens s’était mieux tenu au courant : le 8 sept. 1637, à propos de Mécanique, il parlait à Descartes « de Galilœo, traduit par le P. Mersenne », t. I, p. 397.

c. Tome II, p. 5i-52, et t. X, p. 556-557 : lettres de mars et avril 1638.

d. Tome II, p. 622, et t. X, p. 557 : lettres du i3 nov. et du 30 oct. 1639.

e. Tome X, p. 557-561 : « . . .cette petite littérature qui n’eft pas digne de defchauffer la voftre ». (Page 558, 1. lo-ii.) Huygens eut connaissance de ce mot, dont Descartes aura tiré vanité, et le trouve tout à l’honneur de Saumaise : t. II, p. 641-642. Polémiques. 285

et les pratiques des théologiens, n'était point désaoprouvée par notre philosophe, qui se montre en cela encore favorable aux idées modernes. Chose plaisante également dans cette lettre : Saumaise, tout philologue qu'il est, et un grand philologue, met sa philologie aux pieds de la philosophie du maître. Etait-ce par ironie ? Ou pour se conformer à la phraséologie compli- menteuse du temps J Peut-être aussi était-il sincère? N'écri- vait-il pas de Descartes, précisément à Boulliaud, qu'un homme tel. que celui-là en valait bien cent autres ? Ille tinus pro centum^.

Mais un livre sur lequel nous sommes curieux d'avoir le juge- ment de notre philosophe, ce sont les Discorsi e Dimostra^ioni matematiche de Galilée Ce livre fut imprimé à Leyde, chez les Elzevier en i638; et cependant c'est de Paris que vinrent les instances auprès de Descartes, de le lire et d'en donner son avis : de lui-même, il ne l'aurait pas fait, et n'y pensait pas. Mersenne avait non seulement examiné, mais résumé et jugé ce nouveau livre dans un ouvrage prêt à paraître. Nouvelles pensées de Galilée ; et Descartes n'en avait pas encore pris connaissance. Il s'exécuta enfin, à la demande de son ami, et nota pêle-mêle un certain nombre d'opinions, sans faire le départ entre ce qui en valait la peine et le restée La chute des corps, en particulier, qu'il avait pourtant étudiée lui-même dès 1618, et sur laquelle il était revenu en 1629, ne l'arrêta qu'un moment, le temps d'écrire deux ou trois lignes <*. Il y retrouvait, il est vrai, cette considération de la vitesse, qu'il avait exclue, comme trop peu claire, de ses propres spécula- tions. Mais surtout Descartes n'admirait presque rien ni per- sonne. Dans cet esprit, sans cesse en travail, oîi fermentaient tant d'idées, les opinions du dehors pouvaient difficilement

a. Tome X, p. bbj : Saumaise à Boulliaud, 3o oct. lôSç.

b. Ibid., p. 568-572. Tome II, p. 194, 1. 12-18; p. 271, 1. 4-5 : lettres des 29 juin et 27 juillet i638.

c. Tome II, p. 336, 1. 17-22, et p. 38o-388 : lettres du 23 août et du 1 1 oct. i638.

d.Jbid., p. 386, 1. i3-i6, et p. 5i8, 1. 10-14.

�� � 286 Vie de Descartes.

trouver place, et étaient aussitôt repoussées comme des corps étrangers que l'on jette dans une cuve trop pleine et qui bouillonne.

Il consentit cependant à lire encore, à la prière de Mersenne, un livre de philosophie, de Herbert de Cherbury, récemment traduit en français : mélange de philosophie et de théologie, et qui ne lui plut point à cause de la théologie que l'auteur y mêlait imprudemment. Par hasard, il l'avait lu déjà Tannée pré- cédente, dans l'original latin, et la chose est bien extraordinaire. Il fallait que cela lui eût été demandé par quelqu'un, à qui il ne pouvait refuser : peut-être le résident d'Angleterre en Hol- lande, William Boswell, qu'il avait dû rencontrer chez Bannius ou Huygens. Ajoutons qu'il fut attiré un moment vers les Anglais, l'année 1640. On lui oflFrait en Angleterre toute faci- lité pour publier sa philosophie ; on l'aiderait même, s'il le fallait. Descartes avait paru réclamer l'aide du public, à la fin de son Discours de la Méthode, pour faire les expériences nécessaires. Mais il n'était guère d'humeur à l'accepter pour lui-même, ni à en profiter personnellement. Cependant il fut tenté : l'Angle- terre ne lui aurait pas déplu ; quant au libre exercice de sa religion, chose capitale pour lui, il n'avait aucune crainte : le roi Charles \" passait pour catholique ^ Un moment même on crut à Paris que sa résolution était prise, et Mersenne y fut trompé : un grand seigneur, lord Digby, avait fait des offres si séduisantes. Mais Descartes ne quitta pas la Hollande pour l'Angleterre. 11 ne fit même pas en ce pays un voyage de courte durée ; il y avait pensé déjà, et même à s'y établir, il y a plus de dix ans, dira-t-il en 1640, c'est-à-dire vers i63o, sans que ce projet fût mis à exécution . Il paraît seulement avoir été en

a. Tome II, p. 566, 1. i2-i5 ; p. 570-571, et p. 596-599 : lettres du 19 juin, 27 août et 16 oct. i63g.

b. Ibid., p. i53 et p. 547.

c. Tome III, p. 5o, I. i3-20, et p. 87-88 : lettres du i" avril et du 1 1 juin 1640.

d. Tome I, p. 125, 1. 18-19; p. i3o, 1. i-3; p. 147, 1. 10; p. 191, 1. 14-15 : lettres des 4 et i8 mars, 1 5 .tvril, 2 déc. i63o,

�� � Polémiques. 287

Danemark, mais pour peu de temps, vers i63i. Son ami Elichman y fit un séjour de quelque durée, d'octobre 1634 à mai i635, qui nous est connu par la correspondance de Sau- maise-^; Descartes eût pu l'accompagner. Il y alla plutôt avec un autre compagnon, venu tout exprès de France pour passer quelque temps avec lui, l'ingénieur Etienne de Ville-Bressieu. Mais en 1640, loin de songer à quitter la Hollande, il s'af- fermit plutôt, ce semble, dans la résolution d'y demeurer. Il quitta seulement Santpoort, où il venait de passer trois années heureuses, si l'on en juge par la verve et l'entrain de ses lettres. Au mois d'avril, il revint à Leyde% sans doute pour la même raison qu'en i636 : à cette date, il pensait à l'impression de son Discours de la Méthode; en 1640, il venait de rédiger en latin, du premier de l'an à Pâques, ses Méditations  : le moment était venu de les imprimer aussi. Rien d'ailleurs ne le retenait dans ce coin perdu de la Northollande : sa petite fille, qui y avait grandi sous ses yeux à la campagne, allait avoir cinq ans ; le père songeait à lui faire donner une éducation convenable, et pour cela à l'envoyer en France. Il eut à ce sujet des pourparlers avec une sienne parente, qui habitait sans doute Paris*. En attendant, il était venu seul à Leyde ;

a. Voir ci-avant, p. io8, note a

b. Tome I, p. 209-21 1.

c. Le 3 avril, Descartes écrit à Golius : donc il n'était pas encore à Leyde. Le 7 mai, une lettre qu'il écrit à Pollot, est datée de cette ville.

Tome III, p. 56 et p. 61.) Et il avait écrit, le 11 mars 1640, t. III,

p. 35-36 : « le ne feray point imprimer mon Efîai de Metaphyfique que » ie ne fois à Leyde, où ie penfe aller dans cinq ou fix femaines; & vous > y adrefTerez, s'il vous plaift, vos lettres chez le fieur Gillot, vis à vis de » la Cour du Prince. »

d. Tome II, p. 622, 1. 16-18 : « l'ay maintenant entre les mains un Difcours... >) Et il vient de dire, ibid., 1. 3-6, qu'il n'aura pas le temps de faire autre chose, « de plus de fix mois » : lettre du i3 nov. 1639. — Voir aussi t. III, p. 35-36 : lettre du 1 1 mars 1640.

e. « M. Defcartes fongeoit à la tranfplanter en France, pour lui pro- » curer une éducation convenable; & fçachant quelle étoii la vertu de 1 Madame du Tronchci fa parente, mère de M. l'Abbé du Tronchet qui » eft aujourd'huy Chanoine de la Sainte Chapelle, il fit agir auprès de

�� � 288 Vie de Descartes.

la petite fille, peut-être avec sa mère, se trouvait (on ne sait pourquoi) à Amersfort. Mais tous les projets du père devinrent inutiles : l'enfant fut prise d'une fièvre maligne, qui l'emporta en trois jours, le 7 septembre 1640. Une note de Descartes lui-même, que nous n'avons plus, mais que Baillet avait sous les yeux, nous dit que cette mort lui laissa «le plus grand » regret qu'il eût jamais senti de sa vie », Rien cependant n'en témoigne dans sa correspondance, si ce n'est peut-être un mot énigmatique, le i5 septembre : il s'excuse de n'avoir pu envoyer ses lettres quinze jours plus tôt ; mais il dut, dit-il, partir inopinément hors de Leyde*. La cause de ce départ inopiné ne fut-elle pas la maladie de son enfant, à toute extré- mité, et qu'il eut le malheur de perdre en ce temps-là ?

» cette Dame, afin qu'elle eût la bonté de vouloir veiller fur la perfonne » qu'elle feroit priée de choifir elle même pour mettre auprès de fa fille; » & que cette enfant pût être élevée dans la piété fous fes grands exemples. » Pendant que les chofes fembloient fe difpofer à cela, & que Madame du » Tronchct fongeoit aux mefures qu'il falloit prendre pour féconder de » fi louables intentions, M. Defcartes perdit fa chère Francine, qui mou- » rut à Amersfort le VII de Septembre de l'an 1640, qui étoit le troi- » fiéme jour de fa maladie, ayant le corps tout couvert de pourpre. Il la » pleura avec une tendrelfe qui lui fit éprouver que la vraye philofophie » n'étouffe point le naturel. Il protefta qu'elle luy avoit lailTé par fa mort » le plus grand regret qu'il eût jamais fenti de fa vie. » (Baillet, t. II, p. 89-90.)

a. Tome III, p. 175, 1. 3-4. Cette conjecture est confirmée par la remarque suivante : Descartes partit précipitamment de Leyde, le I" sept., sans même prendre le temps de cacheter ses lettres déjà écrites; mais il aurait pu, semble-t-il, les expédier par le prochain courrier, huit jours après, le 8 sept., et ce n'eût été qu'un retard d'une semaine; il ne le fit pas cependant, et attendit jusqu'au i5. C'est que le 8, lendemain du jour où mourut son enfant, il était encore absent de Leyde, et n'y revint que quelques jours après. — Voir aussi ibid., p. 278, 1. 10-12; mais ce second passage doit s'interpréter différemment, t. IV, p. 373.

�� � LIVRE IV

��CHAPITRE PREMIER

MÉDITATIONS (1640- 1642)

��En 1629, Descartes avait ébauché un « petit traité de méta- » physique ». Dix ans plus tard, il le reprit pour une rédaction définitive, en novembre lôSg ; le 1 1 mars 1640, l'ouvrage était prêt à imprimer. Notre philosophe, qui depuis l'été de 1637 résidait près de Harlem, au riant village de Santpoort, annonce à cette date qu'il s'installera à Leyde dans cinq ou six semai- nes, afin de s'occuper de l'impression'. Et comme ce nouvel « Essai » était en latin, il le fit d'abord revoir à deux profes- seurs de l'Université d'Utrecht, ses amis Regius et ^milius*" : ceux-ci se contentèrent de corriger quelques fautes de latinité; encore en laissèrent-ils plus d'une, que relèvera plus tard le bon Mersenne. jMais notre philosophe désirait surtout avoir Tavis des théologiens : de là les premières objections, deman- dées à Caterus, et les réponses qu'aussitôt il s'empressa d'y faire. Qui était donc ce Caterus' ?

a. Tome III, p. 35-36.

b. Ibid., p. 61 et p. 63-65 : mai 1640.

c. Voir le recueil : Bijdragen voor de Geschiedenis van het Bisdorn van Haarlem. (Derde Deel, Harlem, 1875.)

Vit de Akten van het Haarlemsche Kapittel :

« i632, 29 Julij. — Amp. D. Decanus convocavit capitulares Harlemi Vie de Descahtes. iy

�� � 290 Vie de Descartes.

Descartes s'était adressé d'abord à deux prêtres catholiques qu'il connaissait à Harlem, Bannius (Jan-Albert Ban) et Bloe- maert. L'un et l'autre étaient curés de paroisse en cette ville. Bannius avait été en outre curé du grand béguinage ; il devint ensuite archiprêtre, et lorsqu'il mourra, le 27 juillet 1644, Bloemaert lui succédera dans cette dignité. Mais surtout ils étaient tous deux, depuis des années, chanoines d'un chapitre, dont les membres avaient au moins le grade de licencié en

» refidentes cum Ampl. D. PrEepolho, adfueruntque RR. DD. Buggaeus, » Blommertius & Bannius, in caufâ vacantis curas & Archiprefbyteratûs » Alcmariani per obitum adm. R. D. M Quirini Cofteri, 25 hujus » defundi. » (Page 3o8.)

« ...M""" Quirinum faepius commendaffe perfonam R. D. Joannis » Cateri, quem optaverat libi elTe fuccelTorem. »

« Itaque Domini confratres fuper haec interrogati unanimiter refpon- » derunt, gratum ipfis fore, fi D. Càterus in curam iftam afTumeretur » propter qualitates inlignes & dona, quœ ipfi à Deo coUata funt, non » folùm ad paftoratum iftum adniiniftrandum, fed eiiam optare fe, ut in » confratrem capitularem Ecclefia; noftrœ loco Cofteri polTet eligi & » Archiprefbyterum diftridûs Alcmariani, & ut in eum finem intra '> annum deberet gradum Licentiae in Univerfitate Catholicà fufcipere, » petentes ut fuper his confulatur etiam Ul>""^ Vicarius Apoftolicus : quod » facere fufcepit Amp. D. Decanus. »

(I Evocatus ad Capitulum R. D. Caterus & de fupradido paftoratu » interrogatus, brevjter reipondit, fe non percelli in loci & relidentiee » mutatione, fed valde in gravitate oneris quod ipfi à Capitulo oflertur, » & refignare fe in ftatum vocationis in judicium & voiuniatem Supe- » riorum... » (Page 309.)

« i632, 12 Oct. — Intelleilo conferifu Illuftr. Domini de aflumtione » M" Joannis Cateri ad numerum confratrum Capiiuli noftri graduato- » rum per Amp. D. Decanum, procelfum fuit ad eleélionem ejus; & » omnes pariter elegerunt eum in locum M" Quirini Cofteri, p. m., » petentes ut intra annum promoveatur ad gradum Licentiae in S. Theo- » logiâ. » (Page 3 12.)

« i632, 26 Oct. — Praefentibus Harlemi 111""' D. Rovenio Vie. Ap. & » Amp. D. Prœpolito Mario, convocavit Amp. D. Decanus confratres » Harlemi refidentes, «S; R. D. M'""' J. Caterum, paftorem Alcmaria- » num, ad inftituendum eundem in Canonicatum graduatum ecclefiae » noftrœ. « 

« Itaque lUuftriir. Dominus horâ circiter decimâ ante meridiem in » Sacello Amp. D. Decani, accepta fidei & fidelitatis profeftione à D. n Catcro, alliliente Amp. D. Decano itidemque librum ex quo legebatur

�� � Méditations. 291-

théologie. En i632, un de leurs confrères, qui était en même temps archiprêtre d'Alkmaar, Quirinus Costerus, étant venu à mourir, on le remplaça comme curé de la paroisse de Saint- Laurent en cette ville d'Alkmaar, et comme archiprêtre du district, par un prêtre bien connu déjà de Bannius et deBloe- maert,Johan de Kater ou Joannes Caterus, qui fut aussi élu cha- noine du chapitre de Harlem : à une condition toutefois, c'est

» tenente, inveftivit eundem per impofitionem byrreti tradidonemque v almutii. . . »

« In loco Capituli ordinario,. . . Illuftr. Dcminus conftituit D. Cate- » RUM Archiprefbyterum diftridûs Alcmariani, loco D. Cofteri defundi » & prœdecefloris ejus in paftoratu. . . » (Page 3i3.)

« i633, II Oct. — ...Relatum eft, quod lUmus £>_ yic. Ap. difpenfa- » verit cum D. Catero fuper dilatione promotionis intra annum propter » légitima impedimenta, quam anno fequenti Deo dante fufcipiet. » (Page 3i5.)

Plus tard, semble-t-il, les choses se gâtèrent, et on lit, au sujet de Cate- rus, les notes suivantes :

« 27 aprilis i65o. — De Catero : quum fe pro non canonico gerat & » eum 111""'^ abfolverit à Capitule, cujus abfolutionis vi deinceps non » comparet : placuit confratribus agi de alio in ipllus locam fubftituendo; » & electus M' Gerardus BraelTemius. » (Page 3i8.)

Puis, au sujet d'une affaire, dont Caterus s'était par trop désintéressé :

a 16 Janv. i653. — ... Et conclulum quôd Caterus, û velit elïe archi- » prefbiter, debeat agere quae funt archipref biteri & conformare fe Capi- » tulo. » ,'Page 3 10.)

« i655, 6 April. — Petiit etiam D. Caterus abfolvi ab archiprcfbi- » tatùs officio : ipfum nomine Capituli adibunt D. Stenius & Ebbius. » (Page 440.)

« i655, 6 Julij. — Caterus manebit archiprefbiter Aicmarianus. » [Ibid.)

« 1 656, 8 Aug. — A6lum de paftoratu Alcmariano per obitum D. Cateri '- vacante. » fPage44i.)

Enfin au t. XXI dumcme recueil Bijdragen, etc. (1896), on trouve :

1° De Geschiedenis en de Reliquie van het Mirakel H. Bloed te Alk- maar ("p. 321-410;, par E -H. Rijkenbi.-rg. Caterus s'occupa de cette question en 1643, pour essayer d'établir l'authenticité du miracle.

2° De Statie van St. Laurens te Alkmaar (p. 410-^2^), par C.-W. Bruin- vis. Il y ebt question de Jehan de Kater, originaire de Harlem, ou né à Anvers d'une vieille famille d'Alkmaar, ou né à Alkmaar même. Il était « meester in de vrijc Kunsten, licentiaat in de Godgeleerdheid », fut curé de Saint-Laurent à Alkmaar et archiprêtre, de i632 à i656, ci mourut le 17 juillet 1Ô5Ô.

�� � qu’il se pourvoirait, avant un an, auprès d’une Université catholique, de la licence en théologie qu’il n’avait pas encore ; un second délai d’une année lui fut accordé en i633, et il est à croire que Caterus se mit alors en règle : car lorsqu’il mourut, le 17 juillet 1656, il est qualifié de « maître ès arts libéraux et licencié en théologie ». Peut-être était-il allé prendre ses grades à Louvain, où en seignait, entre autres, un professeur du pays, Plempius (Vopiscus-Fortunatus), dont un frère, d’ailleurs Jésuite, le P. Plemp (Peter), exerçait son ministère précisément à Alkmaar. Dès lors tout s’explique. En 1640, Descartes, avant d’envoyer son manuscrit en France, le soumet à Bannius et à Bloemaert, autant dire au chapitre de Harlem : à défaut d’une Faculté de théologie, n’était-ce pas en pareille matière la plus haute autorité doctrinale que le catholicisme eût en Hollande ? Mais les deux bons chanoines, dont les études théologiques étaient sans doute un peu lointaines, et qui, nous l’avons vu[328], s’occupaient plutôt de science musicale, firent appel à leur confrère plus jeune apparemment et surtout dont les connaissances étaient de plus fraîche date, l’archiprêtre d’Alkmaar Caterus. Peut-être Descartes s’imaginait-il que la Sorbonne de Paris ferait à son ouvrage un accueil plus favorable, s’il se présentait avec l’approbation de cette petite Sorbonne de la Hollande, le chapitre diocésain de Harlem ; et c’est ainsi que les objections du théologien Caterus accompagnèrent en France la métaphysique du philosophe : sorte de passeport, ou de brevet, ou de patente d’orthodoxie, comme en avaient les pèlerins qui se rendaient à Lorette[329]. Méditations. 293

L'ouvrage n'était pas encore imprimé, et Descartes se trouvait un peu embarrassé. II n'aurait voulu qu'une douzaine d'exem- plaires d'abord, qu'on aurait distribués à quelques théologiens de Paris, pour obtenir l'approbation de la Sorbonne, et donner ensuite l'édition. Mais comment être sûr qu'on n'en imprime- rait pas davantage ? Et le libraire pourrait-il en refuser aux curieux qui ne manqueraient pas de le solliciter^? Descartes se méfiait, non sans raison. Il ne voulait pas surtout que les ministres protestants de Hollande en eussent connaissance avant les théologiens de France. Il entendait réserver à ceux- ci la primeur du nouveau traité de métaphysique, les mettre par là tout d'abord dans ses intérêts et se prévaloir ensuite auprès du public de leur autorité. Encore faisait-il des distinc- tions entre les théologiens catholiques. On avait attaqué au Collège de Clermont sa Dioptriquej dans des thèses de fin d'année, en juillet lôSg ; c'était le Collège des Jésuites à Paris, et Descartes s'imagina que toute la Compagnie lui déclarait la guerre^ Il se tourna donc vers la Faculté de théologie, c'est- à-dire la Sorbonne, et comme il connaissait personnellement un des docteurs de cette Sorbonne, le P. Gibieuf, il compta sur lui pour gagner les autres membres et obtenir l'approba- tion de tout le corps'. Le 11 novembre 1640, il envoya donc en manuscrit sa métaphysique, avec les premières objections et réponses, à son ami Mersenne, toujours par l'intermédiaire de Huygens, et avec des instructions précises^. Il proposait comme titre : Meditationes de prima phiiosophia. Une longue

lui-même, mais un maître qui professait la doctrine de Suarez. L'ouvrage de Suarez, Metaphyftcœ Difputationes, parut à Salamanque, 1697 ï Venise, 1610 et 1619 ; Paris, i6o3 et 1619; Cologne, 1608 et 1620; Mayence, 1601, i6i4et i63o.

a. Tome III, p. 102, 1. i3-i6 ; p. 126, 1. 17, à p. i 27, 1. 18, et p. i83- 184 : lettres de juillet et septembre 1640.

b. Ibid., p. io3, 1. 17-27, et p. 206, 1. 17-23 : juillet et 28 octobre 1640.

c. Ibid., p. 184. 1. io-i5; p. 237-238 et p. 238-240. lettres des 3o sept, et II nov. 1640.

d. Ibid., p. 235, 1. io-i3, et p. 241-242 : lettres des 1 1 et 12 nov. 1640.

�� � 294 Vie de Descartes.

lettre à Messieurs de Sorbonne (lettre latine comme tout le reste, Descartes parlait cette fois le langage de la maison), servait de préface et de dédicace : le philosophe s'adressait en toute confiance à ces gardiens vigilants de l'orthodoxie, qui ne pouvaient manquer de prendre sa défense en la cause de Dieu. En même temps, Descartes s'excusait auprès d'un ministre protestant, Colvius, qui pourtant lui était favorable, de ne pas lui envoyer encore sa métaphysique" ; et comme Huygens insi- nuait que le suffrage d'un théologien protestant ferait bien après celui du catholique Caterus, et parlait d'un sien parent, Gaspard van Baerle, Descartes ne répondit même pas à cette avance : c'eût été compromettre le succès de sa tentative à Paris.

Là le P. Mersenne s'acquitta de la mission dont il était chargé avec le même zèle qu'il avait coutume, c'est-à-dire avec un zèle excessif. Il remit bien une copie au P. Gibieuf, lequel eut d'abord un scrupule : il voulut consulter le supérieur général de l'Oratoire, le P. de Condren', et il ne fit point d'abord d'ob- jections. Peut-être aussi ne trouvait-il rien à reprendre dans cette métaphysique. Il avait lui-même envoyé à Descartes, en i638, un petit écrit de théologie, et il avait publié en i63o un gros volume sur la liberté en Dieu et en la créature . La philosophie de Descartes se trouvait sans doute d'ac- cord avec l'un et avec l'autre. Du moins notre philosophe déclare que, sur la liberté en l'homme, aussi bien qu'en Dieu même, ses sentiments sont ceux du P. Gibieuf; il n'accepte pas d'objections à ce sujet, et renvoie au religieux pour y répondre*.

Mersenne donna aussi à lire le manuscrit à d'autres théolo-

a. Tome III, p.. 247-248; et t. X, p. 578 :• lettre du 14 nov. 1640.

b. Ibid., p. 414 : lettre du i-j juillet 1641.

c. Ibid., p. 276-277 : du 3i déc. 1640.

d. Tome I, p. i5i et 219 : mai i63o et cet. i63i. Tome II, p. 97, 1. 1-4, et p. 147, 1. io-i3 : lettres du 3i mars et du 17 mai i638.

e. Tome III, p. 36o, 1. 1 1-14, et p. 385-386 : du 21 avril et du 23 juin 1641.

�� � Méditations. 29 c

giens% qui firent aussitôt leurs objections. Elles partirent de Paris le 3 janvier 1641, et arrivèrent en Hollande le 14. Des- cartes annonce sa réponse le 21 et le 28, et ne l'envoie qu'en février. On s'était trop hâté, à son gré, et il le dit sans ména- gement : or l'un des auteurs, sinon le principal, était précisé- ment Mersenne lui-même, trop bon homme d'ailleurs pour se formaliser de" la franchise un peu rude de son ami. Ce furent, dans le recueil imprimé, les secondes objections et réponses.

Jusqu'ici le bon religieux suivait fidèlement les instructions de son ami. Mais il les outrepassa, ce semble, en laissant voir aussi cette métaphysique à Hobbes, un Anglais, un protestant, dont l'intervention ne pouvait faire aucun bien, tant s'en faut, à Descartes auprès de la Sorbonne. Par bonheur, Hobbes se montra un adversaire déclaré du philosophe. Au même moment, il attaqua d'abord la Dioptrique, prétendant que dès i63o, à Paris même, il avait exposé le premier une théorie semblable de la lumière et aussi du son ; et il cite ses témoins, les deux frères Cavendish. Descartes haussa les épaules . Il reçut en outre du même auteur, le 22 janvier 1641, des objec- tions, les troisièmes '^, contre %q% Méditations; et il ne put se dispenser d'y répondre, ne fût-ce que par égard pour Mer- senne. Celui-ci trouva sans doute la réponse un peu brève ; car le philosophe s'excuse, dans une lettre suivante, du 21 avril : mais « ces objections », dit-il, « lui ont semblé si peu vrai- » semblables, que c'eût été les faire trop valoir, que d'y » répondre plus au long** ».

Par contre, les objections d'Arnauld lui plurent singulière- ment'. Antoine Arnauld n'avait que vingt-neuf ans et n était pas

a. Tome III, p. 265, 1. i3-2i ; p. 282, 1. 2-8; p. 286, 1. 18-21 ; et p. 293, 1. 2-4.

b. Ibid., p. 342, 1. 9-15, et p. 354, I., 1-6 :du 3i mars et du 21 avril 1641.

c. Ibid., p. 293, 1. 26-28 : du 28 janv. 1641.

d. Ibid., p. 36o, 1. 19-23 : du 2J avril 1641.

e. Ibid., p. 33 1, i. 3-5 : du 4 mars 1641.

�� � 2p6 Vie de Descartes.

encore docteur en Sorbonne : il ne le sera qu'à la fin de cette année, le 19 décembre 1641 ^ Mais il comptait déjà comme théologien, et l'attention ^tait attirée sur lui : plus tard son siècle l'appellera « le grand Arnauld ». 11 tenait depuis long- temps Descartes en haute estime, pour la vigueur de son esprit et l'originalité de sa doctrine, et il avait lu le Discours de la Méthode et les Essais de 1687. Mersenne savait tout cela : aussi le jeune théologien fut-il un des premiers à qui il com- muniqua les Méditations, dès le mois de décembre certaine- ment. Arnauld, comme on devait s'y attendre, y reconnut d'abord une conformité, qui le ravit, avec certaines pensées de saint Augustin. Puis il fit quelques remarques de métaphysique

a. Né à Paris, le 6 févr. 1612, il y fit ses humanités et son cours de philosophie ; puis, après avoir commencé des études de jurisprudence (il était d'une famille de robe), il se décida, en i633, pour la théologie. Bachelier en i636, les actes de sa licence durèrent de Pâques i638 jusqu'au carême de t640, et il reçut le bonnet de docteur le 19 déc. 1641. Il avait été ordonné prêtre en sept. 1641. Dès i636, il professait sur la grâce les opinions de saint Augustin ; puis il se fit lui-même un cours de philosophie, qu'il enseigna la seconde année de sa licence au collège du Mans à l'Université de Paris. Il allait bientôt publier son livre De la

fréquente communion, 1643, cause d'une longue guerre entre Jésuites et Jansénistes. Pendant vingt-cinq ans, inquiété et menacé, il dut vivre dans la retraite, et souvent même caché. En 1668, il reparut dans Paris, et même à la Cour. Mais en 1679, il quitta définitivement le royaume de France, et se retira aux Pays-Bas. Il mourut à Bruxelles, la nuit du 8 au 9 août 1694. — Nous le retrouverons en relations avec Descartes, en 1644 et en 1648. Plus tard, Clerselier lui donnera communication d'un MS. du philosophe, Regulce ad Direâionem Ingenii; Arnault s'en servira pour certains chapitres de VArt de penser, ou Logique de Port-Royal, seconde édition, 1664. (Tome X, p. 35i-352 et p. 470-475.)

b. Tome VII, p. 197, 1. 5-6.

c. Descartes avait déjà consulté saint Augustin à la bibliothèque de Leyde, dès novembre 1640 (t. III, p. 247, 1. 4). Il y retourna pour saint Anselme, en décembre (j'èîW., p. 261,1. 9). En février ou mars 1641, il vérifia de nouveau, pour donner à Mersenne les indications néces- saires, les passages qu'avait cités Arnauld. II avait d'ailleurs à lui une Somme de saint Thomas (t. 11, p. 63o, 1. 4), et paraît s'être procure Suarez, Difputationes metaphyjicœ, lorsque Caterus cita cet auteur dans les premières objections. Il conserva sans doute le volume ; car il y renvoie Arnauld dans sa réponse aux 4™=^ objections (t. VII, p. 235,

�� � Méditations. 297

et demanda des explications sur l'âme humaine, sur Dieu, et aussi, sur certains points de théologie, notamment à propos de l'Eucharistie. Descartes répondit atout, avec une complaisance manifeste. Ces objections, numérotées les quatrièmes, sont, dit-il, les meilleures qu'il ait reçues. Aussi il prend son temps : la réponse, annoncée le 4 mars 1641, n'esi envoyée que quinze jours après, le 18 mars; et il attend encore une quinzaine pour envoyer la fin, le 3i mars : il avait été amené, en effet, à s'expliquer sur une question, qui pouvait inquiéter l'orthodoxie de la Sorbonne, la question de l'Eucharistie, et il voulut d'abord consulter les Conciles, au moins celui qui faisait autorité, le Concile de Trente ; plus tard on lui objectera celui de Constance. L'explication qu'il donne, doit rassurer tout le monde, à son avis. Mersenne toutefois jugea prudent de ne point la publier, pour être plus sûr d'obtenir l'approbation de la Sorbonne. Descartes y consentit, bien inutilement d'ailleurs; car on ne. l'obtint pas quand même. Aussi, dans la seconde édition, ne se fit-il aucun scrupule de rétablir le passage supprimé ".

Descartes eût aimé sans doute qu'on s'en tînt aux objections d'Arnauld. Mersenne fut moins bien inspiré, en communiquant en outre les Méditations à Gassend. Notre philosophe ne lui avait point demandé cela, pas plus que de les envoyer à Fermât : il l'avait même défendu pour ce dernier. Mais il comptait sans le zèle de son ami : le paquet était déjà en route

1. i2-t4). Pour la philosophie scolasiii|tic, il cite encore Pierre Lomliard, le « Maître des Sentences » (t. VII, p. 42S, 1. 22, et p 6071.

Chose curieuse, on retrouve ces mêmes noms dans une leitrc de Balzac : « A Monlieur de Siihon, Secrétaire de Monleigneiir le Car- » dinai de Mazarin, le 3 sept. 163!^. » Il lui recommande un W. P. : « C'elt vu Père qui cherche la l'apience par mer (S; par terre, «\ que la » grande réputation i.\ les grands noms ireflilouillent j>oiiit. Il ell bien » plus ami de la vérité, que de Vafquez <!v de Siiarcz, \oire que de Scot iS: » du Maiilre des Sentences. Vous ferez juge de uniies les (peculaiions. » (Les Œuvres de Monfteiir de Bal\ac, MDCLXV, t. I, p. 688.)

a. Tome III, p. ^28, 1. 24-2S ; p. 334, I. 2-5 ; p. 340, I. 17-21 ; p. 349, 1. 4-1 3; p. 416, I. 5-9 ; p. 449, I. 12 i5 ; p. 473, I. 20-22; p. 545, I. .1-12. ViK DE Descartes. 3.S

�� � pour Toulouse. Fermat cette fois prit le sage parti de se taire, ne se souciant pas, après les assauts de 1637-1638, de rentrer en lice avec un aussi rude jouteur[330]. Mais Gassend n’avait point pris part à la lutte engagée au sujet de la Dioptrique, peut-être parce qu’il n’avait point reçu le volume en temps utile, ou qu’il était occupé avec sa Vie de Peiresc, publiée alors[331]. Il était donc tout disposé à combattre en 1641 ; et il mit toutes ses forces en ligne et s’engagea à fond. Une chose lui avait déplu d’ailleurs dans la Dioptrique : Descartes ne l’avait pas cité, et il citait un mathématicien de Tubingue, Schickhardt, à propos des parhélies de 1629. A quoi notre philosophe répond vertement, que Gassend est trop heureux qu’on n’ait point parlé de son explication, qui ne vaut rien ; quant au phénomène, de quoi peut-il se plaindre, puisque ce n’est pas lui qui l’a observé[332] ?

Gassend eut donc les Méditations en mains dès le mois de mars 1641, semble-t-il. Nous en avons un résumé de lui dans une lettre du 3 mai ; et le 15 du même mois il remet à Mersenne ses objections, qui partent pour la Hollande le 18 ou le 19[333]. La réponse de Descartes fit l’objet de deux envois : on n’a pas la date du premier, mais le second est du 23 juin[334]. Était-il sincère, en s’imaginant avoir traité « M. Gassendi honorablement et doucement » ? Dans la même phrase, il déclare d’ailleurs, qu’il le « méprise », et que le pauvre homme « n’a pas le sens commun et ne sait en aucune façon raisonner[335] » ; C’est dans ces objections, qui sont les cinquièmes, avec les réponses[336], que les deux adversaires, feignant de s’ignorer l’un l’autre, se donnent les appellations de Mens (Esprit), à l’adresse de Descartes, et Caro (Chair), à l’adresse Méditations. 299

de Gassendi. Encore ces deux surnoms traduisent-ils imparfai- tement les expressions latines, Mens, Caro, et expriment mal les intentions de leurs auteurs. Gassend ne voulait que plai- santer, et sa plaisanterie n'avait rien d'offensant pour Des- cartes, qui même ne la trouva pas désagréable. On n'en saurait dire autant de la sienne, qu'un spectateur du tournoi traduisit familièrement et justement par les termes de «grosse » bcte" », mettons pour adoucir : « bonne grosse bête », ô Caro optima. Singulière réponse à un adversaire qui, après tout, lui avait plutôt donné un titre d'honneur : « Pensée pure ou pure » intelligence », comme on appelait dans l'antiquité le philo- sophe Anaxagore. On trouva dans le public que notre phi- losophe avait été un peu dur. Gassend, dans ses conversations privées, se montrait plutôt conciliant : ce qui ne l'empêcha pas de répliquer aux réponses de Descartes par de longues et nom- breuses Instances. Le tout fut imprimé en un assez fort volume, auquel Descartes cette fois ne voulut pas répondre Il fît plus : lorsqu'on prépara une traduction française des Méditations avec les Objections et Réponses, il exigea que tout ce qui se rapportait à Gassend fût omis : mouvement d'humeur sans doute, regrettable chez un philosophe, et que peut-être lui-même aussi regretta ". En réalité, des objections comme celles de Gassend, ne répondaient pas du tout à son dessein : elles dispersaient l'attention du lecteur, le détour- naient de son objet principal. Elles faisaient dévier à perte de vue vers la philosophie et les discussions philosophiques un traité, où l'essentiel consistait dans deux questions seulement, l'âme humaine et Dieu, soumises toutes deux à l'examen des théologiens.

Descartes fut plus heureux avec les auteurs des sixièmes

a. Tome III, p. 548-549 : ce mot est du P. Durel, religieux minime, 26 février 1642. Voir t. VII, p. 263-264; p. 352,1. 10-24; p. 358, 1. i; p. 410, tin.

b. Tome VII, p. 391-412.

c. Tome IX (1" partie), p. 199, 1. 8-1 1.

�� � joo Vie de Descartes.

objections. Ils appartenaient, semble-t-il, à ce groupe de géo- mètres et de philosophes, avec quelques théologiens aussi, sorte de petite Académie qui se réunissait tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, assez souvent chez Mersenne, et dont les suffrages pouvaient beaucoup sur l'opinion des honnêtes gens\ Aux objections qui lui vinrent de là, Descartes joignit celle d'un Oratorien, qui n'était pas le P. Gibieuf, mais le P. de la Barde, et répondit à tout, sans se lasser, avec une satisfac- tion visible : il entre dans le détail, révèle quelques-unes de ses pensées les plus intimes, et invoque son expérience per- sonnelle.

Cependant l'approbation de la Sorbonne se faisait toujours attendre. Le P. Gibieuf n'épargnait pas sans doute ses démarches ". Descartes croyait pouvoir compter sur lui, et peut-être sur la Congrégation de l'Oratoire : on nous dit qu'en Hollande, pour ses affaires de conscience, il avait choisi un Oratorien; et de fait, en 1640, il y avait à Leyde justement un religieux de cette Congrégation, le P. Ellequens% et en t63i, plusieurs avaient demandé à s'établir à Harlem. Un

a. Tome VII, p. 420. Tome XI, p. 690.

b. Tome III, p. 415, 1. 2-18 : du 22 juillet 1641. Tome VII, p. 412-422, et p. 422-447. — Voir aussi t. III. p. 420, 1. 3, etc., et p. 472, 1. 5, à p. 473, I. 4.

c. Tome III, p. 388, 1. 3-6 ; p. 416, 1. 5-9, et p.\4i9, 1. 3-5.

d. « Il eut la ratisfa(Sion de trouver, . . des Prêtres de l'Oratoire, entre » les mains defquels il pût confier la direction de fa confcience pendant » tout le temps de fa demeure en Hollande. » (Baillet, t. I, p. 194).

e. Voici un document sur la « mission de Leyde », Fundatio Leydenjts, daté de Leyde, \" nov. 1668, et signé : Frater Ludoiiicus à S'^ Terefiâ Vijltator generalis. Ce religieux était un carme déchaussé.

« Dominus Hellequens, Patrum Oratorij facerdos, fuit omnium pri- » mus, qui hoc munus fufcepit anno 1640. Hicelapfis tribus vel quatuor » annis, Hagam Comitis fuit euocatus, & à Vicario Apoftolico in pafto- » rem iftius loci conftitutus. »

« In cuius locum fucceiïit Dommus Francifcus; facerdos fœcularis ex » Galliâ oriundus, qui labore pertœfus, ac pauperum penuriâ deterritus, » munere fuo fe abdicauit, ut commodius aliud occuparet. »

« Eo déficiente, ne fine paltore remaneret egena Communitas, fuffeélus » fuit in eius locum Dominus Petrus, diflus Romanus, quia de Romane

��I

�� � Méditations. joi

moment même, il espéra une intervention plus décisive à Paris, celle de la propre nièce de Richelieu, la duchesse d'Ai- guillon, qui s'était déjà intéressée en 1637 ^" Discours de la Méthode ; c'eût été alors, comme il le dit, la grande « faveur" ». . Mais rien de tout cela ne réussit.

Il fallait en finir. On était déjà en juillet 1641. Mersenne avait choisi comme imprimeur Michel Soly. Le transport du privilège donné en lôSy se fit à ce nouveau nom le 2 août. L'ouvrage était grossi de toutes les objections venues de Paris depuis décembre 1640, avec les réponses du philosophe : celui-ci insista pour qu'on mît réponses {responsiones), et non pas solutions [solutionesY, qui rappelait trop la terminologie de l'Ecole ; il avait horreur du pédantisme, et préférait le langage et les manières des honnêtes gens. Le titre restait le même : Méditations sur la philosophie première, de l'extstence de Dieu et de l'immortalité de l'âme. Ici encore le terme de Médi- tations lui paraissait préférable, comme moins scolastique, à

» venerat Seminario : hic pailoris Gallorum dignitatem, per quinque » circiter annos, fatis inglorius, l'ulUnuit : quibus elaplis, inl'aliîiato, ut >• dicitur, hofpite, ad proprios lares, Infulam fcilieet in Flandrià, eft » reuerfus. Itaque per menfes qu^^^.l•, poil eius difcellum, nefciuit Com- >) munitas, quo fuus pallor aufngiiiei. Vnde facile conjicitur dcflendus )> ouium ftatus; nefcisbani enini ubi verbi Dei inuenirent pafcua, aut » quis eis vitx- paiiein frangeret. Inueniebatur nemo. » [Bijdragen voor de Geschiedenis van het Bisdom van Harlem, x. II, 1874, p. 1 16.)

Le même recueil donne quelques renseignements sur ces trois prêtres : François Elkens, p. loS-ioy; François de Heer, p. 107-108; et Peirus Huyghens, p. 108-110. Le premier était ni à Amsterdam ; il étudia !a théologie d'abord à Cologne, puis à Louvain sous Jansenius, enfin à Paris où il se Ht Oratorien. Il revint en Hollande vers 1626, et y resta une trentaine d'années, jusqu'en 1637 ; il mourut à Bruxelles, le io avril i665. Le second, François de Heer, naquit au Mans; il mourut à Leyde, le 8 nov. 1676. Quant au troisième, Petrus Huyghens, il iui envoyé de Rome par la Congrégation De propagandd Jide, d'où son nom de Petrus Romanus. Le chapitre d'Utrecht lui ordonna de revenir à Leyde, le i8 août i'J4().

a. Tome III, p. 388, 1. 6-9 : du 23 juin 1641.

b. Ibid., p. 340, 1. 9-16 : du 18 mars 1641. Tome VII, p. 1 j8, I. 14.

�� � ^02 Vie de Descartes.

celui de Discussions ou Controverses" [Disputationes], qui était précisément le titre de l'ouvrage de Suarez, cité par Caterus, et que Descartes paraît s'être procuré. Au bas de cette page, on avait imprimé, sans doute par avance : Avec approbation des docteurs. L'approbation ne vint pas ; mais cette mention resta quand même, et l'ouvrage fut achevé d'imprimer le 28 août 1641,

Plusieurs objections se produisirent trop tard*^ pour trouver place dans cette première édition : entre autres, toute une série, en quatorze points, sans nom d'auteur, que le qualificatif (ÏHyperaspistes (dernier champion) . Descartes parla d'abord de les réserver pour une seconde édition ; mais il ne les fit pas imprimer, craignant sans doute des redites fastidieuses pour le lecteur. Il y avait répondu cependant avec beaucoup de soin, bien que ces objections eussent été greffées sur celles de Gas- send, et en parussent une réédition. L'auteur paraît avoir appartenu aussi à ce groupe de philosophes et de géomètres, dont nous avons déjà parlé. Il habitait Paris, fréquentait l'hô- pital des Quinze-Vingts, et y faisait des observations qu'il rapporte, sur un aveugle'. D'autres objections vinrent encore, plus ou moins anonymes, simples lettres d'ailleurs auxquelles Descartes répondit. Le P. Gibieuf lui-même se décida enfin à en envoyer, trop tard (ce fut peut-être à dessein, pour qu'on ne l'imprimât pas). Notre philosophe s'empressa d'y répondre, le 19 janvier 1642^ S-'il avait voulu, Mersenne lui en aurait envoyé de partout : il en recevait de la province, comme celles de ce religieux minime, le P. Durel de Rouen, et même de l'étranger, celles d'un certain Hubner de Londres, ces der-

a. Tome VII, p. 157, 1. 17.

b. Tome III, p. 418-419.

c. Ibid., p. 375-377 et p. 382-383 : du 19 mai et du 16 juin 1641. Voir aussi p. 391-397.

d. Ibid., p. 397-412. Et aussi p. 417, 1. 5-22 : du 22 juillet. Réponse de Descartes : p. 421-435, août 1641.

e. Ibid., p. 409, 1. 15-19, ^t p. 432, 1. 20-25.

f. Ibid., p. 472-480.

�� � Méditations. }oj

nières datées du 29 août 1641 : tant l'ouvrage avait été prompt à se répandre".

Cependant Descartes attendait au fond de la Hollande. Il avait demandé trente exemplaires pour donner à ses amis, et cent à mettre en vente chez un libraire. Trois mois entiers se passèrent 'sans qu'on les envoyât de Paris. Le 19 janvier 1642, Descartes n'avait rien reçu encore ^ Il fit alors prévenir Michel Soly qu'une seconde édition était sous presse à Amster- dam, chez Louis Elzevier. Il en avait écrit à Mersenne, le 17 novembre 1641 : il venait d'obtenir de l'imprimeur hollan- dais que celui-ci n'enverrait point d'exemplaires en France, et Soly pouvait encore envoyer une centaine des siens en Hollande, jusqu'à ce que la seconde édition fût prête^. Elle parut dans les premiers jours de mai 1642 : Huygens l'avait en mains pour un voyage qu'il fit de La Haye à Amsterdam, aller et retour, du 19 au 23 mai ; il se divertit « délicieusement' » à lire les additions que Descartes y avait faites.

Ce sont d'abord les septièmes objections, fort amples, avec les réponses non moins amples du philosophe. Ces objections, qu'on avait obtenues à grand peine, étaient d'un Jésuite, le P. Bourdin, professeur au collège de Clermont à Paris. Le 3i janvier 1642, Descartes annonce à Huygens qu'il venait seulement de les recevoir f. Outre les réponses qu'il y fit, il rédigea une lettre à son ancien répétiteur de philosophie à La Flèche, le P. Dinet, devenu provincial pour la Province de France, c'est-à-dire un dignitaire de la Compagnie de Jésus e. Cette lettre donne l'historique de ses démêlés, non seulement avec le P. Bourdin à Paris, mais à Utrecht, oii l'Université, à

a. Tome III, p. 438-439 (Huebnerus), et p. 547-549 (Durel ou Du Relie).

b. Ibid., p. 235, 1. 26-27.

c. Ibid., p. 484, 1. 22.

d. Ibid., p. 445, 1. 25-28, et p. 448-449 : nov. 1641.

e. Ibid., p. 564, 1. 1 1-17 : du 26 mai 1642.

f. Ibid., p. 523, 1. '6-12. Voir t. VII, p. 45i-56i, objections avec réponses intercalées.

g. Tome VII, p. 563-6o3. Et t. III, p. 55j-552.

�� � }04 Vie de Descartes.

l'instigation de Gisbert Voët, venait de rendre contre lui un jugement, le 17 mars 1642. C'est donc à partir de cette date seulement qu'il put écrire la lettre en question. Nous savons d'ailleurs qu'au lieu d'aller trouver lui-même Louis Elzevier à Amsterdam, il lui donnait rendez-vous à Harlem chez Bannius, notamment le 2 avril 1642, pour s'entendre sur cette seconde édition^.

Le titre en fut un peu modifié. Déjà Mersenne, au reçu du premier manuscrit en novembre ou décembre 1640, avait fait la remarque que des deux questions annoncées dansée titre, £"ji:w- ience de Dieu et Immortalité de l'Ame, la seconde n'était point traitée. Descartes en convenait; mais comme il espérait encore se rendre la Sorbonne favorable, il maintint ce titre, quoique inexact, en tête de la première édition. Pour la seconde, il n'avait plus à garder les mêmes ménagements, et se contenta de mettre Existence de Dieu, et Distinction de l'Ame et du Corps. C'était, selon lui, tout ce que la philosophie pouvait démontrer, et cela suffisait d'ailleurs comme fondement de la religion. Mais la métaphysique de Descartes, en dépit des apparences, avait un tout autre objet : à savoir, de fournir les fondements de la physique. li le dit en propres termes à Mer- senne ; mais il ne le dit qu'à lui, et en lui recommandant le

a. .I.-A. Bannius Conftantino Hugenio, Harlemi, 4 Non. April 1642: « Cùm nuper mihi cum Heroe Defcartefio fermo elTet de Muficà ad » fyllematis perfefti normam exigendâatque excolendâ, vifum fuit fapien- » tiflimo fodalitio Defcartefii fententiam fequendam : ut primùm aliquod » fpecimen meœ Muficac linguà vernaculâ ederem, antequam inflitutio- » num muficarum veftigium in manus cujufquam veniret. Imo fuade- » bant, ut poëtarum vernaculorum verfus eum in finem feligcrem... » Praevenii me Elfevirius Typographus Amftelodamenfis, qui antehac » ab amicis inftrudus & domi meae Defcartefio de libro illius recudendo » conveniens, tam officiofe operam fuam obtulerat, ut eodem momento » illi muficee meœ typographiam quantocius aggrediendam dedicere non » polTem. . . » (Musique et Musiciens au XVII" siècle, par Jonckbioct et Land, Leyde, 1882, ps cxix et p. cxx.)

b. Tome III, p. 265-266 : du 24 doc. 1640. Tome VII, p. 127-128. Voir les titres comparés, ibid., p. xviii et p. i.

�� � Méditations. 30^

secret». Aux yeux des théologiens, dont il brigue pour le moment les suflFrages, il défend la cause de Dieu, rien de plus. En réalité, il joue un double jeu : il veut gagner la partie sur le terrain de la métaphysique d'abord, et attirer ses adversaires, sans que ceux-ci s'en doutent, sur le terrain de la physique, où ils devront reconnaître qu'il a gagné également. Outre les confidences qu'il fait là-dessus au P. Mersenne, il dira, dans une lettre privée à la princesse Elisabeth, qu'il n'a con- sacré qu'un petit nombre d'heures en toute sa vie à la méta- physique ; et plus tard, lors d'un entretien familier avec un jeune homme, Burman, qu'il recevait à sa table dans son ermi- tage d'Egmond, il lui dira, au cours du repas, de ne pas faire trop de métaphysique : cela lui serait plus nuisible qu'utile ; ne trouvait-on pas, au premier livre de ses Principes, tout ce qu'il en fallait pour la physique, qui doit être l'occupation essen- tielle ■'P A première vue, les Méditations àt Descartes semblent ne se rapporter qu'à la religion; mais là même, encore et toujours, son arrière-pensée se rapporte à la science.

Alors pourquoi ce double jeu, qui ressemble à une comédie? J'entre en scène, avait dit autrefois Descartes, avec un masque*. Larvatus prodeo^. C'est que notre philosophe ne veut pas renouveler, à ses dépens, l'aventure de Galilée. Il sent que son cas est le même, et que sa doctrine tombe sous le coup d'une condamnation semblable". Il prend donc ses mesures, le plus habilement qu'il peut. La Faculté de théologie de Paris ou la Sorbonne est une puissance dans l'Eglise catholique, et qui vaut bien, pour un français ou un gallican, le Tribunal du

a. Tome III, p. 233, 1. 24-26, et p. 297, 1. 3o, à p. 298, 1. 7 : leures du 1 1 nov. 1640 et du 28 janv. 1641.

b. Ibid., p. 692, 1. 25, à p. 693, 1. 5, et p. 695, 1. 4 à 1. 25 : lettre du 28 juin 1643.

c. Tome V, p. i65 : du 16 avril 1648. Lire à cette même page, 1. 5 : coticlujîonum (au lieu de conclu/tonem) .

d. Tome X, p. 21 3, 1. 4-7.

e. Tome III, p. 349-350 : du 3i mars 1641.

Vie de Descartes. 39

�� � Saint-Office à Rome. Au moins ce dernier y regardera-t-il à deux fois avant de condamner un livre qui aura d’abord reçu l’approbation de la Sorbonne. Descartes s’efforcera donc de l’obtenir, en montrant qu’il y va de l’intérêt de la religion, et qu’il s’agit des deux grandes vérités religieuses, existence de Dieu et immortalité de l’âme. Comment ne pas approuver un ouvrage qui porte ce double titre ? Cependant Descartes n’oublie pas qu’il est philosophe, et non théologien, et qu’il a en vue tout autre chose que la théologie. D’une part, il pense à la religion catholique, avec laquelle sa philosophie ne doit pas entrer en lutte ; d’autre part, il pense à cette philosophie elle-même, c’est-à-dire à sa physique, dont il veut faire accepter par avance les principes sous le couvert d’une métaphysique orthodoxe. Le pavillon, si l’on ose dire, devait couvrir la marchandise ; et Descartes tenait à la marchandise pour le moins autant qu’au pavillon.

Sans la condamnation de Galilée, nous aurions eu tout de même la métaphysique de Descartes. Mais nous ne l’aurions probablement pas eue sous la forme volumineuse qu’elle a prise avec toutes ces Objections et Réponses, qui font plus que quintupler les Méditations primitives[337]. Le philosophe se serait sans doute contenté de nous donner les cinq ou six feuilles d’impression, qu’il avait rédigées en 1629 dès son arrivée en Hollande. Au fond il eût autant aimé n’avoir pas à répondre à tant d’objections, surtout aux cinquièmes de Gassend et aux septièmes du P. Bourdin, bien qu’il l’ait fait avec sa verve coutumière. Dès l’été de 1641, il déclare qu’il en a assez, et qu’il ne répondra plus sur des questions de ce genre. C’est pour lui du temps perdu, et dont il eût aisément trouvé un emploi meilleur. Tout cela est en dehors de son plan d’études, et du programme qu’il s’est tracé ; tout cela le distrait et le détourne. C’est une tactique, à laquelle il se croit obligé, pour le succès de ses opérations principales, mais qui les retardent. Ce sont comme des ouvrages extérieurs, destinés à mettre à l’abri le corps de la place, ouvrages avancés parfois, et d’une utilité ou d’une nécessité toute de circonstance (l’explication de l’Eucharistie, par exemple), mais dont son œuvre pouvait se passer, étant complète en elle-même, et suffisamment munie et armée pour se défendre. CHAPITRE II

MÉDITATIONS

(suite) (I64I-I642)

��Les Méditations sont au nombre de six, une, semble-t-il, pour chaque jour de la semaine. Il ne faudrait pourtant pas voir là comme une réminiscence biblique ; Descartes n'a point réparti sa tâche, ainsi que l'œuvre de la création, en six jour- nées, après lesquelles il se reposa. Et même il n'aimait point qu'on lui rappelât trop la Bible, surtout pour en tirer des objections contre sa métaphysique. A vrai dire, ni Hobbes, ni Gassend, ni Caterus, ni même Arnauld, c'est-à-dire aucun des vrais philosophes n'usa de cette arme contre lui ; mais à deux reprises le petit groupe de Paris, qui comptait sans doute aussi des théologiens, lui allégua, par exemple, que Dieu pourrait bien être trompeur: n'a-t-il pas, en effet, trompé les Ninivites et trompé Pharaon"? D'autre part, on invoquait aussi les anges, ou tout au moins la nature angélique*", comme intermé- diaire entre Dieu et les hommes. Descartes manifeste quelque impatience, et finit même par déclarer qu'il ne répondra plus à des objections de ce genre: il n'a point fait, dit-il, d'études théologiques, sinon juste ce qu'il en fallait pour son instruc- tion personnelle, et n'a point reçu du ciel, par une grâce

a. Tome VII, p. 125-126, et p. 143, 1. 6-17.

b. Ibid.^ p. 413-414 et p. 428-429.

�� � Méditations. ^09

spéciale, la vocation de la théologie". Quant à la Bible, chacun sait qu'elle a un langage à part, avec des images accommodées aux façons de penser du vulgaire ; on ne saurait donc les ériger en articles de foi, et encore moins en vérités scientifiques : cela dit en passant, et sans qu'il y paraisse trop, à l'adresse des juges de Galilée. Dans l'intimité, Descartes s'exprime plus librement encore, et ne se fait pas scrupule de railler saint Thomas lui-même, le Docteur « angélique », qui connaissait les anges au point d'en faire le dénombrement et le classement hiérarchique, comme s'il avait siégé dans leurs assemblées célestes : nulle part il ne s'était donné autant de peine, et nulle part il n'avait fait preuve, bien entendu, d'autant d'ineptie% disons d'incompétence.

Descartes borne son ambition a démontrer, dit-il, l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme^. Ce double titre avait l'avan- tage de mettre en évidence les deux vérités sur lesquelles il désirait appeler l'attention de la Sorbonne. Il rend son dessein encore plus explicite, en renforçant le titre particulier de quel- ques-unes de ses Méditations^. La troisième, par exemple, était d'abord intitulée « de Dieu » seulement, de Deo; il ajoute ces deux mots,^woi existât, « qu'il existe ». De même la cinquième était intitulée seulement « de l'essence des choses maté- » rielles », de essentiâ rerum materialium ; il ajoute, et iteritm de Deo, quod existât, « et derechef, de l'existence de Dieu ». Enfin, la sixième et dernière avait d'abord pour simple titre « de l'existence des choses matérielles », de rerum materialium existentià; Descartes ajoute, et reali mentis à corpore distinc- tione, a et de la distinction réelle entre l'âme et le corps de » l'homme ». Ces additions datent de la fin de janvier 1641, lorsque Descartes avait déjà reçu les observations de Mersenne,

a. Tome VII, p. 429, 1. 5-8. Tome VI, p. 8, 1. 8-17.

b. Ibid., p. 142, 1. 20-26.

c. Tome V, p. 157.

d. Meditationes de prima philofophia, in qua Dei exijlentia & animée immortalitas demonJiratuK. (Tome VII, p. xix.)

e. Tome III, p. 297, 1. 2o-3o : du 28 janv. 1641.

�� � et au moins les secondes et les troisièmes objections. Elles sont significatives. Elles révèlent nettement une préoccupation ontologique, qui n’apparaissait pas aussi bien d’abord : et ceci, semble-t-il, afin de donner pleine satisfaction aux théologiens.

D’autre part, cependant, le titre général avait peut-être l’inconvénient de dissimuler l’objet réel de cette métaphysique, lequel était d’assurer les fondements de la physique[338]. L’esprit de Descartes n’avait-il point, nous l’avons vu, une orientation nettement scientifique, et non pas théologique ? Lui-même en fera l’aveu, après de longues réticences, au P. Dinet, dans la lettre qu’il ajoute en mars ou avril 1642 à la seconde édition : ces six Méditations contiennent, dit-il, tous les principes de la philosophie (entendez la physique) que je prépare, in paucis illis Meditationibus principia omnia Philosophiæ quam paro continentur[339]. Mais déjà, pour un lecteur averti, l’examen des titres particuliers et de l’ordre dans lequel ils se succèdent, était singulièrement révélateur. Il n’était question de Dieu que dans la troisième et la cinquième Méditation, et de l’âme dans la seconde seulement. On s’y serait trompé même, et Descartes fut obligé de dire, à maintes reprises, que, pour l’âme, la seconde Méditation a besoin d’être complétée par la sixième : celle-ci seule donne l’explication définitive[340]. De là le sous-titre qu’il y ajoute, « de la distinction réelle entre l’âme et le corps » ; mais le titre primitif, le seul qui comptait d’abord, était simplement « de l’existence des choses matérielles ». Et la dernière Méditation répond ainsi à la première : le cycle se referme, et la fin rejoint le commencement. Quel est, en effet, le but de la première Méditation ? Mettre en doute l’existence des choses matérielles. Et le but de la dernière ? Rétablir l’existence de ces mêmes choses matérielles. Le monde physique est le point de départ de cette métaphysique, et c’est au monde physique qu’elle aboutit. Méditations. )ii

Entendons-nous bien : le monde physique, non pas tel qu'il s'offre à nos sens, monde de couleurs, de saveurs et d'odeurs, de sons, etc., mais dans ce qu'il a d'essentiel, étendue, figure et mouvement, et que nous pouvons scientifiquement connaître. C'est de science, en effet, qu'il s'agit, ou de la vérité dans les sciences, laquelle ébranlée d'abord et même renversée, dans la première Méditation, a besoin, dans la sixième et dernière, d'être relevée et raffermie. Entre temp«, de la seconde à la cinquième, Descartes fait une excursion rapide dans la métaphysique, parce qu'il ne pensait pas sans cela pouvoir être physicien, le physicien novateur, le physicien révolutionnaire qu'il a été.

Nous sommes moins frappés de cette tactique aujourd'hui. Depuis bientôt trois siècles que Descartes est lu de tous les Français qui étudient et qui pensent, ses idées nous sont devenues familières; elles ont donc perdu de leur nouveauté, et il nous faut un effort pour nous représenter l'effet pro- duit par elles sur les contemporains. Ceux-ci furent frappés du caractère paradoxal de la doctrine nouvelle* : paradoxe

a. Cependant quelques-uns, se contentant d'une lecture superficielle, ne virent rien de nouveau dans les Méditations. Tel ce Gaspard van Baerle (voir ci-avant, p. 294, note b), à qui Huygens, son parent, fait ainsi la leçon, lettre à Barlaeus, 27 août 1642 :

« Attende, rogo, mî Barlaee, ad ea quae diifturus fum, candide, Il » unquam, & Trap^T,(ita«7Ttxù);. Apertè quidem tu, & nullâ circuitione fen- » tentiam dixifti de Cartefij Metaphyficà, [in margine : & mihi fie abundè » fatisfadum eft, non autem [récrit au-dessus de at nondum barré) tibi]. » Non eft quôd fufpiceris, palàm fore, quod inter nos perire voluifti. » Non habeo in delicijs, committere magna ingénia, nifi confentiente » utroque : ut ex bonorum filicum attritu fcintillae emicent illuftrandae » veritati. Ergo caetera omnia reticentem, quod bonâ fide faciam, hoc » velim unicum, à te niinciare patiaris homini Philofophorum omnium » quos noui maxime traclabili & TcpaeT [récrit au-dessus de nfaorarov » barré], lie nimirum te fentire : [in margine : Noua loqui cùm vult (ita » loqueris), loqui trita; vetera principia dutn ejurat, & noua parturit, » in eadem relabi]. Ijfdem argumentis probare Deum ejfe, & animant » immortalem, quibus ufi funt & alij. Ipfe vero videris : nifi enim te » jubente vel permittente, nihil eliminabo. »

« Neque eft hoc illud quo te, ut attenderis, rogaui. Sequitur. Narro

�� � }i2 Vie de Descartes.

n'est point toujours synonyme de vérité, sans doute, mais c'est au moins synonyme d'originalité, et le système de Descartes apparut comme singulièrement original. Une circonstance, entre autres, y contribua. Aujourd'hui ce système, considéré dans son unité et dans la liaison de ses parties, se manifeste

» tibi, amice, & comperies aliquando, nihil illo viro candidius effe, nihil » illo candore fallacius. Solet enunciare potiffima quasque affenionum » fuarum argumenta tam planis fimplicibufque verbis, ut multoties leflo- » rem docuerit, quae hic fe difcere non obferuauerit. Unde neminem de » Cartefio & Cartefij lefloribus meliùs meruiffe olim judicaui, quàm qui » opufculis Phyficis, quae his praemifit, indicem locupletem •Jjxpiêwoe. » Me quidem fateor monuilTe plurimarum rerum, quse fub tam facili & » aperto fermone latentes plané attentionem meam fugerant aut non » affecerant. Poffit de tali fcriptore dici : Laboro clarus effe, obcurus fio. » Crede mihi tamen, fimplici illo & inornato greffu Ttpoai'oeiv ûmht ^i\% » (7uv£/ùi; xaî iuoaXài; xai à7:)avàiî. Mathematicum ingenium eft & plané » lynceum. Peruidet paralogifmorum omnes latebras êv fiTtïi ôcp9aX|j.oi;, » nec acquiefcit nifi demonftrationibus quœ cum veritate & ipfo foie de » luce contendant. Quarum tam infolubilis ab imis ad fequentla conca- » lenatio eft, ut fi, verbi gratiâ, corruat tô Exijîo quia cogito, nec verum » effe poffit très angulos trianguli pares effe duobus re£lis. »

« Concludo, Vir prœftantiffime, non fugiffe, fed potuiffe fugere primos » intuitus nonnuUa, quae fi attentiùs répétas, aliter te de caeteris ac de » toto Cartefio fentire adigant, quàm haclenus fentire videri vis. Certè, )) quid effe caufa; poffit, cur conferre cum tante viro, qui tantus es, » detreclare debeas, non fatis affequor. Fallor enim, aut ôiaîo^/îo'., (certô » écrit d'abord, puis barré) utique non infefti inuicem Philofophi, difce- » deretis. [In margine : Et veritatis denique intereft, & pofterorum, de » quibus ego plus quàm de me foUicitus fum, quatuor ftudioforum » Pater, ut vel Barlaso cum Cartefio conueniat, vel cur diffideant publicè » innotefcat.l Haec funt de quibus feriô te conuentum volui... » (Amster- dam, MS. Bibl. Académie, des Sciences, Constantini Hugenii Epijlolœ Latince MS., Epijl. 328.) Les quatre étudiants de Huygens sont ses quatre fils, énumérés ci-avant, p. ii5, note.

Huygens avait déjà écrit à Barlasus, « Jul. 1642 » :

« Cartefij Meditationes tnetaphyficas , accuratè nunc éditas, cum » objeclionibus doflorum, & autoris folutionibus, quin tandem videris » non ambigo : fi autem peruideris, magnopere à te peto ut perfcribas » quid in uniuerl'um de opère lentias. » Ibid., EpiJl. 333, poft-fcriptum.) La lettre est ainsi datée à la fin : « Cal. Sext. en id cxlii «, 1" août 1642. Huygens emploie ici le mot folutiones ; Descartes avait préféré rejpon- âones. (Voir ci-avant, p. 3oi .)

�� � Méditations. J 1 3

à nous avec une logique parfaite. Mais ces vues d'ensemble étaient inconnues à la critique du xvii° siècle : le nom même de Système, réservé aux spéculations des seuls astronomes, ne semblait guère applicable aux rêveries des métaphysiciens ou des philosophes ; encore bien moins était-on disposé à voir dans l'œuvre de chacun d'eux une sorte d'organisme, avec un principe interne qui y répand la vie comme dans tous les membres d'un même corps. On aimait mieux, à la façon des Scolastiques, extraire d'un texte telles et telles propositions détachées, qui, sous forme de thèses, devenaient l'objet de disputes comme en soutenaient, à la fin des classes de philosophie, maîtres et écoliers dans les universités et les collèges. Descartes, novateur en tout, a beau protester d'avance contre cette façon de traiter, autant dire de mutiler sa doctrine, et recommander de lire d'un bout à l'autre ses écrits, afin de bien suivre l'enchaînement des pensées. L'habi- tude ancienne est trop forte; et Gassend, lui-même, avertit qu'il donne un index détaillé de ses Instances, afin que le lec- teur soit libre de choisir, à sa fantaisie, tantôt l'une, tantôt l'autre séparément. Or, rien ne heurte davantage l'opinion commune, et parfois même le bon sens, qu'un propos de philosophe, séparé de ce qui l'exphque et de ce qui le complète; rien, dira Descartes lui-même, qui paraisse plus extravagant.

On ne vit donc d'abord qu'un paradoxe dans la première Méditation ', et un paradoxe peu sérieux, que Descartes ne proposait pas « pour de bon » ; au fond, ne se moquait-il pas du public ? Le titre était : « des choses que l'on peut révoquer » en doute », titre modeste et inoffensif, en apparence ; mais voici que, parmi ces choses, en fin de compte, tout se trouvait compris, sans rien d'excepté. On ne voulut point le croire : douter ainsi, dans la pratique tout au moins, serait folie, d'où les plaisanteries faciles d'un P. Bourdin, par exemple. Des- cartes est le premier à en convenir, et répète qu'on ne peut et

a. Tome VII, p. 17-23: et t. IX (impartie), p. i3-i8.

Vie de Descartes. 40

�� � 314 Vie de Descartes.

qu'on ne doit douter ainsi que dans la spéculation. Cependant ceux-là mêmes qui le reconnaissent avec lui, ne semblent pas avoir pénétré les raisons protondes d'un tel doute. Ils passent trop légèrement sur cette première Méditation, au lieu de s'y arrêter et d'approfondir ; et plus d'une fois Descartes s'en est plaint. Il demande que l'on consacre plusieurs mois, ou tout au moins plusieurs semaines, à considérer les raisons de cette pre- mière Méditation, et ne veut pas qu'on lise son livre comme un roman". Il indique nettement le but qu'il avait en doutant, à la fin de ses Réponses aux sixièmes Objections, c'est-à-dire dans les dernières pages du volume tel qu'il se présentait d'abord, avant la seconde édition *> : comme s'il voulait laisser le lecteur sur cette impression, et lui donner ici la clé de ce qu'on trouve au début. Donc nous n'avons d'abord que des idées confuses, où nous mêlons tout, à tort et à travers ; et nous commettons par suite erreur sur erreur, au dedans de nous comme au dehors. Au dedans, nous attribuons à l'âme des choses qui n'appartiennent qu'au corps ; à l'extérieur, nous attribuons à tous les corps des choses qui n'appartiennent qu'à l'âme ". De là ces prétendues « qualités réelles », qui ne sont que nos sen- sations mêmes, transportées telles quelles indûment dans les corps ; et Descartes donne comme exemple typique la pesan- teur, ou l'idée que nous nous en faisons . Ce sont là des préjugés de notre enfance, et qui nous sont naturels par conséquent, mais qui se retrouvent sous une forme savante ou plutôt pédante dans la philosophie scolastique : celle-ci ne fait que continuer et prolonger ainsi notre premier âge : ce

a. Tome VII, p. i3o, 1. 23-27. De même pour la seconde, p. i3i, 1. i3-i6. Quant à l'expression « comme un roman », elle a été ajoutée dans la traduction, t. IX, p. 107. Le texte latin donnait seulement : Neque' id, qiiod ab alterius cogitatione tantùm pendet, poffum ipji ofcitanti obtrudere. (Tome VII, p. i35-i36.)

b. Ibid.., p. 439, 1. 16, à p. 447. Tome IX (i" partie), p. 238-244.

c. Tome III, p. 420, 1. 1 1, à p. 421, 1. i5.

d. Tome VII, p. 441, 1. 23, à p. 442, 1. 29. Tome IX (i" partie), p, 240-241.

�� � Méditations. j i 5

sont les mêmes jugements faux, les mêmes préjugés. Et voilà pourquoi Descartes voudrait extirper de notre esprit l'erreur : ce serait en finir avec cette végétation de doctrines erronées, et couper véritablement le mal à sa racine. Mais son doute prend une portée bien plus grande encore, avec l'introduction du malin génie, ou démon méchant, bref d'un principe mauvais qu'il suppose à l'origine. Pascal a vu nettement le danger de cette supposition, et qu'il était impossible cepen- dant à un philosophe d'y échapper : « l'incertitude de notre » origine, dit-il, enferme celle de notre nature^ ». Pascal est possédé du même besoin d'absolu dans la vie morale, que Des- cartes dans la vie intellectuelle. Un moment ces deux grands esprits ont regardé bien en face la théorie du mal radical, laquelle admise interdirait à l'homme à tout jamais aussi bien une pensée vraie qu'une bonne action. Pour qu'il soit réelle- ment capable et de l'une et de l'autre, il faut qu'il tienne son origine d'un être en possession de toute vérité et de toute bonté. Mais comment être sûr qu'un tel être existe ?

La seconde Méditation parut plus paradoxale encore. Des- cartes avait choisi ce premier titre : « De la nature de l'esprit » humain », De naturâ mentis humanœ. Puis, comme pour piquer davantage la curiosité, sinon même pour mystifier son monde, il ajouta : « qu'il (l'esprit) est plus aisé à connaître que » le corps », quod ipsa sit notior quàm corpus. Cela ressemblait à une gageure. Songeons, cependant, que sept à huit siècles de philosophie scolastique, et quinze à seize siècles de chris- tianisme, avaient façonné les esprits de telle sorte, que la question se posait, comme dira Gassend, entre la chair et l'esprit, Caro et Mens, entre l'âme immatérielle ou spirituelle et le corps qui n'est que matière, ou bien entre la substance, et le mode, et l'accident, le tout avec l'appareil obligatoire du syllogisme. Descartes se tire le plus habilement qu'il peut de

a. Pascal, Pensées (édit. Brunschvicg, Paris, 1904), t. II, p. 341-342 et p. 344-345.

b. Tome VII, p. 23-34- Tome IX (i« partie), p. 18-26.

�� � ces difficultés où s’embarrassent ses adversaires. Il écarte les définitions de l’homme, communément reçues dans les écoles, par le genre le plus proche et la différence propre : animal raisonnable, etc… Procédant par élimination, ce qui lui est aisé après tant de motifs de doute rassemblés dans la Méditation précédente, il ne retient que la pensée, et c’est par là qu’il se définira lui-même, comme par l’essence, ou la nature, ou la forme véritable de son être : nouvelle sorte de définition, empruntée aux mathématiques, et introduite par lui dans la métaphysique. Cette pensée, qui est identique au doute, n’est pas moins indéniable que lui : je doute, je pense, je suis, trois termes ou même deux (en réunissant le premier et le second), qui n’en font qu’un ; je pense, donc je suis. Le mot donc est presque de trop ; et il avait l’inconvénient de faire penser à un syllogisme incomplet, et qui devait être complété : aussi ne manqua-t-on pas de réclamer à Descartes l’argument en forme, avec majeure, mineure et conclusion. Il s’exécuta, faisant rentrer de force dans ces vieux cadres un raisonnement qui n’était point fait pour cela : qu’avait-il besoin, en effet, de cette façon de prouver, tout à fait surannée ? Il inaugurait une preuve nouvelle, plus expéditive, et plus sûre aussi, par simple vue, ou inspection, ou intuition. Je pense ; cela ne suffit-il pas ? Je suis au moins une pensée, incontestablement. Ne suis-je que cela ? Et la pensée est-elle bien toute mon essence, toute ma substance ? ou qui sait ? peut-être un mode seulement ? Est-elle foncièrement distincte de toute autre chose, et en particulier du corps ? Pour le savoir, il faut recourir à Dieu.

Et c’est là le paradoxe de la troisième Méditation[341]. Non point, parce que Descartes y prouve Dieu : c’était le grand problème que la philosophie, longtemps servante de la théologie, avait à résoudre avant tout ; et maintenant encore la première question, souvent même la seule, qu’une âme façonnée par l’éducation chrétienne pose d’abord à un philoMéditations. J17

sophe, est la question religieuse de l'âme et de Dieu. Mais Descartes prétend prouver Dieu par la seule idée de Dieu. Tout d'abord avons-nous une telle idée? Les sauvages, par exemple, l'ont-ils ? Et on alléguait les récits des voyageurs : l'Amérique, découverte depuis un peu plus d'un siècle, fournissait l'argument nouveau des Canadiens et des Hurons ' que s'efforçaient de convertir les missionnaires; et voici dans la philosophie moderne, la première appa- rition, timide encore et discrète, de ces sauvages dont le défilé, de rigueur désormais dans tout système, était appelé à une si prodigieuse fortune. Et les enfants eux-mêmes, ont-ils cette idée de Dieu, les enfants au sein de leur mère ? Plus tard, ils ne se souviennent pas de l'avoir eue ; mais les cartésiens s'en souviennent, dira-t-on plaisamment, et cela leur suffit. De fait, Descartes est amené à rabattre un peu de ses prétentions ; ou du moins il s'explique. Certes, nous n'avons pas une idée complète de Dieu, puisqu'il est infini, de même que nous n'embrassons point du regard toute l'étendue de la mer : nous la voyons cependant. Ou bien (et cette autre comparaison rappelle un homme habitué à rêver dans les bois) on ne saurait, certes, entourer complètement de ses bras un arbre dont le tronc est trop gros, mais on peut le toucher de la main, et s'assurer ainsi qu'il existe : de même notre esprit peut bien toucher Dieu, pour ainsi dire, de la pensée, et prendre contact avec lui, sans pour cela le com- prendre, c'est-à-dire en prendre une connaissance entière, et au sens propre du terme, véritablement l'embrasser : ce serait en faire le tour, et le limiter, lui qui est infini'. Pressé par ses adversaires, notre philosophe finit presque par lâcher prise : au lieu de dire que nous touchons l'idée de Dieu, ou que nous la tenons, il avoue que nous avons seulement en nous le

a. Tome VII, p. 124, 1. 10, et p. 154. Tome IX, p. 98 et p. 120.

b. Ibid., p. II 3, 1. 17, à p. 114, 1. 5. Tome IX {i"> partie), p. 90.

c. Tome 1, p. 1 52, 1. 9-19. Tome VII, p. 367-368. Tome IX {2' partie), p. 42-

�� � pouvoir de la former ; et cela suffit. L’idée telle quelle que nous avons de l’Être parfait, est un effet de ce pouvoir ; et notre existence, à nous qui sommes capables de cette idée, est ce pouvoir même.

Mais quelle est la cause de cette idée en nous, et quelle est la cause de notre existence ? La question de causalité, que Descartes se pose ainsi doublement, va lui permettre de s’élever, comme d’un bond et immédiatement, jusqu’à l’Être parfait qui existe, jusqu’à Dieu. Les théologiens furent étonnés : Caterus, Arnauld. Ils n’avaient pas encore vu la causalité appliquée ainsi à une idée ; saint Thomas ne s’en servait que pour des existences particulières, causes secondes elles-mêmes, et par lesquelles, en vertu de cette causalité, on remontait de cause en cause jusqu’à la cause première. Tout autre est le procédé de Descartes : il n’a que faire de cette longue chaîne de causes qui peut aller à l’infini, et ne le conduirait pas où il veut ; il s’en tient au premier anneau, et le rattache immédiatement à un terme solide, au delà duquel plus n’est besoin de remonter. Je suis, Dieu est, c’est encore là une double vérité, connue comme une seule, sans raisonnement, mais par intuition. Un tel emploi de la causalité, entendez celle de la cause efficiente, est-il légitime ? Plus tard, lorsque la critique des philosophes modernes se sera exercée sur ce principe, il deviendra difficile d’en faire l’application en dehors des phénomènes qui sont dans l’espace et dans le temps ; on en réglera l’usage, on le bornera au relatif, avec interdiction de le transporter dans l’absolu. Déjà Arnauld et Caterus faisaient des réserves. Ma pensée a besoin d’une cause qui est Dieu, mais Dieu n’a plus besoin de cause, parce qu’il est à lui-même sa cause : il est par lui-même ou par soi, a se, comme par une cause[342]. Ce comme, ajouté par Descartes, indique bien qu’ici, dans l’absolu, les mots ont un sens différent. Notre philosophe s’en rend compte, et le métaphysicien aux abois recourt au mathématicien[343]. En mathématiques, on raisonne sur les corps composés de lignes courbes, comme s’ils l’étaient de lignes droites ; les règles sont les mêmes, et la démonstration réussit : la sphère, par exemple, est considérée comme limitée de petites surfaces planes en nombre infini. Le passage ne se fait pas autrement de l’âme humaine à Dieu. Paradoxe encore, que ne fait qu’accuser davantage cette spécieuse analogie.

Et les paradoxes continuent de se succéder et de s’accumuler jusqu’à la fin. Dieu ou l’Être parfait comprend en lui, c’est-à-dire dans son entendement, les formes immuables, les essences, les vérités éternelles ; mais il est autre chose encore, il est volonté. L’entendement, si parfait qu’il soit, n’épuise pas, à lui seul, toute la perfection ; ni la volonté non plus, d’ailleurs, à elle seule. Les philosophes anciens s’en tenaient aux essences éternelles ; Descartes prend celles-ci pour acquises et pour accordées, et leur conserve le caractère d’éternité ; mais il va plus loin, et leur adjoint la volonté divine qui, pour être infinie et parfaite, doit être absolument libre, d’une liberté d’indifférence. Autrement, elle serait assujettie aux vérités éternelles : tel le Jupiter ou le Saturne antique, assujetti au Destin. Au contraire, tout est création de cette liberté divine, à commencer par les vérités éternelles elles-mêmes. Ainsi Descartes n’avait plus à craindre qu’on l’accusât, comme Jordano Bruno[344], de ruiner le dogme de la création : il ne le restreint même pas à ce monde créé, il l’étend à tout. Et ce n’est plus un dogme, mais une vérité de métaphysique, conséquence ou condition même de la perfection. Les théologiens n’en demandaient pas tant, et jugèrent sans doute que le philosophe, pour vouloir trop prouver, risquait de compromettre les intérêts de la religion.

Autre paradoxe : la liberté en l’homme n’est pas moindre qu’en Dieu ; de part et d’autre, elle est infinie. Le bon sens, un peu court et un peu épais, de Gassend, se révolte. A votre aise, dit Descartes, et dédaigneusement il le rappelle au sentiment intérieur que nous avons tous de notre liberté[345]. Elle va devenir, pour lui, comme un instrument de libération. Il pense trouver en elle la cause de l’erreur, et le moyen de nous en libérer : à la fois donc le mal et le remède[346]. D’une part, en effet, la liberté n’attend pas toujours que l’entendement ait accompli son œuvre, c’est-à-dire ait fait la lumière : elle se précipite, elle emporte le jugement, elle juge en aveugle et se trompe, par sa faute. Mais libre à elle, par contre, de ne pas se tromper, du moins en matière de science, où rien ne presse : elle n’a qu’à s’abstenir, à rester tranquille, jusqu’à ce que soit faite la lumière. La méthode du doute, ainsi mise en pratique, préserve le savant de toute erreur. On dit qu’il est humain de se tromper, errare humanum est ; au contraire, l’homme peut toujours, s’il le veut, éviter l’erreur ; il lui suffit, pour cela, de le vouloir.

Aussitôt, comme pour donner un bel exemple de l’infaillibilité à laquelle, toutes précautions prises, peut prétendre la pensée humaine, il s’en va choisir, comme preuve principale de l’existence de Dieu, non pas la plus populaire, celle des causes finales, qu’il rejette absolument (Gassend le lui reproche assez)[347], mais bien la plus extraordinaire de toutes, la preuve par la seule essence divine, une preuve dont saint Thomas lui-même se méfiait, si bien que Caterus n’aura qu’à reprendre contre Descartes les arguments de saint Thomas[348]. Jadis saint Anselme l’avait proposée le premier, ce semble ; et Mersenne le savait, puisqu’il avait même reproduit cette preuve dans un de ses livres en 1624 ; mais Descartes l’ignorait sans doute, puisque, sur l’indication de Mersenne, il répondit qu’il irait Méditations. ^ 2 1

à la première occasion dans une bibliothèque consulter le passage de saint Anselme'. Sans doute les mathématiques l'avaient conduit à cette preuve qui d'ailleurs, il le reconnaît, a toutes les apparences d'un sophisme*". Dans un triangle les propriétés se déduisent nécessairement de l'essence ou de la définition. Or, de l'essence de l'Être parfait, on peut déduire de même les perfections de cet Être, à commencer par la première de toutes, l'existence : l'Être parfait existe donc nécessaire- ment. Dans ses Réponses aux secondes Objections, Descartes, pour satisfaire les philosophes et les géomètres, met l'argu- ment en forme, avec majeure, mineure et conclusions II fait plus, il dispose ses raisons comme on lui demande de le faire, d'une façon géométrique, avec tout un appareil de définitions, demandes (ou postulats) et axiomes. Mais là même, lorsqu'il formule cette preuve en une proposition : « L'existence de Dieu » se connaît de la seule considération de sa nature », et qu'il la démontre par un syllogisme, il ne peut s'empêcher d'ajouter que c'est peine inutile, la conclusion pouvant être connue d'elle-même et sans preuve ; et il en avait fait un postulat, c'est-à-dire une chose qu'il demande qu'on lui accorde, précisé- ment parce qu'elle n'a pas besoin de raisonnement ni de preuve . Dans une lettre à Mersenne, cette même année 1641, il déclare que « la considération d'un tel être (l'être souveraine- ï ment parfait) nous conduit si aisément à la connaissance de » son existence, que c'est presque la même chose de concevoir » Dieu et de concevoir qu'il existe' ». Le mot presque semble n'être qu'une concession à ses adversaires : pour lui, c'est bel et bien la même chose, et les deux propositions n'en font qu'une, comme n'en faisaient qu'une aussi déjà l'affirmation de son existence propre ou de sa pensée et celle de l'existence

a. Tome 111, p. 261, 1. 9. Voir ci-avant, p. l'iy, note b.

b. Tome VII, p. 65, 1. 16, à p. 68. 1. 20. Le mot fophifma : p. 66, 1. 2-3. Tome IX (i" partie), p. 52-34.

t. Tome VII, p. 160-170. Kt t. IX, p. 124-1^2. d. Tome Vil, p. 167, 1. 4-7. Tome IX, p. 129.

c. Tome 111, p. 396, I. 4-10.

ViK DK Desi.artks. 41

�� � }22 Vie de Descartes.

de Dieu. Le philosophe est bien forcé, pour exposer ses idées de les produire l'une après l'autre, séparément, de les détacher ainsi, sauf à montrer aussitôt le lien qui les rattache entre elles et fait de toutes un ensemble. Mais l'apparence de connaissance discursive qu'il leur donne d'abord, ne doit pas nous tromper sur leur caractère vrai : ce sont des intui- tions; et bien mieux, toutes ne sont qu'une seule et même intuition.

Quant à l'essence et à l'existence des choses matérielles, qui est le but final de Descartes dans ses Méditations % comme préparation à sa physique, nous ne nous y arrêterons pas en ce moment. Étendue, figure et mouvement, ce sont là les condi- tions nécessaires et suflisantes de notre connaissance à cet égard, et aussi les conditions de l'existence des choses maté- rielles. Cela seul est clair et distinct, et peut offrir une matière à la science. Nous pouvons là-dessus nous fier à nos idées ; Dieu, de qui elles nous viennent, étant l'Etre parfait, ne peut pas nous avoir trompés. Cependant il y avait telle conséquence, que Descartes acceptait résolument, et devant laquelle reculaient bon nombre de ses contemporains : à savoir l'inutilité, dans ces conditions, d'une âme, même sensitive et végétative, chez les bêtes, où tout devait s'expliquer par res- sorts et par mouvements, comme dans une simple machine. Si dans l'homme même tant d'opérations s'accomplissent sans que l'âme y ait la moindre part, à plus forte raison dans l'animal. Gassend proteste et raconte des histoires toujours amusantes de chien, notamment à la chasse; Arnauld lui- même hésite d'abord : l'exemple du loup et de la brebis qui en a peur, l'embarrasse '^^. Descartes n'en maintient pas moins fortement sa thèse. L'automatisme des bêtes, comme on dira, n'est pas seulement pour lui une méthode pour mieux

a. Médit. VI. Tome VII, p. 71-90; et t. IX, p. 57-72.

b. Tome VII, p. 268.

c. Ibid., p. 204, 1. 29, à p. 2o5, 1. 12; en particulier, p. 20? 1.7-12.

�� � Méditations. 32 j

étudier la réalité et la mieux connaître ; c'est bien la réalité même, et la réalité tout entière*.

Là est précisément le fort et le faible de toute la doctrine de Descartes : quel problème exactement se pose-t-il et prétend- il résoudre ? Problème de la connaissance, ou problème de l'existence ? En réalité, les deux à la fois, indistinctement, par la raison bien simple que la distinction n'était pas encore faite de son temps comme elle l'est aujourd'hui. La tendance onto- logique domine dans ses Méditations, comme lui-même l'a marqué expressément par les sous-titres ajoutés après coup à la plupart d'entre elles : « de Dieu, qu'il existe (S*^), et dere- » chef qu'il existe (5*); et de la distinction réelle de l'âme et » du corps (6') ». Pourtant, après avoir affirmé sa première

a. Voira ce sujet t. III, p. 386, 1. 25 : lettre du 23 juin 1641, avec la note, p. 390. A propos de la remarque de Bayle, d'ailleurs si judicieuse, rjpportée dans cette note, La Fontaine écrira à la duchesse de Bouillon, njv. 1687 : « Voftre philofophe {La Fontaine lui-même) a efté bien » eltonné quand on lui a dit que Defcartes n'eftoit pas l'inventeur de ce » fyi^eme que nous appelons la machine des animaux, & qu'un Efpagnol » l'avoit prévenu. Cependant, quand on ne lui en auroit point apporté de » preuves, je ne laifferois pas de le croire, & ne fçay que les Efpagnols » qui pulîent bartir un chafteau tel que celui-là.. » [Œuvres de J. de La Fontaine, édit. Hachette, t. IX, 1892, p. 393.) — Bossuet, vers 1678, dans son Traité de la connoijjance de Dieu & de foy-mefme, chap. V, § 11, sans doute pour atténuer ce paradoxe cartésien, en avait indiqué la première idée, au moins comme comparaison, dans saint Thomas lui- même : a ...Quand les animaux montrent dans leurs aillons tant » d'indudrie, faint Thomas a raifon de les comparer à des horloges & » aux autres machines ingenieufes, où toutefois l'indudrie relide, non dans » l'ouvrage, mais dans l'artifan. » Le passage visé se trouve, Siimmce Theologicce Prima Secundue, quccll. xiii, art. 2 : « ...In omnibus quas » moventur à ratione, apparet ordo rationis moventis, licèt ipfa quas à » ratione moventur, rationem norr habeant ; lie enin> lagiita direilè » tendit ad fignum ex motione fagittantis, ac li ipla rationem haberet » dirigentem ; & idem apparet in motibus horologioruni «S omnium » ingeniorum humanorum quce arte fiunt. Sicut auteiri comparantur » arificialia ad artem humanam, ita comparantur omnia naturalia ad » artem divinam. » Tout cela cependant est fort loin de Descartes. Voir ci-avant, p. n6-i5y et p. iG2-iG?>.

�� � vérité, Je pense, il pouvait aussitôt déduire de la pensée seule tout le reste : pensée imparfaite, qui est la sienne propre, et pensée parfaite qui est Dieu, ensuite essences matérielles, ou le monde, etc. En ajoutant, comme il l’a fait. Donc je suis, il compliquait sa métaphysique d’une question oiseuse et insoluble, celle de l’existence. Sa doctrine n’y gagnait rien en vérité ; car ou bien l’existence se confond, s’identifie, avec la pensée même déjà affirmée, et l’affirme une fois de plus, inutilement ; ou bien elle est autre chose, et c’est alors la porte rouverte à toutes ces disputes scolastiques, que notre philosophe espérait exclure à jamais ; pis que cela, rouverte au scepticisme, cette fois inexpugnable, dont il s’était imaginé avoir raison. Gassend, par exemple, le prend à parti, au sujet de la réalité objective de nos idées[349] : en quoi consiste-t-elle, sinon dans cette portion des choses que notre esprit peut connaître, c’est-à-dire en quelque sorte absorber et s’assimiler ? Mais ne laisse-t-il pas en dehors une sorte de résidu ? Et qui nous dit que ce résidu n’est pas l’essentiel, la substance même de la chose, dont nous ne connaissons que l’apparence intelligible ? On ne saurait se croire maître d’une place forte, tant que résiste comme un suprême réduit, où l’on n’a pas pénétré : c’est peut-être le donjon, d’où l’on a toujours à redouter une sortie offensive de l’ennemi pour déloger l’assaillant des positions qu’il occupe et qu’il croyait avoir conquises définitivement. Dans ses Réponses aux secondes Objections, Descartes voit le danger et pense l’écarter ainsi[350] : pourquoi se mettre en peine de ce qui, en somme, est reconnu impénétrable à notre esprit ? On n’en saurait rien tirer ni pour ni contre ; c’est donc à l’égard de l’esprit quelque chose d’inexistant, une menace, si l’on veut, toujours suspendue, mais une menace imaginaire, un épouvantail d’enfants. A la bonne heure : mais alors toute existence, pour nous, est celle que notre esprit peut atteindre, et saisir, et tenir entièrement sous ses prises, autant dire une pensée claire et distincte, une idée qui ne présente rien d’opaque, et soit toute transparente. La seule et vraie réalité est ainsi celle de nos pensées ; et toute la vérité de nos jugements est la conformité de ceux-ci avec des idées, parfaitement connues, puisqu’elles sont claires et distinctes, et non avec de prétendues choses, forcément inconnues par quelque endroit, à moins qu’on ne les réduise entièrement à des idées, auquel cas ce ne sont plus des choses, mais uniquement des idées. Poussé dans ses derniers retranchements, Descartes en vient là, et sa doctrine apparaît par moments comme un pur idéalisme[351].

Mais telle qu’il la présente au public dans ses Méditations, elle est toute préoccupée de réalité, et mal dégagée de ce problème de l’existence, sorte de poids mort qui l’alourdit. En pouvait-il être autrement ? Il n’osait pas, sans doute par un scrupule théologique, ne point parler de l’existence de Dieu, de l’existence de l’âme, de l’existence des choses matérielles. Et lui-même avait trop insisté sur ce doute hyperbolique, qui menaçait de tout détruire, pour ne pas se croire obligé en conscience de rétablir précisément ce qu’il avait mis en question, l’existence, et toute existence. Enfin le bon sens de la race répugnait peut-être à ces rêveries aventureuses, qui, pourtant, deux ou trois siècles après, apparaîtront comme une philosophie assez raisonnable, tant on y sera accoutumé. Un spirituel philosophe de nos jours a laissé échapper cette boutade : « Descartes disait, Je pense, donc je suis ; on dit aujourd’hui couramment, Je pense, donc je ne suis pas[352]. » Sans aller jusque-là, on peut soutenir cependant que Je suis n’est pas nécessaire à dire après Je pense, et présente bien des inconvénients et des dangers. Ou il n’ajoute rien, en effet, au Je pense : cela va sans dire que je suis ; pourquoi répéter ainsi deux fois la même chose ? Ou bien il ajoute quelque jiô Vie de Descartes.

chose d'autre, qui est étranger à la pensée, qui lui est donc impénétrable et irréductible, auquel cas celle-ci est entamée et tenue en échec, et ne peut plus prétendre à la certitude absolue. C'est le dilemme qui apparaît de plus en plus clair de nos jours : hors de l'idéalisme, point de certitude absolue. Alafs aussi pourquoi ne nous contenterions-nous pas d'une certitude relative, laquelle peut suffire, sans plus nous embar- rasser des problèmes insolubles d'une prétendue ontologie ?

�� � CHAPITRE III

��POLÉMIQUES EN HOLLANDE

��AFFAIRES D LTRECHT, DE GRONINGUE ET DE LEYDE

��La seconde édition des Méditations, celle de Louis Elzevier, à Amsterdam en 1642, contient un long appendice que n'avait pas la première, celle de Michel Soly, à Paris en 1641 : à savoir les septièmes Objections avec les Réponses de Des- cartes, plus, en latin également, une Lettre au P. Dinet, Provincial de France'. Les septièmes Objections venaient d'un Jésuite, le P. Bourdin, professeur de mathématiques au Collège de Clermont, à Paris. Dès 1640, dans des thèses soute- nues selon la coutume à la fin de Tannée scolaire, il avait fait attaquer par un de ses écoliers certaines propositions tirées de la Dinptriquc, et avait lui-même rédigé une Préface ou « Véli- » tation"" ». Descartes s'en était ému au fond de la Hollande : le procédé lui paraissait discourtois, de l'attaquer, lui, un ancien élève des Pères, sans le prévenir et sans qu'il fût là pour se défendre. 11 sut donc beaucoup de gré à deux de ses amis, Mersenne et Mydorge, d'avoir pris sa défense S Lui-même écrivit au supérieur hiérarchique du P. Bourdin, le P. Hay- neuve, recteur du Collège, pour le prier d'user de son auto- rité sur ce professeur d'un zèle si indiscret et qu'il convenait de rappeler à son devoir. Qu'au moins celui-ci voulût bien

à. Tome VU, p. 449-5Ô1 et p. 563-6o3.

b. Tome III. p. 90. Surtout p. loj-iig : du 29 juillet 1040.

c. liid.. p. 94-96.

�� � 528 Vie de Descartes.

s'adresser à lui, qui pourrait lui répondre, et que le débat eût lieu au grand jour et contradictoirement, au lieu de rester enfermé dans une salle entre un maître et ses écoliers, le der- nier mot demeurant aux adversaires * Ainsi mis en demeure, le P. Bourdin se soumit. 11 rédigea ses objections, mais trop tard pour qu'elles pussent figurer dans la première édition. Descartes, qui les attendait avec impatience et les réclamait presque à chaque courrier, ne les reçut qu'à la fin de janvier 1642. La question était capitale, pour lui, de savoir s'il aurait la guerre ou la paix avec cette Compagnie si puissante. S'il avait les Jésuites pour adversaires, c'en était fait par avance de sa philosophie dans leurs collèges; elle s'en trouvait exclue à tout jamais. C'est pourquoi, en novembre 1640, ne croyant plus pouvoir compter sur eux après la petite affaire du Collège de Clermont, i! s'était tourné vers la Sorbonne, escomptant auprès de la Faculté de théologie les bons offices de l'Oratoire, en particulier du P. Gibieuf. Mais celui-ci, nous l'avons vu, ne put rien obtenir. Descartes ne s'en montra pas autrement affecté. Il s'explique là-dessus avec le P. Gibieuf, d'un ton assez dégagé, précisément en janvier 1642 : puisque la Sorbonne lui refuse son approbation, il saura bien s'en passer*^. D'ailleurs aussi, à ce moment, il paraît avoir changé de tac- tique. On lui avait sans doute écrit de Paris, pour le calmer, que le P. Bourdin n'avait parlé qu'en son nom propre, sans enga- ger le moins du monde ses confrères et encore bien moins tout l'Ordre des Jésuites. Descartes se reprit à espérer : il comptait parmi eux ses anciens maîtres, d'anciens condis- ciples, des parents même, parvenus aux premières dignités. S'il leur demandait de désavouer le P. Bourdin, qui n'était après tout qu'un simple religieux, de le tancer même et de le réprimander, et surtout de témoigner quelque intérêt à la

a. Tome III. p. 97-101.

b. Jbi.i., p. .523, 1. 6-12 : du 3i janv. 164-2.

c. IbiJ., p. 416, 1. 8-0 : et p. 473. 1. i3. à p. 474. 1. 8 : du 22 juillet 1641. et du 19 janv. 1042.

�� � Affaire dUtrecht. 329

philosophie nouvelle qu'il allait enfin publier : non seulement tout le mal était réparé, mais un grand bien sortait de là, puisque l'occasion s'offrait pour Descartes, et qu'il avait aussitôt saisie, d'amener la Compagnie de Jésus tout entière à se déclarer en sa faveur.

Ses Réponses aux Objections du P. Bourdin furent donc suivies d'une Lettre ou Êpitre, beaucoup plus importante, à ce haut dignitaire, qu'était devenu son ancien préfet des études au Collège de La Flèche, le R. P. DinetS II ne se contenta pas de lui narrer tout au long les procédés si peu corrects du P. Bourdin en son endroit. Il y joignit, par occa- sion, un récit de tout ce que lui, catholique, venait de souffrir pour la bonne caiise, de la part des huguenots '^ en Hollande. C'était bien, en efFet, l'ancien élève des Jésuites, qualifié de Jésuite lui-même, que ces ennemis de Ron:ie avaient persé- cuté. Pour avoir enseigné la doctrine nouvelle à l'Université d'Utrecht, un docteur en médecine s'était attiré à la fois la faveur des étudiants et la méfiance et la haine d'un collègue, le professeur de théologie protestante. Descartes ne nomme ni l'un ni l'autre, et ne prononce même pas le nom d'Utrecht, pas plus qu'il n'avait nommé le P. Bourdin. Peu importaient ces noms en France ; et en Hollande, on n'avait point de peine à les deviner : le professeur en médecine était Henri de Roy ou RegiusS et le théologien, en même temps ministre de

a. Tome III, p. 468, 1. 9-1 3. Dinet (Jacques), né à Moulins en 1584. admis au noviciat des Jésuites en 1604, recteur des collèges d'Orléans. Tours, Reims et Paris, provincial de la province de France de lôSg jusqu'au 28 février 1642, confesseur de Louis XIII, puis de Louis .\IV. mourut à Paris, le 12 déc. i653. — Notons que Pierre Bourdin était ne aussi à Moulins, en iSçS : entré au noviciat en 1612, il enseigna au collège de La Flèche la grammaire et les humanités ^i6i8-i623). puis la rhétorique i633) et les mathématiques {1634). enfin au collège de Clermont à Paris la physique et les mathématiques, depuis i63.^ jusqu'à sa mort, 27 dec. i633.

l->. Tome VII, p. 566-574 (sur le P. Bourdin). Affaire d'L trechi : p. 582-399.

c. Voir ci-avant, p. 112.

Vie de Descartes. 42

�� � ) }o Vie de Descartes.

la parole de Dieu, était Gisbert ^'oët^. La première escar- mouche remontait à lôSg : le professeur Reneri, un des plus anciens amis de Descartes en Hollande, venait de mourir; un de ses collègues, Emilius, ne manqua pas, dans son éloge funèbre, de célébrer cette amitié et en même temps le phi- losophe lui-même. Le Conseil de Vûle. décida l'impression de cet éloge, qui revêtait ainsi un caractère officiel *". ^'oët sentit le danger pour l'ancienne philosophie, à laquelle était liée, à ses yeux, la fortune de la théologie. Donc, aux prochaines thèses qu'il fit soutenir et sans nommer encore Descartes, en bon théologien qu'il était, il cria à l'athéisme. Descartes averti prit l'alarme; mais un an ou deux se passèrent sans incident nouveau. Le philosophe ne ménageait pas d'ailleurs ses conseils de prudence à Regius, qui quelque temps les suivit, allant jusqu'à soumettre d'avance le manuscrit de ses thèses à Voët lui-même. Trop heureux que la philosophie nouvelle pût s'introduire ainsi dans une Université, il ne fallait pas compromettre, par un zèle excessif, de si beaux commencements. Mais enfin la guerre éclata, en décembre 1641 ^ Certaines thèses de Regius parurent trop dangereuses à ^'oët par leurs nouveautés. Elles parlaient de la circulation du sang, et ne disaient mot des formes substantielles, sinon pour les décrier en montrant qu'on pouvait se passer d'elles. Or la question des formes substantielles n'était rien moins que la ques- tion de Tâme elle-même : si on les supprime partout, on en viendra à la supprimer également chez Tliomme. Et \'oët de

a. Gisbert \'oët, né a Heusden. 5 mars 15S9. mort à Utrecht. i nov. 1676. a été Tobjet d'une étude approfondie, en ces derniers temps, de la part d'un érudit de Hollande. A.-C. Duker : Gisbertcs \'oktius. Eerste Deel Leydëy E.-J.Brill, 1897. in-S, ?9r plus cxl p.). Twede Deel 1634- 1676): eerste stuk {ibid., 1904, in-8, r3i et xl p.;: twcde stuk {ibid., 1907, in-8. I 32-270 et xli-xcvi p. . — Voir notre Avertissemetit. t. VIII, 2' partie, p. i-xiii. et la longue lettre qui suit : Epijîola Renati Des- Cartes ad Celeberrimum Virum D. Gifbertuin Voetium. etc.

b. Tome III. p. 1-4. Tome VIII 2' partiel, p. 203-204.

c. Tome VIII z^^ partie . p. 204-20? et p. 208-211. Tome III. p. 454- 464-

�� � crier de nouveau à l’athéisme, et d’ameuter, par des thèses publiques, toute la gent dévote contre Descartes. Celui-ci soutint Regius, revoyant et corrigeant ses thèses, rédigeant même tout exprès un modèle de réponse à Voët[353]. Rien n’y fit, au contraire. Voët était à ce moment recteur de l’Université d’Utrecht ; mais ses pouvoirs expiraient le 16 mars 1642. Il se hâta d’agir, et fit rendre, le 15 mars, un décret par le Conseil de Ville ou le « Magistrat », et le lendemain par le Conseil de l’Université un jugement, en faveur de l’ancienne philosophie et contre la philosophie nouvelle[354].

Voilà ce que Descartes expose dans la seconde partie de sa Lettre au P. Dinet. Puisqu’il est ainsi attaqué en Hollande, et au fond attaqué comme catholique, on ne peut pas se dispenser en France de le défendre. Aux malintentionnés de Paris qui le soupçonnaient d’être huguenot, parce qu’il s’était retiré parmi des huguenots[355], sa réponse était habile, de montrer que, précisément comme catholique, il souffrait, de la part de ceux-ci, persécution. Et l’habileté de Descartes était plus grande encore. Il répondait du même coup aux protestants, auprès desquels sa Lettre au P. Dinet pouvait lui rendre un service analogue. Ne contenait-elle pas, en effet, une longue diatribe contre un Jésuite, le P. Bourdin ? Comment croire alors Voët, et ceux qui comme lui en Hollande accusaient Descartes d’être un Jésuite déguisé ? Un moment il put s’imaginer qu’il remporterait une double victoire, en attaquant à la fois Voët et Bourdin : les Jésuites ne pouvaient pas ne pas considérer comme un ami l’adversaire d’un ministre (et quel ministre ! le chef de la religion prétendue réformée aux Pays-Bas) ; et les protestants ne pouvaient traiter en ennemi un adversaire déclaré des Jésuites. Descartes toutefois eut le regret de voir sa double tactique ne lui réussir pleinement ni d’un côté ni de } 3 2 Vie de Descartes.

l'autre. Mais aussi il avait affaire, des deux côtés, à des reli- gieux ou à des théologiens de profession, et c'était un philo- sophe. D'ailleurs l'objet principal de la Lettre au P. Dinet était d'annoncer, dans les dernières pages, la publication prochaine de sa philosophie, c'est-à-dire enfin sa Physique, dont les Méditations, il l'avoue ici en propres termes, conte- naient déjà tous les principes ^.

Cette publication, dont Descartes voulait préparer le succès, explique toute son attitude, l'hiver de 1642-1643, à l'égard de Voët, et l'affaire entre ainsi dans une phase nouvelle. La Lettre au P. Dinet n'était point pour plaire à Voët, surtout à cause d'un certain portrait de théologien trop aisément recon- naissable '^. Voët donc fit tant et si bien, qu'on s'en émut à Utrecht; le Conseil de Ville décida que l'Université y répon- drait. Le jeune Paul Voët, fils de Gisbert Voët, fut chargé de la réponse ; mais celle-ci devait être un document officiel, dont tous les termes avaient besoin d'être pesés ; elle ne fut donc prête que neuf mois plus tard, en mars 1643, et on ne l'imprima qu'en septembre, c'est-à-dire quinze mois après la Lettre de Descartes ^

Bien des choses s'étaient passées pendant un si long temps. Gisbert Voët le père, dans son impatience de riposter à Descartes, aurait voulu un libelle, un pamphlet, et surtout quelqu'un qui consentît à l'écrire. Au mois d'août 1642, il décida un de ses anciens élèves, venu à Utrecht pour les fêtes : on tint conseil à la fin d'un repas, lorsque les esprits étaient échauffés; et le champion choisi, MartinSchoock, s'en retourna à Groningue, où il était professeur, dûment chapitré et stylé ^. On l'avait attiré dans un piège, et il s'était laissé prendre. Il

a. Tome VII, p. 599-603 ; surtout p. 598, 1. 20-21.

b. Ibid.. p. 584, 1. 8, etc.

c. Tome III. p. 568-569 Et t. IV, p. 34-35 : Tejlimonium Academiœ Vltrajeâince, etc.

d. Tome VIII 2* partie . p. 260-261.

�� � Affaire d'Utrecht. jjj

avait accepté une besogne, dont ni Voët père ni Voët fils, ni personne à Utrecht ne se souciait : il prêtait sa plume et son nom à une œuvre de vengeance encore plus que de défense personnelle, et se trouvait engagé dans une querelle, dont il pourrait malaisément se tirer à son honneur.

Descartes, qui avait des amis à Utrecht, fut averti par eux, au moins en partie, de ce qui se tramait. Surtout on ne manqua pas de lui faire tenir, au fur et à mesure, les bonnes feuilles de l'ouvrage en cours d'impression ; il fallut pour cela sans doute la complaisance de l'imprimeur, Jean van Waes- berge. Les six premières feuilles que notre philosophe reçut, étaient bien de nature à l'inquiéter. Rien que le titre semblait mis à dessein pour donner le change aux lecteurs : Admiranda Methodus sive Philosophia Cartesiana ; et en haut de chaque page, ces deux mots reproduits, Philosophia Cartesiana '\ Qu'était-ce donc, à première vue, sinon la philosophie de Descartes, celle qu'il avait promise dès lôSy, et qu'il venait d'annoncer en 1642, celle enfin qui était impatiemment attendue de tous ceux qui le connaissaient ? On pouvait d'au- tant mieux s'y méprendre, que l'ouvrage ne portait aucun nom d'auteur ; Descartes s'était nonmé dans son récent ouvrage des Méditations ; mais le Discours de la Méthode en lôSy était anonyme, et on pouvait croire que sa philosophie le serait également ; d'ailleurs l'épithète ne levait-elle pas le voile ? Cartesiana. A vrai dire, la lecture de quelques pages suffisait à détromper : elles indiquaient, sans aucun doute pos- sible, un pamphlet contre la philosophie de Descartes. Mais celui-ci ne vit là qu'une manœuvre d'autant plus dangereuse ; on attaquait sa philosophie, on prétendait la réfuter, lors- qu'elle n'était pas encore publiée; on voulait donc l'étoufFer avant sa naissance. Il prit aussitôt ses mesures, pour que, le jour même où paraîtrait ce pamphlet, il en parût une réfuta- tion. Le mauvais effet en serait ainsi conjuré, puisqu'à

a. Tome VIII (2« partie), p. i : Epijtola Renati des Cartes ad Celeber- rimum Virum Gifbertum Voelium.

�� � }}4 ^JE DE Descartes.

côté du mal on trouverait le remède. Il se mit à l'œuvre sans tarder, écrivant et sans doute aussi imprimant, à chaque feuille qu'il recevait, la réponse. Et dans l'intérêt de sa phi- losophie qu'il avait tant à cœur, il ne pouvait agir autrement : il fallait écarter tout obstacle, faire à celle-ci place nette, et surtout empêcher de se former dans les esprits aucun pré- jugé contre elle.

Après les six premières feuilles (144 pages), V Admirauda Methodus subit un temps d'arrêt ; et ceci montre bien que Voët en était le véritable auteur, et non pas seulement Schoock. Voët, dont l'activité littéraire était inlassable, venait d'entreprendre un autre ouvrage, qu'il voulait achever aupar- avant : la religion cette fois était en cause, la philosophie pou- vait donc attendre ^ Un cas de conscience lui avait été soumis par des réformés de Bois-le-Duc. Cette ville, située dans le voisinage des Pays-Bas espagnols et demeurée en partie catho- lique, avait une Confrérie de Notre-Dame ou de la Vierge- Marie. Les confrères bénéficiant de certains avantages, les réformés avaient obtenu d'être admis parmi eux. La Confrérie perdait ainsi son caractère religieu.x, pour devenir plutôt une association de bienfaisance entre protestants et catholiques. C'en était trop pour un ministre seulement rigoriste, et à plus forte raison pour un fanatique comme Voët : consulté sur ce point, il répondit, selon son habitude, par des thèses publiques, où il réprouvait hautement, comme pactisant avec des papistes et partageant leur idolâtrie, les membres réformés de la Confrérie de Notre-Dame. Mais le ministre de Bois-le-Duc, un des ministres tout au moins, était un Français, desprit libéral et d'humeur conciliante, Samuel Desmarets*", attiré en Hollande

a. Tome VIII (2= partie), p. 64-107 : De libro GiJ'berii Voetij adverfus Confraternitatem Marianam. C'est la ô« partie de l'EpiJiola de Descartes à Voët.

b. Maresius (Samuel), ou Dès-Marets. né à Oisemont en Picardie. y août iSgg. d'une famille protestante, étudia à Paris, à Saumur et à Genève, fut reçu ministre au synod_e de Charenton en mari 1620, H en remplit les fonctions à Laon jusqu'en 1624, puis quelques mois à

�� � Affaire d'Utrecht. )}<,

par la princesse Louise de Nassau, et choisi à dessein pour ces postes difficiles où protestants et catholiques vivaient ensemble aux frontières des deux pays et des deux religions. Il avait été d'abord ministre à Maastricht, lorsque cette place fut enlevée aux Espagnols par Frédéric- Henri en 1634 '■> P"is il passa à Bois-le-Duc, prise en 1629, et qui était considérée comme la Rome des Provinces-Unies, tandis qu'Utrecht y tenait la place de Genève. Desmarets prit la défense de ses coreligionnaires, membres de la Confrérie de Notre-Dame ; il se porta garant de leur piété et de leur bonne foi, et protesta contre les thèses théologiques de l'Université d'Utrecht. Voët fit d'abord rédiger une courte réplique par un de ses fidèles, Cornélis Lemann. Puis il composa lui-même tout un livre, avec un double titre : Spécimen Assertionum, etc. ou Confraternitas Mariana^, comme é:ait déjà V Admiranda Metliodus ou Philo- sophia Cartesiana. C'est pour cela qu'il avait interrompu ce premier livre à la page 144.

Descartes n'hésita pas à engager un nouveau combat. Ce n'était pas lui, cependant, qu'on visait; mais la publication simultanée de deux ouvrages du même auteur, le rapproche- ment des deux titres, Philosophia Cartesiana et Confraternitas Mariana, sous la plume d'un huguenot renforcé, pouvait

Falaise, et enfin à Sedan, d'octobre 1624 jusqu'en i63i ; là il fut en même temps professeur en théologie, après s'être fait recevoir docteur à Leyde. 8 juillet 1623 ; son oratio inauguralis est du 24 nov. suivant. En i63i, le duc de Bouillon Temmena avec lui à Tarmée en Hollande. En i6?3, les État» de ce pays le retinrent comme ministre à Maestricht ; en i636, il passa en la même qualité à Bois-le-Duc, où il fut en même temps, l'année suivante, professeur à « l'École illustre » ; en 1640, il refusa d'aller à l'Université de Franeker ; mais, en 1642, il accepta celle de Groningue où il succéda à Gomar, et fit sa harangue inaugurale le 20 janvier 1643. Il y demeura jusqu'à sa mort, 18 mai 1673. Le nombre de ses ouvrages est prodigieux; le principal est un Syjlema theologicum, qui fut trouve si méthodique, qu'on s'en servit dans toutes les autres Universités ou Académies, et qu'il fallut le réimprimer plusieurs fois; la dernière édition parut à Groningue en 1673. — Voir ci-avant, p. io5-io6, note., a. Tome VIII (2« partie), p. 6, note g.

�� � }}6 Vie de Descartes.

confirmer le lecteur crédule dans cette idée, qu'il était bien un papiste, un Jésuite déguisé, un dévot à la Vierge-Marie, un idolâtre, non moins qu'un philosophe. D'autre part, puisque Voët s attaquait à deu.x ennemis à la fois, il était naturel que tous deu.x unissent leurs efforts pour une défense commune. Descartes ne connaissait pas jusque-là Desmarets, il est vrai' ; mais c'était un compatriote, et la haine de l'étranger était pour quelque chose dans les attaques de Voët contre ces deux Fran- çais (ainsi que contre un troisième encore, Claude Saumaise). De plus Desmarets était aussi ministre de la parole de Dieu, et le philosophe, attaqué par le ministre Voët, n'était pas fâché de montrer que lui n'avait pas de parti pris, puisqu'il faisait cause commune avec un autre ministre protestant; et il se conciliait d'autres religionnaires encore, amis» de Desmarets, lequel en avait appelé contre les thèses d'Utrecht à tous les synodes des Provinces-Unies, leur demandant d'approuver, autant que l'esprit de corps le permettait, la tolérance dont lui-même avait cru devoir user à Bois-Ie-Duc. Enfin, et \'oët n'a pas manqué de dénoncer cette arrière-pensée de Descartes, celui-ci pensait, en effet, à ses amis et surtout à ses ennemis de France : belle réponse à faire aux suspicions et aux calom- nies de quelques-uns, au sujet de sa foi religieuse, s'il se déclarait derechef l'adversaire du grand pontife, sorte de pape des huguenots aux Pays-Bas, et en même temps le défenseur d'une œuvre de dévotion comme la Confrérie de Notre-Dame! A distance, aux yeux des RR. PP. Charlet, Dinet et consorts, l'ancien élève de La Flèche pouvait apparaître comme le cham- pion de la \'ierge-.Marie, à laquelle, deux ou trois ans plus tôt, Louis XIII venait précisément de consacrer son royaume.

Descartes se fit donc l'avocat de Desmarets, dont il confondit la cause avec la sienne. Puis, après avoir exposé ce qu'il pen- sait de l'affaire de Bois-le-Duc, il revint à VAdmiranda Methodus, à laquelle \'oët était aussi revenu, et le dernier tiers

a. Tome VIII (2; partie . p. 319-324.

b. Voir ci'avant, p. io3.

�� � Affaire d'Utrecht }}J

de sa Lettre réfute la dernière partie du pamphlet, comme le premier tiers réfutait le commencement. Le philosophe se défendait avec vigueur, et avait toute raison de le faire, dans son intérêt personnel et privé, comme dans l'intérêt de sa phi- losophie. Voët, en effet, ne le ménageait pas*". Il l'assimilait à un vulgaire aventurier, forcé de s'expatrier à la suite d'un mauvais coup, presque à un criminel ; ou bien encore à un charlatan, qui par des promesses* fallacieuses ne songeait qu'à soutirer de l'argent à ses dupes. Un tel imposteur devait être de la Rose-Croix (Descartes ne répond pas à cette insinuation) ; et s'il vivait dans la retraite, c'était pour mieux cacher ses vices. Ses petites maisons des champs recevaient bien des visites, dont s'effarouchait la pudibonderie du pasteur: le philosophe n'y donnait-il pas des rendez-vous aux Phrynés de la Hollande? Et d'ailleurs n'avait-il point laissé en maint endroit derrière lui des fils naturels? A quoi Descartes répond cavalièrement qu'après tout, il a été jeune ; jamais il n'a fait vœu de chasteté, ni voulu passer pour un saint; s'il avait des fils naturels, certes, il ne les renierait pas; mais on se trompe, il n'en a point'. (Il n'avait eu, en effet, qu'une fille, sa petite Francine, et qui était morte denuis bientôt trois ans.)

Mais la calomnie la plus dangereuse, et qui suffirait à expliquer l'émotion de Descartes et la véhémence de sa réponse, est ce nom de Vanini que Votit lui jette continuellement au visage (avec un solécisme, d'ailleurs : ce Hollandais ne sachant pas sans doute l'italien, et traduisant Vaniiiius, au lieu de Vanimis'^). En ce temps-là, Vanini était le type du philosophe athée; on l'avait brûlé à Toulouse, et on ferait bien de brûler

a. Tome VIII, f2' pariic), p. 107-1^)4.

b. Voir, pour tomes ces imputations, ibid., p. 142, note b.

c. Ibid. {2" partie), p. 22, I. 7-11 : « Et fane, li ^uos taies habercm ./ [filios illegitimos), non negarcm ; nuper enim juvenis fui, & nunc 1 aiihue homo fum, nec vnquam caftitatis voium feci, nec fanftus pra; ). céleris volui vidcri : fetl cùm rêvera nullos habeam... •■

d. Ibid., p. 22-23, et surtout, p. 173-182. Voir ci-avant, p. 82-.S3.

Vit UK DliSCAICfES. 4^

�� � ^}8 Vie de Descartes.

de même tous ses pareils. Sans doute, Descartes prouvait l'existence de Dieu; ainsi faisait déjà Vanini, et chacun sait qu'un philosophe athée ne procède pas autrement : c'est une feinte grossière, et par la faiblesse calculée des preuves qu'il apporte, il ne réussit, comme il le désire, qu'à ébranler la foi. Que répondre à de telles imputations ? Il n'était que temps toutefois de détromper le public prévenu. Descartes était à la veille d'imprimer sa philosophie; il ne fallait pas que le lecteur ouvrît le volume, avec l'idée préconçue que c'était un nouveau traité d'athéisme. Cette note d'impiété, dont était d'avance entaché le livre, pouvait en arrêter le débit, et qui sait? le faire supprimer, et même brûler par la main du bourreau.

(-omnie la l.cltrc an P. Dinet, l'Epîtrc à Voct, Epistola ad Cclcbc'iriiim Virum Gisbcrlum Voelium, parut à Amsterdam, chez l,ouis£l/,cvier, juste un an après, au mois de mai 1643. Huygens en eut aussitôt un exemplaire, dont la lecture le divertit fort : les deux complices, Voët et Schoock, avaient doublement mérité le fouet qu'on leur administrait ainsi de main de maîtres Au contraire, le pasteur Colvius en gémit : il aurait voulu réconcilier les deux ennemis, Descartes et Voët, le philosoi'>hc et le théologien . A Utrecht, le Conseil de Ville, bien que favorable en partie à notre philosophe, ne pouvait pas ne pas défendre un ministre, il faut bien le dire, tout-puissant sur le peuple. Descartes reçut donc une citation, pour justifier ce qu'il avait écrit contre Voët. Le philosophe voulut d'abord consulter un avocat : au lieu de comparaître en personne, ce qui eût été reconnaître la juridiction des gens d'Utrecht, il leur adressa une lettre publique en flamand, datée d'Egmond, f) juillet 1643^ On délibéra de nouveau; puis on le cita une seconde fois, mais de telle sorte qu'il n'eût pas connais- sance de hi citation ; et on rendit contre lui, par défaut,

a. Tome III, p. 677, 1. 16, k p. 678, I. 18 : du G juin 1643.

b. IbiJ., p. 647, 1. i-ii ; p. 680-Ô82. El t. IV, p. '^-6. Lciircs du 23 avril, 9 juin Cl 5 juillet i(q'.

c. Tome IV, p. 8-i3 cl p. 1)46-648. Voir aussi p. 1C-17.

�� � AFFAIRE d'UtRECHT. J J9

le 23 septcmbie, un arrêt dont il se plaint de n'avoir jamais connu exactement les termes. Il était menace d'expulsion, plus une amende, et ses livres d'être brûlés par la main du bourreau : Voct, disait-on, avait même fait marché avec celui-ci, pour que la flamme montât bien haut, et qu'on la vît de plus loin'. Descartes ne fut informé de tout cela que tardivement, et encore par deux lettres anonymes, la correspondance avec lui étant surveillée ; une des deux lettres, détail intéressant, venait d'une femme*'. Il n'était plus en sûreté à Egmond. Cet endroit se trouvait sans doute dans la province de Hollande; mais par suite d'un accord avec la province d'Utrecht, un arrêt rendu dans l'une, pouvait être exécuté dans toutes deux Descartes n'hésita pas : il avait des amis à La Haye, Huygens et PoUot à la cour du prince d'Orange, Brasset à l'ambassade de France; il s'adressa à tous, et obtint en sa faveur les plus hautes interventions. Le prince d'Orange fit écrire par un de ses secrétaires aux bourgmestres d'Utrecht, et l'ambassadeur La Thuillerie écrivit lui-même'. Les poursuites engagées s'arrêtèrent net. Et même, aux Etats de la province d'Utrecht qui se tinrent un peu après, en novembre 1643, les Chanoines et les Nobles obligèrent la Ville à rapporter certains privilèges de l'Université '^.

Grâce à ces coups d'autorité, Descartes était hors de danger. Avait-il cependant pleine satisfaction? Pas encore. Il accusait Gisbert Voët d'être l'auteur de V Admiranda Mcthodus, pam- phlet dirigé contre lui. Voct s'en défendait, et étant donné les dispositions des juges d'Utrecht, il était impossible de rien obtenir contre lui. Voct échappait donc à une condamnation, et moralement Descartes restait sous le coup du pamphlet. Toutefois celui-ci. sans être signé ni de Voct ni de personne,

a. Tome IV, p. 20-23, et p. 65o-652. Va t. VIII f^"^^ partie), p. 217, I. 20, à p. 219, 1. I . 11. Ibid., ]i. 1X-H5 et p. 5o-53. lui particulier, ji. 3r, 1. 2-'^.

c. Ibid., p. 52-53 : Vroedschap d'Utrecht, 16 novcmlirt. Voir aussi p. '02-^04 : lettre de l-irasseï, xo nov. 1(143.

d. fbid., p. 5i, I. 17-23 cl p. 034-633.

�� � Î40 Vfe '>e Descartes.

avait une préface avec un nom d'auteur, Martin Schoock". Or, Schoock était professeur à l'Université de Gronini>uc. C'est de ce côté que se tourna Descartes, pour obtenir l'aveu que l'ouvrage en question était, non pas de Schoock qui n'avait fait que prêter sa plume pour l'écrire, mais de son ancien maître Voct. Notre philosophe s'adressa donc aux États de Groningue, de qui relevait l'Université, et les saisit d'une plainte en règle contre Schoock. Celui-ci était alors recteur de l'Université, ce qui mettait ses collègues dans un fâcheux embarras. De plus, parmi eux se trouvait, depuis le 20 janvier 1643 (date de sa leçon inaugurale), Samuel Desmarets ou Maresius, si bien que la plainte de Descartes, portée devant l'Université, mettait aux prises, dans une affaire personnelle, un professeur et son rec- teur. Le philosophe n'y prit pas garde ; seulement, pour plus de sûreté, il recourut une seconde fois à l'ambassadeur de France. La Thuillerie écrivit aux États de (îroningue une lettre, qui a été conservée'. Mais il reçut prcsqu'aussitôt son changement pour la Suède, et quitta la Hollande vers le milieu d'avril 1C44. D'autre part, à Groningue, on paraît avoir attendu que Schoock ne fût plus recteur: son rectorat d'une année prenait (in le 'J(") août 1644. L'affaire ne fut réglée devant l'Université que le 20 avril ir)45. Schoock fit des déclarations de désaveu de l'ouvrage, malgré les cllorts de Voct pour l'en empêcher. Lesditcs déclarations furent communi(]uées à Descartes, qui les envoya, lui-même, aussitôt au " Magistrat » d'Utrechl.

Le Conseil de Ville était excédé de tout cela. Il se contenta de rendre un cdit, en quelques mots, le 12 juin 1645, défendant de rien publier désormais (défense illusoire) pour ou contre la philosophie de Descarlcs. Celui-ci s'attendait à mieux, et il l'écrivit au (>onseiI, dans une lettre latine du 16 juin, où il

a. Tome VIII (:f partie), p. 3, noie b.

h. Tome III, p. .S,^-!)^ et p. 177-iî^o ; letires du 22 janvier 1644, el tlii 1 7 iLvricr id^^.

e. Jbid.y p. yi) ei p. 107.

d. Tome IV, |>. f77-i.S<). p. ! ip- 1')"» el p. ^ 14-2 1 5 : leures du 17 lévrier, D el ii> m;ii i(i4.S. l'ome VIII (2' pariic), p. jj î-2-25.

�� � AiTAiRH nUTRErirr. J41

lui fait honte de sa partialité pour Voct et contre lui '. IMus tard, songeant peut-être à quitter la Hollande sans esprit de retour, et voulant régler cette affaire définitivement, il reprit cette Lettre apologétique, la développa et l'envoya comme son dernier mot, en français et en flamand, au Vroedschap d'Utrecht, le 21 février 1648. Il refaisait à grands traits tout l'historique de l'affaire, depuis 1639 jusqu'en 1645, ne ména- geant pas à Voct père et à Voct fils ses invectives et ses sarcasmes, faisant même aux deux huguenots une application ironique des textes de la Bible : ce qui fut, sans doute, jugé abusif. Car lorsqu'on imprima la lettre latine à Ams- terdam en 1654, après sa mort, on supprima "allusion à Suzanne entre les deux vieillards "(c'est-à-dire Voët et son complice Dematius, tentant de séduire le jeune et vertueux vSchoock), ainsi que le jugement de Salomon, au sujet d'un enfant réclamé par deux mères (au rebours de l'ouvrage en question, que ses deux pères désavouaient). Emporté par sa verve. Descartes battait le ministre avec ses propres armes, oubliant qu'en pays protestant il n'était pas permis, et à un catholique moins qu'à personne, de faire de la Bible cet usage irrévérencieux et presque sacrilège. De sorte qu'on se demande, une fois de plus, si cette Lettre apologétique, adressée au « Magistrat » d'Utrecht, n'était pas destinée aussi bien à ses lecteurs de France, pour les édifier complètement sur son orthodoxie; d'autant plus qu'il y déclare hautement son amitié avec le P. Mersenne, religieux de Saint-François- de-Paule, avec le P. Dinet, confesseur du roi, et avec d'autres Jésuites encore ; il n'avoue sa petite brouillerie avec l'un d'eux, le P. Bourdin, que pour proclamer aussitôt leur réconciliation*^.

a. Tome JV, p. 22(j. Tome VIII {2' pariic), p. ?26.

b. Tome V, p. 125, cl t. VIII (2'= punie), p. 274-275. Au même i. VIII (2^ parnc), se trouve celte Lettre apolo^rtique en lrani,ais d'abord, p. 199-27^, puis en latin, p. 277-1^17, avec des éciaircissenients, p. 278-333. Voir l'appréciation de lîrasset, t. V, p. i32, note a.

c. Tome VIII (2'^ partie), p. 2(13, I. i5, à p. 2'i5, I. 29, et p. 3i3.

d. Ibid., p. 2o5, 1. 16, il p. 20X, I. 4; et p. 221, 1. i<), ;i p. 223, I. 24. Voir, en outre, i. IV, p. 143-144.

��*

�� � ^42 Vie de Descartes.

D'ailleurs, en Hollande, s'il n'avait pas obtenu tout ce qu'il souhaitait, sa cause était gagnée cependant, et c'était l'essen- tiel, auprès de tous ceux qui comptaient le plus à ses yeux. Déjà, dans le Discours de la AIcthodc, en 1637, il faisait une distinction entre les honnêtes gens et les doctes '; et ce n'était pas ceux-ci dont le jugement lui importait le plus. Or, depuis octobre i6^;< jusqu'en mars 1G4.1, il avait fait appel à de grands personnages, à des hommes en place, et on lui avait répondu favorablement. Il en fut touché, ce semble, ne se sachant pas tant d'amis en Hollande. Mais, lorsque Huygens et l'cjliot firent démaichcs sur démarches auprès du prince d'Orange, lorsque celui-ci lui fit l'honneur de le consulter sur une question de limites des eaux du lac de Gertruidenberg, lorsque l'ambassadeur de France intervint lui-même en sa faveur, et que de maints endroits on envoya à Descartes aver- tissements et conseils, il vit bien qu'on s'intéressait à sa philo- sophie et à sa personne même. Il n'était pas un isolé, en butte sans défense aux attaques des théologiens. Il avait pour lui d'autres théologiens d'abord, les modérés, les libéraux, plus ou moins suspects d'Arminianisme' ; quant aux exaltés, Huygens lui conseillait de n'y pas faire attention. Il les comparait à un troupeau de porcs : quand on en tire un par la queue, tous se mettent à grogner'. Descartes avait surtout pour lui les ennemis habituels des théologiens, les esprits cultivés, les honnêtes gens, hommes de guerre et hommes d'Etat, l'élite intellec-

a. Tome VI, p. jy, I. 24, à p. 78, I. 3.

h. 'l'orne IV, p. 70-72 ei p. 75 et p. 81^-85 : lettres du \" et du 22 jan- viei 1644.

c. Descartes, lors de son premier séjour en Hollande, s'était trouve au plus i'ort de la lutic entre Arminiens et Gomaristcs, ceux-ci soutenus par je prince d'r)range, Maurice. Le Synode de Dordreclit, qui fixa la doc- trine, se tim du \'S nov. i()i8 au <) mai ifii'j. 11 se termina parle iriomiilu- des (jomarisies. Les Arminiens lurent déclarés lKrciii|ues, et leur prin- cipal cher politique, Rarneveld, vieillard de soixante-seize ans, (ut déca- pité, le 12 mai rôiQ. Descaries venait de quitter la Hollande, lin d'avril i(jii). (Voir ci-avant, p. 46.;

d. Tome III, fi. (>-ji<:, 1. 2-5.

�� � Affaire d'Utrecht. )4J

tuelle de la nation hollandaise. Ces magistrats, en habit de velours noir avec la large fraise et la barbe carrôe % savaient que le philosophe français appartenait, comme eux, par sa famille, ù la haute magistrature de son pays : il avait son père et ses deux frères conseillers au parlement de Rennes. Et ces capi- taines, à collet de buffle avec l'écharpe couleur orange et le cimeterre, reconnaissaient aussi dans notre philosophe un des leurs, qui, comme eux, avait porté l'épée, et comme eux était gentilhomme : Huygens ne manque pas de lui donner ce titre dans ses lettres, et il a soin d'ajouter « gentilhomme chrétien ». LaThuillerie le rappelle aussi ; et de quel ton, dans sa note aux Etats de Groningue en faveur de son compatriote, n'insiste-t-il pas sur la noblesse de sa naissance ? Voct lui-même, bien qu'il afiFecte de suspecter cette noblesse, en paraît impres- sionné ; et Descartes, dans sa lettre imprimée, du 6 juillet 1 643, au Conseil de la ville d'Utrecht, ajoute à son nom patronymique sa qualité de « seigneur du Perron ». Rassuré désormais sur le sort de sa philosophie, et persuade qu'il avait détourné d'elle le danger qui la menaçait, il se désintéressa quelque peu de l'affaire de Groningue ou d'Utrecht. Peu importait le juge- ment de quelques pédants; ce petit incident avait été l'occa- sion d'une belle manifestatfon en sa faveur. Elle l'avait grandi dans l'opinion publique, elle avait fait de lui le champion de la philosophie et de la science, c'est-à-dire de la raison, contre une intransigeante et intolérante théologie. Le beau rôle était donc pour lui, avec l'avantage en sus d'être calomnié et per- sécuté injustement. Sa philosophie pouvait paraître enfin : par avance elle avait presque l'auréole du martyre.

Descartes n'en avait pas fini cependant avec les attaques des théologiens. Ce fut le tour de Leydc, après Utrecht. Là

a. Tome III, p. 33i-!i53.

h. fbid., p. '177, I. .JQ (gentilhomme chréticni- l'onic IV, p ')h fj^a Thuillerie). Tome VIII (2" partie), p. 21-22 'Voi.ti. Tome IV encore, p. 12-1 3 : Antiuoitrl van den Wel Edelen Hecre René Des Cartes, Heere du Perron. Voir ci-avani, p. 338, note c.

�� � ^44 ^"i ^^ Descartes.

aussi le philosophe comptait des partisans à l'Université : le mathématicien Golius, les deux Schooten, père et fils, mathé- maticiens également; il recommanda même le fils pour succéder à son père en décembre 1645, et réussit, bien que le jeune homme passât pour Arminien'. C'était aussi le professeur de médecine, Vorstius, et au dehors Heydanus, prédicateur, et Cornélis van Hogelandc, médecin catholique qui se mêlait de métaphysique : un livret de lui, De Deo, est même dédié à notre philosophe. Mais le plus chaud partisan de Descartes était un jeune professeur de philosophie, Adrien Hcereboord, qui s'était donné pour tâche, lorsqu'il succéda au vieux Burgersdijk, un novateur en son temps, de rajeunir l'ensei- gnement, et de remettre en honneur les thèses et soutenances publiques tombées en désuétude'. Il faisait preuve en cela d'un certain courage : après les affaires d'Utrecht, n'écrivait-il pas, le 8 avril 1642, qu'il redoutait presque pour son collègue Regius le sort de Ramus à Paris, assassiné en ibyz par les péripatéticiens '^ i' Cela ne l'arrêta pas cependant, et tout alla Bien au début, d'autant plus que Heereboord pouvait compter sur l'autre professeur de philosophie, Du Ban. Mais celui-ci mourut en 1643, et fut remplacé par un Ecossais, Adam Stuart, esprit médiocre, semble-t-il, et qui s'alarma des innovations de son jeune collègue. Il faut dire que celui-ci ne se gênait point pour soutenir des thèses favorables à Descartes, et pour faire dans une leçon publique un éloge pompeux du philosophe " Les théologiens s'émurent, peut-être aussi pur contre-coup de l'alfairc d'Utrecht : pouvait-on montrer moins tic /cie à Leyde, au foyer même de l'enseignement théologique, que n'en avait fait paraître Voct, l'ardent apôtre de la religion réformée ? Le premier professeur de la Faculté de théologie, Triglandius, prépara donc d'autres thèses, où Descartes était

a. Tome IV, p. 339-341) : du 27 dOc. i_()45.

b. Voir ci-avant, p. ic><S-! 1 1, noies.

c. Tome IV, p. 77-7S, Cl p. 78-80 : du 8 janv. 1644.

d. Tome VllI (2» pariiej, p. lyO : letlie à Colviiis. c. Tome IV, p. 634 : iei,on du 17 janv. 1647.

�� � Affaire df, Leyde. J4^

accusé de pélagianisme (sans qu'il ait jamais su, déclare-t-il, ce que cela était). En outre, il y avait à Leyde, rattaché à l'Université, un Collège destiné à former de jeunes théologiens protestants, sorte de pépinière de futurs pasteurs pour les Provinces-Unies, et même pour tous les pays où l'on voulait prêcher le protestantisme, y compris l'Orient. Le régent ou le principal de ce Collège s'appelait Revius. Celui-ci paraît avoir eu contre Descartes une rancune personnelle. Il l'avait autre- fois connu à Deventer, où notre philosophe avait habité un moment auprès de Reneri Ce dernier était un catholique des environs de Liège, passé au protestantisme et établi en Hol- lande. Revius s'imagina que Descartes n'avait cmig-ré de France que pour se convertir de même, et il l'entreprit sur la question religieuse. Quelle conquête c'eût été pour le protes- tantisme, après celle- de l'érudit Saumaise! Mais notre philo- sophe déclina poliment les avances du ministre trop zélé. Français, disait-il, il entendait garder fidèlement la religion de son roi. Revius insista, ne comprenant pas ce point d'honneur. Descartes répondit alors qu'il resterait fidèle à la religion de sa nourrice. Voilà deu.x beau.x fondements, rapporte le hugue- not scandalisé, pour soutenir la foi d'un philosophe'! Le

a. L'anecdote csi rapporlcc dans un ouvrage de Dirck RiiMn«ANr>isz, Des Acrtrycks beu/eging en de Sonne Jïiljtant 'Amsterdam, i6Cj), p. 49 :

« Laet hier nu bij konrreii, het geenc dat J. du Hois verhaell in zijn » Naecktheydt der Cartefiaenfchc Philnfophie, pag. 5 : Hoe redenloos » on hartneckigh dat defen Defcartes was in zijn Paepl'e gelool, ailoo » dat hy tôt Deventer woonende, van een tretlelijck Predikant, die Ceer » gcmcenCaem met hem ommeging, aengemaent zynde, oni mee toi de » ware Gcreformeerde Religic te komun, hecft hy dit wat (achtjes » afgellagen, als niei willcnde in dil'puyl trcden, met eencn, die hier » in gcoeffent was. . . Soo iieeft hy gefeydl, dat hy \yn religie van den » Koninck hadde. Docii dclen Predikant hier wat harder op tiringende, » heeft Cartelius gcleydi : Ick hebbe de Religie van mijn Minneniocder. » — Op tpelcke twee Jclioone gnmdeii leydt J. du liois; :j/;« geloove » gebouift ^ijnde, is hy daer in hartneckigh gebleven loi den eynde » van ^ijn leven. » Notons ce mot de Descartes : t la religion de sa » nourrice » ; il n'avait pas connu sa luère. (Voir ci-avani, p. y et p. i5j.

Cette façon de penser c-tait d'ailleurs courante parmi les beaux esprits du

Vie ce Descartes. 44

�� � j^6 Vie DE Descartes.

bon Hollandais n'avait pas compris l'ironie de ce gentil- homme du Poitou. Repoussé avec perte dans ses tentatives de prosélytisme, il ne lui pardonne pas son échec, et va maintenant le poursuivre des pires accusations.

Des thèses furent annoncées pour le 26 mars, et soutenues réellement le 7 avril 1647 • Descartes était traité de pélagien par Triglandius, et par Revins de blasphémateur. N'avait-il pas déclaré que la liberté en l'homme est infinie, à l'égal de la liberté en Dieu ? Ce qui était bien la doctrine de Pelage. . N'avait-il pas aussi supposé que Dieu lui-même (c'est-à-dire l'Esprit Saint, dit Revius) pouvait être trompeur? Et c'était là un abominable blasphème =".

Descartes averti se fit envoyer les thèses par Heereboord, Justement un nouvel opuscule venait de paraître, où la sentence de Groningue, rendue en sa faveur, et qui avait été attaquée par Voët fils, était justifiée avec pièces à l'appui, Bonce, Fidei Sacrum^. L'auteur, Desmarets lui-même, publiait tout au long les lettres écrites d'Utrecht par Voët père à Schoock, pour engager celui-ci dans sa querelle contre Descartes. Voët était homme à en écrire de semblables aux professeurs de Leyde,

temps. Ainsi Balzac écrivait à « Monficur de l'Eftang », 1=' nov. 1625, au sujet de quelqu'un qui venait de se faire huguenot : « Vous me ferez

  • plaifir de m'cîclaircir du fubjet qu'il a eu de nous quitter, <S; de fc def-

» partir des maximes (]u'il m'a (i fouvent prefcliées : Que Icfage meurt » en la relifpon de fa mère, Qu'il ne change jamaJs li'opinion. Qu'il ne fe » repent point de fa vie paffée, Que tout ce qui efl nouveau luy cfl fuf- » pea. . . » {Œuvres de M. de Balzac, M DC LXV, t. I, p. i;<^.)

Et dans une autre lettre, « à Monreifi;neur rEvcfqlJe d'Ayrc », 20 scpi. 1623 : « ...fi'j'ay eu autrefois quelques Icntimens particuliers, je les » quitc de bon cœur, afin de me réconcilier avecque le peuple, l'if ne » paioiltre pas ennemi de ma patrie pour vn petit mot, ou vne choie de » peu d'importance... » Et plus loin : « ...dans la corruption de ce » fiecle, ou prefque tous les efprits (e révoltent do la Foy, vous aifrez à » faire à vn liomm*, qui ne veut rien croire de plus véritable que ce qu'il » a appris de fa mère & de fa nourrice. >> \Ibid., t. I, p. 22.)

a. Tome JV, p. 63i-632 : lettre du 19 avril 1647. Et p. 632-635, éclair- cissements.

b. Tome V, p. 11. Et t. VIII, 2» partie, p. 248, noie d.

�� � Affaire de Leyde. ^47

afin de les exciter et de les pousser contre son ennemi. Et l'affaire renaissait, avec plus de gravité même. Le blasphème était un crime puni par les lois, et notre philosophe devenait justiciable des tribunaux. Aussi résolut-il d'agir sans retard. Le 4 mai 1647, il écrit aux Curateurs de l'Université de Leyde et en même temps aux Consuls de la Ville, se plaignant et de Triglandius et de Revius, et les mettant au défi de prouver par des citations de ses ouvrages leurs accusations contre lui ". Descartes se décida même à faire jouer le grand ressort. Le 12 mai, il écrivit à son protecteur naturel, le comte de Servien, qui faisait fonction d'ambassadeur de France en Hollande, et pria son ami Brasset, qui ne demandait pas mieux, d'appuyer sa requête. C'est alors qu'il rappelle ses états de service à Bréda en 1618-1619 : il ne pensait pas, lorsqu'il portait les armes pour délivrer de l'Inquisition d'Espagne les Provinces- Unies, que celles-ci dussent sitôt après s'asservir elles-mêmes à un régime semblable. Enfin le prince d'Orange fut également sollicité '^. Les Curateurs et les Consuls, assez embarrassés sans doute et fort ennuyés, prirent un arrêté, le 20 mai, enjoignant aux professeurs de Leyde de ne plus parler de Descartes dans leurs thèses ni dans leurs leçons ; en même temps, ils répondi- rent à celui-ci, eximio matheinatico (ils le traitaient de mathématicien, et non de philosophe), en lui demandant de se taire aussi désormais sur les points de doctrine dont on l'accu- sait. Descartes fut loin d'être satisfait ^ Il aurait voulu une rétractation en forme des professeurs, et qu'elle leur fût imposée d'office par les Curateurs. Au moins, et ce fut sans doute l'effet de ses démarches à l'ambassade de France ainsi qu'à la cour du prince d'Orange, il obtint que l'affaire n'eût pas de suite devant la Faculté de théologie, ni devant les

a. Tome V, p. 1-12 et p. i2-i5. Voir une nouvelle requête, p. 22-23.

b. Ibid., p. 24-27.

c. Ibid., p. 27-28 : du i5 mai 1647.

d. Ibid., p. 29-31 et p. 3i-32 : du 20 mai.

e. Ibid., p. 35-45 : lettres du 27 mai. Voir aussi p. 60, 1. 17-22, et p. 6i-63.

�� � J48 ViE DE Descartes.

Synodes et les Consistoires : car il était menacé d'une condam- nation de ce côté-là, bien qu'il alléguât que ses livres n'étaient point de jontroverse religieuse ni de théologie, et qu'à cet égard d'ailleurs il n'aurait à en répondre, lui Français et catholique, que devant la Faculté de théologie de Paris ou la Sorbonne, laquelle avait eu son traité de métaphysique en manuscrit plus de six mois sans le désapprouver.

La lumière continua donc de briller, en dépit des chats- huants qu'elle offusquait ^ En réalité, Descartes était sur le point de partir pour la France (il s'embarqua le 9 juin 1647), et ne savait pas s'il reviendrait en Hollande. Il avait choisi ce pays, espérant y trouver la paix; et voilà que, d'Utrecht et de Groningue et de Leyde, les théologiens huguenots, plus into- lérants cent fois que n'eussent été les Jésuites à Paris, lui déclaraient de tous côtés la guerre. Très sincèrement, il pensa à quitter la Hollande pour n'y plus revenir; et ses amis hollan- dais en eurent peur quelque temps ^. Il y revint cependant, n'ayant pas trouvé à s'établir en France, et n'ayant obtenu à ce

a. Tome V, p. 43, 1. 9-10. Le mot est de Descartes. L'état d'esprit de certains ministres apparaît bien dans cette lettre de Brasset à M. de Bregy-Flexelles, 26 janvier 1646 :

« ...Vn de leurs miniftres feit icy dimanche dernier vn prefche tel » qu'il n'y eut pas vn des auditeurs qui n'en fortift très fcandalifé, à » prendre depuis M. le Prince d'Orange iufques au moindre de la com- » pagnie. Il le tourmenta fort pour prauuer que ceux qu'il appela de la » vraye Religion peuuent auoir paix & trefue auec tout le monde, fuffent » Turcz & Mahometans, mais de ligue offenliue & deffenfiue auec nui » Catholique, & qu'vn Prince ne doibt fouffrir dans fon Eftat autre reli- » gion que la fienne, non plus que dans fa maifon. La Gourde lulhce le » feit appeler, il y a deux iours, pour luy donner vne bonne reprimende. » Il dicl que, quand il entroit en chairre, il prioit Dieu de luy donner la » grâce de bien expliquer fon texte, »& que tout ce qu'il difoit en fuitte » eftoit par infpiration du Saint Efprit. La Cour repartit que, lorfqu'elle )) s'affemble, elle inuoque aully le Saint Efprit, & que le mefme l'auoit .' infpiree de luy faire vne bonne correction. le ne fçay qui ilz prendront » pour iuges de cette variété d'infpirations. . . » {Bibl. Nat., MS. fr. 17.898, f. jj verso./

b. Huygens avait eu pareille crainte déjà, lors de l'affaire Stampioen- Waessenaer : t. III, p. i52-i53, lettre du 14 août 1640.

�� � Rupture avec Regius. 349

sujet que de vagues promesses. Peu après son retour, il apprit qu'à Leyde et à Utrecht, les hostilités reprenaient contre lui. Heereboord et Revius étaient de nouveau aux prises. Le phi- losophe se contenta d'envoyer à Revius une « chiquenaude », en quelques lignes à la fin d'un livret, et se tourna du côté d'Utrecht, où l'attaque lui paraissait autrement dangereuse ^

Là son ancien disciple, son ami, celui auquel il donnait le nom de frère, Henri de Roy ou Regius, s'était déclaré ouver- tement contre lui*". Il n'était pas seulement professeur à l'Université d'Utrecht: c'était aussi un gros bourgeois de la ville, dune ancienne famille de riches brasseurs, presque un gentilhomme. Peut-être était-il las de lutter contre Voët, personnage influent, terrible dans ses rancunes, et qui ne désarmait pas. La volte-face de Regius datait de quelque temps déjà. En 1645, il s'apprêtait à faire paraître un livre, Fiinda- menta Physices, où il ne faisait que reprendre la philosophie de Descartes, publiée l'année précédente, mais en la complé- tant et l'achevant, avec des additions sur les plantes, les ani- mau-x et l'homme. Il apporta d'ailleurs lui-même auparavant le manuscrit à Descartes dans sa solitude d'Egmond. Le philo- sophe déconseilla cette publication. Deu.x choses lui déplai- saient, en effet : Regius lui avait emprunté, sans la bien comprendre, son explication du mouvement des muscles-, en physique : et en métaphysique, il s'était mépris totalement sur ses idées. Descartes avait toujours considéré Regius comme un métaphysicien, médiocre, qui ne saisissait pas bien sa pensée, et surtout lui donnait un tour suspect, susceptible d'interprétations fâcheuses. Regius passa outre au.\ observa- tions de son maître, et en 1Ô46 publia tel quel son livre, Fun- dcimenta Physices. Cette fois Descartes se plaignit vivement,

a. Tome \'. p. 95-56 et p. iio-iii : lett.'-cs dv. :5 dec. ,104- e: du irjanv. 1648. Et surtout p. 120-128.

b. Xoui ne ferons que résumer ici tout un chapitre du t. XI. p. Ô-2- ■'.^-. ctudic dan? le détail avec les textes a l'appui.

c. Voir ci-avant; p. 1.^9-160.

�� � ^yo Vie de Descartes.

dans des lettres d'abord, à Mersenne et à Huygens ^, à la princesse Elisabeth aussi, puis dans la préface imprimée en

a. Huygens jugea sévèrement, mais en toute Justice, le procédé de Regius, comme on peut voir dans la lettre suivante à Johnson, écrite de Berg op Zoom, « .lohnfono Doft. Theol. Bredas, 27 sept. 46 » :

« Reuerende doctissimeque Vir,

(c Gratam Principi fuisse muneris literarii oblationem cuius me proxe- » netam autor voluit, distuli per epiftolam significare, eô quod fpes erat » coràm id fieri posse neque magno temporis intervallo. Quod cùm in » dies protrahatur, prœmitto paucis haec, ne quà vobis in fufpicionem » veniam mandat! vel neglefti vel fegniter exequuti. Eiufdem culpas ut » me purgem apud ipfum Regium, dabo operam ut et honorarioli » compos fiât, quale folet Princeps clementiffimus viris literatis, bene » canentibus, addere velut aureum calcar. At vero, ne hic fuiffe videatur » dedicantis Icopus, xô TrpeiTÔv poftulat ut quae hue fpectant lente procu- » rentur & fulpenfo gradu. Omnia ego fie prasftabo, ut utilitatis fimul & » exiftimationis viri amici ratio habeatur, quantum par eft & expedit. » Intérim hîc, Vir praeftantiflîme, non diffimulabo parum mihi alijfque » Regio bene volentibus probari ipfam operis infcriptionem. Si enim » Regiâ, ajunt, via ineeflîffet, potuiffet haec Cartesij Fundamenta nuneu- » paffe, induftriâ difcipuli [récrit au-dessus de- Regij écrit d'abord, puis » barré) vel illuftrata, vel exemplis auda, vel quid ejufmodi. Quod » autem hîc abfolutè pro fuis venditet quorum, abfque Cartefius fuiffet, » ne fyllaba quidem ei in mentem veniffet, & hoc opufculo ipfius Car- » tefij editionem, adeô nune recenu^rn, oecupet, folâ faflâ leui men- » tiunculâ de tanto viro, cuius prœconio totam feorfim prasfationem » impenfam oportuit, cum folenni 7raoaiTY|!j£i quôd in paucis & quidem » defignatifque (sic) locis à magiftro diffentire aufus effet, dubitans an » prudenter id omne fie patratum, & an faluâ prorfus amicitiâ abiturum » fit. Ad me quod attinet, faclum nolim, ne id contingere maleuolis » inuiti videamus, quo nihil, inquit ille, praeftare majus fortuna poteft, » hoftium difeordiam. Ignofce fententiam praseipitanti eâdem libertate » quâ hodie philofophari lieet. Si quis hoc aliud vocet quàm candorem, » injurius fit. Longius aliquid (?) deftinaram. Neque proinde otium » fuppetet ad ipfum Regium eadem perfcribendi. Quasfo, hac fidelià » utrumque parietem dealbari finatis. Tu verô ut me âmes, tuî longe » amantiffimum, Vir Reuer. » (Constantini Hugenii, Epist. lat. MS., Amsterdam, Acad. des Sciences, Epist. 3g6.)

Nous avons vu (t. XI, p. 680-681) que Regius n'avait pas craint de dédier son livre au prince d'Orange, Frédéric-Henri. Mais Descartes avait auprès du prince un puissant protecteur en la personne de son ami Huy- gens. Il est probable que cette lettre a été écrite sur l'ordre de Frédéric- Henri lui-même, ei pour être mise par .Tohnson sous les veux de Regius.

�� � tête de la traduction française des Principes, en 1647. Regius, piqué au vif, riposta par une sorte de Programme, affiché partout, où il maintenait ses positions contre Descartes. Celui-ci publia donc, en décembre 1647. quelques Notes sur ce programme, où il s’efforce de confirmer sa propre doctrine[356].

Notre philosophe (et il n’en était pas peu fier) avait distingué l’âme et le corps, comme personne ne l’avait fait avant lui. Regius crut pouvoir conclure de cette distinction, que l’homme, composé d’une âme et d’un corps, n’est tel que par accident, per accidens. Mais ce terme scolastique, restauré imprudemment, n’était pas sans danger. Un être qui n’est tel que par accident, n’est donc pas un être véritable, un être réel : la simple rencontre, accidentelle et momentanée, de deux substances qui ne demandent qu’à se séparer, ne saurait faire une substance nouvelle, un être, dans la pleine signification de ce terme. Descartes reconnaît[357] qu’on peut dire, à la rigueur, qu’il est en quelque sorte, quodammodo, accidentel à notre corps d’être joint à une âme, pourvu qu’on ajoute qu’il n’est pas moins accidentel à notre âme d’être jointe à un corps ; mais il assure que les deux, joints ensemble, font un être réellement et véritablement. La distinction de l’âme et du corps n’exclut pas leur union. Ce sont deux points de vue différents, aussi légitimes l’un que l’autre : ici l’homme considéré par rapport aux deux parties dont il est composé, et là par rapport au tout que ces deux parties composent. Il a, certes, deux parties ; mais il est aussi un tout, à savoir l’union substantielle des deux. Ainsi parlait Descartes en décembre 1641, et Regius se le tint pour dit, abandonnant sa malencontreuse formule : Homo Eus per accidens.

Mais il s’efforça, en revanche, n’ayant pas bien compris la distinction, de comprendre l’union de l’âme et du corps, et ne fut pas plus heureux. Cette fois encore, il fut mal servi par la terminologie scolastique. Il crut ne pouvoir mieux exprimer cette union substantielle de l'âme et du corps, qu’en disant que l’âme était un mode du corps, modus. Ou plutôt, renonçant à une explication philosophique en un pareil sujet, il conclut que seule l’Ecriture Sainte pouvait nous garantir que l’âme est une substance. On ne pouvait rien dire qui fût plus, agréable à Voët : l’autorité de l’Écriture invoquée pour révéler la vérité. Et d’autre part, chose non moins agréable au même Voët, l’opinion attribuée à Descartes par un disciple notoire n’allait à rien moins qu’à ruiner l’existence de l’âme, réduite à la condition de simple mode du corps. Voilà ce qu’on trouvait dans le livre de Regius, en 1646. Voilà ce que des thèses de lui colportèrent l’année suivante dans toutes les Provinces-Unies, comme l’opinion, d’ailleurs condamnable, et que Regius promettait de réfuter, de l’auteur d’une philosophie nouvelle, qui prétendait remplacer toutes les autres.

Descartes ne pouvait pas garder le silence ; il publia donc, à la fin de 1647, le livret dont nous avons parlé, Notæ in Programma, etc. C’était une discussion, toute scolastique, sur les termes « substance, attribut, mode », et la façon de les employer avec justesse et exactitude. Mais la philosophie de Descartes se prêtait mal à ces vieux cadres, et n’y rentrait pas aisément. Il n’est jamais bon de mettre du vin nouveau dans des outres anciennes. Et puis, pourquoi ne pas l’avouer ? On avait si bien taillé, qu’on ne savait comment recoudre. On avait distingué à fond l’âme et le corps, la pensée et l’étendue. Et pourtant l’homme est bien l’une et l’autre à la fois. Il n’est pas seulement un corps, et il n’est pas un esprit seulement ; il est l’union des deux. Cette union. Descartes n’y tient pas moins qu’aux deux autres notions de l’esprit et du corps distincts et séparés ; et en effet, c’est la réalité même et c’est la vie qui rentre par là dans son système de philosophie. Le monde de la science, le monde vrai par conséquent, n’est qu’étendue, figure et mouvement. Géométrie et Mécanique ; mais cela ne supprime pas l’autre monde, où nous nous mouvons et où nous vivons. Le soleil des astronomes, avec ses dimensions et ses révolutions déterminées par le calcul, n’empêche pas de subsister ce foyer de lumière et de chaleur qui apparaît à nos yeux dans le firmament : et c’est là le soleil réel, qui luit pour nous, comme le monde réel est aussi ce monde de couleurs et de sons, d’odeurs, de saveurs, objet de nos sens, c’est-à-dire de ce composé d’âme et de corps que nous sommes effectivement, et qui est l’homme tout entier. Nul plus que Descartes n’a éprouvé le besoin de l’abstrait : mais nul aussi n’a eu davantage le sentiment du réel. Ni la distinction de l’âme et du corps ne doit faire tort à leur union, car celle-ci est la réalité : ni l’union de l’âme et du corps ne doit faire tort à leur distinction, car de là dépend à la fois la Physique (le corps n’étant qu’étendue), et la Métaphysique (l’âme étant pensée pure), c’est-à-dire à la fois la Science et la Religion. CHAPITRE IV

PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE PRINCIPIA PHILOSOPHIE

(1644;

��On se doutait, en France et en Hollande, que si Descartes ne publiait pas son Monde, c'est qu'il craignait la désapproba- tion de Rome. « S'il était moins bon catholique », disait de lui Saumaise, « il nous l'aurait déjà donné ^ ». Cette opinion se répandait de plus en plus, et tout retard l'accréditait encore, rendant suspect par avance un livre, oîi cependant notre philo- sophe se promettait bien de ne pas s'écarter de l'orthodoxie. II n'était que temps d'arrêter ces méchants bruits, et dès le i5 novembre ibSg, Descartes annonça à Mersenne la prochaine publication, non pas encore de sa physique, certes, mais du petit traité de métaphysique qui en serait le fondement : Méditations sur la Philosophie première"^. Puis, l'année sui- vante, à peine le manuscrit était-il en route pour Paris, que déjà il se remettait au travail, et rédigeait la première partie de sa physique, celle qui est intitulée : Des Principes de la connaissance humaine. 11 ne faisait que reprendre, dans cette première partie, le même sujet déjà traité dans les Médi- tations, mais pour le présenter autrement, presque sous forme

a. Tome X. p. ibj : lettre à BouUiaud, du 7 mars i6'38.

b. Tome II, p, 622. 1. 16-20.

�� � Principes de la PinLOsopuiF. ^s^

de thèses^, comme il était d'usage alors dans les écoles. C'était un livre d'enseignement que voulait donner Descartes, un manuel, ou, comme il dit lui-même, un simple « abrégé ■.

Mais une doctrine ne peut se substituer à une autre et la remplacer, qu'à la condition de renverser celle-ci d'abord et de la ruiner de fond en comble. Telle fut bien, en effet, la pre- mière pensée de notre philosophe. 1/exposé de la doctrine nouvelle devait être suivi d'un exposé semblable de la philoso- phie communément reçue, avec des notes critiques sur cette dernière; le tout se terminerait par une comparaison des deux, ainsi mises ensemble sous les yeux du lecteur**. Descartes s en- quit donc, auprès de Mersenne, d'un ouvrage assez court, et qui résumerait l'enseignement officiel, ou plutôt orthodoxe, ce qui était tout un. Il connaissait, au moins par leurs titres, les ouvrages des Jésuites Toletus et Rubius. et surtout la collection de l'Université de Co'imbre « les Conimbres », comme on disait), dernier mot de la scolastique en ce temps-là\ Mais, c'étaient des ouvrages de longue haleine, développés en d'énormes volumes in-folio. Il ne se souciait pas de parcourir cette litté- rature d'école, sur laquelle il n'avait pas jeté les yeux « depuis » une vingtaine d'années », c'est-à-dire depuis 1620, En cher- chantbien dans ses souvenirs antérieurs à cette date, il se rap- pela un livre de grosseur raisonnable, qu'il avait lu, sans doute, au collège de La Flèche, la Philosophie du Frère Eustache de Saint-Paul, religieux Feuillant. La première édition était de 1609, et l'ouvrage avait été mainte fois réédité depuis lors. Descartes en acheta donc un exemplaire, et se mit à la relire^. D'autre part Mer.senne, informé de son dessein, lui signala un autre abrégé, de même format ou peu s'en faut, et plus récent, le Cours de Philosophie d'Abra de Raconis, en lôSy. Descartes n'eut pas besoin de l'acheter; il le trouva dans une

a. Tome III, p. 233, 1. 2-9 : du 11 nov. 1640.

b. Ibid., p. 23?, 1. 9-15, et p. 259-260 : nov. et déc. 1640.

c. Ibid., p. i83, 1. 4-18, et p. 194-196.

d. Ibid., p. 232, 1. 3-3. Voir ci-avant, p. 23, note c.

�� � 5^6 Vie de Descartes.

bibliothèque et alla 1 y feuilleter. Mais Raconis était à la fois Jésuite et docteur de Sorbonne, double raison de ne pas s'atta- quer à lui, et notre philosophe préféra le Feuillant". 11 voulut même demander à celui-ci la permission de prendre son livre comme spécimen de tous les traités semblables, et de l'examiner à ce titre. Mais Eustache de Saint-Paul mourut sur ces entrefaites, le 26 décembre 1640. Descartes d'ailleurs, réflexion faite, abandonna son projet. Un peu plus tard, les premiers mois de 1642, il eut à répondre aux objections du P. Bourdin, et le fit suivant la méthode qu'il venait d'indiquer, les reprenant une à une pour les faire suivre de notes de sa façon . Une telle besogne lui parut, sans doute, fastidieuse, et il ne fut point tenté de la recommencer. Mais son projet avait été ébruité; on savait même, à Leyde comme à Paris, le nom de la victime choisie pour être immolée à la philosophie nou- velle. Heereboord l'écrivait à Colvius, dans une lettre du 8 avril 1642 : c'était, disait-il, le moine Eustache de Saint- Paul'". Plus tard cependant Descartes fera au moins un paral- lèle de quelques pages entre les deux philosophies, l'ancienne et la nouvelle : nous verrons sous quelle forme et dans quelles circoristances.

Le temps lui manquait aussi d'éplucher, article par article, la doctrine adverse, et il avait assez à faire de rédiger la sienne propre. Il pensait d'abord que dix à douze mois suffiraient, et il s'était réservé pour cela toute l'année 1641. Mais il avait compté sans les objections à ses Méditations : de janvier 1641 jusqu'à mai et juin, et juillet même, il ne fut occupé qu'à y répondre. On retrouve d'ailleurs, dans la première partie de ses Principes, comme un écho des objections de cette année; et notre philosophe paraît en avoir fait plusieurs fois son profit. Cela le dispense même d'examiner à pa^t la philosophie scolas-

a. Tome III, p. 234, 1. 7-10, et p. 25i, l. i3-2i : lettres du 1 1 nov. €t du 3 déc. 1640.

b. Tome VII, p. 45i-56j.

c. Tome VIII ^2* partiei. p. 196.

�� � Principes de la Philosophie. )^7

tique, puisque, dans cette première partie, il en introduit quelque chose, en l'accommodant à sa doctrine personnelle.

Pendant la seconde moitié de 1641, il se trouva plus libre. Mais il fut encore interrompu dès la fin de janvier 1642 par les objections du P. Bourdin et les longues réponses qu'il se crut obligé d'y faire; puis en mars et avril, par sa Lettre au P. Dinet. S'il put revenir aux Principes, l'été de 1642, ce ne fut pas pour longtemps : la querelle avec Gisbert Voët allait éclater, et, pendant plus de si.x mois, il rédigea, presque au jour le jour, sa réponse au fur et à mesure qu'il recevait les feuilles impri- mées des deux pamphlets, Philosophia Cartesiana et Confra- ternitas Mariana. Il se plaint à un ami, Colvius, dans une lettre du 23 avril 1643% d'avoir été ainsi interrompu, et il dit même à quel endroit de son ouvrage il en était à cette date : explication des planètes, à la fin de la troisième partie des Principes, laquelle traite du « Monde visible » ou du Ciel.

Les derniers mois de 1643, l'impression était commencée chez Louis EIzevier à Amsterdam, bien que tout le manuscrit ne fût pas terminé encore. Le i" janvier 1644, Descartes raconte à un autre ami, PoUot, qu'il en est à la question de l'aimant, laquelle remplit une longue série d'articles, du numéro i33à 1 83, dans la quatrième et dernière partie, « De la » Terre ». Mais il ne se presse pas, le libraire étant lui-même en retard pour les figures. Elles étaient nombreuses dans le texte, et il semble bien que Descartes se soit déchargé du soin de les mettre au net sur celui-là même qui avait déjà dessiné celles de la Dioptrique et des Météores, pour la publication de 1637, Franz Schooten le jeunet On se demande même si ce ne fut pas pour cette édition des Principes, que Schooten dessina de sa main un portrait de Descartes, lequel n'y figura pas d'ailleurs et que notre philosophe ne laissa même pas figurer dans la traduction latine de sa Géométrie, par le même

a. Tome III, p. 646-647.

b. Tome IV, p. 72-73.

c. Voir ci-avant, p. 182, noie d.

�� � j^S Vie de Descartes.

Schooten, en 1649"; le portrait ne parut qu'après sa mort, dans la seconde édition de ce dernier ouvrage, en lôSg. Peut- être ne le jugeait-il pas assez bon; et de fait c'est une gravure médiocre '\ bien que fort intéressante par sa date de 1644 et son authenticité. Les Principes furent achevés d'imprimer le 10 juillet 1644. Comme pour les Méditations déjà, le nom de Descartes est inscrit en toutes lettres avec le titre : Renati Des Cartes Principia Philosophicu". Le nom se trouve aussi rétabli dans le privilège, publié cette fois tout au long, avec les éloges donnés à l'auteur, au lieu de l'extrait en quelques lignes, dont Descartes s'était contenté en lôSy, ne voulant pas alors être nommé .

Les Principes de la Philosophie sont en latin, comme les Méditations, et pour une raison analogue. Celles-ci étaient dédiées à la Sorbonne, et le latin était la langue de la théologie ; c'était aussi la langue de la philosophie dans les écoles, où Des- cartes souhaitait que son livre fût admis et étudié. Il le déclare franchement à Huygens, dans une lettre du 3i janvier 1642 : sa philosophie, dans le premier traité du Monde, avait parlé français; mais maintenant elle ne parlera plus que latin. Dans cette même lettre, il confie à son ami que c'est bien là, en effet, sa philosophie, autrement dit son Monde, qu'il se décide enfin à publier ^ Nous avons constaté déjà, par une étude compara- tive de ce Monde, tel qu'il était prêt à paraître en i633, et de trois parties, IL, IIP et IV% des Principes en 1644, qu'on y retrouvait exactement les mêmes matières, bien que traitées différemment ^ On se pose même, à ce sujet, une question ? Pourquoi quelqu'un a-t-il pris la peine de retraduire en français

a. Tome V, p. 338, 1. 6-9.

b. « le le trouue fort bien fait », dit-il cependant. Tel ne fut pas l'avis du grand Huygens : « Le portrait étoit bien mal fait. » (Cousin, Frag- ments philosophiques, i838, t. II, p. i55.)

c. Tome VIII, p. xvin.

d. Tome VI, p. 5i5 et p. 5i8.

e. Tome III, p. 523, 1. i3-2i.

f. Tome XI, p. 698-706. Et ci-avant, p. 146.

�� � Pi<iN(;ii>i-:s i)F. i.A Piiii.osoiMiin:. ^^9

le texte latin des Principes? N'était-il pas plus simple de donner la rédaction primitive du i\/c>m/t', qui était l'original ? Mais il y eût eu à cela quelques diflicultcs. Le Monde, pour devenir le livre dos Principes, avait subi certaines modifica- tions, pour le fond aussi bien que pour la forme, à cause du mouvement de la terre, (^'était donc un autre ouvrai^c, bien que ce fût aussi le même; et il avait besoin d'être traduit. Un ami s'en changea, l'abbé (Claude Picot, ami de fraîche date, semble- t-il, qui s'était enthousiasmé en 1G41 pour la philosophie nou- velle, avant même de connaître le philosophe '. 11 avait d'abord été plutôt un adversaire; mais subitement, la lecture des Alêdilalions le convertit, et il ne manqua pas d'apporter à la défense de la doctrine qu'il embrassait, tout le zèle d'un néo- phyte. 11 vint en Hollande, sur la fin de 1641, et Descartes lui donna l'hospitalité ainsi qu'à un ou deux amis pendant quelques semaines à Mndegeest. On paraît même s'être honnêtement diverti en si bonne compa<;nie. I/un des hôtes fut peut-être (bien que le fait reste douteux) ce Desbarreaux, que Descartes avait connu autrefois à Paris : homme de plaisir, s'il en fût, et en tout genre franc libertin'. Picot aussi était un bon vivant, à

a. '1 oiiic IIJ, |>. .<4o, I. ;<-6 : Ju i8 mars ib^i.

11. Ibid.. p. S'.<2, l.6-<j; p. 38S, I. ■i\-i^\ p. 45o, 1. i5-i6, cl p. 452, 1. S-.\ : Icuics du 4 mars, 23 juin cl 17 nov. 1Ô42. Vcjir aussi, p. 55i, I. ■J^-2^ : ilu iS mars 1(142. l'icoi ctaii parii.

c. Voir ci avaiii, p. yij, uoïc a. Revenons sur celle quesiion de Dcs- harrcaux. ICs'-il venu, oui ou non, visiter Dcscaries en Hollande l' Le seul passap.e d'une Iciirc de Descartes ijui pourrait le faire croire, demeure cnii-maiiciue, 4 mars 1O41 (i. III, p. 332, I. 6-1)) : il est bien question d'un .- Conseiller .>, mais dont Descarlcs ne dit pas le nom. Clerselicr ne le nomme pas davantage : éditeur timOrc, pcut-ctrc ne lenaii-il pas pour son ami à cette lrc-i|ucniati<>n suspecte, cl l'a-l-il omise il ilessein ? Haillci nomme Desharreaux IVic de Desc, i. II, p. ijfjj, sans ipi'on saclie s'il avai( ce nom sous les yeux dans une lettre à Mersenne, an|ourd'luii pei due, celle du jj mai i<)4i, par exemple M. III, p. 3-8 61 .<()oi. Aux didicultés .pic nous avons indiquées, p. 7<)-Ho ci-avani, s'ajoute .)ue Desbarreaiix, ijui s'éiail mis en route « pour ecumer les délices d< • Friince -, n'Hvaii rien de pareil qui latiirai en IlolUude, sinon la con veriaiioii du pliilnsoplie. Ce qui n'empéclie pas que Dc-scartes et Dcsbar-

��le

�� � j6o Vie de Descartes.

qui la métaphysique n'avait point donné un visage morose ni des habitudes austères : il préférait d'ailleurs la physique. Plus tard, il sut mourir gaîment, comme il avait vécu, et sa fin, somme toute assez philosophique, fournit à Tallemant des Réaux " une de ses bonnes historiettes. Sitôt donc les Prin- cipes publiés en latin. Picot se mit à les traduire. Descartes était alors en France; avant de retourner en Hollande, il avait déjà reçu la première et la seconde partie, mises en français *".

reaux om fort bien pu se connaître à Paris, de 1 626 à 1628. « J'ai été jeune » autrefois », avoue sans fausse honte notre pliiiosophe : Nuper enitn juvenis fyi. (Tome VIII, 2' partie, p. 22, 1. 7.) Cela rappelle le mot de Racine à La Fontaine : « J'ai été loup avec vous, et avec les autres loups

  • vos compères. » [Œuvres de Racine, édit. Hachette, i865, t. VI,

p. 416.)

a. Claude Picot était fils d'un receveur général des finances à Moulins, Jean Picot. Il avait deux frères, Antoine, conseiller à la cour dis aides de Paris, et François, auditeur des comptes. II avait aussi deux sœurs, l'une mariée à M. Hardy, maître des comptes et cousin du conseiller au Chàtelet, l'autre à M. Pinon, maître des requêtes, tous amis de Descartes. (Baillet, loc. cit., t. I, p. 147.) Balzac nomme Picot en compagnie de Desbarreaux : « les Picots et les Des Barreaux », dit-il à Chapelain. {Mélanges historiques, Impr. Nat., 187?, t. I, p. 540.) Et Tallemant des RiÎAUx ne parle de Picot que dans son Historiette sur Des Barreaux. « Il » (Des Barreaux) prêche l'athéifme partout où il fe trouve, & une fois il » fut à Saint-Cloud chez la Du Ryer paffer la femaine fainte,avec Miton, » grand joueur, Potel, le confeiller au Chàtelet, Raincys, Moreau & Picot, » pour faire, difoit-il, leur carnaval... Picot mourut à peu près comme » il avoit vécu; il tomba malade dans un village; il fit venir le curé & lui » dit qu'il nt' vouloit point qu'on le tourmentât & qu'on lui criaillât aux

  • oreilles, comme on fait à la plupart des agonifants. Le curé en ufa

» bien, & il lui donna par fon teftamCnt trois cents livres; mais comme » il vit que le curé, le croyant expédié, ou peu s'en falloit, fe mettoit à » criailler comme on a de coutume, il le tira par le bras, & lui dit : » Sache:{, galant homme, fi vous ne me tene\ ce que vous m'avez promis, » qu'il me rejie encore aj[fe\ de vie pour révoquer la donation. Cela ren- » dit le curé plus fage, & l'abbé expira assez en repos. » (Tallemant des Réauxj Historiettes, p. p. Monmerqué, 3' édit., t. V, p. 96-97.) Picot mourut le 6 nov. 1668. Son nom apparaît pour la première fois dans la correspondance de Descartes à la date du 18 mars et peut-être du 4 mars 1641. (Tome III, p. 332, 1. 7, et p. 340, 1. 3.)

b. Tome IV, p. 147, 175 et 180 : lettres du 8 nov. 1644, des 9 et 17 févr. 1645.

�� � Principes de la Philosopihe. j6i

Le reste vint le rejoindre à Egmond. Ii!t à ce propos une ques- tion encore se pose. Il a existé de cette traduction un manus- crit, aujourd'hui perdu, manuscrit autographe qui commenaiit à l'article 41 de la troisième partie : ce manuscrit pouvait lairc croire qu'à partir de là jusqu'à la fin la traduction était de Descartes lui-même, et non de Picot; bien mieux, ce n'était plus une traduction, mais le propre texte, et un texte français, du philosophe '. De fait, nous savons que quelques parties peut- être, ne fût-ce que celle qui est relative à l'aimant, ont été au moins résumées par lui en français pour son ami l^oUot, qui ne savait pas le latin. Et nous savons aussi que la traduction française contient de nombreuses additions, lesquelles sans doute Picot n'eût point osé faire de son autorité, et qui, par conséquent, sont de Descartes. C'est même ce qui permet de résoudre le problème. Qui donc, en effet, pouvait insérer, cha- cune à sa place, toutes ces additions dans le texte déjà traduit, sinon l'auteur, et nul autre que lui ? Et il l'aura fait en recopiant le tout de sa main, travail délicat que lui seul encore pouvait faire, ce qui explique qu'il en ait pris la peine. C'est ainsi que nous avons deux textes pour les Principes de la Philosophie : le texte latin, publié d'abord en 1644, et un texte français, publié en 1G47, traduction du premier pour la plus grande part, et pour le reste addition de Descartes lui- même. 11 ne sera pas sans intérêt de noter, chemin faisant, en quel sens ont été faites les additions : quelle préoccupation ou arrière-pensée ne révèlent-elles pas çà et là?

Descartes s'intéressait trop au sort de ses ouvrages, pour ne pas préparer les voies à ses Principes, comme il avait fait à ses Méditations. Rome l'inquiétait toujours; et c'est du Saint- Oflice qu'il voulut s'assurer d'abord, à cause de la dangereuse question du mouvement de la terre. Notre philosophe se sou-

a. l'omc IX (2° partie), p. lui, noie a. Voir surtout p. x-xviii.

b. Tome IV, p. -jS, I. S-y : du i"^' janv. 1644.

c. ToiMc IX, i paitiu, p. ix-xviii.

ViB i)K Descartes. 46

�� � }62 Vie de Descartes.

vint du cardinal qui avait encouragé ses débuts, Guidi di Bagno, nonce du pape en 1628 à Paris, où on l'appelait M. de Baigne '. Celui-là au moins n'était pas hostile de parti pris aux idées nouvelles : un savant de Belgique, Godefroy Wendelin, rappelle qu'il avait soutenu devant ce prélat l'opinion de Copernic; c'était, il est vrai, avant la condamnation de Galilée. Descartes n'avait pas oublié un tel personnage : en 1637, il lui réserva un exemplaire du Discours de la Méthode et des Essais, qui dut lui être envoyé à Rome avec une lettre personnelles On ne sait si l'envoi parvint à son adresse; la chose est probable cependant, car Baigné, de son côté, n'oubliait pas non plus Descartes, et en 1640 il fit demander par son secrétaire, Naudé, des nouvelles du philosophe. Mer- senne ne manqua pas d'en informer celui-ci '^, qui put voir là un nouvel encouragement et presque une invitation à publier quelque chose. Aussi profita-t-il avec empressement de cette occasion qui s'offrait; il recommanda à Mersenne de faire savoir à Rome que, si la publication de sa philosophie tardait quelque peu, c'était à cause du mouvement de la terre : qu'on voulût bien là-dessus «sonder le cardinal "^ ». Malheureuse- ment, Baigné mourut le 25 juillet 1641'. Sans doute il n'avait pas eu le temps de répondre, et peut-être aussi n'aurait-il pas répondu. Mais le silence même pouvait passer pour un acquies- cement ; en tout cas, ce n'était point une défense ni une interdiction.

Descartes se tourna d'un autre côté. L'affaire du P. Bourdin l'avait remis en relations avec les Jésuites, et nous avons vu

a. Voir ci-avant, p. 93 et p. 2i8-2-i<).

b. T(jnie I, p. 290 : lettre âc Wondclin, i5 juin i6!^3.

c. IbU., p. 195, 1. i')-24. l'oino II, p. 464, I. i(i-i'.i, L'i p. 565, I. (1-17 : Ictircs de dcic. i638, ei du ifj juin iftv).

d- 1 'Mlle 111, p. 234-:i;i;i : du 11 no\'. 1O40.

e. /bid., p. 2?8-259 : dcc. 1640.

f. (jui Patin écrivait à M. Hclin, mcdccin a Troyes, le 22 août 1641 : ■1 Le cardinal Bagnv cit mon 'a Kcuiic; nous v perdons, car il eltoit grand » amy de \n France •■ {Lettres de Gui Paliu. l£dii. 1' Triaire, 1, 1, 1907,

p. iOD.)

�� � Piv'iNc.irivS hi': i.A Piiii.osoniii-. jh]

qu'il s'adressa à leur iMOviiuial de Paris, (]ui ?e liouvail être son ancien, préfet des études au collèjnc de I ,a Flèche, le l\ Dinel. Or la dernière paj^e de sa Lclhc à Diiicl, publiée avec la secomie édition des McJiUitioiis en mai i<i-|-î, n'est rien moins (|ue l'annonce des Principes'. 11 demande à ses anciens maîties leur assentiment, et subordonne même à cela sa publi- cation : s'ils ne veulent pas, tout est dit, il ne pui)licra rien, line fois de plus, la tactique était liabile. Comment se prononcer davance, en elVet, contre un livre (|ui nest pas encore pid)lié, et (pie par conséquent on ne connaît pas? lu pourtant on le connaît bien un peu, si Ton en ju<;c par les J:ssais <]ue le |iliiIo- sophe a donnés en ir)37, et par les Mcdilalimis de \(\\\ . \'X le jut,fcnient ne saurait être que favorable, Descartes s'élant i;ardé de rien mettre dans ces deux livres qui s'écartât de l'ortliodo.xie. Sollicité ainsi, tle donner son avis, le 1*. Dinet ne jîouvait opposer un relus à son ancien élève; et celui-ci était en droit d'escompter son approbation. I,e .lésuite, dont nous n'avons pas la réponse, demanda seulement un sommaire de louviaf^e annoncé : nous savons (jue Descai tes lui envoya les titres des chapitres, en lO.p^'". Il avait reçu, en même temps, une bonne lettre d'un autre .lésuite, celui qu'il appelait « son » second père », lÀienne Charlct, alors assistant du j^énéral à Rome. Ces hautes protections devaient le rassurer pour son livre, surtout s'il eut en outre connaissance du maj:i^ni(iquc ouvrai^c qui parut cette même année i()4'^, V Ilydrof^raphie du P. Georges Fournicr, un .lésuite encore, et qu'il avait proba- blement connu à La l' lèche'. Non seulement le nom de « M. Des Cartes, gentilhomme breton », s'y trouve cité avec honneur; mais des pages entières et presque des chapitres de la Dioptrique et des Météores y sont reproduits à la lettre, sans indication de provenance, il est vrai. Mais notre philo-

a. Tome VII, p. 599-603.

b. Tome III, p. 6oy, I. 4-14, cl p. (i3<>, I. 1-7 : Icurcs du 4 janv. ci du a3 mar.s i(i43.

c. Voir ci-avunt, p. 1H6, non.' b ; p. 20'), iioïc b\ p. 2o3. iiou: a, etc-

�� � 564 Vie de Descartes.

sophe n'eut garde de réclamer, trop heureux sans doute de cet acquiescement d'un Jésuite à ses doctrines, et d'une telle faveur venant de la Compagnie. Il était vengé des attaques du P. Bourdin. Aussi ne fera-t-il point difficulté de se réconcilier avec ce dernier à Paris, au cours de son voyage en 1644-' ; et lorsque les exemplaires des Principes lui seront envoyés de Hollande, c'est au P. Bourdin qu'il confiera le soin de les dis- tribuer, avec des lettres pleines d'un affectueux respect, aux PP. Charlet, Dinet, etc., sans oublier le P. Fournier.

Mais aussi que de précautions prises pour les désarmer ! A la fin de la première partie des Principes et à la fin de la quatrième, et maintes fois encore au cours de l'ouvrage, il proteste de son respect pour la vérité religieuse et pour la révélation; il se déclare prêt à abandonner ses opinions, pour peu qu'elles n'y soient point entièrement conformes . Se moque-t-il au fond ? Car enfin il a l'air ainsi de se désavouer lui-même et de se rétracter par avance. L'hypothèse de Copernic, celle de Tycho-Brahé% ont eu le tort de supposer le mouvement de la terre : opinion condamnée, et d'ailleurs absurde et tout à fait contraire au sens commun (surtout si l'on entend le mouvement d'une certaine façon). Descartes propose un autre système différent qui, selon lui, doit tout sauver : les droits légitimes de la science et l'autorité des livres saints*^. Il va jusqu'à dire que sa propre hypothèse, celle dont il part ensuite pour montrer comment toutes choses se sont formées, n'est pas vraie, et que même elle est certaine- ment fausse, et qu'il ne l'a proposée que comme un exemple de la manière dont on peut expliquer la formation du monde*'. Mais sans doute Dieu a créé du premier coup la terre, avec les plantes et les animaux et l'homme, comme nous les voyons

a. Tome IV, p. 139-144.

b. Tome VIII, p. 14, p. Jg et p. 32cj, p. 99-100, etc.

c. Il est question de Tyclio-Biahé, i. H, p. 559, 1. i5-iû : leiire du 19 juin 1639.

d. Tome VIII, p. 86. f. Ibid., (). 99-103.

�� � Principes de la Philosophie. j6^

aujourd'hui; et cela est bien plus cligne de sa perfection, que s'il avait laissé seulement la matière parvenir d'elle-même peu à peu à l'état actuel, en passant par tous les états intermé- diaires. Cette formation lente et successive satisfait davantage notre esprit curieux de comprendre et de savoir ; mais elle ne remplace pas la création. Descartes l'avait déclaré déjà, par précaution en 161^7 ' ; il le redit plus fortement encore en 1644, en affectant une sincérité qui, sans doute, n'était pas au fond de sa pensée : mais n'était-ce pas aussi la faute des cir- constances, s'il se croyait forcé à de telles déclarations ? Il y gagna tout au plus de ne pas voir ses livres condamnés à Rome de son vivant : l'inévitable mise à l'index fut retardée jusqu'en i663, treize ans après sa mort.

Cependant les Principes furent attaqués en France presque au lendemain de leur publication. Un Jésuite, ce qui dut être sensible à l'auteur, le P. Honoré Fabri, s'en prit à la matière subtile, c'est-à-dire au fondement même de la physique de Descartes, dans une « Philosophie universelle », Philosophia universa, publiée en 1646. Mersenne, en prévint aussitôt son ami, qui, comme d'habitude, s'émut plus que de raison. Avant même d'avoir vu le livre, il écrivit au P. Charlet, qu'il croyait toujours assistant du général à Rome, et qui était maintenant provincial à Paris. Cette lettre, du mois d'août 1046, est inté- ressante'. Descartes y revient à son projet de 1640 : prendre un manuel de la philosophie de l'Ecole, et de préférence cette fois le manuel d'un .lésuite, le publier avec des notes critiques, chapitre par chapitre ; d'où une réfutation en règle, et qui ne laisserait rien debout. Seulement Descartes, plutôt que d'en- treprendre lui-même cette tâche, la laisserait faire à un ami,

a. Tome VI, p. 45, l. 4-22.

b. Tome IV, p. 498, 499, 554, 5^5, 58X ci ()?64)'37 : lettres du 7 sept., 2 nov., 14 duc. 1^)46, et du 2^ avril 1647, où DLScartcs, ayant enfin reçu le livre, reconnaît que ses craintes étaicni mal loiidées.

c. Tome III, p. 269, lettre mal datée, et qui n'est pas à sa place. Il convient de la renvoyer à la seconde quinzaine d'août, comme on voit par ces passages; t. IV, p. 498, I. y-12, p. 585, et surtout p. 587-588.

�� � j66 Vie de Descartes.

dit-il, qui ne demandait qu'à s'en charger. N'était-ce pas là une feinte, assez invraisemblable d'ailleurs, puisque le destinataire de la lettre est le P. Charlet, en qui Descartes paraît avoir eu toute confiance ? Et cet ami supposé n'aurait-il été qu'un prête- nom, cachant mal le véritable auteur, à savoir notre philosophe en personne ? Ou bien quelqu'un, en effet, s'était-il offert à lui rendre ce service, et n'attendait-il pour cela qu'un mot d'ordre et des instructions? On penserait volontiers à l'abbé Picot. La réponse du P. Charlet est ce qu'elle pouvait être"": « il ne » trouvera point mauvais si, sans attaquer personne en parti- » culier, on dit son sentiment, en général, de la Philosophie » qui s'enseigne communément partout ». Et de fait, comment empêcher cela ? Descartes sollicitait une permission, qui ne pouvait lui être refusée. 11 renonça cependant à ce projet, qui peut-être aussi n'était qu'une menace en l'air, pour calmer chez les Jésuites des velléités combatives ; et d'ailleurs, si l'un d'eux, le P. Fabri, l'avait attaqué, un autre, le P. Etienne Noël, venait, dans deux livres récents, de faire son éloge ; ceci contrebalançait cela, et c'était un dédommagement .

Néanmoins il voulut faire la comparaison des deux philo- sophies, l'ancienne et la nouvelle, comme en raccourci dans un même tableau, et les présenter au lecteur, qui serait juge. Déjà toute la conclusion des Principes '^^ n'est pas autre chose : Descartes examine rapidement la doctrine d'Aristote et celle de Démocrite^ et en fait la critique. Mais c'est dans la préface de la traduction française qu'il s'explique nettement, et cette préface, annoncée au P. Charlet en décembre 1646, s'adresse en 1647 au traducteur, l'abbé Picot. La forme grammaticale en est curieuse : Descartes parle au conditionnel, j'aurois voulu

a. Tome IV, p. 587, 1. 6-U). La réponse du P. Charlci est perdue; mais Descarics en reproduit les termes dans sa lettre de remerciemeni.

b. Ibid., p. 584, 1. ')-i6 : Sol flamma et Aphorijhn Pliy/ici. Lettre du 14 déc. 1646.

c. Tome VIII, p. ■323-'-i2tJ, et t. 1\ (2^ partie», p. l^iS-32o : Partie IV, art. 200-203.

d. Tome IV, p. 588, 1. 5-q

�� � Principes de i.a Piiii.osoimiik. j6j

premièrement expliquer, j'aurais ensuite /ail considérer, etc. ■'. Si l'on suppléait ce qui manque, le discours serait à peu près tel : « Si vous vouliez comparer l'ancienne et la nouvelle » philosophie, vous pourriez dire telle et telle chose, etc. » l'A ceci ressemble bien aux conseils que, disait-il dans sa lettre au P. Charlet, il donnerait à l'un de ses amis. Picot répondit d'ailleurs. La lonsi^ue épître composée l'année suivante, à la date du 6 novembre 1648, et qui sert de préface au petit Traité des Passions^, est bien une réponse à la préface des Principes en français, de 1647 ; et comme celle-ci était adressée à l'abbé Picot, l'auteur de la réponse ne peut être que ce dernier. Aussi bien y parle-t-il à peine des Passions; mais il s'étcnil avec complaisance sur les raisons que Descartes avait données de ne point achever la cinquième et la sixième partie de ses Principes, et surtout sur le caractère de la philosophie nou- velle, opposée aux Anciens ; il montre à merveille quelle en est la portée, et les conditions de son progrès. Ces deux préfaces de 1647 ^* ^^ 1648, jointes à la conclusion du livre de 1644, complètent le plan que Descartes annonçait à Mersenne dès 1640 : donner d'abord une exposition de sa philosophie, puis un abrégé de celle de l'Kcole, et terminer par une comparaison des deux. La seconde partie du plan est sans doute laissée de côté, comme moins nécessaire; mais la plus importante, qui est la troisième, bien que seulement esquissée, a reçu une sufnsante réalisation. Dès 1G47, l^icot aurait pu tenir le propos qu'on prêtera plus tard à un péripatéticien au banquet (jui suivit les funérailles de Descartes à Paris, le 24 juin 1667: « L'ennemi est dans nos murs : et voici que croule de fond » en comble notre antique cité. »

Hostis habcl muras : mit alto à culmine l'roja' .

a. Tome IX (2» partie), p. 1, 1. k<-i4 ci I. 16-17 ; P- 2, ■■ 5 , p. <, I. 6; p. 4, 1. 3i ; p. 9, I. r.<-i4 ; p. 1 i, I. 20 ; p. 1 S, I. i5, etc.

b. Tome XI, p. 301-322.

c. Baillet, i. II, p. 442. La citation""csl de Virgile, .Kn., Il, njo.

�� � CHAPITRE V

PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE

(suite)

��Le livre des Principes de la Philosophie devait tout d'abord comprendre six parties : « Principes de la connaissance. — » Principes des choses matérielles. — Le Ciel. — La Terre. » — Les plantes et les animaux. — L'homme. » Mais Des- cartes n'en acheva que quatre, les expériences, dit-il, lui fai- sant défaut pour traiter les deux dernières : « les plantes et » les animaux » et « l'homme^ ». Plus d'une fois d'ailleurs il

a. Voici, à titre de curiosité, comment était divisée la Physique dans le Cours de Philosophie du « Feuillant », Eustache de Saint-Paul : Summa Philofophice, etc., i" édit. en 1609, et 2= édit. en 161 1. Nous sui- vrons la pagination du t. II de cette seconde édition.

Physica.

Pars I. De Corpore naturali generatim. (Pages 9- 121.) Pars II. De Corpore naturali inanimato. (Pages 122-254.) Pars III. De Corpore naturali animato. (Pages 254-455.)

Voici maintenant les subdivisions de ces trois parties.

Pars L

Primus Traîlatus. De principiis rerum naturalium — generatim, — fpeciatim (de materia, forma, privatione) ; — de natura & compofito natu- rali. (Pages 9-5 1.)

Secundus Traflatus. De caujts rerum naturalium. De caufis in génère. De quatuor caufarum generibus. De caufis per accidens. (Pages 51-74.)

Tertius Tradatus. De communibus rerum naturalium proprietatibus . De

�� � Principes de la Philosophie. 369

se trouva arrêté, chemin faisant (comme dans la troisième partie, au sujet du vif-argent), faute d'expériences.

Des quatre parties publiées en 1644, la première est un abrégé de métaphysique, et les trois autres comprennent la physique, dont cette métaphysique fournissait les fondements. La première partie, comparée aux trois autres, est à peine le neuvième et même le dixième de tout l'ouvrage ' ; on ne pouvait guèr^ la réduire davantage, et c'est le minimum de métaphysique, nécessaire, semblait-il, à toute physique en ce temps-là. Non moins que cette brièveté, la place que donne Descartes à la métaphysique dans l'ensemble de sa philoso- phie, est significative. Les manuels en usage dans les collèges plaçaient la métaphysique après la physique, tout à la fin par conséquent . Descartes fait le contraire : il commence par la métaphysique, et ce renversement de l'ordre traditionnel

Quantitate, vbi de Injinito. De Loco, vbi de Vacuo. De Tempore. De Motu. (Pages 74-121.)

Pars II.

Primus Tractatus. De Mundo & Cœlo. (Pages 122-176.) Secundus. De FAementis. (Pages 177-224.)

Tertius. De Corporibus mixtis, — imperfeâis {feu Meteoris), — per- feâis. (Pages 224-254.

Pars III.

Primus Tracïatus. De Anima generatim. (Pages 255-290.) Secundus. De Anima végétante. 'Pages 290-336.) Tertius. De Anima fentiente . (Pages 336-408.) Quartus. De Anima rationali. (Pages 408-455.

a. Tome VIII, p. 5-39 {P^rs prima], p. 40-79 [secunda), p. 80-202 (tertia), et p. 2o3-329 [quartaj.

b. L'ouvrage complet, cité p. 23, note c, est ainsi intitulé : Summa Philojophiœ Qiiadripartita. De rébus Dialeâicis, Moralibus, Phyficis & Metaphyficis. Authorc Fr. Eustachio a Sancto Paulo Ex Congregatione Fulienfi, Ordinis Cillercienfis. Editio fecunda. (Parifiis, Apud Carolum Chalkllain, via lacobeâ fub ligno Conrtantiie. CID IDC XI.)

Ces quatre parties ont chacune l'importance relative que voici : Tomus I. Dialeâica. pp. 268 cum indice 12 pag.). Ethica, pp. 194 (plus 12 . Tomus II. Phyfica, pp. 455 (plus 21). Metaphyfica, pp. 126 (plus 8).

Vif de Descartes. 47

�� � n’était rien moins qu’une révolution. La philosophie ne consiste plus à s’élever des choses visibles aux choses invisibles, du monde à Dieu, la métaphysique étant comme un degré supérieur, au-dessus duquel on ne trouverait plus que la science suprême ou la théologie. La philosophie est simplement l’explication du monde au moyen de principes que la métaphysique est appelée à garantir ; celle-ci est donc comme le point de départ nécessaire, pour passer aussitôt à la physique. Sans aller jusqu’à dire que, de parti pris, elle se détourne de la théologie, ce n’est pas cependant cette haute connaissance qu’elle a surtout en vue ; elle vise presque uniquement et exclusivement la science de la nature, et son but principal est de fournir à celle-ci les principes dont elle a besoin.

Nous retrouverons donc, dans la première partie des Principes, ce qui avait déjà fait l’objet des Méditations, et Descartes l’intitule à dessein « Principes de la connaissance ». L’ordre même n’est changé que sur un point : la preuve de l’existence de Dieu par son essence n’est plus la troisième, mais la première, comme la plus intuitive. Les deux autres ne viennent qu’ensuite : preuve de Dieu par son idée dans notre esprit ; et preuve de Dieu par l’existence de notre esprit avec une telle idée en lui[358]. La comparaison prise de l’idée d’une machine artificielle, laquelle idée a besoin d’une cause qui l’explique, ne figurait que dans les Réponses aux Objections, et non point dans les Méditations : Descartes l’introduit dans les Principes[359]. Pour tout le reste, l’ordre suivi est à peu près le même. On retrouve notamment cette correspondance que nous avons signalée entre la fin et le commencement : de part et d’autre, c’est la question de l’erreur, non pas en général (la Principes de la Philosophie. jji

théorie de l'erreur est à sa place, au centre de la discussion), mais des erreurs réelles que nous commettons dans la recherche de la vérité, avec leur dénombrement au début, et à la fin leurs causes et leur eflPet, qui est de fausser la philosophie : témoin la scolastique. Toutefois Descartes marque ici, plus nettement qu'H n'avait fait, la part du libre arbitre : l'erreur s'explique par une faiblesse de la volonté, qui se laisse aller; le doute, qui est comme la libération de l'esprit, est un acte d'énergie par lequel se reprend et se ressaisit cette même volonté ". Notre philosophe insiste aussi, plus qu'il n'avait fait, sur l'idée d'in- fini, Dieu ayant été dans les Méditations considéré plutôt comme l'Être parfait. La différence est grande, cependant, et n'irait à rien moins, si on la suivait jusqu'au bout, qu'à diriger la métaphysique dans le sens de la morale plutôt que de la science. Mais Descartes n'envisage pas cette éventualité. L'idée d'infini le conduit seulement à deux applications, d'ordre scientifique l'une et l'autre : infini de grandeur, les espaces s'ajoutant aux espaces indéfiniment ; infini de peti- tesse, la matière étant divisible à l'infini. Un champ immense s'ouvre ainsi des deux côtés à l'esprit humain pour la connais- sance de l'univers. Mais prudemment Descartes a substitué à l'infini, mot dangereux, celui d'indéfini. Il ne faisait que suivre en cela d'abord la pente naturelle de son esprit : il avait le sentiment que celui-ci est fini ; toute affirmation, que les choses sont infinies, ou qu'elles ne le sont pas, l'aurait égalé à l'infinité divine : ce qui eût été le comble de la pré- somption. Et cette attitude réservée n'était pas moins conforme à la prudence de son caractère : il évite de se prononcer sur le sujet si dangereux de l'infinité du monde, et ne répond pas là-dessus aux théologiens. Il fait mieux, il prévient toute question indiscrète de leur part ; et par là-même il écarte les difficultés scientifiques, qui viendraient de la considération

a. Tome VIII, p. 17-21, et t. IX (2' partie), p. 38-43 : an. xxxi-xliv.

b. Ibiii., p. 14-15 : art. xxvi et xxvii. De nicme. p. 5i-52 : Pars II*, art. XX et XXI.

�� � J72 Vie de Descartes.

des causes finales ^ : notre esprit ne saurait, sans une imperti- nence ridicule, prétendre pénétrer les desseins de Dieu. Et il écarte aussi toute difficulté théologique, tirée de la pré- ordination divine, incompatible, ce semble, avec la liberté humaine. Gassend avait attiré là-dessus son attention ^, et Descartes, bien qu'il se fût déjà expliqué, y revient dans ses Principes. Faut-il aussi attribuer à une précaution de sa part la place relativement large qu'il fait à la scolastique dans cette première partie ? Le problème des « universaux » y est traité, et Descartes reprend ces « distinctions réelles, for- » melles, modales*^ », auxquelles il avait touché déjà, à la fin de sa réponse à Caterus. Sa philosophie satisfait à tout : loin de rejeter avec mépris les questions en honneur dans l'École, elle les traite à sa manière et montre qu'elle peut aussi les résoudre. Une philosophie nouvelle ne remplace bien celle qu'elle prétend détruire, que si elle en utilise les débris comme des matériaux pour ses propres constructions.

La seconde partie, intitulée « Principes des choses maté- » rielles », accentue encore plus, si possible, les ressem- blances et les différences de l'ancienne philosophie et de la nouvelle. Dans l'École on traitait, sous ce même titre, quatre grandes questions : « de la quantité » (et à cette occasion, de l'infini), « du lieu » (et à cette occasion, du vide), a du temps », et enfin « du mouvement  ». Les deux premières questions deviennent, pour Descartes, celles de l'étendue et de la matière, identiques Tune à l'autre : le vide est donc exclu,

a. Tome VIII, p. i5-i6 (art. xxviii), ei p. 20 (art. xl et xli).

b. Tome VII, p. 3o8 et p. 374-375. Tome VIII, p. 80-81.

c. Tome VIII, p. 24-32 (art. li à lxv inclus) : fubjlantia, attributa, modi, qualitates, univerjalia, dijlinâio realts & modalis, diJlinSio rationis.

à. EusTACHius A S'o Paulo, ou « le Feuillant », Summa Philofopht<r, &c. (édit. i6ii). Phyfica. Pars I", trailatus 3"^ : De Qiiantitate, vbi de Infi- nito (p. 75-86). De Loco, vbi de Vacuo (p. 86-93). De Tempore (p. 93-98). De Motu (p. 98-121).

�� � Principes de la Philosophie. ^7^

et il combat avec vigueur les préjugés à cet égards II parle à peine du temps ; et l'essentiel de cette seconde partie est, pour lui, le mouvement. Il en définit la nature, et en établit les lois, au nombre de trois, qu'il fait suivre de sept règles, conséquence ou explication de la troisième loi . Sa définition du mouvement n'est plus seulement celle qu'il avait proposée d'abord dans le traité du Monde : à savoir « l'action par » laquelle un corps passe d'un lieu en un autre '= ». Il reprend sans doute cette formule, pour bien montrer qu'il n'admet qu'un seul mouvement, le mouvement « local » ; c'est par un abus de langage que la scolastique donne le même nom de mouvement à toute sorte de changement. Mais il ajoute une définition nouvelle, à laquelle il se tiendra désormais ; et celle-ci semble n'être là que pour justifier par avance ce qu'il dira du mouvement prétendu de la terre. Qu'est-ce donc que le mouvement ? « Le transport d'une partie de la matière, ou » d'un corps, du voisinage de ceux qui le touchent immédia- » tement et que nous considérons comme en repos, dans le » voisinage de quelques autres '. » Cette définition lui per- mettra de soutenir ces deux paradoxes : dans le système de Tycho-Brahé, qui croyait laisser la terre immobile, elle se meut ; et dans son propre système, qui. paraît lui donner du mouvement, elle ne se meut pas. Le tout est de s'entendre.

a. Tome VIII, p. 71-73 : art. xvi à xix.

b. Ibid.p. 53-6o : art. xxiv à xxxiv inclus.

c. Tome XI, p. 40, 1. 2-5, et i. VIII, p. 53, 1. lo-ii, ou t. IX (2< par- tie), p. 75.

d. Voir ci-avant, p. i5o. Voir aussi a le Feuillant », loc. cit. : « Motus j> optimè definitur ab Ariftotele Aâus entis in potentià quatenus in » potentià. . . Ex. gr., acquifitio caloris eft motus, quia eft aflus feu per- » fec^io aqux quae calefit, quxque eft in potentià ad nouam aliquam » partem caloris quatenus continué ad eam pergit. » (Édit. i6n, t. II, p. 66-67.)

e. Tome VIII, p. 53, 1. 26-29; ^* *• I^ (2' partie), p. 76. Descartes ne cesse de renvoyer ensuite à cette définition : t. VIII, p. 77, 1. 9-10; p. 85, 1. 29-30; p. 90, 1. i2-i3 et 1. 15-17, etc. . .; et t. IX (2' partie), p. 100. 109, II 3, etc.

�� � 374 Vie de Descartes.

Descartes a pressenti le reproche qu'on pouvait lui faire; et plus tard il se défendra : il est prêt à jurer devant Dieu, dira-t-il, qu'il ne pensait guère aux conséquences, lorsqu'il proposait ses hypothèses; ce n'est qu'ensuite et après coup que, par celles-ci, tout se trouvait expliqué^. Croyons-le donc, puisqu'il le dit, pour ses hypothèses cosmogoniques ; nous avons peine à le croire pour sa définition du mouvement.

Les lois du mouvement sont au nombre de trois"". Selon la première, « chaque chose demeure en l'état où elle est, tant » que rien ne la change » : en repos donc, si cet état est le repos ; en mouvement, si cet état est le mouvement. Ainsi l'exige l'immutabilité divine. Dans la philosophie de l'École, tout mouvement n'avait d'autre but que le repos, qui était sa fin naturelle : singulière philosophie, où une chose n'atteint sa perfection qu'en cessant d'être elle-même, pour devenir son contraire ". Et Descartes de se moquer en passant.

Selon la seconde loi, qui dans son traité du Monde était la troisième, « tout corps qui se meut, tend à continuer son » mouvement en ligne droite ». L'Ecole soutenait, depuis

a. Tome V, p. 170: du 16 avril 1648. Au commencement de l'alinéa, lire plutôt : haud videtur Jatis Jimplex (au lieu de paulo videtur. . .); à quoi Desrartes répond, en insistant : EJi certè fatis Jimplex . . . Valde ejl Jimplex. Voir aussi t. VIII, p. 99, 1. 4-6.

b. Tome VIII, p. 6i-63 (art. xxxvi à xxxviii), p. 63-65 (art. xxxix), et p. 65-67 (art. XL à XLii). Ou bien t. IX (2» partie), p. 83-85, p. 85-86. p. 86-89. Voir aussi t. XI, p. 38-40, p. 43, et p. 41-43. Enfin ci-avant, p. i5o.

c. EusTACHius A S'° Paulo, Summa Philofophiœ. Pars III» : Phyfica : « Quod fpeclat ad quietem, fciendum eft illam dupliciter vfurpari : » vno modo pro folà cuiufuis motûs priuatione, quo modo non eft » vera rerum naturalium propriétés ; altero modo pro exiflentià mobilis » in luo debito & naturali ftatu, fiue quoad locum, lîue quoad quantita- » tem aut qualitatcm, fed prœfertim quoad locum, quatenus in eo quali » naturali & patrià fede fefe melius tuetur, ac totius vniuerfi ordinem & 1) pulchritudinem feruat. Et quidem (1 iuxta hune pofteriorein fenfum M quies accipiatur, fané elt finis iplius motûs naturalis, ac proinde pro- » prietas rei naturalis perfetlior ipfo motu; quare natura non tantùm » motûs, fed etiam quietis principium definitur. » (Edit. 161 1, t. Il, p. loi.) Voir t. VIII, p. 53, 1. 2-4.

�� � Principes de i.a Philosophie. ^7^

Aristote, que le mouvement circulaire est le mouvement par- fait, dont nou5 avons constamment sous nos yeux le plus bel exemple dans le mouvement du ciel. C'était un préjugé à ren- verser, et Descartes invoque une seconde fois l'immutabilité divine : le mouvement circulaire suppose à chaque moment un changement de direction, et ne fait donc lui-même que changer. Mais Descartes en appelle aussi à l'expérience : la pierre s'échappe de la fronde en ligne droite, et lorsque nous la faisons tourner, nous la sentons bien qui tend à s'échapper ainsi. Au fond, le mathématicien impose ici, sans doute, ses conceptions au physicien. En géométrie, on étudie d'abord les lignes droites, et les figures limitées par des lignes droites ; puis on transporte aux lignes courbes, et aux figures limitées par des courbes, les propriétés ainsi étudiées d'abord.

Quant à la troisième loi, elle vise la rencontre ou le choc de deux corps : celui qui se meut, perd de son mouvement, juste autant qu'il en donne à l'autre; ou s'il n'en perd rien, sa direction au moins, qui est la détermination de son mouve- ment, chanoe. Loi contestée d'ailleurs, et abandonnée dès le xvii' siècle après les travaux de Huygens ^. On sait la place que la réflexion et la réfraction, mouvements particuliers de la lumière, tenaient dans l'œuvre de Descartes ; sans doute son esprit en a été influencé, et il aura imaginé cette troi- sième loi en vue des commodités qu'elle lui donnait pour ses explications.

Les sept règles qui suivent '^j se rapportent à cette troisième loi. Aucune d'elles ne se trouvait dans le traité du Monde". Mais, en 1644, la première édition des Principes les énonce, assez brièvement d'ailleurs, et presque sans commentaire. Descartes dut les reprendre et les remanier. Clerselier lui- même, en effet (et il n'était pas le seul), ne les comprenait pas bien. Le 17 février 1645, Descartes promit de les expliquer; un

a. Tome IX 2' partie, p. %6, note c de Paul Tannery.

b. Tome VII I, p. 67-70, et i. IX 1^ partiel, p. S0-9? : art. xliv à lui.

c. Voir ci-avant, p. i5o. Tumc XI, p. 47. 1. 4.

�� � 3/6 Vie de Descartes.

an après, le 20 avril 1646, il ne l'avait pas fait encore^; les expli- cations ne parurent que dans la traduction française de 1647. Plusieurs y trouvèrent toujours à redire : le P. Fabri, entre autres, jugeait ces règles fausses, et aussi un de ses disciples, Pierre Mosnier, docteur en médecine. Un religieux du même ordre que Mersenne, le minime Thibaut, écrit aussi que ces règles du choc des corps ne répondaient pas à la réalité : il en avait fait l'expérience en jouant au billard ou bien au jeu des grandes dames sur les tables du réfectoire, disait-il, avec les moines de son couvent . Mais Descartes lui-même était-il satisfait de ses propres explications ? Plus tard, dans une lettre à Chanut, il donne le conseil à la reine Christine de Suède, si elle veut lire sa philosophie, de passer précisément ces sept règles; et il indique l'endroit, dans la seconde partie, depuis l'article 46-. Sans doute il voulait épargner à une princesse régnante, qui avait autre chose à faire, une peine superflue. Mais nous avons encore un autre renseignement de même ordre. Schooten racontera plus tard à Christian Huygens le jeune, que Descartes hésitait d'abord à insérer dans son livre les règles du mouvement : donc il ne les jugeait pas nécessaires à l'intelligence de sa physique. Un des premiers admirateurs du philosophe en Hollande, Jean de Raey, reconnaissait, en effet, que, sauf une, elles ne pouvaient servir à rien; et Huy- gens sera tout à fait de cet avis'^.

a. Tome IV, p. 187, 1. 12-17, ^^ P- ^9^' 1- 5-i5.

b. Tome V, p. 70 : lettre du i" .avril 1647. ^o'"" aussi t. IV, p. 144 : lettre du P. Jean François à Mersenne, 28 sept. 1647.

c. Tome V, p. 291, 1. 22-27 • lettre du 26 févr. 1649. « Elles ne font » pas neceffaires (ces règles) pour l'intelligence du refte. »

d. Schooten à Christian Huygens, 23 déc. 1654 : « Quod autem plura B de motu malè à Cartefio atîerri cenfes, eaque refutare ftudeas, vellem » meliorem fanioremque de ipfius ingenij perfpicacitate opinionem » habeas, aliterque judices, ne ingratus erga tantum Virum tamque prae- » clarè merentem videaris. Ipfum enim Domino Heidano dixiffe fcio, fe » demonftrationem fuarum de motu regularum ex Algebras penetralibus ') petijll'e, diuque deliberaOe, utrùm illas Principijs fuis interfereret, an 1) verô eafdem praetermitteret. Cum quo refpondet etiam Domini de Raeij

�� � Principes de la Philosophie. )']']

Mais (et c'est là sans doute ce qui est à noter), Descartes s'acheminait ainsi à une discussion qui remplit toute la fin de cette seconde partie (articles 54 à 63), sur les corps durs et sur les corps liquides ou fluides \ Il ne s'agissait pas seulement de critiquer deux « qualités réelles », au sens scolastique du mot, la dureté et la liquidité ou fluidité : il s'agit du mouvement d'un corps dur dans un autre corps liquide ou fluide, ou bien avec cet autre corps ; disons-le franchement, il s'agit du mou- vement de la Terre avec la matière qui l'environne. Descartes préparait le lecteur à accepter son système, qui ne sera pas celui de Copernic ni celui de Tycho. Un des derniers articles, qui conclut toute la discussion, est singulièrement révélateur : « lorsqu'un corps dur, dit notre philosophe, est emporté de la » façon que je viens de dire par un corps fluide, on ne peut pas » dire proprement qu'il se meut ». Et il rappelle textuelle- ment, dans ce même article, la définition du mouvement qu'il a donnée plus haut. La Terre, sans doute, n'est point nommée en cet endroit, ni le Soleil, ni les Planètes, ni les Étoiles ; mais c'est bien à la Terre qu'il pense, et à son mouvement autour du Soleil, qu'il voudrait rendre acceptable, en montrant qu'elle se meut à la fois et pourtant ne se meut pas. a Elle est empor- » tée par le cours du ciel (le petit ciel dont elle est le centre),

» fententia, dicentis, parum nos, quantum ad earum veritatem aut » fahîtatem, referre; feque non nili unam rem in totâ ipfius Phyficâ » invenilTe, ad quam una folummodô diiSarum regularum utcunque )> videatur referenda. Cuius rei caufa vei hœc elte poteli, ut motus, ad » quos ha: regulœ funt adhibendœ, ita abftra£lae {legè abftradi) exiftant, » ut nunquam talcs in rerum naturâ reperiantur. » {Corresp. de Chris-; tiaan Huygens, t. I, 1888, p. 3i2-3i3.)

Huygens répond, 27 déc. 1654 : « Quôd ex Algebrâ petitas régulas fuas » Cartefius ipfe profeffus eft, fane non ignoras folam in his Aigebram B nihil determinare poffe, fed principia ante ex motùs penetralibus accer- » fenda, quorum equidem plurima rectè à Cartefio conftituta fateor, » neque tamen omnia. Eafdem régulas ad reliquam ejus Philofophiam » haud magnopere pertinere neque multum referre ut pro veris habeantur, » meritô exiftimare videtur Dominus de Raeij. » [Ibid., t. I, p. Si/.)

a. Tome VIII, p. 70-78, ou t. IX (2« partie), p. 94-101.

b. Art. Lxii. Tome VIII, p. 77-78, ou t. IX (2« partie), p. 100.

Vie de Dcscartes. 4^

�� � }jS Vie de Descartes.

» et suit son mouvement sans pourtant se mouvoir •' » ; de même qu'un vaisseau, ajoute-t-il, que ni les vents ni les rames ne poussent, peut demeurer, par un calme plat, immobile au milieu de la mer, bien que celle-ci l'emporte dans son mouvement, — Descartes précise et corrige dans la traduction : par son mou- vement de flux et de reflux, dit-il, ne voulant pas qu'on pense à un autre mouvement, celui de toute la masse terrestre. Il s'explique par une comparaison plus familière encore, ajoutée sans doute à Calais, pendant un séjour forcé en attendant le bateau de Hollande : on peut passer de Calais à Douvres, Sans faire un mouvement ; il suffit qu'on soit couché et qu'on dorme dans le bateau, qui se meut et vous emporte avec soi. Ces comparaisons se trouvent dans la troisième partie des Prin- cipes, où Descartes exposera son système de la Terre et du Soleil; mais dès la seconde partie, il donne à plusieurs reprises des exemples semblables de mouvement relatif: le pilote, assis à la poupe d'un vaisseau, ne bouge point par rapport au vaisseau lui-même ; il n'est en mouvement que par rapport au rivage devant lequel passe le vaisseau emporté par les flots. Et la montre dans la poche du capitaine qui marche sur le pont de ce vaisseau, que de mouvements n'y distingue- 1- on pas ? mou- vement des petites roues, tant qu'elle n'est pas arrêtée, mouvement de son possesseur qui la porte sur soi, mouvement du navire, et de la mer, et de la terre elle-même'^,. . . est-ce tout ? Descartes va jusqu'à dire qu' « on ne saurait rencontrer » en tout l'univers aucun point qui soit véritablement immo- » bile*' ». On verra que cela est probable, avait- il dit en 1644 ; il corrige dans la traduction de 1647 : « cela peut être démontré ».

a. Pars Ilh, art. xxvi. Tome VIII, p. 89-90, ou t. IX (2" partie), p. 1 13.

b. Tome VIII, p. 91-92, ou t. IX (2« partie), p. ii3 : art. xxix. Voir t. IV, p. 147 : lettre du 8 nov. 1644.

c. Pars //% art. xxiv. Tome VIII, p. 33, ou t. IX (2» partie), p. 76.

d. Tome VIII, p. 67, ou t. IX (2» partie), p. 80 : art. xxxi.

e. Fin de l'art, xiii. Tome VIII, p. 47, 1. 24-28 ; ou t. IX {2= partie), p. 70.

�� � A ceux qui ne voulaient point du mouvement de la terre, il s’efforcera de prouver qu’elle ne se meut point, au sens où l’on entend l’expression « se mouvoir », Mais, d’autre part, comment serait-elle immobile, lorsque rien en ce monde ne l’est absolument ? Par de telles considérations il pense habituer peu à peu les esprits à admettre un système, qui, ainsi présenté, peut faire illusion, et ôter tout scrupule aux théologiens.

La troisième partie des Principes est intitulée « Du Monde visible » ; elle traite, en réalité, de ce qui se voit dans le Ciel. Descartes commence par une brève description ou, comme il dit, une « histoire » des phénomènes, c’est-à-dire des apparences célestes ; il résume à ce sujet les observations des astronomes, et y joint leurs hypothèses pour rendre compte des mouvements des planètes[360]. Puis il explique, au moyen de suppositions qui lui sont propres, la formation du Monde, c’est-à-dire en particulier du Soleil et des Étoiles fixes, des Comètes et des Planètes.

Les apparences célestes n’ont rien d’absolu. Nous en jugeons comme habitants de la Terre, en considérant de là le Soleil et les Étoiles, et tout le Firmament. Mais que l’observateur se transporte par la pensée dans la Planète la plus lointaine, Jupiter ou même Saturne[361] : quelles apparences auront alors à ses yeux le Soleil, et la Terre, et l’ensemble des Cieux ? Le Soleil ne sera plus qu’une Étoile fixe ; et la Terre, à peine visible, une petite Planète. La Terre et le Soleil ont été jusqu’ici comme les deux personnages principaux, et qui accaparaient toute l’attention, les deux protagonistes dans cette grande épopée de la création du monde. Descartes les fait, si l’on ose dire, rentrer dans le rang : le Soleil n’est plus qu’une unité dans l’armée innombrable des Étoiles, et de j8o

��Vie de Descartes.

��même la Terre dans la petite troupe des Planètes ^ : semblable aux cinq autres, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, elle tourne également autour du Soleil. Car non seulement le Soleil et la Terre se trouvent déchus de leur apparente gran- deur, mais leurs rapports réciproques sont changés du tout au tout, et leurs rôles pour ainsi dire renversés : la Terre venait la première en dignité, et le Soleil n'existait que pour l'éclai- rer et la réchauffer ; elle se réchauffe encore et s'éclaire aux rayons de cet astre, mais c'est lui qui se trouve au centre du cercle qu'elle décrit et des autres cercles encore que décrivent les autres Planètes en tournant comme la Terre autour du Soleil. Descartes n'examine même pas l'hypothèse contraire de Ptolémée : elle est, dit-il, maintenant rejetée (c'est le mot du texte latin, la traduction adoucit un peu), « improuvée, dit-

a. Daniel Huet, plus tard, rapprochera Descartes et Jordano Bruno : « quem Cartefianae doftrinae antefignanum jure dicas; ...nam & Univerfi » infinitatem & Mundorum innumerabilitatem tuetur, & duo elTe vult » Aftrorum gênera, Soles & Tellures, hoc eft Stellas fixas & Planetas..-. » Qui iegerit hune librum [De immenjo & innumerabilibus), feret operae » pretium, & quàm pulchre ei cum Cartefio conveniat, cognofcet. » [Cenfura Philofophiœ Carte/tance, p. 21 5, Paris, 1689.)

La doctrine de Descartes avait déjà scandalisé un religieux comme le Frère Gabriel Thibaut ; et Mersenne lui-même, Thibaut le lui rappelle, semblait l'avoir réfutée d'avance. (Tome V, p. 69-70.) Voir ci-avant, p. iSg, note b. Mais plus tard Mersenne s'y rallia. En définitive, avec cette théorie de l'infinité de l'Univers, non seulement la Terre n'était plus le centre du monde, mais le Soleil ne l'était pas davantage. En réalité il n'y avait plus de centre absolument, et il n'y avait plus de sphère. Ou du moins le Monde devenait « cette sphère infinie dont le centre est partout, » la circonférence nulle part». [Pensées de Pascal, édit. Brunschvicg, t. I, 1904, p. 74.) Jordano Bruno l'avait dit déjà avant Pascal, ou plutôt redit, car la formule remonte à la plus haute antiquité. Que cette conception fût dangereuse pour la théologie, telle que la scolastique l'avait faite, on ne manqua pas de s'en apercevoir. Mersenne écrivait à Jean Rey, le I" sept. i63i : « Jordan Brun, qui combat avec plufieurs pour l'infinité » du monde, vous rauit le centre, qui n'eft point dans l'infini... » Réponse de Rey, i<= janv. i632 : « Pour Jordan Brun, qui combat pour » l'infinité du monde, & par confequent lui ravit le centre, qui n'eft pas » dans l'infini : ie refponds comme à Copernic, & confefle ne recognoiftre » autre infini que Dieu, bénit éternellement; fi n'eft qu'il m'efchapaft de

�� � Principes de la Philosophie. 381

» elle, de tous les philosophes ° » ; seuls les théologiens, par une obstination déraisonnable, y restent encore fidèles. Des- cartes fait même grâce au lecteur des multiples observations qui la condamnent : il n'en rapporte qu'une, la plus visible de toutes et la plus frappante, les phases de Vénus, récemment découvertes au moyen du télescope ; ce sont elles aussi qu'avait alléguées, dans un livre d'astronomie, un auteur anonyme, que Descartes connaissait, Ismaël Boulliaud. Notre philosophe n'examine pas davantage l'hypothèse si singulière de Tycho-Brahé : toutes les Planètes tournent autour du Soleil, toutes sauf une, la Terre, qui reste immobile, et autour de laquelle le Soleil tourne avec son cortège des autres Pla- nètes. Tycho n'a pas connu, dit Descartes, la vraie nature du

» dire l'erreur de ceux-là eftre infinie, qui difent le monde eftre infini. » Et Mersenne répliquait à Rey,le i" avril i632 : « Quant à Jordan, encore » qu'il fe férue de mauuais fondemens, neantmoins il eft affés probable » que le monde eft infini, s'il le peut eftre. Car pourquoy voulés-vous » qu'vne caufe infinie n'ait pas vn effet infini? J'ay autresfois eu d'autres >• demonftrations contre ceci, mais la folution en eftaifée... » {Effays de lean Rey, 2« édi»., 1777, p. 108-109, P- '22 et p. 142.)

Jordano Bruno avait été brûle vif à Rome, au Campo di Fiore, le 17 février 1600. Une lettre, datée Je ce jour, fut écrite par Gaspard Schopp à son ami Ritterhausen pour le lui annoncer, lettre publiée seu- lement en 1621 dans un livre anonyme, imprimé h Saragosse (en réalité, en Allemagne) : Macchiavellifatio qua unitorum animas dijfociare niten- tibus refpondetur . Le P. Mersenne lui-même semble n'avoir appris le supplice de P.runo que tardivement et par cette voie : en 1623, dans ses Qucejliones in Genefim, il cite Vanini, brûlé à Toulouse, et un autre héré- tique, Fontainier, brûlé à Paris; il ne cite Bruno que l'année suivante, dans son livre sur l'Impiété des Deijies, en 1624. Cependant Kepler en avait été informé beaucoup plus tôt, par un conseiller de l'empereur Rodolphe, Wackhcr. Le 3o novembre 1607, dans une lettre à Brengger, doyen de la Faculté de Médecine de Kaufbeuren, il lui parle de Bruno : « Infelix ille Brunus, pruinis toftus Romx. » Et Brengger, qui ne savait pas, s'informe, le 7 mars 1608 : « Jordanum Brunum pruinis toftum » fcribis, quod intelligo illum crematum elfe; quafo an certum hoc (it ; » & quando aut quare ci id acciderit, fac ut fciam. » (Joannis Kepleri Opéra Omnia, 1859-1873, t. II, p. 591, 592.) On ne parlera de Bruno que plus tard; |)uur le moment, on parlait surtout de Vanini.

a. Art. XVI. Tome VIII, p. 85, 1. 14-18 ; ou t. IX {2» partie), p. 108-109.

�� � mouvement[362] : faute de cette connaissance, il ne s’est pas douté, qu’il attribuait à la Terre encore plus de mouvement que ne faisait Copernic, qu’il prétendait cependant corriger. Nous avons indiqué déjà l’hypothèse de notre philosophe : la Terre n’est pas isolée ; une matière fluide dont elle est le centre, l’environne comme un tourbillon, et c’est ce tourbillon qui se meut lui-même autour du Soleil, tandis que la Terre demeure immobile au centre. Entendez par là qu’elle ne quitte point le voisinage des corps qui la touchent immédiatement, pour se transporter dans le voisinage d’autres corps semblables ; car c’est en cela, nous l’avons vu, que consiste tout le mouvement. Certes, la Terre ne se meut pas, si l’on veut, par rapport aux corps tout proches dont le tourbillon est composé, pas plus que par rapport aux corps infiniment éloignés, comme les Étoiles fixes, auprès desquelles non seulement elle-même, mais le cercle qu’elle décrit, n’est qu’un point[363] : cependant son tourbillon se meut, et l’emporte avec elle ; et alors, ne la fait-il pas ainsi changer de position dans l’espace par rapport au Soleil ? C’est bien là, ce semble, la question à laquelle, en définitive. Descartes n’échappe pas. Peu importait d’ailleurs : il pouvait soutenir que, le mouvement étant tel qu’il l’a défini, on ne saurait dire que la Terre se meut. Si les théologiens ne sont pas satisfaits, qu’ils proposent une autre définition : qu’ils disent, s’ils le peuvent, qu’est-ce donc en réalité que le mouvement ?

Après cette hypothèse astronomique, qui ne se rapporte qu’au système particulier du Soleil et des Planètes, Descartes expose son hypothèse physique, qui doit expliquer tout l’Univers[364]. Mais que les théologiens ne prennent point l’alarme : cette hypothèse est fausse. Notre philosophe le déclare bien haut, et ce semble, avec un peu trop d’insistance. Car enfin, que veut-il dire par là ? Une chose bien simple au fond. A l’origine, Dieu a créé la matière et le mouvement ; comment était cette matière, et quels étaient ces mouvements, on n’en sait rien, et il est même impossible de le savoir. Mais, entre ce point de départ, qui se perd à l’origine des temps, et l’état actuel, qui est comme un point d’arrivée, matière et mouvement ont dû passer successivement par une infinité d’états intermédiaires, et c’est un de ces états auquel Descartes s’arrête : celui, n’importe lequel, dont il pourra commodément déduire l’état actuel des choses. Il aurait pu en choisir un autre ; il sait bien que cet état n’est pas l’état primitif, et que beaucoup l’ont précédé ; et c’est en cela, mais en cela seulement, que son hypothèse est fausse. Toutefois ne soyons point dupes des mots : elle est vraie en ce sens que c’est bien un des états par lesquels matière et mouvement ont nécessairement passé, et dans lequel ils se sont donc trouvés réellement ; en ce sens aussi surtout, que, déduites de là, les choses s’expliquent à merveille pour notre esprit. Avec son hypothèse physique. Descartes, une fois de plus, procède en mathématicien. Entre tant de possibilités, dont la succession est nécessaire, on peut toujours en choisir une, arbitrairement, et commencer par elle la chaîne des déductions. C’est ce que fait Descartes : ses principes se trouvent trop simples ; ils sont trop éloignés par là même de la complexité des choses : comment rejoindre celles-ci ? Notre philosophe ne remonte pas à leur lointaine origine ; il se transporte par la pensée à un effet plus rapproché de nous, à un état de la matière lorsqu’elle a déjà pris forme et figure. Peu importe que ce soit celui-ci ou celui-là : l’essentiel est qu’ensuite la déduction réussisse et rejoigne enfin la réalité.

Après avoir ainsi marqué le caractère de cette hypothèse, nous ne l’examinerons point en détail. Descartes suppose que la matière subtile a formé de petites boules, extrêmement agitées, )84 Vie de Descartes.

entre lesquelles circule une matière plus agitée et plus subtile encore, et qu'il y a çà et là comme des noyaux ou des centres autour desquels se meuvent des tourbillons. Ce mot dont il s'est déjà servi, à titre de comparaison , est introduit ici définitivement dans la physique de notre philosophe ; il y prend place comme l'expression de la réalité. Descartes avait omis d'en avertir le lecteur dans la première édition des Principes en «644; cette omission est réparée dans la tra- duction française, en 1647^. Dans cette traduction encore, il indique à la fin, ce qu'il n'avait pas fait en 1644, l'endroit essentiel où se trouve son hypothèse, article 46 de la troisième partie ^. Seuls quelques lecteurs avisés s'en étaient aperçus, sans avoir besoin d'indication : Le Conte, dans ses objections de 1645, et plus tard, en 1648, le jeune Burman ^ Descartes insiste d'ailleurs : le fond de son hypothèse elle-même, dit-il, « peut être réduit à cela seul que les deux (et il entend par là » tous les espaces célestes) sont fluides^ ».

Parmi les philosophes, les uns croyaient ces espaces vides, ce qui est absurde selon Descartes : le vide absolu serait le néant ; ce qui a des dimensions comme l'espace est une réalité. Les autres les déclaraient pleins, sans dire de quoi, le plein étant peut-être à lui seul une qualité réelle ; de plus ils y distinguaient des sphères solides, auxquelles étaient attachées les Etoiles. Descartes brise ces sphères, et les pulvérise ; il

a. Tome VIII, p. loi, 1. 23-24, ^^ t. IX (2» partie), p. i25 : fin de l'art. xLvi.

b. Tome IX (2^ partie), p. 324-325. c.'Tome IV, p. 456, et t. V, p. 170.

d. Tome IX (2= partie), p. 325. Voir aussi, p. 112, et t. VIII, p. 89 : art. XXIV. La traduction française dit : Que les deux font liquides, et dans le texte ne reprend que le même mot liquide. Le texte latin porte : Cœlos ejfe fluidos,.. . cœli materiam fluidam ejfe five liquidam. Et déjà, t. II, p. 225, 1. 27-28 : lettre du i3 juillet i638. — Le texte latin de l'art, xxiv, Pars ///^, disait que, si les cieux n'étaient fluides, on ne pourrait expliquer les phénomènes des Planètes, phœnomena Planetarum. La traduction française dit plus généralement « les phainomènes », c'est- à-dire toutes les apparences célestes.

�� � Principes de la Philosophie. jS^

remplit tout l'espace de matière, et de matière fluide, confor- mément, dit-il, à l'opinion des nouveaux astronomes. C'est donc à la faveur de l'astronomie, que cette idée recevait droit d'entrée dans la physique ou la philosophie naturelle. Les astronomes ne savaient comment expliquer sans cela les phé- nomènes des Planètes, ni surtout ces distances qui défient toute imagination et que le calcul leur faisait découvrir main- tenant dans les Cieux. Mais de quelles précautions ne s'en- touraient-ils pas? L'un d'eux, Jésuite il est vrai, mais avant la condamnation de Galilée, le P. Scheiner, dans sa Rosa Ursina, en i63o, adopte l'opinion des Cieux liquides ou fluides ; toute- fois il commence par s'assurer que rien ne s'y oppose dans la Sainte Ecriture ; puis il allègue les expériences favorables à cette thèse, et il termine en établissant, à grand renfort de textes, que parmi les philosophes anciens eux-mêmes beaucoup n'y étaient point hostiles*. Ainsi des textes, tout d'abord, philosophiques et théologiques, sont invoqués; grâce à cette double autorité, et comme dans l'entre-deux, se glisse et réussit à se faire admettre l'expérience, qui est pourtant maîtresse de la vérité scientifique. Descartes n'a tout de même point de ces précautions excessives : c'est comme philosophe simple- ment, et au nom de la raison, c'est-à-dire des idées claires et distinctes, qu'il propose son hypothèse, et sans se mettre en peine, cette fois, d'aucune objection théologique.

Nous ne pouvons le suivre pas à pas dans toutes ses déduc- tions. Contentons-nous d'indiquer les grandes questions qu'il

a. On lit au commencement de la Roja Vrfina, sous ce titre, Totius operis notatu digniora :

« Cœlum, Sol, & Stella; ex naturâ fuâ corruptibiles elie, ex mente » Ecclefiat & fandorum Patrum coniicitur. Pag. 660. »

« Cœlum liquidum ex facrà Scripturâ & fantî^is Pairibus. Pa}?. 699. « 

a Cœlum aut liquidum aut igneum multi Ncoierici Thcologi, Philo- » fophi, & Phyfiologi défendant. Pag. 731. »

« Cœlum liquidum antiqui philofophi tenebant. Pag. 747. »

« Cœlum liquidum elfe tam antiqui quàm recentiores Aftronomi » volucrunt. Pag. 755. »

« Obiecliones pro cœlo duro diiuuntur. Pag. 771. »

Vie de Descartes. 4g

�� � 386

��Vie de Descartes.

��traite, et d'abord celle du Soleil et de sa formation en suite de l'hypothèse proposée; puis, à propos du Soleil, la question de la Lumière , principal objet du traité du Monde, dont c'était même le titre particulier. On observait beaucoup le Soleil depuis 1610 et 1612; la nouvelle invention des lunettes d'ap- proche avait permis d'y découvrir des taches, au grand scandale des péripatéticiens : rien, suivant eux, ne devait ternir l'éclat de cet a œil du monde ». Galilée avait le premier observé ces taches à Rome, et presque en même temps le Jésuite Scheiner à Ingolstadt; puis, en France Jean Tarde, théologal de Sarlat, qui, refusant d'y voir des taches, imagina que c'étaient de petites Planètes ou des satellites autour du Soleil, comme ceux qu'on venait aussi de découvrir autour de Jupiter, et comme la Lune autour de la Terre . Enfin des

a. Tome VIII, p. 108-1 16, ou t. IX (2« partie), p. i3o-i36 : art. lv à Lxiv inclus.

b. Nous avons vu, p. 191-192 ci-avant, que Descartes n'a probable- ment pas connu l'ouvrage de Tarde, Borbonia Sidéra {1620), ni la tra- duction française qu'en donna l'auteur lui-même, Les AJlres de Borbon & Apologie du Soleil (/62J), « Monftrani & vérifiant que les apparences » qui fe voyent dans la face du Soleil font des Planettes, & non des » taches, comme quelques Italiens & Allemans, obferuateurs d'icelles, luy » ont impofé. » Citons, à titre de curiosité, ces deux passages de Tarde :

Pages lo-ii : « Galileus Galilei, grand Philofophe, & Mathématicien » du Grand Duc de Tofcane, en trois Epiftres qu'il efcrit à Marcus Vel- » férus Magirtrat en la ville d'Aufbourg, tient que ce font des nuées & » fumées qui font engendrées en la furfacc du Soleil, & là mefme font » refoutes & anéanties. . . De cela il conclud, contre Ariftote, que le ciel » eft fubied à corruption. Les Péripatéticiens, voyans que par ce moyen » on fait iniure au ciel, & que la philofophie d'Ariftote, quoy qu'inno- » cente & exempte de coulpe, eiloit outrageufement offenfée, ont nié ces » apparences, & ont dit que c'ertoient efbloùifl'emens de la veue, & illu- » fions, ou déceptions prouenant des verres. Quant à moy, ne doutant » en rien des apparences, ie fuis appelant de la fentence de Galileus » deuant luy-mefme... » Voir le même passage en latin, p. 9-10, texte de j62o.

Page i3 : « 11 y en a auflt qui penfent que ce lont des taches fixes, & « inhérentes au Soleil, comme font celles de la Lune ; mais c'eft vne » erreur plus grande que les autres, & qui s'approche de l'impiété. Car » pourroit-on imaginer vnp opinion plus erronée, que celle qui impofe

�� � Principes de la Philosophie. 387

observations semblables avaient été faites à Arras par un autre Jésuite, Malapert. Descartes avait eu entre les mains le gros ouvrage publié à ce sujet sous le titre de Rosa Ursina par le P. Scheiner en 1 63o *. Il y avait lu avec intérêt, non seulement ce qui se rapporte aux taches du Soleil, mais bien d'autres obser- vations, qui lui semblaient confirmer le mouvement de la Terre, en dépit de l'hostilité personnelle de l'auteur contre Galilée. Il ne l'oublia pas, une dizaine d'années plus tard, et Scheiner est même un des rares noms qu'il cite dans son ouvrage : peut-être espérait-il par là se mettre à couvert vis à vis de Rome? La question des taches du Soleil le retient donC"^, et il s'efforce d'expliquer comment elles se forment, puis se main- tiennent quelque temps à la surface, puis disparaissent quel- quefois, absorbées dans la masse : semblables, dit-il, à cette écume qui sort ordinairement des liqueurs qu'on fait bouillir sur le feu ^.

Parfois aussi ces taches s'accumulent autour d'un astre, se rejoignent, et forment une croûte épaisse sous laquelle la masse liquide disparaît complètement. C'est ainsi que des Etoiles fixes, de même nature à l'origine que le Soleil, deviennent opaques, cessent d'être le centre d'un tourbillon, quittent même leur tourbillon propre, pour passer dans le tourbillon voisin, puis dans un autre encore : et ce sont les Comètes^.

» de l'ordure à l'œil du monde ? lequel Dieu a eftably pour eftre le flam- » beau de l'Vniuers, & le difpenfateur de la lumière ; lequel Dieu tres- » bon & très-grand a efleu pour eftre fon Louure, & comme l'habitation » de fa Royale Maiefté : In Sole pofuit tabernaculum fuum. C'eft impieté » de fouiller, corrompre & honnir ainfi le lieu que Dieu a efleu pour » fon domicile. Neantmoins ils infiftent... » Voir aussi p. lo du texte latin, 1620.

a. Tome I, p. 282, 1. 1-8 : lettre de févr. 1634. Voir aussi p. 282-283, p. 1 1 2-1 1 3 et 114- II 5, p. 248-249.

b. Tome VIII, p. gS, 1. 1-4 ; ou t. IX (2'= partie), p. 118.

c. Art. xciv à cxvm inclus. Tome VIII, p. 147-168; ou t. IX (2« partie), p. 156-172.

d. Tome VIII, p. 148, 1. 2-8 ; ou i. IX (2* partie), p. iS;.

e. Art. cxix à cxxxviii. Tome VIII, p. 168-191 ; ou t. IX [2' partie), p. 173-190.

�� � j88 Vie de Descartes.

Notre philosophe utilise ainsi, à sa façon, pour les expliquer, la récente découverte des taches solaires. Il n'y pensait point encore dans son traité du Monde, et c'est une innovation des Principes. Mais déjà, en i63i et i632, il s'était étendu avec complaisance sur les Comètes, étudiant leur formation, et leur trajet dans le Ciel, et leur chevelure et leur queue. Il s'était enquis, auprès de Mersenne, d'un livre qui lui fournirait des renseignements^. Un tel livre existait, en effet, œuvre du P, Grassi, Jésuite et adversaire de Galilée. Serait-ce pour cette double raison que Descartes le cite encore dans ses Principes, comme il avait fait déjà pour le P. Scheiner ? Non pas qu'il fût lui-même ennemi de Galilée ; toujours est-il qu'il ne le nomme pas, sans doute par prudence, et qu'il nomme au contraire, peut-être par habileté, deux Jésuites qui l'ont combattu. Il corrige d'ailleurs, au moins sur un point, le P. Grassi qui avait emprunté à deux auteurs deux descriptions de la Comète de 1475, sans s'apercevoir que c'était la même : Descartes le reconnut sans peine, et fut bien aise que l'année suivante une description plus complète qu'il reçut de cette Comète, vînt confirmer ce qu'il avait écrit. Mais l'essentiel peut-être, dans la théorie de Descartes sur les Comètes, est l'étendue de l'espace qu'il livre a à leurs grandes excursions de tous côtés dans les » Cieux ». Il se montre, en cela, beaucoup plus hardi que Tycho lui-même. Celui-ci s'était contenté de démontrer que ce ne pouvait être des phénomènes sublunaires, c'est-à-dire qui se produisent entre la lune et nous ; mais il ne les plaçait pas plus loin que la sphère de Vénus ou de Mercure. Il n'a pas osé, dit Descartes, leur attribuer toute la hauteur qu'il découvrait par ses calculs. Car il pouvait aussi bien, et notre philosophe n'hésite pas à le faire, aller jusqu'à Saturne, la plus haute des PlanèteSj et même bien au delà dans la vaste étendue qui

a. Tome I, p. 25 s, 1. 2-1 1 : lettre du 10 mai i632. Voir aussi p. 283.

b. Tome IV, p. 1 5o-i 5i : lettre du 5 janv. 1645. Tome VIII, p. 178-179 et p. 186, 1. 4-7 ; ou t. IX {2«partie), p. 179-180 et p. i85-i86.

�� � Principes de la Philosophie. ^89

règne entre Saturne et les Etoiles fixes : nouvelle raison d'ad- mettre la fluidité des Cieux*.

Il utilise de même, pour l'explication des PI .nètes, les décou- vertes faites depuis une trentaine d'années à l'aide des lunettes d'approche : non plus seulement, comme nous avons vu, les phases de Vénus et les taches du Soleil, mais l'observation de Mercure sous le Soleil, et surtout les quatre satellites de Jupi- ter et lesdeux (qu'on croyaitêtreaussi des satellites) de Saturne. Il paraît même avoir eu un moment d'embarras au sujet de Jupiter. Justement lorsqu'il était en train de décrire les Planètes, un de ses amis de Hollande, Colvius, lui apprit que le Capucin Antoine de Rheita venait de découvrir cinq nouveaux satellites, lesquels ajoutés aux quatre que l'on connaissait déjà, en auraient fait neuf autour de Jupiter "=. Gassend soutint presque aussitôt, dans un écrit public, que Rheita s'était trompé. Mais Descartes n'osa pas, en 1644, donner le nombre des petites planètes de Jupiter ; prudemment il le passe sous silence ; et ce

a. Tome VIII, p. 86 et p. 98; ou t. IX (2» partie), p. iio et p. 121-122: art. XX et xli. Cette théorie de Descartes est signalée justement par Lipstorp, dans son Copernicus redivivus :

«... Cometas non verfari in fupremâ aéris regione, ut nitnis rudis » antiquïtas opinabatur, neque juxta Tychonem, Peireskium, Keplcrum, » Schickardum, Gaffendum, & alios Aftronomiae cultores, qui diligenter » corum parallaxes inveftigarunt, non tantùm fupra Lunam effe, fed » vajlijjfimum ijlud fpatium inter fphœram Saturni & fixas requirere, ad » omnes fuas excurjiones abfolvendas (tant varias profeélô, & immanes, • ut abj'que eo ad nulles Naturce leges revocari pojjint), adeoque à fuperis » cœli tentoriis ad média ire, & retrocedere, folidiflimè, & Geometricis, » Opticis, & Mechanicis fundamentis, incomparabili aufu demonftravit B Nobiliff. Cartefius in fine 3 partis Princip. Philof. »

« Orbes reaies, Primum Mobile omnes alias inferiores fphaeras vio- » lenter fecum circumraptans, Intelligentias motrices, fplendidiffima anti- » quorum nugamenta elTe. omnium ingenuorum Philofophorum concor- » dantibus confiât fuffragiis. Summa fummarum, Aftronomia hodierna » infinitis parafangis veterem poft fe relinquit. » (Lipstorpii Copernicus redivivus, i653, p. 5.)

b. Tome VIII, p. 191-202 ; ou t. IX (2* partie), p. 190-200 : an. cxxxix à cLvi.

c. Tome III, p. 646 : lettre du 23 avril 1643.

�� � J90 Vie de Desgartes.

n'est que dans la traduction française, trois ans après, lors- qu'on eut bien reconnu l'erreur du Capucin, qu'il rétablit le chiffre primitif de quatre ^. Ainsi notre philosophe se tenait toujours comme à l'affût des nouveautés, et ne manquait pas de les faire aussitôt servir à ses démonstrations.

C'est amsi que le système du Monde, c'est-à-dire le Soleil avec les Planètes, comprend, tout compte fait, quatorze tour- billons : celui du Soleil lui-même, le plus grand de tous, et dans lequel les autres sont contenus ; ceux des cinq planètes, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, ou plutôt des six, en comptant aussi la Terre ; ajoutons les tourbillons particu- liers, celui de la Lune, ceux des quatre satellites de Jupiter, et des deux enfin de Saturne. Et Descartes explique comment toutes les grandes Planètes se meuvent autour du Soleil, d'autant plus vite qu'elles en sont plus éloignées : ainsi, ajoute la traduction française, « en une roue, lorsqu'elle tourne, les » parties proches de son centre vont beaucoup moins vite que » celles qui sont en sa circonférence». Notre philosophe excelle à trouver de ces exemples familiers ; et toujours aussi revient cette conclusion, dont il ne se lasse point, que dans les phénomènes célestes, expliqués de la sorte, il n'y a vraiment point lieu, comme s'imagine le vulgaire et avec lui le commun des philosophes, de s'étonner tant ni de tant admirer^.

La quatrième partie des Principes traite enfin de la Terre. Celle-ci devait être, à l'origine, un Soleil ou une Etoile fixe, et

a. Tome VIII, p. 200, 1. 14, art. cliv : « . . .qui funt juxta Jovem ». Et t. IX (2' partie), p. 198 : « ...les quatre qui font autour de Jupiter. » — Pourtant, on a découvert récemment, le 27 janvier 1908, à l'Observa- toire de Greenwich, un huitième satellite de Jupiter.

b. Art. cxLviii. Tome IX (2* partie), p. 196. Voir t. VIII, p. 197.

c. Tome VIII, p. 196, 1. 7-8 [nec mirabimur) ; I. i5 {nec iterum mira- bimur); p. 198, 1. i5 {nec mirabimur) ; 1. 24 [nec etiam mirabimur) ; p. 199, 1. 10 [neque magis mirabimur) ; p. 200, 1. 12 {neque mirabimur) ; p. 201, 1. 7 {prœterea non mirabimur) \^. 202, 1. i3 {denique non mira- bimur). Et encore p. 216, 1. 19-20 : « quas malè philofophantibus mira » videntur, perfacile ait explicare ».

�� � Principes de la Philosophie. ^91

le noyau central, ou la première région, en a conservé la nature"; puis une croûte s'est formée par-dessus, comme pour les Comètes, croûte persistante, qui constitue une région intermé- diaire, tout hypothétique, car les investigations de l'homme ne vont pas jusque-là ; elle-même est recouverte d'une superficie ou surface, qui compose par-dessus encore la troisième région. Descartes montre comment la matière subtile s'y répartit en quatre corps principaux. Mais, avant de les expliquer, il passe en revue les trois ou quatre actions qui les produisent ^. L'une d'elles est la Lumière, précédemment étudiée, et une autre la Chaleur'. C'est aussi la Pesanteur, dont notre philosophe avait déjà communiqué confidentiellement à quelques amis l'expli- cation ** : la pesanteur, à la façon dont croyaient l'entendre les scolastiques, lui paraissait le. type des qualités occultes, qu'il avait tant de fois proscrites; nous n'en avons que plus d'intérêt à voir ce qu'il prétend mettre à la placer Quant aux corps

a. Mersenne reçut d'un correspondant de Bergerac, le médecin Des- champs, la lettre suivante, datée du i" nov. 1645 : « . .. le fieur Brun, » defpuis le printemps paffé, a receu le liure de M Gaffendi contre les » Méditations de M' des Cartes, & les Principes de fa phyfique, que i'ay » leusattentiuement. Et pour vous en dire mon aduis, quoy quelesraifons » de M' des Cartes foyent fort fubtiles, ie me range du parti de Monf"' » Gafifendi. Pour le liure des Principes, i'euffe defiré que M des Cartes » eut monté des expériences aux principes, pluftoft que de defcendre » d'iceux à explicquer les etfefts de nature. Et ie trouue eftrange, entre » autres chofes, ce qu'il affeure que les planettes ayent efté des Eftoiles » fixes, qui foyent efté couuertes & eftaintes par des taches fuligineufes » qui s'encroûtent autour. Car le feu des Eftoiles fixes auroit fait creuer » cete croûte, plus aifement que les grenades ou bombes ne font creuer le » métal d'ond elles font faiftes, lequel eft beaucoup plus dur que cete » croûte ne fauroit eftre, & le feu des aftres plus fort que celuy de la » poudre à canon d'ond font remplies lefdites bombes. » (Paris, Bibl. Nat., MS. fr. n. a., 6206, f° 233.)

b. Tome VIII, p. 208-218; ou t. IX (2* partie), p. 207-216 : art. xv à XXXI inclus.

c. Tome VIII, p. 217-218 ; ou t. IX (2« partie), p. 2i5 et 216 : art. xxviii {Lumière); art. xxix à xxxi inclus (Chaleur).

d. En particulier à Debeaune : t. II, p. 644, lettre du 3o avril 1639. Ibid., p. 559, 1. 10-16. Tome VIII, p. 212-217; o" ^- ^^ (2* partie), p. 210-214 : art. xx à xxvii inclus.

e. Voir ci-avant, p. 1 5 3- 154.

�� � 392 Vie de Descartes.

principaux, produits sous cette triple ou quadruple action, ils sont au nombre de quatre : l'Air, l'Eau, la Terre et le Feu. Le feu est expliqué avec force détails, presque tous empruntés à l'expérience la plus commune ; Descartes y joint, comme il le disait en lôSy, un des plus curieux effets du feu, à savoir la production du verre. L'eau lui fournit une occasion d'expliquer le flux et le reflux de la mer  : chose qu'il avait aussi déjà com- muniquée à des amis. Quant à la terre, il y distingue deux parties, supérieure et inférieure '^: dans l'une, on trouve l'ori- gine des sources ou fontaines, et par suite des rivières et des fleuves; et dans l'autre, les mines. Aussi, lorsque Huygens, l'été de 1645, lui demandera un abrégé de chimie, suivant ses principes ^, Descartes n'aura qu'à renvoyer à cette quatrième partie, où il a dit, en eff^et, tout ce qu'il pouvait dire, étant donné le petit nombre d'expériences dont il disposait. Elles lui suffisaient cependant pour des constatations importantes : c'est ainsi qu'il signale, en passant, la ressemblance de certains genres de corps, qu'il vient d'expliquer, vif-argent, sucs vola- tiles, et huiles, avec les trois principes prétendus des chimistes, le Mercure, le Sel et le Soufre*; ce ne sont, en réalité, des prin- cipes que de nom, et notre philosophe les fait déchoir de cette dignité, et montre à quelle distance ils se trouvent des

a. Tome VIII, p. 249-275 ; ou t. IX (2° partie), p. 243-271 : art. lxxx à cxxiii. et art. cxxiv à cxxxii inclus.

b. Tome VIII, p. 232-238; ou t. IX {2* partie), p. 227-231 : art. xlviu à LVi inclus. Voir lettre à Mersenne, 6 août 1640: t. II, p. 144-146. Et ci-avant, p. 154. Voir aussi t. XI, p. 701.

c. Tome VIII, p. 238-248; ou t. IX (2* partie), p. 232-242 : art. vu à Lxxvi inclus.

d. Tome IV, p. 243, 1. 22, à p. 244, 1. 6 : lettre du 7 juillet 1645. Réponse de Descartes, 4 août : ibid., p. 260-261. — On a retrouvé, dans les papiers de Descartes, des notes de chimie (particularité curieuse) avec les caractères anciens, employés sans doute par lui comme signes abréviatifs : t. XI, p. 645. Voir aussi des notes de pharmacie : ibid., p. 641-644.

e. Tome VIII, p. 242; ou t. IX (2^ partie), p. 235-236 : art. lxiii. Voir aussi t. III, p. i3o-i3i, et t. IV, p. 569-570 : lettres du 3o juillet 1640, et du 23 nov. 1646.

�� � Principes de la Philosophie. 39}

principes véritables dans la formation des choses. Il en est de même pour l'Air, l'Eau, la Terre et le Feu, qui étaient les quatre Éléments selon les philosophes*, c'est-à-dire les prin- cipes des choses ; mais pour Descartes, ce ne sont plus que des composés ou des dérivés, assez éloignés eux aussi des principes véritables. Chemin faisant, il recueille de la sorte et utilise les parties principales des anciennes doctrines, pour en faire de simples chapitres de la philosophie nouvelle.

Un cinquième corps pouvait prétendre au rang de principe, l'aimant , à peine connu dans l'antiquité, et qui depuis un demi-siècle venait d'être, sinon découvert, au moins étudié avec ses propriétés merveilleuses. La science de la navigation était intéressée à cette étude nouvelle, à cause de la boussole, si nécessaire pour les voyages au long cours, entrepris à l'envi par toutes les nations maritimes. Aussi la curiosité était en éveil, et plusieurs demandaient à Descartes ce qu'il pensait : Huygens, par exemple, qui lui envoyait même, en janvier 1642, un ouvrage récent du Jésuite Kircher%ou bien son ami Pollof. Descartes se tenait au courant : il avait lu autrefois le livre déjà classique du savant anglais Gilbert, et sans doute aussi celui du P. Cabei, Jésuite italien ^; en outre Mersenne l'informe des variations observées dans la déclinaison en Angleterre, aux environs de 1640, puis des observations et expériences faites à La Flèche par le recteur du collège, le P. Grandamy. Descartes lui-même observe et expérimente à Amsterdam, dès i63o, et

a. Tome VIII, p. 273, 1. i5-i7 ; ou t. IX (2« partie), p. 271.

b. Art. cxxxiii à clxxxui inclus : t. VIII, p. 275-3 n ; ou t. IX (2« partie), p. 271-305.

c. Tome III, p. 521-522 et p. 524 : lettre du 3i janv. 1642. Voir aussi t. V, p. 548 (note a, lire« magneticâ ») ; et surtout t. XI, p. 635-639.

d. Tome IV, p. 72-73 : lettre du i" janv. 1644.

e. Tome I, p. 180, 1. i5-i7 : du 25 nov. i63o. Le P. Fournier disait, dans son Hydrographie {1643), p. 532, à propos de 1' « Aymant » : « Ceux qui ont trauaiilé le plus heureufement à la découuerte de fes » merueilles, font Gilbert Anglois, & les Pères Cabée Italien & Kircher » Aleman, de noftre Compagnie : chacun d'eux en a efcrit vn excellent » Volume. >>

Vie de Descartes. 5o

�� � 394 ^i^ DE Descartes.

déclare, à cette date, qu'il peut rendre raison de l'aimant avec les principes de son Monde^. Il n'en fit rien cependant, ce semble, et attendit jusque vers 1640. Au moins sut-il résister à l'engouement de plusieurs : il ne tomba point dans l'extrava- gance (c'est son mot) de ceux qui expliquaient tout par l'ai- mant. Pour lui, l'aimant lui-même s'explique, comme tout le reste, par ses suppositions : ce qui contribuait encore à les confirmer. Il avait imaginé, à cet effet, une forme spéciale de la matière subtile, les parties striées : leur propriété est d'être dissymétriques. Formées, en effet, dans les intervalles des petites boules ou parties rondes, elles ont la forme de vis, tournées tantôt dans un sens et tantôt dans l'autre, si bien que les unes ne peuvent passer que par un pôle de la terre, et les autres par le pôle opposé. On n'oserait jurer que Descartes, en imaginant une telle cause, ne pensait point par avance aux effets qu'elle devait expliquer. Toujours est-il, qu'il les déduit avec complaisance : sans en omettre un seul, il énumère jusqu'à trente-quatre propriétés de l'aimant. C'est là comme un air de bravoure, ou comme le bouquet d'un feu d'artifice, par lequel il termine et couronne la quatrième et dernière partie de ses Principes.

Le reste, sur les sens extérieurs et les sentiments intérieurs <=, n'est qu'un aperçu des effets de l'union de l'âme et du corps, que Descartes donne à la place du traité de l'Homme, annoncé dès le début. Il reproduit, en partie, ce qu'il avait dit déjà à ce sujet dans son Monde, en i632. Enfin huit à neuf articles, en manière de conclusion, résument les avantages de la philo-

a. Tome I, p. 176, 1. iS-ig : lettre du 4 nov. i63o. Voir ibid., p. 191, 1. 5-12 : du 2 déc. i63o. Et t. VIII, p. 3o2-3o3.

b. Tome III, p. 8, 1. 7-12 : lettre du 19 janv. 1640.

c. Tome VIII, p. 3 1 5-323; ou t. IX (2<= partie), p. 309-317 : art. clxxxviu à cxcvHi. Voir au début, d'une part, p. 41, 1. 20-23, et de l'autre, p. 64, note c.

d. Tome VIII, p. 323-339; o" t. IX (2» partie), p. 3 17-325 : art. cxcix à ccvi.

�� � Principes de la Philosophie. jç^

Sophie nouvelle, comparée à toutes les autres qui l'ont pré- cédée. Ce thème sera repris et développé, comme nous avons dit, dans la Lettre à l'abbé Picot, qui sert de Préface à la tra- duction française des Principes, en 1647*.

L'histoire de la philosophie, au xvii' siècle, était loin d'être une science, et l'idée qu'on se faisait des doctrines de l'anti- quité, était des plus simples, sinon exacte et juste. Descartes divise les philosophes anciens en deux sectes : ceux qui dou- tent, et ce ne sont pas les moins sages, et ceux qui, indûment, prétendent à la certitude . C'était, par avance, la division de Pascal entre sceptiques et dogmatiques . Parmi les premiers. Descartes range, non seulement les Académiciens, mais leurs ancêtres jusqu'à Platon et Socrate lui-même ; il les loue d'avoir confessé « ingénuement », qu'ils ne savaient rien de certain, et de ne donner que comme vraisemblable, ce qui n'était, en effet, que cela. N'oublions pas la part qu'il fait à cette doctrine dans sa philosophie : c'est par elle qu'il commence. Il donne d'abord aux sceptiques cause gagnée, en apparence, mais pour se reprendre aussitôt et rompre avec eux définitivement. Les autres philosophes, au dire de Descartes, ont moins de fran- chise : ils se déclarent en possession de la vérité, et donnent comme vrais des principes, qui ne sont rien moins que tels. Ici Aristote n'est pas seul visé, avec ses modernes sectateurs, mais aussi Démocrite, à qui l'on accusait parfois Descartes de res- sembler. Il fait une part également à cette seconde philoso- phie : les principes qu'il adopte, étendue, figure et mouvement, se trouvent, en eflFet, déjà et chez Démocrite et chez Aristote lui-même, mélangés toutefois à d'autres suppositions qui en compromettent la vérité. Descartes les dégage de cette pro- miscuité fâcheuse, rend manifeste l'évidence qui leur appar- tient, et les érige en principes véritables. Ainsi la partie

a. Tome IX (2* partie), p. 1-20.

b. Ibid., p. 5, \. 18, à p. 6, 1. 20.

c. Entretien de Pascal et de M. de Sacy.

d. Tome VIII, p. 325; ou t. IX (2« partie), p. 32o : art. ccii.

�� � ^9^ Vie de Descartes.

dogmatique des doctrines anciennes, comme la partie scep- tique, est utilisée par notre philosophe et introduite dans son propre système, où toutes deux prennent d'ailleurs un caractère nouveau : les raisons de douter, justifiées cette fois et portées à leur comble, finissent par se détruire elles-mêmes; et par contre, les raisons d'affirmer acquièrent une force qu'elles n'avaient jamais eue auparavant. La philosophie de Descartes répond ainsi à la définition qu'il en avait donnée d'abord, et qui posait deux conditions nécessaires et suffisantes : clarté parfaite ou évidence des principes, et possibilité d'en déduire tous les eflFets qui existent dans la nature ^ ; autrement dit, une heureuse et efficace combinaison de la Physique et de la Mathématique.

Là, en effet, est la grande réforme ou même la révolution opérée par notre philosophe, et il ne cesse de le redire dans ses Principes, à la fin des quatre parties, et à chaque instant dans le cours de l'ouvrage. Quelqu'un au moins l'a compris, et a nettement indiqué toute la portée de l'œuvre : c'est l'abbé Picot. Il rappelle avec raison (la nouveauté n'apparaît bien que par contraste), que jusqu'en ces derniers temps la phy- sique était toute ia science de la nature (et quelle physique !),

a. Tome IX (2* partie), p. 9, 1. 18-22.

b. Tome XI, p. 3 12, 1. 22, à p. 3 18, 1. 25 : Préface des Passions. Notamment p. 3 14, 1. 3i, à p. 3i5, 1. 5. On lit dans ia Summa Philo- fophice du Feuillant, Eustache de Saint-Paul :

« Quod fpeftat ad fcientias theoreticas, Phyficam, Matkematicam, & » Metaphyjîcam, ordine naturae Metaphyftca antecedit, fequitur Phyftca, » tandem Mathematicce : eo quôd obieftum Metaphyjtcœ naturâ eft » omnium primum, vtpote vniuerfalifTimum ; obieftum verô Phyjicce » naturâ etiam prius eft obiefto Mathematicarum, quia eft communius : » adde Mathematicas effe inferiores, & fubalternas Phyficas, vtpote à quâ » fua principia vt plurimum defumunt. Item ordine dignitatis Metapky-

  • Jica praeit, quia res naturâ praeftantiffimas, nempe fpirituales fubftantias,

» & communia rerum omnium principia contemplatur; fequitur Phy- » Jica, quœ antecellit Mathematicas, tùm ratione fubieiti (illa enim fub- » ftantias, haec vero tantùm accidentia contemplatur), tùm rerum quas > confiderat varietate ; ficque vltimum locum tenent Mathematicce... » (Tome I, 2» édit., 161 1, p. 241.)

�� � la mathématique n’en étant qu’une partie, parmi plusieurs autres. Descartes a renversé cet ordre : avec lui, la mathématique va devenir le tout, dont la physique ne sera plus qu’une partie. Les objets étudiés par la mathématique comprennent une infinité de possibles ; le monde réel est seulement l’un d’eux, assujetti aux mêmes règles et aux mêmes lois que tous les autres ; donc, pour le bien entendre, on doit d’abord connaître ces lois. La mathématique est ainsi rétablie dans ses droits et ses prérogatives; et c’est grâce à elle que la physique, consentant à devenir sa sujette, peut prétendre désormais à la dignité d’une science véritable. Déjà Galilée avait dit que la mathématique est comme la langue universelle, qui seule permet de lire les caractères dans lesquels est écrit l’univers. Descartes se sert d’une comparaison du même genre : ce monde est comme une énigme, et la mathématique nous en donne la clé ; ou bien il est écrit dans une écriture chiffrée, et c’est la mathématique qui nous fournit le chiffre". Est-ce

a. Tome VIII, p. 327-3 ^8; ou t. IX (2* partie), p. 323-327 : art. ccv. On trouve dans un petit volume du xvii» siècle, et sous la plume d’un auteur auquel on ne s’attendait g-j^r; (l’abbé Cotin, connu surtout aujour- d’hui par les railleries de Molit rc- ;: de Boileau), des idées très nettes sur la connaissance absolue qu’a-Tibiticnnent les philosophes, et la connaissance relative dont nous devons .sous contenter. Galanterie fur la Comète apparve en Décembre 1664 & en lanuier i665, conclusion : « . . .11 faut » aduoûer fincerement, que la nature a plus de voyes pour faire les » choies, que nous n’en auons pour les connoiftre, & que ce que nous » croyons des veritez infaillibles, n’eft fouuent que des foupçons & des » coniedures. La prefomption feroit infupportable, de penfer feulement » que nortre efprit fût dvne égale eftenduë à la puiffance de cette maistresse du monde. . . Elle a des myfteres où nous ne fommes pas encore, » & où peut-eftre nous ne ferons iamais initiez : nous croyons eftre » entrez dans le fancluaire, & nous ne fommes pas feulement à l’entrée » du temple. . . » [Œuures Galantes de Monjieur Cotin. Seconde partie. A Paris, chez Eftienne Loyfon, M.DC.LXV. Pet. in-8.) Voir p. 383. Quelques pages plus haut, l’auteur disait, dans la même pièce («c’étaient bien là les exigences auxquelles Descartes prétendait aussi satisfaire) : « Ceux qui demandent aux Philofophes des prennes de leurs fyfthemes, » & non pas des fuppofitions, voudroient réduire les principes de leur » Phyfique iufqu’aux premiers principes de connoiffance, iufqu’à ces

�� � jçS Vie de Descartes.

bien toutefois le vrai chiffre, pourrait-on dire, le chiffre réel ? Peu importe, après tout, si par lui nous arrivons à traduire les choses et à les interpréter. Voilà bien encore de ces raisons de douter, raisons en l'air, et sans fondement solide! Sans doute il n'est pas impossible, à la rigueur, que deux montres, par exemple, tout à fait semblables extérieurement et qui marquent l'heure Tune comme l'autre, diffèrent par leur mécanisme : de même les effets que nous observons en ce monde, peuvent se réaliser par d'autres moyens que ceux que nous supposons. Mais ceux-ci sont intelligibles pour nous et nous réussissent ; ils sont donc pour nous les vrais moyens, et nous tiennent lieu des moyens réels, s'il en est, que nous ne connaissons pas. Et même, parviendrions-nous un jour à connaître ces derniers,

» propofitions certaines & éuidentes par elles-mefmes, dont tous les » hommes font d'accord. On demande à des Mathématiciens principa- » lement des demonftrations, & non pas des conje£lures; on veut eftre » conuaincu, & non pas perfuadé... » {Ibid., p. 375.) Et plus haut encore, l'allusion à Descartes est transparente : « ...La Nature elle-mefme, » dont ces nouueaux Phyficiens fe vantent d'auoir pris le chiffre... » (Page 364.) Et enlin : « D'abord on ne fongeoit qu'à fe diuertir vn peu » philofophiquement, quand on laiiVoit faire à la matière fubtile de » rVniuers plus de tours de pa(Te-palT^ d'vn pôle à l'autre, & plus de » fauts périlleux, que n'en fit iamoi; Scaramouche dans le Medico » volante. On lifoit cette nouuelle Phylique comme le Roman d'vne » Philofophie faite à plaifir. . . » (Page 364.) « . . .Sur la foy de Rober- » ual, on iureroit que cette nouuelle Philofophie n'eit que le jeu d'efprit » d'vn galant homme laffé de la pédanterie de l'Echoie ; ou, fi vous » voulez, vn beau fonge fait en veillant par vn Mathématicien fort de » loifir, qui aimoit à réuer auec méthode & félon les règles de l'art. » (Page 365.)

Plus tard, Bossuet dira : « Vous voilà à difputer fur la nature des » corps, à examiner jufqu'à quel point Dieu a voulu que nous connuf- » lions le fecret de fon ouvrage, & s'il ne voit pas, dans la nature des » corps comme dans celle des efprits, quelque chofe de plus caché & de » plus foncier, pour ainfi dire, que ce qu'il en a defcouvert à noftre » foible raifon. » {Sixième Avertissement à M. Jurieu, 3« partie, t. XXII, p. 209-210, Œuvres de Bossuet, Versailles, 1816.)

C'est l'éternelle objection des sceptiques et des mystiques, laquelle ne nous laisse le choix qu'entre un savoir simplement relatif (si elle est admise), ou (si on veut en finir avec elle) l'idéalisme absolu. On paraît revenu, de nos jours, d'une telle prétention.

�� � Principes de la Philosophie. ^99

si tant est qu'ils existent et ne soient pas un mythe : nous n'y gagnerions rien, ni pour la théorie, puisque nous avons déjà sans eux une connaissance claire et distincte des choses, ni pour la pratique, puisque cette connaissance nous permet d'agir sur la nature". Ce serait comme un double de ce que nous possédons déjà. Qu'est-ce donc alors qu'une prétendue réalité, à la fois impossible et inutile à connaître, et en quoi diflPère-t-elle du néant? La réalité vraie est tout entière pour nous dans l'idée claire et distincte, essence et substance même de la vérité. Le dernier mot de cette physique, comme tout à l'heure de la métaphysique de Descartes *", serait l'idéalisme. Notre philosophe veut la certitude complète et absolue ; il raisonne en conséquence, et finalement, comme en désespoir de cause, par un recours suprême, il en appelle à l'Etre parfait. « Ce serait, dit-il, le rendre coupable de nous avoir » créés imparfaits, si nous étions sujets à nous méprendre, » lors même que nous usons bien de la raison qu'il nous a » donnée. » Et Descartes insiste : douter de notre raison ou de notre pensée, ce serait, selon lui, « faire injure à Dieu^ »

a. Tome VIII, p. 327 ; ou t. IX (2« partie), p. 322-323 : art. cciv.

b. Voir ci-avant, p. 323-325.

c. Tome VIII. p. 99. 1. 11-14; et t. IX (2» partie), p. i23 : art. xun.

�� � LIVRE V

��CHAPITRE PREMIER

DESCARTES

��ET

��LA PRINCESSE ELISABETH

��La correspondance de Descartes comprend bien des parties intéressantes; aucune ne l'est autant que l'échange de lettres entre lui et la princesse Elisabeth. Celle-ci était née à Heidel- berg, le 26 décembre 16 18. Son père, Frédéric V, électeur palatin, fut élu roi de Bohême, le 5 septembre 1619, et cou- ronné à Prague, le 4 novembre suivant: « royauté d'un hiver », car il la perdit l'année suivante à la bataille de la Montagne blanche, oii Descartes assista peut-être^, le 8 novembre 1620. Dès lors commença pour le roi déchu et pour les siens, durant toute la guerre de Trente Ans, une vie de princes en exil. Elisabeth passa, semble-t-il, ses premières années auprès d'une sœur de son père, mariée à l'électeur de Brandebourg, Georges-Guillaume, et qu'elle appelle « sa tante l'électrice ».

a. Voir ci-avant, p. 60-61.

b. Elisabeth-Charlotte, fille de Frédéric IV, et sœur de Frédéric V (le père d'Elisabeth;, naquit le 7 nov. 1597, épousa Georges-Guillaume le 14 juillet 1616, devint veuve le 21 nov. 1640, et mourut le 16 avril 1660. Elisabeth ira la retrouver en 1646.

ViR DR Descaktes. 3i

�� � Mais bientôt elle vint rejoindre ses parents en Hollande ; Frédéric y avait trouvé un refuge auprès de sa mère, l’électrice douairière palatine, Louise-Juliane de Nassau, qui ne mourut qu’en 1644, et auprès de ses deux oncles, frères de celle-ci, les princes Maurice et Frédéric-Henri. En outre, champion malheureux de la cause protestante, il obtint des Etats une hospitalité honorable : un palais pour l’hiver à La Haye, et pour l’été une maison des champs à Rhenen, près d’Arnhem, plus une dotation annuelle. Mais le malheur s’acharnait après cette famille. Le 17 janvier 1629, le fils aîné périt misérablement : un bateau, sur lequel il se trouvait, coula dans le lac de Harlem ; le jeune prince fut noyé. Le 29 novembre 1632, son père, Frédéric lui-même, dit le Patient ou le Constant, mourut de la peste à Mayence : il avait juste l’âge de Descartes, étant né le 16 août 1596. Sa veuve, Élisabeth Stuart, resta donc seule avec dix enfants[365], dont le plus âgé n’avait pas quinze ans. Elle ne désespéra pas toutefois de rentrer au moins en possession du Palatinat, et mit son orgueil à se faire appeler reine de Bohême ; elle comptait sur l’Angleterre, comme fille de Jacques Ier et sœur du roi régnant, Charles Ier ; plus tard elle compta aussi sur la France.

La princesse Élisabeth, l’aînée des filles, joignait à une grande intelligence une instruction étendue et solide. Élevée sans doute à la française[366], toute petite elle apprit par cœur les

quatrains de Pibrac, et plus tard elle était capable, en manière de divertissement, de jouer son rôle dans une comédie de Corneille, la Médée^. Elle savait l’anglais, qui était la langue de sa mère ; l’allemand, langue de son père ; le flamand, puis- qu’elle vécut en Hollande; l’italien, car elle demanda à Descartes d’étudier avec elle Machiavel ; enfin le latin, au point de lire les Méditations du philosophe avant qu’elles ne fussent traduites en français : de même pour les Principes, qui lui furent dédiés ; elle avait même pensé un moment à apprendre le polonais, en vue d’un mariage qui d’ailleurs n’aboutit pas. D’autre part, elle savait assez de mathématiques pour résoudre un problème difficile que lui indiqua Descartes, et assez d’astronomie pour s’intéresser aux perfectionnements apportés au télescope, ainsi qu’aux découvertes de ce temps-là,

a. La plus jeune sœur, Sophie, dira plus tard, Memoiren der Her- \ogin Sophie (édit. Adolf Koecher, Leipzig, 1879), p. 34 : « On m’apprit » les quadrains de Pebrac, & le catechifme de Heidelberg en allemand, » que je fçavois tout par cœur fans le comprendre. » Elisabeth avait sans doute été élevée de même.

Et plus loin, cette même Sophie, ibid., p. 37 : « La reine fe retiroit » ordinairement tous les eftés dans une maifon de chaffe, nommée » Rhenen. S. M" y eftoit une fois, comme mes ſœurs pour la divertir » refolurent de reprefenter la comédie de Medée & me firent connoiftre » que je ne pourrois en eftre, parce que je ne ferois pas capable d’ap- » prendre tant de vers par cœur. Cela me piqua fi fort d’honneur, que » j’apprenois toute la comédie par cœur, quoyque je n’avois befoin de » fçavoir que le roolle de Nerine, qu’on me permit de reprefenter. La » reine en fut fatisfaite. . . Je n’avois qu’onze ans. » La princesse Sophie étant née le 14 oct. i63o, la date de ce divertissement est en 1641 ou 1642.

Voici, de la même main, un portrait d’Elisabeth à citer, ibid., p. 38 : « Ma fœur, qui s’appelloit Mad. Elifabet,... avoit les cheveux noirs, le » teint vif, les yeux bruns & brillans, les fourcils noirs & larges, le front » bien fait, la bouche belle & vermeille, les dens admirables, le nez » aquilin & menu, fujet à rougir; elle aimoit l’étude, mais toute fa phi- » lofophie ne l’empefchoit point d’eftre fort chagrinée aux heures que la » circulation du fang luy caufoit le malheur d’avoir le nez rouge; elle fe

» cachoit dans ce moment devant le monde Elle fçavoit toutes les

» langues & toutes les fciences, & avoit un commerce réglé avec M. Def- » cartes; mais ce grand fçavoir la rendoit un peu diftraite & nous don- » noit fouvent fujet de rire. »

�� � 404 Vie de Descartes.

par exemple les satellites de Jupiter ; assez de physique enfin, pour que ses premières objections contre les Principes fussent au sujet de l'aimant. D'ailleurs, ce goût décidé pour la philoso- phie et pour les sciences ne l'empêchait point d'avoir des senti- ments de religion : elle était calviniste dans l'âme, et se serait fait conscience, dit-on, d'épouser le roi catholique de Pologne, lequel avait fait mine de la rechercher en i635 et i636; elle n'avait que dix-sept ans\ Mais en 1645, elle en avait vingt-sept,

a. Il est question de ce mariage dans les lettres de Brasset, de l'année i635 : 22 janvier, 5, i5 et 26 février, 19 mars, 14 et 18 juin, 2 juillet et i3 octobre. (Paris, Bibl. Nat., MS. fr, 17893, f»» 88, 97, io5 v., ii3 v., 129, 192 V., 194 V., 204 V. et 256 V.) En voici quelques extraits : « . . .11 » eft vray que celle-cy {la princesse Elisabeth) en fai£t vn peu la rencherie, » à caufe des accez de haut mal dont il [le Roy de Pologne) eft fouvent » touché. » (Folio 192 verso, 14 juin i635.) « L'on reparle du mariage de » fon ayfnée {la princesse Elisabeth, Jille aînée de la Princesse palatine) » auec le Roy de Pologne, & quelcun m'a di£l que cette ieune princeffe » apprend la langue polaque. » (Folio 204 verso, 2 juillet i635.)

En mai i636, Zavasky, ambassadeur de Pologne, vint à La Haye, et de là passa, le 20, à Bruxelles. « Il auança quelques propoz de mariage » entre fon M"'= & la princeffe Elifabeth de Bohefme, dont il ne s'en- » fuiuit rien, luy ayant demandé vne déclaration de fe faire catho- » lique. »

Puis Brasset n'en parla plus, et annonça au contraire un autre mariage, lettre du 20 novembre i636 : avis donné par le sieur Aystema « du » mariage du Roy de Pologne auec la féconde fille de l'Empereur, » pratiqué par le Père Magno lefuite & demandé ouuertement par l'Amb. » de Pologne qui eft à Ratifbone. La Royne de Bohefme ne m'en a » tefmoigné aulcun eftonnement, fon opinion ayant toufiours efté que la » recherche de la princeffe Elizabeth fon ayfnée n'eftoit qu'vne feinte pour » en profiter durant le traiélé de trefve entre la Pologne & la Suéde, » & pour mettre l'Empereur en jaloufie. » {Loc. cit., 17893, f" 344.) Ladislas IV épousa, en cfÇet, Cécile-Renée, fille de l'empereur Ferdi- nand II, en 1637. On lit à ce. propos, aux Archives des Affaires étrangères, vol. Suède, p. 149, cette dépèche de M. de Charnacé, datée de La Haye, le 3° de juillet 1637 : « Le Roy de Pologne a efcrit à M'^ les Eftats & à D M. le Prince d'Orange pour leur donner aduis de fon mariage auec la » fille de ^Emp^ Ils s'eftonnent un peu de la forme de cette lettre, » laquelle ne faid mention d'aul'cune raifon de fon changement, après les » auoir cy deuant conuiez fort inftamment de fauorifer la recherche qu'il » faifoit de la Princeffe de Bohefme. »

Plus tard, Ladislas, devenu veuf, épousa en secondes noces une

�� � lorsqu’un de ses frères, le prince Edouard, n’eut pas tant de scrupule, et embrassa le catholicisme pour épouser en France Anne de Gonzague, connue plus tard sous le nom de « princesse palatine ». Elisabeth en fut outrée, au point de devenir malade : c’était, à ses yeux, « un acte de folie » , Elle n’était point cependant d’une dévotion étroite ni superstitieuse : à la prière de Descartes, elle accorda volontiers sa protection au jeune Schooten, candidat à la chaire de son père, le mathématicien de Leyde, et se moqua des professeurs de l’Université, qui craignaient qu’il n’introduisît dans ses leçons de mathématiques les doctrines arminiennes^. Plus tard, elle se moqua aussi de la crédulité de bonnes gens que la renommée d’une source faisait accourir de toute l’Allemagne et des pays Scandinaves pour la guérison miraculeuse de leurs maladies : cette source guérissait peut-être, mais en vertu de causes naturelles, propriétés chimiques de l’eau, etc. . Néanmoins, nous le verrons, les objections d’Elisabeth à la métaphysique de Descartes sont plutôt théologîques et tirées des dogmes de Calvin. Dans la dernière partie de sa vie, elle écouta d’une

princesse française, Louise-Marie de Gonzague. Le mariage fut célébré à Paris, par procuration, le 5 novembre 1645. Il avait été négocié par M. de Brégy-Flexelles. Brasset, dans une lettre à ce dernier, du 29 août 1645, revient sur le mariage- manqué dix ans plus tôt :

« le viens de receuoir vne lettre de M. de MeuUes où ie veoy l’heureux fuccez de voftre négociation en Pologne pour la conclufion finalle de ce mariage... La bonne Royne de Bohême me demandant l’autre iour de voz nouuelles, que ie ne luy peuz dire, fçaura tantoft qu’elles font bonnes; & ie m’alfeure que, fi Madame la Princefl’e Élifabeth s’y trouue, elle fera marrie que M. Zavafky n’eut voftre adrelfe pour 1) donner vne femme à fon maiftre, fi ce n’eft qu’elle fe picque de ce » point de religion, qu’vne ame zelee comme la Tienne préféra à vne couronne. C’eft comme l’on en parle, & ie me rapporte à ce qui en eft. » {Bibl. Nat., MS. fr. 17897, f» 423 verso.)

a. Tome IV, p. 339-340 : lettre du 17 déc. 1645. Voir ci-avant, p. 109, note a, et p. 342, note c.

b. La source ou fontaine de Hornhausen. Tome X, p. 604-606; et t. IV, p. 523-524, 531-532 et 58o : oct. et nov. 1646. 4o6 Vie de Descartes.

oreille complaisante les discours d'un mystique, Jean Labadie, puis d'un quaker, William Penn^; et dans sa jeunesse, en Hollande, elle fut liée avec Anne-Marie de Schurman, élève trop docile, au gré de Descartes, du fanatique Voët; elle- même paraît avoir quelque temps admiré Voët, regrettant que notre philosophe entrât en lutte avec cet homme de Dieu*^. Puis peut-être se refroidit-elle, ainsi que la demoiselle de Schurman, lorsque ce ministre, par un zèle indiscret, s'érigea en censeur farouche de la coiffure des femmes, et même aussi des hommes'^. Elisabeth, en effet, n'avait rien d'austère dans

a. Tome IV, p. 700-701. Voir Foucher de Carcû, Descartes et la Prin- cesse Elisabeth (Paris, Alcan, 1879), p. i5o-i52; et Victor de Swarte, Descartes directeur de conscience {Ibid., 1904), p. 163-171.

b. Tome III, p. 23i, 1. 13-19 : du 11 nov. 1640.

c. Tome VIII (2'^ partie), p. 197 : lettre d'Elisabeth à Colvius, 21 juin 1643.

d. On lit, dans une Vie MS. de Saumaise par Philibert de la Mare

« Leydam venerat Salmafii vifendi caufâ hoc anno {1644) Dordracenae » Ecclefias Paftor Andréas Colvius, qui cùm, quaerenti Salmafio : quid » novi? & an fatis falve? eo vocis fono refpondilTet qui dolorem animi » teltaretur : turbatam effe fcilicet nonnihil quam curabat Ecclefiam, » parvi quidem momenti re, fed quae utriufque fexûs animos mirum in » modum dilcruciabat, eô nempe rem devenifTe, ut viri cum longioribus B capillis, rtiulieres cum cincinnis templum ingredi & concionibus » intereffe nor) auderent amplius, Paftorum quorumdam metu hœc » ornatûs gênera in utroque fexu fevere adeô ac minaciter|increpantium, » ut in fupremo Judicii die capillati juvenes & comptae capite virguncula:, » fi fides penés illos effet, nihil mitius expeftare poffent quàm beatitu- I) dfhis aeternœ jacturam..Eum vero qui ejufmodi doftrinae princeps effet » Gifbertum effe Voetium Academiae Trajeftinae Profefforem, virum » certe multijugâ ledione & doftrinâ prœditum, fed veteris Ecclefiae » difciplina; adeô tenacem & aufterum rigidumque illius obfervatorem, » ut etiam eos non ferret, qui antiquum fefe in compotationibus falutandi » morem, quem tamen feveriores admittunt, velut impuras ethnici ritûs » reliquias, ufurparent. Addebat Colvius thefes fuper eo argumento » publicatas, fparfos etiam in vulgus libros fuiffe vernaculâ linguâ quàm- » plures, unumque inter alios cui quôd contra capillos declamaret » Abfalonis titulum fecerant, & quo magis didis fuis fidem aftruerent, » Pauli Apoftoli, quafi fententiœ illi faveret, primœ ad Corinthios » Epillolae caput undecimum allegabant. In novum Trajeilinorum

�� � Princesse Elisabeth. 407

sa conduite et dans sa vie privée ; elle menait le train d'une princesse, se prêtant aux jeux et passe-temps de sa petite cour, ne se refusant même pas aux aventures galantes, comme l'enlèvement, sur la promenade de La Haye, d'une jeune fille qui du reste fut aussitôt épousée par son ravisseur ; le prince d'Orange était complice , et avait envoyé tout exprès son carrosse". La chose se passait en i635, et

» dogma infurrexit Academia Dordracena, quas capillorum & comarum » partes amplexa. cùm neminem haberet quem Voetio magnae eru- » ditionis juxta & famas viro opponeret, Colvio intercedente, ad Sal- » mafium confugit. Rogante Colvio, haud aegre pugnae immifcuit fe » Salmafius, & cum Voetio, à quo, caeco naturae inftinftu, abhorrebat, » commilTus eft. » (Dijon, Bibl. de la ville, Vie MS. de Saumaise, t. I, p. i5i-i52.)

« Non obmutuere ad Salmafii epiftolam Voetiani, nec ipfe quasftionis » auctor Voetius, aliunde Salmallo, praeter comarum controverfiam, » infenfus. Fertur quippe leftiffimam & eximiè doctam virginem Annam » Mariam Schurmannam, quae fe ipfi regendam & Theologiae myfteriis » imbuendam tradiderat, poftquam Salmafius aliquando iter Trajedo » habens cum eà fuifl'et collocutus, immenfà hujus eruditione obftupe- » fadam minus aliquanto VoeHo exinde quàm antea tribuilTe. Hinc w Voetii potiorem ferre non foliti occultus in Salmafium livor, quem » tamen, donec erupit controverfia comarum, animo prefferat. » [Ibid., t. I, 153-154).

a. Cette historiette était moins compromettante, somme toute, que d'autres promenades dont parle Sorbière, t. IV, p. 462. La voici :

Brasset à M. Bouthillier, 10 mai i635 : « Il s'eft faiél ce matin vne » aftion qui apprefte bien à difcourir, le Rhingraue Frederik ayant » enleué M"« de Tournebut. Tout cela s'eft paffé de fi bonne grâce, qu'il » n'y a nulle apparence de force. Car la Princeffe Elizabeth, ayfnée de » Madame la princeffe Palatine, ayant mené lad. Damoifelle au prefche, » & de la fe promener au Boys dans fon carrotfe, le Rhingraue y eftant » aulTy auec le vicomte de Machaut & fa femme, vn carroffe de M. le » prince d'Orange s'y eft trouué, attelé de fix cheuaux, dans lequel le » Rhingraue & lad(ite) Dam(oifelle) font entrez auec les deux derniers, » & ont tiré à Ifelftein ou à Bure. Il ne faut point demander, aprez cela, » qui s'eft meflé de l'affaire. Mad"« de Tournebut auoit efté amenée icy » par M. Houftain fon oncle, en fuitte d'vne femonce que i'entends luy » en auoir efté faide, de la part de lad. princefl'e Elizabeth, par le icune » Beringhen. Il ne lailfe d'y auoir beaucoup à confiderer en cette afiion.

�� � 4o8 Vie de Descartes.

Elisabeth était bien jeune encore. En 1646, elle fut mêlée, semble-t-il, à une aventure plus tragique, l'assassinat, en plein jour et en pleine rue de La Haye, par un de ses frères le prince Philippe, d'un gentilhomme français, amant d'une de ses sœurs, Louise -Hollandine : ce sang répandu paraît avoir quelque peu éclaboussé Elisabeth elle-même. Toutefois, Tallemant des Réaux, qui rapporte « l'historiette », (et il avait mauvaise langue et n'épargnait pas grand monde), sans mettre entièrement la princesse hors de cause, ne parle d'elle qu'avec respect : « une fille qui a mille belles connaissances », dit-il, « une vertueuse fille ^ » .

Le nom d'Elisabeth se lit pour la première fois, dans la correspondance de Descartes, à la date du 6 octobre 1642, dans une lettre à Pollot. La princesse avait eu connaissance des Méditations, récemment publiées à Amsterdam, et Pollot lui avait sans doute parlé de l'auteur, qu'il connaissait depuis quelques années, lôSy au moins^ Ce Pollot, qu'Elisabeth

» de laquelle, en vn autre tems, pourroit tefmoigner de n'eftre pas fatis- » faia. » {Bibl. Nat., MS. fr. 17893, f» 175.)

Brasset au même, 14 mai i635 : « Mad"' de Tournebut a efté menée » à Bure, maifon dud. S. Prince (d'Orange), qui di£t que fon carroffe » a feruy en cet enleuement fans fon fceu. Et la princefTe Elizabeth » proteRe qu'elle n'en fçauoit rien. Chacun di£l, & en croyd ce qu'il veult. » Le Comte de Solms, père de Mad= la princelfe d'Orange, a aufly elle » de la partie. M. Houftain, oncle & tuteur de la damoifelle, a fai£l de » grandes plaintes & clameurs de cette aélion, de laquelle il demande » iuftice aud. S. Prince, & le prie qu'elle foLt fequeftrée, iufques à ce que » le père en foit aduerty. On le contente de bonnes paroles ; mais l'on » n'en eft pas venu fi auant, pour changer d'aduis. » [Ibid., i° 177 verso.)

« Le Rhingravie Frederik fut marié fabmedy dernier. Il reuint icy, il y » a troys iours, auffy froidement que fi de rien n'auoit elle. Et ce matin » il ell party dans le carro fe de M. le pr. d'Orange, auec les contes » Maurice & Henry de Naffau. » {Ibid., i" 179.)

a. Tome IV, p. 45 1.

b. Tome III, p. 577, 1. 2-17.

c. Tome I, p. 5o8, 1. 2-5. Voir ci-avant, p. 1 16-1 17. Pollot avait perdu une main, nous l'avons vu, t. III, p. 280-281. Et c'était la main droite. Nous le savons, oar un curieux document. (Amsterdam. Académie des

�� � Princesse Elisabeth. 409

appelle toujours de son nom italieq, « M. de Pollotti » ou même « Pallotti », était d'une famille protestante, originaire de Dronero, en Piémont, et réfugiée à Genève. Mais la famille était assez nombreuse, trois garçons et deux filles : deux des frères, Alphonse et Jean-Baptiste, vinrent chercher fortune en Hollande, otj leur titre de huguenots persécutés leur assurait d'avance un bon accueil auprès des princes de Nassau. Tous deux firent leur chemin à l'armée et à la cour ; Jean-Baptiste mourut, il est vrai, en janvier 1641, avec le titre de gentil- homme de la chambre de Frédéric-Henri; mais Alphonse poursuivit sa carrière, d'honneur en honneur; en 1647, ^^ princesse douairière d'Orange le nomma maréchal du palais. Il fréquentait aussi la cour de la reine de Bohême, et devint un des familiers de la mère et de la fille ; la princesse Elisa- beth lui confiera ses lettres, pour les faire parvenir à Descartes. Le philosophe fut certainement flatté qu'une personne de ce rang et si jeune encore (Elisabeth aurait pu être sa fille) lui écrivît, et surtout du ton qu'elle prit aussitôt avec lui : la princesse lui faisait part, non seulement de ses difficultés et de ses doutes, en matière de science, mais de ses afl^aires per- sonnelles et de celles de sa famille, de ses indispositions même et de ses maladies, lui demandant conseil comme à un médecin du corps aussi bien que de l'àme, mieux que cela comme à un ami. Et la correspondance revêtit, de part et d'autre, un

Sciences, Const. Hugenii Epijiolœ Latince MS., 238.) Lettre de Huygens à Barlaeus, « Hagae, X Cal. lan. cio id cxxxvi » :

« Pollotti dextera ad quam allulîlli, ne mihi quidem olim, amputata, > eualit : inuenio in fchedis anni i63o quae fequuntur

OJi dextra minus quàm fors mihi dextra fuijfet ! O quàm Iceua minus fors mihi lœuafuit !

O quâtn Iceua ma gis fors non malè lœua fuijfet ! O quàm dextra nimis non benè dextra fuit !

» Sed abunde nugarum eft. »

PoUot fut néanmoins nommé capitaine d'une compagnie, le 1 1 jan- vier i633, par les États; nomination confirmée, le3i janvier, par le Prince d'Orange.

Vie de Descartes. 52

�� � caractère d’intimité qui en fait le grand intérêt. Si la princesse s’habitua vite à ne rien cacher au philosophe, celui-ci, d’ordinaire si réservé, si fermé même en ce qui le concerne, lui révéla sur lui-même, sur ses idées, ses habitudes, sa vie, des choses qu’il n’a dites à nulle autre personne. Maintes fois, pour la rassurer et l’encourager, il invoque sa propre expérience[367] : comment il guérit d’une maladie semblable à celle de la jeune femme, fièvre lente et toux sèche, dont il avait hérité de sa mère, morte si peu de temps après sa naissance ; comment, dans son pays de Poitou, les enfants en bas âge souffrent de petits accidents vite disparus, sans même qu’on ait besoin de les soigner ; comment, par une certaine discipline de son esprit, il avait réussi à n’avoir plus de mauvais rêves, ni qui lui représentassent rien de fâcheux ; et comment les bonnes dispositions où il s’entretenait, le rendaient heureux, même de ce petit bonheur de ceux qui jouent et qui gagnent au jeu ; comment il s’était imposé, comme une règle favorable à sa santé et à ses études, de n’employer que fort peu d’heures par an à la métaphysique, et fort peu d’heures par jour à la mathématique : le reste était donné au relâche des sens et au repos de l’esprit. De son côté, Élisabeth lui raconte ingénument[368] toutes ses petites infirmités, obstruction de la rate, apostèmes aux doigts (qu’on prend pour de la gale), rougeole, etc. Elle le consulte sur les remèdes ; elle lui fait analyser les eaux de Spa, avant d’en boire, et lui soumet le régime qu’elle doit suivre. Après une confidence, elle lui Princesse Elisabeth. 41 1

rappelle, en plaisantant, le serment d'Hippocrate, qui oblige au secret dans la profession médicale : précaution bien inutile, le petit-fils du médecin Pierre Descartes prenait trop au sérieux, avec elle et avec quelques amis, cet office de docteur bénévole, pour ne pas le remplir consciencieusement.

Il déclara publiquement son admiration pour la princesse Elisabeth dans la dédicace des Principes en 1644*. ^^ '^ louait surtout d'être un des rares esprits capables de comprendre également bien les mathématiques et la métaphysique. L'éloge était mérité. En octobre 1643, de concert avec Pollot, Descar- tes avait proposé à la princesse un problème qui lui paraissait le plus propre à exercer la sagacité des mathématiciens ^, le problème des trois cercles ; Elisabeth l'avait résolu. Descartes reconnaît la valeur de cette solution, qui était la meilleure qu'Elisabeth pût trouver avec le peu de mathématiques qu'elle savait ; mais il profite de l'occasion pour lui découvrir sa propre méthode, et lui donner, il le dit expressément, la clef de son algèbre ; en même temps il lui indique les deux théorèmes dont il fait constamment usage pour résoudre les problèmes, et qui résument à ses yeux toute la géométrie " : propriétés des triangles rectangles, et propriétés des triangles semblables. Descartes connaissait la princesse Elisabeth depuis six mois à peine, et dans ces deux lettres capitales, de novembre 1643, il n'hésite pas à l'introduire ainsi dans le secret de ses spéculations.

De même pour la métaphysique. Elisabeth, marquant d'un doigt sûr la principale difficulté, avouait ne pas comprendre comment l'âme, qui est immatérielle, peut agir sur le corps, qui n'est qu'étendue et matière <•. Elle s'était adressée d'abord au disciple de Descartes, Regius, qui l'avait renvoyée à son maître. Descartes reprit alors, mais cette fois d'une façon plus expli-

a. Tome VIII, p. 1-4, et t. IX (2' partie), p. 21-23.

b. Tome IV, p. 26, 1. ■26-27 : lettre du 21 oct. 1643. Voir surtout les lettres suivantes, de nov. 1643 : ibid., p. 37, 43, 44 et 45.

c. Ibid., p. 38, 1. 8, à p. 39, 1. 6, et p. 42, 1. 17-21.

d. Tome III, p. 660-661 : lettre du 16 mai 1642.

�� � 412 Vie de Descartes.

cite, une théorie seulement esquissée dans les Méditations : à savoir, que toute la réalité que nous pouvons connaître, se compose de trois parties, l'âme seule d'abord, puis le corps seul, enfin l'union de l'âme et du corps. Et l'action réciproque de l'âme et du corps est précisément un effet de cette union. C'est là pour Descartes une notion primitive à l'égal des deux autres ; c'est un principe distinct des deux autres, et qui en diffère autant que ceux-ci diffèrent entre eux". Si l'on objecte qu'il est loin d'avoir la même clarté, notre philosophe en appelle à l'expérience de chacun : n'expérimentons-nous pas, en nous-mêmes, que notre âme agit sur notre corps et notre corps sur notre âme? C'est là un fait indéniable, et Descartes voit même dans l'extension abusive qu'on lui a donnée la grande erreur de toute la Scolastique. L'action mystérieuse des qualités occultes, au dehors, et par exemple de la pesanteur, est calquée sur ce modèle intérieur de l'action de notre âme sur notre corps. La philosophie de l'Ecole projette au dehors (et elle se trompe en cela) une notion que nous sentons tous au-dedans de nous (et en cela nous ne nous trompons pas). Dans les limites de notre expérience intime, cette notion demeure vraie ; elle ne cesse de l'être, que transportée aux choses extérieures et sup- posée en elles sans vérification possible. Mais cette supposition fausse prouve au moins que la notion existe, une notion vraie, et qui, prise à son origine, et dégagée de l'application hasar- deuse qu'on en fait, s'impose par son évidence. Ainsi tout n'est pas erreur dans la Scolastique, et sa fausseté même, que Des- cartes explique et réfute du même coup, recouvre un fond de vérité, dont il se prévaut contre elle et que doivent admettre désormais les partisans de celle-ci comme ses adversaires.

C'est pourquoi il revient, à plusieurs reprises et longuement, sur cette troisième notion, dans ses lettres à Elisabeth, l'été de 1643. Pour lui, ce n'est pas là seulement un principe à la fois

a. Tome III, p. 664, 1. 20, à p. 668, I. 4; p. 684, 1. 10, à p. 685 1. i3, et p. 691, I. 3, à p. 695, 1. i5 : lettres du 21 mai, 10 juin et 28 juin

  • 643.

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�� � Prfncesse Elisabeth. 41 j

de la connaissance et de l'existence ; c'est de plus un principe ou une règle de conduite. C'est presque le tout de l'homme, l'ame seule n'en étant qu'une partie, et le corps seul aussi une partie. Et on s'explique le peu d'heures qu'il accorde dans sa vie à la métaphysique, laquelle regarde surtout l'âme, le peu de temps encore, bien que déjà plus largement mesuré, qu'il accorde à la mathématique, laquelle regarde l'étendue ou le corps : la majeure partie de notre vie est réclamée par la vie elle-même, et cela dans l'intérêt de la science et de la philosophie. Nous avons besoin de beaucoup de relâche, pour vaquer quelquefois à l'étude avec d'autant plus de profit. On pourrait croire d'abord que Descartes ait voulu ménager les forces d'une jeune femme, d'ailleurs de médiocre santé, en lui déconseillant par son propre exemple tout excès de travail ; mais non, c'est sérieusement qu'il parle; il l'affirme du moins, et on doit le croire ". Descartes nous donne une nouvelle variante de l'antique formule, primo uirere, deinde philoso- phari : la vie réelle, avec ses nécessités, et la conduite de cette vie ou la morale, voilà le fond des entretiens du philo- sophe et de la princesse Elisabeth.

L'hiver de 1644- 1645 fut mauvais pour celle-ci. Descartes, retiré dans sa solitude d'Egmond, ne le sut que tardivement, par une lettre de Pollot. Il s'en émut, et envoya à la malade une consultation, à la fois pour le physique et pour le moral, sur les remèdes à prendre et sur la façon de les prendre " : ils ne pouvaient être efficaces, que si on les prenait, l'esprit en paix et presque l'âme en joie. Point de travail intellectuel donc, point de contention du cerveau ; mais se laisser vivre, se promener, se reposer les yeux, en regardant la verdure d'un pré, le vol d'un oiseau, le coloris d'une fleur. Elisabeth recevait de ses médecins les mêmes conseils, entre autres l'in- terdiction de travailler. C'est alors que le philosophe, pour

a. Tome III, p. 690, 1. 10, à p. 693, 1. 17, ei , '-yj, 1. 4-15.

b. Tome IV, p. 204, 1. 2-17 : du 18 mai 1645.

c. Ibid., p. 200-204 ^ï P- 2o5-2o6.

�� � 4^4 Vie de Descartes.

distraire sa malade et prévenir l'ennui, lui écrivit, tous les quinze jours, des lettres sur la morale, et qu'elle y répondit. Nous avons six lettres de Descartes, du 21 juillet au 6 octobre, et même sept, en comptant celle du 3 novembre 1645. De concert avec Elisabeth, il avait choisi pour ces entretiens, qui ne devaient être qu'un divertissement et comme un bon usage philosophique de la maladie, le petit traité de Sénèque, de Vitâ Beatâ.

Mais Descartes n'était pas homme à suivre servilement un texte, et son esprit répugnait à bien entrer dans une pensée qui n'était pas la sienne. Après avoir lu le titre d'un ouvrage, il commençait toujours par rechercher ce que l'auteur avait pu dire, et il trouvait, naturellement, ce que lui-même aurait dit à sa place. Ainsi Sénèque s'attaque d'abord à Epicure. Notre philosophe en prend occasion de dire ce qu'il pense des princi- pales définitions que les Anciens nous ont laissées du souverain bien. Il les réduit à trois : celle d'Aristote, qu'il écarte, et celles d'Epicure et de Zenon, ou des Epicuriens et des Stoïciens, qu'il prétend réconcilier . Selon Aristote, en eflPet, le souverain bien se compose de toutes les perfections dont la nature humaine est capable, tant celles du corps que de l'esprit. Mais ce qui intéresse chacun, c'est de savoir de quel bien lui-même est capable en particulier, celui-ci plus, celui-là moins, chacun selon sa capacité. Voici plusieurs vases, plus ou moins grands, et qui peuvent par conséquent contenir plus ou moins de liqueur : mais tous peuvent être remplis jusqu'aux bords, tous seront alors également pleins. Ainsi chacun de nous peut avoir comme sa plénitude de vertu, ce qui est le bien de Zenon, et avoir par suite tout le contentement d'esprit, toute la joie, qui accompagne la vertu, ce qui est le bien d'Epicure. Descartes ne pensait pas que ce philosophe eût recommandé la seule

a. Tome IV, p. 252-253, p. 263 (du 4 août), p. 268 [du 16 août), p. 271 (du 18 août), p. 278 (août), p. 280 [i^' sept.), p. 287 [i3 sept.), p. 290 (i5 sept.), p. 3oi {3o sept.), p. 304 (6 cet.), p. 320 [du 28 oct.), p. 33o (du 3 nov.).

b. Ibid., p. 275, 1. 22, à p. 277, 1. 14.

�� � Princesse Elisabeth. 41")

volupté du corps, mais plutôt la satisfaction que donne le devoir bien rempli. Dès lors, il n'y a plus incompatibilité entre Epi- curiens et Stoïciens : au contraire, leurs définitions s'appellent l'une l'autre, et se complètent. Descartes emprunte une com- paraison aux exercices de tir, si fort en honneur dans les Pays- Bas. Deux choses sont également nécessaires : un but où l'on vise, et un prix pour qui atteint le but. Epicure a montré sur- tout le prix, qui est le plaisir, et avec une insistance telle qu'il semble n'avoir rien vu d'autre. Zenon affecte de détourner les yeux de la récompense ou du prix, et de montrer seulement le but, qui est la vertu. Mais le plaisir ne va pas sans la vertu, et la vertu pas davantage sans le plaisir, un certain plaisir d'ail- leurs, qui est le seul vrai et solide. Après cette façon originale d'envisager la morale antique, Descartes n'avait que faire d'étudier les opinions de Sénèque.

Dès le commencement, d'ailleurs, avant même de savoir ce que Sénèque avait dit du bonheur ou plutôt de la béatitude en cette vie, il avait indiqué ce que Sénèque aurait dû dire. Des- cartes distingue, bien entendu, entre le bonheur et le malheur, qui sont le fait du hasard et de la bonne ou mauvaise fortune, et la béatitude, que nous pouvons acquérir par nous-mêmes, au moyen de la vertu. Dès 1619, il s'était tracé à ce sujet cer- taines règles, qu'il publia en lôSy*. Il les reprend en 1645, mais dans un autre ordre, qui en change tout le caractère. D'abord la première règle, bonne pour un voyageur, qui doit parcourir bien des pays, avec une philosophie accommodante à la Montaigne, a disparu : Descartes ne parle plus d'obéir, sans examen, aux lois et aux coutumes du pays où l'on est appelé à vivre, ou s'il en parle, c'est à titre de simple conseil, qu'Elisa- beth d'ailleurs n'accepte pas sans réserve. Mais surtout, et c'est là le changement capital, il place résolument en premier lieu une règle, qui n'était que la quatrième en lôSy, et qu'il semblait s'être réservée pour lui-même : à savoir, d'employer

a. Voir ci-avant, p. 56-38.

b. Tome IV, p. 265, 1. 7, à p. 267, 1. ig.

�� � 4i6 Vie de Descartes.

toute sa vie à cultiver sa raison, et à s'avancer en la connais- sance de la vérité. Viennent ensuite les deux autres règles, qui recevront de celle-ci leur contenu, faute de quoi elles ne seraient que des formes vides : résolution ferme et constante de faire toujours ce que dicte la raison, et distinction de ce qui dépend de nous et de ce qui n'en dépend pas. Cette distinction est toute stoïcienne, et Descartes ne prétend pas non plus l'inventer ; mais il revendique comme sienne la définition de la vertu *, fermeté et constance dans la résolution de bien faire. Au fond, c'est la bonne volonté : non pas l'intention seule, mais déjà aussi l'action, dans la mesure où celle-ci est possible; et, ne l'oublions pas, cette volonté est éclairée par la raison. Ainsi entendue, la définition de Descartes comprend tout : elle n'exclut pas, elle implique, au contraire, la raison ou l'enten- dement qui doit fournir à la volonté son objet ; et elle n'est point stérile en oeuvres, puisqu'elle enveloppe aussi dans la pratique les actes qui sont les effets de cette volonté. D'une part, elle fait de la spéculation un devoir, pour connaître le bien, et de l'autre, un devoir aussi de l'action, pour l'accom- plir, la volonté étant placée à l'origine et reconnue et procla- mée le principe des deux. Toute la difficulté théorique est de bien éclairer cette volonté, à la pure lumière de l'entendement. Et c'est aussi ce qui inquiète Elisabeth, et sur quoi Descartes s'efforce de la rassurer.

Il énonce quatre vérités qui, selon lui, doivent servir de principes à l'entendement pour juger de ce qui est bon ou mauvais dans la conduite de la vie. La première est qu'il y a un Dieu, avec tous les attributs que nous pouvons connaître de lui, omniscience, omnipotence, etc.; la seconde, que nous avons une âme, absolument distincte de notre corps ; la troi- sième, que ce monde ou plutôt cet univers est infini, disons au moins indéfini ; la quatrième enfin, que chacun de nous n'est pas à lui seul un tout, mais une partie de ce premier tout qui est

a. Tome IV, p. 265, 1. 19-21.

b. Ibid., p. 291, 1. 1 1, à p. 294, 1. 21.

�� � Princesse Elisabeth. 417

la famille, de ce tout déjà beaucoup plus grand qui est l'État, et de ce tout plus grand encore qui est la société humaine tout entière. De ces quatre vérités, les deux premières, Dieu et Tâme, sont d'ordre métaphysique : elles font l'objet des Méditations, et de la première partie des Principes. Les deux autres appartiennent plutôt à la physique, au sens large du mot ; on les qualifierait aujourd'hui de vérités positives. C'est à elles sans doute que Descartes pensait, lorsqu'il décla- rait en confidence à son ami Chanut, que la physique « lui » avait grandement servi pour établir des fondements certains » en la morale" »; et pour plus de précision, il indiquait à Elisabeth justement le passage des Principes relatif à la gran- deur de l'univers . Si le monde est infini, l'homme peut bien encore, au moins partiellement, en prendre possession par la pensée, et jouir de l'extension ainsi donnée à son être; mais il ne peut plus rapporter T'univers à lui, se croire le centre de tout, sous peine d'ériger en loi de la nature un égoïsme vrai- ment monstrueux. D'autre part, cependant, \\ n'est pas isolé ni perdu dans cette infinité, puisqu'il se trouve engagé, comme partie d'un tout, dans ces sociétés où l'on s'élève, comme par degrés, de la famille à l'État, puis au genre humain, et qu'il ne peut être heureux qu'en s'intéressant au bonheur de toutes, et en y travaillant lui-même. Cette dernière maxime, qui assigne à chacun sa place dans le monde, et en même temps sa tâche ou sa fonction, son office ou son devoir, est préparée par la précédente et la complète. A ce prétendu roi de la création, qui se regardait volontiers comme la cause finale de tout l'univers, comme la fin prin- cipale sinon unique qu'avait en vue la divinité elle-même, il fallait d'abord rappeler sa condition véritable, infime, infinité- simale, si l'on ose dire, un simple trait, un point, dira Pascal % dans l'ample sein de la nature, avant de lui tracer autour

a. Tome IV, p. 441, 1. 24-27 : lettre du i5 juin 1646.

b. Ibid., p. 292, 1. 14-16.

c. Pensées, X. I, p. 72-73. (Édit.Brunschvicg, Paris, Hachette, 1904, in-8.)

Vie de Descartes. 53

�� � 41 8 Vie de Descartes.

de lui, tout près de lui, comme trois cercles de plus en plus larges de devoirs réels à accomplir dans sa vie qui ne devient vraiment humaine qu'en revêtant un caractère moral et social.

Contre cette morale de Descartes, les objections vinrent aussitôt à l'esprit d'Elisabeth, objections surtout théologi- ques ^. Si les deux vérités métaphysiques, Dieu et l'âme, ont l'évidence des vérités mathématiques, et ne sont plus enve- loppées de mystère, d'abord l'homme n'est-il pas vraiment accablé de la grandeur de Dieu et comme réduit à néant ? L'omnipotence et l'omniscience divine ne rendent-elles pas inconcevable et impossible Ja liberté humaine ? Ensuite, si l'âme est distincte du corps au point d'avoir ses fonctions propres, ses joies propres, auxquelles celui-ci est plutôt un obstacle, que ne se délivre-t-elle au plus tôt de ce corps de mort, afin de jouir de la vie spirituelle dans toute sa plénitude et sa pureté ? Un anéantissement complet de l'homme en Dieu, et de la vie présente dans la vie future, c'est-à-dire un absolu mysticisme, tel serait l'aboutissant logique d'une méta- physique aussi sûre d'elle-même; et Elisabeth avait à la fois l'esprit trop clairvoyant et le cœur trop haut placé, pour ne pas signaler à Descartes cette inévitable conséquence.

Mais Descartes n'admet pas que sa métaphysique aboutisse à ces sublimes folies, et il se sauve encore une fois en invoquant l'expérience. Chacun de nous n'expérimente-t-il pas en lui-même qu'il est libre, tout en sachant bien que Dieu est omniscient et omnipotent, et que ses décrets sont immuables î Ne soyez pas libre, si bon vous semble, avait-il dit déjà à Gassend; quant à moi... A cette boutade il ajoute maintenant une comparaison, qui ne vaut guère mieux, celle des duels S interdits comme on sait en France sous Louis XIIL Deux gentilshommes sont ennemis jurés ; le roi le sait, et leur donne cependant des ordres qui doivent amener entre eux une rencontre, et provoquer par suite un défi ; ils se battront sùre-

a. Tome IV, p. 3o2, I. 5, à p. 3o3, 1. i6.

b. Ibid., p. 3i3, 1. 9, à p. 317, 1. 17. Voir ci-avant, p. i33, note *.

c. Ibid., p. 352, 1. 28, à p. 354, 1. 14.

�� � Princesse Elisabeth. 419

ment, mais le roi n'en sera pas cause, dit Descartes : ils se battront librement. Au fond, leur action sera quand même toute spontanée, et le sentiment qu'ils auront de cette sponta- néité, suffira pour qu'elle soit réelle, comme suffisait tout à l'heure le sentiment de la liberté. De même pour la vie présente, comparée à la vie future. Théoriquement, notre vie semble n'être qu'un néant par rapport à la vie éternelle, et on se demande si elle vaut la peine d'être vécue. Pourtant, en fait, nous éprouvons qu'elle est bonne, et que la somme des biens l'emporte sur celle des maux en ce monde ^. Elisa- beth proteste d'abord : toutefois elle continue de vivre, elle tient donc à la vie, laquelle en effet a sa valeur. Descartes, semble-t-il, a pris avec elle le bon parti : le mysticisme ne se combat point par la logique, ni à coups d'arguments, mais par un simple rappel à la réalité.

Quant aux deux autres vérités, fondements physiques de la morale, selon Descartes, Elisabeth hésite à les accepter, non pas comme vérités, certes, mais comme de tels fondements. La morale a reposé si longtemps sur des bases religieuses, que l'on ne saurait les lui ôter sans appréhension : d'autres seront- elles aussi solides ? Mais Elisabeth a l'esprit trop philosophique et trop scientifique à la fois, pour ne pas s'incliner devant l'étendue infinie de l'univers : elle se demande seulement ce qu'il advient alors de la providence particulière de Dieu  ; ou plutôt, dit-elle, ce sont les théologiens qui se demandent cela, et elle ne prend pas l'objection à son compte. Descartes en profite pour dire qu'il n'a pas à répondre aux théologiens ; et puis. Dieu n'est-il pas l'Etre parfait, à qui rien n'est impossible?

La dernière question est plus délicate, et c'est aussi la plus intéressante, celle à laquelle les trois vérités précédentes nous acheminaient : dans quelle mesure, et jusqu'à quel point, chacun est-il tenu de se sacrifier à sa famille, à son prince ou à son pays, à tous ses semblables ? La morale religieuse présen-

a. Tome IV, p. 3i5, 1. 7-10 ; p. 323, 1. 7-21, et p. 333, 1. 8-20.

b. Ibid.. p. 323-324, et p. 333-334.

�� � tait ici le devoir comme un commandement de Dieu : l’homme n’avait qu’à obéir. Mais se soumettra-t-il encore à cette même règle, si on la conserve dépouillée de toute consécration théologique, et si on n’allègue que des raisons physiques en sa faveur"? Des considérations en quelque sorte mathématiques de partie et de tout, où la partie est moindre que le tout et ne le vaut pas, suffiront-elles désormais à la volonté pour se décider? A quoi l’on peut répondre, que les termes de tout et de partie ne sont que la forme extérieure d’une vérité profonde; et une fois de plus, le philosophe invoque la réalité que nous sentons en nous : notre nature humaine, c’est-à-dire cette union d’une âme et d’un corps, est ainsi faite que nos passions, ou nos douleurs et nos joies les plus vives, se trouvent attachées à des actions qui ont précisément pour objet ces autres nous-mêmes, avec qui nous ne faisons qu’un tout, duquel même souvent nous nous estimons la moindre partie. Notre bonheur ou notre malheur dépend de cette réalité ; et dès lors doit cesser toute hésitation. C’est là encore une vérité d’expérience, irréfutable comme indémontrable, mais qui n’a pas besoin non plus d’être démontrée, puisqu’elle est connue en elle-même, par intuition, et que nous en avons tous une notion primitive.

Descartes est ainsi amené, par les objections d’Elisabeth, à expliquer de plus en plus sa pensée. Son petit traité des Passions de l’âme n’a pas d’autre origine. L’aurait-il écrit de lui-même ? On ne saurait dire. Mais ce fut pour répondre à une question d’Elisabeth, qu’il se mit à définir et à dénombrer les passions. Cette étude préalable, d’ailleurs, n’était pas moins nécessaire à la morale, que celle des perceptions de nos sens ne l’avait été à la physique. Nous avons vu que la grande erreur dans les sciences était de prendre le chaud et le froid, le pesant et le léger, le dur et le mou, la lumière, le son, les odeurs, les saveurs, etc., qui ne sont que des senti-

a. Tome IV, p. 3o3, 1. 5-i6 ; p. 3o8-3oq ; p. 3.i6-3i7, et p. 324, 1. 7-18.

b. Ibid., p. 289, 1. 25; p. 309. 1. 27. et p. 3i3, 1. 14-18. Princesse Elisabeth. 421

ments de l'âme (nous dirions aujourd'hui des sensations), de les prendre, dis-je, pour des qualités des objets eux-mêmes, et de les transporter, de les réaliser dans ces objets. De même la grande erreur en morale est de nous fier trop aussi à ce que nous éprouvons d'agréable ou de pénible, en un mot à nos passions : elles nous induisent à attribuer indûment les quali- tés de bonhes et de mauvaises aux causes extérieures de ces passions, c'est-à-dire à des choses qui en elles-mêmes ne sont rien moins que telles. Il convient donc d'examiner aussi nos passions, de ne voir en elles que ce qu'elles sont, à savoir de pures modifications de nous-mêmes, sans renseignements dignes de foi sur la valeur des objets, et de dissiper le mirage trompeur qu'elles répandent sur la nature au point de vue de ce qui est bon ou mauvais, comme les perceptions au point de vue du vrai et du faux. Nous étudierons en son lieu ce petit Traité des passions; mais dès maintenant il importait d'en marquer la place dans l'œuvre de Descartes, et l'intérêt qu'il présente à la fois pour sa physique, dont il est une suite et une dépendance, et pour sa morale, dont il est une préparation nécessaire et comme une introduction.

Cette série de lettres morales fut interrompue brusquement par un événement qui bouleversa toute la petite cour palatine à La Haye : à savoir la conversion au catholicisme du prince Edouard, condition de son mariage en France avec une princesse catholique, Anne de Gonzague. La douleur d'Elisabeth montre combien était sincère son attachement au protestantisme, et combien profond en elle le sentiment religieux *. Mais par contre, la lettre que lui écrivit Descartes, montre aussi qu'il était loin de prendre la chose au tragique. D'abord, en sa qualité de catholique, il ne pouvait pas désapprouver. Puis le prince Edouard n'avait fait qu'imiter, en sens inverse, ses ancêtres, convertis jadis du catholicisme au protestantisme : envisagé ainsi dans la suite des temps, un changement de religion ne

a. Tome IV, p. 335-336 : lettre du 3o nov. 1645. Voir aussi p. 337-338 et p. 667-668. Réponse de Desca'-tes, janv. 1646 : ibid., p. 35i-352.

�� � 422 Vie de Descartes.

lui paraissait pas une si grande affaire. Et même il va jusqu'à trouver un biais, qui présente cette conversion sous un jour plutôt avantageux : la maison palatine, dans ses malheurs, n'a- t-elle pas intérêt à compter quelques-uns de ses membres dans les divers partis, disons dans tous les camps? Ceci est peut-être de la bonne politique, mais ne prouve pas que Descartes consi- dérât la religion, c'est-à-dire pourtant la question du salut éternel, comme le tout de l'homme. Descartes était au plus haut degré un esprit philosophique : ce n'était pas une âme religieuse. Elisabeth n'avait point sujet d'être autrement satis- faite de telles consolations, et peut-être faut-il attribuer à un petit refroidissement l'intervalle entre cette lettre de janvier 1646 et la suivante du 25 avril ^. Toutefois cela ne dura pas : la princesse et le philosophe avaient dû se revoir en mars 1646, s'expliquer sans doute de vive voix, et l'intimité fut rétablie, si tant est qu'elle eût besoin de l'être; à peine y eût-il un léger nuage dans un ciel aussitôt rasséréné.

Ce fut alors qu'éclata ce drame, dont nous ne connaissons que les événements extérieurs et publics, le meurtre, disons franchement, l'assassinat d'un gentilhomme français, L'Espi- nay, par un autre frère d'Elisabeth, le prince Philippe, âgé de vingt ans^. L'honnête Brasset, malgré sa prudence et sa réserve habituelle, contient à grand peine son indignation : ce sang, dit-il, crie vengeance. Philippe n'échappa que par la fuite à des poursuites judiciaires, abandonnées d'ailleurs presque aussitôt. Le crime fut commis un jeudi 20 juin 1646. Le i 5 août suivant, Elisabeth quittait La Haye, sur l'ordre de sa mère, semble-t-il, avec une de ses jeunes sœurs, Henriette, pour se rendre chez leur tante, l'électrice de Brandebourg ^ Son absence ne devait

a. Tome IV, p. 404-406 et p. 404, note a.

b. Ibid., p. 449-452 et surtout p. 670-675.

c. Voir ci-avant, p. 401, note b. La princesse Elisabeth partit avec « Madame Catherine », dit Brasset (cité t. IV, p. 673), c'est-à-dire, non pas Catherine de Lorraine, comme nous avions conjecturé à tort (ibid.), mais la princesse Catherme de Brandebourg, sœur de Georges-Guil- laume (voir t. V, p. 225, note e), lequel était oncle d'Elisabeth par

�� � Princesse Elisabeth. • 42 j

durer d'abord que six à sept mois; en réalité, la princesse ne revint jamais en Hollande, mais passa les années suivantes en Allemagne; plus tard, son frère aîné étant rétabli dans le Palatinat, elle ira l'y rejoindre quelque temps. A distance, le rapprochement des dates ferait croire que l'événement du 20 juin ne fut pas sans influence sur un départ qui suivit d'aussi près. Elisabeth aurait-elle trempé dans ce drame de famille, et son éloignement serait-il devenu nécessaire ? La reine de Bohême, qui ne pardonnait pas au prince Philippe son crime, aurait-elle pris en aversion sa fille, soupçonnée sinon convaincue de complicité ? Elle-même, la mère, aurait eu des bontés, s'il faut en croire Tallèmant des Réaux", pour le jeune gentilhomme français. Mais surtout, et la chose est avé- rée, celui-ci aurait obtenu les faveurs d'une sœur d'Elisabeth et de Philippe, la légère et inconstante princesse Louise-Hol- landine, dont la conduite plus tard en France, comme abbesse de Maubuisson (elle aussi se fit catholique), ne sera rien moins qu'édifiante. Elisabeth était sensible à tout ce qui touchait l'honneur de sa maison, au point de ne pas reculer peut-être devant une vengeance, fût-ce une exécution capitale, qui

alliance. Outre sa tante, celle-ci trouva en Brandebourg un cousin germain, l'électeur régnant, Frédéric-Guillaume, né le 6 février 1620 (qui vint épouser à La Haye, cette même année 1646, le' 7 décembre, la princesse Marie, fille aînée du prince d'Orange : peut-être Catherine était-elle venue en août préparer ce mariage); et une cousine-germaine, Hedwige-Sophie, sœur de l'électeur, née le 4 juillet 1623, qui épousa en 1649, Guillaume, landgrave de Hesse-Cassel. Elisabeth complétera l'éducation de cette cousine.

a. Cité t. IV, p. 431 : « Il cajolla d'abord la mère. « Brasset écrivait à M. de La Barde, 29 août 1639 : « Avant hier arriva icy vn gentilhomme » de Normandie, nommé de l'Efpinay, qui a efté à Monfieur. Il di£l » venir chercher les occafions de la guerre en ce pays, & que le meilleur » ell de s'ellongner de France, afin d'efvitcr d'eltrc fufpecl en beaucoup » d'accidens qui arrivent... »<Paris, Bibl. Nat., MS. fr. 17893, f» 566.) Rappelons que la reine de Bohême, Elisabeth Stuart, était née le 19 août 1596. Elle avait donc, entre 1639 et 1646, de quarante-trois à cinquante ans. Sa fille, Louiçe-HoUandine, était née le 18 avril 1622. (Voir ci-avant, p. 402, note a.)

�� � pouvait paraître un acte de justice (ainsi plus tard, à Fontainebleau, la reine Christine de Suède fera exécuter sous ses yeux Monaldeschi) ; et elle aurait été jusqu’à approuver son frère, sinon jusqu’à s’associer au complot et armer elle-même sa main.

Mais on peut donner aussi de ce voyage en Brandebourg une autre explication. Élisabeth s’occupait activement des intérêts de sa famille ; elle pouvait les servir auprès de l’électeur de Brandebourg, comme faisaient ses frères à la cour d’Angleterre, et même le prince Édouard à la cour de France. Et de fait, nous la verrons l’année suivante sur le point de passer en Suède, auprès de la reine Christine, fille de Gustave-Adolphe, afin d’intéresser celle-ci aux affaires de la maison palatine : elle demandera là-dessus les instructions de sa mère et de son frère aîné, restés en Hollande, et même l’avis de Descartes [369]. Peut-être donc le voyage à Berlin, annoncé d’ailleurs comme une promenade en compagnie d’une de ses jeunes sœurs, sous la conduite d’une parente qui était presque une tante, n’avait-il d’abord qu’un but politique ; et s’il se prolongea outre mesure, c’est qu’Élisabeth se plaisait mieux dans le Brandebourg qu’en Hollande, où la petite cour de la reine de Bohême, bien qu’on y jouât quelquefois du Corneille, n’offrait pas tous les jours un modèle de bon goût ni de délicatesse [370]. Il ne s’agirait plus alors d’exil pour la princesse, et le meurtre de L’Espinay n’aurait été pour rien dans son départ, le prince Philippe lui-même ayant fini d’ailleurs par rentrer en grâce, à la longue, auprès de la reine sa mère.

Mais ce qui serait intéressant à connaître, et que sans doute nous ne connaîtrons jamais, ce furent les entretiens de Descartes et d’Élisabeth, qui suivirent le tragique événement du 20 juin 1646. Descartes vint au moins deux fois à La Haye, et vit la princesse : ce qui explique qu’il ne dit mot, dans ses lettres, de ce que celle-ci appelle « un nouveau malheur de sa maison [371] ». Et ce terme même dont elle se sert, ne montre-t-il pas qu’elle le déplorait, et sans doute le regrettait ? Ne dira-t-elle pas encore, dans une lettre suivante, que la violence était tout à fait contraire à sa nature ? Et Descartes aussi, dans une lettre de l’année précédente, n’avait-il pas, comme par un singulier pressentiment, condamné la vengeance ? Toutefois,


Haye, où il y a sept ans que le frottage de Hollande n’a operé. À son arriuee en ce beau lieu la, elle se donna tellement au cœur ioye de manger des fruictz qu’elle en ioüa du baston à deux boutz. Mais s’estant bien escuree, elle en a vsé du depuis liberalement & sainement. » (Ibid., 17901, f° 610.)
    À M. de La Thuillerie, 21 sept. 1649 : « … Nostre Cour est renforcee de celle de la Reyne de Bohesme, qui n’a non plus changee en son voyage de Gueldres, que M. son filz en celuy d’Angletre. Et pour preuue, ie vous diray, Monsieur, qu’ayant à son arriuee enuoyé sçauoir de ses nouuelles, la responce fut qu’elle auoit impatience de me veoyr pour m’en compter. Que fut-ce ? C’est que la pauure contesse de Leuestein, ioüant aux cartes auec Creuent, adossee contre la portiere du carrosse, vn cahot la feit ouurir, & la pauure dame feit le chesne fourchu. Voyla de quoy fut la (sic) triomphe… » (Ibid., f° 649.)
    À M. de La Cour (résident de France à Osnabruck), 15 nov. 1649 : « … Vous sçauez, Messieurs, les incommoditez de la Maison palatine, & ie veoy auec beaucoup d’autres les souffrances de la Reyne de Bohesme, reduicte quasy à ne pas auoir du pain pour sa Cour… » (Ibid., f° 791.)
    À M. de La Thuillerie, 9 déc. 1649 : « … La Reyne de Bohesme veut que vous sçachiez que, se trouuant pressee du derriere, elle donna bien de l’exercice à sa femme de chambre. Ie ne vous sçaurois dire plus ciuilement, Monsieur, ce que vous entendrez assez. » (Ibid., f° 856.) 426 Vie de Descartes.

dans leur dernier entretien, le philosophe et la princesse convinrent de prendre comme sujet de correspondance le livre de Machiavel, Il principe, de même qu'ils avaient ciioisi d'abord le De Vitâ Beatâ de Sénèque. N'y a-t-il pas là encore un rapprochement qui donne à penser ? Ou bien n'y faut-il voir que la suite naturelle d'un dessein prémédité ? Etudier les devoirs de la vie civile, après ceux de la vie particulière : après la morale, la politique".

Les réflexions de Descartes et d'Elisabeth sur Machiavel sont telles qu'on pouvait les attendre d'esprits philosophiques, mais qui ont le souci des réalités. L'un et l'autre réprouvent, en principe, des maximes et des pratiques si contraires à la morale ; l'un et l'autre comprennent cependant qu'en certains cas, en certaines circonstances, un tyran qui s'empare du pou- voir, soit amené, pour s'y maintenir, à une série d'actes que sa situation commande. La violence appelle la violence, le men- songe engendre le mensonge, le mal ne produit que le mal ; et c'est pourquoi dès l'origine mieux vaut l'éviter. Mais le philo- sophe et la princesse abandonnent vite Machiavel, pour ne s'occuper que du présent et de l'avenir de la maison palatine.

Nous avons dit qu'Elisabeth projeta, en 1647, d'accompa- gner en Suède la reine-mère, veuve de Gustave-Adolphe, et de se rendre à la cour de Stockholm. Descartes conseilla for- tement ce voyage ; lui-même, dans des lettres qu'il écrivit alors à notre résident en ce pays, Chanut, prépara les voies, en faisant l'éloge d'Elisabeth, Mais la reine Christine ne parut pas se soucier de voir cette princesse, et fit manquer le voyage par des procédés que ressentît vivement celle-ci, et que Descartes lui-même ne put se refuser de blâmer, malgré tout son respect pour une tête couronnée.

Un peu plus tard, il eut l'occasion d'intervenir encore dans deux circonstances mémorables. La paix de Westphalie, qui

a. Tome IV, p. 486-493 : sept. 1646. Voir aussi p. 493-494. Réponse d'Elisabeth, 10 oct. : p. 519-524. Descartes y revient, p. 53i, 1. 9-20. Mais déjà, p. 405-406 : du 25 avril 1646.

�� � Princesse Elisabeth. 427

devait terminer cette longue guerre de Trente Ans, rétablis- sait enfin la maison palatine dans ses biens et dignités, non pas entièrement toutefois. Le prince héritier ne recouvrait pas son titre héréditaire d'électeur palatin, transféré depuis 1623 au duc de Bavière ; mais un électoral nouveau était créé en sa faveur. Surtout il ne recouvrait que la moitié de ses États, à savoir le Bas-Palatinat sur le Rhin ; l'autre moitié, le Haut- Palatinat demeurait également annexé à la Bavière. On fut quelque temps perplexe à la cour de la reine de Bohême : celle-ci, et surtout son fils aîné, Charles-Louis, hésitaient à accepter. Elisabeth, qui était toujours à Berlin, paraît avoir eu la même hésitation ; on la consultait donc, et elle donnait son avis ; elle demanda même l'avis de Descartes, puisque celui-ci le donne tout au long et avec force raisons à l'appui \ Pour notre philosophe, que n'embarrasse pas le point d'honneur d'une famille royale qui a régné, il n'y a pas à hésiter : on doit accep- ter ce qui est offert ; la moindre partie d'un pays tel que le Palatinat (et Descartes le connaissait un peu, pour l'avoir tra- versé en 1619) vaut mieux, assure-t-il, que tout l'empire des Moscovites. Et il parle même de s'y retirer un jour auprès de la princesse Elisabeth ; il se considère déjà comme de sa maison, comme « son domestique » , dit-il, employant ce tefme au sens qu'il avait en ce temps-là auprès des grands, titre d'hon- neur plutôt que marque de servitude.

L'autre occasion fut la mort tragique de Charles 1", roi d'Angleterre, décapité à Londres le 9 février 1649. C'était l'oncle maternel d'Elisabeth. Descartes écrivit donc à la prin- cesse une lettre de consolation", lettre qui n'a, certes, rien de banal, et telle qu'un philosophe seul pouvait avoir l'idée de l'écrire à un esprit qu'il croit aussi philosophe que le sien.

a. Tome V, p. 284, 1. 3, à p. 285, I. 2') ; lettre du 22 févr. 1649. Voir aussi p 286-289. Descartes connaissait le Palatinat : voir ci-avant, p. 46-47 et p. 61-62.

b. Ibid., p. 33 1,1. 4-6 : du 3 1 mars 1649.

c. Ibid., p. 281-283 : même lettre du 22 févr. 1649. Voir aussi, p. 285- 286, plusieurs lettres de Brassât.

�� � 428 Vie de Descartes.

On se demande, toutefois, si quelques paroles, mais parties du cœur, fussent-elles semblables à ce qui se dit communément en pareil cas, n'auraient pas autrement consolé que les consi- dérations même les plus raisonnables. Pourtant un prédicateur, dans une oraison funèbre, prononce parfois aussi du haut de la chaire, à son point de vue théologique, des discours bien inhumains ; et on n'en est pas toujours scandalisé. Descartes se transporte de même à des hauteurs 'métaphysiques ; il dépouille le fait de tout ce qui en fait l'horreur pour les sens, et ne retient que ce qui est à la louange de la royale victime. Ce roi méritait mieux aussi qu'un éloge ordinaire, lui qui, le matin de sa mort, avait voulu qu'on le parât «comme » un marié » : bas de soie et souliers à boucles d'or, culotte et pourpoint de velours noir, manchettes au petit-pli et col en point de Gênes, les cheveux bouclés et parfumés. C'est ainsi que, superbe d'élégance et de fierté, la tête haute, et d'un pas de promenade, Charles I" avait marché à l'échafaud^.

Une chose en tout cas est indéniable : c'est l'intérêt que Descartes porte à Elisabeth, et le zèle qu'il témoigne en ce qui la regarde. Jamais il ne l'oublie, quand il écrit en Suède; et à peine arrivé à Stockholm, dès la première audience que lui accorde la reine, il s'empresse de l'entretenir de la princesse palatine".

Chanut ne se trompait donc pas, lorsque, faisant part à Elisabeth de la mort du philosophe, il assura que, si celui-ci avait eu le temps de se reconnaître, il aurait eu pour elle une dernière parole de respect". En fidèle exécuteur testamentaire, Chanut mit à part, comme un trésor, les brouillons des lettres à Elisabeth et les réponses de celle-ci. Il aurait bien voulu conserver ces dernières et les publier ; il en demanda la

a. Eugène Dekrance, L'esprit mystique de la Révolution d'Angleterre, d'après les mémoires d'un serviteur, sir Thomas Herbert, sur les der- niers moments du roi. (Mercure de France, 16 nov. 1909, p. 284-292.)

b. Tome V, p. 429-480 : du 9 oct. 1649.

c. Ibid., p. 474. Et pour ce qui suit, p. 471-475 ; lettres du 19 et du 22 févr. i65o.

�� � Princesse Elisabeth. 429

permission. Mais Elisabeth, qui gardait peut-être rancune à Chanut de son voyage manqué en 1647, refusa, et se fit renvoyer tout ce qui était de sa main. Il fallut attendre jusqu'en 1879, qu'une copie de ses lettres, qu'elle avait tout de même laissé prendre, copie conservée dans la bibliothèque du baron de Pallandt, au château de Rosendaal, près Arnhem, fût publiée par Foucher de Careil*. Mais les lettres de Descartes à Elisa- beth, ainsi qu'à la reine Christine, figuraient depuis longtemps à la place d'honneur, c'est-à-dire en tête du premier volume publié par Clerselier en i65j^. Elisabeth, d'ailleurs, bien que certainement elle regrettât Descartes, n'avait pas dédaigné en i652 un hommage qui lui serait venu du principal adver- saire de son philosophe, Gassend lui-même : Sorbière pré- parait une traduction française du Syntagma Philosophicum de ce dernier, et il écrivit (en son nom, il est vrai, et non pas de Gassend), comme dédicace à la Sérénissime Princesse*^,

a. Foucher de Careil, Descartes, la Princesse Palatine et la reine Christine (Paris, Germer-Baillière, 1879, in-8, p. 219; 2' édit., Alcan, 1909). Les fautes de cette publication un peu hâtive ont été corrigées dans la présente édition, après une revision de la copie MS. au château de Rosendaal près Arnhem, en sej'fembre 1894.

b. Tome I, p. xx-xxi, p. xx:' et p. xlvii. De bonne heure on avait réuni, au moins en un cahier sï.anuscrit, les sept lettres principales de Descartes à Elisabeth, celles que Clerselier a imprimées les premières. Voir t. IV, p. 666-667..

c. Sorbière, Lettres & Difcours, etc. (Paris, 1660.) Lettre XV, « d'Orange, le 5 de juin i652. A la fereniffime Princeffe Elizabeth, pre- > miere fille de Frédéric, Roy de Bohême, Comte Palatin & Prince » Eleéleur de l'Empire. »

« Madame, « Il y a quelques années qu'il plut à Voftre Alteffeme commander, à » La Haye, de lui dire mes fentimens fur une quellion curieufe & diffi- » cile, de la preuve de laquelle, par des raifons naturelles, les deux plus » grands philofophes de ce liecle ne dcmeuroient pas bien d'accord, » pource qu'ils ne fuivoient pas une mefme méthode, quoiqu'ils vou- » luffent tirer une mefme conclufion. Ils polbient tous deux, comme une » vérité inébranlable, que l'ame de l'homme eftoit immatérielle. Le pre- » mier fouflenoit que les raifons qu'il avoit apportées dans fes Medi- » tations Meiaphyfiques, avoient la force de Demonftrations Mathema-

�� � 4}0 Vie de Descartes.

une lettre qui était le pendant de celle de Descartes en tête des Principes. La traduction du. Syntagma ne parut pas ; mais Sorbière publia sa lettre en 1660. Ainsi la princesse palatine, devenue en 1667 abbesse de Herford, monastère luthérien de Westphalie, et en même temps résidence prin- cière, put jouir jusqu'à sa mort, le 8 février 1680, de la

» tiques, & eftoient les feules que l'on pouvoit inventer. L'autre n'y 1) voyoit pas cette évidence, ne defefperoit pas que la pofterité n'en pût » découvrir de plus fortes, & croyoit au fond que celte matière, eilant de » la Foy Divine, dependoit principalement de l'autorité de l'Eglife, & de » la révélation que Dieu nous a faite dans les Saintes Ecritures, plutoft » que d'aucun raifonnement humain. Ce fut. Madame, la différence que » je dis alors à Voftre Altefle qu'il y avoit entre la méthode de M. Def- » cartes & la Difquifition de M. GalTendi. Sur quoi vous prîtes occafion » de vous informer plus particulièrement de ce dernier, & je fatisfis à » cette louable curiofité, félon l'exade connoiffance' que j'avois de la » pieté, des mœurs & du favoir de cet homme incomparable. Je ne veux » pas, Madame, en faire ici l'éloge; car c'eft affez le louer que de dire » que Voftre AltelTe fe fouvient de lui, & qu'elle ne fera pas marrie de » voir en françois ce qu'elle a déjà pu voir de lui en une autre langue. » Il eft vrai que je n'euffe jamais ofé entreprendre de l'offrir à Voflre » Alteffe, fi ce qu'il lui a pieu de me faire écrire, par M. le Comte » Chriftophle de Dona, de continuer J'i'crit dont ce feigneur lui avoit s prefenté quelques cahiers, ne m'en v\'.\ donné la hardieffe. J'ay confi- » deré d'ailleurs qu'il ne feroit pas uie chofe nouvelle de voir le » nom de Voftre Alteffe au devant d'un ouvrage philofophique, & que » tout le monde fait que vous vous plaifez à cette forte d'étude... » (Pages 69-70.)

Sorbière rappelle dans cette lettre « Marie Stuart, reine d'Ecoffe, bis- » ayeule de Voftre Alteffe -> (p. 71), puis « une Marie de Gournay, la » Marie Schurman de noftre France » (p. j2>). Dans la lettre suivante. Lettre XVI, du 3 juin i652, « A M. le Comte Chriftophle Delphique » Burgrave de Dona », dont il avait reçu les commandements de la prin- cesse, on lit cette phrase de Sorbière : « J'ai pris la liberté de tracer une » lettre à fon AltelTe, qui pourroit fervir de Dédicace, fi le corps entier » de celles que je vous écrirai avoit quelque jour à eftre publié. » (Pages 79-80.) Sorbière se proposait, dans une sérié de lettres, d'expliquer la philosophie de Gassend et d'Epicure. La publication ne se fit pas, et non plus celle de la traduction du Syntagma. Celle-ci s'imprimait cepen- dant en i652 ; mais l'impression en fut arrêtée « pour complaire à Gaf- » fendi ». (Page 19 des Mémoires non paginés de Graverol, Sorberiana, Tolofae, M.DC.XCI.)

�� � Princesse Elisabeth. 4^1

haute réputation de science et de vertu, que lui assurait l'écla- tant témoignage, comme dit Sorbière, des deux plus grands philosophes du siècle*.

a. Constantin Huygens, qui avait lui-même bientôt quatre-vingt- quatre ans, a noté cette mort dans son Dagboek : « 8 Febr. {1680). Obit » Herfordiœ Princeps Elisabetha Palatina AbbatilVa, cui fuccedit Prin- » ceps Elizabetha Albertina Anhaltina coadjutrix ii defundà elecla. » Voir, à cause de quelques documents sur Herford, Victor de Swarte, Descartes Directeur Spirituel (.Paris, Alcan, i904\ Et antérieurement : Une amie de Descartes. Elisabeth, princesse de Bohême, par Joseph Bertrand (Revue des Deux Mondes. \" rtov. 1890). — Une amitié intellec- tuelle. Descartes et la princesse Elisabeth, par Dugas. [Annales Je Bretagne, janvier 1891, p. 223-263.)

�� � CHAPITRE II

VOYAGES EN FRANCE

PREMIER VOYAGE

(1644)

��Descartes avait quitté la France en 162g ou même 1628, et pendant plus de dix ans, jusqu'en 1640, il ne paraît pas avoir songé à y revenir, fût-ce pour un voyage de quelques mois. Mais cette année 1640, il y était à peu près résolu" : son père ayant près de soixante-dix-sept ans, il devait se hâter, s'il vou- lait le revoir une dernière fois. Il lui écrivit donc, le 28 octobre, pour annoncer son prochain retour. C'était déjà trop tard : le vieillard était mort le 17, et avait été enterré à Nantes le 20 du même mois. Il semble bien que Descartes perdit presque en même temps sa sœur aînée, Jeanne Descartes, dame du Créviss Chose étrange, sa famille paraît avoir négligé de lui faire part de ces décès : la correspondance n'était point des plus régulières avec le philosophe retiré en Hollande. Peut- être aussi "n'avait-on point son adresse exacte ; nous voyons, dans une lettre de 1646, que les lettres de son autre sœur, Anne Descartes, dame d'Avaujour, lui étaient envoyées par l'intermédiaire de Mersenne : il en recevait ainsi deux ou

a. Voir ci-avant, p. 272-273, note e. les causes qui retardèrent ce voyage projeté (affaire Stampioen-Waessenaer, etc.).

b. Tome III, p. 228-229.

c. Voir ci-avant, p. 16, note c.

�� � Voyages en France. 4}}

trois par an '. De même, pour les lettres de son second frère Joachim. Peut-être l'aîné, Pierre Descartes, à qui il appar- tenait d'annoncer la mort de leur père, était-il moins exact à lui écrire, et manqua gravement en cette circonstance. Descartes lui écrivit le 3 décembre ; mais nous ne le savons que par Baillât, qui avait la lettre sous les yeux ; la teneur de cette lettre, qu'il eut été si intéressant de connaître, est maintenant perdue*'. D'autre part, nous ignorons aussi les sentiments du père pour ce fils, qu'il jugeait « ridicule, de se » faire relier en veau » ; c'est du moins le propos qu'on lui prête, après la publication de lôSy. On peut d'ailleurs l'inter- préter de bien des façons : dépit du vieux magistrat contre un fils qui n'avait pas suivi la carrière, ou simple plaisanterie, mêlée de satisfaction secrète à l'endroit de son cadet, qui ne laissait pas ainsi de faire honneur à la famille s

a. Tome IV, p. 872, 1. 3-9, et t. V, p. 552 : lettres du 2 mars 1646 (sa sœur) et du 29 janv. 1647 (son frère).

b. Tome III, p. 252. Voir aussi pourtant la lettre précédente, p. 25i,

1. 22-23.

c. Voir ci-avant, p. 7-8. L'anecdote est tirée d'un MS. d'Eustache de Rosnyvinen de Pire, qui transcrivit en 1737 un rapport sur le procès criminel de Chalais en 1626, rapport tout entier de la main de Joachim Descartes père, et conservé dans la famille de son fils Joachim Descartes de Chavagne. Eustache de Rosnyvinen était fils de Christophe de Rosny- vinen, marquis de Pire, qui avait épousé, le 3i août 1676, Louise-Pru- dence Descartes, petite-fille de ce Joachim Descartes de Chavagne, le demi-frère de notre philosophe. Il est naturel que, nouvellement entré dans la famille, le marquis de Pire ait interrogé curieusement le grand- père de sa femme, lequel ne mourut qu'en 1680, sur les souvenirs per- sonnels qu'il avait gardés du grand Descartes. Et le témoignage du sieur de Chavagne qui paraît avoir été un bon frère, et sans doute aussi un bon fils, mérite créance, se trouvant ainsi rapporté. Le voici donc en propres termes : « Joachim Descartes, rapporteur du procès de Chalais, » était père du fameux philosophe René Descartes, sieur du Perron. II » étoit très fâché de voir que son fils s'adonnât à l'étude de la philoso- » phie, au point d'écrire et de faire des livres. Il ne prévoyoit pas sans » doute le cas qu'on devoit dans la suite faire de lui et de ses écrits, » lorsqu'il dit ce qui suit à autre Joachim Descartes, son fils du second » lit, qui Ta raconté à Christophe de Rosnyvinen, père du copiste et - mari de Prudence Descartes, petite-fille dudit second Joachim : De

Vie de Descartes. 55

�� � 4J4 Vie de Descartes.

Descartes fut sincèrement affligé de ce double deuil ; et il le dit dans une lettre de consolation à son ami PoUot, qui peu après perdit lui-même un frère ^. En outre, notre philosophe avait vu mourir, peu auparavant, le 7 septembre, à Amers- fort, à l'âge de cinq ans, l'enfant qu'il avait eue en i635 de cette femme dont on ne connaît que le nom, Hélène ; et la mort de sa petite Francine lui laissa, nous l'avons vu, « le » plus grand regret qu'il eût jamais senti de sa vie  ».

Les disputes dans lesquelles il se trouva presque aussitôt engagé, firent diversion, et retardèrent ce voyage en France, qui dès lors était devenu moins pressant >=. Les Réponses aux

» tous mes enfants, je n'ai de mécontentement que de la part d'un seul. » Faut-il que j'aie mis au monde un fils asse':{ ridicule pour se faire » relier en veau ! » (S. Kopartz, La Famille Descartes en Bretagne, i586-i'762. Mémoires de l'Association bretonne, 1876, p. 100; cf. p. 75 et p. 110.) A la date où ce propos fut rapporté, de 1676 à 1680, il fallait qu'il eût été réellement tenu, pour que le frère de Descartes ne fût pas tenté de l'atténuer quelque peu, par respect pour la mémoire de leur père commun. Notons cependant que personne de la famille n'en souffla mot à Baillet pour la Vie de Descartes, en 1691, et que l'anecdote demeura consignée dans des papiers qu'on tenait secrets.

a. Tome III, p. 278-279 : janvier 1641. Faire toutes réserves sur la note a : voir t. IV, p. 373.

b. Voir ci-avant, p. 287-288.

c. D'autant plus que les affaires de famille se réglèrent sans lui. Ropartz a retrouvé, dans les archives de Pire, l'acte de partage de la suc- cession de Joachim Descartes, à la date du 25 octobre 1641. Les trois enfants du premier lit prélèvent une somme de 11 794 liv. 17 s. 9 d., provenant de la succession de Jeanne Sain, leur aïeule maternelle. Ceux du second lit prennent à leur tour 37 625 livres. La seconde commu- nauté doit à la succession le prix de la charge du père au Parlement, 36 000 livres ; plus, pour propres paternels aliénés, 41 420 livres. Les co-partageants procèdent ensuite à l'exécution du testament de leur père, du 29 septembre 1640. René Descartes, absent lors de ce partage, reçut :

I" Le lieu et métairie de la Courgère, en la paroisse d'Ouairé (ou Oiré), diocèse de Poitiers ;

2° Le lieu et métairie de Beauvais, en la paroisse de Saint-Christophe, diocèse de Poitiers ;

3° Et la maison appartenant au défunt père commun, dans la ville de Châtellerault.

Pierre Descartes racheta à son frère la maison de Châtellerault, et les

�� � Voyages en France. 4J 5

Objections faites à ses Méditations, lui prirent au moins la première moitié de 1641 ; puis il s'occupa d'une seconde édi- tion, avec les additions que nous avons vues (Réponses aux septièmes Objections, et Lettre au P. Dinet), pendant les premiers mois de 1642; puis survinrent les deux pamphlets de Gisbert Voët, Philosophia Cartesiana et Confraternitas Mariana, en 1643, avec la double riposte de Descartes et les ennuis qu'il eut à Utrecht et à Groningue ; enfin, au milieu de ces diverses besognes, la rédaction des Principes allait son train quand même, et bientôt on les imprima à Amsterdam, chez Louis Elzevier. L'achevé d'imprimer est du 10 juillet 1644. Mais Descartes n'avait pas attendu jusque-là : il s'était fait promettre qu'on lui enverrait les exemplaires en France, et sitôt la belle saison venue, il avait quitté Egmond, pour entreprendre enfin son voyage.

Le 2 mai 1644, il se trouvait à Leyde, d'où il écrivit à l'abbé Picot*. De Leyde, il se rendit à La Haye, d'où il adressa aussi une lettre à la princesse Elisabeth. De plus, il fit dans cette même ville la rencontre de Sorbière, qui ne manqua pas de saisir le philosophe au passage et, si l'on ose dire, de V interviewer. Déjà, en 1642, aussitôt arrivé en Hollande, ce même Sorbière, tout jeune encore (il avait à

deux fiefs de la Courgère et de Beauvais, moyennant une rente de 5oo livres et un capital de 4 000 livres une fois payé. (Ropartz, loc. cit., p. io3-io5.)

Descartes n'avait pas attendu ce règlement de la succession paternelle, pour augmenter, semble-t-il, son train de maison, et s'installer à plus grands frais : son installation à Endegeest date de la fin de mars 1641. (Tome III, p. 35o-35i.) Mais peut-être aussi avait-il eu connaissance auparavant du testament de son père, en date du 29 septembre 1640. Toujours est-il qu'il avait donné à des amis, par acte du i3 février 1641, procuration pour ses affaires. [Ibid., p. 262 et p. 471.) L'un d'eux était Claude du Bouexic, sieur de la Chapelle, baptisé le 6 juin iSgo, et décédé le 7 décembre i658, à Rennes. Conseiller au présidial de la même ville, dès 1623, puis au Parlement de Bretagne : lettres de provision, 5i août 1645 ; réception, 27 octobre suivant. [Le Parlement de Bretagne, 1^54-i/go, par Frédéric Saulnier, Rennes, 1909, t. I, p. 121.)

a. Tome IV, p. 108.

�� � 4}6 Vie de Descartes.

peine vingt-sept ans), s'était présenté à Endegeest, tant il avait hâte de voir le philosophe, dont le nom sans doute revenait souvent dans les conversations à Paris ; et nous avons ainsi, grâce à lui, une fort jolie description de l'endroit qu'habitait alors Descartes. Sorbière, nous dit son biographe, était de ces gens « qui se font toujours de fête, et se fourent » où on ne les demande point ». On le retrouve dans l'entou- rage des savants en renom. Il oflFre à chacun ses services, et au besoin sa plume, qui n'était pas mal taillée. Ses héros étaient Rabelais d'abord, que personne ne connaissait mieux que lui, puis Montaigne et Charron, dont il ne pouvait souffrir qu'on parlât maP. Homme de peu de cervelle d'ailleurs, ou de cervelle légère, et qui tournait à tous les vents. Non pas seulement parce que, plus tard, en i653," et dans son intérêt il se fera catholique, de protestant qu'il était ; mais il traduira en français les ouvrages de Hobbes, avec force louanges, bien que la première lecture ne lui eût guère plu : le De Cive de Hobbes avait paru d'abord sans nom d'auteur, en 1642; Sorbière le prit pour la philosophie de Descartes, qu'on attendait de tous côtés, et le jugea un fort méchant livre". Il avait pris parti contre Descartes (ce qui n'empêchera pas un revirement plus tard en faveur de notre philosophe, dans des Discours publiés en 1660) ; mais pour le moment et pour des années encore, il est tout à fait l'homme de Gassend. Il avait enfin obtenu de celui-ci, qui s'était fait prier, la per- mission de publier à part, non seulement ses Objections aux Méditations, avec les Réponses de Descartes, mais les Instances à ces Réponses, sous le titre de Disquisitio Meta-

a. Tome III, p. 35i-352 : extrait d'une lettre du 10 nov. 1657.

b. Page 24-25 des Mémoires (non paginés) de Graverol, en tête des Sorberiana (Tolosae, Colomyez et Posucl, M.DC.XCL).

c. Lettres de Sorbière à Martel, 10 févr. et 8 juin 1643. Voir André Morizc, Thomas Hobbes et Samuel Sorbière, p. 197-198 de la Revue Germanique, mars-avril 1908. (Paris, Alcan, 1908.)

d. Lettres & Difcours fur diverfes matières curieufes. (Paris, François Clouzier, 16C0.)

�� � Voyages en France. 4J7

physica. Le volume parut à Amsterdam, chez Jean Blaeu, sur la fin de février 1644*, ^t Sorbière était bien aise, afin d'en informer Gassend, d'apprendre de la bouche même de Des- cartes, si celui-ci comptait y répondre.

Il prit sans doute des notes, en reporter qui sait son métier, et reproduisit leur entretien de La Haye dans une lettre à Gassend, du 10 mai 1644. Rassuré sur les intentions de Descartes, qui déclare qu'il ne répondra pas à la Disquisitio, Sorbière lui propose, de la part de Gassend, les difficultés que soulève sa définition de la matière par l'étendue. Gassend pensait, comme Descartes, que la matière a pour propriété l'étendue; mais il n'admettait pas pour cela que l'étendue fût toute la matière : il distinguait l'étendue des géomètres et l'étendue des physiciens, c'est-à-dire d'une part le vide, selon Epicure, et d'autre part les atomes. Supposons, disait-il, et c'était là sa grande objection, que toute la matière contenue dans une chambre soit supprimée, cette chambre subsistera, mais vide. Non pas, répond Descartes à Sorbière; mais il n'y aura plus de chambre, et les murs se toucheront =. De même les parois d'un tonneau, si tout ce qu'il contient est enlevé. Là-dessus il demeurait ferme comme roc; car c'était là une pierre angulaire de son édifice, ou même la clé de voûte de tout son système. Il y reviendra plus tard dans une lettre à Clerselier, du 12 janvier 1646, précisément en réponse (si tant est que ce soit une réponse, écourtée comme elle est) à la Dis- quisitio. Pour lui, c'est l'évidence même. L'étendue n'est pas le néant; avec ses trois dimensions elle est bien quelque chose: et que pourrait-elle être, sinon la matière elle-même ? Cette thèse (et la métaphysique de Descartes n'a pas d'autre fin que de l'établir.) était la condition première de la science de la nature; telle qu'il la concevait : à savoir toute la physique

a. Tome VII, p. 391-412.

b. Tome IV, p. loS-i 10 : lettres du 18 et du 3o avril, du 10 mai 1644.

c. Voir déjà t. II, p. 482, 1. 7-1 1 : lettre du 9 janvier lôBg. Et aussi Principia, t. VIII, p. 5o, 1. 20-29.

�� � 4^8 Vie de Descartes.

(laquelle a pour objet la matière) ramenée à la mathématique (laquelle a l'étendue pour objet). Au lieu de deux sciences, qui vont chacune de son côté et ne se rencontrent pas, il ne voulait qu'une science unique, qui fût enfin digne de ce nom. C'est là, pour notre philosophe, une idée claire et distincte, la règle de la vérité par conséquent pour notre esprit : sur quoi vou- drait-on, en effet, que celui-ci se réglât, sinon sur ce qui lui apparaît clairement et distinctement ? A moins de prétendre que ce doit être sur des idées obscures et confuses, ou sur les données des sens, au besoin épurées par l'imagination^. Voilà où l'on en serait réduit, si l'on écoutait Gassend.

Sorbière, naturellement, ne fut pas convaincu, et Descartes continua sa route vers la France. Il arriva à Paris sur la fin de mai ou bien en juin, et il accepta l'hospitalité de son ami, l'abbé Picot, rue des ÉcouflFes  : Picot n'avait-il pas été son hôte à Endegeest en 1641 ou 1642? Descartes écrivit de Paris, à Wilhem, le 9 juillet, au sujet de son affaire de Groningue'^. Il avait écrit aussi à des Jésuites, le P. Mesland, le P. Gran- damy, recteur du collège de La Flèche. Il avait presque annoncé à celui-ci sa visite . Mais c'eût été un détour qu'il ne fit point, s'il est vrai qu'il suivit l'itinéraire indiqué par Baillet : Orléans, Blois, Tours et Nantes, c'est-à-dire le cours de la Loire. Dans chacune de ces villes, il connaissait quelqu'un, le _P. Mesland déjà peut-être à Orléans, Florimond Debeaune sûrement à Blois; à Tours les deux frères De La Touchelaye, et à Nantes des parents et des alliés ^ A tous il promit des exemplaires de ses Principes, six exemplaires ici, et là une douzaine ; plus tard il enverra même la traduction française des Méditations à trois nièces religieuses ^ De Nantes il se rendit à Rennes chez son frère aîné, Pierre Descartes, sieur de

a. Tome IX, p. 208, 1. i3, à p. 209, 1. 9, et p. 212.

b. Tome IV, p. 108 et p. 127.

c. Ibid., p. 126-127.

d. Ibid., p. 122, I. 7-1 3.

e. Ibid., p. 129-1 3o.

f. Ibid., p. 564 : lettre du 9 nov. 1646.

�� � Voyages en France. 4^9

la Bretaillière. Il était parti de Paris le 10 juillets Le 29, du même mois, départ de Rennes pour le Crévis, où demeurait son beau-frère, veuf de Jeanne Descartes depuis 1640. Le séjour au Crévis dura près d'un mois, jusqu'au 25 août, sauf peut-être un petit voyage à Kerleau, propriété de l'aîné, où l'on était le 14 août. On régla les affaires de la succes- sion paternelle, et ces arrangements de famille ne paraissent pas avoir soulevé de difficulté, au moins de la part du beau- frère, sinon du frère aîné. Descartes revint ensuite à Nantes, où son père était inhumé, et s'arrêta chez son autre frère, Joachim Descartes, à Chavagne en Sucé : on l'attendait pour le baptême d'un entant, né depuis près d'un mois, et dont il fut parrain, le g septembre'^. Il vit sans doute aussi sa sœur, Anne Descartes, dame d'Avaugour, de quinze ans plus jeune que lui, et qu'il affectionnait peut-être pour

a. Le 10 juillet ou le 12? Baillet dit le 12. (Voir notre t. IV, p. 129.) Mais Baillet s'en rapporte à une leiïre de Mélian à Mersenne, du 10 juillet, que nous avons d'ailleurs reproduite. (Ibid.,' p. 127-128.) Mélian annonce, à cette date du 10 juillet, qu'il tâchera de voir Des- cartes le lendemain. Baillet pense que cette visite s» fit en effet : « ...M. Mélian, fur l'avis du Père (Merfenne), alla le xi de juillet aux » Minimes rendre vifite à M. Defcartes, qui le reçût avec joye au nombre 1) de Tes amis. » (Vie de M' Des-Cartes, 1691, t. II, p. 217.) Mais nous avons vu que, dans une lettre à Wilhem, datée de « Paris, 9 juillet » 1Ô44 "> Descartes dit : « le partiray demain de cete ville, pour aller en » Bretaigne. » (Tome IV, p. 126, 1. 8-10. j Son départ aurait-il été retardé de deux jours ?

b. Tome IV, p. 134-1 35 : lettre du 18 août 1644, écrite peut-Ctrc de Kerleau, plutôt que du Crévis.

c. Ibid., p. 1 38-1 39 : du 1 1 septembre. Le fac-similé de Tacte de baptême a été publié par Philippes-Bcaulieux fils. Société archéolo- gique de Nantes, 1873, p. 24. Un ne fit, le 9 sept. 1644, que les céré- monies du baptême; le baptême lui-même avait été fait, le i5 août, jour de la naissance de l'enfant, à qui Ion donna le nom de René. Le père est qualifié, dans l'acte, « d'efcuyer Melfire Joachim des Cartes, Confeiller » du Roy au Parlement de ce pais {la Bretagne) « ; et le parrain, « efcuyer René des Cartes, Sieur du Perron ". Outre leurs signatures, et celles de la marraine, Françoise Becdelièvre, femme d'un autre conseiller, Guy du Pont, et de la mère Marguerite du Pont, on re) celles de François Rogier, Louis d'Avaugour, Su:^anne Rogier, etc.

�� � 440 Vie de Descartes.

cela davantage. Puis il dut faire un tour en Poitou. Le 19 sep- tembre, on le retrouve à Angers, en cnemin pour Paris. Pas plus qu'à l'aller, il ne paraît s'être détourné de sa route pour revoir La Flèche. Le mois d'octobre se passe à Paris, toujours chez l'abbé Picot. Il paraît avoir fréquenté le logis de M. de Tnou, rendez-vous des curieux et des beaux-esprits ^. Le P. Mersenne était d'ailleurs parti, à la Saint-Simon, c'est-à-dire le 1 1 de ce mois, pour un voyage en Italie. En novembre, Des- cartes reprend le chemin de la Hollande. Le 8, il est à Calais, où les vents l'empêchent toute une quinzaine de s'embarquer; il en profite pour lire la traduction française des Principes, dont l'abbé Picot lui avait remis les deux premières parties, et il y fait quelques additions, dont une au moins porte la marque de ce séjour forcé '^. Le i5 novembre, il était en Hollande, c'est-à-dire sans doute à P.otterdam, puis à La Haye, à Leyde, et enfin à Egmond. Son retour fut fêté, notamment à Utrecht, par ses amis de Hollande, qui s'étaient demandé, à son départ, si on le reverrait, ou s'il ne préférerait pas, après tant de déboires éprouvés en leur pays, s'établir en France définitive- ment. Regius, entre autres, se fit remarquer par des démons- trations d'une joie excessive, comme au départ il avait déjà manifesté une douleur peut-être immodérée'^. La rupture entre le disciple et le maître ne devait éclater que deux ans plus tard.

Ce séjour de Descartes à Paris, en 1644, fut marqué par un fait important, sa réconciliation avec les Jésuites. A vrai dire,

a. Tome IV, p. i52, 1. 18-31 : lettre du 5 janvier 1645. — Balzac écri- vait: « A Monfieur Du Puy, Confeiller du Roy en fes Confeils, & Biblio- » thecaire de fa Majefté », 20 oct. 1644: « ...c'elt chez Monfieur de » Thou... que s'alfemble le vray & le légitime Sénat, qui a. droit de B juger de nos affaires de Livres. » {Œuvres de M. de Bal:{ac, M.DC.LXV, t. I, p. 469.)

b. Tome IV, p. 147 : lettre à Picot, 8 nov. 1644.

c. Voir ci-avant, p. 378.

d. Tome IV. p. 148-149 : lettre du 18 nov. 1644. Voir ci-avant, p. 349-353.

�� � Voyages en France. 441

il n'avait jamais eu de querelle qu'avec l'un d'eux, le P. Bour- din, à qui il avait fait payer assez cher ses Objections par les Réponses virulentes que l'on a vues. Mais (était-ce là encore une tactique ?) il affectait de croire que le P. Bourdin parlait au nom de la Compagnie tout entière : ce qui lui permit ensuite de faire passer sa réconciliation avec ce religieux, pour un traité de paix et même d'alliance avec tous les Jésuites réunis. En cette affaire, notre philosophe, comme toujours, se montra fort habile. Il avait adressé une plainte en règle contre le P. Bourdin au supérieur le plus élevé que celui-ci eût en France, le P. Dinet : c'est la lettre publique, imprimée à la fin des Méditations en 1642. En même temps il annonçait au P. Dinet la publication prochaine des Principes, et lui demandait conseil à cet égard. Il lui devait donc au moins un exemplaire du livre aussitôt paru. Qui chargea-t-il de le lui remettre ? Le P. Bourdin lui-même. Le P. Dinet, qui avait sans doute prêché un accommodement, put voir ainsi que la réconciliation était sincère, et que ses avis avaient été écoutés. Ce fut encore le P. Bourdin qui envoya, de la part de Descartes, les Principes au P. Charlet, assistant du général à Rome. Et tous les autres Jésuites à qui notre philosophe destinait un exemplaire de son livre, le reçurent également par les mêmes mains". Il ne pouvait mieux montrer que son ancien adversaire était devenu pour lui un ami, en qui il avait toute confiance. Les réponses (qui ne nous ont point été conservées) des PP. Charlet et Dinet étaient sans doute des plus amicales, outre les remercîments et compliments d'usage. Descartes paraît les avoir pris pour de l'argent comptant. Il s'était mis lui-même en frais avec les deux religieux, surtout avec le P. Charlet, qu'il appelle « son » second père », en reconnaissance des soins reçus de lui autre- fois, à La Flèche; et le P. Charlet fut sensible apparemment à ce souvenir. Mais surtout Descartes insistait sur l'intérêt qu'il y aurait pour les Jésuites, d'adopter la philosophie nou- velle, au lieu de l'ancienne, dans leurs collèges. Les réponses

a. Voir les trois lettres ccclvii, ccclvui et ccclix : t. IV, p. 139-144. Vie de Descartes. 5ô

�� � 442 Vie de Descartes.

qu'ils firent, bien que fort prudentes et plutôt évasives, n'étaient point cependant pour le décourager. Un moment, notre philosophe crut toucher au but qu'il s'était toujours proposé : à savoir d'assurer à sa doctrine l'active et efficace propagande d'un grand ordre, voué à l'enseignement, comme était celui des Jésuites.

Ceux-ci toutefois n'entendaient point se départir d'une cer- taine réserve, et c'est peut-être pour ne l'avoir pas compris, qu'un des leurs, le P. Mesland, qui avait montré en faveur de Descartes trop de zèle, fut envoyé comme missionnaire en Amérique, sans qu'on lui laissât l'espoir de revenir. Non seu- lement il avait mis les Méditations en forme de thèses propres à être enseignées, travail devenu inutile d'ailleurs après que Descartes eût publié les Principes ; mais surtout il avait reçu les confidences du philosophe au sujet de l'Eucharistie.

Déjà celui-ci, dans sa Réponse aux Objections d'Arnauld, avait touché à cette épineuse question. La Scolastique expli- quait à sa manière ce qui était un article de foi pour les catho- liques : le pain et le vin changés au corps et au sang de Jésus- Christ. Descartes devait donc fournir aussi une explication, sous peine de laisser dans sa philosophie une lacune regret- table, qui l'empêcherait d'être reçue par les théologiens. Théoriquement, une doctrine qui prétendait se faire admettre dans les écoles, n'avait pas le droit de rester muette sur cette question capitale. Pratiquement, la question de l'Eucharistie était celle qui divisait le plus protestants et catholiques : n'en point parler, n'était-ce pas se rendre suspect, surtout quand on s'était retiré, comme Descartes, parmi les huguenots, et donner raison à ceux qui lui reprochaient le choix d'un pays tel que la Hollande ? Enfin le Saint-Sacrement était le nom d'une Compagnie, à laquelle s'étaient affiliés nombre de catho-

a. « l'ay leu auec beaucoup d'émotion l'adieu ■pour iamais... », lui répond Descartes dans une lettre de 1645 ou 1646. Voir t. IV, p. 345, et surtout, p. 669. Le P. l^enis Mesland, en etîei, ne revint jamais en Europe : il mourut à Santa-Fé, dans la Nouvelle-Grenade, le 18 janvier 1672^0.' -^ •

�� � Voyages en France. 44J

liques, à Paris et par toute la France. C'était une société secrète, comme il convenait à qui portait « les livrées d'un » Dieu véritablement caché », et il se peut que Descartes en ait ignoré l'existence. Il se peut aussi qu'il l'ait connue, ou bien que quelques-uns de ses amis, eux-mêmes confrères du Saint- Sacrement, l'aient vivement engagé à expliquer ce mystère, sans lui dire pourquoi, mais afin de mettre leur conscience en repos, et aussi afin que d'autres personnes d'église, on de robe, ou d'épée, éprises de If- philosophie nouvelle, ne fussent point arrêtées, faute d'une telle explication, au moment d'entrer dans la Compagnie ^

Descartes reprit donc ce qu'il avait dit en 1641, dans sa Réponse à Arnauld. Là il distinguait jusqu'à trois superficies : celle du corps, celle de l'air qui environne ce corps, et la super- ficie moyenne entre les deux, nous dirions presque mitoyenne, qui ne dépend que des dimensions géométriques occupées, et qui peut demeurer la même, que le corps change ou non et de même aussi l'air environnant . De cette troisième dimension seule dépend pour nous l'apparence du corps, et le sentiment que nous en avons, chose qui ne change pas non plus, que la substance demeure la même ou non. Descartes tient beaucoup à cette définition purement géométrique de la superficie ; et c'est à se demander s'il ne l'aurait pas imaginée à dessein, pour se ménager une explication commode des espèces ou apparences du pain et du vin, qui restent les mêmes au Saint- Sacrement. Sa théorie est plus admissible, après tout, que l'hypothèse scolastique des accidents réels, qui demeurent, et qui gardent pour nous les mêmes apparences, bien que la substance change, à laquelle ils sont cependant attachés. Des- cartes y revient dans ses lettres au P. Mesland, et insiste sur l'identité numérique ; c'est la seule qui soit possible ici, et elle

a. Raoul Allier, La Cabale des Dévots. (Paris, A. Colin, 1902, in-8, pp. 448.) — Alfred RnBELLur. La Compagnie secrète du Saint-Sacre- ment. (Paris, H. Champion, 1908, in-8, pp. 129.)

b. Tome VII, p. 248, 1. 11, à p. 256. Ou t. IX, p. 191-197.

�� � 444 Vie de Descartes.

suffit. Il donne comme exemple la rivière que le Jésuite avait sous les yeux à Orléans, et que lui-même venait précisément de revoir: la Loire reste la même entre ses rives et dans son lit, bien que toute l'eau soit écoulée et que la terre qui l'environne puisse être changée entièrement *.

Avec le P. Mesland, Descartes ne s'arrête pas aux dimensions extérieures de la substance du pain ou du vin : il pénètre plus avant. Par quel mystère le pain et le vin, que nous mangeons et buvons chaque jour pour no^re nourriture, deviennent-ils notre propre corps? C'est qu'ils se mêlent à notre sang et ensuite à nos membres, et que le tout, les membres, le sang, et les aliments eux-mêmes sont unis à notre âme et « informés » par elle. Descartes reprend ici ce vieux terme de la Scolastique, dont il ne se sert pas ailleurs. L'essentiel est cette union, et si l'on peut dire, cette « information ». Elle s'étend aux parties aussi bien qu'au tout, et même aux diverses parties indépendamment du tout. C'est ainsi que les particules de pain et de vin deviennent notre corps, sans cesser d'être telles, et une vue assez subtile pourrait encore les démêler dans le sang. Supposez qu'elles soient unies, seules cette fois, non plus à une âme humaine, comme la nôtre, mais à l'âme divine, et informées par celle-ci, elles deviendront, en vertu de cette union et information, le corps divin de cette âme divine, la chair et le sang de Jésus-Christ lui-même. Toute la difficulté (encore fallait-il qu'il en restât, puisque c'est un mystère) consiste en ce que nous n'avons plus ici que du pain et du vin pour fournir la matière du corps, au lieu d'avoir, comme pour l'homme, à la fois des aliments, du sang et des membres ' Mais, ceci mis à part, il n'y a pluo de miracle : nous trouvons simplement un cas particulier d'une grande loi, celle de l'union de l'âme et du corps, ou bien une application spéciale de la notion de cette union, laquelle est rangée par

a. Tome IV, p. i63, 1. 24, à p. i65, 1. 6. Surtout p. 165, 1. 2-3.

b. Ibi4., p. 166, 1. I, à p. 169, 1. 24.

c. Ibid., p. 168, 1. 8-29.

�� � Voyages en France. 44^

Descartes, nous l'avons vu, parmi les notions claires et distinctes. Et une fois encore la question se pose : lorsque notre philosophe distinguait avec tant de soin trois sortes de notions, celle de l'étendue seule, celle de la pensée seule, et celle de leur union, ou de l'union de l'âme et du corps *, lorsqu'il revenait sur cette distinction avec une insistance qu'on a peine à comprendre aujourd'hui, et oii l'on croit voir comme une survivance inexplicable delà Scolastique : que prétendait- il faire ? Réserver sans doute par ce subterfuge les droits de la réalité. Mais peut-être aussi se promettait-il d'expliquer à la fois cette union qui compose tout l'homme, à savoir celle du corps humain et de l'âme humaine, et en outre, sur ce modèle, l'union du corps et de l'âme de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.

Il ne se serait pas adressé, pour une telle confidence, à un inconnu. Il était donc entré en relations personnelles avec le P. Mesland pendant son voyage en France\ Encore lui recom- mande-t-il le secret, et sans doute celui-ci l'aurait volontiers gardé ; mais sa conscience de religieux lui faisait aussi un devoir de tout dire à ses supérieurs. Toujours est-il qu'il fut éloigné, pour ne pas dire exile , de France et même d'Europe, sans retour. A la mort de Descartes, Clerselier retrouva dans ses papiers les minutes des lettres au P. Mesland, et n'osa pas les imprimer. II en laissa seulement prendre copie ; on se passa de main en main, sous le manteau, cette explication du Saint- Sacrement, faite surtout pour des théo- logiens, et des théologiens catholiques. Notre philosophe s'était cru obligé de leur donner satisfaction, et de les désarmer ainsi par avance. Précaution bien inutile : en 1670, l'arche- vêque de Paris préférait encore le silence sur cette question ; et plus tard un Jésuite, le P. Valois, incriminait les sentiments

a. Voir ci-avant, pp. 141-142, 35 1-352, 394-395, et surtout p. 41 1-41 3.

b. O. Hamelin, L'union de l'âme et du corps d'après Descartes. (L'Année philosophique de F. Pillon, Paris, Alcan, ipoS, p. 39-50.)

c. Tome IV, p. 110-120, p. i65, i. 19 et 1. 23-28, et p. 216, 1. 12-22.

d. Voir pour ce qui suit, t. IV, p. 170-172.

�� � 44<^ Vie de Descartes.

de Descartes sur l'essence des corps, comme favorables aux erreurs de Calvin touchant l'Eucharistie".

��SECOND VOYAGE

(1647)

Trois ans après le voyage de 1644, Descartes revint en France, Tété de 1647 : non pas qu'il y fût de nouveau appelé pour des affaires de famille, bien qu'il en eût encore quelques- unes à régler ; mais peut-être avait-il l'espoir secret d'y trouver un établissement, comme le souhaitaient ses amis. Après toutes les tracasseries qu'on lui avait suscitées à Utrecht et à Leyde, la Hollande n'était plus pour lui un séjour

a. Les Jentimens de M. Defcartes touchant l'ejfence & les propriétés des corps, oppofés à la doârine de VÉglife & conformes aux erreurs de Calvin fur le fujet de l'Euchariflie. Louis Delaville. (Le Père Valois, Jésuite.) In-i2, Paris, i68o.

Citons cependant un curieux document, tiré des Entretiens fur la Phi- lofophie, par M"^ Rohault, dédiez à Son Altefle Sereniffîme Monfeigneur le Prince. (A Paris, chez Michel Le Petit, rue S. Jacques à la Toifon d'Or. M.DC.LXXL Avec privilège du Roy, 29 Sept. 1671. Achevé d'imprimer pour la première fois, le 5 Dec. 167 1.) La seconde édition, en 1675, donne, en guise de préface, un Difcours qui ne se trouve point dans la première, et qui n'est ni de Rohault ni de son beau-père Clerse- lier. On lit dans ce Difcours : « ... Les premiers Théologiens fcola- » ftiques ont cru que les efpeces du pain & du vin qui demeurent dans » l'Eucharillie étoient des accidents réels, qui fubfiftoient miraculeufe- » ment tout feuls, après que la fubftance à laquelle ils étoient attachés, » étoit ôtée. » (Page 37.) « . . .Ainli ils euffent parlé de ces efpeces facra- » mentales de la même façon que M. Rohault en parle dans fes Entre- » tiens, & M. Defcartes dans fes Réponfes aux 4""«s Objections. Et il y a » de quoi s'étonner qu'on veuille condamner aujourd'hui une do£trine » qui eft fi claire, fi intelligible & furtout fi orthodoxe, que, lorfque ces » mêmes Réponfes furent lues dans une affemblée de la Sorbonne par » V auteur même des Objeâions, elles y recurent une approbation géné- » raie, bien loin qu'on les cenfurât. . . » (Pages 39-40.) Mais le fait, s'il est exact, se passait en 1641, et depuis lors. . . Voir ci-avant, p. 290-297 et p. 3oo-3oi.

�� � Voyages en France. 447

aussi agréable, et il l'aurait volontiers quittée. La princesse Elisabeth, absente de ce pays, mais comptant toujours y revenir, craignit de ne plus y retrouver son philosophe, et lui conseilla de bien réfléchir avant de se décider à un départ dont ses ennemis ne manqueraient pas de triompher : ils l'interpré- teraient comme un bannissement". Et puis Descartes pouvait bien, à de certaines heures, en Hollande, regretter la France ; mais, sitôt à Paris, il regrettait encore plus la tranquillité de son ermitage, comme il disait, ou de son désert de Hollande, et il avait hâte de le regagner.

Cependant, en juin 1647, ^' ^^ remit en route. Le 6 et le 7, il traversa La Haye, d'où il prit le temps d'écrire à Chanut et à la princesse Elisabeth ^ Le 8, il s'embarqua à Rotterdam pour Middelbourg, Flessingue et sans doute Calais. Bientôt il s'installait à Paris, chez l'abbé Picot, comme en 1644, non plus rue des Ecouff^es cette fois, son ami ayant changé de logis, mais rue GeofFroy-l'Anier'-. Puis il refit le voyage de Bretagne, afin de visiter sa famille : le 27 juillet, il signait à Rennes des actes notariés •'. Il alla ensuite en Poitou ; il s'arrêta un peu en Touraine, chez un M. de Crenan, qui lui fit fête à son passage. Cette fois encore, ni à l'aller ni au retour, il ne paraît pas s'être détourné de son chemin pour revoir La Flèche. En septembre, il partit de Paris, et^fut de retour en Hollande pour octobre avec l'abbé Picot, qui lui tint de nouveau compagnie à Egmond jusque vers le milieu de janvier 1648".

Descartes avait profité de son séjour à Paris pour en finir avec la traduction française des Principes, déjà en cours d'impression. Il ne partit pour la Bretagne que la dernière feuille tirée, et emmena avec lui son traducteur, l'abbé Picot,

a. Tome V, p. 46-47 : mai 1647.

b. Ibid., p. 3o-58 et p. 59-60.

c. Ibid., p. 53-64.

d. Ibid.,\>. 66-67.

c. Ibid., p. 68. Au bas de la page, lire : Baillet, //, S,2-j-328, au lieu de -■_'7-ji'(V. Voir encore t. V, p. lio-iii.

�� � 44^ Vie de Descartes.

à qui il avait adressé, nous l'avons vu % une longue préface, peut-être écrite à Paris même. En dehors de cet ami intime, Baillet assure que Descartes ne vit pas grand monde à son passage dans la capitale : Mydorge, Clerselier, beau-frère de Chanut, Mersenne, bien entendu, quelques autres encore. II semble bien, cependant, qu'il y vit en outre le philosophe anglais Hobbes. Et surtout ce fut à ce voyage de 1647, plutôt qu'en 1648, que se fît sa réconciliation avec Gassend^ Rien d'irréparable ne s'était passé, et même la conduite de l'un et de l'autre, depuis les Objections et les Réponses de 1641, laissait l'espérance à leurs amis communs de rétablir entre eux

a. Voir ci-avant, p. 366-367 et p. 394-395.

b. On lit dans une lettre de Sorbière à Mersenne, datée de Leyde, 3i oct. 1647, c'est-à-dire aussitôt après le retour de Descartes en Hol- lande : « Informés moy, s'il vous plaift, de la fanté de M. Hobbes, que » M. Defcartes a reprefenté fort malade à fon départ. » (Paris, Bibl. Nat., MS. fr. n. a., 6206, p. 75.) Serait-ce à ce voyage de 1647, qu'il faudrait placer un dîner des trois philosophes, Descartes, Gassend et Hobbes, réunis à la table du marquis de Newcastle ? (Voir t. V, p. 118.)

c. Tome V, p. 199-200. Nous avons soutenu, en cet endroit, avec Baillet contre Sorbière, la date de 1648, au troisième voyage de Des- cartes. Nous n'avions d'autre garant que Baillet lui-même, qui s'en rap- portait à une lettre d'Adrien Auzout, datée du 8 août 1689. Mais nous ignorons la teneur exacte de cette lettre, écrite plus de quarante ans après les événements, lorsque la mémoire d'Auzout, déjà vieilli, pouvait fort bien confondre 1647 et 1648. En définitive nous préférons 1647, pour les deux raisons suivantes :

1° Cette date répond aux indications de Sorbière, lesquelles ne sont postérieures que d'une dizaine d'années seulement. Il ne la donne pas d'ailleurs expressément, mais dans les termes que voici : « elapfo vix » quinquennio », c'est-à-dire cinq ans à peine après la polémique entre Descartes et Gassend, laquelle est de 1641 et 1642; « ...in refponfio- » nibus Gallicis ad Inftantias eodem anno editis », c'est-à-dire au com- mencement de 1647. (Tome V, p. 199; et t. IX, p. 198-218.)

2» Notre second texte est plus explicite encore. C'est une lettre de Mersenne à Sorbière, dont nous n'avons donné qu'une partie, celle qui est relative à la réconciliation des deux philosophes, t. IV, p. 5 1 5. Et nous l'avons domiée avec la date du MS., 5 nov. 1646. Mais ce MS. n'est qu'une copie, et la date exacte est : 5 nov. 164/, comme le prouve le commencement de la lettre, que nous avions omis, et que voici :

« Gallendus totus eft in edendâ Epicuri Philofophiâ, in fuis ad quatuor

�� � Voyages en France. 449

la paix. Dans cette passe d'armes, les deux philosophes avaient bien cchan<;é quelques paroles un peu vives ; mais c'était en latin, et on n'avait point excédé la limite des plaisanteries permises en cette langue ; Descartes en avait dit bien d'autres à Beeckman, ce qui ne les avait pas empêchés de rester ou de redevenir amis. Gassend, reprenant la lutte, avait sans doute

» Lacnii Epiflolas Epicurianas commentariis, quos Lugdunum praeclaris » chararteribus, accurante Barancio, prcmit. »

« Cur vcrù non amicitiam lUurtriffîmi Hugcnii ambias, ut eo medio » de lingiilis conimunicemus, ignoro : cujusopc jam ad Riveium fcribo. »

« Alteruiiiiis bcncvolcntiâ vidcrc poteris aurcum Traâatum Pafchalii » de Vacuo Efficiendo, miraberifque expérimenta qux te cogant abjicere » (111* hue iilqiie fiixcras è PhiloCophià, cùm ad utrumque libellum » miferim, de qiio vedri judicent, i"*!^ fi videbitur, fcribant acutipres. Quâ » de re plurima quoque in mcis Obfervationibus non vulgaria produxi » cxperimema, donec tria vcl quatuor perficiam, omnium meo judicio » pulciierrima, quw in l'rœfatione légère poteris, fi quod exemplar ad » luas manus perveniai. » (Paris, Bibl. Nat., MS. fr. n. a., 6204, f» 293.) Vient le passage que nous avons reproduit, t. IV, p. 5i5 : « Eft autem in » aniino luo. . . »

Or le Traâalus aitreus de Pascal De Vacuo ejfficiendo, que Mersenne appelle aussi libellus. et qu'il vient d'envoyer en Hollande à Huygens et à Rivet, est le livret intitulé Nouvelles Obfervations touchant levuide, dont l'achevé d'imprimer est du 8 oci. 1647. (Voir notre t. X, p. 62S.) Il y en avait aussi un exemplaire pour Dcscartes; celui-ci le reçut par Huygens, et en accusa réception à Mersenne le i3 déc. 1647. (Tome V, p. t>S, 1. 2-3.)

De plus, Mersenne parle de son propre ouvrage, Novarum ObJ'erva- tioiium tomus III, qu'il appelle siniplcmeni meœ Obfervationes. Il n'en envoie pas lui-même d'exemplaires, mais il pense bien qu'on en a reçu en Hollande par les soins de son libraire. Or cet ouvrage, dont la der- nière ligne est du 8 sept. 1647, fut achevé d'imprimer le i" octobre sui- vant. Kt la préface, dont Mersenne parle aussi, Prœfatio, et sur laquelle il fait bien d'appeler l'attention, fut écrite entre ces deux dates, du 8 sept, et du 1"^^ ocl. i47-

Donc la lettre de Mersenne à Sorbière est bien du 5 nov. 1647, et non pas 1648.

Cette rectification, qui ne saurait être mise en doute, ne nous sert pas seulement à iuicu.x dater la réconciliation ilc Descartes et de Gassend ; elle donne aussi une valeur singulière, nous le verrons, à cette même leiire de Mersenne, comme document décisif pour déterminer le rôle de Descartes et de Pascal dans la grande expérience du Puy-de-Doine. ViK DE Dkscartes. bj

�� � 450 Vie de Descartes.

riposté par un gros volume d'Instances, sous le titre de Disquisitio metaphysica, que Sorbière fit imprimer en Hollande pour le printemps de 1644, avant les Principes ; et on pensait que Descartes ne manquerait pas d'y répliquer. Il n'en fit rien, se contentant de quelques paroles dédaigneuses à l'endroit du nouveau livre. Il annonça seulement que, dans ses Principes, on trouverait quelques mots de réfutation, et Gassend prévenu chercha, en effet, ces deux ou trois mots, mais ne les trouva pas'\ Aussi, pour répondre à ce bon procédé par un procédé semblable, il refusa de son côté de faire des objections aux Principes de Descartes, comme il en avait fait aux Méditations. Il en fut sollicité cependant, et par plusieurs correspondants de Hollande, Bornius, Sorbière, Rivet. A tous il répondit en s'excusant : la querelle était finie, il ne voulait pas, sans provo- cation, la recommencer. Il pouvait croire aussi, puisqu'on ne répondait pas à sa Disquisitio, qu'il avait le dernier mot. Descartes y répondit cependant, mais par une courte lettre adressée à un ami, et non pas à Gassend lui-même. Elle parut au printemps de 1647, dans le volume de la traduction française des Méditations, et à la place des cinquièmes Objections et Réponses, que Descartes défendit expressément d'y repro- duire'-. Cela pouvait passer pour une marque de mépris; plusieurs l'interprétèrent ainsi et s'en offensèrent  ; mais on pouvait y voir aussi la volonté de ne point revenir sur le passé, et de l'ensevelir dans l'oubli. La réconciliation n'en devenait que plus aisée. Gassend, qui était la bonté même et d'une candeur d'enfant, n'aurait pas eu la mauvaise grâce de s'y refuser, surtout lorsqu'il en eut été prié par un personnage, ami des lettres et des savants, le jeune César d'Estrée, qui fit de part et d'autre les avances et servit lui-même d'inter-

a. Tome IV, p. i53 : Gassend à Rivet, 28 janv. 1646.

b. Bornius, 20 sept., et Rivet, 3o déc. 1644. Réponses de Gassend, i" oct. 1644 et 28 janv. 1645. Tome IV, p. 146-147 et p. i52-i54.

c. Tome IX, p. 200-201.

d. Tome IV, p. iio : Rivet à Mersenne, 28 mars 1644.

�� � médiaire. Il convia chez lui à un repas les deux rivaux réconciliés et leurs amis. Par malheur, Gassend, malade ce jour-là, ne put s'y rendre. Le repas se fit quand même ; mais au sortir de table, les convives se transportèrent au logis de l'absent : là, le plus amicalement du monde, Gassend et Descartes s'embrassèrent. Aussi lorsque Sorbière, un peu plus tard, revint à la charge pour que Gassend attaquât les Principes, Mersenne lui répondit, le 5 novembre 1647, que c'était impossible maintenant : les deux philosophes s'étaient juré une inviolable amitié ; les témoins étaient l'abbé d'Estrée qui présidait, Mersenne lui-même et aussi Roberval, l'abbé de Launoy, l'abbé de Marolles, etc. ^.

On retrouve ces mêmes savants réunis dans d'autres circonstances, encore plus importantes. Il s'agit des fameuses expériences du vide, auxquelles on s'intéressait beaucoup en

a. Tome V, p. 199-200.

b. Cette question, et surtout celle de la grande expérience du Puy-de-Dôme (19 sept. 1648), a été, pendant ces dernières années (1906-1908), l'objet d'une vive polémique, à laquelle nous avons fait allusion, t. X, p. 624-O25. C'est Pascal d'ailleurs que l'on visait principalement, et Descartes y jouait plutôt un beau rôle. Le résultat, dont on ne saurait trop se féliciter, a été de mettre sous les yeux du public un certain nombre de documents jusque-là inédits ou bien oubliés dans de vieux livres que personne depuis longtemps n'avait ouverts. Les principaux de ces documents se trouvent maintenant aux t. 11 et III des Œuvres de Pascal, publiées par Léon Brunsclivicg et Pierre Routroux (Paris, Hachette, 1908). Nous avions étudié la part qui revient à Descartes, dans deux, articles de la Revue philosophique, déc. 1S87 et janv. 1S88. Nous appelions déjà l'attention sur de vieilles publications de 1647, P'"^ '^^ moins tombées dans l'oubli ; mais nous ignorions en ce temps-là trois documents mis en lumière depuis lors et qui semblent décisifs : à savoir, |o un passage de la préface de Mersenne à son livre des Nouvelles Obfervations, achevé d'imprimer le 1" oct. i(>47 (voir notre t. X, p. 624-627); 2" la lettre de Descartes à Mersenne, dn i3 déc. 1647 (t. V, p. 98-100); 3° enfin la correspondance échangée entre Mersenne et Le Tenncur, de sept. 1647 à janv. i(J48 {ibiJ., p. 102-106). Ces trois documents nous permettent d'élucider la question de revendication posée par Descartes dans ses deux lettres à Carcavi, 11 juin et 17 août 1649 [ibid., p. 366 et 3yi). 4^2 Vie de Descartes.

France depuis deux ans déjà. L'idée première avait été rap- portée d'Italie, en 1645, par Mersenne qui la tenait du prin- cipal disciple de Galilée, Torricelli. Mersenne en avait aussitôt fait part à ses amis de Paris. Il ne réussissait pas d'ailleurs à refaire lui-même l'expérience, malgré de nombreux essais, tentés avec Chanut. Pascal, tout jeune encore, fut plus heu- reux, l'automne de 1646, à Rouen, aidé de son père qui y rési- dait alors, et de quelques savants. Petit, intendant des fortifi- cations, refit le premier cette expérience de Torricelli avec du vif-argent ou mercure. Aussitôt Pascal en imagina de nouvelles, qu'il réalisa, avec d'autres liquides, dans des verres faits exprès et de hauteur appropriée '\ C'était une belle matière à réflexion. On remplissait de mercure un tube de trois pieds environ de longueur, et fermé par un bout ; puis on renversait ce tube dans une cuvette pleine aussi de mercure ; et le mer- cure du tube, au lieu de descendre entièrement dans la cuvette, s'arrêtait en un certain endroit, et demeurait suspendu, lais- sant au-dessus de lui un espace dans le haut du tube. Qu'y avait-il dans cet espace? Y avait-il même quelque chose, et n'était-ce pas le vide absolu ? Ou bien quelque matière s'y trouvait-elle contenue, et laquelle ? Les esprits étaient très partagés. D'autre part, quelle puissance mystérieuse tenait ainsi le mercure suspendu dans le tube à une hauteur de deux pieds et un tiers environ ?

Descartes eut réponse à tout, lorsqu'il vit l'expérience, que pourtant on ne lui avait point mandée en Hollande ces deux années. Mais à Paris, en septembre 1647, ®'l® f"' réitérée en présence de plusieurs témoins, dont nous avons les noms: l'abbé d'Estrée et l'abbé de Launoy, Roberval, Mersenne et

a. Voir surtout deux publications rappelées au t. V, p. loo-ioi : 1" Lettre de M. Petit à M. Chanut; du irj nov. 1646, imprimée seulement en nov. 1647; 2» Expériences nouvelles, etc., de Biaise Pascal (permis d'imprimer, 8 oct. 1647). Les éditeurs de Pascal ont reproduit la première de ces deux pièces, Œuvres de Pascal, t. I, p. 329- 345, et la seconde, t. II, p. 53-76.

�� � Voyages f.n France. 4^ 3

notre philosopher L'espace qui paraît vide, est, selon lui, rempli de matière subtile. Quant à la cause qui maintient sus- pendue dans le tube la colonne de mercure, c'est l'air du dehors, agissant comme une autre colonne qui fait équilibre à la première, en pesant comme elle sur la surface du mercure dans la cuvet,te. On pourrait s'en assurer par une expérience décisive, qui consisterait à mesurer la colonne de mercure au pied et au sommet d'une montagne assez élevée : cette colonne doit baisser à mesure qu'on s'élève (l'air qui lui fait contrepoids au dehors, diminuant de pesanteur), lit Descartes indique cette expérience à Pascal, qui, le i5 novembre 1647, donne des ins- tructions à son beau-frère Pcrier pour l'essayer sur le Puy-de- Dôme près de Clermont-Ferrand : Périer l'exécuta, en effet, avec un plein succès l'année suivante, le 19 septembre 1648. Pascal publia aussitôt un Récit de cette << grande expérience ». On en eut connaissance en Hollande ; mais Descartes ne l'apprit que plusieurs mois après, sans doute par des conversations. Un peu froissé qu'on ne lui eût pas envoyé à lui-même un exemplaire du Récil^ il s'en plaignit à deux reprises, dans des lettres à Carcavi, du 1 1 juin et du 17 août 164g' ; et ce furent ces deux lettres, publiées seulement en 1667, qui firent con- naître après coup la part qui lui revient dans cette expérience, Pascal n'en ayant dit mot, pas plus qu'il n'avait adressé son

a. Tome X, p. 626. Le texte de Merseiinc, ici rapporte, corrige et même annule en partie notre éclaircissement, t. V, p. 106, sur la p. 100, 1. i5. Lire en outre, aux dernières lignes : été de 1645, et octobre 1645 (au lieu de i(>4(i) : voir en effet t. IV, p. 3 18.

b. Tome V, p. 100-ioti. Voir aussi GLuvres de Pascal, t. Il, p. 35o-358 et p. 363-373. — Plus tard, Gassend profitera d'un séjour à Toulon, de décembre 164') jusqu'au milieu d'avril i65o, pour y refaire la même expérience avec ses amis, à la date du 5 février i(J5o : » Gallcndi grimpa » la plus haute montagne de Toulon [le Faron, qui domine toute la ville], » avec Neuré, Biondel, Bernier, Chapelle, La Poterie, Ton l'ecretaire, » pour faire les ex[)eriences du vuide avec le vif-argent. .. [Vie de Pierre Gassendi, par le P. BoiroKiua, Paris, Jacques Vincent, 1737, p. 343.)

" c. Tome V, p. 365, 1. 18, h p. 366, I. i5, et p. 3(m, 1. 2, à p. 392, I. 1. Ces lettres n'ont été publiées, en effet, par Clerselier qu'au t. 111 de la Correspondance de Descartes, en 1667. Pascal était mort le 19 aoCit 1662.

�� � 4Ç4 Vie de Descartes.

imprimé à notre philosophe. L'oubli de Pascal ne s'explique guère, sinon peut-être par la mort du P. Mersenne, le i^' sep- tembre 1648; il était à peu près seul à savoir le moyen de faire parvenir sûrement à son ami en Hollande les écrits publiés en France. Carcavi s'empressa de réparer l'omission : Descartes reçut aussitôt, dans une lettre du 9 juillet 1649, ^^s détails qu'il réclamait ^ Et comme ceux-ci concordaient de tout point avec ses prévisions, il se déclara satisfait, en rappelant toutefois que « c'était lui qui avait prié Pascal, il y a deux ans, » de vouloir faire cette expérience, en l'assurant du succès ». Pascal néanmoins, dans son Récit, n'ayant pas nommé Des- cartes, on a pu se demander si celui-ci avait bien fourni l'indi- cation qu'il prétend, et ne s'en était pas fait un peu accroire à ce sujet. Mais une lettre, non publiée en 1667, seulement citée par Baillet en 1691, puis imprimée beaucoup plus tard, et qui demeura longtemps ignorée, confirme pleinement aujour- d'hui ses affirmations. C'est une réponse de Descartes à Mersenne, en date du i3 décembre 1647, et qui permet de reconstituer suffisamment la lettre de ce dernier. Mersenne parlait d'abord d'un opuscule de Pascal, achevé d'imprimer le 8 octobre, les Expériences nouvelles, dont il envoie plusieurs exemplaires à des amis de Hollande, par les soins de Huy- gens ; Descartes répond qu'il a reçu le sien, de la part de l'au- teur (qui cette première fois ne l'avait pas oublié) ; et il remercie. Mersenne lui parlait sans doute ensuite des expé- riences du vide, et Descartes rappelle que dès l'origine on aurait dû le tenir au courant; il a peine à pardonner un tel silence à son vieil ami. Craignait-on qu'il ne fît lui-même des expériences semblables et ne s'en attribuât tout l'honneur? Il va au-devant de ce soupçon injurieux, en déclarant que, s'il lui arrive de se servir des expériences faites par d'autres, il ne manquera pas de faire savoir de qui il les tient '^ ; et cette

a. Tome V, p. 370, 1. 4-27.

b. Ibid., p. 98, 1. 2-4.

c. Ibid., p. 98, 1. Il à p. 99, 1. 8.

�� � Voyages en France. 45 5

déclaration, qui ne nous étonne pas de sa part, est tout de même à retenir. Puis, Mersenne lui ayant sans doute parlé du projet de Pascal (car, autrement, pourquoi Descartes lui en reparlerait-il de lui-même ?), notre philosophe rappelle que c'est lui qui a averti le jeune savant de faire une telle expé- rience^. Il ne dit pas que lui, Descartes, en a eu l'idée avant tous, d'autant plus que Mersenne venait précisément de publier le premier cette idée comme sienne, dans la Préface de ses Nouvelles Observations, achevées d'imprimer le i " oc- tobre 1647. Descartes n'avait pas encore reçu, il est vrai, ce volume, qui dispensait Mersenne de lui refaire par lettre l'his- torique des expériences du vide ; les exemplaires ne furent envoyés en Hollande que par les libraires, et non par l'auteur lui-même ". Mais Mersenne et lui s'en étaient certainement entretenus à Paris, en septembre 1647, ^^ s® trouvaient d'accord sur cette expérience, que l'idée en fût venue à l'un ou à l'autre. Et Descartes, qui eut ensuite l'occasion de voir Pascal, lui en aura parlé, comme il l'affirme dans sa lettre du i3 décembre. Il eut, en effet, deux entretiens, dont nous avons les dates, lundi et mardi, 23 et 24 septembre, avec Pascal, et au domicile de ce dernier '^. Le fait encore est à noter : Descartes, qui avait cinquante ans passés, se rend de lui-même chez le jeune Pascal, qui n'avait pas vingt-cinq ans encore. La démarche est à l'honneur de l'un et de l'autre. Pascal, il est vrai, était malade, et Descartes vint même, le second jour, comme médecin, pour une consultation. Mais le premier jour, c'était bien le savant qui visitait un autre savant. Il se sou- venait de V Essai pour les Coniques, composé par Pascal à l'âge de seize ans, et qu'on lui avait envoyé de Paris en 1640'. Et il ne gardait pas rancune au fils de l'attitude de son père,

a. Tome V, p. 99, 1. 9-12.

b. Tome X, p. 625-626.

c. Voir ci-avant, p. 449, noie.

d. Tome V, p. 71-73.

e. Tome III, p. 47, 1. 7-11. BlaiSe Pascal était né à Clermont-Ferrand, le 19 juin 1623. Il mourut à Paris, le 19 août 1662. Il perdit son père, Etienne Pascal, le 27 sept. i65i.

�� � 456 Vie de Descartes.

Etienne Pascal, dans les querelles mathématiques de i638, où ce dernier, avec Roberval, avait pris parti pour Fermât contre notre philosophe^.

Grâce à Jacqueline Pascal, nous avons un récit de leur entretien, le premier jour,'sur la machine d'arithmétique, sur le vide, sur la matière subtile. Nous n'avons pas, malheureu- sement, un récit semblable du second entretien, celui sans doute où fut indiquée l'expérience à faire, au pied et au sommet d'une montagne. Ce n'était pas trop de l'autorité de Descartes, pour décider Pascal à la tenter : il en était dissuadé par Rober- val, convaincu qu'elle ne réussirait pas, et « que la même chose » se trouverait en haut qu'en bas ». Nous savons cela, non seulement par Descartes, qu'on pourrait suspecter, lorsqu'il parle de Roberval, mais par un autre témoin. Le Tenneur, correspondant de Mersenne ^. Ce même Le Tenneur se trouva à Clermont-Ferrand les derniers mois de 1647, et Mersenne lui demanda d'essayer, sur le Puy-de-Dôme, l'expérience qu'il venait d'indiquer dans la Préface toute récente de ses Obser- vations, et de laquelle il attendait la solution du problème, comme il l'écrivait à Sorbière, le 5 novembres Mersenne ne savait-il point, par hasard, que Descartes avait déjà demandé la même chose à Pascal? Mais Pascal était malade à Paris, hors d'état de se transporter en Auvergne, et Mersenne igno- rait peut-être que le beau-frere de Pascal, Florin Périer, pour- rait lui rendre sur place à Clermont ce service. En tout cas, Pascal a raison, dans sa lettre du i5 novembre 1647'^, ^^ citer Mersenne, qui, dit-il, avait fait espérer cette expérience aux savants, puisque, sans compter les lettres du religieux à Sor- bière, à Huygens, à Descartes, que nous connaissons, la Pré- face de ses Observations était imprimée avec le livre dès le

a. Voir ci-avant, p. 261.

b. Tome V,'p. io3 : lettre du 8 janv. 1648. Et p. 366, 1. io-i5.

c. Voir ci-avant, p. 449, note. Voir aussi t. V, p. io3 : lettre de Mer- senne à Huygens, 4 janv. 1648. Quant à sa lettre à Le Tenneur, elle est perdue; mais nous la connaissons par la réponse qu'y fit ce dernier, le 8 janv. 1648 : ibid., p. 103-104.

d. Tome V, p. io2-io3.

�� � Voyages en France. 457

i" octobre 1647. Et si Pascal ensuite ne cite pas Descartes, comme il aurait pu et dû le faire (en quoi, certes, on peut trouver qu'il est en faute), c'est sans doute qu'une simple conversation, peut-être un mot dit en passant, ne lui parais- sait pas avoir l'importance d'un imprimé ou d'une lettre écrite ; et il croyait s'être acquitté envers Descartes, en lui faisant tenir un exemplaire de ses Expériences nouvelles, aussitôt parues, le mois d'octobre suivant.

Quoi qu'il en soit, Descartes se montra, en cette circons- tance, à la fois le philosophe avisé, qui tourne aussitôt au profit de sa théorie de la matière subtile une expérience nouvelle; et le savant perspicace, qui indique un moyen sûr de confirmer cette expérience et d'en donner l'explication vraie. Quant à l'exécuter lui-même dans les conditions qu'il indique, il n'y pouvait songer en Hollande : le seul endroit où elle eût été possible dans ce pays plat, dépourvu de montagnes, était la ville d'Utrecht, à cause de la hauteur de son clocher*; or cette ville lui était interdite, et il ne pouvait plus s'y rendre sans danger pour sa personne. Mais il n'oublia pas les con- versations qu'il avait eues avec Pascal, et cet épisode nous apparaît aujourd'hui, encore plus qu'à lui-même, en raison des découvertes scientifiques qui suivirent, comme le fait capi- tal de son voyage en France l'année 1647.

a. Il avait envoyé cette hauteur à Mersenne, « très exaélement mefurée : » 35o pieds de Roy iuftement, en contant le coq qui eft delTus, & ce » coq mefme auec la pomme qui le fouftient eft haut de 16 pieds & » 7 pouces ». Lettre du 23 août i638, t. II, p. 33o-33i. — Pascal avait fait à Paris l'expérience du vide « au haut et au bas de la tour S. Jacques » de la Boucherie, haute de 24 à 25 toises ». [Œuvres, édit. Léon Brunschvicg et Pierre Boutroux, t. II, 1908, p. 368.) La tour d'Utrecht, étant plus du double de hauteur, n'en aurait que mieux convenu. On devait l'utiliser plus tard pour d'autres expériences. Le 27 août 1661, R. Moray écrivait à Ch. Huygens: « le voudrois auffi fçauoirfi vous auez » iamais pris la peine de mefurer mechaniquement la proportion de » l'augmentation de la vélocité des corps dcfccndans, ou tombans de » grande hauteur. Si vous iugez qu'il vaille la peine, il me femble que » vous en pouuez auoir une fort bonne commodité pour en faire les » experiments, fur le clocher d'Utrecht. » (Œuvres de Christian Huy- gens, t. III, p. 3 17-3 18.)

Vie de Descartes. 58

�� � CHAPITRE III

VOYAGE A PARIS

(1648)

RETOUR EN HOLLANDE

��Le troisième voyage de Descartes en France lui fut, dit-il, « commandé comme de la part du roi^ ». Une pension lui avait été, en effet, accordée ; en outre il espérait un emploi qui lui aurait laissé tout loisir pour ses études, mais cet espoir fut déjoué par les événements.

Le brevet de pension se trouvait sans doute dans les papiers laissés par le philosophe. Baillet nous en donne, en effet, la date, 6 septembre 1647, en citant l'inventaire de ces papiers. Descartes en était à sa septième publication depuis lôSy, et précisément cette année 1647, la traduction française des Médi- tations avait paru à la fin de février, et à la fin de juillet celle des Principes. L'attention était donc attirée sur notre philosophe, et on comprend que ses amis aient jugé le moment favorable pour lui faire obtenir quelque faveur du roi. Baillet cite même plusieurs lignes du document officiel, les seules qui aient été conservées : une pension de 3, 000 livres était octroyée à Des- cartes « en considération de ses grands mérites, et de l'utilité » que sa Philosophie et les recherches de ses longues études » procuraient au genre humain : comme aussi pour l'aider à

a. Tome V, p. 328, 1. 9.

b. Ibid., p. 68.

�� � Voyage a Paris. 459

» continuer ses belles expériences qui requéraient de la » dépense... » C'était une réponse aux doléances exprimées déjà par le philosophe à la fin du Discours de la Méthode en 1637, et réitérées dans la Préface toute récente de la traduc- tion des Principes^.

Une première question se pose. Descartes fut-il informé de cette pension dès le mois de septembre 1647 ? Baillet l'affirme sans preuves. Mais pourquoi serait-il aussitôt reparti pour la Hollande? Mieux valait rester en France, afin d'y profiter de ces bonnes dispositions de la Cour à son égard. Il s'évitait ainsi la peine d'y revenir « par ordre » dès l'année suivante. Or nous avons vu qu'il avait quitté Paris dès le commencement d'octobre, sans connaître encore les ouvrages de Mersenne et de Pascal, achevés d'imprimer le i" et le 8, et que dans le courant de ce mois il était de retour à Egmond. Vraisembla- blement, il ne savait pas encore qu'une pension venait de lui être accordée; il n'avait rien demandé, et on agissait à son insu. De fait, il n'en dit mot dans sa correspondance, avant le 3i janvier 1648; à cette date, il en fait part comme d'une bonne nouvelle à la princesse Elisabeth, à qui cependant il avait écrit le 20 novembre précédent. Et il ne lui parle que de l'off^re qui lui était faite d'une pension ; il n'en avait donc pas encore reçu le brevet. Ceci l'obligera, ajoute-t-il, de retourner en France l'été prochain, et peut-être d'y passer ensuite tout l'hiver. La chose cependant commençait à s'ébruiter, non seu- lement à Paris, mais en province, à Tours, par exemple, où Le Tenneur donnait même le chifi^re, 3, 000 livres, dans une lettre à Mersenne, du 1 6 janvier 1 648'^. Nous sommes un peu loin du 6 septembre précédent. Mais peut-être les lettres royales portant cette date ne suffisaient point pour l'octroi de la pen- sion; d'autres formalités étaient nécessaires : l'expédition du brevet, par exemple, demandait un certain temps. Déjà en 1644,

a. Tome VI, p. 72-74; et t. IX (2' partie), p. 20.

b. Tome V, p. 1 13, 1. 7-9.

c. Ibid., p. 78.

�� � 460 Vie de Descartes.

une pension du même genre avait été accordée à Saumaise, pour le faire revenir en France : or un intervalle de plus de deux mois s'écoula entre l'attribution de la pension, 3 septembre, et les lettres royales qui en accompagnèrent l'envoi, le -4 no- vembre*. Supposons un intervalle semblable, et peut-être

a. Tome IV, p. 145. On lit, à ce sujet, dans la correspondance de Gui Patin :

A M. Spon, médecin à Lyon, 24 déc. 1643 : « ...M. le Surintendant, » qui eft le Prefident de Bailleul, veut obliger M. de Saumaife en amy (je » fçay bien qu'il l'aime fort), & trouver les moyens de le faire revenir en » France & de l'arrefter à Paris à bonnes enfeignes : quod utinam fiât! » Et c'ert pourquoy beaucoup de gens difent à Paris, que M. de Saumaife » reviendra icy l'efté prochain. Je fouhaitterois volontiers qu'il ne revint » pas de deçà, qu'il n'euft fait imprimer à Leiden tout ce qu'il a tout » preft en ce qui regarde la religion : d'autant qu'il n'en aura jamais icy » gueres de liberté, veu que nous fommes icy tous entourez & obfedez » de moines & de moineaux de tout plumage, qui per fas & nefas veri- » tatem in injujiitiâ detinent. » [Lettres de Gui Patin, édit. P. Triaire, Paris, Champion, t. I, 1907, p. 355.)

A M. Belin, médecin à Troyes, 20 sept. 1644 : « M. de Saumaife va » quitter la Hollande, & s'en vient demeurer à Paris, moyennant Cix » mille livres de penfion annuelle à prendre fur l'Eledion. » [Ibid., p. 421.)

Au même, 1" oct. 1644, même nouvelle. (Page 423.)

A M. Spon, médecin à Lyon, 21 oct. 1644 : « M. le Cardinal Mazarin, » a enfin fait conclure l'affaire depuis deux mois, qui clloit fur le bureau, » il y a plus de 4 ans : fçavoir, de faire revenir M. de Saumaife en » France ; ce qui luy eft accordé fans aucune condition ny reftriftion. Il » viendra demeurer icy, moyennant fix mil livres de penfion annuelle » qu'on luy donne à prendre fur l'Eleftion de Paris. M. le Prefident de » Bailleul, furintendant des finances, eft aufïï fort de fes amis : ce qui luy » aidera fort pour eitre bien payé. » (Page 43 1.)

A M. Belin, 29 oct. 1644 : « M. de Saumaife eft encore en Hollande. » On dit qu'il fera icy fort perfecuté des jefuites, quand il y fera. >> (Page 434.)

A M. Spon, 8 nov. 1644 : « M. de Saumaife eft encore en Hollande. . . » Nondum confiât de ejiis reditu, parce qu'on ne luy a pas encore envoyé » fes lettres. » (Page 436. j

A M. Spon, 12 sept. 1645 : « ...Monfieur de Saumaife... pcnfoit l'an » pallé à revenir demeurer icy; & de fait, on en traita exprés. Les amis « qu'il avoit de deçà lui confeilloient la plupart de n'y pas venir, & de ne )) pas quitter le certain pour l'incertain : qu'il pourroit eftre payé un an » ou deux de fa penfion, & peut-eftre jamais plus après. Le nonce du

�� � Voyage a Paris. , 461

même encore plus long, pour la pension de Descartes; ajou- tons-y quelques semaines, pour qu'on sût où le trouver dans sa retraite, et que le brevet lui parvînt au fond de la Hollande : nous atteignons ainsi le mois de janvier 1648.

Le 3i janvier donc, Descartes parle pour la première fois de retourner en France. En février, il prend certaines dispo- sitions, qui annoncent un départ définitif : il le dit à Pollot, le 7 février ^ Il veut régler son affaire avec les gens d'Utrecht, et le 21, il leur envoie, en guise d'adieu, à la fois en français et en flamand, sa Lettre apologétique rédigée seulement en latin d'abord. Il se demandait aussi quel emploi on pourrait bien lui donner. Il venait d'apprendre qu'un savant de sa con- naissance, Carcavi, avait été nommé résident à Raguse, et il

» pape s'en mefla aufïi pour l'empefcher ; de forte que, voyant toutes ces » difficultez, il abandonna l'atîaire, avec refolution de n'en parler jamais: » joint que les Hollandois luy tefmoignoient qu'ils avoient grand regret » qu'il les quittât. » (Page 471.) Patin parle ensuite d'un prochain ouvrage de Saumaise, « de la Primauté de Saint Pierre », en latin, et de trois auteurs qui se préparent à écrire en France contre lui. « Toutes » ces petites querelles nous font tort, & nuifent au public. Si ce grand » héros de la republique des lettres alloit fon grand chemin, fans fe » détourner pour ces petits clo^'leurs; s'il faifoit comme la lune, qui ne » s'arrefte point pour les petits chiens qui l'aboyent, nous pouirions » jouir de fes plus grands travaux, qui nous feroient plus de bien que » toutes ces menues controvcrfes. • . » (Page 472.)

A M. Belin, 16 déc. 1645 ; « On parle icy de cenfurer le livre de M. de » Saumaife, De Primatu Papœ : &. je penfe bien qu'on en viendra là. » (Page 490.)

Au même, 2 janv. 1C46 : « Le Clergé, qui efticy affemblé, fedifpofe de » faire quelque chofe contre le livre de M. de Saumaife ; li la ccnfure » s'en imprime, je vous en feray part. Il cfchappera belle, s'il n'eft » bruflé comme un beau petit fagot de bois {i:Cy ou tout au moins déclaré » bruflable. » (Page 491.)

Le 7 oct. 1645, Conrart écrivit à Rivet : « La liberté dont M. de » Saumaife a ufé dans fon livre de La Primauté e(l comme un vœu de « renoncer à fa patrie, & comme des lettres de naturalité qu'il fe donne » chez MM. des EUats. C'eit une perte pou.- la France, mais c'cll un » avantage pour noftre religion. » [Valentin Conrart, par Kerviler (!<: Barthélémy, Didier, 1881, p. 289.)

a. Tome V, p. 123-124. et p. 125.

�� � 462 Vie de Descartes.

s'en réjouît^. Souhaitait-il pour lui-même quelque chose de semblable ? Le 21 février, dans une lettre à Chanut, résident à Stockholm, il avoue ingénument qu'un emploi de ce genre, qui laisse le loisir de cultiver son esprit, ne serait point pour lui déplaire. Cependant nos diplomates étaient bien occupes du temps de Richelieu et de Mazarin, et leur emploi, comme en témoigne la correspondance de Chanut et de Brasset, les prenait tout entiers. Peut-être aussi pensa-t-on pour Descartes à une charge de conseiller dans une cour de Parlement, celle de Rennes, par exemple, où siégeaient déjà ses deux frères ^ ? Mais il aurait fallu l'acheter ; et ce retour dans sa famille sans doute ne le tentait guère. Rien de tout cela d'ailleurs n'aboutit, si ce n'est l'octroi d'une pension.

Fut-elle payée au moins? Baillet assure que Descartes toucha le montant trois années de suite, c'est-à-dire en 1647, 1648 et 1649. Pour 1647, le fait est plus que douteux, et Baillet ne cite qu'une lettre d'ailleurs perdue, de Descartes à Picot, du i3 novembre 1648 ". Mais en ce temps-là on ne payait guère les pensions ; on ne payait même pas les traitements, et la correspondance diplomatique de Chanut et de Brasset est entremêlée de maintes réclamations à cet égard et de plaintes pour un arriéré de plusieurs années. Baillet d'ailleurs est un peu embarrassé de son affirmation ; et il suppose une seconde pension. La première seule aurait été payée. L'autre, expédiée seulement en mars 1648, aurait déterminé le voyage en France. Mais il reconnaît lui-même l'invraisemblance d'une telle supposition, que rien dans les papiers de Descartes n'autorise : on y aurait retrouvé la date de la seconde pension

a. Tome V, p. 119,1.21-23, et p. i3i,l. 14-19 : lettres du 7 et du 21 févr. 1648.

b. Opinion de Lipstorp. Voir Baillet, loc. cit., t. II, p. 338 (en marge) : « Lipftorp, pag. 85, dit que c'étoit une charge de Confeiller au » Parlement de Rennes, mais fans apparence. »

c. Tome V, p. 68. Cette lettre aurait dû être indiquée, en outre, p. 234, avant la dxxx«, du 7 décembre 1648.

d. Ibid., p. 139-140 : lettre du 4 avril 1648.

�� � aussi bien que de la première. Les retards de celle-ci s’expliquent : tout ne fut réglé à Paris qu’en janvier, où on l’annonça à Descartes, et il n’en reçut qu’en mars la confirmation officielle. Encore avait-on dû intervenir pour hâter les formalités[372]. Descartes nomme M. de Martigny, dont malheureusement nous n’avons point les lettres ; il remercie également un personnage sans lequel M. de Martigny lui-même n’aurait pas réussi, et il semble bien que ce soit Jean de Silhon, secrétaire du cardinal Mazarin, et auteur philosophique[373]. Le brevet fut 464 Vie de Descartes.

donc expédié, non sans frais toutefois, que l'on fit payer à quelqu'un de la famille : Descartes eut la surprise désagréable,

» courage n'eft pas moindre que le fien? [Saumaise venait de refuser » une petision.) Sça.chant cela & me connoiiTant au point que vous faittes, » je m'eftonne, Monfieur, que vous ayez attendu ma refponfe pour » affeurer Momieur Silhon de ma confiance dans le genre de vie que j'ay » choifi. En effet, je ne changerois pas mon hermitage pour un Evefché. » Je parle tout de bon & fans faire le Rhetoricien : dix mille efcus de » penfion ne me feroient pas aller à Paris. . . Je ne laiffe pas d'eftre infi- » niment obligé aux foins de Monfieur Silhon & aux bontés de fon Emi- » nence, qui m'a fait l'honneur de penfer à moy, & qui jugeant de la » difpofition de mon efprit & de mes defirs par ceux des autres, a cru que » c'eftoit me prefenter le Souverain Bien, que de m'offrir quatre ou cinq » mille livres par an pour fubfifter à la Cour. . . » Enfin, dans une lettre à Chapelain, du 20 févr. 1645 {Mélanges etc., t. I, p. 63 1), Balzac com- mence ainsi des vers sur Silhon :

Ut Sophiam Mujafque fuperbam ducit in Aulam Silo meus . . .

Or Descartes avait connu Silhon à Paris, et s'informait de lui dans ses lettres : t. I, p. i32 et p. 201 : lettres du 18 avril i63o et du 25 avril i63i ; plus tard encore, 3i mars i638, t. II, p. 97, 1. 13-14. Et nous avons vu, t. I, p. 352, qu'ils s'écifivaient. Le ton amical de la lettre en question conviendrait donc : « vous m'auez defia fait plus de bien que la » plufpart de tous les parens ou amis que i'ay iamais eus. » (Tome V, p. 134, I. 16-18.) En outre Silhon était aussi un philosophe, auteur d'un traité de métaphysique : Les deux Verite\, c'est-à-dire Dieu et l'âme. Dans un sentiment de bonne confraternité, qui est à son honneur, il aura mis son crédit au service de Descar.tes, comme pour Balzac et pour Saumaise. Ajoutons que la grande question que Descartes traite dans cette lettre, est de celles qui intéressaient le plus Silhon, puisque ce n'est rien moins que l'existence de Dieu. L'autre question, expédiée en quelques lignes, est métaphysique, bien que physique également : problème de la communication du mouvement. (Voir, à ce propos, un alinéa identique, lettre à Debeaune, 3o avril 1639, t. II, p. 543, 1. 8, à • . 544, 1. 2, et dans la présente lettre, t. V, p. i35, 1. 22, à p. i36, 1. i3.) Il est donc vraisem- blable que le destinataire de cette lettre était Silhon, bien que ce ne soit qu'une conjecture.

Citons à cette place, bien que nous eussions dû le faire plus tôt (p. 93 et p. 1 32-1 37), certaines pages de Silhon, qui rappellent les idées de Descartes. L'ouvrage étant de 1634, elles peuvent remonter à des conver- sations entre les deux philosophes à Paris, de 1626 à 1628. Ce sont quelques idées de Descartes, mais sans le travail de préparation qui

�� � Voyage a Paris 46^

à son arrivée à Paris, d'avoir à rembourser d'abord ces avances. lien garda quelque dépit, et un an plus tard, il reve-

leur donne un sens métaphysique si particulier, et surtout sans les consé- quences scientifiques que leur donne notre philosophe.

De l'Immortalité de l'Ame. Par le Sieur de Silhon. (A Paris, chez Christophle lournel, 1662. In-12, pp. 700.) Les Approbations de la première édition sont rappelées en tête : Paris, 22 et 24 février j6?4.

« Du principe que tout ce qui a ejîre, ou le tient de foy, ou l'a receu, » nous pouuons conclurreque nous, & vne infinité d'autres chofcs, avons » receu nortre eflre. Par exemple : Tout ce qui a eJlre, ou le tient de foy, » ou l'a receu; or -efl-il que nous ne tenons pas nojlre eJlre de nous y me/mes; doncques nous l'auons receu. De ce principe fe tire la » demonrtration qu'il y a Dieu, que ie mettray au difcours fuiuant. » (Page 93.)

« Mais afin de contenter plainement les efprits les plus difficiles, & )> conuaincre les plus opiniallres ; afin de forcer les volontez les plus » déterminées à ne rien croire du tout, & à mettre tout en "loute ; & afin » qu'il n'y en ait pas mefmc de quoy repartir vainement, nv de quoy » faire vne mauuaifc obieftion en faueur du Pirrhonifme : voicy vne » connoifiance certaine, & en quelque fcns qu'on la tourne, & de quelque » iour qu'on la regarde, & dont il c{\ impolFible qu'vn homme qui cil » capable de reflexion & de difcours, puill'e douter & ne s'alVurer pas. » Tout homme, dis-ie, qui a l'vfage du iugement & de la raifon, peut n connoirtre qu'il ejl, c'eft à dire qu'il a vn cltre ; & cette connoillance efl » fi infaillible, que foit ou que toutes les opérations des fens externes » foient en elles-mefmes trompeufes, ou qu'on ne puiiTe pas dillinguer w entr'elles & celles de l'imagination altérée, ny s'alTeurer entièrement li > l'on veille qu fi l'on fonge, & fi ce qu'on voit eft vérité ou illufion & » f;.inte : il eft impoffible qu'vn homme- qui a la force, comme plufieurs » l'ont, de rentrer en luy-m^fme, & de faire ce iugement qu'il ejl, qu'il » fe trompe en ce iugement, c qu'il ne foit pas. C'eft vne vérité aufll fen- » fible à la raifon, que celle du Soleil Tell aux yeux fains, que l'opération » fuppofe l'eftre, qu'il eft neceffaire qu'vne caufe .foit afin qu'elle agiffe, » & qu'il eft impoiïible que ce qui n'eft pas faffe quelque chofe. Dieu » mefme peut tirer du néant à l'eftre & à l'exiftence ce qui n'ell pas ; il » n'a pas befoin pour agir de fujet ny de matière, & toutes les chofes » créées font forties immédiatement de fa puilTance. Mais de faire que ce » qui rt'eft pas, agiffe auparauant qu'il foit : c'eft ce qui emporte contra- » di£lion : c'eft ce que la nature des chofes ne fouffre pas : c'eft ce qui eft » du tout impoffible. »

« Or ce iugement que l'homme fait, qu'il ejl, n'eft pas vne connoif- » fance friuole, ny vne reflexion impertinente. Il peut de là monter par » difcours iufqu'à la première & originelle fource de fon eftre, & à la Vie de Descartes. 5g

�� � nait, dans une lettre à Chanut, sur ce beau parchemin, si bien scellé, mais qui coûtait si cher, et lui avait d’ailleurs été parfaitement inutile ^. Comment croire, après cela, qu’il ait jamais touché quelque argent de cette pension ?

Paris lui réservait d’autres surprises encore. Il avait quitté sa retraite d’Egmond les premiers jours de mai 1648. Le 7, il était à La Haye, d’où il écrivit à la princesse Elisabeth^, comme il faisait chaque fois qu’il quittait la Hollande. Le 8, il partit pour Rotterdam, d’où il s’embarqua à destination de France. Mais il n’était pas plus tôt arrivé à Paris, qu’il pensait déjà à repartir ; il ne s’en cacha pas dans ses premières lettres,

» connoiffance de Dieu mefme. Il en peut tirer la demonftration de l’exiftence d’vne Diuinité, comme ie monftreray au premier difcours du liure fuiuant. . . «(Pages 124-126.)

« ...l’ay dit, au premier Liure, que nous pourrions tirer de la connoiffance que nous pouuons auoir certaine & infaillible de l’exiftence de noftre eftre (c’eft à dire que nous fommes actuellement & de fait, & qu’il n’eft pas vray que nous ne fommes pas) : que nous pouuons, dis-le, tirer de cette connoilfance, la connoilTance de l’exitfence de la Diuinité, en raifonnant de cette forte. Ou nous tenons de nous-mefmes l’eftre dont nous iouyifons, ou nous l’auons receu de quelque caufe qui eil hors de nous, & il nous a efté communiqué de dehors. Il eft certain & hors de doute, que nous ne le tenons pas de nous-mefmes, & partant qu’il nous a eflé communiqué. Et ainfi nous fommes alïeurez, de toute-certitude, qu’il y a pour le moins vn eftre Contingent, quand il n’y en auroit que le noftre. Or s’il y a feulement vn eftre Contingent en la nature, & qui ne foit pas de luy-mefme, il faut éuidemment qu’il y en ait vn autre par qui il foit; & lî celuy-Jà n’eft pas Contingent, qu’il foit par confequent Necelfaire, puis qu’éuidemment tout eftre eft ou Contingent ou Necelfaire. . . » (Pages 171-172.) Et le développement continue pendant quelques pages encore.

L’indication de ce passage est due à Fortunat Strowski, Pascal et son temps, 3’= partie, p. 283-284. (Paris, Plon-Nourrit, 1908, in-8, pp. 410 ) — Citons cette phrase curieuse de Silhon, en tête du même ouvrage, dans l'Epistre à Monseigneur l'Emmentissime Cardinal Duc de Richelieu, 1634 : « ...s’ils (les Espagnols) ne les euflent menacez de leur affreuse Inquisition, qui fait mesme peur aux Catholiques des autres Pays ». (Non paginé, p. 11-12.)

a. Tome V, p. 328, 1. 10-24 ’• lettre du 3i mars 1649.

b. Lettre perdue d’ailleurs. Ibid., p. igS, 1. 5, et p. i83, note. Voyage a Paris. 467

à la même princesse et à ses amis de Hollande *. Il tombait mal en effet; les troubles de la Fronde allaient commencer, et la menace de ces orages qu'il n'avait pu prévoir, lui faisait regretter le ciel plus serein de la Hollande. Il se compare à un convive, que des amis ont invité, et qui trouve en arrivant la cuisine en désordre et la marmite renversée : il n'avait plus qu'à s'en retourner^. S'intéressait-on au moins à lui, je veux dire à sa philosophie ? Il ne le semble pas. On me voulait seu- lement avoir en France, dit-il lui-même, comme un animal rare, un éléphant ou une panthère, par pure curiosités

Notre philosophe exagère sans doute, et ce langage trahit un peu d'amertume. Car il avait de fidèles amis et des admira- teurs sincères. Arnauld était du nombre, et le sachant à Paris, il lui écrivit une lettre, où il se déclarait partisan de sa philo- sophie, à deux ou trois scrupules près. Les quelques petites difficultés qui l'arrêtaient encore, n'étaient rien moins que l'une des preuves de l'existence de Dieu; puis l'essence de l'âme, à propos de la pensée des enfants au sein de leur mère ; et enfin, à propos du vide, l'essence du corps. 11 n'était pas non plus rassuré au sujet du Saint-Sacrement, et ignorait donc l'explication donnée au P. Mesland les années précédentes : ce qui prouve que celui-ci l'avait gardée secrète. Descartes répondit brièvement à cette lettre, dont l'auteur ne se nommait pas ; il promettait d'être plus explicite dans un entretien de vive voix. Mais Arnauld était forcé de se cacher ; on était au plus fort du jansénisme, et il courait le danger d'être arrêté et enfermé à Vincennes, comme naguère Saint-Cyran. Descartes, à ce propos, dut faire ses réflexions sur la liberté dont on jouis- sait en France, quand on y exprimait des idées qui déplaisaient au pouvoir, ou seulement à ses anciens maîtres les Jésuites : nouvelle raison pour lui de regagner au plus tôt la Hollande.

a. Tome V, p. i83, 1. 20-2t, et p. 198, 1. t8-23.

b. Ibid., p. 292, 1. 22-25 : lettre à Chanut, 26 févr. 1649.

c. Ibid., p. 329, 1. 2-5 : du 3t mars 1649.

d. Ibid., p. 184 et 192, p. 211 et 219 : juin et juillet 1648.

�� � 468 Vie de Drscartes.

D'autre part, le cercle de savants au milieu desquels il fut introduit, ne lit point non plus à ses idées l'accueil qu'il espé- rait. Nous avons le compte rendu d'une séance, où Roberval et lui prirent l'un contre l'autre la parole ; il est vrai que Roberval se donne le beau, rôle, et Descartes ne se souciait plus, comme en 162S, de se mettre en frais d'éloquence, pour le divertissement d'un auditoire. D'ailleurs, étant donné les posi- tions prises par les deux adversaires, aucun terrain d'entente n'était possible. Roberval se donne comme un pur géomètre, pour qui la géométrie est une science avec son objet propre, à savoir le solide géométrique ou l'espace, et la physique une autre science, dont l'objet est le corps qui se meut dans cet espace. C'était rejeter toute la physique de Descartes, en se refusant même à examiner la métaphysique qui en est le fon- dement. Pour Descartes, en effet, l'espace ou l'étendue est le corps même : la physique rentre donc tout entière dans la géométrie, et il prétend le prouver par sa métaphysique. On voit d'ici le sourire méprisant de Roberval ; on entend son ton d'ironie et de persiflage à l'égard du philosophe. Et celui-ci n'avait peut-être plus auprès de lui son fidèle Mersenne, gra- vement malade depuis quelque temps, et qui s'alita le 27 juillet pour ne plus se relever.

Il trouvait cependant aussi des amis, si l'on peut donner ce nom à des personnages qui affectaient volontiers des airs de protection à l'égard des hommes de lettres. Tel ce grand seigneur anglais, le marquis de Newcastle, qui se plut un jour à réunir à sa table Hobbes, Descartes et Gassend, les trois meilleures têtes de philosophes en ce temps-là, dira plus tard Sorbière : est-ce en souvenir de ce dîner, que Descartes se compare à une bête curieuse qu'on exhibe? Tel surtout M. de Montmort. Celui-ci alla jusqu'à offrir à Descartes, s'il voulait demeurer en France, une maison à la campagne, près de Paris, d'un revenu de trois à quatre mille livres : Gassend

a. Tome XI, p. 687-690. Voir aussi t. V, _p. 201-202.

b. Tome V, p. 118, et ci-avant, p. 448, note b.

�� � Voyage a Paris. 469

plus tard ne se fera point scrupule d'accepter. Mais Descartes tenait trop à sa liberté pour devenir ainsi l'obligé d'un parti- culier, en acceptant de faire en quelque sorte partie de sa mai- son, et d'être comme on disait alors, sans penser à mal, « son » domestique ». Il avait déjà refusé une somme d'argent que le comte d'Avaux lui avait envoyée jusqu'en Hollande pour ses expériences. Cela l'humiliait dans sa fierté de gentilhomme; et puis, disait-il, « c'était au public à payer ce qu'il faisait pour » le public^ ». On se le tint pour dit, et l'abbé Picot, dans sa lettre-préface du 8 novembre 1648, fut compris, quand il déclara, au nom du philosophe, « qu'on avait sujet de se » persuader, qu'il ne voudrait pas même recevoir aucune aide » d'autrui, encore qu'on la lui offrirait ».

a. Baillet, t. Il, p. 461-462 : « Mais on peut répondre du peu d'at- » tache qu'il auroit eu pour ces avantages, par l'indifférence qu'il avoit » témoignée durant tout le têms de fa vie à l'égard des biens de ce » monde. Et (ce que les financiers regardent comme une folie), il étoit » plus curieux de connoître & d'expliquer les métaux, que de les amaffer. » Jamais il n'eut la penfée de théfaurifer. On ne luy trouva à fa mort » [en marge : Invent. MS., &.C.] que la valeur de deux cens rifchedales, » dont la moitié fut pour la récompenfe de fon valet, & l'autre pour les » frais de fa fépulture. Il n'avoit pas moins de générofité que de dés-inté- » relîement, & fon cœur ne put fe foumettre qu'à fon Roy pour le point » des libéralitez. Jamais il ne voulut accepter d'aucun Particulier les » fecours qu'on luy offroit pour fournir aux grandes dépenfes que » demandoient fes expériences. Il refufa avec civilité une fomme d'ar- » gent trés-confidérable, que M. le Comte d'Avaux luy avoit envoyée » jufqu'en Hollande [.en juarge : Mém. MS. de Clerfel.]. Il s'excufa de la » même manière auprès de M. de Montmor, qui luy avoit offert avec » beaucoup d'inftance l'ufage entier d'une maifon de campagne de trois » à quatre mille livres de rente [le Mefnil faint Denis, où il mena M. Gaf- » fendi après la mort de M. Defc.l. D'autres perfonnes de la première » confidération luy avoient ouvert leurs thréfors, mais toujours fans » effet. Il appréhendoit d'un côté les reproches fécrets de fa naiffance » qui l'élevoit au delfus de ces fortes de gratifications; <S( de l'autre, ne » fe croyant redevable au Public que de ce qui étoit en fa difpofition, il » fe contentoit de répondre, que c'étoit au Public à payer ce qu'il faifoit » pour le Public [en marge : Mémoire de Clerf.]. » Et Baillet termine par une autre phrase, caractéristique aussi, qu'il tire d'une lettre de Descartes à Morin, i3 juillet i638 : voir notre t. II, p. 220, 1. 20-25.

b. Tome XI, p. 3o3, 1. 24-26.

�� � Une offre d’un autre ami, M. d’Alibert lui plut davantage. Celui-ci songeait à fonder une École des arts et métiers, dont il aurait fourni les frais, et qui devait être ouverte en dehors des heures ou des jours de travail, aux artisans et ouvriers désireux de s’instruire ■\ L’idée répondait bien aux vues de Descartes sur l’union de la théorie et de la pratique, ou de la science et’de ses applications : la science toute seule reste sans effets utiles, et l’art ou le métier, sans la science, n’est qu’une routine aveugle, incapable de se perfectionner. En outre, notre philosophe ne manqua jamais l’occasion de prendre comme par la main et d’élever jusqu’à lui quiconque se montrait digne de profiter de ses leçons. Nous avons vu ses instances pour faire venir en Hollande un habile tourneur de Paris, Ferrier, qui aurait travaillé sous ses yeux; il promettait de le traiter a comme » un frère ». Jean Gillot, un de ses anciens serviteurs, était devenu à son école un mathématicien capable de résoudre des problèmes envoyés par Fermat; et il enseigna les mathématiques à l’Ecole des ingénieurs de Leyde. Un autre, qu’il eut également à son service, Gérard van Gutschoven, devint professeur à l’Université de Louvain : il était donc catholique, tandis que Gillot était protestant. Le dernier de tous, celui qui le suivit en Suède, Henry Schluter, avait déjà quelque instruction, que Descartes l’aida à développer. Mais le plus intéressant est ce Dirck Rembrantsz, qui vint à trois reprises de son village de Nierop, à cinq ou six lieues d’E^igmond, se présenter à lui et finit par être reçu : c’était un simple cordonnier, et Descartes en fit un astronome. Le projet de Montmort, dans sa nouveauté, ne pouvait donc manquer de lui plaire. On aime à croire que, s’il eût vécu et qu’il fût revenu en France, avec l’aide de ce généreux Mécène, il l’eût réalisé’^.

a. Tome XI, p. 63c)-66o.

b. Voir ci-avant : p. 188 (Ferrier), p. 262-263 (Gillot). Pour Dirck Rembrantsz, voir t. V, p. 265-267; et jiour Schluter, ibiii., pp. 358,411 et 4i|3. (^uant à Gérard van Gutsciioven, voii- t. XI, pp. vu, xiii et xvi.

c. Parmi les conieinporaiiis qui suivaient les travaux de Descartes, mentionnons aussi Gaignières, qui écrivait à Mersenne, le 24 juin 1648 : Voyage a Paris. 471

Mais il avait hâte de retrouver sa tranquille retraite. La guerre civile menaçait de s'ajouter en France à la o;ucrre étrangère. Le 20 août 1648, Condé avait été vainqueur des Impériaux à Lens, et le 26 on célébra cette victoire à Paris par

« le vous fomiTiç de la promelle qu'il vous a pieu me faire, de me donner » un petit liure de Monlicur des Cartes. Secondement, ie vous coniurc, » lors que vous le verres, de luy tefmoigner lellime que ie fais de Ion » mérite «S: de fa vertu ; «Is: que ie délire auec paffion, qu'il me face l'hon- » ncur de me tenir pour l'on très humble feruiteur. » (Bibl. Nat., MS. fr. n. a. 6204, p. 292 ou fo 144.) Dans une autre lettre, non datée, mais de 1637 environ, le même Gaignières demandait déjà à Mersenne : « ...vollre » Harmonie en françois, un exemplaire de ce que fait M. Dclargues en » faueur de M. de Beaugrand, un exemplaire de ce que l'on imprime de » Galilée, & de ce que voflre amy fait imprimer en Hollande. . . » [Ibid., p. 557 ou fo 272.)

Guy Patin écrivait à un ami, Falconet, docteur en médecine à Troyes, de Paris, le 27 août 1648 « . . .M. Naudé, bibliothequaire de M. le cardi- » nal Mazarin, intime ami de M. Galléndy, comme il cil le mien, nous » a engagez pour dimanche prochain, à aller louper & coucher, nous » trois, en fa maifon de Gentilly, à la charge que nous ne ferons que » nous trois, & que nous y ferons la débauche : mais Dieu Içaii quelle » débauche ! M. Naudé ne boit naturellement que de l'eau, & n'a jamais » goûté vin. M. Gaffendy ell fi délicat, qu'il n'en oferoit boire, 6v s'ima- » gine que fon corps brulleroit, s'il en avoit bu; c'ell pourquoi je puis » dire de l'un & de l'autre ce vers d'Ovide :

« Vinafugit, gaudetque métis abfletnius undis. »

« Pour moy, je ne puis que jeter de la poudre fur l'écriture de ces » deux grands hommes. J'en bois fort peu, & néanmoins ce fera une » débauche, mais philofophique, & peut-eflre quelque chofe davantage : » pour élire tous trois guéris du loup-garou <S( délivrés du mal des fcru- » pules, qui efl le tyran des confcicnces, nous irons peut-eltre iufque » fort prés du fanfluaire. .le fis l'an palfé ce voyage de Gentilly avec » M. Naudé, moi feul avec lui, telle à telle; il n'y avoit point de témoins, )i aulTi n'y en faloit-il point : nous y parlafmcs fort librement de tout, » fans que perfonne en ait elle fcandalifé. . . » [Lettres de Gui Patin, if)3o-i(J~2. Édit. P. Triaire, t. I, 1907, p. 616-617.)

Et à M. Spon, médecin h Lyon, 8 janv. (640 : « J'ay grand regret que » vous n'ayez pas vu l'incomparable M. Galfendi : c'ell un digne pcrfon- » nage, ejl Silenus Alcibiadis. Vous eufTîez veii un grand homme en » jictite taille. C'ell un abbregé de venu morale i*<c de toiiics les belles " Iciences, mais entre autres, d'une grande Immiliie «S. honie, iS. ti'nne ') coniioillance très lublime dans les maihciiialit|ues. u (Ibid., p. 627.)

�� � 4/2 Vie de Descartes.

un Te Deitm; Descartes, si curieux jadis de cérémonies de ce genre, y assista peut-être. Mais le même jour, Mazarin faisait arrêter un président et deux conseillers au Parlement, et aussi- tôt le peuple, voyant là une provocation, y répondit en élevant des barricades. C'en était trop, et l'air du parvis de Notre-Dame ne valait plus celui d'Egmond"". Descartes partit dès le len- demain, 27 août, en toute hâte, non sans avoir dit adieu cepen- dant à son vieil ami Mersenne, qui agonisait. Mais il n'attendit pas sa fin, qui pourtant ne tarda guère : le P. Mersenne mourut le 1" septembre, « en parfait chrétien », certes, « et » en vrai religieux », suivant les termes' de son biographe, mais en savant aussi, désireux d'être utile à ses semblables jusque dans la mort : il avait recommandé aux médecins de faire son autopsie, afin de découvrir la cause de sa maladie, qu'on n'avait point su voir, et de mieux soigner dans la suite ceux qui en souffriraient"^.

Descartes ne prit pas le temps, à ce troisième voyage, de faire un tour, comme en 1647 ^' *^" 1^44? jusqu'en Bretagne et en Poitou, pour voir sa famille. Il y songeait cependant ; des amis l'attendaient même au passage à Blois et Azay-le-Rideau, sur la fin d'août'^'. Mais la précipitation de son départ coupa court à tout autre projet. Le 1 " septembre, il était à Boulogne, le_ 6 à Amsterdam, et trois jours après dans sa solitude d'Egmond.

Il ne garda rancune à personne de l'insuccès de ce voyage ; et même, par un sentiment de délicatesse, voyant combien ses amis en étaient eux-mêmes fâchés, et ne voulant pas, dit-jil, accroître encore leur fâcherie, ni avoir l'air de leur reprocher ce retour hàtif, il le laissa ignorer à ses correspondants : (Chanut, par exemple, ne le sut de lui que cinq mois après, par une lettre du 26 février 164g). Mais il suivait avec une curiosité

a. Tome V, p. 227-22S.

b. Mot de Brasser, 4 mars 1649 : ibid., p. 296, note a.

c. Ibid., p. 23o-23i.

d. Ibid., p. 229 : Auzoïit à Mersenne, 21 août 1648. Voir aussi p. 184.

e. Ibid., p. 292, 1. 15-17, 20-22 et 26-27. Peut-être aussi ne dit-il cela que pour e.xcuser son silence. Car sitôt rentré en Hollande, il avait écrit

�� � Voyage a Paris. 47 j

inquiète la marchedes événementsen France*. Il comptait, pour le renseigner, sur son ami Brasset, secrétaire de notre ambassade à La Haye; celui-ci, qui avait sans doute reçu les instructions du philosophe, et qui était sûr de répondre à ses désirs, ne manquait pas de lui envoyer à Egmond les nouvelles de Paris. Déjà, l'année précédente, lors d'une maladie de Louis XIV enfant, il l'avait aussitôt informé de la guérison, le sachant, dit-il, « trop bon français » pour ne pas s'en réjouir. Il le tient

à Elisabeth, p. 232, 1. 17-20 : « Grâces à Dieu, i'ay achcué le voyage » qu'on m'auoit oblige de faire en France; & ie ne fuis pas marry d'y » eftre aile, mais ie fuis encore plus aife d'en eftre reuenu. »

a. Il est curieux de voir avec quelle liberté un ami de Descartes, Chanut, jugeait les chofes de son pays, vues à distance. Il écrivait de Stockholm, à M. de La Cour, le 26 septembre 1648 :

« Je demeure d'accord que McflTieurs du Parlement doiuent auoir vn » grand regret d'auoir porté leur reliilance jufques au poind de donner » occafion aux fujeds de s'armer contre fon (sic) Souuerain. Je penfe que » les Cages de cette Compagnie en ont mal au cœur. Mais puifque le mal » e(l fait, & que nos déclamations contre l'imprudence de ceux qui l'ont » caufé, eft vne vaine confolation, veu mefme qu'vn particulier ne fe » doit pas charger de faire le procès à vn grand Corps, je vous prie, » Monlieur, de me permettre d'examiner les circonrtances de cet euene- » ment, pour y admirer la Prouidence | diuine fur noftre Ertai. Qui- » conque regardera fans pafTion l'adminillration des finances depuis )' quinze années, il eft impoflible qu'il n'admire la tolérance des fujets » du Roy. Confiderez feulement trois articles : l'ellrange hardieffe de » M. Defnoyers... » {Bibl. Nat., MS. fr. 17964, {'■ 718 v. et 719 7-.)

Chanut les énumère dans un véritable réquisitoire, et concluten remer- ciant Dieu : « . . .C'ell luy qui a ordonné la médecine ; il a premièrement » difpofé le malade en forte que la violence de la purgation ne ruinait » point fa fanté. Il nous a fortittlez au dehors par vne campagne de prof- » peritez; il a battu nos ennemis, alin qu'ils ne s'auantagealfent point de » noitrc foibleffe, & peu d'heures auparauant le tumulte de Paris, il a » donné vne célèbre victoire à leurs Majellez, afin que, fi d'vn coflé les » elfais de fedition monllrent de quelle façon les Souuerains doibuent » vfer de leur pouuoir abfolu, le peuple foit aulfy | retenu par le refpeil » d'vn Roy viflorieux. De cette méditation je conclus que, s'il plaid à la » volonté diuine nous preferuer des efmotions de fuitte dans les pro- » uinces, nous auons grand fujet de remercier fa bonté. Quant aux entre- » prifes du Parlement, le Roy a plufieurs moyens de les réduire... » (Ibid., ^720.)

b. Tome V, p. 93, 1. 8-1 5 : lettre du 4 duc. 1647.

Vie dk Descartes. 60

�� � 474 ^'E UE Descartes.

au courant de la tentative que fit sur Naples, avec une poignée de nos compatriotes, cet aventurier de duc de Guise, lors de la révolte de Masaniello. Plus tard, il s'empressa de lui annoncer que les troubles de Paris avaient pris fin à la paix de Rueil, et les mêmes expressions reviennent : Descartes, qui a le cœur bon français, doit en être attendrie Telle était, en effet, chez notre philosophe, « la force du sang français », ajoutons « et catholique », qu'apprenant alors par les gazettes la marche de l'archiduc Léopold sur Paris, « il prie Dieu », dit-il dans une lettre, « que la fortune de la France surmonte » les efforts de tous ceux qui ont dessein de lui nuire ^ ». Mais

a. Tome V, p. 297, 1. 5-8 : du 2 mars 1G49.

b. Ibid., p. 332, 1. 9-17, et p. 445, 1. 8-9 : lettres du 3i mars et du 4 nov. i64(). D'autre part, Chanui, dans une lettre de Stockholm, le lo avril 1649, au cardinal Mazariii, se félicitait de « l'hcureule nouueilc 1 de raccommodement des troubles de Paris. . . Cette reiinion doit » toucher tous les Frani;ois, félon ce qu'ils ont d'atîcch'on pour leurs » Maicllcz <Sc pour leur patrie. » iBibl. Nat., MS. fr. 17965, f" 236.) Kt un peu plus tard, au comte de Brienne, le 24 avril 1649, en réponse << à » celles qu'il vous a pieu m'cfcrire du 19 mars, que ie receus il y a liuicl » iours. Les nouuelles dont vous prilles la peine de me faire pan, m'ont » confolé contre les bruits qui ont couru icy en mefme temps, que l'Ar- » chiduc LeopoId elloit prés de l^aris, allilié des i^rands qui ont quiue le » Parlement. Cela fe trouue efcrii de tant d'endroits... ■■ [Ihid.. I" 24(1. ) Chanui avait écrit à M. de Lionne, le 20 fevr. 1649 : ■■ le fuis noyé de » trillelle poiii les troubles qui fe font elleucz dans P^iris. 1. Ft le même jour, au comte de Brienne : » (-es Gazettes d'Allcniayne & les adtiis » d'Hollande parlent de nos affaires en termes inlujiportables. » Ibid., f" 140 et f' 143.)

De son côté, l'rasset s'appuyait sur tous les Krançais établis en Hol- lande, pour soutenir la cause i.lu roi de France. ,'\ Mijr le comte de Brienne, 16 mars 1649 : « . . .l'ay conimance, Monicignciir, ;i faire l'ollice « que vous me commandez enuers les Minillres de devait. Mais comme » ceux de noltre nation qui Ibnt prefentcmenl à La Haye font panures » «rens tSc de peu de mile, ie feray palier parole à ceux qui ont le plus de )i voix & de crédit auec ceux de France, i'cntend/ M. Riuet à Breda, » Spanhein à Leyden, La Riuiere à Deiftz, iS; des Marellz à Gronini^ue. » M. de Saumaife ell hors de cette' prortelfion & beaucoup au defTuz ; » toutesfoys ellant en créance parmy ceux de cette Relii^ion, ie luy en M toucheray aully quelque chofe, i^t ce d'autant plus volontiers, que ie le » veoy très zeilé pour le feruice du Roy. . . » (Ibid.,/" i /><V.)

�� � Séjour a EniviOND. 47 c

lui-même avait fait comme ces bons mariniers qui prévoient la tempête, lui disait Brasset : prudemment il était revenu dans son refuge d'Egmond, à l'abri de tout péril ^ Néanmoins, et c'est ce qu'il est intéressant de retenir, on ne saurait s'en prendre au pouvoir royal, si notre philosophe a jugé bon de se retirer hors du royaume ; et on ne saurait s'en prendre non plus à Descartes, qui n'eût pas demandé mieux que de passer en France le reste de sa vie. Ce fut seulement la faute des circonstances qui ne le permirent point; et on ne voit pas à qui pourrait s'adresser personnellement le reproche qui semble contenu dans la phrase de La Bruyère : a Descartes, né Français, et mort en >> Suède... »

Où pouvait-il être mieux, en attendant, que dans son « ermi- » tage » d'Egmond, pour continuer ses expériences, consigner

a. Tome V, p. 297, I. i-5. La citation de Brasset : in fecejju longo, est tirée de Virgile, y^n., I, iSg.

b. Voici quelques détails sur le régime qu'il y suivait :

« Monfieur Defcartes n'étoit ni délicat ni difficile fur le choix des nour- » ritures, & il avoil accoutumé fon goût à tout ce qui n'eft pas nuifible à » la fanté du corps. Sa diète ne confiftoit pas à manger rarement, mais » à difcerner la qualité des viandes. Il eftimoit qu'il étoit toujours bon » de donner une occupation continuelle à l'eftomac & aux vifceres » comme on fait aux meules ; mais il falloit, félon luy, que ce fût avec » des chofes qui donnaflent peu de nourriture, telles que font les racines » & les fruits qu'il recommandoit comme beaucoup plus propres à pro- » longer la vie de l'homme, que la chair des animaux. [En marge : Lettre » MS. d'Adrien Auzout, Mém. de Clerfelier& de Picot]. Auffî avoit-ilfoin » de faire toujours fervir fur fa table des légumes & des herbes en tout » têms, comme des navets, des bêtes-raves, des panets, des falades de » fon jardin, des pommes avec du gros pain, furtout lorfqu'il étoit feul ou » avec des amis de fon caractère. L'abbé Picot, qui étoit de ce nombre, l'ayant voulu accompagner à ſon retour de France en Hollande l'an 1647, vécut avec luy de cette ſorte durant trois mois danſ ſa ſolitude d'Egmond ; & il en fut ſi content, qu'à ſon retour en France, [en marge : » Auz. ibidem] il renonça ſérieuſement à la grande chère, dont il n'avoit pas été ennemi juſqu'alors, & voulut ſe réduire à l'inſtitut de M. Deſcartes, croyant que ce ſeroit l'unique moyen de faire réüſſir le ſecret » qu'il prétendoit avoir été trouvé par nôtre Philofophe, pour faire vivre les hommes quatre ou cinq cens ans. Ce régime d'Anachoréte n'étoit au jour le jour ses réflexions, et répondre aux difficultés que lui soumettaient ses correspondants ? Sur des questions de mathématiques et d’astronomie, notamment, les hostilités avaient recommencé, à deux reprises, entre lui et Roberval ; Mersenne en était un peu cause, et après lui, le correspondant qui s’offrit pour le remplacer, Pierre de Carcavi[374]. Ce dernier essaya

» pas toujours fans exception dans la conduite de M. Defcartes, & il ne » s’étoit pas interdit ablolument l’ufage des œufs. Il avoit remarqué \en » marge : Mém. de Clerfel.] en faifant fes expériences, qu’il n’y a rien de » meilleur qu’une omelette compofée d’œufs coûvis depuis huit ou dix jours, » qui la-rendroient dctejlable, Ji le terme était plus ou moins grand. » (Baillet, t. II, p. 448-449.) Voir aussi t. IV, p. 640.

« ...De temperantiâ noftri Cartefii, ejufque vivendi confuetudine » pauca priùs attigerimus: nec enim ifta lileniii fupparo involvi meretur. » Fuit fané nofter valetudinis & temperantiiu adeô infignis Iludiofus, ut » nullis Amicorum precibus à frugalitate dimoveri potuerit : ita quidcm, » ut vel unum vini hauftum l’olito majorem accipere rccufaverit, quamvis » interea animo tam vegeto & hilari Amicis adclfet, ut perniultùm volup- « tatis ex ejus placidà confuetudine ad ipfos redundaret. Et ficut in aliis » propofiti maxime conllans erat ac tenax, ita, quoad fieri licuit, jullam » vicilTuudinem fomni & vigiliae obfervabat, ut tantô majori dexteritate » res fuas obiret. Matutini alloquii impatientiHlmus erat : hoc quippe » tempus Muiis feverioribus unicè confecraverat, & mcditationibus » acrioribus vindicaverat. Pomeridianas horas Amicorum compella- » tionibus, & animi relaxationibus tribuebai, neque, li commodum erat, » exercitia hue inprimis facientia afpernabatur. Multiloquio non fave- » bat, fed rarâ modelUà vel ad ignorantia; fuie confedioncm confugicbat, » vel, ut in judicando prœcipitantiam evitaret, nihilquc praiter id quod » jclarè ac dilHnftè intelligebat, aliis expromerei, jultum meditandi lem- » pus exigebat. » (Lipstorpii Specimina, i653, p. 86-87.) Séjour a Egmond. 477

même d'engager de nouveau Fermât dans la querelle. Mais Descartes répondit, au moins à Roberval, d'un ton encore plus acerbe qu'il n'avait fait en i638 et lôSg. Il n'était plus seule- ment l'auteur d'un livre non signé, les Essais de lôSy; il avait depuis lors publié sous son nom deux ouvrages, les Méditations et les Principes, qui faisaient quelque bruit parmi les savants et les philosophes : et cela explique, s'il ne l'excuse tout à fait, la singulière virulence de langage, où il se laisse aller dans une lettre du 2 novembre 1646 : son rival lui rap- pelle « le capitan de la comédie italienne, berné et souffleté » d'une pantoufle, et qui ne laisse pas de continuer ses rodo- » montades" ». Roberval eut-il communication de cette lettre, du vivant de Mersenne? Il est peu probable; et on comprend qu'après la mort de celui-ci, lorsqu'il en prit connaissance, il ait préféré qu'elle ne fût pas publiée.

D'autres curieux s'étaient adressés à notre philosophe dans sa solitude, et il n'en fut pas peu flatté, si l'on en juge par l'empressement qu'il mit à leur répondre. Ce furent d'abord les deux frères Cavendish, l'un qui s'appelait simplement de ce nom, et l'autre, l'aîné, qui portait le titre de comte, puis mar- quis de Newcastle (Neucastel, traduit Descartes). Leur qualité d'étrangers servit peut-t-'irc auprès de lui ces deux gentils- hommes anglais. Ils étaient à Paris l'un et l'autre, et même Hobbes avait déjà rappelé, dans une lettre à Descartes, le séjour de l'un deux en lôSo". En 1646, Cavendish, d'accord avec Mersenne, envoya au philosophe une série d'expériences sur les oscillations du pendule, afin qu'il pût les interpréter en mathématicien. C'était une de ces questions physico-mathéma- tiques, auxquelles on s'intéressait en ce temps-là. Descartes répondit directement à Cavendish dans quatre lettres sur ce

a. Tome IV, p. 545, 1. 9 ; p. 549, 1. 3-7; et p. 55 1 , 1. 8-9.

b. Voir ci-avant, p. 270-271.

c. Tome III, p. 342, 1. 12-1 5. Voir ci-avant, p. 295. Il est encore question de Cavendish, dans une lettre du 11 mars 1640 (t. III, pp. 43 et 45) ; et à propos des lunettes, dans deux lettres, dont la seconde est du 20 oct. 1642 [ibid., p. 385-586 et p. 590, 1. 16-18).

�� � 478 Vie de Descartes.

sujet% sans compter une ou deux autres encore à Mersenne. Quant au frère aîné, le marquis de Newcastle, que Descartes traite « d'Excellence », et qu'il appelle révérencieusement « Monseigneur », les trois longues lettres qu'il lui écrit, sont fort instructives : on y voit cet Anglais s'intéresser à la question des bétes-machines, et à l'explication que le philosophe donne de leur apparence de langage et de tous leurs mouvements extérieurs; ce qu'il en dit, à cette date de 1646, complète à merveille le peu qu'il avait esquissé en 1687. Un autre Anglais, Henry More (ou Morus), en 1649, envoya trois longues lettres d'objections, auxquelles Descartes répondit toujours sans se lasser"; la mort seule l'empêcha de répondre à une quatrième, qui lui fut envoyée en novembre ; on ne sait pas si elle lui parvint à Stockholm. Il devait être ravi de voir ainsi ses doctrines étudiées jusqu'en Angleterre. En outre les cri- tiques qui lui étaient faites, ne portaient que sur des détails, et avaient un caractère positif, qui n'était pas non plus pour lui déplaire. Notre philosophe français approuvait Bacon et la méthode baconienne; loin de l'exclure, il lui faisait une place,

a. Tome IV, pp. 379, 41 5, 429 et 558 : lettres du 3o mars, i5 mai, i5 juin et 2 novembre 1646. Ajoutons-y une lettre de Roberval à Cavendish pour Descaftes [ibid., p. 420), et deux lettres de celui-ci à Mersenne, dont l'une du 2 mars 1646 [ibid., pp. 364 et 366).

b. Voir ci-avant, p. 463, note b. Voir t. IV, p. 188, avril 1645 ; p. 325, cet. 1645; p. 568, du 23 nov. 1646. C'est dans cette troisième lettre qu'il est question « de l'entendement ou de la penfée que Montagne et » quelques autres attribuent aux beftes », p. 5/3-576. Il y est aussi ques- tion « de la nature de l'argent vif » (p. 571-572), « de la génération des » pierres » (p. 570-571), « des Chymiftes » (p. 569-570). Résumé des deux lettres précédentes : 1», « touchant la caufe du chaud & du froid » (p. 189- 190), « le froid de la fièvre » (p. 190-iqi), « les Efprits animaux & » vitaux » (p. 191), « la caufe du fommeil » (p. 192) ; — 2°, cause « de la » faim & de la foif » (p. 326-328), « de tous les mouvemens qui font dans » le monde » (p. 328-329), " confervation de la fanté » et le « traité des » animaux » qu'il méditait (p. 326 et p. 329-330).

c. Lettres de Morus à Descartes : 11 déc. 1648 (t. V, p. 235), 5 mars, 23 juillet et 21 octobre 1649 {ibid., pp. 298, 376 et 434). Réponses de Descartes aux trois premières : 5 février, i5 avril et fin d'août 1649 [ibid., pp. 267, 340 et 401).

�� � SÉ.IOUR A Egmond. 479

dans sa propre philosophie, mais inférieure et subalterne : la physique n'était qu'une partie de la science, et qui avait besoin d'être complétée par la mathématique».

Les réponses que Descartes rédigeait ainsi à loisir, étaient loin de remplir tout son temps. Il en employait la majeure partie à des expériences. Jamais peut-être il ne s'est autant occupé de dissection que cette année 1648, en vue d'une cinquième et d'une sixième partie à ajouter aux Principes, pour l'explication des plantes et des animaux. Il ébaucha même une nouvelle Description du corps humain, qui nous a été con- servée. En même temps, depuis son voyage de 1647 à Paris, il faisait régulièrement des observations sur la hauteur variable du vif-argent dans un tuyau de verre. D'autre part, et ce point a aussi son intérêt, il étudiait l'astronomie, non pas seulement

a. Descartes avait au moins feuilleté Bacon, qu'il appelle Verulamius. Il tire, en partie, de ses ouvrages une liste des « qualitez » à expliquer (lettre de janv. i63o, t. I, p. 109, 1. 21-27); '1 parle, comme lui, « de » mettre l'eau de mer à la queftion » (19 mai i635, ibid., p. 3i8, 1. 3-4). A Mersenne qui désirait savoir un moyen de faire des expériences utiles, il répond « qu'il n'a rien à dire à cela, après ce que Verulamius en a » écrit » (23 déc. i63o. ibid., p. igS, 1. 27-3o). Enfin il souhaite que quel- qu'un veuille entreprendre d'écrire « l'hiftoire des apparences celeites », mais» fans y mettre aucunes raifons ny hypothefes », et tout à fait « félon » la méthode de Verulamius » (lettre du 10 mai i6?2, ibid., p. 25 1, 1. i5, etc.). Ajoutons que Descartes connut personnellement en Hollande le résident d'Angleterre, William Boswell, dépositaire des papiers de Bacon. (Voir surtout t. II, p. i53, et t. IV, pp. 684 et 692-693.) De bonne heure, on comprit que les deux méthodes de Bacon et de Descartes devaient être associées, et que l'une complétait l'autre. En voici au moins deux témoignages curieux : l'un de Heereboord, qui dans une leçon publique à l'Université de Leyde, le 17 janv. 1647, ne sépare pas les noms des deux philosophes (t. IV, p. 634); et l'autre, de la princesse Elisabeth, qui rapporte l'opinion d'un docteur allemand, dans une lettre du 21 fév. 1647 (ibid., p. 619, 1. 20-24). Et l'on se redisait volontiers, entre savants, « la Prophétie du Chancelier d'Angleterre : Multi per- » tranfibunt & augebitur Scientia. » (Lettre de Fermât citée au t. V, p. 257-258.) — Voir Philosophie de François Bacon, par Ch. Adam (Paris, F. Alcan, 1S90), pp. 195-219, 335-343 et 624-630.

b. Tome XI, p. 217-290. Et ibid., pp. 5o3, 537 ^^ 608.

c. Tome V, pp. 99-100, ii5, 118-119, 141-142, etc.

�� � 4^0 Vie de Descartes.

dans les livres et sans sortir de son cabinet de travail, mais avec un télescope qu'il avait, et en observant le Ciel *. Nous avons dit un mot déjà de ce cordonnier dont il fit un astro- nome, Dirck Rembrantsz, qui était venu par trois fois sans se rebuter, et avait fini par être reçu, après avoir presque forcé la porte. Nous savons maintenant à quelle date notre philosophe et lui se mirent à travailler ensemble : ce fut au commencement de 1645. Le problème des longitudes pré- occupait beaucoup en Hollande ma;-ins et commerçants pour leurs voyages au long cours dans les hautes mers. Une récompense avait été promise dès i635 par les États généraux, à qui trouverait une solution^ En i638, le mathématicien Hor- tensius reçut même une mission pour aller en Italie, et une lettre officielle fut écrite sur ces entrefaites à Galilée. La lettre venant d'un pays protestant, Galilée, qui était toujours en péni- tence depuis sa condamnation, refusa de la lire, et (se moquait- il en vérité?) la fit remettre au Saint-Office, lequel approuva fort un tel empressement à lui complaire"^. Descartes pensa un

a. Tome XI, p. 65o et p. 696-697.

b. Tome V, p. 265-267. Voici le titre complet de l'ouvrage mentionné à cet endroit : Nederduytfche AJlronomia, Dat is : Onderwijs van den Loop des Hemels, leerende heî vinden der Plaetfen en Betuegingen der vajïe Sterren,Son en Maen... Befchreven door Dirck Rembrandtsz van NiEROP... (Harlingen, Jan HelTels, i653, in-4. L'avant-propos est daté de i65o.) Une seconde édition fut publiée à Amsterdam, en i658.

c. Tome II, p. gS-gô, et surtout p. 100- 10 1 : lettre de Descanes à Mer- senne, 3i mars i638.

d. Les pièces du procès de Galilée, p. p. Henri de L'Epinois. (V. Palmé, Rome et Paris, 1877.) Galilée était toujours dans sa campagne d'Arcetri près de Florence. Il avait bien demandé qu'on le laissât rentrer en ville; mais on avait refusé net, le 28 mars 1634, en lui signifiant : « ut abflineat » ab hujufmodi petitionibus, ne Sacra Congregatio cogatur illum reuo- » care ad carceres hujus S. Officii. » (Page i34-i35.) Plus tard Bene- detto Castelli dut demander une permission pour aller voir régulièrement Galilée : sa lettre, du 23 oct. i638, fut reçue le 17 nov. ; on lui accorda cette permission, le 25 nov. : S">"^ julTit fcribi Inquifitori Florentiae qui » permittat D. Benediflum frequentiùs agere cum Galileo Galilei, ut » poflît inftrui de periodis planetarum Mediceorum ad inveftigandam » artem navigandi per k>ngitudinem. Junclo tamen praecepto. fub nnpn.-î

�� � Séjour a Egmond 481

moment que les satellites de Jupiter aideraient à la détermina- tion des longitudes, et indiqua ce moyen à Dirck Rembrandtsz ; celui-ci essaya sans succès, mais n'en garda pas moins une vive reconnaissance au philosophe, à qui il était redevable de presque tout son savoir^. Descartes d'ailleurs, bien que d'un abord difficile dans la

» excommunicationis laïae fententias à quà non pofTit abfoivi nifi à S. S. » etiam oblatà facultate S. Pœnitentiariae, ne audeat loqui cum eodem » Galileo de opinione damnatâ circà terrae motum. » (Pages 1 36-13-.) Le i3 juillet i638, même requête et même permission, pour un savant venu d'Allemagne : pourvu toutefois qu'il vienne d'une ville catholique et soit lui-même catholique; ce savant d'ailleurs ne vint pas. (Pages i 38- 1 3g.) Enfin une lettre ayant été remise à Galilée, laquelle portait le sceau des Etats de Hollande, et celui-ci ayant refusé de la recevoir, en juillet i638, le. Saint-Office l'en félicite, le 5 août i638.

a. Cette histoire est ainsi racontée par Dirck Rembrandtsz lui-même, dans un autre ouvrage que sa Nederduytfche AJlronomia. Le passage suivant nous a été signalé, puis communiqué obligeamment par Cor- nelis de Waard :

« Hoe R. Descartes de lenghte vinden wil. Omtrent de felve tijdt [Jin » de 1644) of in 't begin des jaers 1645, doen ben ick ten eerftemael te » fpreecken gekomen met den Edelen wijdtvermaerden Heere Renatus » Descartes, de welcke mij voorgeftelt heeft de hoedanigheyt van de vier » omloopers om Jupiter, en hoe die in korten tijdt haren omloop vol- » brachten, waermede dat men dagelijcks verfcheyden voorwallen foude » konnen foen, hetzy met ontdecken of bedecken, neven 't lighaem van » Jupiter, ofte d'een met d'ander in t' famenkomfte ftaen : waer op dat » men met neerftigh waernemen, haer loop foo bekent foude maecken, » dat men dagh-Tafelen of Ephemerides daer op foude konnen uytreec- » kenen, en dat op een bekende plaetfe : 't welck dan op andere plaetfen » des Aertrijcks waergenomen zijnde, foo foude door 't verfchil defes » tijdts, het verfchil der lenghte vân Ooft en Well bekent wefen. Dit » ailes heeft den felfam Heer met veel Ichoonfchynende redenen tegen » my weten te beveftigen, als oock de groote vereeringh die 'er toe » geftelt Nvas by onfe H. M. Heeren Staten, alfoo dat het my bewogen » heeft om met een groote verrekijcker eenige waernemingen hier op te « doen : 'i welck al met ernft van mij begonnen worde, doch d' uytkomfte » fcheen my van weynigh belangh, gelijck breder te lien is in mijn

  • Nederdiiydtjche AJlronomia, in 't Iclte des achtlten Hooftdeels. » (Des

Aertrycks Beweging en de Sonne Stiljiant.. . met noch verfcheyden Aen- merkingen foo van de vindingh der lenglite van Oojl en Wejl en anders... Amllerdam, Gerrit van Goedefbergh, 1661, p. io2-io3.)

Vie de Descaktes. 61

�� � 482 Vie de Descartes.

retraite où il se confinait, était toujours disposé à rendre ser- vice. Il ne refusait à personne son assistance, soit scientifique, comme on vient devoir, soit même judiciaire. Sans craindre de se compromettre lui-même, il prit un jour la défense de ses deux amis Bannius et Bloemaert, inquiétés comme prêtres catholiques ; il s'adressait, il est vrai, à un esprit non moins libre que le sien, son grand ami Huygens^ Dans une autre circonstance fort curieuse, on a de lui une lettre en faveur d'un paysan, un pauvre homme coupable d'un meurtre. La victime, aussi peu intéressante que possible, était le second mari de la mère de cet homme ; celle-ci d'ailleurs s'en était séparée, après en avoir été outrageusement battue ; mais il continuait de la menacer, elle et ses enfants. Les parents du mort avaient eux-mêmes pardonné dès le premier jour au meurtrier; et les magistrats d'Egmond, jugeant sur place et en pleine connaissance de cause, avaient prononcé l'acquittement. Mais leur arrêt un peu précipité avait un vice de forme : il fut cassé par la juridiction supérieure, à La Haye, où le paysan fut cité à comparaître. Il se crut perdu, et prit la fuite; aussitôt fut-il condamné par défaut. C'est la défense de ce pauvre homme, un aubergiste, « notre voisin », dit Des- cartes, qu'il entreprit à la prière de la femme restée seule avec deux petits enfants. Il écrivit donc, en décembre 1646 et janvier 1647, ^ ^^^ amis de La Haye, et paraît avoir obtenu tout ce qu'on pouvait obtenir : non pas la grâce entière, mais comme adoucissement, la remise de la confiscation, ce qui permettait à la femme de conserver l'auberge et de gagner sa vie et celle de sa famille. Descartes n'avait pas recouru, pour plaider cette cause, à son savoir déjà lointain de licencié en droit de Poitiers : il parle, comme nous dirions aujourd'hui,

a. Tome II, p. 583-586.

b. Tome V, p. 262-265. Lettre qui n'est i "vs '■^i à sa place, et qui doit être replacée à la fin de 1646, t. IV. p. 591, comme l'indique la lettre du 5 janvier 1647, à Jan van Foreest, t. X, p. 6i3-6i5. Voir, pour ce curieux épisode de la vie de Descartes en Hollande, l'éclaircissement de cette dernière lettre, ibid., p. 6i5-6i7.

�� � Séjour a Egmond. 48^

en avocat d'assises, ou plutôt en philosophe et en homme d'esprit et de cœur; il excuse, il disculpe même son client d'occasion. Le droit de grâce doit s'exercer, aussi bien que le droit de punir; et même, dit-il : « Il vaut mieux qu'un » homme de bien soit sauvé, que non pas que mille méchants » soient punis ^. »

Nous avons d'autres preuves encore de son caractère « cour- » tois, affable et officieux », comme il sied aune âme généreuse. Il le montra surtout avec des jeunes gens. Un certain Frans Burman, âgé de vingt ans à peine", vint un jour le visiter à Egmond, le 16 avril 1648. Descartes le retint à dîner, et eut avec lui un long entretien, que le jeune homme s'empressa de rédiger, de concert avec un ami à peu près de son âge, Jean Clauberg'*. Tous les ouvrages du philosophe y sont passés en revue, les Méditations d'abord, puis les Principes, enfin le Discours de la Méthode ; Descartes se laisse questionner, et répond avec complaisance. Il connaissait, sans doute, le père de ce jeune homme, lequel était ministre protestant à Leyde, et il connaissait certainement le futur beau-père, son ami Heydanus. Ne soyons pas dupes cependant de toutes ses réponses. Qui sait sur quel ton quelques-unes ont été dites, et si Burman, qui les rapporte, en a bien compris tout le sens ? Qui nous assure que Descartes n'a point répondu à des questions

a. Tome V, p. 263, 1. 8-10.

b. Tome XI, p. 448, 1. 2-4. Voir aussi t. V, p. »o8, 1. 6.

c. Frans Burman naquit en 1628 à Leyde, où son père s'était réfu- gié, après avoir été chassé, par la guerre, de Frankenthal dans le Pala- tinat, où il était ministre. Lui-même fut appelé à remplir des fonctions ecclésiastiques à Hanau, à l'âge de vingt-deux ans ; il revint enseigner à Leyde, puis fut nommé professeur de théologie à Utrecht en 1664; il y mourut (jeune encore) le 21 nov. 1679. Œuvre principale : Synopfis théologies, 2 vol. 1671. Gra;vius fit son oraison funèbre et rassembla ses écrits académiques. Il devint gendre d'Abraham Heydanus (voir ci-avant, p. iio, notée).

d. Tome V, p. 144-179 : entretien du 16 avril 1648. La boutade sur les règles de morale se trouve en haut de la page 178. Il y en a une autre encore sur les anges, p. 157: voir ci-avant, p. 309.

�� � 484 Vie de Descartes.

peut-être indiscrètes, par des boutades qui étaient des échap- patoires? Il avait devant lui un apprenti théologien, fils et bientôt gendre de théologiens eux-mêmes : notre philosophe se méfiait des hommes de cette profession, bien qu'il comptât parmi eux des amis. Sur les questions de morale notamment^ il esquive et se dérobe; il mystifie peut-être son interlocuteur. Quelle raison avait-il, en effet, de livrer à un jeune étudiant des pensées qu'il ne confiait à son ami Chanut, un homme de son âge et un philosophe, que pour lui seul (et pour la reine de Suède), et en lui recommandant le secret? Toutefois, avec ses déclarations, que nous ne devons pas prendre à la lettre, il s'ex- posait à donner à des jeunes gens, aujourd'hui Burman, comme hier Porlier, une idée inexacte de sa doctrine et de sa personne, et qui leur faisait prendre le change sur le fond véritable de ses pensées : Porlier, jeune catholique, à qui l'on avait représenté Descartes comme un athée, s'étonne de se trouver en face d"un croyant, et en fait presque un dévot^; au contraire, le jeune huguenot Burman, à qui Descartes vu de loin appa- raissait comme un papiste, exagéra sans doute en sens contraire l'indifférence et l'irrévérence même de ses propos touchant les vérités morales et religieuses.

On trouverait d'autres exemples de l'intérêt que notre philo- sophe prenait à l'instruction des jeunes gens. Dans une lettre, dont on ne sait pas, malheureusement, à qui elle est adressée,

a. Tome IV, p. 3i8-32o.

b. Tome II, p. 377-379. Descartes fait, dans cette lettre, un grand éloge du collège de La Flèche. Il recommande l'étude de la philosophie, « à caufe qu'elle eft la clef des autres fciences ». « le crois (ajoute-t-il) » qu'il eft tres-vtile d'en auoir eftudié le cours entier, en là façon qu'il » s'enfeigne dans les Ecoles des lefuites. » (Page 378, 1. 6-10.) Ceci, pour commencer, bien entendu, et « auant qu'on entreprenne d'éleuer » fon efprit au deffus de la pédanterie, pour fe faire fçauant de la bonne )• forte ». Car il ne croit pas, tant s'en faut, « que toutes les chofes qu'on » enfeigne en philofophie, foient auiïi vrayes que l'Euangile ». Ajoutons que cette lettre paraît être de sept. i638 : elle serait donc bien antérieure à la publication des Principia, qui sont au moins une partie d'un cours entier de philosophie.

�� � Séjour a Egmond. 48^

il donne de judicieux conseils à un père pour les études de son fils. Il lui recommande les collèges des Jésuites, à cause de l'égalité qui y règne entre tant d'élèves de condition différente, soumis tous à une règle commune, ailleurs, il va jusqu'à indi- quer un modèle de clavecin ou d'épinette à un père encore, qui veut faire apprendre la musique à sa fille ■\ Il suivit, sans doute, les progrès des fils de son ami Huygens dans les mathé- matiques, bien que ceux-ci eussent eu comme maître son ancien adversaire, Stampioen : une invention du second fils, Christian, qui n'avait encore que dix-sept ans, lui fut même envoyée par Schooten, et il prédit que le jeune homme devien- drait excellent en cette science. Nous savons d'ailleurs, par le père lui-même, que Descartes augurait bien du petit écolier, et voyait en lui un mathématicien « de son sang'^ » ; d'autre part, le plus grand éloge qu'on crut pouvoir faire du jeune Huygens, fut de le citer comme un autre Descartes ^. Notre philosophe s'intéressa encore à un étudiant, venu de France en Hollande,

a. Tome IV, p. 678-680.

b. Ibid., p. 435, 1. 7-16, et p. 439-440: lettre du i5 juin 1646. Voir aussi t. V, p. 552.

c. Voir ci-avant, p. ii6.

d. Voir une lettre iné^lite de Colvius, écrite à la princesse Elisabeth, peu après la publication de la Querela Apologetica en i656 (t. VIII; 2' partie, p. vi-x et 279-317) :

tt Madame, « Ceft une témérité & prefomtion d'excufer le filence, où la parole & » l'efcrit n'eft pas licite. le pourrois alléguer gouttes de chiragre, qui » m'empefchent par intervalles de manier la plume, comme il plait à » V. A. de me faire fçauoir le mal de vos beaux yeux, qui me defplait » extrêmement. Vn philofophe les a crevé(s) pour raifonner plus libre- » ment, mais vn autre a dit que la fcience entre par iceux en nollre » efprit. Ils font le fiege d'amour & de beauté. L'on peut dire d'eux : » Speâatum veniunt, veniunt fpeâoitur vt ipft. Les lunettes d'aproche » nous donnent des pourmenades es cieux. M. Chreflien Hugcns de » Zulicom en faiJl des excellens, de 12 pieds de longueur, & efpere d'en « faire de 24 pieds. De ceux de 12, l'on voit les objec^s 5o fois plus » grands que de nos yeux. Le fufdit Seigneur e(l délia comme vn autre » Des Cartes : auquel quelques vns veulent tant de mal^ qu'ils ne peu- » uent laiffer repofer fes cendres. Jam illius mânes Junt re/ufcitati. Telh

�� � 486 Vie de Descartes.

pour achever, semble-t-il, de se guérir. Nous ne savons guère de celui-ci, que le nom : Du Laurens^ Brasset, qui connaissait sa famille, aurait voulu le garder chez lui, avec ses fils; mais craignant la contagion, il laissa le jeune homme s'ins- taller « dans ce malheureux trou d'Alkmaar », comme il dit. Descartes étant tout près de là, à Egmond, il lui recom- manda son infirme, et notre philosophe voulut bien s'en occuper; il donna régulièrement à Brasset des nouvelles de leur jeune compatriote, et sans doute ne ménagea pas à ce dernier les conseils pour sa santé, tant au physique qu'au moral. Il était lui-même réputé, nous l'avons vu à plusieurs reprises, pour ses connaissances en médecine : c'est au point qu'en 1642 Huygens lui avait demandé de faire partie d'un jury d'honneur, avec les sommités médicales du pays, pour examiner les titres d'un praticien étranger, qui se vantait de bien des guérisons, royales et autres, et qui s'ofïrait à soigner la maladie du Prince d'Orange. Du Laurens

» eiprits empefchent le cours libre de la vérité, qui néanmoins percera » auec le temps tous ces obflacles. Pour moi, ie décline en mon climacle- » rique vers ma fin, & ie n'eftime pas grandement ces minces copies que » nous voyons de nos yeux au monde, m'approchant de l'archétype & » vers celui qui efl la vérité mefme, en quoy font cachés tous les threfors >.* de la fcience & de la fapience. Car auffi bien le monde paffe, & fa » conuoitife; mais celui qui faifl la volonté de Dieu, demeure eternelle- » ment. A fa diuine protedion recommandant V. Alteffe, ie demeure, » Madame, Voftre tres-humble & tres-obeiffant ferviteur, André Colvius. » De Dordrecht, ce 12 de Jan. 1657. » (Leyde, Bibl. de l'Université, MS.) En rappelant le mal aux yeux de la princesse Elisabeth, Colvius répondait à un passage d'une lettre que celle-ci lui avait écrite, de Hei- delberg, ce i5/25 nov. i656, et que voici : « ...ayant manqué de vous » remercier, pour un mal de yeux qui m'a tenu prez de deux ans, & » m'oblige encore d'efpargner leur fervice auttant que ie l'ay prodige » autrefois. le me fers à prefent d'un ledeur, & perds une partie de mes » corefpondances en leur faveur. . . » (Ibidem.)

a. Tome V, pp. 80, 94, 107-108, 216 et 217-218 : lettres du 14 oct. 1647 au i3 janv. 1649.

b. Voir dans les Epijlolce Latince MS- de Constantin Huygens, Epijl. 32y (Amsterdam, Bibl. de VAcad. des Sciences), la note circulaire suivante :

« Nobiliflimos doftiflîmofque viros : Leidae, DD. Heinfmm, Golium,

�� � resta donc en traitement à Alkmaar, confié aux soins de Descartes. Le jeune homme aimait beaucoup les mathématiques; il les aimait trop, au dire de Brasset, qui trouvait ces études bien abstraites surtout pour un malade qui avait besoin de repos et de distraction. Descartes, tout mathématicien qu’il fût, et peut-être même à cause de cela, était tout à fait de cet avis : lui-même n’employait, disait-il, que fort peu d’heures par jour aux pensées qui occupent l’imagination % entendez

» Boxhornium; Amftelodami, Voffium atque Barlœum ; Dordraci, Beue- » rouiciuru; ruri denique, prope Leidam [in margine : in arce Ende- » geert] Renatum des Cartes,

» Ut D. Knoepfelium Medicina; doftorem prceltantilTimiim, qui Sere- » nilTimum Poloniœ Regem, cum graui Arthridite, tum grauiori Epi- » leplîà laborantem abfolutifllmè curauit, atque, ut conltans fama eft, » innumeros alios, ijfdem pluribufque morbis afflictos, noua inauditâque » medendi ratione ad miraculum fubleuauit ac leiliiuit, codem quoque » nomine Principi nunc noftro [vel meo ?) innotuit, & potiunculà aduersus articularem morbum propinandà operam mox daturus elt.

» [In margine: in hifce autem legionibus paucis feptimanis dum com- » moratur, ampleflendi tantos viros quos de famâ t’criptifque abundè » nouit, fummo detiderio flagratl

» Ut bénigne ad colloquium admittant, ac de re Medicà, Phylîcà, » Chymicâque candid^ , qui iplius eft mos, lolidèque dillerentem » audiant,

» Rogat, omnibus fingirliique, ui ’uorunt, addicUfTimus Constantinus » HuGENius. Dat. in Callris Bodbergij, \’II. Id. Jul. crj I3C xlh. »

a. Tome III, p. 692-693. Voir ci-avant, p. 410 et p. 413. Ce même nom de Du Lauiens se retrouve dans quatre lettres, au tome II des Œuvres de Christiaan Hti]-gens, La Haye, Nijholî, 1SS9 :

1° Lettre de Cl. Myion à Christiaan Huygens, datée de Paris, 14 mars 1659: « ...gageure que veut faire Monfieur Dulaurens, qui dit vous » auoir veu en Hollande. Il prétend irouuer dcu.v moyennes propor- » tionelles par les pians, c’ell à dire par le Cercle & la Ligne droite. » Il y a plus d’vn mois qu’il me parle de cette inuention, que ie luy » témoigne ne pas croire fans l’aucir vcuë. le n’av rien encor veu de luv » d’allez fort pour m’obliger à le croire fur fa parole, & beaucoup moins dans cette rencontre où il y a presque certitude du contraire. Il m’apportera dans deux ou trois iours les conditions de sa gageure par escrit, sans vouloir donner vne Construction Géométrique, mais seulement vne Equation plane de ce problème. Il n’en veut pas demeurer là: il ose aprez vn examen (qu’il demande encor pour quelques ioursï " déterminer qu’il n’y a aucun problème solide, mais qu’ils font tous 488 Vie de Descartes.

par là les mathématiques, et donnait tout le reste de son temps « au relâche des sens et au repos de l'esprit ». Ce régime, en diminuant encore ou même en supprimant la dose de mathématiques, était celui qui convenait le mieux au jeune malade. Brasset, du moins, l'approuva fort, et en remercia vivement son ami le philosophe.

On ne doit donc pas se figurer Descartes, pas plus qu'Aris- tote et Platon, avec une grande robe de pédant. C'était un « honnête homme », au sens du xvii« siècle, et non pas un faiseur de livres; ou plus simplement, selon cet autre mot de Pascal, lorsqu'on s'attend peut-être à ne voir en lui qu'un auteur, on trouve un homme, le cœur largement ouvert à tous les sentiments humains.

» plans... Il m'efcriuit d'Angers. . . » (Page 373-374.) Nous avons vu, t. V, p. 217-218, que le père du jeune Du Laurens était précisément « Confeiller du Roy & Prefident en l'Eledion d'Angers ».

2» Lettre d'Ismaël Boulliaud, de Paris, i" août lôSg : « ...Monfieur » Du Laurent {sic), que vous auez veu à La Haye, Secrétaire de Mon- » fieur de Thou, s'offre de monftrer par l'Algèbre fpecieufe l'inuention 1) des deux moyennes proportionnelles par les plans : ce que Monfieur de » Roberual luy contefte. Cettuyci, dans vne rencontre, a traifté Mon- » fieur du Laurent auec vne rufticité & inciuilité infupportable. Il eft » vray que je ne croy pas que Monfieur Du Laurent puiffe venir à bout » de fon deffein, mais il n'en faut pas venir aux injures. » (Page 448.)

3» Huygens répond de La Haye, 7 août 1659 : « ...pour ce qui eft de fa » nouvelle fentence d,e changer un problème folide & le rendre planum, » contre l'opinion de tous les Géomètres, je fuis bien affuré qu'il n'en » fera rien, mais je ne m'en mettray pas en cholere comme cet autre que » vous dites ». (Page 454.)

4» Boulliaud réplique, de Paris, le i5 août 1659. Il est tout à fait de l'avis de Huygens sur Du Laurens et sa prétendue invention. Mais, ajoute-t-il, « ie ne le querele pas la deffus, comme a fai£l Roberual, qui » eft à;^apiévTaTO(; ». (Page 466-467.)

�� � CHAPITRE IV

LES PASSIONS DE L'AME (1645- 1649)

��Un correspondant anglais de Descartes, Henry More (ou Morus),îui demandait, le 5 mars 1649, de s'expliquer sur l'union de l'âme et du corps. Pour toute réponse, le philosophe le renvoya le 1 5 avril, à un petit traité des Passions, qu'il allait bientôt publier \ Ce traité parut à la fin de novembre, et Descartes, qui mourut le 11 février i65o, n'eut pas le temps d'achever la distribution des exemplaires; après sa mort, Chanut en avait encore au moins un à remettre au chancelier Oxenstiern en Suède *». Dès -1648, le manuscrit en avait été confié à ses amis de Paris, l'abbé Picot et Clerselier; et dès novembre 1647, une copie avait été envoyée à Stockholm : la reine Christine attendit un an pour remercier, le 12 dé- cembre 1648'. Auparavant, le i" février 1647, Descartes résumait, dans une lettre à Chanut, l'essentiel du traité, comme il avait fait déjà à la princesse Elisabeth en 1646 et même en 1645. Celle-ci avait eu communication de la première partie d'abord; le i3 septembre 1645, elle demanda des éclaircisse- ments, que le philosophe s'empressa de lui donner, dans une lettre du 6 octobre; de même pour la seconde partie, dans

a. Tome V, p. 3i3, 1. i5-25, et p. 847, 1. j-i.

b. Ibid., p. 450, 1. 2-9 : lettre du 27 nov. 1649. Page 472 : du 22 févr. i65o.

c. Ibid., p. 25 1. Et lettre du 20 nov. 1647 : p. 87, 1. 20-21.

Vie de Descartes. 6a

�� � 490 Vie de Descartes.

deux lettres de mai 1 646 : la troisième partie ne fut rédigée que plus tard". En définitive, c'est Elisabeth qui, le i3 sep- tembre 1645, avait prié Descartes d'étudier les passions, « ces » perturbations de l'âme », comme on les appelait : ce sujet ne pouvait manquer d'être abordé au cours de leur correspondance sur le souverain bien. Mais Descartes y pensait depuis long- temps déjà : à la fin de la quatrième partie des Principes, qui en annonçait une cinquième et même une sixième, on trouve quelques mots dans l'article cxc sur les passions, effet naturel de l'union de l'âme et du corps ■=. Et dès 1640, notre philosophe sachant que le médecin Cureau de La Chambre venait de publier un premier volume sur les Caractères des Passions, pria Huyg^ns et Mersenne de le lui procurer, le 1 1 juin ; il s'impatienta même à deux reprises, le i5 septembre et le 28 octobre, de ne pas l'avoir encore reçu"*; toutefois il ne manifesta plus, semble-t-il, la même impatience pour le second volume en 1645*.

a. Tome IV, p. 600 (i" févr.. 1647); p. 3o9-3i3 (6 oct. 1645); p. 406 et 413 (mai 1646).

b. Ibid., p. 289, 1. 25.

c. Tome VIII, p. 3i6-3i7, et t. IX (2« partie), p. 3i i-3i2.

d. Tome III, p. 87, 1. ii-i3; p. 176, 1. 6-7; et p. 207, 1. 24-26. — Cdreau de La Chambre (Marin), né au Mans en 1594, mourut à Paris, le 29 nov. 1669. Médecin du chancelier Séguier, il fut de l'Académie française dès la fondation en 1 63 5, et plus tard de l'Académie des Sciences. Descartes s'intéressait déjà à ses ouvrages en 1637 (t. I, p. 4'8o-48i); il ne l'oublia pas plus tard, et lui confia le soin de distribuer quelques exemplaires de son propre Traité des Passions (t. V, p. 453-454).

e. C'est à propos de ce second volume que Balzac écrivit, le i5 sept. 1645 : « A Monfieur de La Chambre, Confeiller, & Médecin du Roy, & » ordinaire de Monfeigneur le Chancelier. . . Aprez avoir confideré, » examiné, eftudié voftre Livre quinze jours entiers, je conclus que jamais » l'homme n'a connu l'homme à l'efgal de vous. Jamais le Dieu de » Delphes n'a efté plus noblement ni plus ponftuellement obéi : non pas » mefme par celuy à qui il rendit tefmoignage d'vne parfaite fageffe ; ni » par celuy quon appella autrefois V Entendement ; ni par cet autre qu'on » appelle encore aujourd'huy le Démon de la Nature. Ce Démon efl » entré à la vérité dans l'ame de l'homme, mais il s'eft arrelté à la porte : » il n'a fait que vous ouvrir, & vous faire le chemin; & fi j'eflois affez

�� � Passions de l'Ame. 491

Cureau de la Chambre était médecin, et Descartes espérait sans doute, qu'à ce titre il saurait traiter convenablement des passions. La première fois, en eflPet, qu'Elisabeth l'entretint de ce sujet, notre philosophe lui recommanda comme étude préparatoire son Traité des Afiimaux", qui était, nous dirions aujourd'hui, un traité d'anatomie et de physiologie. C'est aussi d'ailleurs ce que Desc^rtes entendait par le terme de médecine, et non pas seulement l'art de guérir les maladies : dans son Discours de la Méthode il avait mis, disait-il déjà, «• quelque peu de médecine », c'est-à-dire une étude sur le mouvement du cœur. Un Traité des Passions doit donc com- mencer par la physique; mais il doit finir par la morale. C'est à propos de morale, en effet, que Descartes sera amené, dans sa correspondance avec Chanut, à lui parler des pas- sions. Elles occupent ainsi, dans l'ensemble de sa philosophie, une place intermédiaire, qui se justifie par leur double nature, résultant de l'union de l'âme et du corps. Nous retrouvons là une des trois ou quatre idées principales de notre philosophe, idée originale et qu'on n'avait pas eue avant lui. Aussi ne fait-il aucun cas de ce que les Anciens nous ont laissé sur les passions : c'est « si peu de chose », dit-il, et « si peu » croyable ! » Au lieu de suivre les chemins battus, plus il s'en éloignera, dit-il encore, plus il aura chance d'approcher de la vérité.

Dans les traités de philosophie scolastique, les passions formaient un chapitre de la morale, comme les météores, un

» hardi, je dirois qu'il n'eft que de la bafTe Cour, & que vous eftes du V Cabinet. Il n'y a coin ni cachette de l'efprit humain, où vous n'ayez » pénétré... » (Les Œuvres de Monjieur de Bal\ac , M.DC.LXV. Tome I, p. 539.) Le philosophe, à qui Balzac préfère ainsi La Chambre, ne serait-il point Descartes, que le même Balzac, dans une lettre à Cha- pelain, du 24 oct. 1644, comparait déjà aux Démons, et même aux grands' Démons? (Tome II de cette édition, p. 470.)

a. Tome IV, p. 3io, 1. 3-5.

b. Ibid., p. 442, 1. 11-14.

c. Tome XI, p. 328 : Passions, partie I, art. 1.

�� � 492 Vie de Descartes.

chapitre de la physique *• Des deux côtés, on croyait voir des « perturbations », des mouvements violents, sans règle ni loi. Mais Descartes montre que, ni d'un côté ni de l'autre, il n'y a lieu de s'étonner ni d admirer : tout rentre dans l'ordre de la nature.

Les passions participent au corps et à l'âme considérés dans leur union . On a cru longtemps que cette union était

a. EusTACHE DE Saint-Paul, Summa Philofophice, 2« édition, 1611. (La première édition est de 1609 : Privilège du Roy, donné à Fontainebleau, le deuxiefme iour de luin l'an de grâce mil fix cens neuf.)

Bhhica : Pars I. De beatitudine. — II. De principiis humanarum adionum. — III. De ipfis adionibus humanis, vbi de paflTionibus (p. 99- 134), deque virtutibus ac vitiis.

Secundus Traftatus huius III"' partis : De passionibus anim^.

Prier difputatio : De passionibus anim-f, generatim.

Quaeftio i : Quid, quotuplex, & in quanam corpons parte refideat appe- titus fenfitiuus. (Pag. 99.) — 2 : Quid ftnt pajjiones & vnde najcantur. (Pag. io3.) — "i : An omnis pajfio fit vitiofa, & nunquam cadat in virum fapientem. (Pag. 106.) — 4 : An reâe ajjignetur pajfionum numerus. (Pag. 108.)

Pofterior difputatio : De passionibus animée speciatim.

Qua^llio 1 : De Amore ô Odio. (Pag. 1 10.) — z : De dejiderio êfugâ. (Pag. 117.) — 3 : De deleâatione feu voluptate, & trijîitiâ Jeu dolore. (Pag. 119.) — 4 : De fpe & defperatione. (Pag. i25.) — 5 : De metu & audaciâ. (Pag. 127.) — 6 : De ira. (Pag. i3i.)

Voir aussi Abra de Raconis, Secunda pars Phitofophiee Jeu Ethica, (G' édition, 1637) ouvrage souvent réédité àpartirde i6i7(t. III, p. 236) :

De Paflîonibus, feu perturbationibus anima;. (Pag. 649-685.)

Sec. I : De passionibus anim* in communi.

Quaellio i : De nomine & varia acceptione Pajfwnis. (Pag. 649.) — 2 : De exijlentid PaJJionis. (Pag. 65o.) — 3 : De ejfentid Pajfionis. (Pag. 652.) — ^ : De affeâionibus Pajfionum. (Pag. 653.) — Digrejfio moralis de PaJJione Chrijii. (Pag. 655.)

Sec. II : Dk passionibus in particulari.

Quaeftio I : De Amore & Odio. (Pag. ôSg.) — y. : De Defiderio & Fugà. (Pag. 668.) — 3 : De Gaudio & Triftitid. (Pag. 671.) — 4 : De Spe & Def- peratione. (Pag. (Jjj.) — 5 : De Audactà & Timoré. (Pag. 679.) — 6 : De Ira. (Pag. 683.)

b. Tome V, p. 327-370 : Passions, Partie I, qui peut se diviser ainsi : art. i-vi, introduction ; vii-xvi, fonctions du corps; xvii-xxvi, fonctions de l'âme; xxvii-xxix, définition des passions; xxx-xxxiv, union de l'âme et du corps; xxxv-xl, exemple d'un effet de cette union ; xli-xlvi.

�� � Passions de l'Ame. 493

précisément la vie ; on le croit même encore, comme si la vie tenait à la présence de l'àme dans le corps, et que la mort con- sistât dans le départ de l'âme. Non pas, dit Descartes : ce n'est point parce que l'âme se retire, que le corps cesse de vivre ; au contraire, c'est parce que le corps a cessé de vivre, que l'âme n'a plus qu'à se retirer. La vie est indépendante de la présence comme de l'absence de l'âme. Elle commence, lorsque l'as- semblage d'organes et de membres qui compose le corps, est dans un état convenable, et lorsque le feu qui seul est cause des mouvements de toute la machine, s'allume dans le cœur : l'âme trouvant un corps disposé à la recevoir, et qui toutefois pour- rait se passer d'elle, consent à se joindre et à s'unir à lui, et y demeure tant que les fonctions vitales s'accomplissent; ensuite elle se sépare de lui. Descartes ne craint pas d'insister sur cette indépendance du corps vivant, qui se suffit à lui-même. Il y dis- tingue, d'une part', le mouvement du sang dans les vaisseaux, lequel n'est qu'une circulation des artères aux veines, comme l'a bien montré le médecin anglais Harvey, mais dont la cause n'est pas, comme l'a cru à tort le même Harvey, une « vertu » pulsifique » du cœur : c'est un feu, contenu dans celui-ci, et qui est analogue à tous les autres feux, par exemple à celui qui s'allume dans le foin rentré peu sec en grange ; ou bien, c'est un levain, analogue à tous les levains dont on se sert cçmmunément, ceux qui font lever le pain ou fermenter la bière. D'autre part, Descartes suppose un mouvement analogue des esprits, lesquels sont aussi des corps, qui partent du cerveau et y reviennent, après avoir causé, notre philosophe indique par quel mécanisme

action directe et indirecte de l'àme ; xlvii-l, conclusion. — Voir t. IV, p. 3o9, 1. 27, à p. 3i3,l. i3, un résumé de cette première partie.

a. Tome XI, p. 33i-334 : art. vu, viii et ix. Descartes, tout en rendant pleine justice à « Herveus », tient beaucoup à marquer en quoi il diffère de lui. Voir ci-avant, p. 157-158.

b. Ibid., p. 334-336 : art. x et xi. L'art, xi résume l'explication du mouvement des" muscles, à laquelle Descartes tenait particulièrement, et qu'il ne pardonna pas à Regius de lui avoir dérobée, pour se l'approprier sans la comprendre. Ci-avani, p. ib'j-iGo.

�� � des nerfs, les mouvements des muscles et de tous les membres. Cette machine, qu’il compare* tantôt à une montre avec ses rouages et ses aiguilles, tantôt à un jeu d’orgues avec ses tuyaux et ses soufflets, tantôt à ces automates qu’on faisait mouvoir par une habile distribution des eaux dans les jardins du roi, explique la vie partout, dans la plante et dans l’animal, et jusque dans l’homme même. Nul besoin d’une âme « sensitive ni végétative », nul besoin d’aucune « forme substantielle » : toutes les fonctions vitales peuvent se comprendre sans cela.

Par contre, l’âme pourrait également se suffire à elle-même. Elle a ses actions propres, qui sont les actes de sa volonté, et aussi ses passions, au sens large d’abord: à savoir les idées qu’elle reçoit en elle. Mais elle a encore d’autres passions, toujours au sens large: à savoir des perceptions, des sentiments, qu’elle rapporte soit à des objets extérieurs, soit à ses organes corporels ; telles sont les qualités des corps, qu’elle connaît « comme dans les autres corps », et ces sentiments intérieurs, tels que la faim, la soif, qu’elle sent « comme dans son corps ». Elle a enfin des émotions qu’elle ne rapporte qu’à elle, qu’elle sent « comme en elle-même », bien qu’elle les sente aussi dans le corps, et en particulier dans le cœur : et ces émotions au sens restreint cette fois, qui est ici le sens propre, constituent précisément les passions. Toujours une agitation des esprits animaux s’y mêle, et toujours aussi quelque mouvement du sang. Elles apparaissent ainsi comme un effet naturel de l’union de l’âme et du corps. Sans cette union, point de passions. Mais sans les passions, non plus, point d’union. L’âme serait dans le corps comme une étrangère. On aurait, d’un côté, un corps humain, et de l’autre, une âme humaine (ce nom même ne pourrrait plus lui convenir) ; on n’aurait point cet être composé des deux, qui est pro-

a. Tome XI, p. 331, 1. 1-7, et p. 342, 1. 3-5 (montre); p. i65-i66 (orgues); et p. i3o-i3i (machines artificielles).

b. Tome II, p. 322. Passions de l'Ame. 495

premcnt Thomme. La notion d'union est d'autant plus néces- saire dans la philosophie de Descartes, qu'il a séparé davantage, en les distinguant l'un de l'autre, deux mondes qui demeure- raient autrement sans rapport entre eux : monde de la pensée et monde de l'étendue (celle-ci enveloppant et expliquant la vie même) ; monde des esprits, et monde des corps (y compris les corps vivants). Un troisième monde naît de l'union des deux autres, et c'est lui qui paraît le plus réel des trois : monde de la lumière et des couleurs, et des sons, et de toutes les qualités sensibles, monde des sentiments, monde des passions enfin, ne comprend -il pas, dit Descartes lui-même, « la » plupart des choses qui sont en la nature^ » ?

Peu importe que notre philosophe s'ingénie ensuite à pré- ciser l'endroit où l'âme s'unit le plus intimement au corps ; il désigne la glande pinéale, qui a la propriété d'être unique, et peut ainsi unifier comme en un centre ce qui lui arrive en double des deux yeux, par exemple, des deux oreilles, etc. ^. Et peu importe que cette glande soit si difficile à reconnaître : lui-même avoue qu'un certain hiver à Leyde, en i636-i637, il l'a souvent cherchée en vain avec un vieux professeur d'ana- tomie, en disséquant des cerveaux ^ Nous ne voyons là que les efforts méritoires d'un philosophe qui ne s'enferme pas dans son cabinet d'étude, ou plutôt dont le cabinet n'est pas, comme pour tant d'autres, une bibliothèque de livres, mais une cour, sur le derrière de son logis à la campagne, aménagée pour la dissection. Jamais peut-être il n'était plus philosophe, que lorsqu il ne s'en rapportait qu'à lui-même pour ses observations et ses expériences. Et ce n'était pas seulement le corps qu'il étudiait ainsi, ni le mécanisme de la vie dans les organes ; mais au fond de ce mécanisme même, il essayait de surprendre le fait essentiel de la nature humaine, l'union de notre âme et de notre corps.

a. Tome VIII, p. 3i3, 1. 20-22 ; et t. IX (2- partie), p. 3io.

b. Tome XI, p. ;->5i-.^33 : an. xxxi et xxxii.

c. Tome III, p. 48-4.(1.

cl. Ibid.. D. 353. Kt t. IV, p. 247-248.

�� � 496 Vie de Descartes.

Les Anciens, et tous les Modernes qui suivaient les Anciens, ne voyaient dans les passions, avons-nous dit, que des pertur- bations de l'âme ; bien plus, ils imaginaient des combats entre les passions ^, c'est-à-dire entre les diverses parties de l'âme ainsi divisée, contre elle-même. Descartes n'admet point une telle division ; les faits, qui sont d'ailleurs indéniables, s'expli- quent autrement et bien mieux avec son principe de la liaison de l'âme et du corps, lequel comprend deux conséquences. La première est que toute pensée de l'âme est jointe à un mouve- ment du corps, et inversement. Chaque fois que, pour une cause ou pour une autre, un même mouvement se reproduit, il s'en suivra la même pensée, et aussi chaque fois que nous aurons de nouveau une même pensée, les mouvements corporels qui l'accompagnent, ne manqueront pas de se reproduire. Descartes insiste sur ce principe : il y revient à plusieurs reprises, et tou- jours avec des exemples appropriés . Mais ce n'est pas tout, et voici la seconde conséquence : l'âme n'est pas tellement asser- vie au corps, qu'elle ne puisse s'en libérer ; la liaison entre les mouvements et les pensées est assez lâche, pour qu'une pensée puisse se détacher de son mouvement propre et s'attacher à un mouvement voisin. Elle passe ainsi de l'un à l'autre, en vertu de sa mobilité à elle, qui est un eflFet de sa liberté : ce passage, à vrai dire, ne se fait pas sans effort ni sans lutte, et c'est en quoi consistent les prétendus combats des passions. On remar- que déjà quelque chose d'analogue, sans passion toutefois, chez les animaux eux-mêmes. Le premier mouvement d'un chien, à la vue d'une perdrix, est de se jeter sur elle, et lorsqu'il entend un coup de fusil, de se sauver; mais un chien de chasse, con- venablement dressé, fait précisément le contraire : il demeure en arrêt devant le gibier, et y court aussitôt qu'on a tiré". Ce

a. Tome XI, p. 364-366 : art. xlvii.

b. Ibid., pp. 36 1-362, 368-370, 407 et 428-429 : art. xliv, l, cvii et cxxxvi. Voir aussi t. IV, p. 408, 1. i-io.

c. Pour cet exemple et les deux qui suivent, voir t. XI : p. 370, 1. 1-8; p. 369, I. 19-25; ou p. 407, I. 13-17, et p. 429, 1. 3-21.

�� � Passions de l'Ame. 497

dressage des animaux se retrouve chez l'homme, sous le nom d'habitudes, contractées volontairement ou involontairement, à la longue ou en une seule fois ; mais il s'y mêle ici de la passion. Vous mangez, par exemple, avec appétit et avec plaisir d'une certaine viande; tout à coup vous y rencontrez quelque chose de fort sale : c'en est assez, vous ne pourrez plus supporter la vue d'une viande semblable ; elle vous dégoûte et vous fait hor- reur. La vue d'un chat, l'odeur des roses, peut exciter, pour toute la vie, de l'aversion chez un enfant qui aurait été épou- vanté par l'un ou fortement incommodé par l'autre, étant au berceau, ou même, par sympathie, lorsqu'il était encore dans le sein de sa mère.

Ces quelques exemples suffisent à Descartes pour établir sa thèse : chaque pensée peut se séparer des mouvements du corps qui lui sont joints d'ordinaire, et s'unir à d'autres mouvements parfois tout opposés. Et c'est ainsi qu'on peut passer d'une pas- sion à l'autre, à volonté, et suivant les convenances ou le besoin. Mais on ne saurait prétendre agir directement sur le corps, et arrêter net tel mouvement du sang ou des esprits : pas plus qu'on ne peut, par exemple, exercer d'action directe sur les muscles de l'œil pour accommoder la pupille aux distances, ni sur les muscles de la langue et du gosier pour proférer certains sons\ Mais de même qu'il suffit de penser à regarder de près ou de loin, et à dire les mots d'une phrase, aussitôt les mouve- ments appropriés s'exécutent sans qu'on sache comment ni les- quels : de même, il suffit, pour se délivrer d'une passion, qu'on se propose d'autres pensées, d'autres actes surtout, d'autres émotions, et peu à peu l'on réussit à faire naître La passion contraire. Pour reprendre l'image d'un combat, ce n'est pas avec ses propres armes, en ne comptant que sur elle-même, que la volonté peut vaincre : c'est en cherchant des alliées parmi les passions contraires, en suscitant celles-ci pour les opposer et finalement les substituer à celles qu'on s'efforce d'évincer de l'âme. Il y a là toute une stratégie, qui demande, dit notre phi-

a. Tome XI, p. Ji6i-362.

Vie oe Descartes. 63

�� � 498

��Vie de Descartes.

��losophe, beaucoup d'industrie; mais il ne doute pas d'un heu- reux succès, et assure que par là nous pouvons acquérir sur nos passions un empire absolu *. Ne prétendait-il pas s'être rendu maître de son corps, au point de n'avoir que les rêves qu'il voulait i" ? Il savait aussi ce qui lui pouvait nuire ou profiter, au point d'être pour lui-même son meilleur médecin'. En quoi serait-ce plus difficile à chacun, de régler ses passions, et de connaître et de suivre le régime qui lui convient le mieux, au physique et au moral même ?

Descartes rejette donc la grande division des Anciens en appétit concupiscible et appétit irascible, qui comprenait toutes les passions"^. Il examine celles-ci « par ordre »; il en fait le dénombrement^. Quarante passions sont ainsi passées en revue,

a. Tome XI, p. 367, 1. t-9, et p. 368, art. l. Voir ci-avant, p. 23o.

b. Tome IV, p. 282, 1. 17-21. Voir ci-avant, p. 410.

c. Ibid., p. 329-330; et t. V, p. 179.

d. Tome XI, p. 379 : art. lxviii.

e. La seconde partie du Traité des Passions peut se diviser ainsi : t. XI, p. 371-372, art. Li et lu, introduction; p.. 373-400, art. liii-xcv, partie morale ; p. 401-431, art. xcvi-cxxxviu, partie pliysique; p. 432-442, art. cxxxix-cxLviii, usage des passions.

La partie physique se décompose elle-même ainsi : Admiration, p. 373, art. lui; Estime et Mépris, Générosité ou Magnanimité et Humilité, Orgueil et Bassesse, p. 373-374, art. liv ; Vénération et Dédain, p. 374, art. lv ; Amour et Haine, p. 374, art. lvi; Désir, p. 374-375, art. Lvii ; Espérance et Crainte, Jalousie, Sécurité ou Assu- rance et Désespoir, p. 375, art. lviii ; Irrésolution, Courage et Lâcheté, Hardiesse et Peur ou Épouvante, p. 375-376, art. lix; Remords, p. 376, art. lx; Joie et Tristesse, p. 376, art. lxi ; Moquerie, Envie, Pitié, p. 376-377, art. lxm ; Satisfaction et Repentir, p. 377, art. lxui; Faveur, Reconnaissance, p. 377-378, art. lxiv; Indignation, Colère, p. 378, art. Lxv; Gloire et Honte, p. 378, art. lxvi; Dégoût, Allégresse, Regret, p. 378-379, art. lxvii.

Les noms en italiques sont ceux des six passions principales, p. 38o, art. lxix. Descartes les reprend l'une après l'autre : Admiration, p. 38o- 386, art. lxx-lxxviii; Amour et Haine, p. 387-392, art. lxxix-lxxxv; Désir, p. 392-39Ô, art. lxxxvi-xc; Joie et Tristesse, p. 396-400, art. xci- xcv.

La partie physique, à son tour, comprend pour chacune de ces cinq passions primitives {V Admiration étant exclue, et le Désir étant placé

�� � Passions de l'Ame. 499

dont six principales; celles-ci constituent comme les «genres », dont les autres sont des « espèces ». Le point de vue d'où il les examine, est celui-ci : en quoi les choses nous sont-elles utiles ou nuisibles, bonnes ou mauvaises ? à nous-mêmes, c'est- à-dire pour commencer, à notre corps? La vie physique reste, sinon sa principale étude, du moins celle qui n'a cessé de l'occuper et de l'intéresser davantage. On ne peut pas toujours faire des mathématiques; et mainte fois il se plaint, à propos de problèmes qu'on lui pose, d'être obligé de se remettre à des études qu'il avait depuis longtemps abandonnées. Les expé- riences de physique plaisaient aussi à son esprit curieux, non pas cependant au point d'en faire beaucoup lui-même : il préférait philosopher sur les expériences d'autrui, qu'on lui signalait, ou bien il se contentait d'en indiquer de nouvelles, assuré d'avance que le résultat se trouverait conforme à ses théories. Mais ce qui paraît l'avoir passionné, depuis les premiers temps de son séjour en Hollande jusqu'à la fin, à Amsterdam et à Leyde, à Santport, à Endegeest et à Egmond, ce sont les observations d'anatomie qu'il faisait lui-même, en digne petit-fils de son grand-père, le médecin Pierre Descartes, sur des animaux morts ou vivants. Des fœtus de veaux, extraits de la matrice, deux mois, trois mois après la conception; des embryons de poulets tirés de l'œuf, les premiers jours où il était couvé et les jours suivants jusqu'à l'éclosion, lui livrèrent, il le pensa du moins, le secret de la formation de l'animal". Longtemps il avait hésité, doutant

chaque fois après les quatre autres) : les observations faites sur le cœur, le poumon, l'estomac, p. 401-403, art. xcvii-ci, et les mouvements du sang et des esprits, p. 403-407, art. cii-cvi; les causes originelles de ces mouvements, avant la naissance, p. 407-411, art. cvri-cxt; les signes extérieurs de ces cinq passions, p. 411-429, art. cxii-cxxxvi ; usage de ces passions par rapport au corps, p. 429-431, art. cxxxvii et cxxxviii.

Enfin, en manière de conclusion, usage de ces mêmes passions par rapport à l'âme, et en particulier le moyen de régler les désirs, p. 432- 442, art. cxxxix-cxLviii.

a. Tome IV, p. 553., 1. 9-i3 : lettre du 2 nov. 1646. Voir surtout, t. XI, p. 549-621.

�� � de lui ; il parut même renoncer à expliquer cette formation ; mais à la fin, il crut de bonne foi y réussir[375]. Et ne distinguant pas entre les êtres vivants, l’explication de l’être humain ne lui parut pas offrir plus de difficultés que celle des autres animaux.

Mais s’il croyait pouvoir expliquer comment se forment les organes et les membres, en un mot le corps, pourquoi n’expliquerait-il pas aussi l’âme, dont toute l’essence n’est que de penser ? On s’étonna d’abord, et bientôt on se moquera de la théorie cartésienne de l’enfant, philosophe précoce qui pense dès le sein de sa mère. Pense-t-il cependant, au point de faire de la métaphysique déjà ? Assurément non, et Descartes ne le prétend pas non plus. L’enfant encore à naître n’est toutefois point sans avoir des pensées obscures et confuses, des émotions, des passions. Descartes remonte jusque-là pour expliquer l’origine des passions principales[376] : que l’enfant reçoive de sa mère une bonne nourriture en abondance, il en éprouve de la joie et il aime cette nourriture ; qu’elle soit insuffisante ou mauvaise, il ressent, au contraire, de la tristesse et du dégoût qui est déjà de la haine. L’explication est tirée de bien loin, en apparence ; en réalité, elle est toute proche de nous, elle est prise au plus profond de notre être physique. Avant de la publier en 1649, c’est elle que Descartes avait résumée d’une façon si nette[377] à Chanut, le 1er février 1647, et déjà même à la princesse Élisabeth, en mai 1646.

Ces quatre passions primitives : tristesse et joie, haine et amour, qui prennent ainsi naissance avec la vie physique, ne tardent pas à avoir d’autres objets. Sans doute, elles retiendront toujours quelque chose de leur origine ; les mouvements intérieurs des esprits et du sang, qui les accompagnent, demeureront les mêmes pendant tout le cours de notre existence ; les effets sur le cœur, sur le poumon, sur l’estomac, Passions de l'Ame. 501

resteront aussi les mêmes; enfin plus tard les signes exté- rieurs, actions des yeux et du visage, changements de cou- leur, tremblements, langueur, pâmoison même, et le rire et les larmes, et les gémissements, et les soupirs, tout cela sub- siste, bien que nous puissions parfois le modifier à notre gré. C'est la partie physique des passions, sur laquelle Elisabeth n'était pas sans faire quelques réserves.

En revanche, elle approuvait entièrement la partie morale. A mesure que s'accroît notre existence humaine ou de ce composé que nous sommes d'un corps et d'une âme, on voit se développer aussi nos passions. L'amour, par exemple, reste bien le même en son fonds, et se ressent toujours de ce qu'il a été d'abord; mais à quoi ne peut-il pas ensuite s'appliquer? Amour du vin chez un ivrqgne, et chez un brutal (nous dirions aujourd'hui une brute) amour 'd'une femme jusqu'à lui faire violence; amour de l'argent chez un avare, amour des honneurs chez un ambitieux; amour d'un honnête homme pour son ami ou pour sa maîtresse, amour d'un bon père pour ses enfants*". Ici intervient un clément d'appréciation que nous retrouve- rons bientôt, et qui ennoblit singulièrement l'amour. Celui-ci par ses racines tient, nous l'avons vu, au plus profond de la vie animale; mais il grandit, il s'élève; en lui finalement comme en sa fleur s'épanouit l'humanité. Toujours, quand on aime, on prétend former un tout avec ce qu'on aime : un tout dont on est soi-même une partie, et ce qu'on aime, l'autre partie**. Laquelle des deux doit-on préférer? Descartes dis- tingue trois cas. Ou bien cette autre partie ne nous vaut pas : c'est, par exemple, une fleur, un oiseau, un cheval; en ce cas, ce serait folie de ne pas nous préférer nous-mêmes. Ou bien

a. Tome XI, p. 411, 1. 21-25, où ces signes sont énumérés. Descartes les reprend ensuite l'un après l'autre, p. 412-428 : art. cxiii-cxxxv.

b. Tome IV, p. 404 (notamment 1. 14-18) à p. 405 : lettre du 25 avril 164Ô.

c. Tome XI, p. 388-389 : art. lxxxii.

d. Ibid., p. 389-391 : art. lxxxii. Et t. IV, p. 61 i-6i3 : lettre du i"févr. 1647.

�� � Ç02 Vie de Descartes.

nous estimons cette autre partie autant que nous, comme cela arrive dans l'amitié, qui suppose l'égalité ; alors on doit plutôt pencher pour autrui que pour soi : un ami se jette au devant du danger qui menace son ami, Nisus se dévoue pour Euryale. Ou bien enfin nous estimons plus que nous l'objet de notre amour : par exemple, un père ne considère pas seulement ses enfants comme d'autres soi-même; il se les représente, eux et lui, comme un tout dont il n'est que la moindre partie; il préfère donc souvent leurs intérêts aux siens, et ne craint pas de se perdre pour les sauver. La tendresse paternelle allant jusque-là, selon Descartes, faut-il voir dans cette phrase une révélation sur les sentiments qu'il supposait à son père en son endroit, et qu'il aurait eus lui-même à l'égard de son enfant ? C'est encore ainsi qu'un homme d'honneur aime son prince ou son pays, ou même un personnage au service duquel il s'est engagé : en ce cas, c'est lui qui est la moindre partie du tout, et lorsqu'il le faut, sans hésiter, il se sacrifie. La passion de l'amour atteint ainsi un haut degré de noblesse, et prend un caractère chevaleresque, peu connu des Anciens (encore Descartes rappelle-t-il l'exemple des Décies) ^, et qui ressemble plutôt au point d'honneur d'un gentilhomme français du temps de Louis XIII. Aussi rejette-t-il encore une distinction commu- nément reçue dans l'École, entre l'amour « de bienveillance » et l'amour « de concupiscence». Le véritable amour ne connaît que le bien de ce qu'il aime ; quant à l'autre amour, qui ne songe qu'à la possession et à la jouissance, ce n'est point tant de l'amour que du désir, et notre philosophe l'étu- diera avec cette dernière passion.

Ici encore Descartes se sépare des Anciens, qui distinguaient, comme deux passions diff^érentes, le désir et son contraire '^. Mais, dit-il, en désirant et recherchant les richesses, on fuit la pauvreté ; et en fuyant les maladies, on recherche la santé.

a. Tome XI, p. 461-462 : art. clxxiii.

b. Ibid., p. 388 : art. lxxxi. Et t. IV, p. 606, 1. 20-27.

c. Ibid., p. 393 : art. lxxxvii.

�� � Passions de lAme. 503

C'est un seul et même mouvement qui nous rapproche d'un bien et nous éloigne du mal qui lui est opposé ; et ce mouve- ment constitue une seule et même passion. Le désir joue un très grand rôle dans notre vie, et la morale a pour objet précisément de le régler. Il se mêle en effet à toutes les autres passions; en particulier, il est au fond de ce qu'on appelle communément Tamour, qui fournit aux romanciers et aux poètes le principal sujet de leurs fictions. A voir le succès de celles-ci auprès des lecteurs (et Descartes ne s'excepte pas du nombre), elles ne flattent pas seulement un goût superficiel, mais elles donnent satisfaction à un véritable besoin de l'homme. Descartes regarde la lecture des romans et la repré- sentation des pièces de théâtre, notamment des tragédies, comme un dérivatif (il n'emploie pas ce mot, non plus que celui de purgatif, qui était, le savait-il, celui d'Aristote); on prend plaisir à suivre des aventures et des péripéties, dont on est soi-même exempt et dont les victimes ne sont que des personnages imaginaires; on n'en soutïre pas proprement, ni pour soi, ni pour eux, et ce qu'on éprouve est plutôt du plaisir". Notre philosophe ne conseille-t-il pas de considérer les tragé- dies réelles qui se jouent parfois sur la scène du monde, comme un simple spectacle, et d'y prendre le même genre d'intérêt : ces tragédies eussent-elles le dénouement classique, qui ne va jamais sans effusion de sang.

Mais si ces passions menacent de devenir réelles en nous, et surtout de se porter aux excès, le danger est grave, et il faut y remédier. Nous retrouvons alors une des deux principales maximes de morale, que Descartes s'était prescrites dès i6i(), et qu'il avait énoncées en lôSy : distinguer les choses qui dépendent entièrement de nous, et celles qui n'en dépendent point, régler nos désirs en conséquence, et au besoin les

a. Tome XI, p. 436, 1. 'lô-iS.

b. Ibid., p. 396, 1. 12-18 : an. xc, fin.

c. Ibid., p. 399, 1. 30-28; et p. 441, 1. 15-24.

d. Tome IV, p. 309, 1. 7-26, et p. 323, 1. 9-1 3.

�� � ^04 Vie DE Descartes.

changer plutôt que l'ordre du monde". Cet ordre a été établi, en effet, de toute éternité par la Providence, et demeure donc, même pour elle, immuable à jamais. Il ne laisse aucune place à la Fortune, et notre philosophe combat à ce sujet l'erreur générale. Quelle apparence de pouvoir fléchir en notre faveur une prétendue déesse, qui n'existe pas, et détourner le cours des choses, lequel est tracé immuablement? Ce serait peine perdue, en vérité, et tenter l'impossible. Ramenons donc nos désirs dans de justes bornes, et ne leur donnons que des objets qu'il est en notre pouvoir d'atteindre. Descartes se garde bien cependant de les supprimer et de rendre l'âme impassible. Rien ne serait plus contraire à notre nature, et contraire aussi à sa doctrine : l'âme réduite à elle-même, entièrement séparée du corps, sans passion ni désir, serait bien encore un entende- ment, un esprit, et si l'on veut même une âme : ce ne serait plus un être humain, et c'est l'homme complet, union d'une âme et d'un corps, qu'étudie notre philosophe. Il ne veut point de ces systèmes de morale, comme ceux des stoïciens, « palais » superbes et magnifiques », dit-il, « qui n'étaient bâtis que » sur du sable et sur de la boue ».

Mais où son originalité apparaît pleinement (et tout ce qui précède, le faisait pressentir déjà), c'est lorsqu'aux cinq pas- sions principales que nous venons d'énumérer. Descartes ajoute l'admiration. Il lui donne la place d'honneur, avant toutes les autres, comme à la passion proprement humaine. Joie et tristesse, amour et haine, désir aussi, se rapportent à la vie totale, à la vie du corps au moins autant qu'à la vie de • l'âme; elles ont même dans la vie physique seule leur origine. L'admiration aussi peut-être, mais bien moins qu'elles, et pour s'en dégager bientôt, et s'appliquer à son objet propre qui est la vie intellectuelle et morale, nous dirions aujourd'hui sociale

a. Tome XI, p. 436-440 : art. cxhv-cxlvi. Voir ci-avant p. 56-58, et p. 415-416.

b. Tome VI, p. 7-8.

c. Tome XI, p. SjS et p. 38o-386 : art. lui et art. lxx-lxxviii.

�� � Passions de l'Ame. ^o^

également. Toutefois Descartes n'insiste pas beaucoup sur l'admiration, au point de vue intellectuel* : il s'en méfierait plutôt, et volontiers il la réprimerait, surtout lorsqu'elle en vient à cet excès qui est l'étonnement. Rien alors n'est plus nuisible à la science; car le savant doit s'habituer à tout exa- miner de sang-froid, même les choses rares et extraordinaires. L'admiration n'est utile que dans la mesure où elle excite la curiosité.

Mais au point de vue moral, il en va tout autrement. L'admiration engendre d'abord l'estime ou le mépris, selon l'opinion qu'on a de la valeur d'une chose et surtout d'une personne. Descartes ne cesse de le redire : un des principaux objets de notre admiration, c'est le libre arbitre ou la liberté, en nous et en autrui, et qui rend l'homme semblable à Dieu. Nous touchons ici au fond de sa pensée ; et nous sommes au cœur de sa doctrine des passions. Cette estime singulière que chacun a de soi-même, en tant que cause libre, qui peut et qui doit faire usage de sa liberté (un bon usage, certes, mais quand même il serait mauvais, simplement un usage, pourvu qu'il se croie bon ^), c'est la générosité. Le mot est de Descartes, dans

a. Mêmes articles. En particulier: p. 383, 1. 6-12.

b. Tome XI, p. 44!ï-456 : art. cxlix-clxiv. L'Admiration avec ses espèces : Estime et Mépris, p. 443-445, art. cxlix-clii; Générosité et Hu- milité vertueuse p. 445-448, art. cliii-clvi ; Orgueil et Humilité vicieuse, p. 448-454. art. cLvii-cLxi, Vénération et Dédain p. 454-456, art. clxh-clxiv.

c. Ibid., p. 446. 1. i-io, et p. 454, 1. 6-8. Voir, à ce sujet : Le Héros cornélien et le « Généreux >> selon Descartes, parGisTAVE Lanson. Hommes et Livres. Études morales et littéraires. (Paris, Lecène et Oudin, i8q5, p. t[3-i33.) Kt aussi : Le roman français. L'âme généreuse. La Princesse rfe C/èi'e5,par ViCTon Ch^rkvlw.i. i Revue des Deux- Mondes, 1 5 mars 1910.) On ne saurait assurer, toutefois, ni que Descartes ait lu Corneille, ni que Corneille ait lu Descartes. Constatons seulement que Corneille fut aus- sitôt connu en Hollande. En voici au moins deux preuves :

I» Relation de ce qui s'ejl paffé à La Haye au mois de février. 'l'an 16.3S' : les feftins, comédies, bals, cour/es de bague £ autres magnifi- cences faites au mariage de Monfieur de lirederode £■ de Mademoy- felle de Solms. La Haye, de limprimerie de Théodore Maire, i638, in-f». Page 5 : « . . .à l'illué du foupcr, la Comédie du Cid fut joiice par Vie de Descartes. 64

�� � 5o6

��Vie de Descartes.

��le sens de passion et de vertu tout ensemble, la première de toutes les passions en noblesse et en dignité, et la clé de toutes les vertus, la même qu'il a définie ailleurs la fermeté et cons- tance dans nos résolutions. Il revendique comme sienne cette générosité. Les Anciens l'ont peu connue, dit-il, et l'appelaient Magnanimité ^ Descartes renonce à ce nom, qui traduit mal sa pensée, et emprunte un terme à la langue commune, pour l'introduire dans la philosophie.

Il tire de là d'importantes conséquences. Les Anciens dis- tinguaient, en les opposant, Magnanimité et Humilité. Des- cartes rejette cette opposition. Il y a une bonne humilité, une humilité vertueuse, parfaitement compatible avec la généro- sité : celle-ci fait qu'on s'estime beaucoup, et l'autre, qu'on ne s'estime pas trop cependant; elle donne à l'homme le senti- ment de ses faiblesses =, et lui fait reconnaître qu'il n'est qu'un homme, après tout, et non pas un dieu. Par là, Descartes répond d'avance à Pascal, qui fera un crime aux Stoïciens de leur « superbe diabolique ». De même, en revanche, il note

j» la troupe des Comédiens du Prince arrivés à propos de France. » 2" Le Cid. Tragi-comédie nouvelle. Par le fieur Corneille. (louxte la copie imprimée à Paris, i638, pet. in-8, Elzevier, Leyde.) On trouve dans le même volume une suite donnée par Urbain Chevreau au chef- d'œuvre de Corneille : Le Mariage du Cid.

Les Elze%iers imprimèrent encore le Cid en 1641 et 1644; Horace, en 1641, 1645, 1647; Cinna, en 1644 et 1648; Polyeucie, aux mêmes dates; la Mort de Pompée, mêmes dates encore; l'Illustre Théâtre, en 1644, réunissant en un volume les cinq pièces précédentes ; le Menteur et la Suite du Menteur, 1645 et 1647; Rodogune, 1647. Nous ne parlons point des éditions postérieures à la mort de Descartes. Rappelons, enfin, qu'on jouait Corneille à la cour palatine, ci-avant, p. 403.

a. Tome XI, p. 453, 1. 22-25, et p. 374, 1. i.

b. « Autrefois la Magnanimité & l'Humilité pouvoient eftre deux » chofes contraires, mais depuis que les principes de la Morale ont efté » changez par les maximes de l'Evangile. . . » {Œuvres de M. de Balzac, M.DC.LXV, t. I, p. io5.) Et encore, lettre à Chapelain, 6 avril 1637 : « La Modeftie eft la plus belle chofe du monde... Il y a pourtant vn » Orgueil magnanime que la Philofophie ne defapprouve pas, &Ariftote » en dit des merveilles dans fes Ethiques. » [Ibid., p. 744.)

c. Tome XI, p. 447 : art. clv.

�� � Passions de lAmk. ^07

une fausse générosité, qui n'en a que l'apparence, et qui est plutôt de l'orgueil, un injuste orgueil, pour des choses qui n'en valent pas la peine et ne sont pas des biens véritables : richesse, naissance, et autres avantages extérieurs. Cet orgueil n'exclut pas, il implique souvent, au contraire, une fausse humilité, une humilité vicieuse •\ Et Descartes condamne ces deux passions, qui prennent effrontément le masque des deux précédentes; il a ses raisons pour cela, que nous verrons bientôt.

En attendant, il signale l'heureux effet de la générosité, chaque fois qu'elle se joint à telle ou telle autre passion. Déjà tQut à l'heure, par elle l'amour était comme transfiguré. C'est par elle aussi que nous avons la force de lutter contre nos désirs, ou puisque la lutte directe est presque impossible, de préparer de loin le triomphe de la volonté ■■■. Maintenant elle ennoblit parfois des passions inférieures, par exemple la jalousie : il y a une jalousie louable, en effet, celle du capi- taine jaloux de conserver à son prince une place qui lui a été confiée*^; celle de l'honnête femme jalouse de son honneur, et

a. Tome XI, p. 460 : art. clix.

b. Ibid., p. -390, 1. io-i5.

c. Ibid., p. 438, ). 1-2, et p. 448, 1. 4-6.

d. Ibid., p. 458, 1. 6-19. Voir aussi t. II, p. 64-65. On songe involon- tairement à ces paroles d'un contemporain de Descartes, Abraham Fabert (1599-1662), lesquelles ont été gravées en 1842 sur le socle de sa statue à Metz : « Si pour empêcher qu'une place \ que le Roi m'a confiée I ne tombât au pouvoir de l'ennemi, \ il fallait mettre à la brèche | m<i per/onne, \ ma famille & tout mon bien, \je ne balancerais pas un moment à le faire. » Nous n'avons pu d'ailleurs trouver aucune trace de relations entre Descartes et Fabert, bien que Baillet ait assuré [loc. cit., t. II, p. 176) l'existence de telles relations, peut-être parce que Fabert. avait pris part au siège de La Rochelle, où Baillet pensait que Descaries s'était aussi trouvé.

Citons encore ce trait de Fabert : « LoH'qu'il vifitoit les travaux de Sedan, » il étoit environné d'Officiers & de Bourgeois ; il parloit aux uns & » aux autres avec un air naturel qui lui gagnoit leur confiance. Retour- » nani un jour au Château par la Ville, une Sédanoife barra le chemin, » & lui dit, les larmes aux yeux : Vous voye:^, Monfeigneur, une mère » bien à plaindre : mon fils que je vous ai pré/enté ily a quelques jours

�� � 508 Vie de Descartes.

qui ne saurait prendre trop de soin pour le maintenir intact : dans les deux cas, une telle jalousie est le fait d'une âme géné- reuse^. Mais il y a une jalousie blâmable, celle du mari qui surveille trop sa femme et la tourmente, n'étant pas assez sûr de se l'attacher par son mérite propre : il manque en cela de générosité. On retrouve, dans d'autres passions, des effets semblables ^ C'est la générosité qui, chez les âmes fortes, entretient la pitié, laquelle ne serait sans cela que vaine sensi- bilité et faiblesse; c'est elle qui entretient aussi la reconnais- sance, passion des cœurs bien nés, et qui arrête à temps l'indignation, et l'empêche de dégénérer en colère. Les Anciens avaient fait de celle-ci une passion principale. En effet, elle est des plus violentes, et Descartes recommande fort de s'en garder, ou plutôt de la modérer. Mais cependant, si nous sommes offensés ? Alors, dit Descartes, « nous devons tâcher » d'élever si haut notre esprit, que les offenses qu'on nous

» £■ qui vous aparufijage & fi fcavant, eft devenu fou : je lui ai entendu » hier foutenir à fes amis, que la Terre tournoit autour du Soleil. » Peut-on voir une folie Jemblab le ? Que fer ai- je de ce malheureux? — » Envoye\-le moi, dit Fabert, je le guérirai. Il eut bien de la peine à » s'empêcher de rire. Il penfoit comme le jeune homme, qu'il admit à » fa table; il l'entretint fur l'artronomie, & lui confeilla de ménager fon » fçavoir en préfence de fa mère. » [Vie de M. le Marquis de Fabert, Maréchal de France, par le P. Barre, Paris, Hérissant, 2 vol. in-12, 1753. Tome II, p. 3o4-3o5) : anecdote empruntée aux Mémoires de M. de Termes, secrétaire, agent et exécuteur testamentaire de Fabert.

Sur cette question du mouvement de la terre, Chapelain écrivait à Balzac, le 19 février 1640 : « . . .Vous avés efté caufe que j'ay acheté le » Phitolaus du S"^ Bouillaud, après lequel il y auroit grande opiniaftreté » de croire que Copernic fut un extravagant, & qu'Ariftote euft raifon de » mettre la Terre dans le centre. Je vous avoue que j'ay bien du plaifir » de croire que je fuis fur la Terre comme dans un vaiffeau & que je » voyage perpétuellement par les lieux autour de ce bel Aftre que vous » aymés tant & qui vous a fait dire que vous eftes Solaire. » [Lettres de Jean Chapelain, Paris, Impr. Nat., t. I, 1880, p. 575.)

a. Tome XI, p. 458, 1. io-i3.

b. Ibid., p. 458-459 : art. clxix.

c. Ibid., p. 469-470 (pitié); p. 474, 1, 6-8 (reconnaissance); et p. 480- 481, art. ccii et ccni (colère).

�� � peut faire, ne parviennent jamais jusqu’à nous[378] ». Et nous en sommes capables par un suprême effort de générosité. Jamais philosophe ne s’était fait une idée aussi haute de l’homme, tout en demeurant dans les limites de l’humanité.

Car cette morale de Descartes est toute philosophique, et la théologie n’y a point de part. A peine nomme-t-il celle-ci une ou deux fois, et pour lui imprimer en passant, du moins à celle qui n’est qu’hypocrisie, une énergique flétrissure. Lorsqu’il oppose à la générosité l’orgueil mêlé de bassesse chez les esprits faibles, on ne peut s’empêcher de penser, comme il pensait sans doute lui-même, à un Voët, par exemple (et combien de théologiens, dans toutes les sectes, ressemblent à Voët !) Et il rapproche de ceux-ci, comme semblables au fond, ces esprits bas et faibles, prétendus esprits forts, « qui passent si promptement de l’extrême impiété à la superstition, puis de la superstition à l’impiété : en sorte », ajoute-t-il, « qu’il n’y a aucun vice ni aucun dérèglement d’esprit, dont ils ne soient capables[379] ». Plus loin, à propos de la satisfaction de soi-même, si légitime et si douce à la fois chez un homme vertueux, mais impertinente et ridicule, lorsqu’elle est mal fondée, il prend à parti et malmène rudement ces faux dévots, ces bigots, comme il les appelle, à qui sous prétexte de zèle leur passion dicte parfois les plus grands crimes, « comme de trahir des villes, de tuer des princes, d’exterminer des peuples entiers, — pour cela seul qu’ils ne suivent pas leurs opinions[380] ».

Ainsi s’achève, par des considérations de la plus haute moralité, un ouvrage qui prenait son point de départ dans la vie physique. Ce commencement jetait un jour nouveau sur l’origine des passions, que la théologie enveloppait de mystère. Elle les considérait comme un effet du péché, comme le triste héritage d’une faute originelle, comme une corruption à tout jamais de notre nature ; donc elle les jugeait radicalement mauvaises. Mais elles sont simplement l’effet naturel de l’union de l’âme et du corps ; elles tiennent à l’essence même de l’homme tel qu’il nous est donné, et que nous ne saurions concevoir autrement. Aussi sont-elles presque toutes bonnes, écrivait Descartes à Chanut ; il dit même résolument, dans son Traité, qu’elles sont toutes bonnes[381].

Il n’en réprouve que le mauvais usage et l’excès ; encore donne-t-il deux moyens sûrs d’y remédier : moyen intellectuel, tiré de la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend point, entre ce qu’il y a de bon et de mauvais dans les objets, en quoi les passions nous trompent toujours ; moyen éminemment moral aussi, tiré de la volonté ou de la ferme et constante résolution de bien faire. On reconnaît là les deux principales maximes de la morale, sur lesquelles notre philosophe n’a point varié. Que les passions soient naturelles à l’homme, c’est l’évidence même : « l’âme n’aurait pas sujet de demeurer jointe au corps un seul moment, si elle ne les pouvait ressentir[382] ». Que toutes deviennent bonnes, si l’on en fait un bon usage, voilà qui est incontestable encore : « en cela seul consiste toute la douceur et la félicité de notre vie », écrit Descartes dans une lettre privée, et c’est sur ce même mot qu’il termine son Traité : « les hommes que les passions peuvent le plus émouvoir, sont aussi capables de goûter en cette vie le plus de douceur[383] » On comprend alors ces paroles de la reine Christine à Chanut, que « la condition de M. Descartes lui semblait digne d’envie, et qu’il était le plus heureux des hommes[384] ». CHAPITRE V

DESCARTES EN SUÈDE

SA MORT A STOCKHOLM (1649-1650)

��La reine Christine de Suède disait à Chanut en 1646 : a II » y a vingt ans, on ne connaissait point les Suédois hors le » Nord. Il faut que nous fassions quelque chose de grand, » pour établir une longue réputation". » Gustave-Adolphe venait de donner à son pays la gloire des armes dans cette guerre de Trente ans, oij ses lieutenants et ses soldats conti- nuèrent de s'illustrer, après qu'il fut torajDé lui-même en héros sur le champ de bataille de Lutzen, le 16 novembre i632. Sa fille, pour compléter l'œuvre paternelle, avait « le grand des- » sein de polir et de cultiver ensuite le royaume pendant la » paix*" ». Des savants en tout genre, aussi bien que des artis- tes, furent donc invités à se rendre à Stockholm, d'Allemagne, de Hollande et de France : le plus célèbre de tous est certai- nement Descartes.

a. Propos rapporte dans une lettre du 23 juin 1646. [Bibl. Nal., MS. fr. 17962, p. 433.) Christine était née le 18 déc. 1626.

b. Lettre de Chanut, 2 janv. 1649, sur « le commerce entre les deux » nations, duquel la Majeflé conçoit de bonnes efpcrances pour la com- » moditéde Ton royaume, qu'elle a grand dcllein de polir & cultiucr pen- " dam la paix ". [Ibid., 17965, p. 17 v.) " Plulieurs fois elle me répéta i> qu'en lix jours de beau temps on peut d'un mclme vent palier de Got- n tembourg en Krance. » ilbid., p. 18.)

�� � fi2 Vie de Descartes.

Toute une négociation, pour le décider, fut habilement conduite par le résident français à Stockholm, Pierre Chanut».

a. Chanut (Hector- Pierre) naquit le 22 février 1601, d'une famille auvergnate. Toutefois il n'est pas né à Riom, comme on Ta cru longtemps, ni même, ce semble, à Paris (en tout cas, la maison familiale, rue de Beaurepaire, paroisse de Saint-Sauveur, ne fut acquise par son père que le 22 avril 1606). Il naquit sans doute à Blois, qui était le pays de sa mère; dans une lettre à un sien cousin, M. de Meules, 6 janvier 1646, il lui parle de « noftre patrie de Blois ». (Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 54 verso.) Trésorier de France, et général des rinances à Riom (lettres patentes du 14 nov. 1623, enregistrées le 23), il prêta serment le 1 1 janv. 1624; plus tard, en 1637, il devint en outre l'un des quatre présidents du Bureau des finances de Riom. En 1626, il avait épousé à Paris, en l'église de Saint-Sauveur, Afarg'ueri/c Clerselier: fiançailles, 23 août, et mariage, \" septembre. Ils eurent jusqu'à huit enfants, dont voici les noms avec les dates de naissance (ou de baptême) : Anne, 9 oct. 1627; Marguerite,

29 août i63o ; Martial, 21 oct. i63i ; Anne encore, 17 août 1634 (l'aînée était sans doute morte, et celle-ci rnourut de même en bas âge) ; Hector, 18 nov. i635; Marie, 8 déc. i636; Rodolphe, 3 mai i638; Geneviève, 27 janv. 1641. Chanut, conseiller au Grand Conseil, 4 nov. 1641, fut nommé résident du roi en Suède, août 1645, puis ambassadeur, oct. 1649. Il avait été fait Conseiller d'État, 25 juin 1647. Plénipotentiaire à Lubeck, 16 sept. i652, pour la paix entre la Suède et la Pologne, puis ambassadeur en Hollande, i653-i655. De retour en France, il se démit de sa charge de trésorier qu'il avait conservée, en faveur de son fils Hector, i658, et mourut dans sa terre de Livry, près de Paris, 19 juillet 1662.

Son fils Hector-Pierre, né le 18 nov. i635, devint donc trésorier de France au Bureau de Riom à sa place, 14 mai i658; entra au Grand Conseil, 12 sept. 1664; se maria aussitôt, 21 sept. 1664, avec Marie- Charlotte Chomel, et mourut, jeune encore, 18 juillet 1667, à Paris, où il fut inhumé le 19, en l'église Saint-Sauveur. Nous avons cru, à tort, que cette date était celle de la mort de son père. Celui-ci mourut le 19 juillet 1662 : ce qui explique que la dédicace de Clerselier à Chanut, en tête du tome I des Lettres de M. Descartes, 2« édition (achevée d'imprimer le

30 mars i663), parle de la « gloire » dont son ami jouissait déjà dans le ciel. (Corriger, en ce sens, notre note b, t. V, p. 618.)

Un autre fils de Chanut, Martial, né le 21 oct. i63i, devint abbé com- mendataire d'Issoire. Il fut aumônier de la reine Anne d'Autriche, et Visiteur général des Carmélites en France. Il recueillit, dans la succession de son frère Hector, la charge de trésorier de France à Riom, et l'exerça. Il mourut subitement à Paris, i3 déc. 1695.

Tous ces renseignements sont empruntés au Bulletin historique et

�� � Ce fut lui qui, peu à peu, donna à Christine la curiosité de connaître la philosophie nouvelle et surtout le philosophe, au scientifique de l’Auvergne, année 1899 et suivantes, articles d’Albert Ojardias : Pierre Chanut ou Un Diplomate riomois au XVIIe siècle.

Voici, en outre, un curieux document, reproduit en ce Bulletin (1899, p. 154-155), de la main de Chanut lui-même :

« Anno Domini 1631, cùm Natalis dies 22 Februarii admoviffet ætatis numerandœ (occasionem ?). & 30 reperissem, invasit me subita mœftitia & perculfit admirantem, quomodo fine fenfu vitæ pervenissem ad ejus culmen, à quo lux qua;libet fit obscurcior, & dies nostri ad occasum inclinare incipiunt. Visa est mihi rerum faciès momento mutata, & tune primùm me hominem agnovi : nondum enim apud me constiterat, quis vitæ modus & usus effet, fed ne quidem certò sciebam an viverem. Ergò commotus annorum numero, & ad æstimationem fortis humanæ converfus, de vitæ ratione feriô inftitui, ut quoscunque mihi Deus indulgeret annos, fciens prudenfque viverem. Multos dies frustrà consumpsit hæc meditatio, cùm fine lege vagaretur animus, modo præteriti temporis recordatione confufus, modò trepidans aut erectus ad futura, modo refugiens ab asgritudine curarum, inaffuetus tam arduæ contemplationi. Et certè ad priftinum torporem decidisset, nifi divinæ bonitatis gratia propè deficientem excitaffet. Illà duce factus confidentior, & temporis utriusque termines uno quasi intuitu conjungens, de toto vitæ statu planè deliberare sum aggressus. Ac ne me ipsum aliquando temeritatis arguerem, aut ætatis decursu in immensà casuum varietate positæ leges everterentur, omnia diligentissimè circumspexi, fingula diù penfitavi, denique Deo inspirante, quod vitæ superest his institutis regere institui :

« Verà pietate Deum colère, verè Christum confiteri, summum bonum in vitæ sanctitate constituere, ad eam pro viribus eniti. Paulatim evincere, ut animus fe dominum corporis recognofcat, & imperet. Quærere in meditatione & amore Dei caufas lætitiæ, minùs in dies fenfuum blanditiis credere, ne mens indigné ferviat alienis voluptatibus, fed potiùs à felicitate mentis aviditas fenfuum impleatur. »

« Fortunæ bona neque amare nimiùm, neque afpernari; relifta à parentibus vigilantiâ tueri, augere parcimoniâ ; in vitag fupelleélili inter pares non eminere, fed omnia ex ufu & tempore pollldere, fine oftentatione glorias aut moderationis. »

« Formam (lege Gloriam?) neque manifestò ambire, neque fimulatâ modestiâ fufurrari, fed exiftimationem integram, quantum licuerit, conservare. Si data fuerit occafio agendiin rébus, honeftolabori non parcere ; fin minus, quiète ad lafciviam non abuti, fed ad pietatis officia transferre. »

« Corpus ita curare, ut tamulum paterfamilias : fobrietate ad victum facilem, exercitio ad laborem indurare, tantumque indulgere, quantum point qu’elle désira l’avoir auprès d’elle à sa cour. D’un autre côté, Chanut fit si bien, qu’il amena Descartes à écrire d’abord à la reine, puis à entreprendre ce voyage de Suède, qui lui était représenté comme une simple promenade. Chanut sans doute crut bien faire en cela, et servir les intérêts de son ami Mais c’était aussi, de sa part, un acte de bonne politique : diplomate avisé, il mettait tous ses soins à complaire à Christine, flattant ses goûts et secondant ses projets; les affaires du roi et les siennes propres ne pouvaient que s’en trouver bien.

Chanut n’était pas cependant pour Descartes un ami d’en- fance ou de jeunesse, et tous deux le regrettaient fort"; mais leur amitié d’arrière-saison eut aussitôt la même chaleur, que si elle était née au printemps de leur vie, et qu’elle datât, dit Descartes, de quarante ans. Elle s’était déclarée par une sympathie réciproque dès leurs premiers entretiens, à Paris, lors du voyage de 1644; ce fut sans doute dans la maison de Clerselier, dont Chanut avait épousé la sœur. Clerselier, nous l’avons vu, s’occupait de traduire en français les Méditations, et Chanut, de même, était réputé philosophe. On l’était à bon compte en ce temps-là : Balzac donne ce titre à presque tous ses correspondants, et ne manque pas de le prendre aussi lui-même ; c’était presque le synonyme d’ami des lettres simplement. Toutefois, dès 1634 au moins, Chanut s’intéressait aux nouveautés de Gassend*", plus tard, il suivit la polémique du

» ad faniitatem, non petulantiam fufficiat. De CEeteris fenfuum oblefta- » mentis quaedam permittere, ne duriùs habitum in medio curfu fatifcat. » » Deus Opt. Max., cujus mifericordia dédit haec femel velle, conftanter » etiam in pofterum obfervare concédât, v

a. Tome X, p. 604; et t. IV, p. 537-538.

b. Lettre de Luillier à Peiresc, 19 avril i634. Il énumère, parmi les esprits curieux de Paris : « Monfieur de la Broffe, Moreau, Bouillaud, le » Père Merſenne & un M’ Chanut, Tlireforier de France en Auvergne, » duquel j’honore extrêmement l’efprit & le favoir, bien que j’en aie » perdu l’amitié. M"^ Gaffendi vous pourra donner davantage de cognoif- » fance du mérite de ce perfonnage, fans doute un des plus grands philo- » fophes que nous aions aujourd’hui à Paris. Au refte, je croy que » M"^ Bourdelot vous l’a efcrit. . . » {Les Cornespondants de Peiresc : XVI,

��� � Descartes en Suède. 5 1 ^

P. Bourdin, au collège des Jésuites, contre la Dioptriqiie de Descartes, persuadé que celui-ci saurait bien se défendre'. Esprit sérieux, il était tout disposé à goûter la conversation du philosophe, et on comprend qu'une solide amitié se soit nouée aussitôt entre eux. Chanut voulait déjà, en 1644, faire obtenir à son nouvel ami une pension du roi*", afin sans doute de le retenir en France; il fit même à la cour quelques démarches à cet eflfet, mais qui n'aboutirent pas.

Aussi l'année suivante, en 1645, lorsque Descartes apprit que Chanut était nommé résident du roi à Stockholm, et devait bientôt traverser la Hollande, pour se rendre à son poste, il parla de lui à Wilhem comme d'un de ses meilleurs amis"-" ; il quitta sa solitude d'Egmond tout exprès pour venir à Ams- terdam passer quatre jours entiers en compagnie du voyageur, et ne s'en revint qu'après avoir embarqué celui-ci avec toute sa famille"^.

François Luillier, p. p. Tamizcy de Larroque, Paris, Techener, 1889.) On lit encore, dans une lettre de Chanut « A Monfieur Chappelain » écrite de Stockholm, le 4 mai 1047 : « . . .Voila, Monfieur, vne faillie du » Refidenl refucillé par le nom de Pbilofophe que vous luy auez donné » en vollre lettre du 25 mars. Ol'crois-je vous dire que, depuis mon '. départ de Krancc, c'ed la première fois que j'ay parlé comme vn i> honime libre ; toute la vie que ie palle icy efl vne feruitude continuelle... » Kn ce moment ie me fuis efchappé à faire le contemplatif: pardonnes » le moy. « {Bibl. Nat., MS. Ir. lïgfjiî, p. 3oo.)

a. Tome 111, p. 54O, I. 10-14 : mars 1642.

b. Tome IV, p. 144-143. Kn reproduisant ce texte de Raillet, nous avrms omis une chose importaïue, l'indication de la soLircc en niari;e Relat. Mf. de Porlicr.

c. Ibid., p. ?oo, 1. 10-23 : ieltre du 29 sept. 1Ô45.

d. Ibid., p. 3i8-l->20. Là se trtmvL-nt les anecdotes rapportées ci-après. l'ius tard, Chanut sera forcé d'aitendre son bai;aL;e quinze j(niis dans celte même ville d'Amsterdam avant de s'embarquer pour la Suède, du 3 nov. au 17 nov. 164'); et Brasset lui écrira, île La Haye, le 17 nov. : •' ...le compati/- à vo/. f(juHVances par vollie long feioiir dans vne ville, " où il inniiis que d auoii de rargeiil à metire en banque, ie n'ay pas » appri/. qu'il v ciill çraiid Jiuci lill'emeni. Pour moy, ic n'y fu/. iamais >• vn iour 0\;deniv fans la poiiur (ur mes efpaulcs, y conipriz celte quantité » de vailleaux qui s'v r aliemblent en celle laiton. . . " \Iiib!. Nal., MS. fr. 17901, p. 734 V.) Pour les inémes raisons peut-être, le séjour d'Amsterdam plaisait à Descartes . voir t. L p. 203-204, "■' '■ ^ P ^'-

�� � 516 Vie de Descartes.

Quels furent leurs entretiens pendant ces quatre jours ? Ghanut emmenait avec lui un neveu, du nom de Porlier", avide

a. Ce nom de Porlier revient souvent dans la correspondance de Chanut, les premiers mois de 1646. Lettre à M. Meules, de Stockholm, 20 janv. 1646 : « ...luy promettant (à Moniteur Langlois noftre aumof- » nier) de le renuoier en France au printemps auec Monf"^ Porlier mon » neueu, qui s'eft venu promener icy auec moy. » [Archives des Affaires étrangères, Suède, vol. X, f» 69.) Et à M. de Colleville, 16 juin 1646 : « ...Il y a dix jours que mon neueu Porlier eft parti auec Monfieur de » Sainft-Romain, qui le mènera d'icy à Murtfter, où il aura le plaifir de » voir cette fameufe affemblee (le Congrès). » {Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 420 V.) Et le 9 juin, à M. de Meules : « Monfieur de Sainft-Romain & » mon nepueu partirent il y a trois jours à minuit. . . Retenez les au » moins vne bonne journée (à Hambourg, pour voir la ville). » [Ibid., p. 406.) Le Dictionnaire de Jal indique, au baptême du quatrième enfant de Chanut (une fille nommée Anne, 17 août 1634) : parrain, Claude Clerselier, avocat au Parlement; marraine. Anne Chanut, femme de « M. Pourlier {sic), recepueur d'Auuergne » Baiilet ne paraît pas avoir connu cette parenté du jeune Porlier, laquelle donne une si grande valeur d'authenticité à ce que celui-ci raconte de Descartes.

Voici quelques renseignements sur la famille Porlier. Le père, Vincent Porlier, était fils d'un receveur de l'Hôpital des Enfants Rouges à Paris (1600-16 12), à qui il succéda dans cette charge; il devint en outre receveur général des finances à Riom. 11 épousa Anne Chanut, l'une des deux sœurs de Pierre Chanut (l'autre sœur, Marie Chanut, fut mariée à Hector Musnier, aussi receveur des finances à Riom). Il mourut dans les derniers mois de i636. Vincent Porlier et Anne Chanut eurent au moins trois filles : Marie Porlier, baptisée le 9 nov. 1617, et qui épousa en 1637 Nicolas Fardoil, avocat général en la Cour des aides; ce dernier est qua- lifié de « curateur des enfants mineurs du fieur Porlier », dans l'acte de profession d'une autre fille, Anne (ou Françoise) Porlier, comme reli- gieuse au monastère des Bénédictines de Marsat près Riom, le i juin 1637; elle avait été baptisée à Paris, église Saint-Sauveur, le i5 nov. 1619; une autre fille encore, Magdeleine Porlier, épousa en cette même église, le 8 oct. 1641, Alexandre de Quilly, conseiller au Parlement de Rouen. Le fils, Imbert Porlier, était sans doute l'ainé : car dans l'acte du i"' juin 1637, où il figure comme témoin de sa sœur, il est qualifié « advocat en Parlement ». Plus tard il fut ordonné prêtre, et devint recteur de l'Hôpital Général à Paris. Il est le fondateur des Religieuses chanoinesses de Saint-Augustin de la Congrégation de Notre-Dame. On a la date de son testament, 17 janv. 168g, où il institue son cousin-germain Martial Chanut, abbé d'issoire, son exécuteur testamentaire; et la date de sa mort : il fut inhumé en l'église de la Piété, faubourg Saint- Victor,

�� � Descartes en Suède. 517

comme on peut l'être à son âge, de voir de près un philosophe tel que Descartes. Ce jeune homme paraît avoir été surtout préoccupé d'un point : la philosophie nouvelle n'était-elle pas dangereuse pour la religion ? On avait sans doute en France quelques inquiétudes à ce sujet, et plusieurs soupçonnaient d'athéisme ce philosophe si précautionneux, qui s'était retiré à l'étranger loin des siens. Mais Porlier fut vite édifié. Il questionna tous ceux qui avaient pu connaître Descartes per- sonnellement, entre autres un maître d'armes, avec qui notre philosophe avait fait de l'escrime en différents lieux de Hollande. La réponse fut des plus favorables ; mais un témoin de cette sorte pouvait n'être pas très exigeant, en fait de manifestations extérieures du culte. Le jeune Porlier recueillit de cette même bouche un autre témoignage, celui d'un converti, et qui l'avait été par les conseils et l'exemple du philosophe, lequel d'ailleurs n'avait pas été chercher bien loin ses arguments : la religion catholique est la plus ancienne, et l'autre, la religion préten- due réformée, ne s'est montrée en rien supérieure, surtout en ce qui concerne la réformation des mœurs. Porlier fut persuadé (il ne demandait qu'à l'être) de la parfaite orthodoxie de leur grand ami. Son oncle eut sans doute avec Descartes d'autres entretiens : il lui demanda la suite annoncée au livre des Prin- cipes, la cinquième et la sixième partie, sur les plantes et les animaux, sur l'homme enfin ; et comme le philosophe, qui n'était point en humeur d'écrire à ce moment, se dérobait, Chanut insista, et Descartes se fâcha presque. Son ami lui rappellera plus tard, en plaisantant, ce petit mouvement de colère \

Chanut lui avait promis, en s'en allant, de lire et d'examiner en Suède sa philosophie, c'est-à-dire les Principes ainsi que la

le 8 juia 1694. (Renseignements dus à Edouard Everat, Le Bureau des Finances de Riom, 1900, et à Albert Ojardias, de l' Académie de Clcr- mont-Ferrand.) — Imbert Porlier n'était donc plus un tout jeune homme, lorsqu'il accompagna son oncle Chanut en Suède, l'automne de 1645 : il avait près de trente ans. a. Tome X, p. 6o2-6o3 : lettre du 25 août 1646.

�� � 518 Vie de Descartes.

publication de lôSy. Quatre à cinq mois se passèrent. Notre philosophe, un peu inquiet de ne rien recevoir, écrivit le pre- mier à Chanut, le 6 mars 1646, pour lui rappeler discrètement sa promesse : un jugement sur les Principes, venant de lui, sera reçu, dit-il, «comme un oracle ». Il ignorait peut-être que Chanut, parti d'Amsterdam le 9 octobre, n'était arrivé à Stockholm, (après un arrêt en Danemark, il est vrai), que le 3i décembre 1645; puis il avait dû se mettre au courant de son service. Pourtant l'hiver est long en Suède, et faisait à nos Français des loisirs que ceux-ci ne savaient comment employer: un jour Chanut raconte que son secrétaire et lui vivent « comme deux hermites, sauf qu'ils ne disent point de chape- » lets » : ils préfèrent le jeu de cartes, et la lecture de quelques Hvresb, Mais dans sa réponse du 5 mai, Chanut avoue qu'il n'a pu lire encore les Principes ; et pour s'excuser sans doute, il allègue que la morale l'intéresserait davantage ; à quoi Des- cartes s'empresse de déclarer que précisément sa physique fournit le fondement de la morale, il ajoute : de la plus haute et de la plus pure morale". Peut-être Chanut se donnait-il ici pour moraliste plus qu'il n'était réellement. Il a beau témoigner à Descartes, qui approuve, que l'essentiel est de se connaître soi-même, et le monde et Dieu, c'est-à-dire la maison que l'on habite et le maître de cette maison : à un autre correspondant il confie, à propos de religion, « qu'il habite dans la maison de » la foy, sans curiosité d'en voir les fondemens » ; et recevant un ballot de livres, celui qui attire aussitôt ses regards est la Sélénographie du P. Magni**. Rappelons qu'il avait essayé

a. Tome IV, p. 376-378. En particulier, p. 377,- 1. 19.

b. Chanut à Brasset, 18 mars 1646 (la reine, il est vrai, est absente, et le chancelier Oxenstiern est malade) : « Nous viuons, M' de Saindl- » Romain tk mo)^, comme deux hermites qui, faute de chappelets, s'entre- » tiennent quelquesfois auec des cartes, & fouuent auec nos liures. » Il prononce même ce mot : « noftre faineantife ». {Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 199.)

c. Tome IV, p. 441, 1, 24-27. Et t. V, p. 290-291,

d. Chanut à M. de Brégy, 27 juin 1648 : « ...l'ay receu le ballot des » liures qu'il vous a plu me faire enuoyer... le donneray à M. noftre

�� � Descartes en Suède. ^ 19

avec Mersenne, en 1645, de refaire l'expérience de Torricelli ; et que le premier qui la réussit en France, Pierre Petit, s'empressa de le lui annoncer dans une lettre tout exprès, en novembre 1646». Et Descartes lui-même, à plusieurs reprises, le 6 mars et en juin 1646, lui parle de ce qui fait l'objet de ses observations et de ses expériences : les météores au-dessus de sa tête, et à ses pieds les plantes de son jardin.

Le 2 5 août, Chanut est encore obligé d'avouer qu'il n'a quasi pas ouvert le livre des Principes *> ; mais il réclame le Traité des Passions qui lui avait été annoncé. Le philosophe en prend son parti : dans une lettre du i" novembre 1646, il ne compte ,plus guère sur an examen des Principes; il remercie toutefois son ami d'avoir parlé de lui à la cour de Suède, et reconnaît qu'un ouvrage de morale serait plus agréable que des Médita- tions métaphysiques'. Chanut attendait la traduction française de celles-ci pour les faire lire et peut-être les lire lui-même» Enfin on voit, dans une lettre de lui du i" décembre, qu'il a jeté un coup d'œil, sinon sur les Principes, au moins sur la Dioptriqiie^\ mais il en parle à peine, et passe aussitôt à trois

» Curé, qui eft Dofteur en Théologie, ceux qui font de fon meftier, » duquel ie ne me mefle point du tout : i'habite dans la maifon de la foy, » fans curiofité d'en voir les fondemens. Mais pour la Selenographie, ie » feray bien preffé d'affaires, fi ie ne paffe les yeux delfus d'vn bout à » l'autre. Ce Hure eft merueilleufement bien imprimé, & les figures très » belles. » (Bibl. Nat., MS. fr. 17964, p. 490.) Il nomme au même endroit « le bon Père Magni ». — Voir t. IV, p. 441, 1. 1 1-17.

a. Voir ci-avant, p. 452. Voir surtout la Lettre de Petit à Chanut, Œuvres de Pascal, t. I, 1908, p. 323-345. On y lit entre autres choses : « . . . Je vous en diray une [nouveauté) de mon fait, cjui ne vous fera pas » defagreable, touchant une expérience que le Père Merfenne me dit der- » nierement que vous aviez voulu faire enfemble, mais qui n'avoit pas » aflez reufli pour en eftre entièrement fatisfaits. C'eft l'expérience du » Torricelli, touchant le Vuyde. . . » (Page 33o.) Et à la fin : « Je ne me » ferois jamais adviféde vous en tant efcrire, fi le Père Merfenne ne m'eut » afleuré que vous aviez voulu faire enfemble la mefme expérience. » 'Page 343.)

b. Tome X, p. 601, 1. 2-5.

c. Tome IV, p. 534-538.

d. Tome X, p. 610, 1. 22-24, et p. 611, 1. 19-20. Les trois questions suivantes se trouvent : p. 610, 1. 19; p. 611, 1. i ; et p. 612, 1. 26.

�� � 520 Vie de Descartes.

questions, autrement intéressantes, surtout pour une jeune reine. Deux venaient de lui, et la troisième, de Christine elle-même : toutes trois traitaient de l'amour. Chanut laisse entendre que les réponses du philosophe, bien qu'à lui adressées, seront mises sous des yeux plus augustes. Des- cartes, prévenu, entra dans les vues de son ami, et consentit de bonne grâce à jouer son jeu*.

Il mit à répondre à ces questions de morale un empressement semblable à celui de i638 pour les questions de mathéma- tiques envoyées de Paris, et sa lettre remplit jusqu'à huit feuilles d'écriture : c'est un petit traité, qu'il rédigea sur l'heure. Et il s'était mis en frais, puisant à pleines mains dans le trésor de ses souvenirs littéraires : citations de poètes, tels qu'Horace et Virgile, réminiscence d'Ovide (Ixion qui embrasse une nue, s'imaginant que c'est Junon, la reine des dieux) %

a. C'est ainsi que Chanut en usait déjà, sur des sujets moins sérieux, avec La Thuillerie. Il s'agissait d'une jeune dame de Danemark, qui devait se rendre à Paris, dans l'espérance, disait Christine, d'y retrouver l'ambassadeur, que ses fonctions retiendraient cependant à La Haye. Chanut écrit donc à La Thuillerie, le 3o juin 1646 : « Enfin elle tient » voftre efprit empefché en cette auanture de romant, & pour auoir la » joie de fçauoir comme vous vous demeflerez de cet embaras entre le n deuoir & l'amour, elle me dift qu'il falloit que je vous efcriuiffe galan- » terie fur ce fujet comme de mon chef, & que je luy promiffe de luy faire » voir voftre refponfe. Je penfay que vous auriez plaifir de prendre cette » occafion de luy faire encore paroiftre fous ce voile cette humeur fi » agréable qu'elle admiroit en vous, & que fi en faifant de ma part le froid » aux atteintes qu'elle me donnoit pour me faire auouer que vous eftiez » piqué de cette inclination, je ne l'en ay pu affez defabufer, vous le » pourrez, m'efcriuant de | confiance, en forte neantmoins que la gayeté y » foit toute entière, & qu'elle ne puiffe juger que vous fâchiez qu'elle verra » voftre lettre. Et pour ce deffein, quand il y auroit quelques petites » libertez bien chiffrées, qu'elle pourroit neantmoins lire fans rougir, » cela me fembleroit fort à propos. Vous fçaurez bien, Monfeigneur, » mefnager auec addrelTe cette petite comédie pour le diuertiffement d'vne » Reine qui aime voftre mérite & qui a grand plaifir de fe fouuenir de » vous. » [Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 455 à p. 456.)

b. Lettre du i" février 1647 • *• '^' P- 600-617. Sur la longueur, voir t. X, p. 618, 1. 24.

c. Tome IV, p. 608, 1. i5-i6 (Horace) \ p. 612, 1. 17-18 [Virgile), et p. 607, 1. 29-30 [Ovide\.

�� � Descartes en Slède. 521

allusion aux fureurs de l'amour dans la tragédie des anciens et la poésie héroïque des modernes, V Hercule de Sénèque* et le Roland ou Orlando de l'Arioste (estimant sans doute, comme Balzac, que l'Arioste était plus « honnête homme » qu'Aris- tote) , rappel enfin de quatre vers de Théophile, le poète à la mode jadis parmi les jeunes seigneurs de la cour de Louis XIII '^. Toutes ces galanteries, certes, n'étaient point pour Chanut mais pour cette reine de vingt ans à peine, tant vantée par son ami, et dont lui-même avait entendu faire un si bel éloge par La Thuillerifc^, de passage à La Haye, lorsqu'il revint de son ambassade à Stockholm.

Ces ornements de style n'empêchent point d'ailleurs la lettre du !"■ février 1647, d'être une des plus belles de Descartes, philosophiquement^ Il y découvre par avance les idées que nous retrouverons dans le Traité des Passions, sur les origines de celles-ci, origines physiques ou plutôt physiologiques ; puis sur les trois sortes d'amour, selon qu'on estime l'objet aimé, inférieur, égal ou supérieur à soi-même, et comment on peut dans le dernier cas aimer Dieu. C'étaient les deux questions de Chanut. Descartes y ajoute, pour répondre à la question de Christine, une comparaison de l'amour et de la haine, et de leurs dérèglements : la haine rend toujours malheureux et

a. Tome IV, p. 6 1 5, 1. 27-30. Descartes avait déjà cité l'Arioste dans une lettre à Fermât, t. II, p. 280. Chanut écrira, le 3o janv. 1649, " ^ M- '^ » Prince Charles Palatin » (un prétendant à la main de Christine de Suède) : « Sa Maiefté doit faire reprefenter dans quelques iours fur le » théâtre du chafteau la tragédie du Seneque intitulée Hercules furens, » que certains ieunes eftudians d'Vpfale ont apprife. Les Dames qui n'en- » tendent pas le latin, perdront beaucoup à ce fpeclacle. . . » [Bibl. Nat., MS. fr. 17965, p. 1 17.)

b. Balzac à un M. de Celle-veuë-Villotreys, qui aimait les romans. (Œuvres de M. de Bal:{ac, M.DC.LXV, t. I, p. 691.)

c. Tome IV, p. 617, 1. 1-7. Voir ci-avant, p. 75-78."

- d. Ibid., p. 535-536 et p. 58i : Monfieur de La Thuillerie. Tome X, p. 611, 1. 3o-3i : Madame de La Thuillerie. Laquelle t'.es deux leçons est la bonne? Sans doute la première.

e. Celte lettre se divise en trois parties : t. IV, p. 601, 1. i3, à p. 606, 1. 27; puis p. 607, 1. 5,àp. 6i3,l. 2; enfin p. 6i3,1.8,àp.6i7, I. 12. Vie de Descartes. 6C

�� � 522 .ii:. DE Descartes.

méchant (Descartes dit malicieux); et l'amour, au contraire, rend heureux et vertueux; quant à leurs dérèglements (Christine se défend d'en rien connaître encore), notre philosophe déclare ceux de l'amour beaucoup plus funestes que ceux de la haine. Il rappelle l'exemple classique de l'embrasement de Troie : de gaieté de cœur, pour la beauté d'Hélène, le beau Paris n'a pas craint de causer l'incendie et la ruine de sa ville et de son peuple. Bientôt Christine elle-même, par le meurtre de Monal- deschi, confirmera la règle : la haine pouvait-elle l'eiitraîner plus loin, que n'a fait ici l'amour ?

Chanut tira de cette lettre tout le parti convenable *. Il se garda bien, aussitôt feçue, de la montrer à la reine. Il se contenta d'en parler au médecin français Du Ryer, à qui sa profession permettait sans doute d'approcher chaque jour de la personne royale et de l'entretenir familièrement. Ce médecin ne manqua pas d'en faire sa cour, et Christine intriguée demanda à Chanut cette lettre d'un si grand intérêt. L'habile homme ne la lui donna pas encore, et différa même à dessein d'une audience à l'autre : on ne pouvait s'y prendre mieux, pour porter à son comble la curiosité féminine. Enfin il remit la lettre. A la lecture, celle-ci produisit-elle sur l'esprit de la reine tout l'effet attendu de notre diplomate ? On n'oserait

a. Lettre de Chanut, ii mai 1647 • '• ^> P- '9'22, ou plutôt t. X, p. 617-624. Le même jour, Chanut écrivait à M. de Saint-Romain une lettre où on retrouve les mêmes passages : « . . .s'il arriue que je fois afles » heureux, pour eftre renuoyé au fortir d'icy planter des choux en noftre » maifonnette de Normandie, la ledure & le loifir me donneront matiere(s) » à vous entretenir quelquefois, aulfy belles que les magnificences des » Cours. Je vous jure, fans le dire par comparaifon, que j'ay efté rauy » d'vne lettre que M. Defcartes m'efcriuit il y a quelques [sic] temps; la » < reine > qui fçeut par M. du Rier, que je l'auois, ne m'a point » donné le repos qu'elle ne l'ait veùe, & après l'auoir admirée, & m'en » auoir | demandé vne copie, elle me dift refolument : Je préfère le bon- » heur de M. Defcartes à toutes les couronnes de la terre. Sans mentir je » ne la defdis point en mon cœur : vn jour de vie & dans le repos & la w méditation vaut mieux que les années que nous pafTons en ce tournoye- » ment de femaines en vifites & efcritures qui nous ennyurent [sic]. » {Bibl. Nat., MS. fr. 17963, p. 3i5.)

�� � l’affirmer. Elle l’approuva fort, dit-il, mais cette approbation générale témoigne moins de la pénétration de son esprit, que n’eussent fait quelques objections tirées des bons endroits. Or un seul point arrêta Christine, et lui donna quelque souci : l’étendue infinie de l’univers[385]. Si le monde est infini dans le passé, que devient le dogme de la création ? Et que deviendra la fin du monde, prédite par les Évangiles, si le monde est infini dans l’avenir ? Enfin le dogme de la créature humaine, fin principale du Créateur, et pour laquelle toutes choses ont été créées, que devient-il également, si l’Univers est infini dans l’espace, et comprend peut-être une infinité d’autres mondes ? Ces objections, remarquons-le, sont celles qui viennent les premières à un esprit de femme, pour ne pas dire de petite fille, que ses souvenirs de catéchisme inquiètent, et qui aussitôt s’alarme et s’effare. En ce temps-là, d’ailleurs, la conscience religieuse avait, chez presque tous, ce même genre de scrupules.

Notre philosophe ne se montra pas moins empressé, que la première fois, de répondre. La lettre de Chanut, envoyée à Egmond d’où il venait de partir, le rejoignit à La Haye ; Descartes était en route pour son second voyage en France. Sans attendre d’être arrivé à Paris, il répondit à la hâte, le 6 juin 1647, dans une chambre d’hôtellerie[386], et s’efforça de rassurer cet esprit quelque peu timoré. D’abord il invoque l’autorité d’un théologien catholique du xve siècle (avant la Réforme), le cardinal allemand Nicolas de Cues, qui enseignait déjà l’infinité du monde, sans que pour cela on l’eût censuré. Puis il reprend sa distinction, si commode, de l’infini et de l’indéfini : celui-ci dont on ne voit pas les bornes, et celui-là qui n’en a pas. Or, peu importe que des bornes existent réellement, si notre esprit ne peut pas les voir. N’est-ce pas, pour lui, comme si elles n’existaient pas ? Quant à la créature humaine, fin de la création, notre philosophe reprend une tactique qui, plus d’une 524 Vie de Descartes.

fois, lui a réussi : cette difficulté qu'on ne voit que sur un point, se retrouve partout, et prend un autre caractère, étant ainsi multipliée. Ou mieux encore, il retourne la question contre ceux qui la posent, et les met en demeure d'y répondre eux-mêmes : c'était transporter la guerre dans le camp ennemi. La fin de la création n'est pas seulement l'homme en général, mais, selon les théologiens, tel ou tel homme, mais chacun de nous en particulier ; c'est, en effet, pour chacun que le Christ a versé son sang, aussi bien que pour tous. Qui oserait dire, en outre, que Dieu, en créant le monde, n'a pas eu pour fin d'autres êtres que l'homme, par exemple les anges ? Descartes renvoie ainsi Christine aux théologiens : n'est-ce-pas à eux d'expliquer cette difficulté, puisque ce sont eux qui la soulèvent ? Mais qu'ils veuillent bien la considérer dans toute son étendue, et on peut presque dire aussi dans son infinité. A ces considérations théologiques, le philosophe ajoute cependant un trait, le der- nier, qu'il emprunte à la science, et qui est destiné à frapper l'esprit fortement : c'est l'étendue attribuée désormais à la Terre par tous les astronomes. La Terre n'est-elle pas plus petite, au regard de tout le Ciel, « que n'est un grain de sable » au regard d'une montagne * » ?

La reine fut-elle persuadée? Il est probable que non. Elle était luthérienne, et s'en souvenait à l'occasion. C'est elle qui, estimant Anne d'Autriche heureuse de régner sur la France, ajoutait seulement que ce serait le bonheur parfait, si un aussi beau royaume était de la véritable religion. Au reste, l'unique objet de Chanut, avec les lettres de Descartes, était de procurer à Christine un amusement. Il excellait dans son rôle de diplomate-courtisan. En voyage, la reine le faisait

a. Tome V, p. 56, 1. 14-22.

b. Lettre de Chanut au comte de Brienne, le 11 janv. 1648, rapportant ce mot de Christine : « . . .J'aime, dit-elle, la Reine voftre Maiftrefle auec » tant de palTion, & je reuere tant fa vertu, que je dis fouuent auec deplai- » fir, qu'il ne manque rien à la perfedion de fon bonheur, finon qu'elle » gouuerne vn Royaume qui n'a pas la véritable religion. » {Bibl. Nat., MS. fr. 17964, p 3i.)

�� � Descartes en Suède. 525

monter dans son carrosse avec elle, et parfois on lisait Tacite : aux passages difficiles, Chanut feignait toujours d'être embar- rassé, et laissait à la reine l'honneur de traduire l'historien latin mieux que lui. Même jeu dans d'autres circonstances, lorsque Christine montait son petit cheval d'Italie, blanc comme de la neige, et faisait ranger à ses côtés quatre ou cinq cava- liers de front : on partait bride abattue, mais Chanut, qui d'ail- leurs avait quarante ans passés, laissait à la jeune amazone le plaisir d'arriver au but la première. Et cet épisode, avec bien d'autres, prenait place dans un portrait de Christine, rédigé tout exprès pour le cardinal Mazarin^. La Thuillerie avait conseillé à celui-ci d'envoyer à la reine de petits chevaux de selle, et aussi « des déshabillés parfumés », pensant qu'une jeune femme ne pouvait qu'être sensible à de tels présents. Mais Chanut, qui étudia mieux cette originale personne, ima- gina une flatterie plus délicate : ce fut de lui envoyer des livres, de beaux livres de l'imprimerie royale des galeries du Louvre, avec une belle reliure aux armes de Suède et autres, telles qu'on voudra, armes de France, ou bien (Chanut n'ose pas le dire) armes de Mazarin ^ Plus tard il reviendra sur cette

a. Tome X, p. 607-608 [Tacite], et p. 608 [course à Upsal). Le portrait que Chanut trace de Christine est tellement dithyrambique, qu'on lui demanda, en plaisantant, s'il ne s'était pas laissé séduire au charme du modèle. Chanut, un peu piqué, répond à M. de La Barde, le 26 mai 1646 : « ...Je ne penfe vous auoir donné vn fi grand fujet de haine, que vous » me deuiez accufer d'vn crime capitaL Si vous auiez veu la Reine de » Suéde vne feule journée, vous ne croiriez jamais qu'vn homme, quelque » grand qu'il fuft, en ofart eftre amoureux, & perdriez le defir que fon fexe » fuft changé pour la garantir des affections téméraires. Il elt vray qu'on » l'ayme, mais comme on aime la vertu. » [Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 373.) — Voir aussi cependant t. V, p. 226, 1. 2-4.

b. Tome IV, p. 378079.

c. Chanut à M. de Lionne, 17 février 1646 : « Enfuitte de ce que Mon- » fieurrambalfadeur de La Tuillerie m'a dicl auoir efcrii à fon Eminence, » de ce qu'il auoit reconnu qui pourroii aggrcer à la Reine, j'adjoulleray » qu'eftant hier auprès d'elle, fur ce que je luy dis par occafion de la » beauté de l'imprimerie royalle des galleries du Louure, elle tefinoigna » grand defir d'auoir des liures de cette impreflion, & me dift que. li

�� � Ç26 Vie de Descartes.

question de livres, livres anciens surtout que le bibliothé- caire du cardinal, Gabriel Naudé, choisira lui-même. Les

» elle n'en pouuoit auoir autrement, elle ordonneroit à l'ambaffadeur 1) extraordinaire qu'elle enuoyera en France, de luy en faire apporter. » Je m'aduançay de luy dire que fa Majefté ne s'en mift en peine, & qu'il » feroit aifé de luy en faire voir. Ce difcours m'a faid penfer que, fi S. E. » eft dans le deCfein de luy enuoyer quelque chofe de fa part, il ne feroit » peut eftre pas mal à propos d'y joindre vne quaiffe ou deux de ces » liures de l'impreffion du Louure auec la grande Bible de Monfieur le » Jay, le tout bien relié auec les armes de la Reine de Suéde & celles que » fon Eminence jugeroit à propos d'y adjoufter. Outre que ce prefent » feroit de grande monftre auec peu de defpenfe, & que c'eft vne marque » de longue durée, j'eftime que fa Majefté auroit grand plaifir qu'on euft » jugé en France qu'elle fe plaift dauantage dans les liures que dans toutes » les autres gentilleffes dont les femmes font eltat... » [Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 140.)

Chanut rendit compte à Mazarin de l'effet qu'avaient produit ses pré- sents, lettre du 19 janv. 1647 • " O" "^ pourroit juger ce qu'elle a dauan- » tage ertimé, tant elle a donné de louange & d'approbation à chaque » chofe, fi elle-mefme elle ne s'eftoit déclarée pour les liures, qu'elle » vifita les premiers, & fe donna mefme le loifir de lire la moitié d'vne » Ode du Pape Urbain, qui luy fembla fort belle. La ioye qui paroiffoit » fur fon vifage, à la veue & à l'ouuerture de ces beaux volumes, me » donna la hardieffe de luy propofer | que, pour la gloire de fon nom à la » pofterité, il feroit bien d'efcrire, fous le titre de ces liures, qu'ils auoient » efté prefentez à fa Maiefté par voftre Eminence. » [Bibl. Nat., MS. fr. 17963, p. 19 V. et p. 20.)

Enfin plus tard encore, « à Monfieur le Cardinal », 12 octobre 1647 • « On a depuis quelques mois rapporté les liures de quatre Bibliothèques » prifes en Allemagne, entre lefquelles eft celle du cardinal Diektriftam. » (D. Ludovicus L. B. à Dietrichstein, fondateur de la Bibliothèque de » Nikolsburg, près d'OlmUt\, dont il était archevêque.) La Reine | s'af- » feftionne de faire en fon chafteau de Stokolm la première Bibliothèque » Royale qui ait efté entre ces peuples du nord ; elle a tiré de l'Académie » d'Upfale vn profelïeur en Eloquence, naturel d'auprès de Strafbourg, » fçauant& très honnefte homme, appelle Franceimius, auquel elle donne » la conduite de ce deflein. Comme elle eftoit en peine de luy procurer » vne correfpondance en France pour la recherche des liures qui lui man- » queront, & les aduis neceffaires pour l'entreprife, je luy ay dit qu'on ne » le pouuoit mieux adrelfer qu'au Bibliothequaire de voftre Eminence, » qui a fai(5t trauailler depuis longues années à la recherche des meilleurs » liures de l'Europe & de l'Orient, & que j'eftois alfeuré que | voftre » Eminence commanderoit à fon Bibliothequaire d'entretenir vn com-

�� � Descartes en Suède. ^27

envois de ce genre étaient ceux qui plaisaient le plus à Christine'.

En septembre 1647, elle visita son Université d'Upsal, et on lui donna le divertissement d'une séance académique, avec dissertation d'un professeur sur le Souverain Bien, de Vero Bono. L'occasion était belle de faire rentrer en scène notre philosophe. La reine (Chanut eut sans doute la même pensée, mais la lui laissa dire) fut curieuse de savoir quel serait sur cette question l'avis de Descartes ; et le professeur, Freinshemius, ne s'en montra pas formalisé. Chanut écrivit donc en Hollande une première lettre, le 21 septembre ; puis, comme

» merce fidèle auec le dit fieur Franceymius. Sa Maiefté a efté fort con- » tente de cette ouuerture, & a defiré que ie prie voftre Eminence de fa » part, qu'il aggrée cette correfpondance, & commande aux fiens de » donner bons auis & confeils audid Franceimius, qui eft tout ce qu'elle » demande en cette communication. » (Pages 622 et 623.)

a. Chanut.au cardinal Mazarin, 25 janv. 1648 : « ...Monfieur Fran- » ceymius a efté rauy d'auoir la refponfe de M' Naudé, Bibliothequaire » de voftre Eminence. La Reine l'a veue & a pris grand plaifir à confi- » derer le Catalogue des liures imprimez en France depuis cinq années. » Elle fe promet vn agréable diuertilTement de quelques heures à choifir » ceux qu'elle voudra faire apporter. » {Bibl. Nat., MS. fr. 17964, p. 46 V. et p. 47.)

A Mazarin encore, 3 avril 1649 : « La Reine de Suéde me dift, en la » dernière audience, qu'elle auroit vne grâce à demander à voftre Emi- • nence dans quelque temps. Sa curiofité dans les lettres augmente tous » les iours. Elle faid delTein d'enuoyer deux ieunes hommes en Italie n pour voir les fameufes Biblioteques & tirer autant de copies qu'ils pour- >• roni des Manufcrits rares. Elle fe promet que voftre Eminence leur » fera procurer dans Rome toute la faueur neceffaire pour auoir l'entrée » des grandes Biblioteques, & autant de liberté qu'on en peut obtenir de » tirer des copies. le l'alTeuray que voftre Eminence feroit rauie d'auoir » occafion de luy témoigner fon refpeft & fon affedion, & que par fon » moyen fes gens auroient à Rome tout ce qu'on peut accorder en ces » matières & plus mefme qu'on n'a de couftume de permettre. . . » (Bibl. Nat., MS. fr. 17965, p. 225.)

b. Tome V, p. 79-80, et p. 80-81. Chanut écrivait au comte de Bfienne, le 3i août 1647 : « Sa Maiefté part auiourd'huy mefme pour » Upfale. Elle a tefmoigné qu'elle auroit agréable que ie la fuiuifife. » Il obéit volontiers, à caufe, dit-il, de « l'entretien qu'elle me permettra » plus fréquent à la campagne ». {Bibl Nat., MS. fr. 17963, p. 545.) Et

�� � 528 Vie de Descartes.

la réponse n'arrivait pas assez vite, une seconde lettre, le 9 novembre. Descartes répondit le 20 novembre, avant d'avoir reçu cette dernière ; mais sa lettre ne partit d'Amsterdam qu'un mois après, le 20 décembre. Elle subit encore d'autres retards. On la reçut enfin en janvier 1648 ^. Il n'avait eu besoin que de reprendre les idées exposées autrefois à la prin- cesse Elisabeth : le souverain bien d'Aristote ne peut se sou- tenir qu'en théorie ; dans la pratique, le mieux est de concilier Zenon et Epicure, la ferme volonté de bien faire, qui est la vertu, et le contentement qui en résulte, qui est le seul vrai plaisir. Pour l'explication de ce résumé un peu bref, Descartes envoyait une copie des six lettres de 1646, à Elisabeth sur la même question, et comme suite et complément de la sixième, le Traité des Passions, annoncé à Chanut depuis près de deux ans. L'envoi n'était que pour la reine et pour lui, « personne d'autre ». On y fit bon accueil, s'empressa de dire Chanut à Descartes, qui ne demanda pas mieux que de le croire. Seulement on ne remercia point sur l'heure, et Chanut

au même Brienne : « D'Upfale, le 6 septembre 1647. . . La Reine en cette » promenade, où elle partage tout fon temps entre la chaffe & l'affiftance » à tous les exercices des profelTeurs de cette Uniuerfité, qui s'efforcent à » faire monftre de leur fçauoir en fa prefence. » (Page 549.)

Johann Freinsheim n'était pas de Strasbourg, comme le dit Chanut (ci- avant, p. 526, la oct, 1647). Il naquit ^ Ulm, 16 nov. 1608. Mais il enseigna quelque temps à Strasbourg et y épousa une fille de son maître Ber- negger. En 1642, il vint à Upsal pour occuper une chaire nouvelle d'élo- quence et de politique. En 1647, la reine le fit venir à la cour en qualité d'historiographe et de bibliothécaire. Plus tard il fut appelé à l'Université de Heidelberg, que venait de restaurer l'Électeur palatin Charles-Louis (frère de la princesse Elisabeth) rétabli dans ses Etats. Mais au bout de quatre ans, il y mourut, le 3i août 1660. Principales publications : Pane- gyricus GuJiavo-Adolpho{cn^x\is{\^a. Haye, i632). Flori Hijloria Romana (Strasbourg, i632 et i655). Commentarius in libros fuperjlitis Q. Curtii (Strasbourg, lôSg.) Supplementum in Hijloriam Curtii. {Ibid., 1639.) Supplementorum Livianorum ad Chrijîinam reginam decas. (Stockholm, 164g.) Supplementorum Livianorum tomus prior libros LX continens. (Strasbourg, 1654.) Orationes in Suetid habitée. (Francfort, i655.)

a. Tome V, p. 81-86 : à la reine.

b. Ibid., p. 86-88 : à Chanut. Surtout p. 87, 1. 1 1-12, et p. 88, 1. 18-19.

�� � Descartes en Suède. ^29

excusa la reine comme il put '. Le remerciement se fit attendre jusqu'au 12 décembre 1648, où Christine écrivit enfin quelques lignes assez insignifiantes. Elle parle de la lettre de novembre 1647, ainsi que du Traité des Passions; elle ne parle pas des six lettres à Elisabeth qui complétaient l'envoi ; et on se demande si Chanut, habile à ménager les susceptibilités et craignant quelque jalousie, n'a point gardé prudemment pour lui seul ces six lettres ". Descartes, sans se faire illu- sion, répondit lui-même par un «compliment fort stérile», le 26 février 1648 : s'il était né, dit-il, Suédois ou Finlandais (la Finlande en ce temps-là appartenait encore à la Suède), il ne pourrait avoir plus de zèle pour cette incomparable reine.

Se doutait-il qu'il allait être pris au mot, et que presque le même jour oij il envoyait cette lettre, Chanut lui écrivait, le 27 février, de la part de la reine, pour l'inviter à se rendre à Stockholm' ? Voici ce qui s'était passé. Dans le désœuvrement d'un voyage, en septembre et octobre 1648, et surtout dans l'intimité des conversations qu'un voyage procure (huit heures de tête à tête, chaque jour : Chanut en frémissait d'avance, pour avoir à demeurer tout ce temps la tête découverte, et aussi à fournir matière aux entretiens), on avait relu, dit-il. Tacite, et 'Virgile, et Epictète'; puis on avait pensé de nouveau

a. Tome V, p. i82-i83; et surtout p. 233, 1. 16-24.

b. Ibid., p. 35 1-252.

c. Elisabeth le soupçonne ainsi : t. V, p. 196, 1. 7-8.

d. Tome V, p. 293-294. Voir p. 293, 1. 13-14.

e. Ibid., p. 295.

i . Chanut à Monfieur de La Cour, 26 sept. 1 648 : « ...Je m'en vacs demain >• la meffe [sic] chercher nortre Reine de Suéde qui s'elt allée diuertir dans » les montagnes. Ce voyage me fait peur, non pour la longueur & afpreté » des chemins, mais pour ce que la Reine a peu de perlbnnes | auprès » d'elle, & que ma tefte aura bien à Ibuffrir continuellement defcouuerte » au froid des montagnes. Patience : ie fais mon compte que je donne ma » vie en ces occalions au feruice de mon maiftre, comme les autres en » vne bataille... » [Bibl. Nat , Mb. fr. 17964, p 721.)

A M. de Brienne, de Cupreberg, 7 cet. 1648 : voyage en Dalécarlie, à' Vie de Descaktes. 67

�� � ^^o Vie de Descartes.

à Descartes, d'autant plus qu'on venait enfin de recevoir, et pour les Méditations et pour les Principes, la traduction française. Bien que Christine sût le latin, comme tout le reste,

petites journées : « ... La Reine de Suéde donne tout le temps du chemin » à la ledure dans fon carolTe. . . » (Page 73 1).

A Monfieur le Cardinal. A Ouerstatfors, le 12 octobre 1648 : « ...Il y » a longtemps que j'ay efcrit à voltre Eminence, qu'il me fembloit que la » Reine de Suéde prenoit en la conduite de fon intérieur le chemin d'vne » haute vertu. Depuis ces trois femaines dernières que j'ay l'honneur » d'eftre auprès d'elle plus de hui£l heures par jour, je voy plus de force » & de lumière dans fon efprit que je n'en fçaurois comprendre. Elle » mefle îi bien l'ellude de la fageffe & de l'innocence de la vie, auec la » prudence & la dignité du commandement, qu'on ne la peut voir fans » admiration. Tout ce voyage s'eft paffé en la lefture | de l'Epidete, du » Tacite, & du Virgile, dont elle explique les penfées en noftre langue » auec vne incroyable facilité. Si Dieu m'a fai£t la grâce de me donner » quelques inclinations aux chofes bonnes, il eft impoffible qu'elles » n'augmentent auprès d'vn fi grand exemple... » (Pages 735 v. et 736.)

A M. le Prince Charles Palatin. A Stockholm, le 17 octobre 1648 : « La » Reine a efté quatre femaines | en fon voyage où j'ay eu l'honneur de la » fuiure... » aux mines de Cupreberg, où elle aurait voulu descendre. (Page 741 )A Salzberg étaient les mines d'argent; à Cupreberg, les mines de cuivre. « Elle a toufiours eu vne fanté parfaitte, excepté qu'au retour, à » Saalzberg, elle fe trouua la nuid preffée d'vne doulleur de cofté qu'elle » guérit le lendemain auec vne faignée. Pendant le chemin fa Majefté s'eft » continuellement diuertie a la lecture, mais li gayement que la feuerité » ftoicienne n'a point rendu fes entretiens melancholiques. . . » (Page

74' V.)

A Monfieur le comte Magnus, le 17 octobre 1648 : « ...La Reine arriua » hier en plaine fanté d'vn voyage de vingt | neuf jours où j'ay eu l'hon- >> neur de la fuiure, & luy feruir de lefteur, en carrofle & à cheual, pen- » dant tout le chemin. Ne croyez pas pour cela, Monfieur, que l'entretien » de fa Majefté ait efté melancholique : jamais elle ne paffa vn fi long » chemin fi infenfiblement ; elle a toufiours efté fort gaye. La conuerfa- » tion a fait des commentaires à la le£ture, & pour vous dire en vn mot, » il eft incroyable comme fa Majefté mefle agréablement l'eftude d'vne » eminente & feuere vertu auec la douceur & l'agreement d'vn entretien » enjoué. . . » (Page 744).

Déjà Chanut écrivait à M. de Servien, 3o may 1648 : « ...Je prens » foing qu'on fçache bien icy, qu'après les affaires dont je fuis chargé de » parler à la Reine, le refte de l'entretien qu'il luy plaift auoir, n'eft que » du Tacite & des méditations de Seneque. . . » (Page 409.)

�� � Descartes en Suède. 5^1

dans la perfection, Chanut avait préféré attenHre qu'elle pût lire cette philosophie en français. Même dans notre langue, la lec- ture en était encore difficile, et la reine commanda qu'on la fît pour elle : le docte Freinshemius, sans rancune contre le philo- sophe qui lui avait été préféré sur la question du Souverain Bien, se mit en devoir d'obéir, mais à la condition que Chanut serait son compagnon. Notre résident fut donc obligé de lire enfin les œuvres de son ami ; quelques conseils lui furent envoyés à ce sujet, pour la reine et pour lui : indications des passages qu'on pouvait parcourir vite, ou même sauter, à la rigueur". Le mieux eût été sans doute qu'on eût sous la main, pour expli- quer cette philosophie, le philosophe lui-même. Christine n'osait guère l'espérer, tant qu'on put croire que Descartes, qui était alors en France, y resterait, pourvu d'un bon établis- sement . Mais sitôt qu'après le malheureux voyage de 1648, on sut qu'il n'y fallait plus compter, la reine résolut, soit d'elle- même, soit sur une insinuation de Chanut, de mander le philosophe à sa cour. La première invitation est du 27 février 1649; une seconde suivit presque aussitôt, le 6 mars, peut-être même une troisième, le 27 mars ; bien mieux, un amiral sué- dois, Claudius Flemming, partit pour la Hollande, avec ordre de ramener Descartes sur son vaisseau, en avril 1649'^.

L'invitation paraît avoir surpris celui-ci, bien qu'un mot de Chanut déjà, le 12 décembre précédent, eût pu la lui faire pressentir . Il répondit le 3i mars. Dans une première lettre, adressée à la reine, il remercie : il accepte d'aller « lui faire la » révérence », il demande seulement un délai jusqu'à l'hiver prochain ou plutôt jusqu'à la fin de l'été ^ Mais dans la seconde, qui ne devait être lue que de Chanut seul, il hésite fort : il rappelle le mauvais succès de ses voyages en France, et sur-

a. Tome V, p. 289-293 : lettre du 26 févr. 1649.

b. Ibid., p. 252, 1. 3-6 : du 12 dcc. 164S.

c. Ibid., p. 295 {2- févr. 1649^ p. 3i7-3i8 1,6 mars', p. 322-323 (27 marsl, et p. 35i-332 23 avril). Voir aussi p. 335.

d. Ibid., p. 252, 1. 3-6

e. Ibid., p. 323-320.

�� � 5J2 Vie de Descartes.

tout du dernier, qui lui avait été commandé comme de la part du roi; il craint de s'exposer en Suède à pareille mésaventure». Ses hésitations apparaissent davantage encore dans deux autres lettres écrites le même jour, à son ami Brasset et à la prin- cesse Elisabeth  : il ne se soucie pas d'aller vivre au pays des ours (c'est ainsi qu'il appelle la Suède). Aussi quand l'amiral suédois se présenta à Egmond vers le 5 ou le 7 avril, assez à l'improviste (ne sut-il pas exposer l'objet de sa mission, ou Descartes feignit-il de ne pas bien comprendre ?), toujours est- il qu'il y eut malentendu : Flemming fut éconduit poliment, et le philosophe refusa de quitter son ermitage'. Plus tard il dira, pour s'excuser, qu'il ne pouvait croire que la reine eût dépêché tout exprès un amiral de sa flotte pour le conduire en Suède ^. Mais Chanut venait d'obtenir un congé pour retourner en France, et on l'attendait d'un jour à l'autre à La Haye : lès 28 et 29 mai, en effet, il passa « comme un éclair* ». Les deux amis purent cependant se voir, et s'expliquer de vive voix. Chanut avait laissé sa femme à Stockholm, gardienne du logis, et toute prête à en faire les honneurs au philosophe, au cas où celui-ci arriverait avant le retour du résident. Desr- cartes hésitait toujours : il lui fallait un ordre formel de la reine, et surtout des éclaircissements sur certains points. Chanut lui'conseilla de s'adresser à Freinshemius, en toute confiance. Deux choses surtout inquiétaient notre philosophe: ne verrait-on pomt d'un mauvais œil, à la cour de Suède, des personnes d'une autre religion f ? Pensons que plus tard on

a. Tome V, p. 326-329.

b. Ibid., pp. 33o-33i, p. 33i-333, et 349-350. C'est dans cette dernière lettre qu'il parle à Brasset « des jardins de la Tourajne ». Nous n'avons point dit ci-avant, p. 118, note c, quel était le pays de Brasset. Ce devait être Angers, ou du moins l'Anjou : écrivant à un correspondant d'Angers, Brasset se dit lui-même « bon angevin ». (Voir t. IV, p. 218.)

c. Ibid., p. 35 1-332.

d. Ibid., p. 352, 1. 12-16.

e. Ibid., p. 358-359.

f. Ibid., p. 361-364. Surtout p. 362, 1. 28-3 1 . Voir aussi p 5, 1. 9-11, et note e.]

�� � Descartes en Suède. ^Jj

attribuera précisément à Descartes la conversion de Christine au catholicisme ; et l'année précédente, la différence de reli- gion avait été alléguée pour détourner d'un voyagea Stockholm la princesse Klisabeth, qui était calviniste,, avec la mère de la reine et une tante, celle-ci soutenue par le parti catholique. D'autre part, ne verrait-on pas aassi d'un mauvais œil auprès de la reine, qui devait se consacrer toute aux affaires de l'Etat, un philosophe qui ne pouvait que l'en distraire par ses spécu- lations^? Descartes avait vu sans doute, entre les mains de Brasset, ce portrait oii Chanut lui-même faisait à Christine le reproche d'aimer l'étude à l'excès. Discrètement enfin, il laisse entendre qu'il dédierait volontiers son petit Traité des Passions à la reine de Suède, qui devait l'avoir entre les mains : pouvait- il se douter, après les belles assurances de Chanut, qu'elle ne l'avait pas encore lu, ni rien de ses autres ouvrages ? La réponse de Freinshemius sur les autres points fut sans doute rassurante: on la reçut d'abord, vers le 3o juillet, à La Haye, puis de là à Egmond. Pourtant le 17 août, Brasset ne savait pas encore si son ami était décidé : il semble seulement, écrivait-il à Chanut, se disposer à partir. Il partit en effet, le i" septembre 1649.

Une fois résolu, Descartes prit les mesures que compor- taient les circonstances. S'il ne fit pas son testament, au moins il mit ses affaires en ordre; et nous avons trois lettrés écrites à ce sujet % deux à son ami de Paris, l'abbé Picot, l'autre à un ami de Leyde, Hogelande; en outre il enferma dans un coffre les papiers qu'il n'emportait pas, et les confia aussi à ce dernier. Puis il se munit d'un équipement conve- nable pour se présenter à la cour de Suède ; et quand il vint dire adieu à Brasset, celui-ci s'amusa fort (on était gai dans cette famille) de voir le philosophe « avec une coiffure à

a. Tome V, et t. X, p. 607, 1. 17-22. Voir t. V, p. 180.

b. Ibid., p. 364, notes, et p. 411.

c. Ibid., pp. 405-406 (à Picot). 406-409 (id.), et 409-410 (à Hoge- lande) : lettres du 3o août 1649.

�� � ^^4 ^lE DE Descartes.

» boucles, des souliers en croissant, et des gands garnis de » neige » : Stockholm allait bientôt, dit-il, compter un courtisan de plus ".

Le voyage dura un bon mois. Il aurait pu durer plus long- temps : en 1645, pour passer d'Amsterdam à Copenhague, Ghanut n'avait pas eu moins de trente-deux jours de mer, par suite du mauvais temps *", et sur la fin de cette même année 1649, en novembre et décembre, il est vrai, il chemina lente- ment par terre à travers ces pays marécageux de Hollande et de Westphalie ^ On franchissait ensuite, le bras de mer, de

a. Tome V, p. 411, note : lettre du 7 sept. 1649. Sur la gaîté de la famille Brasset, voir ibid., p. 450. Chanut écrivait à Brasset, le 3 mars 1646, lui parlant de Mad« Brasset : « Je vous auoûe franchement que ma femme & » moy avons de la paiïion pour elle, ainfy que je vois toutes les autres » pcrfonnes qui ont l'honneur de la connoiftre. » {Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 164.)

b. On a des lettres de Chanut, datées de Calais, 2J sept. 1645. (Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 23.) Puis les lettres suivantes :

D'Amsterdam, 4 octobre 1645, à M. de La Thuillerie : « J'ay l'obligation » de vous remercier de la bonne réception que M. BrafTet m'a faitS chez » vous à La Haye. » (Page 2 5.)

D'Amsterdam, 6 oct. 1645,3 M. Brisacier : « ...Nous nous femmes » rcfoliis de mettre bagages <Sc vies dans va grand nauire qui va droid à » Stokoim. Je delcendray au Sund pour aller trouuer Monlîeur de La » Thuillerie à Copenhaghen ; ma femme, qui eft refolue comme vn vieux » matelot, conduira tout en Suéde. » (Page 29.)

De Copenhaghen, 10 et 19 novembre 1645 : « J'ay cité retenu en mer )i trente deux jours d'Amlterdam icy par les vents contraires. » (Page 3i v.)

De Jeunecopin, 11 décembre 1645 : ■« L'afpreté des chemins en cette » failon rendent noitrc voyage difficile; nous fommes à my-chemin de » Coppcnhaghen à Stokoim, & dix ou douze jours au plus nous y con- » duiront. » (Page 39.)

Du 17 déc. 1645 : « . . .ma femme, qui ell au Teilir il y a longtemps, & » qui palla en trois jours quatre heures d'Elfenor à Dather dans le mefmc » vailfcau d'Hollande qui nous auoit porté d'AmIlerdam. . . » (Page 45.) « Ma femme elt dans le port à quatre lieues de Stokoim. . . » (Page 46.)

c. Lettre du roi de France à la reine de Suède, 12 oct. 1649 : « . . .Nous » auons iugé à prOpos de renuoyer vers vous le lieur Clianut, Confeiller » en noitrc Confcil d'l'"llat, auec la qualité de nollre Ambalfadeur. u [liibl. Nat., MS. Ir. i7'j')5, p. 261.) Clianui se mit en route. On a des lettres de lui, datées Jf Dunkerque, 24 oct. : u M. d'l*^ltrades nie donne vue frégate

�� � Descartes en Suède. 555

Copenhague à Gotemborg ; de là à petites journées, par Jonkoping, on gagnait Stockholm : ce qui demandait une quin- zaine de jours. Ou bien encore, et c'était le trajet le plus court, le même bateau, parti d'Amsterdam, poursuivait sa route jusqu'au port de Stockholm. Descartes y débarqua, ce semble, un des premiers jours d'octobre ; le pilote qui vint, suivant l'usage, faire son rapport à la reine, lui dit des merveilles de ce passager extraordinaire, si savant dans les choses de la navigation : « ce n'était pas un homme qu'il avait » amené à Sa Majesté, mais un demi-dieu^ ». Christine de Suède reçut aussitôt le philosophe, dans deux audiences successives, et se montra particulièrement de belle humeur.

» pour me porter à Fleffingue. » D'Amsterdam, lo, 12 et i3 nov. (Pages 264, 265, 269 et 271.) A cette dernière date, il écrivait au comte de Brégy, qui étaii à Stockholm : « . . .Si i'eufle fai61 la diligence que ie » m'eftois propofée, ie pouuois encore vous trouuer à Stockolm. le defef- » père d'impatience. Ma femme m'efcrit, du 23 oftobre, que vous foifiez » ellat de demeurer encore trois femaines en no(lre cour. Si ie n'eulTe.efté » retenu par le retardement de mon bagage, ie ferois arriué auparauani » que vous fuffiez party. . . Peut eflre auffy i'auray l'honneur «Se la bonne » fortune de vous trouuer à Hambourg dans voltre retour ; car en cette » faifon la mer eft fafchcufe, les nuits longues, & il fe trouue peu de bons » vailTcaux qui palîent à Dantzic. . . » (Page 272.)

Chanut avait écrit, le 12 nov. : « l'efpere me rendre dans trois fept- » maines à Stockolm. » (Page 269.) Mais le 29 nov. il n'était encore qu'à Hambourg, d'oîi il écrivit à M. de Bricnne : « le n'olcrois parler des » incommoditez de ce voyage, où je me traifne li lentement, (i ce n'clloit » qu'elles excufent fa longueur. Vous ne trouuerrez point cUrange que je i> fois encore à Hambourg, s'il vous plaill, Moni'^ de confidcrer quels » peuuent cdre les chemins dans tous ces pais marcl'cagcux de Hoiande » icy, «.t par cette faifon iV: par vne pluye continuelle, .l'efpere qu'elle » m'ennuyera moins dans les terres légères du Holllein-, t"v: que, cette » lune paffée, la gelée fuccedera & affermira les fanges de l'Ollrogothic. » Je ne prens qu'vn demy jour de repos auec M. de Meules... » (Page 274.) Chanut n'arriva à Stockholm que le 21 déc. ; il écrivait « à M. D'Auaux », le 25 déc. 1649 : « Vous fçaucz par expérience que » le chemin de Paris à Stockolm en cette faifon & auec vn peu d'cqui- » page, ne fe peut faire auec plus de diligence qu'en deux mois. » (Page 280 V.)

a. Tome V, p. 431. Voir ci-avant, p. 200.

�� � ')}6 Vie de Descartes.

Par une curiosité bien naturelle, et aussi afin de faire plaisir à son hôte, elle ne manqua pas de lui parler de la prin- cesse palatine. Descartes s'empressa d'en informer Elisabeth, le 9 octobre ^ ; le même jour, il rendit compte des deux audiences à ses amis de Hollande et de France. Puis, pendant un mois ou six semaines, la reine paraît l'avoir laissé tranquille. C'était peut-être, de sa part, une attention déli- cate, pour lui donner le temps de se reconnaître et de prendre des habitudes nouvelles ^ Peut-être aussi, comme elle était sûre maintenant d'avoir toujours sous la main, quand elle voudrait, son philosophe, elle n'était pas autrement pressée de se mettre elle-même à l'étude de la philosophie.

Dès le premier jour, Descartes avait fait deux consta- tations qui n'étaient point pour lui plaire. D'abord, on ne pouvait savoir si la jeune reine aurait ou non le goût de la philosophie : elle n'en avait jamais fait, et Chanut, sans que peut-être il en ait eu conscience, avait là-dessus trompé notre philosophe. Par contre, Christine était « extrêmement portée » à l'étude des lettres », entendez par là les lettres anciennes, la philologie : ne voulait-elle pas faire venir aussi Sau- maise '^ ? Soit pour cette double raison, soit pour une autre

a. Tome V, p. 429-431.

b. Ibid., p. 432-433 (lettre à Picot), et p. 433-434 (à Brassât).

c. Ibid., p. 433, note^M.

d. Ibid., p, 43o, 1. 4-7. Brasset écrivait à La Thuillerie, le 5 octobre 1649 : « Il (Saumaise] eft fort efbranlé pour faire vue promenade en Suéde, » y ayant elle conuic trop ciuilement par cette fvauante Reyne pour l'en » refufer. » [Bibl. Nat., MS. fr. 17901, p. 684.) A propos de Saumaise, Conrart écrira le 2 avril i65o, à Rivet : « Je ne fay fi la mort de M. des » Cartes ne le dégouftera pas du voyage de Suéde. C'ell une perte pour » les bonnes lettres, que celui-cy n'en loit pas revenu; & c'en fcroit une » beaucoup plus grande, que l'autre y denieuraft. » Et dans la même lettre, à propos d'un M. Blondel, qui allait partir pour Amsterdam : « La » Hollande nous enlevé tous nos grands hommes; & certes, quoyquc la » France en fût digne par beaucoup de grandes raifons, au moins ne leur » cll-elle plus un lejour utile ni agréable depuis les confulions dont elle » ell remplie & les miieres qui l'accablent. » (Page 540, Valentin Conrart, par René Kerviler et Ed. de Barthélémy, in-8, Didier, 1881.)

�� � cause, Descartes, dans ses premières lettres du q octobre, fait espérer à ses amis qu'ils le reverront bientôt : à peine arrivé, il parle déjà de repartir. Quel agrément, en effet, pouvait-il trouver à Stockholm ? Son ami Chanut était absent; Descartes eût sans doute mieux fah de l'attendre en Hol- lande, pour se joindre à lui lors de son passage, et arriver à la cour de Suède en même temps ; mais il craignit que le voyage ne fût ainsi retardé jusqu'à l'hiver, ce qui eut lieu en effet ^. Chanut avait voulu cependant que le philo- sophe logeât à l'ambassade de France, et celui-ci ne put refuser ; mais dans quelles conditions s'y trouva-t-il ? Madame Chanut était demeurée seule à Stockholm, fidèle Pénélope attendant son Ulysse. Elle fit le meilleur accueil, on n'en doit pas douter, à cet illustre ami de son frère et de son mari ^, et n'épargna rien pour qu'il eût dans sa maison toute commodité. Mais, outre que Descartes n'y était pas chez lui et ne s'y sentait pas entièrement libre, Chanut ne fut de retour qu'à la fin de décembre. Pendant près de trois mois, notre philosophe se trouva donc privé, non pas de toute société, mais de la conversation qui lui eût été la plus nécessaire. Parmi les autres Français de Stockholm, il y aurait bien eu le premier médecin de la reine, M. du Ryer'-', qui s'était intéressé aux lettres philo-

a. Tome V, p. 363, 1. io-i5.

b. Ibid., p. 432, et p. 444, note a. Voici les premières impressions de Chanut â son arrivée en 1646. Lettre du 6 janvier : « Le pais elt verita- » blement froid & fauuage, le fejour en paroifl trille & fterile de tous » diuertiCfcmens. » {Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 64 v.) Et le i3 janvier : Je ne trouve point le lieu Ci fauuage qu'on me i'auoit figuré, & je ne vois » rien qui me deplaife^ que la relation qu'on me faift que toutes chofes, pour le viure, font aulTy chères à peu près qu'à Paris, & tout le relie » tellement hors de prix qu'il fe faut refoudre à le faire venir d'Holande. » Cela ne vient pas fort commodément à ma famille, qui eft telle que » Monfieur de La Thuillerie, autant fplendide qu'aucun autre, m'a dit que » je faifois honneur à la nation. « (Page 66.)

c. Chanut à Servien, 6 juin 1648 : « Dépuis quelques jours, M. du Rier » fon médecin, après auoir pris femme en cette ville, demandant per- » million de la mener faire vn tour en France, où il a bcfoing de donner » ordre à les aliaircs doinelliques, & voir vne tille qu'il a de fon premier

VlK DE Descaxtes. 68

�� � ^^8 Vie de Descartes.

sophiques de Descartes ; mais lui aussi était absent : Chris- tine l'avait laissé partir en France, en retenant toutefois sa femme à Stockholm, pour être sûre qu'il reviendrait. Descartes dut se contenter de l'aumônier de l'ambassade, le P. François Viogué, religieux instruit, docteur en théo- logie ; Ghanut avait mis tous ses soins à le bien choisir ^. De

» mariage, a obtenu la liberté de faire ce voyage, mais laiffant icy fa » femme pour oftage, & promettant fon retour dans quatre mois... » Bibl. Nat., MS. fr. 17964, p. 423 v.j Et encore : « La Reine fait eftat de fa » fufîifance eii fon art, & l'aime pour raffe(£lion qu'il a de la feruir. Il eft »'le feul de fa profefTion en qui elle fe confie de fa fanté. Elle luy parle » librement, mais ne luy donne aucune communication de fes affaires. » (Page 424 V.)

a. Chanut à M. de Meules, 20 Janvier 1646 : « Je vous efcriuis. M., » des le 6' de ce mois, la peine où j'ellois du deffein de Monfieur Lan- » glois noftre aumofnier, qu'il s'ell forgé dans l'efprit qu'il mourroit en 3 ce pais, s'il y demeuroit plus longtemps. Je n'ay rien oublié pour le » diffuader de cette mauuaife tentation. Je le voulois obliger à demeurer » feullement trois mois auec nous, pour attendre que j'euffe vn autre » ecclefiaftique, luy piomettant de le renuoyer en France au printemps » auec Monfieur Porlier mon neueu, qui s'eft venu promener icy auec » moy. Mais tout cela n'a reulïi qu'à le confirmer dans fon opiniaftre fan- » taifie. Il s'en va auec Monfieur de La Tuillerie. » (Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. lOI.)

Dans une lettre à « Monfieur Gueffier, Refident à Rome », du 27 janv. 1646, Chanut donne des détails : « Lorfque je partis de France, je fis tout » mon poffible pour amener vn Ecclefiaftique dont la vie & la doftrine » feruiffent, non feullement à ma famille, mais à tous les catholiques qui » fe rencontrent en cette cour & n'ont exercice de religion que dans la » Maifon du Miniftre du Roy. J'auois bien rencontré en ce choix. Mais » celuy qui a paffé auec nous, s'eft tellement dcgoufté du pais, que je me » voids contrain£l à le renuojer en France. J'approuuc (sic) que ceux qui » ont elle auparauant moy en ce mefme polie, ont eu pareilles difficultez, » & qu'il eft difficile qu'vn preftre feculier, tant foit peu habile homme, » veule donner fon temps en ces lieux, où il n'y a bénéfices ny cures à » obtenir. Cela m'a faiél penfer à vn Religieux Auguftin reformé, appelle » le Père Viogué, que je connois de longue main pour homme pieux & » très fçauant. Lorfque les Auguftins reformez du. petit Conuent du faux- » bourg S^ Germain de Paris prirent la direction du grand Conuent au » bout du Pont Neuf, ils fc trouucrent obligez de mettre fur les bancs de » la Faculté de Théologie à Paris pour le Doctorat deux Pères de leur » Maifon, comme c'eft l'ordinaire; ils n'en irouuerent | point de plus » capable que lediil Père Viogué, qu'ils obligèrent contre fon gré à entrer

�� � Descartes en Suède. 09

là, sans doute, ces entretiens théologico-philosophiques, par- fois le soir, qui édifiaient Madame Chanut : elle aurait voulu que ses fils, deux jeunes garçons de quatorze à dix-huit ans,

» en cette carrière. Comme il en eftoit à la fin, preft de prendre le bonnet » de dofleur auec beaucoup d'approbation dans tous fes a£les publics, il » arriua que les anciens Auguftins, vne belle ouid, rentrèrent dans leur » Conuent & en chalVerent les reformez, qui ne tenant plus cette maifon, » ne voulurent plus qu'aucun des leurs paruint au doftorat. Le Perc Vio- » gué, après le trauail de deux années, fe voyant preft d'obtenir ce degré » honnorable dans fon corps, infifta pour acheuer & prendre le bonnet. » Vne faétion nouuelle s'efleue dans ceux de fon ordre en mefme temps & » luy refufe la fuitte de cet honneur. Il s'en plaimfl à fon gênerai, qui luy » permet de pourfuiure cette dignité, & pour cet effect | luy ordonne de » retourner au grand Conuent pour y acheuer fa fcience. Il y va, mais » ceux de fon ordre enuieuxle chargent de mille rapports à Rome, & fans » attendre ce que le General ordonneroit fur leurs inftances, l'enleuent de » viue force au fortir de Sorbonne, l'enferment chez eux, luy font palier le » temps qu'il deuoit prendre le bonnet, & enfin le relèguent en vn mona- » ftere éloigné, au Blanc en Berry. Comme je fçauois le détail de cette » affaire, & connoilTois la bonté, candeur & dodrine de ce bon Père, » j'eus quelque deffein de le demander comme J'eftois preft à partir. Mais » on me prefToit. Il eftoit éloigné de la Cour, & je ne fçauois point s'il » voudroit venir. Maintenant que d'vn cofté je reffens la peine qu'il y a » de trouuer des gens propres à feruir Dieu en ces lieux, | & que je fuis » affeuré qu'il me donneroit volontiers quelques années à trauailler en » repos icy, & faire prouifion d'eftudes pour la prédication quand il s'en » retourneroit en France, j'ay penfé qu'il n'y pouuoit auoir inconuenient » de le demander à fon General, & que, s'il y auoit quelque difficulté, » elle pourroit venir de ce que, ne me connoiffant pas, il douteroit de la » certitude de ce que je luy expofe ; de façon que, s'il vous plaifoit de » vous donner la peine de le voir & de luy faire entendre que le Roy tient > vn Miniftre en cette Coiir, qu'elle eft entièrement Luthérienne, que le » petit nombre de catholiques qui s'y trouue n'a pas en tout le Royaume » vn feul preftre, & n'en peut auoir que dans noftre Maifon, qu'il importe » que ce foit vn homme fçauant & de bonne vie; qu'il y a | trop de mon » propre intereft, pour luy demander ledicl Père Viogué, fi je ne le con- » noiffois tel & fi je n'eftois bien alTeuré de fa probité : j'eftime qu'il ne » fera point de difficulté de luy donner obédience pour me venir trouuer » icy en habit d'Ecclefiaftique feculier, n'y pouuant eftre admis autre- » ment; & peut eftre que le Père General ne trouuera pas mauuais de » tirer auCfy par cet expédient ce pauure Religieux de la rigueur que luy » font fouffrir ceux de fon ordre, pour ce qu'il a defiré d'cftre Dodcur » contre leur gre. » [Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 109 v. à p. 1 12.) A M. de Meules, 19 mai 1646. Il s'agit toujours d'un aumônier : si le

�� � 540 Vie de Descartes.

y assistassent pour en profiter^. Descartes connut encore un autre Français, le seul « honnête homme » ou de bonne

P. Viogué manque, « moa neueu me cherchera ce qui nous faut, car il » vaut mieux attendre vn peu plus & auoir vne perfonne qui puiffe eftre » fuperieur en fa fonflion, égal en la conuerfation, & fournis comme vn » membre de la famille. Tous les efprits ne fe plient pas aifement à » quitter vn de ces perfonnages pour prendre l'autre, & ainfy fucceffiue- » ment jouer tous. ces différents Roollets. » (Page 359 v.)

A M. Gueffier encore, le 16 juin 1646 : « Je vous affeure, Monfieur, » qu'il faut auoir la foy bien enracinée & des grâces de Dieu très parti- » culieres, pour fe conferuer en la pureté de la créance dans ces lieux où » la vraye religion n'a aucun exercice; & que pour cela la conférence » d'vn homme pieux & fçauant eft ineftimable. Attendant ceiuy que voftre » bonté nous procure, nous fommes obligez de recepuoir l'adminiftra- » tion des facremens de la main de l'aumofnier de M. le Refident de » Portugal. » (Page 418 v.) Ce Portugais s'appelait Manuel Pinto (p. 414), et le religieux français qu'on attendait, « noftre père Françoi. » Viogué » (p. 41 5).

Au même M. Gueffier, 4 aouft 1646 : « Si en l'affaire du Père Viogué -> vous m'auez obligé de voftre crédit & charité, en cet autre rencontre je » dois beaucoup à voflre prudence d'auoir arrefté l'exécution d'vn confeil » pris en la congrégation, de propagandâ fide, d'enuoyer icy direftement » trois Pères Dominicains en habit feculier, que je ne pouuois receuoirà » demeurerlongtemps en cette maifon fans ordre de la cour. » (Page 53 1.)

A Monfieur le comte de Brienne, le 16 février 1647 : « Durant la pre- i miere année que j'ay efté ici, il n'eft venu à la Meffe que hui£t ou dix » perfonnes, hors ma famille, dont il y en a deux ou trois marchans » françois, deux ou trois Allemans, & quelques garçons françois qui » feruent de laquais chez des Seigneurs de ce pais. Depuis vn mois, » toutes les perfonnes que M. le Comte de la Garde a prifes en France » pour le feruice de la | Reine ou le fien eflans arriuées, noflre Eglife » efl augmentée jufqu'à prés de cent perfonnes en tout. Je fuis logé en vn » lieu affez efcarté, dans vn fauxbourg, où on vient fans bruit. Le Père » Viogué noftre Chapelain fait vne petite exhortation de demie heure au » fortir de la meffe, dans laquelle il ne parle jamais de controuerfe ; les » après difnées des feftes, on dit vefpres fans chanter hautement, & où » ne fe trouue- quafi perfonne outre ceux de la famille. Voila, Monfei- » gneur, en quoy confifte cet exercice fcandaleux de noftre religion. » [Bibl. Nat., MS. fr. 17963, p. 76 v. et p. 77.)

Enfin au même comte de Brienne, 11 avril 1648 : « ...le Père Viogué... » C'eft vn fage Religieux, qui rend vn merueilleux deuoir de bon Pafteur » en noftre Eglife de Suéde. » {Bibl. Nat., M S. fr. 17964, p. 263.)

a. Tome V, p. 447.

�� � Descartes en Suède. ^41

compagnie qui s'y trouvât, le comte de Brégy, ancien ambassadeur en Pologne, venu en Suède dans des desseins d'ambition personnelle ; Descartes paraît même avoir été mêlé par lui à une intrigue, bien qu'il se méfiât et qu'il eût demandé en France quelques renseignements confi- dentiels sur le personnage *. Cependant, il jouissait de son commerce, qui devait être agréable, et se liait même avec lui au point de lui écrire ensuite; Brégy ne resta que six semaines environ à Stockholm, et les deux dernières lettres que nous ayons de Descartes, lui sont précisément adressées. Mais hors de là, soit à la ville soit à la cour, personne ne se rencontrait que l'on pût fréquenter. Chanut s'en plaignait déjà en 1646 ; à plus forte raison, notre philosophe ^ En

a. TomeV, p. 432 etp. 454-455. Voir aussi Chanutau Cardinal Mazarin, de Stockholm, le zS décembre 1649 : o . . .le ne peux rien efcrire au fuiet » du voyage de Monfieur de Bregy en cette Cour, qui faift grande » rumeur icy, que ie n'aye ouy ce que la Reine de Suéde mefme m'en » dira, & quelques autres perfonnes principales de cet Eftat. Mon deuoir » eft de feruir pluftoft à fa fortune, que de luy nuire, tant que ie ne ver- » ray point clairement que fou eftablilfement icy, tel qu'il le projette, » puilTe faire preiudice au feniice du Roy ou caufer des intrigues dange- » reux (sic) en cette Cour. Quand il aura veu voftre Eminence & qu'il » aura pris fa permiffion pot;'" fc venir rendre fuedois, ie crois, Monfei- » gneur, que vous me donnerez l'ordre de ma conduite... » (Bibl. Nat., MS. fr. 17965, p. 284 V. et 285.)

A M. le Comte de Brienne, le 25 décembre 1649 : « Je ne fuis pas » encore affés informé de l'eftat de cette Cour pour entreprendre de » vous en efcrire. Il y a mefme vn rencontre fur lequel plufieurs difcours » m'ont elté faits de diuers endroits, & dont pourtant je vous fupplie, » Monfieur, de me permettre de différer à vous en efcrire jufqu'au pro- » chain ordinaire. C'eft au fuiet de M. de Bregy, qu' a efté fix femaines » en cette Cour, qui s'eft donné à la Reine de Suéde, & qui sert entremis » de plufieurs affaires. Comme c'elt une perfonne que i'honore & pour » qui i'ay beaucoup d'affeition, ie feray bien aife de ne vous parler dé » fes affaires qu'après en eftre bien informé & autant qu'il fera necelfaire » pour l'intereft public que ie le vous faffe fçauoir. . . » (Page 289.)

b. Lettres du 18 déc. 1649 et du i5 janv. i65o : t. V, p. 455-457 et p. 466-467.

c. Chanut écrivait à « M. le Febure », le 16 juin 1646 : point de con- versation, « il eft eftrange qu'il y ayt icy vne fi grande difette d'hommes

�� � 542 Vie de Descartes.

réalité, il se trouvait plus isolé dans cette capitale de la Suède, au milieu d'inconnus, que dans sa solitude d'Egmond, cil il avait aux environs et dans des villes toutes proches, Alkmaar et Harlem, Amsterdam, Leyde et La Haye, un nombre suffisant d'anciennes et fidèles amitiés.

A la cour, cependant, il eut un ami. Le bibliothécaire Freinshemius, qui l'avait décidé à ce voyage en Suède, lui rendit toute sorte de bons offices, et obtint même de la reine que le philosophe fût dispensé des petits assujettissements du palais. On peut croire aussi qu'il le soutint contre la cabale qui conspira aussitôt contre lui. Les grammairiens ou les philologues, qui comptaient bien profiter seuls du goût de la reine pour l'étude, craignirent que Descartes ne les supplantât. Ils n'étaient pas gens à reconnaître, comme avait fait Saumaise en Hollande, la supériorité de la philosophie sur leur philo- logie". Le jeune Vossius surtout ne pardonnait pas à Descartes certains propos, que celui-ci semble bien avoir tenus à Christine elle-même. N'avait-elle point honte, lui disait-il, d'apprendre le grec à son âge ? Pour lui, il en avait appris tout son saoul, étant petit garçon au collège ; mais il était bien aise d'avoir ensuite oublié ces bagatelles^. On conçoit l'irritation et la fureur des hellénistes ; elle fut telle, que le bruit courut, à la mort de Descartes, qu'ils l'avaient empoisonné. Pure calomnie, d'ailleurs, et assez vite dissipée. Le climat eut tôt fait de les délivrer de ce philosophe incommode. En attendant, l'ironie des choses leur ménagea une sorte de revanche : Descartes eut à s'occuper, non pas de philosophie, ni sans doute de philologie; mais il dut, ce qui était bien plutôt leur métier, composer des vers. Ce fut pour un ballet : trop heureux

» d'entretien. Pour l'ordinaire, leurs vifites font froides & ferieufes, & » leurs débauches & fertins longs, petulans & plains d'iurognerie. » {Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 417 v.)

a. Tome V, p. 480, 1. 10-14, et p. 452, 1. 4-6. Voir ci-avant, p. 285.

b. Propos rapportes à la lois par Sorbière et par Philibert de la Mare, qui paraissent les tenir l'un et l'autre de Saurrtaise (le père ou le fils) : t. V, p. 459-461.

�� � Descartes en Suède. 54J

encore qu'on ne lui eût pas demandé de le danser. Mais peut- être l'avait-on fait, et ces vers furent-ils la rançon qu'il paya. Avant lui, l'ambassadeur LaThutllerie, n'avait-il pas dû. presque quinquagénaire et goutteux, sur une invitation royale, figurer dans une « courante » au bal de la cour^? Espièglerie delà jeune reine, qui était alors dans toute la gaîté de sa vingtième année. Notre philosophe paraît d'ailleurs s'être prêté de bonne grâce à cette petite sujétion de cour, comme avait fait déjà son ami Chanut. En 1646, celui-ci se souvint, après vingt ans, que lui aussi avait versifié, et composa en l'honneur de la reine une ode, sans doute latine, qui fut soumise au jugement de l'arbitre réputé à Paris, Jean Chapelain lui-même. Chanut s'excusait d'envoyer, disait-il, « ces fleurs du septentrion, ces » perceneiges, à qui cultive les roses du Parnasse». Nous

a. Tome V, p. 468-459 : récit de Baillet. Au sujet de La Thuillerie, Chanut écrivait à Brasset, le 20 janv. 1646 : « Sa goutte, à ce que j'ap- » prends du paffé, ne l'a point quitté fi nettement qu'elle a de couftume. » Il luy refte toufiours vn peu de douleur fur vn pied, dont la guerifon » eft fort retardée par fon aiïîduité auprès de la Reyne, qui mefme, » nonobltant fa canne à la main & fes fouliers renouez de galands, le » prit dernièrement pour danfer vne courante. Il quitta efpée & cappe, » & auec toute fa foiblefle, s'il n'efleua pas fa courante par {lire fort?) » haut, au moins en marqua il le plan {lire pas ?) juftement & de bonne » grâce... » {Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 99.)

b. Chanut et Freinsheim avaient composé, sous forme d'ode, chacun un éloge de la reine de Suède. Les deux pièces furent envoyées k Paris, où M. de Lionne, à qui elles étaient adressées, les soumit au jugement de Chapelain. On a la réponse de celui-ci, datée du 4 avril 1648 : « Il eft » certain, Monf', que ces deux Odes font fort belles, fort morales & fort » latines, & que ce n'eft pas fans raifon que vous y auez remarqué cet air « galand qui fe rencontre fi rarement dans les matières philofophiques. » Sans preocupation neantmoins, je croy vous pouuoir dire que celle du » Refident a je ne fçay < quoy > de plus fin & de plus poétique que » celle du bibliothequaire. . . » (Bibl. Nat., MS. fr. 17964, p. 388 v.) Et plus loin : « Il y a longtemps que je reconnois la force de Monfieur Cha- » nut en ce genre d'efcrire, & noftre ancienne amitié ne luy a pas permis » de me cacher ce talent, dans lequel il laiffe bieti loing derrière foy » plufieurs de ceux qui en font leur exercice principal, bien qu'il » cultiue peu, & qu'il y ait plus de vingt ans qu'il a fait diuorfe auec les » Mufes... » (Page 388 v. et 389.) Et enfin : « Mais, Monf', vous

�� � 544 Vie de Descartes.

n'avons plus les vers de notre philosophe ; ils avaient pour titre La Naissance de la Paix, et célébraient à la fois la paix de Westphalie, récemment conclue, et l'anniversaire de la nais- sance de Christine, le i8 décembre. Descartes pouvait se croire revenu à ses années de La Flèche : il entendait parler de grec, et lui-même travaillait à la composition d'un ballet; c'était une occupation, faute de mieux. Brégy, déjà parti de Stockholm, lui avait sans doute fait promettre de lui envoyer ce badinage : Descartes n'y manqua pas, sans en tirer autre- ment vanité, mais non plus sans fausse honte ^. Et le jeu ne lui déplut pas, puisqu'il composa en outre une comédie, ou plutôt une pastorale, ou, comme dit Baillet, une « fable boca-

» me permettrez de vous dire qu'en cecy j'eftime encore plus la Reine de » Suéde que les Poètes. Cela eft beau & admirable mefme à vne per- » fonne de cette nailTance & de cet aage, de méditer fi hautement & fi » fagement fur des fujets fi efleuez & fi raifonnables. l'y vois quelque » chofe de plus grand que la couronne. » (Page 389.)

Cette lettre de Chapelain fut envoyée par Lionne à Chanut, le 17 avril 1648. Chanut remercia le 23 mai. Sa lettre se termine ainsi : « Je fuis » affeuré qu'il (M. Chapelain) ne vous fçauroit rien donner de meilleur » que de fon propre creu, & que vous ne defirerez plus de perceneiges » du feptentrion, quand il vous prefentera des rofes du Parnaffe. » (Page 387 r. et v.)

Plus tard, en i656, Chapelain demandera que les inscriptions de Chanut pour le tombeau de Descartes soient insérées au Vol. I des Lettres, publié en 1657. (Voir t. V, p. 62^.) Voir ci-après, Appendice IX.

a. Tome V, p. 467, 1. 14-16: lettre du 18 déc. 1649 : « Vers d'un ballet » qui fera danfé icy demain au soir. » Cette lettre parvint à destination en un triste moment. Brégy reçut en voyage la nouvelle que son père « M. le » Prefident de Flecelles » venait de mourir. Dans une lettre que lui écrivit Chanut, d'Amsterdam, le croyant à Stockholm, le i3 nov. 164g, on lit cette phrase de consolation : « ...le remède ne peut eftre que la » conuerfationdes amis, qui diuertit l'attention de l'efprit a {lire de?) ces » objets triftes, & calme la douleur en la diuertilVant, comme on feiche » vn ruiffeau en le. coupant en plufieurs rigoles. . . » [Bibl. Nat., MS. fr. 17965, p. 273.) — Déjà Pierre Peti^t, dans sa lettre à Chanut, de nov. 1646, envoyait à Stockholm « le deffein d'un ballet, que (disait-il) je vous » prie d'examiner, & à l'exécution duquel je m'affeure que vous » contribuerez beaucoup. Pleufl; à Dieu qu'il me fuit permis d'en aller » aufli bien eftre l'intendant & le fpedateur, comme [j'en ay efté le » poète & l'ordonnateur]. (Œuvres de Pascal, t. J, 1908, p. 344-345.)

�� � gère[387] ». On était en Suède, « au milieu des rochers et des glaces[388] » ; raison de plus, pour ce Français exilé, de se souvenir des prairies du Lison, et de l’Astrée, le roman en vogue à Paris au temps de sa jeunesse.

Cependant Chanut était enfin arrivé. Il revenait, non plus comme simple résident, mais avec le titre d’ambassadeur. La reine le reçut sans retard, le 23 décembre, et Descartes assista à la cérémonie de la première audience[389]. Mais presque aussitôt Christine partit pour Upsal, et son absence se prolongea quinze jours, c’est-à-dire la première moitié de janvier 1650[390]. Avait-elle jusqu’alors beaucoup philosophé avec son hôte venu pour cela ? Il est peu probable. Celui-ci pensait de plus en plus à regagner la Hollande. Sous ce climat de la Suède il ne se sentait pas dans son élément ; le froid augmentait : les pensées des hommes se gèlent en ce pays, disait-il, aussi bien que les eaux[391]. Dans le désœuvrement dont il souffrait, et sans doute sur le désir de la reine. Descartes se fit peindre; et on conserve à Stockholm un portrait de lui, que fit alors le peintre attitré de la cour, un Hollandais, élève de Van Dyck, David Beck[392]. ^4^ Vie de Descartes.

L'artiste, sans doute pendant la pose, au cours de ses entretiens avec son modèle, avait été ramené par celui-ci à des sentiments de religion ; ce trait est rapporté par Baillet qui, à plusieurs reprises, se plaît à nous montrer un Descartes convertisseur".

le 20 décembre i656. Le portrait de Descartes a été retrouvé récemment à l'Observatoire de l'Académie des Sciences de Stockholm. A la suite d'une correspondance échangée entre Gustave Retzius, membre de cette Académie, et Gaston Darboux, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences de Paris, une copie en fut envoyée à Paris, et placée dans la salie de lecture de la Bibliothèque de l'Institut.

Baillet ne parle point de ce portrait, pas plus que de celui de Frans Hais. Mais il mentionne David Beck en ces termes :

« Les ouvrages {de Descartes) n'ont encore rendu Athée jufqu'ici » aucun de ceux qui croyoient en Dieu auparavant ; mais par une béné- » diction dont il a plu à Dieu de les honorer, ils ont converti quelques » Athées par leur fimple lefture. [En marge : Rél. Mf. de Chanut.] C'eft » au moins le témoignage qu'un Peintre de Suéde nommé Beeck a rendu » publiquement de luy-même chez M. l'Ambaffadeur de France à » Stockholm. » (Baillet, loc. cit., t. II, p. 5o8.)

Sur un autre portrait de Descartes que son ami Bloemaert aurait obtenu, qu'il se fit faire avant de quitter la Hollande, voir Baillet, d'après une Rélat. MS. de M. de la Sale, p. 41 1, de notre t. V.

Bloemaert étant curé de Harlem (voir ci-avant, p. 290), il aura pu fort bien s'adresser au peintre en renom de cette ville, et ce serait une pré- somption en faveur de l'attribution à Frans Hais du portrait de Descartes qui est au Musée du Louvre.

a. Baillet, loc. cit., t. II, p. 527 : « C'eft ainfi que M. Defcartes, fans » être convertilTeur ou controverfifte de profeffion, faifoit infenliblement » revenir les efprits de l'éloignement & des préventions, où ils étoient à » l'égard de l'Eglife catholique. Mais on peut dire que fa conduite n'étoit » pas moins édifiante que fes difcours. Il ne faifoit pas confifter tous les » devoirs d'un véritable Chrétien dans un culte intérieur feulement, » comme font plufieurs Philofophes. [En marge : Rél. d'un Maître à » danfer, qui avoit fait la communion Pafcale avec luy.] Il étoit fort foi- » gneux de l'accompagner de tous les exercices d'un bon Catholique ; » & il s'acquitoit de toutes fes obligations, comme auroit fait le plus » humble & le plus fimple d'entre les Fidelles. Il fréquentoit fur tout les » Sacremens de Pénitence & d'Euchariftie, avec toutes les difpofitions /> d'un cœur contrit & d'un efprit humilié, autant qu'il eft permis de s'en » rapporter k la foy des Confeffeurs qui gouvernoient fa confcience en » Hollande [un P. de l'Oratoire] & en Suède [un Auguftin] ? »

Baillet encore, ibid., p. 527 : « La précaution à laquelle il s'étoit affu- » jetti en entrant dans des pays de différente Religion, l'avoit tellement

�� � Descartes en Suède. 547

Notre philosophe n'eut d'autre occupation scientifique que de relever, chaque matin, la hauteur du vif-argent dans des tuyaux de verre'; du fond de l'Auvergne, Pascal avait prié Chanut de faire ces observations à Stockholm, afin de les comparer à celles que lui-même faisait à Clermont-Ferrand : en l'absence de Chanut, Descartes s'acquitta volontiers de ce soin, ne gardant point rancune à Pascal, de l'avoir oublié en 1648. Il voulut toutefois, ne devant pas demeurer longtemps en Suède, y laisser au moins une marque de son passage. A la demande de la reine, il rédigea les statuts *" d'une Académie. L'un d'eux est significatif: interdiction aux étrangers d'en faire partie. Le philosophe entendait sans doute ménager par là les susceptibilités des savants de Suède ; mais peut-être aussi voulait-il rester libre de s'en aller, sans qu'on pût avoir aucune raison de le retenir.

On parlait cependant pour lui d'un établissement avanta- geux, comme il n'en avait point trouvé en France. Mais lequel eût-ce été ? Christine ne pouvait guère disposer, en faveur d'un étranger, que de quelque bénéfice dans les territoires d'Allemagne que la paix de Westphalie venait d'attribuer à la Suède. Ici encore c'eût été, par une singulière ironie des choses, aux dépens de quelque monastère, que la reine luthérienne eût dépouillé sans scrupule après sécularisation. Et comment Descartes, si catholique, aurait-il pu, en conscience, accepter un bienfait de cette origine ? Son ami Chanut s'y serait opposé, comme il l'avait fait déjà, pour un autre Français, celui-là calviniste, le médecin Du Ryer? Celui-ci s'était fait octroyer

» rendu difcret & retenu, qu'il ne parloit prefque jamais fans édifier, ni » fans imprimer du refpect & de l'eftime pour la Religion qu'il profelToit. » C'eft ce qui fit dire à un Capitaine de Vaiffeau, [en marge : Rél. » MS. de Porl. & Chanut], qui étoit Déifte & Libertin, que s'il avoit » à choifir une fecle de Religion, il n'en prendroit point d'autre que » celle de M. Defcartes, après quelques entretiens qu'il avoit eus avec » luy. » Voir encore ci-avant, p. biy, et t. IV, p. 3i8-3i9.

a. Tome V, pp. 447-449 et 475-476. Voir ci-avant, p. SiS-Sig.

b. Tome XI, p. 663-665. Et t. V, p. 476-477.

�� � 548

��Vie de Descartes.

��par la reine, en récompense de ses services, une part des revenus d'un monastère de femmes dans l'archevêché de Brème. Les religieuses sollicitèrent la protection du roi de France; et Chanut reçut de Paris l'ordre de faire à Stockholm quelques représentations. Du Ryer se plaignit même que le gouverne- ment de son pays vînt ainsi mettre obstacle à sa fortune. Il n'en réussit pas moins à obtenir ce qu'il voulait". Mais un tel

a. Lettre de Chanut à M. de Brienne, 4 juillet 1648 : « requellc des » Dames religieufes du Monaftere neuf de l'Archeuefché de Bremen », à l'effet d'être maintenues en leurs biens, transmise à Chanut par son collègue à Hambourg M. de Meulles, pour être présentée à la reine de Suède. Celle-ci l'accueillit froidement; son médecin français M. du Ryer et un autre médecin allemand avaient déjà obtenu d'elle ce don. {Bibl. Nat., MS. fr. 17964, p. 5o6 r. et v.) Dans une lettre suivantfe, à M. de Servien, i5 août 1648, Chanuf revient sur cette question des « Mona- » fteres catholiques en l'archeuefché de Bremen ». On aurait voulu « les » conferuer au moins iufques à ce qu'vn traitté de paix ait changé l'eftat » des affaires... Mais un M. de Linde general-major a demandé à la » Reine de Suéde tous les biens en fonds de l'abbaye des Religieufes du » monaftere neuf en lad« Archeuefché. Sa Majefté luy a accordé pour en » jouir après la paix. .. » (Page 606 r. et v.) « Moniteur du Rier & vr> » autre médecin de la Reine, ayant eu aduis que, outre les biens de la » conftitution ou dotation du monaftere donnez aud. lieur de Linde, ces » pauures filles auoient quelques rentes conftituées des deniers de leur » efpargne, ils les ont demandez à la Reine & les ayant obtenus... » (Page 607.) Cette fois Chanut intervient. Dépit de Du Ryer : « M. du » Ryer m'eft venu voir l'efprit vn peu aigry, & trouuant mauuais que je » me meflaffe de ces affaires. » (Page 607 r. et v.) Chanut tient bon, & invoque le commandement de leurs Majeftez >< d'afTilter en leur nom ces » monalteres ». « Il (Dm Ryer) a donc tourné fa plaincfe contre la » France, difant que, fi elle ne luy faifoit pas du bien, elle ne fe deuoit » point oppofer aux liberalitez que la Reine de Suéde luy faifoit... » (Page 607 V.) Explication un peu vive. On en réfère à Son Éminence le cardinal. Mais le médecin eut ce qu'il voulait. Voir t. V, p. 489, témoignage de Baillct.

Pourtant l'affaire avait paru d'abord devoir s'arranger : Chanut du moins avait eu bon espoir, comme il l'écrivait au comte de Brienne, le 8 juin 1647 : « Saluius a efcrit à Monfieur du Rier, Médecin de la Reine » de Suéde, qui eft françois & Caluinifte, une déduction exacte de toute » cette difpute, afin qu'il en informe la Reine, qu'il dit eftre preuenue de » l'opinion que ie luy ay donnée, que les Catholiques auoient le droit de » leur cofté, que la France eftoit obligée à leur protection (Si que cela

�� � Descartes en Suède. ^49

projet, à supposer qu'on y pensât pour Descartes, n'eut pas le temps de se réaliser.

La reine avait enfin pris jour pour se faire expliquer par Descartes lui-même sa philosophie : elle lui donnait rendez- vous dans son cabinet d'étude, trois fois par semaine, à cinq heures du matin'. Christine, avec sa jeunesse et sa belle santé, supportait sans peine cette heure matinale, hiver comme été ; encore Chanut ne l'approuvait-il pas en cela, et souhaitait fort que le mariage vînt bientôt y mettre ordre. Mais notre philo- sophe n'était plus d'âge à affronter ainsi, bien avant le jour, la gelée et la neige au dehors, lui surtout si frileux et qui jamais

» n'importoit point à la Suéde. | Ledit fieur du Rier, auec lequel j'cntre- » tiens intelligence, n'a point tant déféré au zèle de fa religion, qu'il ne » m'ait defcouuert qu'il auoit charge de faire voir fa lettre à la Reine, & » d'aider à luy faire prendre refolution de tenir ferme. Il ne fe peufl dif- » penfer du premier: pour le fécond, ie l'ay prié de ne s'en point mcflcr, » & iufques icy j'ay plus fuiet de croire qu'il eft plus françois qu'hugue- » not. M (Bibl. Nat., MS. fr. 17963, p. 3j3 v. à p. 374 r.j

Descartes possédait, dit BoTe[,Jîx à fept mille livres de rente, prove- nant d'héritages. Baillet, cependant, fait le compte de ces héritages et n'arrive pas à pareille somme, « à moins (dit-il) que d'y joindre une pen- » don viagère de huit cent livres, qu'il s'étoit fait créer en Hollande, par » un contrat en parchemin, écrit en Flamand, & fccUé du grand l'ccau do » la Province de Hollande, dont on ne nous a point appris la date ». (Baillet, loc. cit., t. H, p. 460-461.) Baillet raconte aussi, d'après Sor- niÈRE, Lettres & Difcours, p. 68 1 , que Descartes avait placé de l'argent à la banque d'Amsterdam, et que cette banque lui produisait deux mille livres de rente. (Page 460.) Voir ci-avant, pp. 14, 42-43 et 434-435, notes.

a. Sur cette heure si matinale, surtout en plein janvier, nous avons le témoignage de Chanut, dans une lettre oflicielle à M. de Brienne, écrite le 12 février i65o, c'est-à-dire au lendemain du décùs : t. V, p. 470-471. Peut-être Chanut fut-il plus aflirmatif encore dans une lettre à l'abbé Picot, écrite le jour même, 1 1 févr., et que nous n'avons plus : Baillet en parle dans sa relation, p. 492 de notre t. "V.

b. Chanut écrivait, assez gaillardement, à « M. le Prince Charles » -Palatin » (dont on parlait comme du futur mari de Chriltine de Suède), le i3 mars 1649: a ...La Reine a elle trauaillée pendant quinze iours » d'vn rhume, qui luy caufoit vne toux incommode. Maintenant elle s'en i> porte bien, grâces à Dieu. l'ay fceu que fes Médecins l'ont aduertie » qu'elle prilt plus de foin de fa fanté, & que pour cela elle deuoit moins » trauailler fon efprit dans l'eflude. le peux iurer h voflre Altelle que ie

�� � ^ço Vie de Descartes.

ne s'était levé tôt. Au collège même, ses maîtres le laissaient au lit le matin autant qu'il voulait; plus tard, il continua d'y rester jusqu'à une heure assez avancée. Il y travaillait d'ail- leurs, ou plutôt, comme il le disait lui-même, il laissait insen- siblement les rêveries du jour (ainsi appelait-il ses méditations) se mêler aux derniers rêves de la nuit*. Chanut eut beau lui donner son carrosse pour le conduire au palais : la maison de l'ambassadeur était dans un quartier assez éloigné *", on avait le temps de se refroidir en chemin. Chanut lui-même venait d'être malade pendant huit à dix jours, mais s'était guéri ; moins heureux. Descartes tomba malade à son tour, et mourut. Nous avons quelques détails sur sa maladie, qui était une

» luy reprefente fouuent la mefme chofe ; mais elle ne nous croit pas. » Cette viftoire, Monfeig% vous eft referuée ; & fi maintenant la raifon de » fa fanté ne la peut obliger à demeurer au licl vn peu plus tard, voftre » confideration l'y refoudra quelque iour, & ie prie Dieu que ce iour ne » foit pas différé long temps. » {Bibl. Nat., MS. fr. 17965, p. 186 r. et V.) Sur ce sujet délicat, Chanut écrivait à M. de Brienne, 20 mars 1649 : « (déclaration de la Reine au Sénat)... que la fuiettion au » mariage auoit certaines conditions qu'elle ne pouuoit encore goufter, » ny mefme déterminer quand elle pourroit vaincre la répugnance qu'elle » y fentoit prefentement. . . » (Page 202 r.)

a. Voir ci-avant, p. 20, note b (témoignage de Lipstorp) ; et p. 73-74, note a (témoignage de Le Vasseur). Voir aussi t. I,p. 198-199, dans une lettre à Balzac, l'aveu de Descartes lui-même. Il est vrai qu'il avait, ce semble, l'habitude de se coucher tard : t. 11,'p. 36i, 1. 7-10, et p. 388,

1. 21-23.

b. Voir ci-avant, p. 640, note, 16 févr. 1647. Quant au carrosse, Chanut aussitôt arrivé à Stockholm, en avait fait venir un de Hollande, par les soins de Brasset, ou plutôt de Mad< Brasset. Ce fut même toute une affaire. Il écrivait, entre autres, à Brasset, le 24 mars 1646, à propos de ce carrosse : « ce n'efl point vn office qui regarde fimplement les » femmes, car je reconnois tous les jours qu'il m'ert impofTible de m'en » paffer, veu la falote des rues de cette ville, & la necelTité de fe mettre » quelquefois à l'air pour ceux qui paffent vne vie fedentaire ». {Bibl. Nat., MS. fr. 17962, p. 219.)

c. Toutes les relations que nous en avons, ont été reproduites, t. V, p. 470-500: lettres de Chanut, p. 470-476; de Saumaise fils, p. 476-477; du médecin Wullen, p. 477-479 ; relation de Clerselier, p. 481-485; note de Sorbière, p. 485; de Philibert de La Mare, p. 485-486; relation de Baillet, p. 486-494.

�� � Descartes en Suède. 5 5 1

pneumonie. Elle dura juste neuf jours. Son compatriote Du Ryer n'étant point là, Descartes ne voulut pas d'un autre médecin. Il fallut presque un ordre de la reine, pour le forcer à recevoir les visites d'un Allemand, Wullen, qu'il regardait comme son ennemi, et qui certes ne l'aimait guère. Notre philosophe l'accueillit fort mal; il entendait se soigner lui- même, ce qui consista les six premiers jours à ne rien faire du tout, sinon garder le lit; puis il reconnut qu'il était plus mal qu'il n'avait cru d'abord, mais refusa la saignée qu'on prétendait lui imposer suivant la mode du temps : « Epargnez » le sang français », disait-il au médecin allemand ^ Il se contenta d'un remède, sinon de bonne femme, au moins de paysan, qu'il avait vu réussir en Hollande : légère infusion de tabac dans une boisson chaude, eau-de-vie ou vin d'Espagne. La fièvre augmenta ; les poumons se prirent : il expira le II février i65o, à quatre heures du matin.

Wullen rédigea aussitôt, sous forme de lettre à un ami de Hollande, un bulletin précis et sec, du ton d'un médecin Tant- pis, presque satisfait de voir mourir un malade qui ne s'était pas soigné selon les règles ^ La reine, qui se fit lire cette lettre, n'y trouva rien à changer. Peut-être fut-elle surprise de cette fin si rapide d'un philosophe qui avait parlé jadis de prolonger

a. Le mot a été conservé par Wullen lui-même : t. V, p. 477. Voir aussi p. 490. Descartes finit cependant par se faire saigner; il eût peut-être commencé par là, si le médecin français eût été à Stockholm : c'était le grand remède de Du Ryer. On lit, en effet, dans une lettre de Chanut au comte de Brienne, 16 mai 1648 : « la reine. . . tombée malade la nuit pre- » cedente, d'vne fleure violente auec grande douleur de telle, & vne toux » qui faifoit appréhender vne inflammation de poulmon. Elle a efté » feignée trois fois en deux jours, maintenant la fleure eft quafi efteinte. » (Bibl. Nat., MS. h. 17964, p. 358-359.) Et à Servien, le même jour : a . . .M. du Ryer l'a traictée à noflre mode & n'a pas efpargné fon fang : » il en a tiré trois fois en deux jours, & auec l'aide d'autres petits » remèdes il a efteint la chaleur de la fleure. » (Page 366 v.;

b. Tome V, pp. 478, 486 et 492.

c. Lettre rédigée le jour même du décès, 11 févr. i65o, à Guillaume Pison, médecin de Leyde. Voir t. V, p. 477-479.

�� � ^ ^ 2 Vie de Descartes.

la vie humaine indéfiniment^. Un sot article d'une gazette rappela aussi ce propos, en traitant Descartes de fou. Mais cette malveillance fut une exception. Sorbière lui-même, comme s'il se préparait à une réconciliation posthume avec le grand homme qu'il avait méconnu, ne parla qu'avec respect de ses derniers moments ^

Ils furent simples et dignes : Descartes écrivit ou du moins dicta une lettre pour ses frères, leur recommandant surtout sa vieille nourrice, qu'il n'avait jamais oubliée et dont la pensée lui revint à son lit de morf^; puis s'armant d'un courage, qui paraît lui avoir été facile : « Çà, mon âme, dit-il, il faut » partir'. » Est-il besoin d'ajouter qu'il mourut religieuse- ment, on peut même dire pieusement, assisté par le P. Viogué ? Les croyances et les pratiques religieuses qu'il avait conservées toute sa vie, sans jamais, semble-t-il, les mettre en question, non seulement lui permettaient de faire une fin édifiante, mais lui en faisaient même un devoir de conscience. Baillet et Cler- selier insistent, naturellement, sur ce point capital à leurs yeux : ne fallait-il pas écarter du philosophe tout soupçon d'irréligio- sité ? Mais en outre les témoignages concordent, et Clerselier,

a. C'était encore là le sujet de ses entretiens, pendant les derniers mois de sa vie ; ou du moins ce fut là ce qui frappa le plus Christine : mais alors, « ses oracles l'ont bien trompé », disait-elle de Descartes, dans une lettre à Saumaise. On le voit, la reine plaisante, j'oco/è ad Salmaftum fcribebat. Voir t. V, p. 461, témoignage de Philibert de La Mare. Enfin, on lit dans Baillet, loc. cit., t. II, p. 452, sous la rubrique Mém. MS. d'Au'{{out) & de Leibn(it:{) : « L'abbé Picot étoit fi perfuadé de la certi- » tude de fes connoidances fur ce point, qu'il auroit juré qu'il luy » auroit été impoflible de mourir comme il fit à cinquante-quatre ans : » & que fans une caufe étrangère & violente (comme celle qui dérégla fa » machine en Suéde), il auroit vécu cinq cens ans, après avoir trouvé )■ l'art de vivre plufieurs fiècles. »

b. Tome X, p. 63o, et t. XI, p. 670-672.

c. Tome V, p. 485. Voir ci-avant, p. 429-430, note c.

d. Voir ci-avant, p. i5. Voir aussi, t. V, p. 470, le témoignage de Catherine Descar'tes, nièce du philosophe, et fille de son frère aîné Pierre. Il ne fut publié qu'en 1693 ; mais, dès 1660, le fait avait été rapporte par Clerselier, t. V, p. 482-483.

e. Tome V, p. 482, relation de Clerselier

�� � d’ailleurs, ne faisait que reproduire celui du principal témoin, qui était son beau-frère Chanut.

Ainsi devait finir, surtout à l’étranger, et en pays protestant, un gentilhomme résolu à témoigner, au moins par point d’honneur, qu’il restait fidèle jusqu’au bout à ses obligations de sujet catholique du roi de France. Mais quels étaient, au fond, les sentiments intimes du philosophe ? A deux reprises, dans des lettres privées (lettres de consolation, il est vrai, et à des huguenots, auxquels il ne pouvait guère tenir un autre langage), il découvre franchement sa pensée. A la hauteur intellectuelle et morale où ce grand esprit s’était élevé, peu importait le culte où il se trouvait engagé du fait de sa naissance et de son éducation : il garda toute sa vie le même, parce qu’en vérité c’était là quelque chose d’extérieur, qui tenait surtout aux circonstances, et ne valait pas la peine qu’on le changeât. Mais là n’était point pour lui l’essentiel, que voici. A son ami Pollot, qui venait de perdre un frère, il écrivait en janvier 1641 : « Il n’y a aucune raison ni religion, qui puisse faire craindre du mal après cette vie à ceux qui ont vécu en gens d’honneur ; au contraire, l’une et l’autre leur promet joie et récompense[393]. » Et le 13 octobre 1642, à son ami Huygens, qui avait fait aussi la même perte, il assure « qu’il ne peut concevoir autre chose de la plupart de ceux qui meurent, sinon qu’ils passent dans une vie plus douce et plus tranquille ». Et qui lui donne cette assurance ? La foi ou la raison ? Toutes deux apparemment. Mais il avoue ici ce qu’il appelle « son infirmité » : bien qu’il ait la volonté de croire, et que même il croie très fermement tout ce qui lui est enseigné par la religion, « les choses dont il est persuadé par des raisons naturelles, le touchent, dit-il, bien plus que celles que lui enseigne la foi seulement[394] ». Le philosophe l’emporte donc sur le croyant ; s’il est persuadé de la vie future (une vie surtout bienheureuse, comme le pensait Socrate dans l’antiquité), ce n’est pas tant 5 J4 Vie de Desgartes.

comme chrétien ou catholique, et parce qu'il a confiance en la révélation : c'est comme penseur, et parce qu'il s'est démontré à lui-même, que l'âme est distincte du corps et ne meurt pas tout entière avec lui \

Chanut cependant eut des scrupules au lendemain du décès. La reine, qui désirait honorer le philosophe, offrit pour les funérailles le principal temple de Stockholm. Notre ambassa- deur refusa : son ami ne pouvant pas reposer en terre catho- lique, il n'entendait pas qu'un autre culte s'emparât de sa dépouille mortelle. L'enterrement se fit, sur sa volonté expresse, au cimetière des enfants morts avant le baptême, ce qui d'ail- leurs fut mal interprété : ne semblait-il pas qu'on traitât le philosophe comme un athée, n'appartenant à aucune reli- gion? Peu de temps après, en mai i65o, Chanut lui fit élever un tombeau, avec quatre inscriptions latines qu'il composa lui-même ^

Plus tard, en 1666, les amis de Descartes à Paris, et ses nombreux admirateurs, désirèrent que ses restes fussent rendus à la France. Notre ambassadeur d'alors à Stockholm, le cheva- lier de Terlon, fit les démacches nécessaires; le gouvernement suédois do'nna son consentement, non sans difficulté, et les restes exhumés furent transportés par mer d'abord, puis par terre jusqu'à Paris. Ce fut un très long voyage, qui eut ses mésaventures : retard en chemin, cercueil ouvert à la douane, etc.. M.d'Alibert, financier, qui jouait au Mécène des gens de lettres, avait choisi pour la sépulture l'église Sainte-Geneviève, au centre du quartier des écoles, et s'était chargé des frais de la cérémonie, le 24 juin 1667. Une certaine pompe y fut déployée. Un banquet réunit ensuite une élite de convives, qui célébrèrent la ruine de la scolastique, et la

a. Voir ci-avant, p. 304.

b. Tome V, p. 476-477 : lettre du jeune Saumaise à Brégy, 19 févr. i65o.

c. Voir, pour ce qui suit, les documents contemporains publiés ci-après aux Appendices viii, ix, x et xi.

�� � Descartes en Suède. <, ^ ^

victoire de la philosophie nouvelle : banquet presque séditieux, puisque défense avait été faite la veille, de par le r.oi, de pro- noncer en chaire un panégyrique déjà tout préparé. La censure de Rome, qui avait été la grande appréhension de Descartes pendant toute sa vie, et qui ne lui fut pas épargnée après sa mort, faisait ainsi sentir ses effets, grâce à la complaisance du pouvoir, le jour même de ses funérailles.

Une vingtaine d'années plus tard, en 1688, La Bruyère, dans son chapitre Des biens de fortune, comparait les savants, « ces hommes chétifs », avec les riches ou les personnages en place, qui ont pour eux le présent, tandis que les premiers ne peuvent compter que sur l'avenir ; et le nom de Descartes lui vient sous la plume, comme devant aller loin dans la postérité : Descartes, ajoute-t-il, et ce trait final semble bien un reproche à son temps et à son pays, tié français et mort en Suède. Le reproche cependant ne pouvait s'adresser ni à Richelieu ni à Mazarin, et encore moins à Louis XIII ou à Louis XIV, lequel naquit en i638, et dont la minorité dura après i65o. De son côté, le philosophe déclare, à plusieurs reprises, que le seul motif qui lui a fait quitter la France, était le désir d'avoir tout son temps libre pour l'étude, loin des importuns et des fâcheux qu'il ne pouvait éviter à Paris, et sans craindre non plus d'être incommodé par des voisins, comme il l'eût été en Bretagne ou en Poitou *. Pourtant d'autres causes, sans qu'il l'ait avoué, frappèrent aussi son esprit et durent influer sur sa décision : lui-même ne déclare-t-il pas aussi que ce qu'il estime le plus au monde, est le loisir et la liberté^ ?

Or le catholicisme intolérant avait triomphé en France, l'année 1628, au siège de La Rochelle, comme en Allemagne, l'année 1620, à la bataille de Prague. Descartes avait pu voir,

a. Tome II, p. 149-150; t. III, p. 6i5; t. VI, p. 3i, 1. i-i3; et t. VIII (2« partie), p. 20, I. 4-5.

b. Tome I, p. i 36, i. 18-27. Remarquons toutefois que, dans ce pas- sage, la liberté n'est pas prise au sens large, comme nous le faisons ici.

�� � 5 ^6 Vie de Descartes.

dans une église de Rome, à son voyage de 1624-1625, les éten- dards de l'armée protestante, suspendus à la voûte : hommage de l'empereur Ferdinand à la Vierge Marie, aux pieds de laquelle il avait en outre déposé son sceptre et sa couronne". Notre phi- losophe avait aussi entendu parler du bûcher de Vanini à Tou- louse, en 16 19, et d'un bûcher semblable pour un autre malheu- reux à Paris, en 1621. Il s'était trouvé à Paris encore, au lendemain du long procès de Théophile, de i623 à i625, et de la condamnation des anti-péripatéticiens, Villon, Bitault et De Clavcs, en 1624, par la Sorbonne et le Parlement. Enfin et surtout la rétractation et l'abjuration de Galilée à Rome, en Hk^S, vinrent le troubler profondément au fond de la Hollande. Comment, après cela, la France presque toute catholique, avec des Jésuites comme confesseurs du roi, eût-elle pu lui offrir la sécurité requise pour philosopher librement?

Et 1 on n'oserait dire qu'il n'avait rien à craindre à ce sujet. Ses livres, bien que rédigés avec une prudence qui allait jusqu'à l'excès, n'étaient point à l'abri de tout soupçon. Rome en jugea ainsi, puisqu'elle les condamna, le 20 novembre i663'^. Et pen-

a. La princesse palatine Sophie, sœur d'Iillisabeth, au cours d'un voyaiîe en Italie, visita Rome en i()64. « J'allay voir auffi (racontc-t-elle) » réglile d'Ot;ni Santi, qui s'appeiloit autres lois le Panthéon, & celle » de Marie de la Victoire qui s'appeiloit autres fois Jupiter de la » Victoire, où l'empereur Ferdinand avoit envoyé fon l'ceptre & fa » conronne à un petit pourtrait de la Vierge, qu'il croioii luy avoir » fait gagner la bataille de Prague contre le roy mon père. Le religieux » qui me fil voir ce beau préfcnt, me dit qu'une grande princede comme » moy devoit audi luy donner quelque choie. Je répliquay qu'ouy, li » la Vierge eut elle de l'autre collé. Toute l'églife eftoit ornée des » drapeaux i^ d'enleignes qu'on avoit pris dans cette bataille. » [Memoi- ren der Her^ogin Sophie, p. p. Adolf Kcecher, Leipzig, 1879, p. 83.)

b. Pour tous ces faits, voir ci-avant, pp. 60-61, 76-78,85-89 et 165-179.

c. J")escartcs ne lut point condamné de son vivant. Rappelons que les hauts dignitaires de l'Ordre des Jésuites en France étaient de ses anciens maîtres. Les provinciaux de la Province de Paris furent successivement, de i63') à i65o et au delà : le P. Jacques Dinet, de 1639 au 28 févr. 1642 ; le P. Jean Filleau, du 28 févr. 1642 au 2 oct. 1645 ; le P. Etienne ^Jocl, vice-provincial, du 2 oct. 1643 au 3i mai 1646 (environ); le

  • . Etienne Charlet, du 3i mai 1646 (au plus tard) au 12 juillet 1649;

�� � Descartes en Suède. ^Ç7

dant toute la dernière partie du xvii' siècle, malgré les eflForts des Jansénistes (et peut-être même à cause de cela) pour tirer à eux la doctrine de Descartes, malgré le caractère profondé- ment chrétien et même catholique que lui donna Malebranche, sans parler de Bossuet et de Fénelon, elle encourut les suspi- cions et les interdic'ions eu pouvoir. Encore plus au xvin% où dépouillée de ce caractère religieux que Ton avait essayé de lui donner, elle apparut au naturel comme la philosophie du pro- grès, dont les réformateurs politiques eux-mêmes pouvaient se prévaloir, en la ramenant à son vrai principe de la souveraineté de la raison. Enfin si pendant quelque temps au xix" siècle, le cartésianisme fut considéré comme le rempart de la philo- sophie spiritualiste, on en vint peu à peu à reconnaître plutôt en Descartes, et c'est bien là en effet son principal titre, un des fondateurs de la science moderne.

Celle-ci n'était pas encore, au xvii* siècle, ce qu'elle était appelée de plus en plus à devenir, une puissance, et même la souveraine puissance spirituelle; et on pouvait craindre que son développement ne fut entravé par l'Eglise, appuyée sur la Scolastique. La tâche du philosophe fut de soustraire la science à une telle sujétion, et de la libérer. Il le fit en mon- trant qu'elle pouvait se passer de cette tutelle ; mais, n'étant pas encore assez forte par elle-même, elle avait besoin d'un autre patronage, que lui fournit une métaphysique appropriée. Cette dernière permettait à la science de se présenter avec toutes les garanties de certitude, et précisément l'espèce de garanties, qu'exigeait l'esprit humain au point où il en était de

le P. Claude de Lingendes, du 12 juillet 1649 ^^ ^ juillet i652; mais comme il fut absent à partir de février, le P. Charles Lallemant devint vice-provincial du i*' févr. au 8 juillet i652, et le P. Etienne Charlet le redevint lui-même du 8 juillet au 12 nov. i652. A cette date, le P. Fran- çois Annat fut nommé provincial. Rappelons enfin que le P. Charlet avait été assistant du général à Rome, pour la France, de 1627 jus- qu'au i3 janvier 1646. Ces renseignements, ainsi que tous ceux que nous avons pu donner sur les Jésuites, nous ont été fournis, avec une obligeance parfaite, par un ancien bibliothécaire de la Compagnie, le P. A. Hamy.

�� � son développement. Mais vienne le jour où la science moderne prendra confiance en elle-même, et prétendra se suffire, fière de toutes ses découvertes qui sont en même temps des bienfaits pour l’humanité, elle rejettera comme inutile ce fondement ou ce support qui lui fut un instant nécessaire : tel un édifice qu’on débarrasse enfin de son échafaudage. Sans doute Descartes eût reculé devant cette conséquence, lui qui estimait que même un géomètre, pour être certain de la géométrie, avait besoin de croire en la véracité de Dieu. Il n’en a pas moins été l’un des auteurs de l’émancipation définitive de la science, choisissant la première de toutes, la mathématique, pour lui donner, d’un vigoureux élan, une extension inimitée, et pour faire marcher à sa suite, afin qu’elle bénéficiât d’une certitude égale, toute la physique ou la science de la nature. Là-dessus l’épitaphe composée par Chanut, son intime ami et le Confident de ses dernières pensées, est singulièrement révélatrice. En quelques traits précis, il note une seule chose comme caractéristique : le philosophe n’avait pas en vue la théologie ni la philosophie même, mais l’étude de la nature; il pensait que la même clé qui le faisait pénétrer dans le secret des mathématiques, lui servirait aussi pour ceux de la physique, et que, grâce aux principes instaurés par lui, désormais la voie était ouverte aux mortels jusque dans les profondeurs les plus mystérieuses de l’univers".

En attendant. Descartes donna à ses contemporains, dès sa première publication en lôSy, et même avant, à ceux qui purent approcher de lui, l’impression d’un esprit tout à fait supérieur. 11 dominait les doctrines des anciens, dont quelques parties essentielles reparaissent dans sa philosophie, mais. avec un caractère et un esprit nouveau; il dominait également les

a. « ...Natura; myfteria componens cum Icj^ibus Mathefeos, vtriufque » arcana eàdem clàvi referari pofTc aulus ell fperare. . . Po(l inftauratam » à fundamentis Philofophiam, apertam ad penetraiia Naturae Morta- » libus viam reliquit. » Voir ci-aprcs, Appendice ix. Descartes en Suède. ^k,()

théories et les découvertes des modernes, lesquelles, animées aussi d'une vie plus large, se retrouvent, chacune à sa place, dans son système. 11 avait un besoin de vérité absolue dans les sciences, qu'il tenait sans doute de son éducation philosophique et religieuse, et qui le fit recourir à un Dieu métaphysique comme suprême garant de cette vérité; mais avec cela il avait aussi une tendance plus ou moins consciente à s'accom- moder, s'il le fallait, d'une vérité relative, pourvu qu'elle donnât une explication des choses satisfaisante pour l'esprit, et qu'elle permît d'agir efficacement sur les réalités qui nous entourent. D'autre part, il préparait ses lecteurs à accepter les théories nouvelles de la mécanique et de la physique céleste; il habituait leur pensée à se mouvoir à l'aise et sans vertige dans l'infinité de l'espace, et à envisager avec calme la plura- lité des mondes : et cela, non plus seulement par des divaga- tions métaphysiques, auxquelles répugnera toujours le bon sens du plus grand nombre, mais par des incursions scien- tifiques, ou qui du moins passaient pour telles et s'imposaient ainsi à l'attention des savants.

Jamais le génie de la France n'avait encore plané si haut, projetant une vive lumière, non pas sur toutes choses, mais sur quelques-unes au moins de celles qu'il choisit pour objet, et on eut l'illusion de croire que c'était tout l'univers. D'autres grands esprits se sont élevés à des hauteurs non moindres, ou plutôt ont atteint aussi des sommets d'où ils ont illuminé d'autres domaines de la pensée. Mais Descartes leur avait montré l'exemple, et demeurait leur précurseur et leur maître. Sa philosophie à la française fut la première qui répondît pleinement aux instincts de notre race. Philosophie des idées claires et distinctes, fortement enchaînées entre elles, et qui s'adressaient à tout le genre humain : ne prétendait- il pas être compris des Turcs eux-mêmes ^ ? Philosophie du pro- grès, où la réalité des faits doit se plier à la logique des idées,

a. Tome V, p. i5(j ; •< Ita fcripli meam Philofophiani, ut ubique recipi » polTit vel etiam apud Turcas. »

�� � et qui devançait l’avenir au point que son programme n’est pas encore réalisé entièrement : philosophie de l’universel mécanisme, dans le monde des corps ; et dans le monde des esprits, philosophie de la liberté, de la générosité, avec cet enthousiasme contenu, qui ne s’égare pas dans de vaines chimères, mais qui, sans rien perdre de son essor sublime, entend demeurer positif et pratique, et se trouve si propre par là-même à révolutionner le monde.






APPENDICE

��Vie de ûescartes. _,

��

APPENDICE

I.
Lieu de naissance.
Page 6, note a.


Pierre Borel, qui avait fait naître d’abord Descartes à Châtellerault, se corrige ainsi lui-même à la fin de son opuscule : « Addendum cenſuimus circa patriam Carteſij, quôd quidam exiſtimant non in ipſo Caſtro Eraldi natum fuiſſe, ſed Hagæ Turonum iuxta Caſtrum illud. » (Carteſi Vita, 1656, pag. 43.)

Châtellerault reste la ville natale du père de notre philosophe, Joachim Descartes, dont l’acte de baptême (et aussi de naissance), à la date du « jeudy, 2Me jour de Decembre 1563 », a été publié pour la première fois par Alfred Barbier, en addition (p. 202) à son volume sur Les Origines Châtelleraudaises de la Famille Descartes. (Poitiers, 1897, in-8, pp. 202.)

À son retour d’Italie, Descartes vint un moment à Châtellerault. Une procuration, donnée par lui à Jehan Coutant, est datée de là, le 27 juillet 1625. (A. Barbier, loc. cit., p. 166.) Notons les termes employés : « René Deſcartes, eſcuier, ſieur du Perron, eſtant & demourant de preſent en ceſte ville de Chaſtellerault, logé au logis de Sainct André. » Et plus loin : « faict & paſſé aud. Chaftellerault, en l’hoſtellerie où pend pour enſeigne Sainct André. » Descartes n’était donc point descendu dans la maison de son père (laquelle était peut-être louée à une autre famille). Le 12 août suivant, Coutant loua, pour cinq années, à deux fermiers diverses maisons et métairies de René Descartes. Celui-ci était sans doute reparti déjà. Mais le 24 juillet, il était déjà probablement arrivé : il conviendrait donc de dater la lettre mentionnée au t. I, p. 4-5, le 24 juillet 1625, non pas de Poitiers, mais de Châtellerault.

Ajoutons que Barbier, dans le même ouvrage, pp. 50, 51 et 58, donne le fac-simile de trois actes de baptême, portant les signatures de Joachim Descartes le père (22 févr. 1577), de son fils aîné Pierre (26 déc. 1620), et du cadet René (21 mai 1616). Les trois fois, le nom de famille est écrit en deux mots bien distincts et séparés l’un de l’autre : Des Cartes.

II.
Gassendi ou Gassend ?
Page 85, note a.

« Tel fut Pierre Gassend ou Gassendi. Gassend étoit son véritable nom. Bouche a mis à la tête de son Histoire de Provence une de ses lettres où il signe Gassend ; il n’en prend point d’autre dans ses Lettres Françoises manuscrites, qui sont dans la Bibliothèque de M. le Président Thomassin de Mazaugues, Il traduit son nom par Gassendus ; il l’eût traduit Gassendius, s’il se fût appelé Gassendi. » Note à la page 2 de l’ouvrage suivant : Vie de Pierre Gassendi, Prévôt de l’Église de Digne & Professeur de Mathématiques au Collège Royal. (A Paris, de l’Imprimerie de Jacques Vincent, rue et vis-à-vis l’Église de S. Severin, à l’Ange. MDCCXXXVII, in-12, pp. 486. Approbation, 13 déc. 1735. Permission du Roy, 17 may 1736 : « un manuscrit qui a pour titre : Vie de Pierre Gassendi, par le P. B… » Cette initiale désigne le P. Bougerel.

III.
Descartes a La Flèche.
(1606-1614.)

Descartes déclare lui-même, t. IV, p. 122, l. 9-10, qu’il a demeuré à La Flèche « huit ou neuf ans de suite en sa jeunesse » ; et son biographe Baillet fixe cette durée de ses études, de Pâques 1604 jusqu’aux vacances de 1612.

Mais Descartes fait ailleurs cette autre déclaration, t. IV, p. 160-161, à propos d’un Jésuite dont il était parent, le P. Charlet : « Je Appendice. ^65

» lui suis obligé de l'inftitution de toute ma jeunelîe, dont il a eu » la direftion huit ans durant, pendant que j'étois à La Flèche, où » il étoit redeur. » Or nous avons, dans l'ouvrage de Rochemonteix, Le Collège Henri IV de La Flèche (Le Mans, 1889), la liste des recteurs, t. I, p. 210 : Pierre Barny, i 603-1604; Jean Chastellier, 1604- 1606; Etienne Charlet, i 606-1 61 6, etc. Rochemonteix dit même ailleurs, t. IV, p. 52, que le P. Chastellier ne quitta La Flèche qu' « au milieu de l'année 1607 »; mais peut-être était-il resté quelque temps pour mettre son successeur au courant ; en tout cas celui-ci, le P. Charlet, se trouvait encore à Paris, comme prédicateur à la maison professe, en 1 606 [Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, t. II, 1891, col. 1074.). Donc, pour avoir été huit ans^ou^ la direction du P. Charlet recteur de La Flèche, il faut que Descartes soit demeuré au collège de i6o6 à 1614 (sinon même de 1607 a i6i5).

Cette date de 1614, pour sa sortie du collège, concorde bien avec un texte que nous avons rapporté ci-avant, p. 237, note c. Descartes rappelle au P. Noël, en juin 1637, que celui-ci a été son maître à La Flèche, « il y a vingt-trois ou vingt-quatre ans » ; mettons vingt-trois ans, et nous retombons juste à l'année 1614. D'autres difficultés encore disparaissent, que nous avions signalées, p. 35-40.

Enfin la précocité du jeune Descartes comme mathématicien, qui étonnait et embarrassait ses maîtres au collège, p. 24-25, surprend moins en 1614, lorsqu'il avait de dix-huit à dix-neuf ans, qu'en 16 12, où il n'avait que de seize à dix-sept ans seulement. Et la suite s'explique mieux aussi : sorti du collège aux vacances de 1614, Descartes fit ses études de droit les deux années 1614-1615 et i6i5- 1616, jusqu'à ses examens de baccalauréat et de licence, les 9 et 10 novembre 1616 (voir pp. 39, 40, et 272-273, note); puis il passa deux années peut-être à Paris, plus sûrement en Bretagne dans sa famille, puisqu'il était à Chavagne-en-Sucé, près de Nantes, en octobre et décembre i6r7; il partit pour la Hollande en 1618.

Toutefois, il serait bon de retrouver le curriculum, année par année, de deux autres Jésuites, dont Descartes eut l'un, le P. Noël, comme repetitor philosophia^ (Kochemonte'w, toc. cit., t. IV, p. 57), et l'autre, le P. Dinet, comme préfet des études (t. III, p. 468, 1. 9-11).

�� � ^66 Vie de Descartes.

��IV.

Premier séjour a Leyde. Page 124, note c

L'inscription de Descartes comme étudiant est ici donnée en abrégé, telle qu'elle se trouve dans VAlbum imprimé. La voici complétée d'après le Registre MS. :

Renatus De/cartes Piâo, Jludiofus mathe/eos, annos natus XXIll. Bij Cornelis Heymenff. van Dam.

Ces derniers mots donnent l'adresse de Descartes {bij veut dire demeurant che^), et -semblent indiquer qu'il habitait Leyde à ce moment. Quant à la date, elle est bien : Die 57 Jtm. i63o. On a cru pouvoir lire Ja7i., ce qui se rapporterait mieux à l'âge indiqué : en janvier i63o, Descartes n'était encore que dans sa trente-troisième année, et en juin il était dans sa trente-quatrième. Mais les étudiants se suivent, sur le Registre, dans l'ordre chro- nologique de leur inscription, et on est bien au mois de juin. Par contre, la date 27 pourrait se lire 28 ou même 29. (Rensei- gnements dus à Cornelis de Waard, de Middelbourg, et à P. C. Molhuysen, de Leyde.)

��V.

Le p. François Véron. Page 237 et page 23.

Voici un curieux document sur cet ancien professeur de philo- sophie de Descartes au collège de La Flèche. On y remarquera deux choses : d'abord,_ le titre de son ouvrage. Méthode de Controverse, comme si le maître, aussi bien que plus tard l'élève, était surtout préoccupé de la question de la Méthode; en outre, il est fait mention d'un livre imprimé à La Rochelle en 1637, et qui n'était que la reproduction de l'ouvrage de Véron : ne serait-ce point là l'écrit, précisément « imprimé à La Rochelle », que Descartes mentionne dans une lettre à Mersenne, du Si déc. 1640 (t. III, p. 275, 1. 19) ? Il aurait donc continué à s'intéresser aux

�� � Appendice. * ^6j

publications de son incien maître. (Mais ce n'est là toutefois qu'une conjecture.)

Le P. François Véron, dans sa Méthode de Controverse, à la fin de la troisième partie, édition de i638, parle de vingt et une éditions de cette Méthode, dont la première à Amiens en i6i5. « ...Cefte 21, en la prefente année lôSy, eft auec fa dernière per- » feftion, augmeptée de plus des deux tiers... Outre dix ou douze » imprelTions en diuers petits Racourcis : & fans compter dix » imprelTions en dix ou douze iours... que ie fis pourmener par » tout Paris il y a 17 ans... Bref, i'en ay remply la France... w.Plufieurs ont fait diuers extraits de cette Méthode... Et nouuel- » lement le P. Vidorin, Recollecl, a remply de ce mien dernier » volume un Traité par luy intitulé : Des Motifs qui obligent ceux » de la Religion prétendue Reformée à fortir de leur Eglife & à » retourner dans celle de leurs ancejîres; auec un Deffi charitable » fur ce fuiet prefente aux Miniftres, (imprimé à La Rochelle, » 1637), auquel il cite, en fon Motif 1 1 , p. i3o, le traitté 8 de ce » Tome in-folio. L'approbation de ces Motifs eft dattée du » 14 d'Aouft 1637 à La Rochelle, et l'Epiftre Dedicatoire, du M 3i May 1637. Et l'Approbation du mien eft du 9 d'Aouft à » Paris. Mais cela vient de ce que i'auois enuoyé audit P. Vifto- » rin, à fon inftante prière, mon Volume bien qu'imparfait, » quatre moys au plus auant qu'il fuft acheué d'imprimer. Il » m'a prié, par lettre receuë ce moys de Septembre, de luy enuoyer » l'accomplilfement : ce que ie feray au plus toft. » {Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, nouv. édit. par Carlos Sommervogel, Strasbourgeois, t. VIII, 1898, p. 6o5-6o6.)

��VI.

Alphonse de Pollot. Page 116 et pages 408-409.

Nous donnerons ici, avec quelques détails, les renseignements sur Pollot, résumés dans ces deux passages. Ils sont tirés des documents possédés par Eugène de Budé à Genève, et obligeam- ment mis par lui à notre disposition.

La famille Pollot était originaire de Dronier (en italien : Dro- nero), dans le marquisat de Saluées, en Piémont. Le père, Marc- .\ntoine Pollot, était déjà mort, lorsque sa femme, Bernardine

�� � 568 Vie de Descartes.

Biandra, restée veuve avec sept enfants (et non pas cinq, comme nous avions dit), dut se réfugier à Genève, où déjà elle avait une sœur mariée. « La rude perfecution l'ayant faite fortir du Mar- » quifat de Saluffe en l'année mil fix cent vint, auec ces {sic pro fes) » trois fils, les Nobles Vincent & Alphonfe & Jean Baptifte » Pollots, & D"' Dilia {sic pro Délia) fa fille, fort à la hâte, ils » ne peurent point vendre de leurs terres : il eftoit défendu d'en » acheter, & des fauoris du prince {le duc de Savoie) s'en mirent » en poffeffion. » Elle laissa derrière elle une fille, Camille, mariée à Jean Girard, et qui plus tard, devenue veuve, vint aussi à Genève rejoindre sa famille,- sans pouvoir toutefois retirer du Piémont une enfant qu'elle avait, Lucie Girard ; l'aîné de la famille, Vincent, dut aller lui-même en Piémont, « par un mouve- » ment de charité », pour ramener cette nièce orpheline et la tirer de l'idolâtrie. « Et quelque fomme d'argent que lad. Dame de » PoUot retira de Piedmont, qui étoit vint ou vint cinq mille » livres, elle s'en feruit pour l'éducation de ces fils, leur ayant » fait aprendre les exercices neceffaires, & auffi pour fournir aux » frais du mariage de D"^ Délia fa fille, qu'elle maria avec M Bar- » telemy Michely. Apres que ces fils eurent demeuré quelques » années dans Genève, il {ou elle ?) enuoya les deux cadets en » Hollande. Il faut de l'argent pour le voyage & pour fe mettre » en état d'entrer dans un lieu. Ils eurent du bonheur que le )) Prince Frederic-Henry, de glorieufe mémoire, les reçut fort » fauorablement. »

Jean-Baptiste devint Gentilhomme de la Chambre de Son Altesse {Edelman van de Camer van Sijn Hoochheijt), le 24 dé- cembre 1637. C'est le titre qu'on lui donne, et même « Premier » Gentilhomme», ainsi que celui de « Capitaine en Ollande », dans une pièce de vers sur son décès (analogue à cette autre pièce que nous avons citée, t. III, p. 280-281). Car il mourut à La Haye, le 14 janvier 1641.

Cette mort explique que, dans le testament de leur mère, Bernardine Biandra, fait à Genève, le 12 nov. 1641, et déposé chez un notaire par elle-même, le 28 déc. suivant, il ne soit plus question que de deux fils : « le laiffe & conftitue » héritiers particuliers & uniuerfels, mes deux fils, Vincent & » Alfonce de Pollot, chafcun pour fa moitié, tant pour ce qu'ils » portent le nom de la maifon, comme pour les affiflances qu'ils » m'ont en tous tems doné, & defpences qu'ils ont fait en ma » longue maladie de ma cheute, en diuerfes mes autres occafions

�� � Appendice. 569

» & voyages, comme auflî parce qu'eftans hors de leur maifon & » patrie pour fuiure la vraye religion & le S' Evangile de N. S. Jefus » Chrift, ils ne iouilFent pas de tous les biens de leur maifon... » Elle demande, en terminant, que, « après fon deces le prefent ade » ne foit point ouvert que, au préalable, que (sic) Monfieur Alfonce » Pollot qui eft à prefent en Olendre (sic, pro Hollande) ne foit icy » prefent ou bien confentant. »

Dans le même testament, Bernardine Biandra fait encore divers legs :

« Aux pauures de l'Eglife italienne, & autres, 5oo florins;

» A Lucie Girard, ma petite-fille, fille de ma fù fille Camille, » 100 livres tournoifes;

» A Bernardine de Chauvet, ma petite-fille & filliole, idem;

» A ma fille Délia Micheli, ducents efcus;

» A ma fille Lucreffe de Chauuet, mariée depuis enuiron vint » ans. . .

» Pour mon petit-fils qui eft en Piedmont, fils de Marte ma fille » défunte, ayant fa défunte mère en fon uiuant receu beaucoup des » auantages de moy, ie crois qu'il fe doit contenter, fans rechercher » autre. . ., ou bien 100 liures au même Urfio;

» A Monf. Micheli mon gendre ...»

On retrouve bien ici quatre filles, outre les trois fils, dont un est mort déjà; deux aussi sont mortes à cette date de 1641, Camille et Marthe, mariées l'une à un S"^ Jean Girard et l'autre à un Italien Ursio; les deux autres vivent encore. Délia mariée à Barthélémy Michely, de Genève ou de Lyon, du temps que la famille était encore à Dronero, et Lucrèce mariée à Jean de Masse, S^ de Chauvet, à Genève.

Voici les renseignements relatifs à leur frère Alphonse :

1° Nomination de capitaine d'une compagnie de i5o hommes, la compagnie de feu M. Marquette; Pollot la commandait déjà depuis le 28 août i632. Au nom de MM. les États généraux des Pays- Bas, à La Haye, le 1 1 janvier i633. Le nom du nouveau capitaine est écrit : Alfonso de Pollolty. (Marquette, blessé au siège de Maestricht, le 22 juillet, était mort le i" août i632.)

2° Confirmation de la nomination précédente, par le prince d'Orange Frédéric-Henri : faite à La Haye, le Si janvier i633. Même nom : Alfonso de Polloltj.

3° Nomination du capitaine Alfonce de Pollot (sic) comme « Gentilhomme de noftre Chambre »... aux gages de « huid cens » florins par an », par le même Frédéric-Henri, Prince d'Orange :

Vie de Descartes. 7a

�� � ^jo Vie de Descartes.

à La Haye, 3 mars 1642. Soit un peu plus d'un an après la mort de son frère Jean-Baptiste de Pollot, décédé le 14 janvier 1641, en la même qualité.

4" Nomination du capitaine Alfonso Polotti, pour les Etats généraux et pour le Prince d'Orange, au commandement du Fort Sainte-Anne dans le Polder de Namen. Signé : Frédéric-Henri, à La Haye, i5 mai 1645. Brasset parle de cette nomination dans sa correspondance, lettre datée de Munster, 28 mai 1645 : « L'on m'a » mandé que M. Palloti eftoit fait commandeur du Polder de » Namen. « (Paris, Bibl. Nat., MS. fr. 17897, f" Sog.) Et il lui écrit, le II oct. 1646 : « A M. Alphonfe Palloti, Gouuerneur du » Poldre de Namen. » [Ibid., f° 532. Voir encore le même nom Palloti, i"^ 265 et 266.)

5° 'HoTmnSiûon dt Jonckheer Alphonse de Pollotti comme. « Hoff- » meester van Onsen Huyse », signée : « Amalie, Princesse Doua- » riere d'Orange », à La Haye, i" avril 1648. Veuve de Frédéric- Henri depuis le 14 mars 1647, ^^ princesse rappelle que Pollot a bien et fidèlement servi le Prince d'Orange son époux, d'abord comme Gentilhomme ordinaire, « eerst als Ordinaris Edelman », puis comme Gentilhomme de sa Chambre, « ende.daer naer als » Edelman van sijne Camer ». Elle mentionne aussi ses titres actuels : « Cappitain ende Commandeur van het Fort ende Polder » van S' Annen. » Quant au nouveau titre qu'elle lui donne, aux gages de huit cents gulden (« op de gagie van acht hondert Carolus » guldens », il sera traduit pompeusement plus tard, à la mort de Pollot : « Maréchal de la Cour de la Princesse douairière ». Notre Brasset en parlait plus simplement : « Madame la Dou"' d'Orange » a defpefché fon M' d'Hoftel, le S Alphonfe Palotti », dit-il dans une lettre du i5 juin 1648. {Loc. cit., MS. fr. 17900, f° 243.)

En 1643, l'aîné Vincent fit un voyage en Hollande. Les deux frères, profitant de cette réunion, firent leur testament, par devant notaire, à La Haye, le 10 oct. 1643. Le texte en a été conservé. Il y est fait mention de leur père « le feu Sieur Marc-Antoine Pollodt » [sic] de Dronier, Marquisat de Saluces en Piedmont », et de leur frère décédé, Jean-Baptiste. Le domicile des deux comparants est indiqué:» ...eftant logezà la Grande Place visa vis le Palais & la dite » Cour d'Hollande. » On a le nom du notaire : » Willem Roomers » ; et des deux témoins : « Maiftre Willem van Velde, aduocat à la » Court d'Hollande, et Daniel Bouthellier Chirurgien, ilTeu de la » ville de Cognac en Engomois en France. » Les deux frères « déclarent que ne lailTans hoirs ny defcendents légitimes, auoir

�� � Appendice.

��571

��1) inlHtué, comme ils inftituem par ces prefentes, l'un l'autre recipro- » quement Héritier huniuerfel des biens que le premier décédant » delailTera. . . D'autant plus qu'ils veulent fuiure en cela la difpo- » fition qui en a faifl ledit feu Sieur leur père par fon dernier » Teftament, & qu'ils fçauent leurs fœurs auoir efté légitimement » dottees ...»

Eugène de Budé possède encore, dans ses archives, trois lettres d'Alphonse de Pollot, « à Md'*" Michely, fa tres-chere fœur, à » Genève ». La première est datée de Nevers, le 20 septembre 1644. Pollot avait reçu mission du Prince d'Orange, d'aller trouver de sa part la reine d'Angleterre à Bourbon, où elle prenait les eaux. Il avait aussi l'ordre de s'en retourner « au plus tort qu'il lui feroit » poffible ». Ce dernier commandement « luy oftoit l'efperance » que i'auois conceue de faire vne courfe iufques à Geneue pour » iouir quelques 8 iours de voftre prefence très defiree. Et vous » diray bien plus que, durant le feiour que i'ay fait à Bourbon, ny » les comédies ny l'entretien des Dames, ny mefmes les honneurs » que ie receuois à toute heure de S. M*^ &de toute la Cour, n'ont » pu occuper mes penfées en forte qu'à toute heure elles n'ayent » efté auec vous... Ce que i'apprehande encor eft de partir de Paris » deuant l'arriuée de noftre frère, ayant fceu par M. Sarrazin qu'il » eftoit fur fon defpart pour y venir. . . » La seconde lettre n'est pas datée; mais elle paraît être d'octobre ou novembre de la même année 1644. Pollot regrette que sa sœur n'ait pu venir le rejoindre aux eaux de Bourbon, et il continue par ce badinage : « ...le » voudrois bien eftre auprès de vous, pour vous pouuoir faire » raifon de cette belle & blanche liqueur dont vous ufez, tant n pour ce que naturellement ie l'ayme fort que pour ce qu'on me » veut perfuader qu'elle feroit auffy fort propre pour me foulager » du mal dont ie me trouue fouuent incommodé & furtout en » hyuer... » Il parle aussi de « Meff" Sarrazin nos bons coufms », et d'écrire prochainement « à noftre nièce S. » (Savj-on). Enfin la troisième lettre est datée de La Haye, le i3 juillet i656. Pollot avait fait état de partir vers la fin de ce mois; mais des affaires « pour Meff^' de Geneue », et aussi « pour nos frères des Vallées », le retiendront en Hollande, sans qu'il puisse dire en quel temps elles pourront être terminées. « le ne lairray point de m'y » employer au.;t chaleur, & ne plaindray point ny la perte du » temps, ny d'aucune autre chofe, pourueu que je ne trauaille point » en vain... Au demeurant, ie fuis bien affligé d'apprendre que » voftre fanté ne foit pas telle que ie voudrois bien qu'elle fut, & que

�� � ^J2 Vie de Descartes.

» vous vous trouuiez de nouueau incommodée de cette palpitation » ou battement de cœur. le vous prie de prendre une bouteille de » terre & la remplir de bonne maluoifie & y mettre dedans vne » pièce d'acier & la tenir bien bouchée, & quelque temps après en » prendre trois ou quattre cuillerées le matin à iun, ayant appris » ce remède de Madame de Chanut Ambaffadrice de France, » laquelle ayant la mefme incommodité, en a par la efté deliurée; » & prie Dieu que le mefme vous arriue. »

A cette date de 1666, Pollot se trouvait donc encore à La Haye. Pourtant, il était déjà revenu à Genève, au moins lors du contrat de mariage d'une de ses nièces, Lucie Girard, en i653. « ...Mondit » Sieur Alfonfe de Pollot... a toufiours efté en Hollande & furtout » à La Haye depuis l'aage de dix fept ans au feruice des Eftats » généraux des Prouinces vnies & de Monf"" le Prince d'Orange » Frédéric Henry & de Madame la Douairière, iufques au temps » du mariage d'icelle auec ledit S' Sauion, à laquelle peu de mois » après fon arriuée dans Geneue, il voulut bien faire vne libéralité » confiderable de fes propres biens. . ., luy donnant du fien propre » fix mille Hures, comme il fe peut vérifier par le contraél de leur » mariage de i653. » Le mémoire d'où ceci est tiré, est du mois d'août 1669. Il a pour objet de débouter le sieur Savion de préten- tions injustifiées à la mort de l'oncle de sa femme, et continue ainsi : « ...Ledit Sieur Sauion n'a eu garde de rien demander au » defund, quoy qu'il ait furuefcu audit mariage l'efpace de 16 à » 17 années, au grand auantage de ladite demoifelle Lucie Girard, » qui a toufiours treuué chés luy vn afile affeuré contre les conti- » nuelles perfecutions & mauuais traitemens de fon mari, lequel » auffi ayant recouru à la charitable bonté d'iceluy, en a obtenu des » foulagements bien confiderables en ce qu'il luy a prefté de l'argent » pour le fortir des prifons de Dijon & de Gex : comme apert par » ades qui defcouuriront l'ingratitude de ce parent enuers la )) mémoire de fon bienfaiteur. » Ce même mémoire rappelle qu'Al- phonse de Pollot a payé les dettes de son frère Jean-Baptiste, mort prématurément, qu'il n'a cessé d'envoyer de l'argent à sa mère et à son frère Vincent, que lorsque celui-ci fit un voyage à Lyon-, où il mourut, c'était pour recevoir une lettre de change de dix mille écus qui lui était annoncée de Hollande, et qui arriva en effet le jour même de son enterrement : enfin ce généreux frère a toujours été « comme un Joseph dans sa famille ».

Ce document ferait croire que Pollot passa à Genève les seize à dix-sept dernières années de sa vie, ce qui est peut-être excessif. Le

�� � Appendice. 575

Registre des Morts, conservé aux Archives de Genève, donne en effet le renseignement suivant: « Du Jeudy 8 Oftobre 1668, à 6 heures du » matin, No(ble) Alphonfe Pollot, habitant, jadis Capitaine d'In- » fanterie au fervice de MM. les Etats de Hollande, âgé de 66 ans, » mort de fiebvre continue & de fluxion avec colique venteufe. Sa » demeure eft la grande rue de la Maifon de Ville. A tefté par devant » Egrege Guenand. Enterré au Cloiftre de S' Pierre. »

Si l'on compte seize à dix-sept ans avant 1668, on arrive à i652 ou même i65r. Retenons seulement que Pollot était à Genève en i653. Peut-être n'y est-il revenu et ne s'y est-il établi définitivement qu'à partir de 1 6bg. On trouve, en effet, dans les Registres du Petit Conseil, Hôtel de Ville de Genève, Séance du samedi 3i décembre 1659 : « Les Nobles Colladon fyndic, Voifine, Gallatin, anciens » fyndics, rapportent qu'ayant veu le dift fieur de Pollot qui s'eft » retyré ici des Pays Bas où il a negotié & follicité pour ceft Etat » une fubvention de j- livres faifant 12.000 efcus pour la fortifica- » tion. Arrefté que le noble Colladon le remercie des témoignages » de fon affeftion & le prie de la continuer... » A partir de cette date jusqu'à sa mort, le nom de Pollot revient constamment à propos des travaux de fortifications. On utilisait sa compétence d'homme de guerre et d'ingénieur, qui avait servi en Hollande.

Le même mémoire contre Philippe Savion assure que Pollot vint en Hollande à Page de dix-sept ans, Pollot étant mort le 8 octobre 1668, âgé de soixante-six ans, sa naissance remonte à 1602 environ. Mais la famille ne se réfugia à Genève qu'en 1620; et ce ne fut que quelques années après, est-il dit ailleurs (ci-avant, p. 568, 1. 20-22), que leur mère envoya les deux cadets aux Pays-Bas. Faudrait-il lire vingt-sept ans, ce qui serait un peu tard cette fois ? Notons seulement qu'on parle des services d'Alphonse de Pollot sous Frédéric-Henri, et non sous le prince Maurice, mort le 23 avril 1625. Pollot ne serait-il arrivé en Hollande qu'en 1629? Ou bien, au contraire, dans l'acte de décès, 66 ans, est peut-être pour 64 ans : auquel cas Alphonse de Pollot serait né en 1604. et pourrait fort bien être parti pour la Hollande à dix-sept ans, en 1621 ou même 1622.

Pollot, avons-nous vu. avait fait un testament. Les Archives de Genève en conservent une copie. (Vol. VH, Balth. Guenand, notaire.) Le testament est du 3 octobre 1668, homologué le i3. « Alphonfe Pollot, de Dronier, Marquifat de Saluces, premier gen- >. tilhomme de S. A. d'Orange, &c., vivant propriétaire de maifon » près la Maifon de Ville, & de maifon & biens au Petit Saconnex... »

�� � ^74 ^lE DE Descartes.

Ce testament était en faveur de neveu et nièces, enfants de sa sœur Lucrèce Pollot et du mari de celle-ci, Jean de Masse, S de Chauvet. Sur les deux fils et quatre filles issus de ce mariage, un fils est nommé comme héritier. Biaise de Masse, S de Chauvet, et trois filles. Bernardine, Isabeau et Madeleine. La seconde, Isabeau ou Elisabeth, épousa Noble & Spedable François Turretin. Ils eurent un fils, Jean-Alphonse Turretin (né le 24 août 167 1, et mort le i" mai 1737), qui fut pasteur et professeur en Théologie à l'Académie de Genève. Le testament de Dame Elisabeth de Masse, de Chauvet, veuve de François Turretin, en faveur de son fils Jean-Alphonse Turretin, et de son petit-fils Marc Turretin, a été conservé : il est daté du 3 nov. 1713, homologué le 19 déc. 17 16. Il y est question « du bien de Saconex, que (dit-elle) mon » oncle de PoUôt m'a donné ». Le mémoire cité ci-avant parle aussi du bien que cet oncle avait acquis par des voyes « d'honneur, » mais pénibles ». C'est pour Jean-Alphonse Turretin, petit-fils d'une sœur de Pollot, et par conséquent petit-neveu de celui-ci, qu'a été faite la copie des lettres de Descartes, qui nous a été conservée, et qui se trouve en la possession d'Eugène de Budé, au Petit Sacon- nex, près de Genève.

Enfin, nous avons vu Pollot parler, à deux reprises, de ses « bons » cousins », MM. Sarrazin de Paris. Cette parenté lui venait du côté de sa mère. Le père de celle-ci. Noble Alphonse Biandra, de Saluces, eut en effet trois filles : Camille Biandra, mariée à Jean Savion, syndic de Genève (dont le fils Philippe Savion épousera Lucie Girard) ; Lucrèce Biandra, mariée en secondes noces à Jean- Antoine Sarrazin, dont elle eut trois fils, Jacques Sarrazin, médecin et conseiller du roy, à Paris, Samuel et Gabriel ; enfin Bernardine Biandra, femme de Marc-Antoine de Pollot. Alphonse de Pollot était donc cousin-germain des trois frères Sarrazin, Jacques, Samuel et Gabriel, dont Descartes avait connu l'aine à Paris ; celui-ci lui fit tenir un de ses livres en Hollande, l'automne de i635 (t. I, p. 322, 1. 8-i3), probablement par son cousin Pollot; et peut- être la liaison du philosophe et d'Alphonse de Pollot date-t-elle précisément de là. (Voir t. V, p. 591, et t. IX, 2* partie, p. xi-xii, note.)

Pollot s'intéressa aussitôt à la Géométrie de Descartes ; et celui-ci lui réserva un des six exemplaires qu'il destinait aux six premiers qui lui feraient paraître qu'ils l'entendaient : lettre du 12 février i638, t. I, p. 5 18, 1. 17-21. Pollot demanda aussi à Huygens de lui montrer le petit traité des Méchaniques, que

�� � Appendice. ^7^

celui-ci avait reçu ; et Descartes consentit bien volontiers qu'il lui fût montré : lettres du 2 février et de mars ib38, t. I, p. 5o8, I. I i-i3, et t. II, p. 3i, 1. 1-9. (Lire peut-être ici, 1. 5-7 : « C'eft en » luy un témoignage qu'il fait plus d'eftat que moy de ce que i'ay » écrit, que d'auoir enuie de le voir. ») Et plus tard, Pollot servit d'intermédiaire entre Descartes et la princesse Elisabeth pour le problème des trois cercles. Il s'intéressait d'ailleurs aussi bien aux questions de physique : il fut un des premiers à avoir une copie de la réponse du philosophe aux objections de Fromondus (t. 1, p. 5o8, 1. 2-5), et plus tard il aura en sa possession une copie du traité de l'Homme (t. XI, p. vu et p. xii).

��VII.

Francine Descartes. Pages ■2.3\-i'ii et 287-288.

Sur P'rancine Descartes, nous n'avons, en tout, que quatre docu- ments :

1° Acte de naissance, ou plutôt acte de baptême, qui en tenait lieu. Il se trouve aux Archives de Deventer, dans un registre inti- tulé : Anteijckeningh der gedoepten kinderen in der Ghemeente tôt Deventer met haren olderen en getuighen, angevanghen den i Junj- a° 1616. Ce registre va de 1616 à 1637. L'acte en question figure' à la date du 28 juillet i635 (ancien style : ce qui correspond au 7 août i635) :

Vader Moeder Kint

Rejner Jochems Hijlena Jans Franfintge.

Reyner, traduction hollandaise de René : et Jochems, génitif de Jochem, tiaduction de Joachim. De même : Hijlena Jans, Hélène fille de Jean. Le pasteur Moitzer, qui a bien voulu en 1894 se charger pour nous de ces recherches, a cru d'abord, sur la foi de ce registre, , au mariage de Descartes. En eftet, les noms des enfants y sont tou- jours accompagnés des noms de leurs parents. Le registre parcouru depuis le commencement (i" juin 1616) jusqu'à la date du 28 juillet i635, ne donne aucun nom d'enfant, sans les noms du père et de la mère : une seule fois, la mère n'est pas nommée (sans doute elle était morte en couches). Conclusion : les enfants illégitimes

�� � 576

��Vie de Déscartes.

��n'étaient pas inscrits sur ce registre. On était d'autant plus fondé à le croire, que les Archives de Deventer possèdent un registre spécial, intitulé Kalverboek (Livre des veaux), pour cette catégorie d'enfants [veau voulant dire ici enfant né hors mariage). Cet autre registre ne commence, il est vrai, qu'à la date du 12 mars 1740. Mais les registres précédents ont sans doute existé, et cette règle d'inscrire sur un registre à part les enfants nés hors mariage, doit dater du xvi'= et du xvn^ siècle. Telle était l'opinion du pasteur Moltzer. Toutefois (et ce dernier fait a son importance), il existe aussi, pour cette période, un registre des mariages à Deventer : Boeck van Echtsaecken, beginnende met Anno 1624. Notre pasteur, prié d'y faire les recherches nécessaires, n'y a point trouvé trace d'un mariage de René Descartes.

Notons que ce sont là les registres de l'Église réformée : ceux de l'Église catholique romaine, si elle existait en ce temps-là à Deventer, ne remontent pas à une date aussi lointaine, le pasteur Moltzer a bien voulu s'en informer auprès du curé catholique. — Ajoutons que le registre des décès à Amersfort, où Francine mourut le 7 sept. 1640, aurait pu fournir aussi quelques indications sur l'état civil de ses parents. Mais un tel registre n'existe pas pour cette période : les actes que l'on a, ne remontent pas plus haut que 17 16.

2° Lettre autographe du 3o août i63j : mention du nom d'Helen. (en abrégé). 11 s'agit bien d'Hélène, la mère de Fran- cine. Voir ci-avant, p. 23i-232.

3° Apojlille Mf. de la main de Defc. lui-même sur sa fille, repro- duite par Bailler, t. II, p. 89-90 : « Elle s'appelloit Francine, » et elle étoit née à Déventer le IX, c'eft-à-dire le XIX de Juillet » i635 : & félon l'obfervation de fon père, elle avoit été conçue » à Amfterdam le Dimanche XV d'06tobre de l'an 1634. Elle » avoit été bàtifée à Déventer le XXVIII de Juillet, félon le ftile » du pais, qui étoit le feptiéme jour d'Août félon nous. » Voir la suite ci-avant, p. 287-288, note e. Le fait que Descartes a pris soin de noter la date de la conception, prouverait à lui seul que ce ne fut pas pour lui une chose ordinaire et toute simple, mais plutôt un événement rare et sans doute isolé dans sa vie de philosophe. Donc... il n'était pas marié.

4" Relation Mf. de Cler/elier, reproduite par Baillet, loc. cit., p. 91, et que nous avons aussi donnée, t. IV, p. 660-661. Cette confidence de Descartes à son ami est fixement datée : voyage de Paris en 1G44. Descartes parle d'un « dangereux engagement,

�� � Appendice. 577

» dont Dieu Ta retiré, il y a près de dix ans»; et ceci nous reporte bien à l'année 1634, et même avec une exactitude par- faite : de juillet à septembre 1644, durée de son séjour à Paris, il n'y avait pas encore dix ans ; la dixième année ne sera accom- plie que le i5 octobre 1644. Descartes continue : Dieu, « par M une continuation de la même grâce, l'avoit préfervé jufques-là » de la récidive ». Ce langage, qui est presque celui de la confes- sion (si toutefois Baillet n'en a point un peu forcé les termes, selon sa coutume, dans le sens religieux), ne laissé plus aucun doute sur le caractère de la liaison de Descartes avec la mère de Francine ; et en même temps, d'autre part, un tel langage réduit à sa valeur la boutade par laquelle le philosophe répondit, sur ce sujet délicat, aux insinuations de Voët en 1643. (Voir ci-avant, p. 337, notée.)

��VIII.

Passions de l'Ame.

Traduction latine.

La traduction latine du Traité des Passions, en i65o, parut sans nom d'auteur; le titre est seulement accompagné de quelques initiales : PaJJiones Ammœ...iaiinâcivitate donatœab H. D.M. i.v.l. A tout hasard, nous avions proposé, t. XI, p. 489, de lire : Habert de Montmort ? C'était une erreur. Clauberg, dans un petit livre, publié en i652, Defenfio Cartejiana^, attribue expressément cette traduction à Samuel Desmarets [Maresius), professeur à Groningue, autrefois ministre à Bois-le-Duc, et que Descartes avait défendu contre Gisbert Voët, comme nous l'avons raconté, dans une affaire de Confrérie de Notre-Dame. Clauberg s'exprime ainsi :

« ...Virtute & eruditione [Cartejius) fe commendavit Magnatibus.

a. loH. Claubergii | In Publiée Teutoburgenii ad Rhenum | Athena;o Profelforis | Defenfio Cartefiana, \ Adverfus lacobum Revium | Theolo- gum Leidenfem, | Et | Cyriacum Lentulum | Profefforem Herbornen- fem :... (4n^^*'^'°'^^'"'i Apud Ludovicum EIzevirium, cId \o eu. Petit in-i2, 6 ff. lim., pp. 63i.) Praefatio : Teutoburgi Clivorum. Menfe Februario. Aniio i652. — Ce petit livre a été cité par nous. t. VIII (2'= partie, p. 370), avec les deux opuscules de Revius et de Lentulus, auxquels il repond.

Vie de Descartes. 73

�� � ^jS Vie DE "Descartes.

» Candide Confultiflimus D. Marefius in praefatione libelli de Pall. » An. à fe latina civitate donati : Quanti eum vivum fecijfet fapien- » tijjima Regina... » (Pag. 367.) Suit un passage de la préface que nous avons rapportée, t. XI, p. 490; il s'arrête aux mots ...quant fumus ignem.

Clauberg devait tenir ce renseignement de Desmarets lui-même, qu'il cite à plusieurs reprises dans son petit livre, et qui, déclare- t-il, lui avait témoigné de la bienveillance. Il le nomme en compa- gnie de deux autres ministres ou théologiens, qu'il connaissait également : Heydanus, de Leyde, et le gefndre de celui-ci, Frans Burman, dont nous avons publié, t. V, p. 144-179, un si curieux entretien avec notre philosophe :

« Et vivunt adhuc in Belgio plures & in'figniores Theologi, qui- » bus arda cum Cartefio amicitia intcrceflit, ex quibus & mihi » favent Heidanus & Marefms, Theologi*, ille Leidae, hic Gro- » ningas, Profeffores celeberrimi, quos honoris caufâ nomino, Addo » D. Francifcum Burmannum, Ecclefias Hanovienfis Belgicœ Mini- » ftruftî, Virum integerrimum ac dodiïïîmum. » (Pag. 59-60.)

Ce point paraît donc bien acquis, et il est intéressant de savoir que les deux traducteurs d'ouvrages de Descartes, de français en latin, furent deux ministres protestants : Etienne de Courcelles pour le Discours de la Méthode, la Dioptrique et les Météores; Samuel Desmarets, pour le Traité des Passions.

Toutefois, dans les six lettres initiales qui accompagnent le titre Passiones Animœ, à savoir : H. D. M. i. v. l., une seule se rapporte au nom de Desmarets latinisé, la lettre M {Marejius). Mais on y retrouve aussi les initiales du nom français écrit en deux mots, Des- Marets : D. M. Reste donc seulement la première lettre H, qui ne correspond pas au prénom du professeur de Groningue, Samuel; restent également les trois lettres plus petites, qui suivent : i. v. l.

Voici la solution de l'énigme. Desmarets fit traduire les Passions du français en latin par son fils aîné, comme Cièrselier fera du latin en français pour quelques lettres de Descartes (voir t. V, p. 634- 635). Ce travail, un peu profane, surtout pour un ouvrage de ce genre, convenait mal à un théologien de profession, et il se sera contenté d'écrire lui-même la préface, de revoir sans doute la tra- duction, et de la publier sous les initiales du jeune homme. Des- marets avait, en effet, un fils, nous le savons par une longue préface qu'il mit en tête de son Ullima Patientia, en 1645. A cette date, le fils était à Paris auprès d'un oncle, Charles Desmarets, propre frère de Samuel, et avocat au Parlement, à qui justement cette préface est

�� � Appendice. 579

dédiée : Amplijjhno ConfuUiJJimoque Viro DD. Carolo Marefio, J. U. L. in Supremâ Parifienjium Curiâ Advocato Celeberrimo,... Fratri meo Germano. On remarquera les trois lettres J. U. L. : ce sont les mêmes qui accompagnent le nom du traducteur, /. V. L. Elles signifient : luris Vtnufque Licentiatus. Le fils de Samuel Desmarets était licencié en droit, in utroquejure (droit civil et droit canon). Où pouvait-il être à meilleure école, s'il songeait au bar- reau, qu'auprès de son oncle avocat au Parlement de Paris"? Or nous savons d'autre part (Samuel Desmarets le dit lui-même dans une autre préface), que son fils aîné avait fait des études de droit, qu'il plaida même quelque temps à Paris, avant d'entrer dans le saint ministère en i652 ; et ce fils aîné s'appelait Henri ^. Donc les

a. Dans la même préface (ainsi datée : « Groningx, xx Oftobris anni » lui. 1645 »), on lit, page viii : « ...Si quae occurrent hîc Belgici idio- » matis, ea vel poteris affequi proprio marte, nor.dum forte plané oblitus » Germanicae linguae quam olim utcunque didiceras Heidelbergse, cùm » maximo Dionyfio Gothofredo in lludio luris navares operam ante 1) annos xxxv, val tibi enarranda curabis per domefticum Mercurium, » filium meum natu majorem, quem ad te excire & quafi in luum adop- » tare voluifti : utinam fe dignum praeftet & tuo amore & noftro nomine, » nec in Avi Aviaeque aut Patrui finu in Nepotulum dégénérer. » Le jeune homme avait encore, en effet, à cette date de 1643, ses grands-parents : son grand-père, David Des-Marets, qui ne mourut qu'en 1649, ^' sa grand'mère, Madeleine Vaucquet, qui vivait encore en 1654. Quant à Samuel Des-Marets, né à Oisemont en Picardie, le 9 août 1699, il se maria, le 2 mai 1628, à Sedan, où il était ministre, et où il demeura jus- qu'en 16? I. Nous avons vu (ci-avant, p. 334-335, note) qu'il exerça ensuite le saint ministère à Maestricht, jusqu'en i636, puis à Bois-le- Duc, où il enseigna en même temps jusqu'à la fin de 1641. II demeura à Groningue à partir de 1642, jusqu'à sa mort, le 18 mai 1673

b. Le fils aîné de Samuel Des-Marets (il en eut un autre, du nom de Daniel, à Maestricht, en i635), naquit à Sedan, donc en 1629 ou i63o. Il eut pour marraine à son baptême Elisabeth de Nassau, duchesse de Bouillon, qui lui donna le nom de Henri, en mémoire du piince dont elle était veuve. Ces détails sont de Samuel lui-même, dans la dédicace de son Systema fheologicum, i" édition, adressée précisément à ce fils. Le père continue : « Tu quidem, Henrice, tyrocinia pofueras facrx » facundia; in Auguftiffimo Parifienfi foro, ubi port Licentis in utroque » Jure gradum fufceptum, cœperas Advocati munere defungi, fub Auf- » piciis Confultirtimi & Ampliffimi fratris mei . . Adeoque poftquam » tuopte nutu, nec fine Numine, me ab initio ob caufas faeculares (quid » difllmulem?) dîlTuadente, & domino Patruo tuo tandem confentiente,

�� � ^8o Vie de Descartes.

initiales H. D. M. i. v. i,. veulent dire : Henricus Des-Marets, luris Vtriufque Licentiatus. Et nous reconstituons ainsi à coup sûr les nom, prénom et qualité du jeune traducteur.

Revenons au petit livre de Clauberg. C'est surtout un livre de polémique. Mais on y relève çà et là quelques renseignements curieux.

Le plus souvent, l'auteur appelle notre philosophe Cartesius: mais il imprime aussi quelquefois Cartes simplement, et non pas même Des-Cartes. (Voir pp. 12, i3, i5, 19,68,96, 147, 214, etc.)

Un ennemi du philosophe avait traité celui-ci d'homuncio. Voici la riposte de Clauberg : « Homuncionem appellas, quem Naturce » Filium cordati vocant? Memorabo verfus quos adjundos ejus » habet effigies, rumpantur ut ilia Codro :

Talis erat vultu Naturce Filius, unus

Qui menti in Matris vifcera pandit iter. AJjUgnanfque fuis quœvis miracula caujis, Miraculum reliquum folus in orbe fuit.

» Ipfe hune Pythagoras, rejedo nomine tandem Philofophi, vere » dixerit elTe coçôv. » (Pag. 83-84.) Ce quatrain est différent des vers que Constantin Huygens, le fils, composa pour le portrait de Des- cartes par Schooten, et que nous avons rapportés, t. V, p. 321-322 et p. 339-340.

Clauberg cite les lettres de Henry More (ou Morus) à Descartes, bien qu'elles n'aient été imprimées que plus tard, au tome P' des Lettres publiées par Clerselier: « Vir in Anglia dodifTimus D. Hen- » ricus More in literis ante triennium ad Cartefium Cantabrigiâ » exaratis... » (Pag. 4.) Ces lettres sont, en effet, de 1648 et 1649, et le livre de Clauberg a été publié en i652.

Clauberg rapporte le mot d'Archimède, qui ne demandait qu'un point fixe, avec un levier, pour soulever le monde ; Descartes l'avait aussi rapporté dans ses Méditations, t. VII, p. 24, 1. 9-13. Seuie-

» animum appulifti ad facra ftudia, & corpus Juris cum corpore Scriptu- » rarum permutaili... » 11 fut reçu ministre en i652, et suivit la carrière ecclésiastique à Groningue, Cassai, Bois-le-Duc, et à partir de 1662, à Delft. Il y était encore en 1696, date à laquelle Bayle écrivit l'article Marets (Samuf.l des-) de son Dictionnaire. Mais Bayle ne dit mot du traducteur des Passions de Descartes, et sans doute il a ignoré que c'était Henri Des-Marets.

�� � Appendice. 581

ment Clauberg le rapporte d'après le Jésuite Clavius, et si Descartes le tenait également de ce célèbre math^aticien, voilà une preuve de plus qu'il avait étudié ses ouvrages. « Ergo ficut Archimedes, » robori & efficaciae demonltrationum Geometricarum innixus, j> faepenumero jaditavit, fi haberet terram aliam in: qua pedem » figeret, hanc noftram quam incolimus, è loco fe commovere pofl'e » [verba funt Chrijioph. Clavii), idem Cartefius jaditare débet. » (Pag. 233-234.)

Descartes, dans le Discours de la Méthode, t. VI, p. 1 1-12, pour justifier son entreprise de reconstruire à lui seul toute la philo- sophie, cite l'exemple de ces villes bâties tout entières sur les plans d'un ingénieur. Or c'était précisément le cas d'une ville de la Touraine, et proche du Poitou (comme La Haye), la ville de Richelieu. Les étrangers, qui voyageaient en France, en étaient frappés, et Clauberg ne manque pas de faire le rapprochement : « Secundum exempium, ab urbibus, intaftum relinquit Lentulus, » forte veritus, ne vel unius urbis Richeiiae, ab inclùto Cardinale » exftruftae, quam in Gallia luftrare potuit, exemplo refelleretur. » (Pag. 81.) Toutefois, il n'est pas sûr que Descartes ait songé à cette petite ville de Richelieu, dont la construction commença en i63i Mais il avait pu voir en Italie Turin ; et l'on avait en France d'autres exemples, Nancy, à partir de iSSy (la Ville-Neuve de Charles III), et sur la Meuse, en face de Mézières, Charleville, qui date de 1606. Descartes ne paraît pas avoir traversé Nancy; ma,is peut-être passa-t-il à Charleville, lors de son premier voyage en Hollande (qu'il n'a point fait par mer), comme y passera plus tard Gassend. (Voir t. I, p. 127, note, et ci-avant, p. 44-45.)

Enfin Clauberg répond à une accusation d'impiété (ou peu s'en faut), qu'on lançait contre le philosophe, qui prétendait, grâce à la science, prolonger peut-être de plusieurs siècles la vie humaine : n'était-ce pas là un empiétement sur un domaine presque mterdit, et que la Nature ou la Providence s'était réservé? Clauberg prend là- dessus, comme sur le reste, la défense de Descartes; et il invoque les précédents fournis par Bacon, Ficin, etc. Il ajoute (et le rensei- gnement a sa valeur, et confirme ce que nous avons dit, p. 3b 1-552), que le philosophe, pressé sans doute .par les curieux, avait parlé de cette question pendant son séjour à Stockholm ; et il cite un témoin que l'on ne connaissait pas, et qui jouit de la familiarité de Descartes en ces derniers temps de sa vie : Johannes von Leuneschloss (de Solingen;, qui était en i652 professeur de mathématiques et de physique à l'Université de Heidelberg.

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« Noceri Medicis, fi arte Medica morbi profligantur aut vita prolongetur, non videtur terminis perfpedis affirmare mente fanum » poffe. Tu confule Verulam. De augm. fcient. lib. 4 cap. 2 fie fcri- » bentem : Tertiam partem Medicinœ pofuimus illam dp Prolonga- » tione vitat; quœ nova ejî & defideratur ; ejîque omnium nobilijjima... » Neque verô fubeat animos hominum ille fci’upulus, ac fi hase res » Fato & divinœProvidentiae commifla, in Artis officium & munus » jam primum à nobis revocaretur. Providentia enim procul dubio » mortes quafcunque, five ex violentia, five ex morbis, five ex » decurfu astatis, pariter régit : neque tamen ideo prseventiones & » remédia excludit. Ars autem & induftria humana, Naturas & )) Fato non imperant, fed fubminiftrant. Lege etiam Marsilii » Ficim De vita producenda librum, ac define propter popularem » rumorem, quo nihil eft fallacius, Cartefium infedari. Vel unum » in Academia Heidelbergenfi confule Clariffimum Virum D lohan- » nem à Leunefchloss, Mathefeos peritiiïimum Profefforem, qui » Cartefio in Suecia familiaris fuit; & vano rumori crederedefiftes. » (Pag. 361-352).

IX.

Jean de Launoy et César d’Estrées.

Pages 450-451.

Jean de Launoy, ne à Valogne, diocèse de Coutances, le 21 déc. 1603, docteur en théologie de la Faculté de Paris, en juin 1634, ordonné prêtre en 1636, auteur d’un très grand nombre d’ouvrages d’histoire, (entre autres : De varia Aristotelis in Academia Parisinâ fortuna), de critique (on le surnomma « le dénicheur de saints »), et de discipline ecclésiastique, entretint toujours commerce avec les gens de lettres, et tint longtemps chez lui des conférences tous les lundis, où s’assemblaient quantité de savants (on lui fit dire, en 1676, que le Roi souhaitait que ces assemblées cessassent). Il tomba malade en mars 1678 dans l’hôtel du cardinal d’Estrées, où il logeait, et mourut le 10 du même mois. Il fut enterré, sur son ordre, dans l’église des Minimes de la Place Royale (le couvent du P. Mersenne), où il disait d’ordinaire la messe. Le fait qu’à deux reprises nous le trouvons cité en compagnie de Descartes, suffirait-il, avec son titre de Docteur Appendice. 58 j

de Sorbonne, pour qu'on l'identifiât avec cet abbé de Launay, auteur de quelques objections, l'été de 1641, auxquelles Descartes répondit (t. III, p. 419)? La difficulté est que Launay est écrit très lisiblement dans un autographe de Descartes [ibid., p. 385, 1. 16), et non pas Launoy ; mais cela peut être aussi une faute d'orthographe, commise par madvertance.

A ce propos, la phrase, t. III, p. 420, 1. 21-25, doit être ponctuée et orthographiée ainsi : « ...& qu'ils mêlent ordinairement ces deux » idées du cors & de l'ame, en la compofition des idées qu'ils » forment des qualitez réelles & des formes fubftantielles, que ie » croy deuoir eftre entièrement reiettées ».

César d'Estrées, né à Paris, le 5 février 162S, abbé de Long- pont, etc., évèque-duc de Laon et pair de France en i653, sacré seulement en i655, cardinal in petto, le 24 août 1671, proclamé l'année suivante, avec le titre de la Trinité du Mont, le 16 mai 1674, pourvu de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés en lyoS; il y mourut, le 18 déc. 1714, en sa quatre-vingt-septième année, et y fut enterré.

Ajoutons qu'on crut plus tard, en Hollande, à la parfaite récon- ciliation de Descartes et de Gassend. En voici un curieux témoi- gnage de Dirck Rembrandtsz, Des Aertrjcks Beiveging en de Sonne Stiljlant {Amsterdam, Gerrit van Goedesbergh, 1661), p. 47 : « Ick hebbe verftaen van fekere getuygen, als dat Gassendus op 't » lefte van zijn leven, hem daer over beklaeghde dat hij foo veel » tegen Descartes gefchrevèn hadde. »

��Autres identifications.

Jacqueline Pascal, dans sa lettre du 25 septembre 1647, ^ Madame Périer. nomme deux visiteurs, que Descartes rencontra chez leur frère, Biaise Pascal : M. Habert, et M. de Montigny, de Bretagne, " compatriote et intime amy » de notre philosophe. Les éditeurs de Pascal, au tome II des Œuvres, en 1908, ont cru devoir, p. 42, corriger ces deux noms en ceux de M. Hardy (au lieu de Habert], et M. de Martigny 'au lieu de Montigny). Nous mainte- nons cependant les deux noms du MS. pour les raisons suivantes.

M. Habert était sans doute Germain Habert, abbé de Cerisy, né

�� � 584 Vie de Descartes.

à Paris en 161 S. et mort en i654, auteur d'une Vie du Cardinal de Bertille en 1646. Descartes le connaissait, puisqu'il le nomme dans sa correspondance en compagnie de Silhon, t. II, p. 97, 1. i3-i4, et t. I, p. 369. (Il s'agit bien de Cerisy et non pas Serisay ; Mer- stnne aussi écrivait Cerise, comme Descartes Cerisay.) Le rappro- chement des deux noms s'explique : Silhon s'occupait de philo- sophie religieuse, et Balzac écrivait, le 29 avril i63(), « A Monfieur " Habert, Abbé de Cerizy : ...le ne vis jamais nos myfteres efclaircis » par tant de lumières d'éloquence, ni la raifon employée plus » vtilement au lervice de la Foy... l'admire généralement toutes vos » Mufes, autant les douces que les feveres, autant celles qui l'çavent )' faire des hj'mnes & chanter les louanges de lefus Chrift, que » celles qui fcavent refoudre des queftions & traiter de la do{5lrine » Chrétienne. >- [Œuvres de M. de Balzac, i665, p. 433-434.) L'abbé faisait aussi des vers, sacrés et profanes, que Boesset mettait en musique : Mersenne en cite quelques-uns, et d'autres furent envoyés précisément à Descartes. (Voir t. X, p. 679, note, et t. III, p. 261.) Ce fut aussi l'un des premiers de l'Académie française, laquelle s'assembla même au moins une fois, « chez M. de Cerizy, à l'hôtel " Scguier »,

Quant kM.de Montigny, qui dans sa visite à Pascal était accompa- gné de son fils, un « petit garçon », voici une notice sur son compte :

René de Montigny, sieur de Beauregard, né à Sarzeau (Mor- bihan), en 159S 'baptisé le 19 février), devint avocat général au Parlement de Bretagne en 1623 (pourvu le 4 juillet, reçu le 29 novembre), résigna, par acte du 2 décembre i65i, en faveur de son fils, en se réservant d'exercer lui-même dix ans encore. Il mourut en 1660. Son fils, François de Montigny, né à Vannes, le 26 décembre 1629, occupa donc le même office d'avocat général, d'abord à charge de survivance : pourvu le 24 novembre i652, il fut recule 16 janvier 1654; plus tard, il devint président à mortier, touiours au même Parlement de Rennes, en 1674. Il mourut le ■i mai 1602. {Le Parlement de Bretagne, iSS^-iyço, par Frédéric Saulniek, Rennes, 1909, t. II, p. 636-657.)

Dans la même lettre de Jacqueline Pascal, deux autres noms sont cités, t ^^ p, 73 : M. Dalibray et M . Le Pailleur, tous deux joyeux compagnons. Charles Vion de Dalibray, poète bachique aussi bien qu'erotique, interpelle ainsi Le Pailleur (ce dernier excellent mathématicien, et comme tel, ami des Pascal père et fils) :

C'cfV loy, Pailleur. t;ros, gras & grave, Moins homme de Cour que de Cave. . .

�� � Appendice. 58^

Voir une publication récente de Ad. van Bever, Œuvres poétiques du sieur de Dalibray (Paris, Sansot, 1906, in- 18, pp. 208). Ce personnage ne doit pas être confondu avec Pierre d'Alibert, que nous retrouverons ci-après.

��XI.

Funérailles a Stockholm.

" \r l'Ambaliadeur, quoy que préparé à cette féparation depuis » deux jours par les exhortations du défunt, eût encore befoin de » toute fa vertu & de toute la pratique de fa Philofophie pour fou- » tenir ce coup. Il envoya fur l'heure M. Belin fon Secrétaire [Relat. » de M. Belin au Palais, pour avertir la Reine à fon lever que )i M. Defcartes étoit pâlie. Cette généreufe Princeffe verfa des » larmes trés-véritables & trés-abondantes fur la perte qu'elle fai- » foit de fon illujlre Maître, qui efl la qualité dont elle avoit coû- )' tume de l'honorer, & de le diftinguer d'avec les autres Sçavans » qui l'approchoient. Elle envoya incontinent un Gentil-homme de » fa maifon à M. l'Ambaffadeur Lettre de M. Chanut à Picot]. » pour l'affùrer du fenfible déplaifir que luy caufoit ce funefte acci- » dent. Elle dit enfuite à M. Belin, qu'elle vouloit laiffer à la Pofté- 'I rite un monument de la confidération qu'elle avoit pour le mérite » du défunt, & qu'elle luy deftinoit fa fépulture dans le lieu le plus » honorable du Royaume,'au pied des Rois fes prédécedeurs, parmi » les Seigneurs de la Cour, & les grands Officiers de la Couronne. » Ce lieu n'étoit autie que VEglife de l'IJle des Chevaliers, ou des » Nobles, appellée en langage du pays Riddare Holmens Koerkan, » où eft maintenant la fépulture ordinaire des Rois de Suéde de la )i famille Royale, & des premières maifons du Royaume. Avant » que les Luthériens euffent enlevé cette Eglife aux | Catholiques, » c'étoit un couvent de Religieux de saint François appelle Grd- » munka Klofter, c'eft à dire, le cloître des Moines gris. Mais » depuis la prétendue réforme des Evangéliques, elle fut convertie » en paroiffe pour ceux qui habitent l'Ifle des Chevaliers, qui fait » partie de la ville de Stockholm. M. Belin prit la liberté de » répondre à la Reine, que fi fa Majeflé ne luy eût pas fait l'hon- » neur de luy déclarer fi exprellément fa volonté, l'intention de » M. l'Ambaifadeur auroit été de luy demander la permiffion d'en-

VlK DE DeSC4RTES. 74

�� � )66 Vie de Descartes.

~» terrer le corps du défunt dans le Barnhuufy, qui ëtoit le cimetière » de l'Hôpital des Orphelins, & qui éloit fitué dans le faux-bourg )i appelle Nord-Malme. On prétend que c étoit aufli le cimetière des » étrangers, & furtout de ceux qui n'étoient pas de la religion du » pais, comme des Catholiques, des Calviniftes, & des Sociniens ; 'I & qu'il y avoit aulTi un endroit dans le même enclôt deftinc pour » les enfans morts avant l'ulagc de la rail'on. L'on y a bâti depuis » une Eglife du titre de faim Olai'is; & cette Eglile eft maintenant » un fecours de la paroilfe de l'ainte Claire, qui étoit du tèms des » Catholiques un couvent de Religieufes de fainte Claire dans le )) faux-bourg du Nord. La Reine parut furprife de ce choix, & elle » demanda par quel motif on vouloit mettre un mort de cette » conféquence repofer parmi des Orphelins & des Enfans ? M. Belin » répliqua [Rélat. Mf. de M. Belin] que M. l'Ambaffadeur, quoique » perfuadé que le corps d'un Prédefliné efl en fureté par tout où il » plait à Dieu de le garder pour la réfurredioh, auroit voulu donner » aux parens & aux amis du défunt, & généralement à tou.s les » Catholiques vivans, la confolation de voir un des membres de » leur Eglife placé parmi d'autres Prédeftinez, félon l'opinion où » nous fommes, que tout enfant baptifé au nom de la fainte Trinité » eft i'auvé par les mérites de Jefu.s-Chriil, lors qu'il meurt avant » i'ufage de fa raifon au milieu des Proteftans même, & des autres » fociétez féparées de nous. La Reine parut goûter ce raifonnement; )) & fur ce que M. Belin ajouta, que M. l'Ambaffadeur avoit deifein » de venir après midi au Palais faluër fa Majefté, elle remit à déli- » bérer de cette affaire avec luy. »

« M. rAmbafl'adeùr,~qui n'avoit pas encore recouvré affez | de » forces pour écrire de fa main, dida une longue lettre adreffée à » M. Picot [Lettre Mf. de Chanut à Picot, du 1 1 février i6So], poun » informer les amis & les parens de feu M. Defcartes en France, » de toutes les circonflances de fa maladie & de fa mort. Enfuite il » envoya quérir le fieur Valari, Peintre de Mets [il étoit fils de » Peintre — & il a vécu trente ans en Suéde], qui avoit été au-para- « vant Frère fervant,'& qui s'étoit habitué à la Cour de Suéd^-. Il » luy fit mouler le vifage du défunt, premièrement en cire, puis » en plâtre. Il n'étoit point encore forti depuis fa maladie, & félon » le fentiment des Médecins il luy étoit dangereux de prendre l'air » fi-tôt. Mais le defir de fe confoler avec la Reine (car l'on fçait qu'il » étoit fur ce pied auprès d'elle, qu'il étoit fon diredeur, qu'il avoit » fa confiance pour fa conduite intérieure, jufqu'à fe voir l'unique » dépofitaire du fécret de l'abdication de la couronne, qu'elle ne fit

�� � APPENDICE. 587

I) que quatre ans après), le fit aller au Palais après midy. Il obtint » qu'elle luy laifferoit le choix du lieu de la fépulture qu'il avoit » fouhaité; mais elle voulut infifter à vouloir faire lès frais des » funérailles ajoutant qu'elle luy préparoit une pompe funèbre, » dont la magnificence devoit fervir à marquer la grandeur de la » perte qu'elle faifoit dans cette mort. M. l'Ambaffadeur ne crud » pas que cette pompe fût à la bienféance d'un Philofophe, moins » encore à celle d'un Chrétien, qui avoit vécu dans la fimplicité & » dans l'indifférence pour les honneurs & les vaines apparences » de ce monde. A l'égard de la dépenfe, il jugea qu'il étoit de la » dignité de la famille de Meflîeurs Defcartes, de ne point fouffrir ». qu'elle fe fift d'ailleurs que de la bourfe du défunt. »

« Le lendemain l'on fit le convoyfans beaucoup de cérémonies, & » M. l'Ambaffadeur fit en forte qu'il ne s'y trouvât que des Catho- » liques Romains. Un luminaire fort modefte, compofé d'un petit » nombre de flambeaux, accompagnoit le corps, qui étoit précédé » d'un feul Prêtre, pour faire les prières félon le rituel de l'Eglife » Romaine, par permiffion expreffe de la Reine. [Rélat. MJ. de » M. Belin.] Le corps enfermé dans un cercueil étoit porté par » quatre perfonnes, qui compofoient la partie la plus remarquable » du convoy. La première étoit le fils aîné de M. l'Ambaffadeur, qui » eft aujourd'huy Abbé d'Iffoire, connu du Public par fa dodrine & » fa piété. Il étoit âgé | pour lors de 17 à 18 ans; mais le fécond fils » de M. l'Ambaffadeur, n'ayant que 12 a i3 ans, parut trop petit » & trop foible pour pouvoir être employé à la même cérémonie*. » La féconde perfonne étoit M. de Saint Sandoux [il étoit frère de » M. le prèm. Préfident de la Cour des Aydes de Clermont, & » coufin germain de M. de Ribeyre, Confeiller d'Etat], fils de » M. de Ribeyre, premier Préfident de la Cour des Aydes de Cler- » mont-Ferrand, âgé d'environ 16 ou 17 ans. II fut depuis Capi- » taine major du Régiment des Gardes, & Maréchal de Camp des » armées du Roy. On fçait avec combien de courage & de gloire » il fe fignala au fiége de Tournay, en préfence du Roy, qui le fit » gouverneur de cette ville, où il mourut fept ou huit ans après fa » prife. La troifième perfonne qui porta le corps de M. Defcartes, » fut M. Picques, Secrétaire del'Ambaffade, qui fut depuis Réfident » de France en Suède & qui eft aujourd'huy Confeiller à la Cour » des Aydes, où il vit en réputation de grande probité. Il étoit

a. Le fils aîné de Chanut, Martial, était né le 21 cet. i63i ; et le second fils, Hector-Pierre, le 18 nov. i635. (Voir ci-avant, p. 5)2, note a.)

�� � c88 Vie de Descartes.

.1 neveu par fa mère de M. Le Vaffeur Seigneur d'Etiolles, intime » ami de M. Defcartes, & père de M. Le Vaffeur qui eft aujourd'huy » Confeiller à la Grand'Chambre; & il avoit été donné par cet » oncle en 1645 à M. Chanut pour l'accompagner en Suéde. La » quatrième étoit M. Belin, Secrétaire de l'Ambaffadeur, qui depuis » fon retour de Suéde a acheté une charge de Tréforier de France. » Il eft frère de M. Belin, Confeiller au Châtelet; & fa charité » l'ayant fait dévouer au fervice des pauvres de Jefus-Chrift, il fe » trouve aujourd'huy le diredcur de la plupart des hôpitaux de » Paris. » (A. Baillet^ La Vie de Monjieur Des-Cartes, 1691, t. II, p. 424-427-)

��XII.

Tombeau a Stockholm.

« ...Le deffein qu'avoit eu M. Chanut de dreffer un monument » à la mémoire de fon ami, ne put s'exécuter qu'au mois de May » fuivant. [Lettr. MJ. de M. Chanut à M. Defcartes de la » Bretalliére & à Picot, en i65o.] La Reine luy avoit fait l'hon- » neur de luy dire qu'elle vouloit luy faire à fes dépens un beau » Maufolée de marbre; & ce n'eft peut-être que fur cette intention » que le fieur Zuerius Boxhornius [Voir l'Epitaphe faite par )) Boxhornius] a crû qu'on luy avoit effectivement érigé un » monument de cette matière. Mais M. Chanut jugea que, par pro- » vifion, il feroit toujours mieux de dreffer un fimple tombeau fur » la foffe du défunt. Il le fit faire de la figure quarrée en long, de » pierre cimentée, dont les quatre faces étoient lambriffées en » dehors avec des planches de bois uni. La pyramide (c'eft le terme » impropre dont on a voulu qualifier ce -tombeau) ètoit haute de » huit pieds & demi, large de quatre, & longue de fept & demi. » Elle fut pofée fur une bafe de pierre de taille, qui avançoit d'en- » viron quatre pouces, & qui s'èlevoit de terre à trois pieds de » haut. Elle ètoit couverte d'une feule pierre, qui en faifoit la cor- » niche & le chapiteau, qui ètoit épaiffe d'un pied & demi, longue » de huit, & large de quatre & demi. De forte que le monu|ment » achevé paroiffoit avoir treize pieds de hauteur. Les quatre faces » de la pyramide furent couvertes d'une groffe toile blanche cirée, » que l'on fit peindre à trois couches ; & l'on y fit écrire par le même » Peintre les belles Infcriptions qui compofoient toute l'Epitaphe,

�� � Appendice. ^89

» dont M. l'Ambafladeur avoit voulu honorer le défunt. » (Baillet, loc. cit., t. II, p. 429-430.)

��Épilaphes de Descartes.

D première fut composée par Chanut pour le monument qu'il fit élever à Stockholm, en l'honneur de Descartes, le mois de mai qui suivit sa mort. Cette épitaphe fut publiée d'abord par Lipstorp, en i653, Specimina &c., p. 91-93 ; puis par Borel, en i656, Carte/ij Vita, p. ii-i5; puis, sur la demande expresse de Chapelain (t. \, p. 627), par Clerselier, en 1637, au commencement du tome I des Lettres de De/cartes. Plus tard, Baillet la publiera encore, t. II, entre les deux pages 430 et 43 1, de sa Vie de M. De/cartes, en i6gi.

Elle'occupait les quatre faces du monument quadrangulaire, pré- cédemment décrit, (p. 588-589 ci-avant); elle comprend donc quatre parties, que voici.

Anterior faciès Monumenti.

D. O. M.

Régnante Chriftinâ,

Guftaui primi Pronepte,

Magni Filiâ,

Auorum inccvpta, Patriœque terminos

Victoriis nouis promouente,

Pacem demum armis quasfitam

Artibus ornante,

Accitis undique terrarum

Sapientiae Magiftris,

Ipfà in exemplum fuiurâ,

RENATUS DES-CARTES

Ex Eremo Philofophicâ

In lucem & ornamentum Aulae

Vocatus,

Poft quartum menfem morbo interiit,

Et fub hoc lapide

Mortalitatem reliquit,

Anno Chrifti CID ID CL,

^'itœ fuae LIV.

�� � Vie de Descartes.

Pojlerior faciès.

Chriftianiffimi Régis

Ludouici XIV,

Ludouici lufti Filij,

Henrici Magni Nepotis,

ANNA AVSTRIACA,

Optimâ, Prudentiffimâ, Fortiflimâ

Reginâ,

Annos & Regnim Filij Régente.

Legatus ordinanus PETRVS CHANVT

Hoc Monumentum,

Ad Gloriam Dei, bonorum omnium

Datoris,

Gallici nominis honorem,

Perpetuam Memoriam Amici Chariffimi,

RENATI DES-CARTES,

Poni curauit.

Anno feptimo ab exceffu Ludouici lufti.

Sinijlra faciès.

RENATVS DES-CARTES;, Perronij Dominus, &c.

Ex Antiquà & Nobili inter Pidones & Armoricos Gente,

In Galliâ natus,

Accepta, quantacumque in Scholis tradebatur, Eruditione,

Expe6tatione iuâ votifque minore ;

Ad Militiam per Germaniam & Pannoniam Adolefcens profedus.

Et in otijs hybernis Naturge myfteria componens cum legibus

Mathefeos,

Vtriufque arcana eâdem claui referari poffe

Aufus eft fperare.

Et omiffis Fortuitorum ftudiis.

In villulà folitarius, prope Egmondam in HoUandià,

Aiïiduâ XXV annorum Méditations, aufo potitus eft.

a. Lipstorp (i653), Borel (i656; el- Clerseiier liôSj) donnent tous trois : XXV annorum. Raillei imprimera plus tard, en 1691 : viginti circiter annorum. Le changement a son importance. Il s'agit de savoir si la période de préparation pour Descartes était terminée en 1625 (à son retour d'Italie), ou si elle a continué jusqu'en 1629 ou i63o.

�� � Appendice. ^91

Hinc Orbe toto celeberrimus, A Rtge fuo conditionibus honorificis euocatus,

Redierat ad contemplationis delicias ;

Vndè auulfus admiratione Maxim.e RegiNjE,

Qua:, quicquid vbique excelluit, fuum fecit,

Gratilllmus aduenit; leriô ei\ auditus ; & defletus obiit.

Dextra faciès.

Noverint Pofteri. Qualis vixerit RENATVS DES-CARTES;

^'t cuius Doclrinam oiim fufpicient, Mores imitentur.

Poft inftauratam à fundamentis Philorophiam

Apertam ad Penetralia Naturœ Mortalibus Viam,

Nouam, Certam, Solidam,

Hoc vnum reliquit incertum,

Maior in eo Modeltia effet, an Scientia?

Quae vera fciuit, verecundè aftîrmauit;

Falfa, non contentionibus, fed vero admoto refutauit:

Nullius Antiquoruni obtrcclator; nemini viuentium grauis.

Inuidorum criminationes purgauit Innocentià morum.

Iniuriarum ncgligens; Amicitias tenax.

Quod fummum tandem eft,

Ita per Creaturarum gradus. ad Creatorem eft conatus,

t oportunus Chriflo, Gratiae Authori, in auità Religione quiefceret.

I nunc, Viator, & cogita,

Quanta fuerit CHRISTINA, & qualis Auia,

Cui Mores ifti placuerunt.

Lipstorp. après avoir donné le texte des inscriptions de Chanut, )ntinue ainsi, p. 91-93 :

'< Cum hoc Illuftriflimi Viri monumento aliud conjunxit \'ir cele- berrimus Marcus Zuerius Boxhoniius, Hiiloriographus Aca- demiae Lugduno-Batavae in hanc formam :

RENATO DES CARTES,

NoBiLi Gallo,

Perronm Domino,

Cui quantum fit quod ne/cimus non ignoranti, & maximam partem eorum qux Jcimus, minimam eoruvi ejfe quœ ignoramus,

�� � ^92 Vie de DEhCARTES.

» a- nefcifC plerofque ea, qiice tamen jaâaiit Je Jcire ctc pnrfumunl, » adeoque doceri fere ac tradi qucc dedifcere Jii necejfe, de receptis >' haâenus philofophorum fententiis dubitare, bonum facîum vifum » eji, ut diibitando fibi ad fapientiam aliifque regiam viam faceret ; « Qui œqucevam naturœ rerum philofophiam, & Jic veram ac anti- » quant, reddidit; eandemque, poft fœdi[Jïmam tôt fxculorum Jervi- » tutem, in libertatem tandem ajferuH. €■ quaji manumijit;

« Cui univerfam rerum naturam animo magno ac aufu, & fine idlo » duce, circumeunti, intimofque ejus receffus Jerio ac diligenter infpi- » cienti, neque antiqua placuerunt, quia antiqua, neque difplicuerunt » nova, quia nova, cùm quiX nunc antiqua funt, aliquando fuijj'e nova, » & quœ nunc nova funt, aliquando futura antiqua, non ignoraret,fed » quia/alfa aut vera deprehendebantnr, nova condita e/i ac vera philo- » fophandi ratio. & idcirco duratura, ac antiqua aliquan\do futura;

» Hoc monumentum pofuit, & cum eo quod marmoreum ci » illujlriffimiis Chrijlianijfimi Régis ad

» CHRISTINAM

)' CelfiJJimam eruditijjtmamque Sucdorum

» Reginam Legatus

n PETRUS CHANUTUS

» Ponendum curavit

>. L. M. Q.

» Conjunxii

» Marcus Zuerius Bo.xhornius. »

Ejufdem Authoris Epitaphium

Quijibi demeruit lotum Cartesius orbem,

Extramum fati iranfigit illc diem. Avia cui Veterum vifa ejl Sapienlia, veram

Prcetulit antiquœ, prœpofuitque novam. Sunt imitatores Jerviim pecus. Hune venerare;

Naturam agnofces hoc prceeuntc ducem,

Marcus Zuerius Boxhornius mourut à Leyde, le 3 oct. i653. (Voir le Dagboek de Constantin Huygens, dont il était parent.)

Enlin nous ;ivons vu, t. V, p. 479-4.80, que Huygens père, et son second fiU, Christian, firent aussi des vers sur la mort de Descartes. A ce propos, on pourrait être surpris que Huygens

�� � Appendice. ^9^

n'eût fait aucune mention de leur grand ami, dans son Dagboek (publié par J.-H.-W. Unger, à Amsterdam, Gebroeders Binger, 18-^4), à la date du i i février i65o, ni plus tard. Le fait est d'au- tant plus surprenant que Huygens n'oublie pas de mentionner la mort d'autres Français, qu'il a connus : « 9 Dec. i632 : Obit, heu! » Alb(ert)us Girardus. vir incomparabilis. — i3 Sept. 1643 : » Obit... Abraham de Mori, Ecclefiaftes Gallicus, amicus integer- M rimus, & heu! mihi inftar fratris. — 3 Sept. i653 : Obit Spadœ » Claudius Salmafius. » Il mentionne celle d'Elisabeth, princesse palatine, à Herford, le 8 février 1680, comme il avait fait celle de Campanella. à Paris, le 21 mai i63g. Mais le 11 février i65o, rien sur Descartes. L'explication en est fort simple : du 18 janvier au 3 avril i65o, il y a une lacune dans le Dagboek (voir l'imprimé p. 5o). Mais Huygens se souvint de son ami Descartes. Outre sa lettre à Chanut, du 2,6 juillet i65o (t. V, p, 479-480), il en écrivit une autre, en latin, à la reine Christine elle-même. La voici :

n VII Cal. Se.xtil. i65o. — Quis & cujas ego fim, qui è Batauis » tecompellatum eo, tam te fcire parum attinet, quàm folis intereffe » dicas quotam inaceruo paleam formica bajulet... » Et il se pré- sente lui-même, énumérant ses titres : « ...Aiunt me, apud » Inuiclos Araiifij Principes quodammodô gratiofum, tota quinque » luftra fecretioribus confilijs implicitum, non inutiliter operam » nauaffe nec plebeiam... »; puis ses ouvrages, et il conclut : « Quidquid eius rei fit, nondum fatis cauffae arbitror, quôd fim » tire tuae femper amicitiîe. »

« Superat argumentum, quo fi non âmes, utique me cenferi » patiare inter Majeftatis tuîe non indignifiîmos clientes. Cartesivm » amaui, Domina, & quem amaret [ad ultimum vitas fufpirium » écrit d'abord, puis barré ; et récrit ^u- dessus : h Oau|^.«»T5; ad finem » heu ! breuis vitœ] vifus fum meruifie. Hoc tandem nomine quis & » cujas ego fim ne nefcias, meo mihi jure poftulo. In tuo Septen- » trione Solem illuni occrdentem vidifti, nec fine lachrimis quidem, )) nifi vehementer fallor. Splendet tamen ifle poft occafum, & » fplendebit immortalis, quamdiù Sol alter ifte, & minores flellae. » Itaque te per magnos, nifi pateris & facros, Mânes obteftor, faue » parentantibus amicis intimis amico inîeftimabili, eo génère facun- » di« quod per fingultum fubfilit, & lacrimis, non atramento, » explicatur. Neque alibi te in re feriâ oftendat jocularis fermo : » inualuit hic Duper illa didio, ex quo Galliœ placuit, & applaufum » ibi fapientiflimorum hominum tulit, qui Maronis caftifiimam » majeftatcm aufus efl ludos facere, & ad morientis Elifae pyrum Vie de Descartes. 75

�� � 594 Vie de Descartes.

» admotas prjeficas in rifum foluit. Nimirum gens imperatoria, » quœ & inconftantiaï fuas & [vanitatis écfit d'abord, puis barré; )' récrit au-dessus : leuitatis] (edam quoufque libet extendit, [in n margine : à quà lepidiffimà tyrannide ne Septentrionem quidam » tuum immunem habes,] ipfum Chriftiani orbis ftilum, uti libitum » eft, tempérât, innouat, aut immutat; ipfis denique Mufis perfo- » nam induit aut detrahit, pro imperio : ut hœc ubique nunc pari » pad'u ambulent, Galiicè veftiri, & loqui. Accedit quôd, cùm Sta- » giia, quam h [/.axapiTY;; oppugnauerat, debellanda porrô effet, infi- » rtendum quodammodo veftigijs inuifti poliorcetge fuit, & quam » ille moderto Icommate paflim impetiuerat, totis plauftris inueâi- » uis explodenda. Faciunt hùc in illuftri argumente loquaces nugœ, » aliaque nonnuUa ejufdem furfuris ; quorum ubi pertœfum fuefit, » patior feueris non blandis oculis intuearis, quœ porrô Philo- » fophi tui tumulo elogia appendimus, non jocofi commatis, fed » quibus pofteritati conftare voluimus, quis ille & quanti Renatus » fuerit, & quàm futilem de Phœnice fabulam reddiderit, unicus » ifte & nullo de cinere reuidurus... » (Amsterdam, Acad. des Sciences. Constantini Hugenu Epijlolœ Latinœ, MS., Epift. 419.)

��XIII.

Transfert du corps. Funérailles a Paris.

(1666-1667.)

Nous reproduisons ici le chap. xxiu du Livre II de La Vie de M. Des-Cartes, par A. Baillet, 1G91 :

« ...Cependant les amis du défunt ne pouvoient fouffrir qu'avec » chagrin que fon corps demeurât ainfi dans une terre étrangère, où » il ne leur étoit point libre de chanter les Cantiques du Seigneur, » & d'offrir leurs vœux au Ciel fur fon tombeau. [En marge : » Lettr. & Rélat. MJf. de Chajf. & de PompA Depuis la retraite » de la Reine {1654), perfonne ne s'intéreffoit plus à la garde de » ce précieux dépôt, & fon fépulcre ne fervoit plus que de fpedacle » à la curiofité des Voyageurs & des Sçavans. Perfonne ne parut » alors plus mtelligent pour pénétrer le fonds du cœur de ces » affligez, & pour expliquer leurs foupirs, que Monfieur d'AIibert » (Pierre), Tréforier général de France; & perfonne ne fe trouva

�� � AppFNDicr:. ijOÇ

» peut-ctrc plus en ctat que luy de latisfairc à leurs delirs. » (Baili-ET, loc. cit., p. 433.) Clcrselier l'annonça au public dès la fin de 1666, dans une Préface : voir notre t. V, p. G52-r)S'3.

La page qui suit, dans Baillot, relative à d'Alibert, se trouve reproduite en notre t. XI, p. GSy-ôbo. Baillet continue ainsi :

« Voyant donc M. Chanut sorti de ce monde [Chanut était mort » le 18 Juillet 1662), il ne crud perfonne plus en état que luy-même » de faire réussir la résolution qu'ils avoient prise en 1666, de faire » transporter le corps du Philosophe en France. Il se chargea seul » de la conduite de l'affaire, & fon cœur ne put fouffrir même, » que perfonne {page 435) autre que luy, parlât de contribuer » aux frais de cette longue & difficile exécution. Les premiers avis » de leurs délibérations n'alloient d'abord qu'à rétablir le tombeau » du défunt & à luy faire ériger en Suéde un monument de » marbre pareil à ccluydont la Reine Chrifiine avoit eu le delicin. » M. d'Alibert avoit écrit dés l'année précédente à M. le Chevalier » de Terlon pour lors Amball'adeur de France en Suéde, pour le » fonder fur ce point, & fçavoir s'il voudroit fe charger de l'entrc- » prife. [Lettres MJf. du Chevalier de Terlon à M. d'Alibert » du 27. Juillet i665. Du 23. Septembre. Du 3. Oâlobre. Du » 10 Octobre de la même année ] Cet Ambalfadeur fut ravi d'avoir » une occafion de témoigner le zélé & la vénération qu'il avoit » pour la mémoire & la réputation d'une perfonne, dont il efiimoit » infiniment la dodrine. Il manda à M. d'Alibert qu'il acceptoit la » commiffion avec joye, & qu'outre le monument de marbre, qui » feroit fupcrbe, il feroit faire un bufte de bron/.e, & un autre de » pierre de taille, fur le tableau que la Reine Chrirtine en avoit » fait tirer après fa mort; & qu'il feroit mettre les deux bulles fur » la pyramide de' l'ancien tombeau, que M. Chanut avoit fait » dreffer, après qu'il l'auroit fait raccommoder. Il communiqua » enfuite ce grand deffein \Lettr. du 10 d'Oâobre] à un fcavant & » illujlre François, qui fe trouvoit à Stockholm, & qui avoit été >> aufli à la Reine Chrilline en qualité d'homme de Lettre-^ Cet » homme loua le delfein; mais il reprc'fenta à l'Ambalfadeur, qu'il » feroit encore plus glorieux pour la mémoire du grand Philofophe, » & pour la nation des François, de Iran/porter fon corps, tel n qu'on le Irouveroit, en France ; d- de le placer dans une des Hglifes » de la capitale du Royaume, oit toute l'Europe l'iroit voir : au lieu » qu'il feroit toujours \ncoy:,T\\xo dans un coin du Nord, où è toit fon » tombeau. M. le Cheualier de Terlon étant entré dans ce feiitiment, >> propofa la chofe à M. d'Alibert, & M. d'Alibert aux principaux

�� � 596

��Vie de Descartes.

��» Cartéfiens, qui cmbradcrent cet expédient comme une bonne n fortune, qu'ils avoient toujours defirée ardemment, mais qu'ils » n'avoientoféefpérer comme unechofede trop difficile acquifition. » » M d'Alibert fe picqua d'honneur, pour faire voir que l'exécution » de cette affaire ne luy feroit point difficile; & il récrivit vers le » commencement de l'Avent à M. l'Ambaffadeur, pour le prier » de faire lever le corps de M. Defcartes, & de l'envoj'er en France » fuivant les moyens qu'il luy en facilitoit. M. le Chevalier de Terlon » {page 436) étoit fur le point de partir de Suéde pour aller » Ambafladeur en Danemarc, lors qu'il reçut cette lettre; & il ne » fut point fâché de fignaler fa fortie par une adion de cet éclat, » qui devoit trouver un jour fa place dans l'hifloire. Ayant reçu le » confentement du Roy de Suéde par écrit, il demanda permifTion » défaire lever le corps au Gouverneur de Stockholm, & à la » Régence de la ville, puis au grand Chancelier du Royaume, qui » étoit pour lors le Comte Magnus-Gabriel de la Gardie, oncle du » Roy Charles XI (il avoit époufé fa tante), fils du Connétable » (Jacques de la Gardie) & grand Général de Suéde, & petit-fils de » Pontus de la Gardie, Gentil-homme François. M. le Chevalier de » Terlon, après avoir payé les droits à l'Evêque, aux Prêtres Luthé- » riens, & aux foflbyeurs, marcha en plein jour avec toute fa » famille au cimetière du Nord-Malme, accompagné de Monfieur >) de Pompone, qui étoit nouvellement arrivé de France pour luy » fuccéder dans fon Ambaflade de Suéde, & qui avoit fouhaité » d'affifter à la cérémonie. Elle fut faite malgré les murmures des » Sçavans du pais, le premier jour de May de l'an 1666, par l'Au- » mônier de M. de Terlon, qui fit conduire & dépofer le corps dans » la Chapelle de fon hôtel, où l'on fit un procez verbal de tout ce » qui s'étoit paflé. [Lettr. MJf. de Terlon à d'Alibert, du 3o. Dé- » cembre i665, du 20. Mars 1666, du i . May 1666^]. Il eut foin

a. Le Chevalier de Terlon à M. de Lionne : « A Stockholm, le 8 may » 1666. — Je vous efcris ces lignes en mon particulier, pour vous dire, » Mgr, que Monfieur de Pompone eft prefentement chez luy, & que cela » ne fait pas, quoique feparés de maifon, que nous ne foyons toufiours » enfemble & dans la dernière Union en toutes chofes, tant pour le fer- » vice, que pour ce qui peut nous regarder en noftre particulier. »

« Je vous donne aufîî advis, par ce mot, que nous avons fait déterrer le » corps de feu Monfieur Defcartes, qui mourufticy du temps de la reyne » Chriftine, & auquel feu Monfieur Chanut fit ériger un tombeau avec » une fort belle infcription. Comme j'ay elté prié par le fieur d'Alibert » de faire la chofe, & de l'envoyer à Paris, pour le mettre à Saint-Vi£lor

�� � Appendice. Ç97

» même dô faire réparer Ui pyramide du tombeau en la manière » que M. Chanut l'avoit fait dreffer, & il fit retracer les Infcriptions » latines que cet ami de M. Defcartes avoit compofc'es, & que les » vents & les pluyes avoient fort mal traitées depuis ce têms-ià. » M. de Terlon, fongeant à la commodité du tranfport, avoit fait » faire un cercueil de cuivre, long de deux pieds & demi feulement, » parce qu'il fe doutoit que le cranc & les os du défunt feroient » détacher, & qu'on pourroit les ranger les uns fur les autres fans » indécence. [Mém. MJf. de Monjieur de Pomponne, <Sr.]. L'on

» où la plufpari de fes difciples ont réfolu de luy préparer un tombeau » magnifique, j'ay voulu vous Tefcrire, croyant qu'il feroit affés à propos » que l'on inférât dans l'infcription, que ledit corps a efté tranfporté de » Stokolm à Paris, du Règne de Sa Maierté. Il eftoit affés grand homme, » & fa haute réputation clloit allés bien ellablic, pour mériter ce foin de » ladite Maiellé. Je vous alfeure, Mgr, que l'on a eu beaucoup de peine à » m'accorder icy le tranfport de ce qui, peut refter de fes offemens, plu- » fleurs perfonnes s'eltant tout à fait attachées de fuivrc fa doftrine & fes » préceptes. Monfieur de Caumont-Fieubet, qui a l'honneur d'elfre » connu de vous, loge chés luy le fieur d'Alibert, auquel vous ferés, s'il » vous plaift, fçavoir nos fentimens, afin qu'il les exécute punililuelle- » ment... » [Société archéologique de Touraine, 187?, t. XXIII, p. 42, etc.) Le marquis de Pomponne à Monsieur Colbert. « A Stockholm, ce » 8 may 1666... Vous donnez tous les iours, Monfieur, tant de marques » du cas que vous faittes des gens de lettres, que lorfque ceux qui vivent » ont tant de fujet de parler de vous, vous ferez bien aife fans douite que » l'on vous parle d'un grand philofophe qui n'efl plus». C'eft de l'illufire » M. Des Cartes, qui après avoir porté fi loin fa réputation dans toutte » l'Europe, meritoit un fort plus heureux que de venir mourir affez » obfcurement en Suéde. Quelques gens d'eftude & de mérite qui fe font » honneur à Paris de porter le nom de difciples d'un fi grand maiftre, » ont cru qu'il n'elloit pas moins de ia vénération qu'ils ont pour fa » mémoire que de l'intereft de leur pays, de rendre à la France tout ce « qui lefle d'un li grand homme, & que luy ayant donné la naiffance, il » eftoit de fa gloire de faire connoiftre à la pofterité, par fon tombeau. » qu'elle a produit un philofophe dans notre fiecle capable d'obfcurcir » tous ceux des ficclts palfcz. Ainfy ayant prié, il y a defja quelque » temps, M. le Chevalier de Terlon d'envoyer fon corps à Paris, il a pris » foin de le faire enlever de la fepulture que M. Chanut, chez qui il » mourut, luy avoit fait cflevcr, pour en recevoir une plus honorable » qu'ils luy préparent. Recevez, s'il vous plailt, Monfieur, cette nouvelle » de ce pays, quoiqu'elle ne foit pas tout à fait de celles dont nous » devons groflir nos defpefches, & croyez que l'on ne peut eftre avec » plus de refpeil A de vérité que nous femmes, &c. . . » {Ibidem.)

m

�� � 598

��Vie DR Drscartrs.

��» renlerma les os couchez fur les cendres dans ce nouveau cercueil » avec de nouvelles cérémonies & quelques prières; mais l'on ne I) put refufer à M. le Chevalier de Terlon un des olfemens de la » main, qui avoit fervi d'inltrument aux écrits immortels du » Défunt, & qu'il avoit religieufement demandé à l'Affemblée, qui » compofoit prcfque toute l'Églifc catholique de Suéde, en témoi- » gnagc du zélé qu'il avoit pour conferver la mémoire de M. Def- » cartes. On drelfa un nouveau procez verbal, que [page 43 j) l'on » mit avec le premier dans le cercueil, que l'on jugea à propos de » fceller & d'enchaffer dans de fortes barres de fer : après quoy on » le fît embaler, & M. l'AmbafTadeur le garda dans fon anti- » chambre jufqu'au jour du départ. [Lettr. Mf. de Terlon du » I g Juin 1666, & Rél. Mf. de Chajfan].

« Le fieur de l'Epine, Maître d'hôtel de Monfieur de Chaffan, » qui étoit reflé à Stockholm lorfque fon Maître en étoit parti pour » revenir à Paris, s'offrit pour conduire le corps en France, foit » de fon propre mouvement, foit comme commiiïionnaire de fon » Maître & de M. d'Alibert. M. le Chevalier de Terlon, qui connoif- » foit le fieur de l'Epine pour un homme fur & intelligent, ne fit » point difficulté de luy confier le dépôt; mais il voulut luy joindre » l'un de fes valets de chambre, nomm'éle fieur du Rocher, ferviteur » d'un zélé & d'une fidélité éprouvée, pour luy rendre conte de » tout ce qui fe feroit paffé. Dés que le funèbre équipage fut » embarqué (en Juin 1666) au port de Stockholm, M. le Chevalier » de Terlon qui devoit le fuivre de prés jufqu'à Coppenhague, d'où » il alloit l'envoyer par terre, écrivit à M. d'Alibert [Lettr. MJf.] » pour luy donner avis de toutes chofes. Celuy-cy en donna la nou- » velle aux principaux Cartéfiens de Paris, qui employèrent leurs » amis, & fur tout le Réfident de France à Hambourg, pour obte- » nir de la Reine de Suéde un certificat de la catholicité de M. Def- .) cartes, contre certains reftes de l'Envie, que la Vérité & la » Juftice n'avoient point encore pu étouffer depuis dix-fept ans. .) M. Clerfelier & l'Abbé Picot fe chargèrent d'écrire en particulier » au Père Viogué, Affiftant François du Général des Auguflins à •) Rome, qui avoit gouverné la confcience de M. Defcartes en .) Suéde, afin de luy faire donner de fon côté un certificat de ce > qu'il en avoit connu par luy-même. [Lettr. du P. Viogué, du » 10 May 1667.] Ce ne fut point fans difficulté, que le corps put » arriver à Coppenhaglie, à caufe des fcrupules fuperititieux des » matelots, qui par de fotes traditions avoient appris de leurs fem- » blables que le tranfport des corps morts leur étoit de malheu-

�� � Appendice. 599

» reux augure. M. le Chevalier de Terlon, en partant de Stockholm » pour Coppenhague, où il devoit refter Ambafladeur auprès du » Roy de Danemarc, écrivit au Roy fon maître, pour l'informer de » tout ce qu'il avoit fait, & de ce qu'il avoit à faire encore touchant le » corps de M. Defcartes. Il marqua en peu de mots à Sa Majefté quel » étoit le mérite de cet illuftre Sujet (/ja^g'e.^Jci') qui faifoit une partie » de la gloire de fon Royaume, & la fupplia de vouloir luy faire » connoître fa volonté. Le Roy luy fit l'honneur d'approuver ce » qu'il av )it fait, & luy envoya les ordres néceflaires pour faire » faire le tranfport du corps par fon autorité royale. [Lettr. Mf. de » Terlon, du 1 May 1666. Lettr. du ig Juin 1666.] Le corps fut » trois mois entiers à Coppenhague fous l'infpedion de M. le Che- » valier de Terlon, qui prit toutes les mefures néceffaires pour la » fureté des paffages. Il luy donna la forme d'un balot de fes )) hardes, qu'il devoit envoyer fous le fceau de fes armes, afin de >) prévenir tous les fcrupules, & les effets de la fuperltition des » peuples étrangers. Il en marqua la route par terre, pour éviter » les hazards de la navigation: affùré fur tout que, fi ce précieux « dépôt venoit à tomber entre les mains des Anglois, parmi lef- » quels M. Defcartes avoit déjà une infinité d'Adorateurs, ils » auroient refufé de le rendre, & luy auroient élevé un magni- » fique Maufolée dans leur païs, fous prétexte de dreffer un temple » à fa Philofophie. Ayant reçu les ordres du Roy, il écrivit à » M. de Lionne & à M. Colbert [Lettr. du 2 d'Odobre 1666] » pour les leur faire fçavoir, afin qu'ils ordonnaient aux Doiiannes » de ne point ouvrir le balot. Enfin, il fit partir le corps de Cop- » penhague le fécond jour d'Odobre de l'an 1666, fous la diredion » du fieur de l'Epine, &'du fieur du Rocher, auquel il donna une » lettre pour M. d'Alibert. Trois jours après, il luy récrivit par » l'ordinaire [Lettr. du S d'Odobre 1666], pour en publier la » nouvelle dans Paris, & l'inférer dans les Gazettes. Mais il » demanda, pour reconnoiffance de fes foins, qu'on ajoutât à l'inf- » cription du tombeau, que ce tranfport avoit été fait fous » Loiiis XIV par le Chevalier de. Terlon fon Ambafj'adeur. \ Lettr. » du 25 Dec. 1666.] Les fieurs de l'Epine & du Rocher travcr- )• férent à longues journées la Juthlande, la baffe Allemagne, la » Hollande & la Flandre, en toute fureté, jufqu'à ce qu'étant M arrivez à Péronne en Picardie, ils furent arrêtez par les Doiian- » niers, comme introdudeurs de quelque marchandife de contrc- » bande. [Rél. Mf de M. Haqueteau.] Rien ne leur parut dans » tout leur voyage plus embarraffant que cette exaditude aveugle

�� � 6oo Vie de Descartes.

» des Commis; & quoy qu'ils alléguaffent de par le Roy, & au » nom de M. Colbert pour M. l'Ambaffadeur, ils ne purent s'en » garantir, qu'en fouffrant que l'on rompît le fceau de M. l'Ambaf- » fadeur, & que l'on ouvrît la caiffe de cuivre : dont ils prirent adle » en préfence de témoins fuffifans. »

[Page 43g.) « Le corps étant enfin arrivé à Paris, vers le com- » mencement du mois de Janvier de l'année fuivante, fut porté chez » M. d'Alibert, & quelques jours après, il fut mis en dépôt fans » cérémonie dans une Chapelle de l'Eglife de faint Paul; & l'on » délibéra auiïi-tot du lieu do la fepulture, & des circonftances dont » on accompagneroit la cérémonie. [Lettr. Mf. de Clerf.au P. l'Alle- » mant, du i6 Mars lôôy. Ephémérid. imprim. de l'Abbàie de Ste » Geneviève, & de la Congrégat., du i Février lôâS".] L'on jetta les

a. Relation de ce qui s'eft pajfé en la Congrégation des Chanoines Réguliers de France en l'année 1 66 j [le même titre, avec la date seule changée, reprend en tête de chaque année, de 1654 à 1699]. Page 5-6 :

« Les amis de M. Defcartes, ne pouuant fouffrir que le corps de ce » fameux Philofophe demeurât plus long-temps dans vne terre eftran- » gère & Hérétique, obtinrent, quoy qu'auec difficulté, permiflîon du Roy » de Suéde de le faire tranfporter en France, oii cherchant quelque lieu » conuenable pour garder vn dépos fi confiderable, ils jetterent les yeux » fur l'Eglife de Saincle Geneuiefue de Paris, non feulement à raifon de fes » prerogatiues, mais encor à caufe qu'elle eft fituée au milieu des Lettres » & de rVniuerfité. Ils vindrent donc prier le R""^ P. General de l'y rece- » uoir : ce qui leur ayant efté accordé, ils apportèrent aux flambeaux, » dans vn carroffe, le corps qui eftoit enfermé dans vn cercueil de »' cuiure, qui fut mis en terre entre deux Autels au haut de la Nef, où » l'on doit pofer vn Epitaphe à fon honneur ; on fit enfuite vn Seruice » fort folemnel, oij tous les Dodes de Paris furent conuoquez, auquel le » R""= officia pontificalement. »

« Dauantage, pour lauer entièrement les cendres & la mémoire de ce 1 gnand Homme, de la tache des erreurs qui infeflent les pais où il a » afFez long-temps demeuré pendant fa vie & après fa mort, on a depofé » dans nos Archiues, comme dans vn trefor publique, des témoignages » &. des certificats authentiques de fa Religion, & comme il eft mort » dans la Communion de l'Eglife Romaine. Il y en a vn, entr'autres, de » la Reyne Chriftine de Siiede, qu'elle a figné, & di£lé en nollre langue, » qui comprend vn éloge de ce rare Perfonnage, où elle dit : Nous certi- » fions mefme, par ces Prefentes, qu'il a beaucoup contribué à nojlre » glorieu/e comierfion, & que la Prouidènce de Dieu s'eft feruie de luy, » & de fon illuftre, amy le fteur de Chanut, pour nous en donner les pre- » mieres lumières, que fa grâce & fa mifericorde acheuerent après, à

�� � Appendice. 601

yeux sur l’Eglise de sainte Geneviève du Mont, que l’on ne regardoit pas moins comme le sanctuaire des Sciences, que comme celuy de la Religion. On souhaitoit d’exposer ce corps à toute la France fur le lieu le plus élevé de la capitale, & sur le sommet de la première Université du Royaume, afin que les dépouilles de la mortalité de ce grand Philosophe pussent servir de trophée à la Vérité éternelle, que son esprit avoit recherchée fur la terre, & que son ame possédoit en l’autre monde, autant qu’il étoit permis de l’espérer de la miséricorde de Dieu. L’Abbé de sainte Geneviève. Général de la Congrégation, qui étoit alors le Révérendissime P. François Blanchard, reçut la proposition qu’on luy en fit, avec plaisir; & tous les Religieux de la maison n’eurent qu’une voix pour y consentir. Le Père l’Allemant, Chancelier de l’Université, célèbre par divers ouvrages de piété, dont le Public fera long-têms ses délices, fut choisi pour composer l’Oraison funèbre, & M. Clerfelier luy fournit les mémoires nécessaires pour y réiiflir. D’un autre côté, M. Foucher, Chanoine de Dijon, demeurant pour lors à Paris, s’étoit chargé d’en faire encore une autre, à la prière de M. Rohault, pour être prononcée en un autre lieu, dont on devoit convenir dans la fuite. Messieurs de sainte Geneviève voulurent bien prendre tous les foins de l’appareil funèbre qui regardoit la décoration de leur Eglise, & M. d’Alibert convint avec eux des moyens de faire la chose avec un éclat & une magnificence à laquelle on n’eût rien à desirer.

« Toutes chofes étant préparées pour le xxiv Jour de Juin. [Regijlre des Jure^ Crieurs, du Samedy 2S Juin 1667], la pompe funèbre partit de la rue Beau-treillis, où demeuroit M. d’Alibert, après le foleil couché, pour fe rendre à l’Eglife de faint Paul, d’où l’on devoit lever le corps. Elle étoit compofée du Clergé de cette grande Paroiffe, d’un nombre très-grand de Pauvres revêtus de neuf au nom du Défunt, portant des torches & desflambcauXj&d’une longue (f»a^e^.^o) fuite de caroffes, remplis de perfonnes de la première qualité, de tous les amis du Philofophe qui reftoient à Paris, & d’une foule de fes Sedateurs, qui n’avoient jamais eu l’honneur de le connoitre. Elle arriva devant

nous faire embraffer les vérité^ de la Religion Catholique, Apojlolique & Romaine.

Le Témoignage en question remplit la p. lo. (Note communiquée par M. Victor Chapot, sous-bibliothecaire à la Bibliothèque Sainte Geneviève.)

Vie de Descartes. 76 6o2 Vie de Descartes.

» l'Eglife de fainte Geneviève peu de têms apre's les matines de la » Communauté. L'Abbé, revêtu des habits pontificaux, la mitre fur » la tête & la croffe à la main, accompagné de tous les Chanoines » réguliers, portant chacun le cierge, alla recevoir le corps à la » porte de l'Eglife, & le conduifit dans le Chœur, où l'on chanta » folennellement les Vêpres des Morts. L'induftrie des Pérès de » fainte Geneviève pour l'appareil funèbre, & pour tout le céré- » monial Eccléfiaftique, qui eft toujours fort majeftueux parmi les » Chanoines réguliers, enchérit encore beaucoup au-deffus de tout » ce que l'imagination du généreux M. d'Alibert avoit pu leur » fuggérer; & depuis la mort du Cardinal de la Roche- Foucaut, » Réformateur de leur Ordre, l'on ne fe fouvenoit point d'avoir » rien vu de plus pompeux dans leur Eglife. Les prières finies, » l'on porta le cercueil au côté méridional de la nef, & on le pofa » contre la muraille {en marge : entre deux confefiionnaux) dans » un caveau qui luy avoit été deftiné, entre la chapelle du titre de )/ fainte Geneviève & celle du titre de faint François. La groffe » fonnerie qui fe fit entendre par toute la Ville, dans le têms que » tous les bruits du jour commençoient à céder au filence de la » nuit, excita la curiofité ou ia dévotion d'une infinité de monde, » qui accourut à l'Eglife le lendemain, qui étoit un famedy, auquel » on avoit remis le fervice : ce qui produifit une foule d'affiftans, )) beaucoup plus grande que celle de la veille. Mais à travers de » tout cet appareil, il vint un ordre de la Cour, portant deffenfe de » prononcer publiquement l'Or.aifon funèbre. Il fut reçu avec » refped, & fut exécuté avec autant de foùmiflîon, que s'iL » n'eût pas été furpris. Dès le mois de Mars [Lettr. Mf. de » Clerf. au P. V Allemant, du i6 Mars lôôj. Item, Mém. Mff. de » Clerf. ^^ lorfque la pièce n'ètoit encore qu'ébauchée fur le papier » du P. l'Allemant, l'on avoit reçu quelque avis que, parmi la » foule des auditeurs qui feroient ravis d'entendre prononcer cette » Oraifon. il fe glifferoit infailliblement quelques cenfeurs mal >) intentionnez, qui pourroient en faire un mauvais ufage. La » crainte parut aflez bien fondée à M. Clerfelier, qui jugea qu'on )> devoit en continuer la compofition, mais s'abftenir de la prononcer » en public. Le P. l'Allemant, charmé de la {page 441) beauté de fon » fujet, n'avoit pas laifle de fe préparer dans la fuite, à la perfuafion » de ceux qui prenoient cette crainte pour une terreur panique. » Mais l'événement fit connoître tout à propos, que M. Clerfelier » avoit confeillé le meilleur parti. Cependant en fit le fervice folen- » nel avec la même magnificence que la veille. Le Rèvérendiffime

�� � Général Abbé du lieu dit la Meſſe pontificalement, & finit toute la cérémonie par une proceſſion au lieu du cercueil, où il bénit pour la derniére fois les cendres du Défunt. Après que le gros de la foule fut écoulé, les principaux amis de M. Deſcartes allérent joindre les Religieux de la maiſon, & leur préſentèrent les titres & les procez verbaux de toute l’hiſtoire de cette fameuſe tranſlation, avec les certificats en bonne forme, du Père Viogué (du 9 de May 1667, à Rome), de feu M. Chanut l’Ambaſſadeur, de M. Clerſelier, & de Meſſieurs Chanut, fils de l’Ambaſſadeur, concernant la catholicité de ſa Religion, l’intégrité de ſes mœurs, & l’innocence exemplaire de ſa vie. Ils y joignirent auſſi une lame de cuivre, où ils avoient fait graver la même hiſtoire parfaitement bien circonſtanciée, avec les noms de toutes les perſonnes qui y avoient eu quelque part. L’Abbé & les Religieux renfermérent la lame de cuivre dans le cercueil en préfence de ces amis ; & aprés qu’on l’eut ſcellé & barré, ils portèrent les titres, les procez verbaux & les certificats, dans les archives de l’Abbaye. Celuy qu’on attendoit de la Reine de Suéde ne put venir aſſez tôt, pour être compris dans la même cérémonie. On ne le reçut qu’au mois de Septembre ſuivant, parce que la Reine ne s’étoit trouvée en état de l’écrire de ſa main, que le xxx jour d’Août dans la ville de HambourgErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. On le mit à la tête des autres,

a. Baillet avait donné, au commencement du même chapitre, un

extrait du certificat de la reine :

« Voicy les termes auſquels ſa Majeſté voulut s’en expliquer, douze ans aprés, par vn certificat ſigné de ſa main : Nous certifions même, par ces préſentes, que ledit ſieur Deſcartes a beaucoup contribué à nôtre glorieuſe converſion, & que la Providence de Dieu s’eſt ſervie de luy & de ſon illuſtre ami le ſieur. Chanut, pour nous en donner les premiéres lumières, que ſa grace & ſa miſéricorde achevèrent après, & pour nous faire embraſſer les véritez de la Religion Catholique, Apoſtolique, & Romaine. La Reine fut bien aiſe de donner ce témoignage au Public, afin de le faire paſſer à la Poſtérité, parce qu’il s’agiſſoit de proteſter ſolennellement en faveur de la Vérité. Mais dans ſes converſations particulières [Poiſſon. Rélat. Mf. defon entret. avec la Reine de Suède » d Rome, en i6yj], où l’on fçait qu’elle affefloit de parler toujours fort » froidement de ceux qu’elle eftimoit le plus, fur tout depuis qu’elle eût » fixé fa demeure en Italie, elle fe contentoit de déclarer que : la facilité » avec laquelle elle s’ètoit rendue à plufieurs difficultés^, qui l’éloignoient » auparavant de la Religion des Catholiques, ètoit due à certaines chofes » qu’elle avoit oûy dire à M. Defcartes. » (Loc. cit., t. H, p. 433.) rhose plus importante, Baillet parle de « certains petits mémoires �� � 6o4 Vie de Descartes. » comme le témoignage le plus glorieux de l'eftime que la plus » fçavante des tètes couronnées faifoit de nôtre Philofophe, & M comme le titre le plus authentique des fervices qu'il avoit rendus » à la Religion Catholique [en marge : en procurant la converfion » de cette PrincelTej, & de la piété avec laquelle il avoit tâché de » fe fanclifier luy-mème au milieu des Proteftans & des Etrangers » dans le iein de l'Eglife Romaine. Les reftes de l'inclination que » la Reine Chriftine confervoit pour la gloire des Etats qu'elle M avoit quitez, s'étoient réveillez à la nouvelle de l'enlèvement qu'on » avoit fait du corps de ion ancien Maître. M. le Chevalier de Terlon » [Lettr. de Terlon à d'Alibert, du 12 Juillet 166'j] {page 442) » ayant eu occafion de la voir depuis, elle ne put luy diiTimuler ce » qu'elle en penfoit ; & elle ajouta que, Ji elle avoit été dans le » Royaume, jamais elle n' aurait fouffert qu'on eût enlevé ce thréfor » de la Suéde; mais qu'elle V aurait fait tranjporter dans une Eglife, » aie elle l'auroit couvert d'un magnifique tombeau. » [Lettr. Mf. de » Clerf. à d'Alibert, du 23 Juin 1667. Lettr. de Terlon à d'Alibert, » du 12 Juillet 1667.] » « Au fortir de l'Eglife de fainte Geneviève, M. d'Alibert mena » quelques perfonnes qualifiées & qu"elques-uns des principaux » Cartéfiens qui avoient été de la cérémonie, chez le fameux » Bocqtiet, où il leur avoit fait préparer un fplendide & fomptueux » repas. Ceux des conviez dont la mémoire ne nous efl pas encore » échappée, étoient : M. de Montmor, Maître des Requêtes ; M. A'Or- » mejfon, Maître des Requêtes; M. de Gucdreville, Maître des » Requêtes; M. d'Amboile, fils de M. d'Ormeffon, qui a été depuis M Maître des Requêtes & Intendant à Lyon; M. de Fleury, alors » Avocat, & maintenant Abbé du Locdieu, fous-Précepteur de » Monfeigneur le Duc de Bourgogne & de Monfeigneur le Duc » d'Anjou; M. de Cordemoy, aufli Avocat, & depuis Lecteur de » Monfeigneur: M. Rohault, gendre de M. Clerfelier & chef des » écoles Cartéfiennes; M. Au:;^out, Mathématicien, qui demeure pré- » fentement à Rome; M. Le Laboureur, Bailly de Montmorency; n M. Petit, Intendant des Fortifications, dont nous avons fouvent » eu occafion de parler dans cet ouvrage; M. Denjs (Jean-Bapt.), » Médecin ordinaire du Roy; M. Clerfelier, qui faifoit les honneurs » de la fête avec M. d'Alibert, M. Fedé fut auiTi du feftin, & I) l'écrets qu'il (Descartes) luy avoit dreffez (à la reine de Suède), pour luy » apprendre la manière de vivre heureufe devant Dieu & devant lesi » hommes ». (Page 432.) Ces mémoires sont-ils définitivement perdus- �� � Appendice. 6o^ » quelques autres encore, qui fans y avoir été invitez le jeudy 23 » du mois comme les douze premiers, s'étoient affûrez d'y être trés- » bien reçus. On n'y omit rien de ce qui pouvoit le plus contribuer » à bien folennifcr la mémoire de M. Defcartes. Mais [Lettr. Mf. de » Clerf.^ de la Jin de Juin lôô-j] quelqu'un de la compagnie, en belle » humeur fur la fin du dîner, voyant que perfonne n'avoit pris le » parti des Péripatéticiens, fe leva foudain fur fon fiége & s'écria, » en fautant comme s'il avoit voulu prendre la fuite, en leur nom : Hojlis habet muros, ruit alto à culmine Troja. » Le neuvième jour d'après, qui étoit un Dimanche, troifiéme jour » de Juillet, i\l. d'AIibert, M. Clerfelier & M. Rohault furent priez » à diner par le P. Général de fainte Geneviève, & M. Rohault fit » après le repas diverfes expériences de l'aimant, pendant la récréa- » tion des Pères de la maifon. » (Baillet, loc. cit., t. II, p. 433-442.) ��XIV. Tombeau a Sajntk-Geneviève-du-Mont. (1C67-1792.) Ce qui suit est la fin du même chap. xxiii, livre VII, du tome II de La Vie de M. Des^Cartes, par A. Baillet, 1691, chapitre repro- duit ci-avant, p. 694-605. L'épitaphe française serait de Gaspard Fieubet, conseiller d'État, mort en 1694. « Les foins de M. d'AIibert fe terminèrent enfuite à faire dreffer » fur le tombeau de M. Defcartes un marbre contre la muraille, » contenant la repréfentation de fon corps en fculpture avec une » belle Epitaphe au bas du bufle (elle ne fut mife en place que fur » la fin de l'an 1669), dont les vers françois font de la veine de l'un » des plus illuftres & des plus fçavans Magiftrats qui compofent » aujourd'huy le Confeil du Roy. Mais l'infcription latine que l'on » y a jointe, eft de M. Clerfelier, quoique plufieurs veuillent encore » maintenant l'attribuer au Père l'AlIcmant, Chancelier de l'Uni- » verfité. Voicy l'une & l'autre infcription de l'Epitaphe : Descartes, dont tu vois icf lafepulture, A deffillé les yeux des aveugles mortels. Et gardant le refpeâ que l'on doit aux Autels, Leur a du Monde entier démontré lajtruélure. �� � 6o6 Vie de Descartes. Son nom par mille écrits Je rendit glorieux ; Son efprit, mefiirant & la Terre & les deux. En pénétra l'abime, en perça les nuages : Cepettdant, comme un autre, il cède aux loix du fort, Luf qui vivrait autant que /es divins ouvrages. Si le Sage pouvait s'affranchir de la mort. D. O. M. RENATUS DESCARTES. ViR fupra titulos omnium retro Philofophorum, Nobilis génère, Armoricus gente, Turonicus origine, In Gallià Flexiîe ftuduit ; In Pannonià miles meruit ; In Batavia Philofophus delituit ; In Suecià vocatus occubuit. Tanti Viri preciofas reliquias Galliarum percelebris tune Legatus Petrus Chanut Chriftinœ Sapientiffima» Reginte Sapientium amatrici Invidere non potuit, nec vendicare Patriae : Sed quibus licuit cumulatas honoribus Peregrina» terrœ mandavit invitus, Anne Domini i65o, menfe Februario, œtatis 54°. Tandem poft xvii annos, In gratiam Chriftianiffimi Régis LuDovici XIV, Virorum infignium cultoris & remuneratoris, Procurante P^/ro d'Alibert, Sepulcri pio & amico violatore, Patriœ redditœ funt : Et in ifto Urbis & Artium culmine pofitae. Ut qui vivus apud Exteros otium & famam quasfierat, Mortuus apud fuos cum laude quiefceret, Suis & Exteris in exemplum & documentum futurus. I nunc, viator : Et Divinitatis immortalitatifque Animœ Maximum & clarum Affertorem. Aut jam crede felicem, Aut precibus redde. �� � Appendice. 607 Ce tombeau demeura à Sainte-Geneviève jusqu'en 1792. Cepen- dant on crut en France, notamment dans la famille de Descnrtes, qu'une partie au moins de ses restes avait été retenue en Suède. Arckenholtz ne manque pas de le rappeler, dans ses Mémoires concernant Chriftitie, etc., i^Si, t. I, p. 228-229; il ajoute dans une note sur le philosophe : « Son parent, Mr. Joachim Defcartes, avoit intention de faire » conrtruire un autre Monument à l'endroit où René Defcartes fut » enterré, & où, comme il dit, une partie des cendres & du refte » du Défund fe trouvoit encore. Mais ce deffein n'a pas été » exécuté. Cependant nous mettrons ici l'infcription que fon » Parent auroit mile fans cela fur ce Monument : « Carthefius (Joachimus), Gallus, Renati Affinis, Régi Galliarum » à Confiliis Militarifque Difciplina; Prasfedus, durabilius & » magnificentius Monumentum Renato Affini fuo in Cœmiterio » ad S. Olaum Suburbii Orientalis vulgo Nordermalm propediem » exftrui curabit in forma Pyramidis marmoreae plane iiluflris : » cujus primum latus habebit antiquam Infcriptionem ; alterum, » D. O. M. Régnante Chrijiina &c.; tertium fequentem, & novam » quartum [V. Joh. Tepelii Hijl. Philofophia: Carthef., pag. 85 » & 86] : Adfta, Viator, & lege. Hic inter Parvulos conditus ejt anno MDCL Vir morum ftmplicitate & innocentia vere parvulus, Atingenii fubtilitate maximus, RENATÙS DESCARTES. Galliarum totiufque Orbis Philofophus Qualis quantujque fuerit, intelligcs ex infra fcriptis elogiis, Caduco infortnique antehac tumulo A Viro Nobili Petro Chanul Galliarum tune Legato appqfilis ; Hujus quidem ojfa curis & fumtibus Generoji Pétri D'Alibert Generalis Franciœ Quccjloris Hinc eruta Lutetiam tranjlata funt anno MDCLXl^I, Et in ^-Ede S. GenovevcE pojita : Sedexuviarum Ej us pars non exigua hoc fuperejl loco, Quam ut pro Viri meritis decoraret Illujlrijf. Joa. Anton, de Me/mes Eques, Cornes d'Avaux, Ludov. XIV Régi Chrijîianijfimo à Secretioribus Confiliis. Regiorum Ordinum Commendator eorumque Ceremoniis prœpofitus/ummus Magi/ter, �� � Ad Rempublicani Venetam, dein Batavam. Hinc ad Jacobum II, Magnœ BritaunLv Regcm in Hibernid degentem, Tum ad Carol. XI et XII Suecice Reges Legatus, Pro ïtifila Memmiorum Genti erga Literas & Literatos propenfione Ad Philofophice honorent & Gallici nominis immortalitatem Immortalis memorice Philofopho, Gallix Decori, M. Decembr. MDCLXVII. « Hanc qualemcunque Inlcriptionem Illurtrill’, Galliarum Legato » vovei & confecrat illius Author Edmundus Pourchotius Senenfis. ») Jur. Utr. Lie, Academiae ParifienL Reclor Antiquus & emeritus » Philof. Profeff. ». »

XV.
Panthéon et Elysée.

1 1791-1819.;

Cette note est empruntée, pour la première partie (Panthéon). à un article signé P. J. {Paul Janet?) de L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, année 1890, p. 220-224, n° du 10 avril.

« Le 12 avril 1791, le président de l’Assemblée nationale donne lecture d’une pétition de M. le Prestre de Chateaugiron, lequel sollicite un décret, qui accorde à Descartes, son grand-oncle, l'honneur d’être placé où doivent être déposées les cendres des grands hommes^. Le manuscrit original de la pétition a été retrouvé dans

a. La date de cette inscription est certainement fautive. Edme Pourchot, né le 5 sept. 1651, ne fut recteur qu’en 1692, puis en .1693, puis cinq fois encore de 1694 jusqu’à sa mort, le 32 juin 1734. Quant à Jean-Antoine de Mesmes, comte d’Avaux, qui vécut de 1640 à 1709. il fut ambassadeur à Venise de 1671 à 1674, ^" Hollande de 1678 à 1688. auprès de Jacques II en Irlande l’année 1689. enfin à Stockholm de 1693 à 1700, auprès de Charles XI jusqu’à la mort de celui-ci, le 5 avril 1697, ensuite auprès de Charles XII. L’inscription serait donc au plus tôt de décembre 1697.

b. Voir pour la filiation du pétitionnaire, ci-avant p. 11-12, note b : fin de la descendance de Pierre Descartes de la Bretallière, frère aîné du philosophe. une vente ; la pièce tout entière est un autographe de Condorcet. La voici in-extenso :

« Un petit-neveu de Descartes, le fils de la dernière descendante de ses frères, ose solliciter un décret, qui accorde à ses cendres l’honneur d’être placées dans le Temple que l’Assemblée nationale a consacré aux Manes de nos grands hommes. »

« Descartes, éloigné de la France par la superstition et le fanatisme, est mort dans une terre étrangère. Ses amis, ses disciples voulurent que du moins il eût un tombeau dans sa patrie. Son corps, transporté par leurs soins, fut déposé dans l’ancienne église de Sainte-Geneviève ; il leur paraissoit que celui qui avoit rétabli la raison humaine dans ses droits, devoit être placé au milieu des écoles publiques, où l’on s’appliquoit à former celle des générations naissantes, afin que ses cendres écartassent à jamais les préjugés de ce lieu consacré par elles. Ils lui avaient préparé un éloge public ; mais la superstition défendit de louer un philosophe, l’orgueil ne permit pas d’honorer un particulier qui n’étoit qu’un grand homme, et si le prince royal aujourd’hui roi de Suède n’avoit voulu consacrer par un monument[395] l’honneur qu’avoit eu son pays de servir d’agile à la philosophie persécutée, aucune distinction publique n’auroit vengé l’apôtre de la raison des amertumes auxquelles la haine de ses ennemis l’avoit condamné. »

« Mais cette longue attente peut être plus que réparée : celui qui, en brisant les fers de l’esprit humain, préparait de loin l’éternelle destruction de la servitude politique, semblait mériter de n’être honoré qu’au nom d’une nation libre ; et le sort l’a servi d’une manière digne de lui, en le préservant des honneurs que l’orgueil du despotisme aurait souillés[396]. » 6io Vie de Descartes.

« Sur la proposition de son président, l'Assemblée renvoya cette » pétition à l'examen du Comité de Constitution. Elle ne fut rap- » portée que le i^ octobre 1793, par Marie-Joseph Chénier, qui » proposa à la Convention, au nom du Comité d'instruction » publique, de placer Descartes au Panthéon. Son discours très » éloquent détermina l'Assemblée à rendre ces décrets :

DÉCRETS

DE LA

CONVENTION NATIONALE

Des 2 et 4 octobre lygS, l'an second de la République Françoise

une et indivisible,

qui accordent à René Descaries les honneurs dus aux grands Hommes, et ordonnent de transférer au Panthéon François son corps, et sa Statue faite par le célèbre Pa/oii.

i". Du 2 Octobre.

La Convention Nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité d'instruction publique, décrète ce qui suit :

Article Premier. René Descartes a mérité les honneurs dus aux grands hommes.

» gens de ce nom, qui ont reçu à ce titre une petite pension de l'ancien » gouvernement, et à qui je voudrois bien que l'Assemblée nationale la » conservât. » Cette note, qui prouve le bon cœur de Condorcet, est tout de même assez piquante : le philosophe du xviii" siècle reconnaît que l'ancien gouvernement, à qui il vient de reprocher son ingratitude envers le philosophe, accordait toutefois une pension à deux jeunes gens, comme portant le nom de Descartes ; et bien que ce fut indûment, il souhaite que le nouveau gouvernement continue de les pensionner. L'Intermédiaire ajoute, en note, que, selon le Moniteur du i5 janvier 1819, on pouvait voir, dans une des salles de l'hôpital Saint-Louis, le dernier descendant de Descartes, portant son nom, et qui venait d'obtenir une pension de Sa Majesté. — Remarquons, comme signe du temps, le langage de Condorcet à cette date de 1791, et comme signe d'un autre temps, celui de Silvestre de Sacy, au nom de l'Académie des Inscriptions, lors du transfert à Saint-Germain-des-Prés, le 26 février 1819. Il fera l'éloge de « ce philosophe religieux, qui enseigna aux hommes à arriver à la vérité » parle doute, mais qui leurapprit aussi par son exempleà ne pas franchir » les limites que la divine sagesse a mises en nos facultés ». Ainsi chaque génération 'la nôtre comme les précédentes; se figure toujours (en dépit de la vérité historique) un Descartes à sa propre image et ressemblance.

�� � Appendice. 6i i

II.

Le corps de ce philosophe sera transféré au Panthéon François.

III.

Sur le tombeau de Descartes, seront gravés ces mots :

Au nom du Peuple François,

La Convention nationale

à René Descartes,

1793, l'an second de la république.

IV.

Le Comité d'instruction publique se concertera avec le ministre de l'intérieur pour fixer le jour de la translation.

V.

La Convention nationale assistera en corps à cette solennité ; le Conseil exécutif provisoire et les différentes autorités constituées dans l'enceinte de Paris, y assisteront également.

Visé par l'inspecteur : S.-E. Monnel.

Collationnée à l'original, par nous président et secrétaires de la Convention nationale. A Paris, le seizième Jour du premier moi de l'an second de la république une et indivisible. Signé : L.-J. Chaklier, président; Pons (de Verdun) et Louis (du bas Rhin) secrétaires.

2°. Du 4 Octobre.

La Convention nationale décrète que la statue de Descartes, faite par le célèbre Pajou, et qui se trouve déposée dans la salle des antiques, en sera extraite pour être placée au Panthéon le jour où les cendres de ce grand homme y seront transférées ; autorise le ministre de l'intérieur à faire tous les arrangemens et ouvrages nécessaires pour remplir cet objet.

^Voir Revue Philosophique, Janvier 1881, p. 89-90.)

« Les graves événements politiques qui se succédèrent après ces » décrets en firent oublier l'exécution, et la Convention termina sa » session sans fixer le )our où Descartes devait recevoir l'hommage » de la reconnaissance nationale. »

« Le 3o janvier 1796, l'Institut invita lé Conseil des Cinq-Cents

�� � 6i2 Vie de Descartes.

» il donner suite aux décisions de la Convention. Cette pétition fut » appuyée par un message du Directoire, en date du i8 avril 1796. » Le gouvernement y proposait à l'Assemblée, que la translation » des cendres de Descartes au Panthéon servît de base à la Fête de » la Reconnaissance, fixée au 10 prairial, et dont l'objet principal » était de consacrer les noms des grands hommes qui avaient bien » mérité de la patrie. La commission chargée de l'examen du mes- » sage déposa son rapport le 7 mai 1796. Le rapporteur approuvait » les conclusions du gouvernement, et proposait de fixer cette » apothéose au 10 prairial. Il fut combattu très vigoureusement par » un député", qui s'opposa à ce que le Corps législatif se transfor- )> mât en Corps académique. Descartes, dit cet orateur (dont nous » ne connaissons pas le nom), est la principale cause des malheurs » qui depuis longtemps ont désolé l'espèce humaine... Ses ouvrages » sont remplis d'erreurs... Je demande que le Corps législatif laisse » Descartes vivre ou mourir dans ses ouvrages. » Ce discours fit » voter l'ajournement du projet. Descartes ne devait jamais reposer » au Panthéon. »

« Toutefois les décrets de la Convention avaient reçu un com- » mencement d'exécution. Le corps, enlevé de Sainte-Geneviève, » avait été déposé au Jardin Elysée des Monuments français, pour » y attendre l'apothéose officielle. »

« Les cendres de Descartes y restèrent, à titre provisoire, con- » servées dans une urne de porphyre (?) jusqu'en 1816, époque de » la suppression de l'admirable création de Lenoir. On proposa à » cette époque de placer les restes de Descartes au Père-Lachaise*".

a. Delamhre, Histoire de l'Astronomie moderne, x. II, 1821, p. 200, assure que ce fut Mercier, « qui alors aimait Newton, et qui n'aimait plus » Descartes, dont cependant il avait autrefois composé l'éloge ». Voir Le Censeur des Journaux (Paris, Gallais), n° du 4 juin 1796 (16 prairial IV) : lettre de Mercier, humoristique, contre Voltaire. Elle commence ainsi : « Venez à mon secours, mon cher Censeur; les prétendants au Panthéon » ne sont pas aussi paisibles que ses habitants ; et l'on m'assure que mon » opinion sur Voltaire et Descartes m'a fait beaucoup d'ennemis. •>

b. En réalité, certains corps, déposés aussi au Jardin des Monuments français, furent transportés au Père-Lachaise, mais non les restes du philosophe. Voir A. Lenoir, Musée des Monumens français (Paris, chez Nepveu, t. VIII, 1821), p. 171-172 : « Transport des corps de Molière, » de Jean de La Fontaine, et d'Héloïse et d'Abailard, au cimetière du » Père Lachaise, conformément à l'arrêté du 28 février 18 17, de » M le Préfet du département de la Seine. » La remise des corps de

�� � Appendice. 6ij

» Ce projet fut rejeté, et l'on décida de les inhumer, avec c'eux » de Mabillon et de Montfaucon, en l'église Saint-Germain-des- » Prés. »

Tout cela est exact. Si Descartes n'obtint pas les honneurs du Panthéon, il eut au moins ceux des Champs Élysées, ou plutôt de ce que Lenoir appela l'Élj'sée. Voir tout un chapitre du tome V de son Musée des Monumens français (Paris, imp. Hacquart, 1806), p. 171-204. On y trouve neuf planches intercalées dans le texte (pi. 196-204 inclus), dont la première et la dernière donnent des Vues du Jardin Élj'sée, l'une « prise du côté du Tombeau d'Héloyse », et l'autre justement « prise du côté du Tombeau » de René Descartes ». Les sept planches intermédiaires donnent des Vues de Tombeaux, dans l'ordre suivant : Descartes, Rohault, Molière, La Fontaine, Mabillon, Montfaucon et Boileau. Tous ces tombeaux avaient été exécutés sur les dessins de Lenoir lui-même. « Le sénat français (dit-il ailleurs) a rendu plusieurs décrets en » faveur des sépultures particulières, et les monumens que j'ai » élevés sur mes dessins, et qui contiennent les corps de Descartes, » de Molière, de La Fontaine, de Mabillon, de Montfaucon et de » Turenne, sont une suite de sa reconnaissance en faveur des » talens. » [Description historique et chronologique des Monumens de sculpture réunis au Musée des Monumens français, 7* édii., Paris, An XI-i8o3, p. 289.) Ce même ouvrage donne immédiate- ment après ces lignes, p. 289, la description suivante : « N° Soj . » Urne sépulcrale de René Descartes. Sarcophage en pierre dure, » et creusé dans son intérieur, contenant les restes de René Des- » cartes, mort en Suède en i65o, supporté sur des griffons, » animal astronomique, composé de l'aigle et du lion, tous deux » consacrés à Jupiter, et l'emblème du soleil dont ils représentent » le domicile. Des peupliers, dont la cime monte jusqu'aux nues, ». des ifs et des fleurs, ombragent ce monument, érigé au père de la » philosophie, à celui qui le premier nous apprit à penser. » Le même texte se retrouve, p. 195-196 du chapitre cité plus haut, avec deux lignes en plus : « On lit sur ce monument cette seule inscrip- » tion : Restes de René Descartes, mort en Suède en i65o. » Et de même que la pétition pour transférer le philosophe au Panthéon,

Molière et de La Fontaine se fit le 6 mars suivant (1817) et celle des corps d'Héloïse et d'Abailard, seulement le i-ô juin 1819. Plus loin, p. i83, parmi les << Objets rendus ou donnés aux Églises », Lenoir men- tionne, pour Saint-Germain-des-Prés, « les corps de René Descartes, de » Boileau, de Mabillon et de Montfaucon ».

�� � 6 14 Vie DE Descartes.

était de la main de Condorcet : de même c'est une page de Condorcet encore, tirée de son Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, que Lenoir invoque, p. 192-193, pour mettre sous l'autorité d'un grand nom le projet qu'il réalisa d'un Jardin Elysée, ou tout simplement d'un Elysée.

��XVI.

Tombeau a Saint-Germain-des-Prés.

(,819.)

Les restes de Descartes demeurèrent dans le Jardin du Musée des Monuments français (voir ci-avant, p. G 12-6 14), de 1792 à 18 19. Voici ce que l'on trouve, à ce sujet, dans la Description historique et chronologique des Monumens de sculpture, réunis au Musée des M onumens français, par Alexandre Lenoir, Fondateur et Adminis- trateur de ce Musée, (p. 229-231 de la y"" édition. An XI-i8o3, de

la République).

N° 180.

De Sainte-Geneviève.

Médaillon en terre cuite, de René Descartes, mort en Suède en i65o, posé sur une espèce de colonne en marbi-e blanc, sur laquelle on lit les inscriptions suivantes.

La première, qui est en latin, est du Père Lallemand, chanoine régulier de Sainte-Geneviève ; la seconde, eu français, est de Gaspard Fieubet, conseiller d'État, mort en i6g4.

Suit le texte des deux inscriptions, publiées ci-avant, p. Go5-6o6, dans l'ordre inverse.

Lorsque le Musée des Monuments français fut supprimé, les restes de Descartes furent transportés dans l'église la plus proche, qui était Saint-Germain-des-Prés, le 26 février 1819, ainsi que l'atteste le document qui suit :

EXTRAIT DU « MONITEUR » DU 1*' MARS 1819 (p. 247).

Procès-verbal de la remise, à MM. les commissaires de M. le préfet de la Seine, des restes de Descartes, Mabillon et Mont- faucon, qui étaient déposés dans le jardin des Petits- Augustins.

« En vertu des instructions de Son Exe. le ministre secrétaire

�� � Appendice. 6i^

» d'Etat de l'intérieur, en date du i8 février courant, et d'après les » dispositions faites par M. le comte de Chabrol, conseiller d'État, » préfet du département de la Seine, pour la translation, dans » l'église de Saint-Germain-des-Prés, des restes de René Descartes, » Jean Mabillon et Bernard Montfaucon, déposés dans le jardin des » Petits-Augustins, les cendres de ces hommes illustres ont été » extraites, aujourd'hui vingt-six février mil huit cent dix-neuf, à » onze heures du matin, des tombeaux qui les renfermaient, en » présence de M. Ch. J. Delafolio, conservateur des monuments » publics, délégué par le ministre, de M. Sobry, commissaire de » police, d'une part, et de l'autre, de M. le chevalier Piault, » maire du lo' arrondissement, de M. Dclaborne, son adjoint, » et de MM. Laribbe et Godde, délégués par le préfet de la » Seine. »

« Les cendres ont été recueillies avec une religieuse attention » dans trois cercueils de chêne, préparés à cet effet, lesquels, après » avoir été fermés et scellés avec le cachet de la conservation des >< monuments et du commissariat de police, ont été transportés » dans la grande salle des dépôts des Petits-Augustins, où se trou- » valent réunies, pour assister à leur translation, deux députa- » tions, l'une de l'Académie des sciences, l'autre de l'Académie » des inscriptions et belles-lettres de l'Institut. »

« Le conservateur des monuments sus-nommé a fait alors remise, » à M. le chevalier Piault, maire du lo*^ arrondissement, à son » adjoint, à MM. les commissaires du préfet de la Seine, des trois » cercueils clos et scellés ainsi qu'il a été dit, et contenant les restes » de René Descartes, Jean Mabillon et Bernard Montfaucon, pour » être, selon les dispositions projetées par M. le préfet, transférés » dans l'église de Saint-Germain-des-Prés. »

« En foi de quoi M. le maire du lo* arrondissement, ses adjoints, » les commissaires de M. le préfet et le conservateur des monu- » ments, ainsi que M. Sobry, commissaire de police, ont signé le » présent procès-verbal pour servir et valoir à ce que de raison, »

« Fait à Paris, les jours, mois et an que dessus. »

« Signé : Piaui.t, D"i,aborne, Ch.-J. Delafolie,

Sobry, Laribbe, Godde. »

Les restes de Descartes reposent maintenant à Saint-Germain- des-Prés, dans la chapelle du Sacré-Cœur, au bas-côté droit, seconde chapelle après la sacristie; ils sont placés entre ceux des

�� � <^r6 Vie de Descartes.

deux bénédictins Mabillon et Montfaucon; on a mis devant les cendres du philosophe l'inscription suivante, gravée sur le marbre :

MEMORIAE

RENATI • nESCARTHS

RECONDITIORIS • DOCTRINAE

LAUDE

1;t • INGENH • SVBTILITATE

PRAECELLENTISSIMI,

QVI-PRIMVS

A- RENOVATIS'IN'EVROPA

BONARVM • LITTBRARVM • STVDIIS

RATIONIS • HVMANAK

JVRA

SALVA • KIDEI • CHRISTIANAE

AVCTORITATE

VINDICAVIT • ET • ASSERVIT.

NVNC

VERITATIS

QVAM • VNICE • COLVIT

CONSPECTV

FRVITVR.

Les restes de Descartos se trouvent places entre ceux de Mabillon et de Montfaucon ; au-dessous des trois inscriptions relatives à ces hommes célèbres, on en lit une collective, qui serait, comme les prc'cédentcs, de M. Petit-Radel, membre de l'Institut :

QVORVM • CINERES • RELIGIOSE • PRIMVM • LOCVLIS • SVIS • CONDITOS • DKHINC • COMMVNl • FATO • PER • XXV • ANNOS | INTKR • PROFANA • EXVLES • QVVM • TERRAE • SACRAE • RE NOVATA • PIARVM • EXEQVIARVM • POMPA • REDDERENTUR j REGIA • INSCRIPTIONVM • ET • HVMANIORVM • LITTERARVM • ACADEMIA I TITVLIS-ADSCRIPTIS-SERIORIBVS-AETATIBVS' COMMENDAVIT • XXVI • KEBR • MnCCCXIX.

Quant au médaillon en terre cuite et aux deux inscriptions sur marbre, qui faisaient partie du tombeau de Descartes en l'Église Sainte-Geneviève, et qui furent aussi transporte^ en i']Ç)2 au Musée des Monuments français, on les trouve maintenant au Musée de Versailles.

�� � Appendice. 617

��XVII.

Crâne prétendu de Descartes au Muséum.

Le Muséum d'Histoire naturelle à Paris possède, dans ses col- lections anthropologiques, un crâne qui passe pour avoir été celui de Descartes. Les documents relatifs à ce crâne se trouvent consi- gnés dans un Registre au Laboratoire d'anthropologie du même Muséum. Ils comprennent :

1° Une lettre de Ber^elius à Cuvier, datée de Stockholm, 6 avril 1821. Le chimiste suédois, membre de l'Acadi^mie des Sciences de Stockholm depuis 1808, et même Secrétaire perpétuel depuis 1818, était venu à Paris en 1819 {l'année de la translation des restes de Descartes à Saint-Germain-des-Prés). De retour en Suède, une occasion s'offrit, dont il profita aussitôt, d'être agréable à l'Aca- démie des Sciences de Paris, dont plusieurs membres étaient devenus ses amis, entre autres Cuvier.. Il lui envoya donc un crâne, qu'il venait d'acquérir tout exprès, et qu'on disait être celui de Descartes.

2° Deux notes de l'astronome Delambre, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences depuis i8o3 (il en était membre depuis 1792), lesquelles devaient être annexées aux procès-verbaux des séances de l'Académie. La première note est du 8 mai 1821, pour la séance du 14 mai; et la seconde note, du 17 octobre 1821. Delambre, qui avait soixante-douze ans (il mourut l'année sui- vante, le 19 août 1822, et il était né le 19 septembre 1749), discute l'authenticité du crâne en question, et demeure dans l'incertitude.

A ces trois documents, qu'on peut voir au Muséum, nous en ajouterons trois autres, qui appartiennent à la collection du baron Georges de Courcel. Ce sont trois lettres, datées des i5, 16 et 19 mai 1821. La première est une demande de renseignements, adressée par Cuvier à Alexandre Lenoir, sur la translation des restes de Descartes du Musée des Monuments français à Saint- Germain-des-Prés en 1819, et même aussi sur la translation de ces mêmes restes de l'église Sainte-Geneviève au Musée en 1792. La seconde lettre est la réponse de Lenoir; et la troisième, le remer- cîment de Cuvier. Il demeure perplexe ; toutefois, sauf une diffi- culté qui l'arrête encore, il penche plutôt pour l'authenticité du crâne.

V» DE Descartes. jH

�� � ôi8 Vie de Descartes.

Lettre de M. Ber:{elius à M. le baron G. Cuvier.

« Stockholm, ce 6 avril 1821. « Monsieur,

« Je vais avoir l'honneur de vous faire une communication assez » curieuse. Dans une séance de votre Académie des sciences, où je » fus présent pendant mon séjour à Paris, j'entendis le rapport fait » par des Membres de l'Académie qui avaient été présents au trans- » port des ossements de Descarte^, je crois de l'Eglise de Sainte- » Geneviève à un autre endroit. On y annonça qu'il y avait des » parties manquantes au squelette, et si je ne me trompe, que » c'était la tête qui manquait. Quelqu'un parmi les Académiciens » répondit alors, que les ossements de Descartes, étaient arrivés de » Suède dans cet état incomplet. Cette circonstance me frappa. » Une chose qui avait appartenu à Descartes, était certainement » une relique précieuse ; mais ôter une partie si essentielle de sa » dépouille mortelle redemandée par la patrie de ce grand homme, » me parut un sacrilège, que l'on ne devait reprocher aux Suédois, » sans en être bien assuré. »

« Mais quelle fut ma surprise, lorsqu'il y a un mois, je lus » dans une de nos Gazettes, que parmi les effets de feu M"^ Sparr- » man on venait de vendre à un encan le crâne de Descartes pour » la valeur de 87 francs. En me rappellant ce que j'avais entendu à n Paris, je me décidais à me procurer cette tête; car même si elle » n'était pas de Descartes, je trouvais indécent qu'une tète qui pas- » sait pour la sienne, fût peut-être vendue encore une fois comme » un objet de curiosité. Par un heureux hazard, j'appris que ce » crâne venait d'être acheté par un certain M Arugren. Je lui » proposais de me le céder au prix qu'il voudrait bien fixer, » afin que je pusse l'envoyer à Paris, pour être joint aux autres » restes du célèbre Philosophe français. M"^ Arugren eut la com- » plaisance de me dire que, pour un but si louable, il consentait à » me céder le crâne au prix qu'il l'avait acheté lui-même. »

i( Notre Ministre à Paris, M"" le comte de Lœvenhielm, qui partit » d'ici avant hier, a eu la complaisance de se charger du transport » de cette relique, dont je vous prie, Monsieur, de faire l'usage que » vous jugerez convenable. »

« Il est impossible de déterminer avec certitude, que le crâne en » question est en effet celui de Descartes ; cependant les probabi- » lités en faveur de cette idée sont très grandes, puisque la plupart^

�� � Appendice. • 619

» des possesseurs y ont signé leurs noms, de manière qu'on peut » presque tracer la succession df l'un à l'autre. Sur le milieu de » Vos/rontis, on trouve un nom, presque effacé par le temps, dont » on peut déchiffrer /. S' Platistrom, sous lequel l'écriture est » effacée, mais on y distingue le mot tagen, qui veut dire pris et » les nombres 1666. Par une main plus moderne il y a là-dessous » ce qui suit en traduction : Le crâne de Descartes, pris par » /. S' Planstrom l'an 1666, lorsqu'on devait renvoyer le corps en » France. Sur le haut de ce même os, on a écrit ces vers latins :

Parvula Cartesii fuit hœc calvaria Magni.

Exuvias reliquas Gallica busta tegunt ; Sed laus ingenii toto diffunditur orbe,

Mistaque Ccelicolis mens pia semper ovat.

« On ne trouve pas qui en fut le possesseur après Planstrom, » mais on voit que 85 ans plus tard, ce crâne se trouvait dans la » possession d'un célèbre érrivain Suédois, Anders Anton von » Stjernman, qui y a mis son nom avec l'année 1751. Après lui, » Olaus Celsius le fils (Évêque de Lund) en a été le possesseur, et » après lui l*" crâne a passé entre les mains de MM. Hœgerflycht, » Arkenholtz, Ahgren, Sparrman, Arugren ; et enfin, en droit du » dernier possesseur, je vous prie. Monsieur, de lui donner une » place auprès des Exuvias retiquas quas Gallica busta tegunt, si vous » croyez la probabilité, qup ce crâne soit été celui de Descartes, » assez grande pour lui mériter cette place. »

Cuvier était l'un des deux secrétaires perpétuels de l'Académie des Sciences; et c'est pour cela que Berzelius, qui le connaissait mieux sans doute, s'était adressé à lui. L autre secrétaire perpétuel, Delambre, rédigeaj à la date du 8 mai 1821, une assez longue note pour être annexée au procès-verbal de la séance de l'Académie du 14 mai. Reprenant le récit de Baillet (voir ci-avant, p. 594-605), Delambre en tirait une série défaits, et à chacun deux il ajoutait ses réflexions. Rien, à vrai dire, dans les faits, ne laissait supposer qu'aucun fragment des restes de Descartes (sauf un seul) eût été soustrait, lors de l'exhumation à Stockholm en 1666; au contraire, certains détails de la cérémonie, ainsi que les précautions prises, semblaient même exclure par avance une telle supposition. Nous citerons cette partie capitale de l'argumentation de Delambre, sur le passage de Baillet, rapporté ci-avant, p. 597-598 :

« ...Ici, il n'est fait aucune mention du crâne. Il est à croire » qu'il est compris sous la dénomination générique d'os. Le crâne

�� � 620 VrE DE Descartes.

» détaché permettait de donner moins de longueur au cercueil » nouveau, il en a été fait une mention particulière. Les os se sont » trouvés détachés, ainsi qu'on V avait présumé, et on les coucha sur » les cendres. S'il en eût été autrement et que le crâne eût entière- » ment disparu, on aurait eu grand soin de l'exprimer... »

« En voyant avec quelle discrétion l'ambassadeur, qui préside » à la cérémonie et qui règle tous les détails du transport, demande » un os de la matn, ne pourrait-on pas en induire, qu'il n'a pas osé » demander le crâne tout entier, qui plus encore qu'un os de la » main pouvait être censé avoir été utile à la composition de ces » écrits immortels? Et s'il n'a pas osé le désirer, il a dû bien » moins encore permettre que ce crâne fût abandonné à un parti- » culier de Stockholm. S'il l'eût permis, on l'eût mentionné dans » le procès verbal. Il est fâcheux qu'on n'ait plus ces deux procès » verbaux, déposés dans le cercueil de cuivre. Aurait-on négligé de » les mettre dans une boette de métal? Le crâne était-il entièrement » dissous et fesait-il partie de cette cendre sur laquelle les os furent » couchés? N'en restait-il aucun fragment reconnaissable, et que » l'ambassadeur eût pu demander au lieu de l'os de la main? En » seize ans un crâne, renfermé dans un tombeau de pierre et dans » un cercueil de plomb, peui-il être tout à fait réduit en poussière ? » C'est ce que nous n'osons décider. . . »

Delambre passe ensuite a un autre ordre de considérations. Rapportant ce passage de Baillet, p. 445-446 : « Le corps de » M. De/cartes étoit d'une taille un peu au-dejfous de la médiocre. . . » Néantmoins, il paroiffoit avoir la tête un peu gi-offepar rapport au » tronc. Il avait le front large & un peu avancé, mais presque en tout » têms couvert de cheveux juf qu'aux fourcils..., la bouche affe^ » fendue, le ne^ ajfe^ gros, mais d'une longueur proportionnée à fa > grojfeur^ », Delambre ajoute : « M de Percy, en voyant le crâne

a. Voici le texte entier de Baillet: « ...Il paroiffoit avoir la tête un peu » greffe par rapport au tronc. Il avoit le front large & un peu avancé, » mais prcfque en tout têms couvert de cheveux jufqu'aux fourcils. Il » eut le teint du vifage affez pâle depuis fa naiffance jufqu'au fortir » du collège ; après il fut mêlé d'un vermillon éteint ou paffé, jufqu'à fa » retraite en Hollande; & depuis il parut un peu olivâtre jufqu'à fa mort. » Il portoit à la joue une petite bube qui s'écorchoit de têms en têms, & » qui renaiffoit toujours. Il avoit la lèvre d'en-bas un peu plus avancée » que celle de deffus, la bouche affez fendue, le nez affez gros, mais » d'une longueur proportionnée à fa groffeur ; les yeux d'une couleur » mêlée de gris & de noir ; la vùë fort agréable, û ce n'eft qu'elle parut

�� � Appendice. 621

» arrivé de Suède, dit qu'il annonçait un homme de petite stature ; » et c'est l'effet qu'il avait produit sur moi à la première vue : ce qui » s'accorderait fort bien à la première des indications de Baillet. » Mais si la tête paraissait un peu grosse par rapport au tronc, » elle aurait dû se rapprocher des dimensions communes d'une » taille ordinaire. On remarqua de plus une proéminence, qui » occupait presque en entier et sans aucune interruption tout » l'espace qui devait être bordé par les deux sourcils. Cette pro- » éminence n'est que faiblement indiquée dans la belle estampe » d'Edelinck, que Baillet a mise au frontispice de son histoire. On » remarque sur la même estampe un sillon longitudinal, qui monte » de la racine du nez vers le haut du front; ce sillon est très » sensible dans la médaille frappée en Hollande en l'honneur de » Descartes, et que Baillet nous montre, page 48 1. On pourra » vérifier, sur le crâne venu de Suède, si ce sillon existe au milieu » dii front, s'il est vertical, et s'il interrompt la proéminence dont » il est parlé ci-dessus; car cette interruption est très marquée, » tant sur l'estampe que sur la médaille. »

« Ce qui suit (ajoute Delambre) est un extrait d'une Histoire de » l'Astronomie Moderne, que je compte publier le mois prochain, » t. II, p. 200 :

« Pendant la révolution française, à la spoliation des églises, les » restes de Descartes avaient été déposés au Musée des monumens y> français ; en 181 g, ils furent transportés solemnellement dans » l'église de Saint-Germain-des-Prés. Là, on ouvrit publiquement la » caisse qui renfermait les ossemens. Sur une caisse intérieure était » attachée une plaque de plomb, sur laquelle, après l'avoir nettoyée, » nous pûmes lire une inscription fort simple, portant le nom de » Descartes, la date de sa naissance et celle de sa mort. Avant de » descendre les ossemens dans le caveau destiné à les recevoir, on » avait aussi fait l'ouverture de la caisse intérieure, et l'on en avait » tiré quelques ossemens, dont un seul avait une forme reconnais- » sable. C'était l'os de la cuisse; le reste était de très petites dimen-

» un peu trouble ou moins perçante dans les dernières années, quoi- » qu'elle fût bonne jufqu'à la fin de fes jours. [En marge : Borel. vit. » compend. — Clersel., Mem. Rél. MJf. &c.]. Il avoit le vifage toujours » fort ferain, & la mine affable, même dans le fort de la difpuie, le ton » de la voix doux, entre le haut & le bas, mc^ peu propre à pouffer un » long difcours fans interruption, à caufe d'uiK l'oibleffe de poitrine, & » d'une petite altération de poumon qu'il avoit apportée en naiffant. » (A. Baillet, La Vie de Monjieur Des-Cartes, 1691, t. II, p. 446.)

�� � 02 2 Vie de Descartes.

» sions, fort peu 7-emarquable, ou tout à fait réduit en poudre *. » « Voilà ce que j'écrivais en 1819, au retour de la cérémonie. » J'ajoute aujourd'hui ce peu de lignes :

« Je suis sûr de n'avoir vu aucun os qui ressemblât le moins du » monde à un crâne ou à un fragment quelconque de crâne. La » personne qui montrait ces débris, nous dit, en propres termes, » que rien n'avait conservé sa forme, sinon un os de l'une des » cuisses ; elle prit ensuite quelques poignées de poussière, pour » nous les montrer, et le reste de cette poussière fut tout simple- » ment, sans y toucher, versé dans le caveau, qui fut tout aussitôt » fermé d'une longue et large pierre. Personne pour le moment » ne songea au crâne; on le supposa réduit en poussière, comme » le reste, à l'exception d'un seul os et de quelques fragments fort » petits. Tous les os des bras, des jambes et des cuisses, à l'ex- » ception d'un seul, sont en poudre ou en minces fragments; il » n'est pas impossible qu'il en soit de même du crâiie, après cent » soixante-neuf ans. »

Delambre conclut ainsi : « Dans le doute, il paraît convenable » de supposer l'authenticité, de laquelle nous doutons beaucoup » cependant, et de conserver précieusement le don de M. Berze- » lius : sauf à demander quelques renseignements ultérieurs, s'il » peut se les procurer, ce qui est assez douteux, puisque sa lettre » d'envoi ne paraît pas celle d'un témoin bien convaincu. »

Et en tête de son premier mémoire, Delambre a ajouté cette note : « M"" Cuvier convient qu'il n'y a point de certificat, que ce certi- » ficat, s'il existait, ne signifierait rien ; il croit que le crâne est » celui de Descartes, parce qu'il -trouve de grandes conformités » avec l'estampe; et moi, je crois voir le contraire. » Cette note a peut-être été ajoutée après l'échange de lettres entre Cuvier et Lenoir, i5 et 16 mai. que nous verrons plus loin.

a. Cette page, citée par avance, se trouve, en effet, à l'endroit indiqué (p. 200), dans l'ouvrage imprimé : Histoire de V Astronomie moderne, par M. Delambre (tome second, Paris, veuve Courcier, 182 1, in-4). L'ali- néa se termine ainsi : « J'ai dit que ces restes avaient été transportés solen- » nellement, c'est-à-dire que cette pompe était celle d'un convoi ordi- » naire ; la cérémonie était présidée par le maire de l'arrondissement; » quelques membres de l'Institut composaient le cortège, et pour tout » chant triomphal on exécuta un Libéra et le Dies irœ [et ab hcedis me » séquestra) : on demanda à Dieu de ne pas confondre Descartes avec » les boucs et les réprouvés. » Dans ces dernières paroles reparaît le ton, volontiers sarcastique à l'égard des cérémonies du culte, d'un philosophe du xvui' siècle : l'astronome Delambre était né le 19 septembre 1749.

�� � Le second mémoire de Delambre, du 17 octobre 1821, relate et discute les premiers témoignages qui aient été imprimés sur un prétendu crâne de Descartes. Ils sont tirés d’ARCKENHOLTZ, Mémoires concernant Christine reine de Suède (4 vol. in-4, Amsterdam et Leipzig, chez Pierre Mortier, MDCCLI à MDCCLX). Au premier volume publié en lySi, on lit, p. 228 :

« ...On ne sauroit passer sous silence un fait, qui ne fera connu que de peu de personnes, que Mr. Hof Profeffeur au Collège de Skara en Weftro-Gothie vient de publier. [Lettre du Sr. Hoff, du 11 Mars 1750, dans les Gazettes liter. Suédoises, N° xxvii, pag. ioy-108.] C’efl que l’Officier des Gardes de la Ville de Stockholm, qui eut la commiffion de faire lever le cercueil de Descartes, de l’endroit où. il étoit enterré & de le transporter en France, àiant trouvé moien d’ouvrir la bière, il en ôta le crâne du défund Descartes, qu’il garda le refle de fes jours fort foigneuf entent, comme une des plus belles reliques de ce grand Philofophe. Après la mort de l’Officier, fes Créanciers, au lieu d’argent comptant, qui les auroit fort accommodés, ne trouvèrent guères d’autre chofe » que ce crâne, qui a pajfé depuis en d’autres mains. Surquoi » Mr. Hof dit que, l’àiant vu nouvellement che\ quelqu’un de fes » amis à Stockholm, qui fembloit en faire grand cas, il avoit fait » cette épigramme, pour être mife deJJ’us :

Parvula Cartefii ...»

Suit le quatrain que Berzelius a reproduit dans sa lettre, p. G19. ci-avant.

Neuf ans après, en 1760, Arckenholtz publia un quatrième volume des mêmes Mémoires. On y trouve, p. 232, la note sui- vante :

« [En marge : Tom. I, p. 228, «.] Au refle j’ai déjà marqué, à » l’endroit cité, qu’Ifaac Planftrom, Officier des Gardes de la Ville « de Stockholm, ôta le crâne de la bière de Des Cartes, qu’il y en » fubflilua un autre, & garda celui-ci comme une des plus belles » reliques de ce grand Philojophe. Il faut que je dife ici, qu’à mon » dernier voyage en Suède l’an ij 5 4, je fis l’acquifttion d’une partie » de ce crâne qu’on attefie être le véritable, & dont l’autre partie » repofe dans le Cabinet de feu Mr. de Hœgerflycht, qui fera échu à » quelqu’un de fa famille. »

Le crâne envoyé par Berzelius en 1819 parait bien être celui que signalait Arckenholtz en 1751 et 1760. Et pourtant, cet auteur déclare qu’il en a acquis lui-même « une partie »; or le crâne de 624 Vie de Descartes.

Berzelius est en entier, à moins que cette partie ne soit la mâchoire inférieure, qui manque en effet. Mais pour le reste, ce crâne porte bien les deux noms de Planstrom et d'HcegerJlycht, ainsi que le quatrain de Hof, trois choses que mentionne Arckenholtz. On y trouve même la suite des divers possesseurs, dont chacun a voulu inscrire son nom sur ce crâne : Planstrom, . . . Stjernman, Olaus Celsius, Hœgerflycht, Arkenholt^ (!), Ahgren, Sparrman, Arugren.

Mais il est évident que le premier est le seul dont le témoignage compte pour l'authenticité. Et c'est Planstrom, dont le nom se trouve accompagné d'une note en suédois, dont voici la traduction française : « Pris et gardé soigneusement par Is. Planstrom en » 1666, lors de l'envoi du cadavre en France, et depuis ce temps » caché en Suède. » Cartesii skalle, tillvaratagen af Is. Planstrom, da liket ahr 1666 skulle foras till Frankrike, och sedan har i Sver- rige gbmd.

Nous sommes donc ramenés à cette date de 1666, et nous retrouvons toutes les difficultés qui s'opposent au larcin du crâne, étant donné les précautions prises alors par Terlon et les déclarations que lui-même a faites.

Citons enfin, pour terminer, la correspondance échangée entre Cuvier et Lenoir, sur le même sujet. Le i5 mai, c'est-à-dire dès le lendemain de la séance de l'Académie où Delambre avait lu sa pre- mière note, Cuvier s'adressa à Lenoir : il dicta sa lettre à un secré- taire, qui écrivit sur du papier avec en-tête de l'Institut; la signa- ture seule est de Cuvier. Lenoir répondit sans retard, dès le 16 mai; la minute de cette réponse a été écrite par Lenoir sur la 3^ et la 4"= page en blanc de la lettre précédente, et c'est ainsi qu'elle a été conservée. Le remercîment de Cuvier, du 19 mai, est de sa main propre, sur papier libre.

INSTITUT DE FRANCE.

ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES.

« Paris, le i? mai 1821.

« Le Secrétaire perpétuel de l'Académie » A Monsieur Alexandre Lenoir.

« Je vous prie. Monsieur, de vouloir bien me dire ce que vous » pouvez savoir sur un fait qui peut contribuer à confirmer ou » à détruire l'authenticité de la tête envoyée dernièrement de

�� � Appendice. 62^

)) Stockholm à Paris, et qui passait en Suède pour être celle de » Descartes. »

« Il s'agirait de savoir si, lorsque les restes de ce philosophe ont » été portés aux Petits-Augustins, il y avait une tête ou quelque » partie de la tête. »

« M"^ Berzélius, qui était à Paris lorsqu'on déposa ces restes à » Saint-Germain-des-Prés, entendit raconter à l'une des personnes » qui avaient été présentes à la cérémonie, que la tête ne s'y trou- » vait pas, et qu'on la croyait restée en Suède ; M. Delambre, qui » a vu et examiné ces restes, assure aussi que l'on n'y appercevait » [sic] aucun fragment reconnaissable de tête. »

« Cependant M. de Terlon, Ministre de France en Suède, qui s'oc- » cupa en 1666 de renvoyer ce dépôt en France, paraît avoir pris de » grandes précautions pour en assurer l'intégrité ; il faudrait qu'il » eût été trompé par les personnes qu'il chargea de l'emballage. »

« Quoi qu'il en soit, si la tète y était au moment dont je parle, » on ne poufrait plus croire à la réalité de l'opinion qui régnait en » Suède ; dans le cas contraire, on n'aurait, à la vérité, pas encore » levé tous les doutes, mais on aurait du moins ajouté une proba- » bilité de plus à celles que l'on a déjà. »

« Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien agréer l'assurance de » ma haute considération. »

« B"" CuviER. »

Réponse.

■ Pans, le i6 mai 1821.

A M. le baron Cuvier.

« Monsieur le Baron,

« Je m'empresse de répondre à la lettre que vous m'avez fait » l'honneur de m'écrire, relativement aux dépouilles mortelles )' de René Descartes, déposées en 1667 dans l'Église Sainte-Gene- » viève de Paris, où elles sont restées jusqu'en 1792, époque où » cette basilique a été fermée au culte, conformément à une loi de » l'Assemblée législative. »

« En conséquence, MM. l'abbé Saint-Léger, Le Blond et moi, » nous nous sommes rendus dans l'Église pour y faire la recherche » du corps de Descartes; et nous fîmmes [sic] fouiller la terre auprès » du pilier, à droite en entrant, où était attaché le médaillon en » terre cuite et les inscriptions gravées sur marbre blanc, qui Vie de Descartks. 79

�� � 626 Vie de Descartes.

» formaient le mausole'e de Descartes. A très peu de profondeur en » terre, nous trouvâmes les restes d'un cercueil de bois pourri et » quelques ossements très frustres [sic] et en très petite quantité, » c'est-à-dire : une portion du tibia, du fémur, et quelques frag- » ments d'un radius et d'un cubitus. »

« Je vous prie de remarquer, Monsieur le Baron, que ces frag- » ments, au lieu d'être en double comme ils se seraient présentés » si le corps eût été déposé là dans son entier, étaient uniques et » isolés des autres parties du squelette, qui manquaient. Cependant » nous avons trouvé une très petite partie d'un os plat, d'un tissu » serré, qui nous a paru [sic] être un fragment du crâne, comme » pourrait le présenter le frontal. Cette partie était si peu spon- » gieuse, que j'en ai fait faire plusieurs bagues (ces bagues ressem- » blaient à une agathe spongieuse) ; je les ai offertes à des amis de » la bonne philosophie. Je n'affirme pas qu'elle soit précisément » du crâne, mais elle en avait tous les caractères. Ce détail est » seulement pour prouver la petitesse du morceau. »

" Tout ceci, Monsieur le Baron, confirme l'opinion qui existe » encore en Suède, et le bruit qui s'y répandit lorsqu'on fit la remise » du corps de Descartes au trésorier de France M Dalibert ; on » disait : qu'il n'en avait qu'une partie ; que la plus considérable, et » principalement la tête, était restée à Stockholm *. Il est bon d'ob-

a. Constatons qu'on ne retrouve plus ici une assertion singulière, que Lenoir avait acceptée autrefois un peu légèrement. En 1806, au tome V de son Musée des Monumens français [que nous avons déjà cité, p. 612 et 6i3), il reproduit p. 74-75, le texte que nous avons donné, p. 614 : « N° 180. Médaillon... »; puis il y ajoute quelques lignes plus ou moins exactes sur le transport des restes de Stockholm à Paris en 1666- 1667, et continue ainsi :

« L'officier suédois, chargé de cette commission, ouvrit secrètement la » bière, et enleva le cœur de Descartes, qu'à son retour il cacha dans sa » maison, et qu'on a trouvé, à la mort de cet officier, avec cette inscrip- » tion : Ce serait offenser grièvement les dieux tuîélaires de la Suède, » que de rendre la plus noble partie de ce grand philosophe français à » son ingrate patrie; elle n'est pas digne de posséder un trésor si pré- » deux, ni de jouir d'un si grand bienfait de notre part. Qu'elle pleure » la perte qu'elle a faite, pour peu quelle veuille l'honorer dans la » mémoire des hommes. » (Pages 75-76.)

Quelle invraisemblable anecdote ! Et comment, après seize à dix- sept ans de séjour en terre, aurait-on retrouvé intact le cœur d'un cadavre, qui n'avait pas ett embaume? Mais peut-être Lenoir voulait-il dire le crème, et non pas le ca'ur? Voir le texte cite p. 623 ci-avant.

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INDEX DES NOMS PROPRES[397]

Adam Stuart : 344.

AEmilius : 288, 33o.

AENESIDËME : i3i.

Agrippa (H. -C.) : 3i.

Aiguillon (Duchesse d’) : 236, 3oi.

Alibert (Pierre a’) : xvi, 470, 554, -607, 626.

Anaxagore : 29g, 490.

Anne d’Autriche : 524.

Anselme (Saint) : 134, 137, 1 37-1 38,

Apollonius : 222, 259-260.

Arckenholz : 607, 623-624.

Arioste (L’) : 521.

Aristote : 26, 32, 83, 85, i35, 175, , 204, 228, 241, 246, 366, 375, , 414, 487, 5o6, 5o8. 528.

Arnauld (Antoine) : 295-297, 3o8, 18, 322, 442, 443, 467.

Augustin (Saint) : 296.

Ausone : 21, 49-5o.

Auvergne (Gaspard d’) : 7.

Auzout : V, 448, 472, 475, C04.

Avaugour (Louis d’) : i3. Voir DESCARTES (Anne).

AvAUX (Comte d’) : 469.

Bacon (Francis) : 4/8-479. 58i-582.

Baerle (Gaspard van] : 71, 294, 3ii- 3l2.

Bagno (Guidi di) : gS, a38-239, 362.

Baillet (Adrien) : iii-ix, x, xvi, i, 2, 4, 24-25, 32, 35, 36, 37, 38, 48, 60- ôi, 62, 63, 64, 69, 70, 95, 96-97, 287, 438,439, 458-459,462, 469, 5o7, 5i5, 543, 544-545; 546, 546-547, 549, 55o, 552.

Balzac (Guez de) : 22, 40-41, 70-71, 71, 79-8 1, 226, 297. 36o, 463-464., 490-491, 5o6, 514, 521, 584.

Ban (Du) : 344.

Bannius (J.-A.) : 122, 232, 234, 286, 290-292, 304, 482.

Barberini (Cardinal) : 239.

Barbier {A.) : i, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 42-43, 44,563-564.

Barde (Le P. de La) : 3oo.

Barnevelot : 342.

Bassecourt (M. DE La) : 244.

Basson (Sébastien) : 83, 84.

Beaugrand (Jean de) : 215-217, ^Si- 253, 2 5g, 268, 277, 280.

Beck (David) : xvii-xvm, 545-546.

Beeckman (Isaac) : x, 4, 35, 44-45, 45-46,61-62,99, 107, 122, 123, 129, 2rg, a73.

Berlikum : 275.

Bersot (Ernest) : 325.

Bérulle (Cardinal Pierre de) : 64, 94-95, 95-97, 184.

Berzelius : 617-619, 623-625.

Bitault (Jean) : 86, 241, 556. Blanchard (François) : 601-602, 6o5.

Blaeu (Willem) : 182.

Bloemakkt : 122, 232, 290-292, 482, (1.

Bologneti (Nonce) : 239.

BoNNel, : 2S2.

Borel (Pierre; : vi, vu, 6, 42, «io-lii, (ir, (ig, ()i(, 2()S, 549, 5(<3.

BoRNius : 430.

Bossuet : 33, 323, 398, 557.

Boswell. (William) : 286, 479.

Bouchard i.l.-.l.) : 171.

BouExic (Claude du) : 435.

Bougerel : 564.

Boulliaud (Ismaël) : 172, 261, 2S4- , 38 1, 4N8, 5o8.

BouRDiN (Le 1’.) : 3o3-3o6, 3i3, 327- S, 328-329, 329, 331, 341, 356, , 362, 364, 441, 5i5.

BourdON (Scb.) : xviu, (127.

BoxhorNuis ; 487, 591-502.

Brandebourg (Famille électorale de) : , 422-423.

Brasset : x,xi, 18, 104. loi), 118-121, , 339, 347, 404.405, 407-408, 4-12, .423, 424-425, 462, 472, 473- ,486-487, 5i5, 518,532,533-534, , 543, 55o.

Brégy (Comte de) : x, 5iS, 540-541,

Brochard (Aymé) : 5, li, 7.

» (Jeanne) : 4, 5, 9, 10, 14, 5, 42.

» (Jeanne), dame d’Archangé: , 43.

(René) : 4-5, 6, (îi). 

» (René), Sr des Fontaines : ,37.

Brun : 391.

Bruno (Giordano) : 65, 83, i3i). 319, ,So-3Si.

Budé [Eugène de] : 116, SG5-5ri7.

Burgersdijk : 124, 344.

BuRMAN (Frans) : 3o5, 3S4, 483-484,

CABei (Le P.) : 393.

Calvin : 405.

Campanella : 65, 83, 178, 593.

CARCAvi (Pierre de) : 453-454, 461- , 476-477.

Cardan : 219.

Caterus (Joannes) : 289, 291-292, , 3o2, 3o8, 3i8, 320, 372.

Catherine de Brandebourg -.422-423.

» DE Lorraine : i6p.

Cavendish : 295, 477-478.

Chandoux : 95.

Chanut (Famille) : 5i2-5i4, 534,537,

Chanut (Pierre) : ni, v, xi, i5,36, 55, , 100, 201,376,417, 426,428-429, . 452, 462,-466, 473, 474,484, 4K9, 491, 5oo, 5io, 5i 1-554, 558, 585-594, 595-597, 6o3, 606, 607.

Chapelain (Jean) : 22, 463, 4<)i, 5o8, ?, 344.

Charles Ier, roi d’Angleterre : 286, -428.

Charles-Louis, électeur palatin : 423, , 528.

Charlet (Le P. Etienne) : 20, 33, , 336, 363, 364, 365-366, 366- , 441, 5 56-557, 564-565.

Charnacé (Hercule de) : 117.

Charron (Pierre) : 57, i3i, 436.

Chastellier (Le P.) : ■9-20, 565.

Châteaugiron : 12, 608-610.

Chénier (Marie-Joseph) : 610.

Cherbury (Herbert de) : 286.

Chohan (Marguerite), dame de Kerleau : 12.

Christine, reine de Suède : 28, 376, , 426, 428-429, 489, 5 10, 5ii- , 520-554, 585-587, 589, 591, , 593, 598, 600-601, 6o3-6o4,

CicÉRON : 22.

CiERMANs (Le p.) : 168, 23g, 242-

CLAUBERG (Joh.) : 577-582.

Claves (Etienne de) : 86, 55<>.

Clavius (Le P. Christ.) : 23, 2S, 58o-

Clerselier (Claude) : iv, v, ix, 12 5, , 359, 375, 410, 429, 437, 445, , 463, 4(i9, 47-47f>, 4-’*<». "^’4. 55o, 552, 598, 6oi-(ioS. CoLBERT : 5f)--t;oo.

Colomb (Christophe) : 242-24?.

CoLvius (Andréas : i 22, 294, 338, 3?0.;, 3^9, 407, 481-486.

CoNDÉ : 471.

Condorcet : ôo’)-^>io, 61 3-614.

CONDREN (Le P. Charles de : 41,

CONRART : 536.

Copernic : 68, i65, 177, 179, 3’i2, . 377. 38i. 382, 3o8.

CoRNEiLLE ( Pierre ): 75,403, 4:4. 5o5- o6

CoTiN (Abbé) : 397-3«)8.

CouRCElLEs (Etienne de): 121, 236.

Crenan (Mr de) : 447.

CuES (Nicolas de), cardinal : 523.

Cureau de la Chambre Marin 491. 400-491.

Cuvier : ’.17-619, 62î, 1)24-628.

Dalibray : 584-385.

Debeaune. (Florimond) : xi. 22?, 248- , 255-25Ô, 2)’"<-270, 283, 43s.

Dedel : 275.

Delambre : 612. 617, 6(9-625.

Dematius : 341.

Democrite : 366, 395.

Desargues (Girard) ; xi, 225. 249-250, 261, 271.

Desbarreaux (Jacques Vallée S’) : 77. , 359, 36o.

Descartes (Anne), dame d’Avaugour: II, i3, 432, 439. i Catherine) : n, i3, i5,552.

/. /Francine; : lïo, i25, 126. -28S, 337. 434, -V3-577-

1 (Jeanne , dame nu Crévis : , II. 12, I 5- 16, 39. 42, 432, 439.

« Joachim de Chavagne : IV, II 13,70, 432,433-434,439.

1 (Joachim), père : 4, 6, 7. 9, , 37-38, 40, 42, ’70,432, 433-434. 563, 364.

» <Pierre). grand-pere : 4, 6, , 40, 4’o-4i’) y/J-

- (Pierre), de la BretailLIËRE : IV, 6, 9. Il, 12, l5, 4’). 44, , 71, 432, 438. 439, 5’".4. 608.

Deschamps : 282, 391.

Desmarets (Henri) : 578-380.

Desmarets (Samuel) : io5, 121, 334- , 336, 340, 346. 577-580.

Dieu (Louis de) ; 121.

DiGBY : 286.

DiNET (Le P.: : 33, 3o3, 3 10, 336. 341, , 363, 364. 441. 356, 565.

DoMiNis ( Marc-Antoine de) : 65.

DouNOT (Didier) : 278-280.

Duhem (Paul) : 25 1 2 58.

Duker {C.-A.) : xii. 33o.

Du Laurens : 48P-4I57, 487-4S8.

DuREL (Le P.) : 299, 3o2. 3o3.

Du Ryer: 522, 537-538, 547-548, 548- . 55 1.

Edouard, prince palatin : 405, 421- .122 .

ELicHMAN (Jean) : 107, 2S7.

Elisabeth (Princesse) : i5, 16, 60, o5, 35o. 401-431. 435, 447, 459. , 485-486, 4S9-490, 491. 5oo- oi, 528. 329, 532, 533, 575, 593.

Elisabeth, reine de Bohême : 402, -405. 423-425.

ELLEQUENS Le P.): 104, 3oi, 546.

Elzeviers (Les : 101. 169, 182, 2x8, , 3o3, 3o4. 327. 338, 357, 435.

Epicure : 414-4:5, 437, 528.

Estrees Cesar d’1 : 450-451, 452, 582-

EucLiDE : 262.

Eustache de Saint-Paul : 23, i34, i35-i36. i5S-i59, 204-203, 355, , 368-369. 372, 373, 374. Sqo,

Everat Édouard : 517.

Fabert (Abraham): 5o7-5o8.

Fabri (Le P. Honore): 365-366. 376.

Faulhaber (johann) : 47-48, 49, 5o.

Fenelon : 557.

Ferdinand, Empereur : 47, 556.

Fermat Pierre de) : 222-223, 224, 251, 260-267, 272, 282, 299, 470 476, 477- 479.

Ferrand (Claude) : 4.

» ’.Famille) : 4, 5, 8, 40. Ferrier ; gc», 107, 188, 470.

FiEUBET : 597, 6o5, 614.

Flemming (Claudius) : bsi-iS-i.

FoNSECA (Le P.) : 23.

FONTANA : 2 5o.

FoNTANiER (Jean) : 82, 556.

FoREEST (Jan van) : 482.

FoucHER (Abbé) : 601.

Faucher de Careil : 406, 429.

FouRNET (Le P.) : 240, 245.

FouRNiER (Le P. Georges) : 7, 85, i65-i66, 186, 187-188, 189-190, 200, -2o3, 206-207, 237, 238, 25o- i, 363, 364, 393.

François (Le P. Jean) : 376.

Frédéric, roi de Bohême : 60, 401-

Frédéric -Henri, de Nassau : 335, , 347, 35o, 568, 569-570, 572.

Freinsheim : 526, 527, 528, 532, 533, , 543.

Fromondus : 168, 240-241, 246, 575.

Gaignieres : 470-471.

Gaffarel (Jacques) : 178.

Galien : 241.

Galilée : 29, 3o, 66-68, 69, loi, 146, 164, 165-179, 189» 2*4’ 246. 254, 256, 285, 3o6, 309, 362, 386, 387, , 397, 452, 480, 556.

Garasse (Le P.) : Si-82, 82-83.

Gassend (Pierre) : 84-85, 123, i33, , 170, 201, 297-299, 3o2, 3o6, 3o8, 3i3, 3i5, 320, 322, 324, 372, , 391, 418, 429-431, 436-437, 448-451, 453, 468, 471, 5i4, 564, 583.

GiBiEuF (Le P.) : 93-94, 293, 294, oo, 3o2, 328.

Gilbert (William) : lîgB.

GiLLOT (Jean) : 225, 233, 262, 264,

Girard (Albert) : 593.

GoLius : 106, 108, 164, 194-196, 209, , 275, 344, 486.

Gonzague (Anne de). Voir Edouard, prince palatin.

Grandamy (Le P.) : 32, 393, 438.

Grandmaison [L. de) : 1-6,9, ■4t ’5-

Grassi (Le P.) : 388.

Grison (Curé) : 2.

GuiRAuD (David) : 282.

Gustave -Adolphe, roi de Suède : ii.

Gustave III : 6og.

GuTSCHovEN (Girard van) : 470.

Habert : 583-584.

Haestrecht (Godefroid de) : 11 3,

Hals (Frans) : xvi, xviii, loi, 546.

Hamy (Le P.) : 557.

Hardy (Claude) : 261, 271.

Harvey : 157, 493.

Heereboord (Adrien) : iio, 344,346, g, 356, 47g.

Hélène X... : i25, 23i, 573-577.

Henri IV : ig, 28, 2g.

Heydanus : iio, 344, 376, 483, 578.

Hippocrate : 410.

HoBBES : 2g5, 3o8, 436, 448, 468,

Hogelande : iio, 344, 533.

HooFT : 1 13.

HooLCK (Van der) : ii3.

Horace : 21.

HoRTENsius : 108, iSg-igo, 195-196, 480.

HuBNER : 3o2-3o3.

HuET (Daniel) : 38o.

HUYGENS (Christian) : 49, 1 16, igS- 196, 261, 272, 358, 375, 376, 377, 457, 485, 487-488.

HUYGENS (Constantia) : 114.

HUYGENs (Constantin) : x, 6, 106, ii3- 114, 121, 122, 164, i82-i83, 189- iQO, 195. 195, 233, 241, 249, 25l, 253, 272, 276, 280, 286, 293-2g4, 3o3, 3o4, 3n-3i2, 33g, 342, 343, 35o, 358, 3g2, SgS, 408-409, 431, 449. 456, 485, 486, 486-487, 490, 553, 574-575, 5g3-594.

Hyperaspistes : 3o2.

Jacquet (Achille) : xv, xvi.

Jansen (Zacharias) : 186-187.

Johnson : 35o. Kepler : i52, 193, 201, 38 1:

KiRCHKR (Le P.) : Sgî.

Korteweg [D.-J.) : xii, 194.

Labadie (Jean) : 4o5.

La Barre : 75.

La Bruyère : 4-3, 555.

La Chambre. Voir Cureau.

Lachévre {Frédéric) : 75, 78, 80, 81 .

LACOMBE(Le P.): 282.

Lallemant (Le P.) : 600-602, 6o5, 614.

Lanson [G.) : 5o5.

La Mare (Philibert de) : 406-407, 541, 55o, 552.

La Fontaine : 323, 36o.

La Thuillerie. Voir Thuillerie.

Launoy (Abbé de) : 45i, 452, 582- 583.

Le Conte : 384.

Legrand (J.-B.) : iv.

Leibniz : 49, 195.

Lemann (Cornelis) : 335.

L’Empereur (Constantin) : 1 10.

Le Nain : xviti, 627.

Lenoir [Alexandre] : xviii, 612-614, 617, 624-628.

Lesdiguières : 68.

L’Espinay. Voir Philippe, prince palatin.

Le Vasseur d’Étioles : v, 72-74,278, 55o, 587-588.

Le Vaver : 57.

Leuneschloss : 5Si-582.

Lionne (Hugues de) : 596-597, 599.

LiPPERHEV : 1S6-187.

LiPSTORP : V, VI, 20, 24, 46-47, 5o, 89, 106-107, 109, 389. 462, 476, 55o.

Lombard (Pierre) : 2<)-.

Louis XIII : 99, io3, 1 17,418-419, 555.

Louis XIV : 473, 555, 597, 599, 602, 606, 607.

LouisE-HoLLANDiNE, princesse palatine : 40S, 423.

LUCRECE : 149.

LUILLIER : 123, 5i4-5i5.

LULLE (Raymond) : 3i.

Machiavel : 7, 403, 426.

Magni (Le P.) : 5i8-5i9.

Maire (Jan) : 125, 182, 184, i85.

Malapert (Le P.) : 387.

Malebranche : 96-97, 557.

Malherbe : 76, 82.

Maquets : 244-245.

Maresius. Voir Desmarets.

Marolles (Abbé de) : 45i.

Martigny (M de) : 463.

Maurice (Prince) de Nassau: 40, jo, 573.

Maurier (Du) : 249.

Maximilien, duc de Bavière: 60.

Mazarin : 462, 472, 525-526, 5ï7, 53o, 541, 555.

Mélian : 439.

Mercier : 612.

Mersenne (Le P.) : x, 37, 38, 5i, 81, 86-87, ^9’ 9’» 9*’ '3«, «34, i37, i39, 140, 142, i63, 166, 170, 172-174, 181, 183-184, >85, 188- 189, 199, 232, 233-234, >38, 247, 25o-252, 253, 255, 258, 263, 264, 267-271, 277-278, 280, 283-284, 286, 289, 293, 294-295,296-297, 3oo, 3oi, 3o4-3o5, 309-310, 320-32I, 327,341, 354, 355, 362, 367, 439, 440, 448, 452-456, 439, 472, 477, 490, 519.

Mesland (Le P.^ : 438, 442-445. 467.

Mesmes (J.-A. de) : 607-608.

Metius (Jacques) : 186-187, 187-1S8.

Meyssonnier : 281.

Milhaud (G.) : 194.

Milton : i33.

Moïse : 144.

Montaigne : 19, 20, 63-64, >3i, i63, 199-200, 226, 41 5,436, 478.

Montigny (René de) : 583-58.1.

Montmort (Habert de) : 468, 469, 604.

Mori (Abraham de) : 121, 593.

MoRiN (Anne), dame Descartes: io-ii

MoRiN (J.-B.) : 86-87, 9"’i ’"°-’7'> 246-247.

Morus : 478, 4S9, 58o.

MOSNIER : 376

MYDORGE

MYLON Nassau (Famille de) : 401-402, 423.

Naudé : <>6, 166, 362, 471, 526, 527.

Newcastle (Marquis d) : 448, 463, , 477-478.

NicÉRON (Le P.) : 18S.

NoÉL (Le P.) : 23, 32, 237, 366, 556,


Ojardias (Albert) : 517.

OviDe : 21, 149.

OxENSTIERN : 489.

Pailleur (Le) : 584-585.

Palatine (Famille) : 401-402. Voir Charles-Louis, Edouard, Elisabeth (mère et fille), Frédéric, Louise-Hollandine, Philippe, Sophie.

Pallandt (Baron de) : 439.

Pappus : 109, 209, 214, 223.

Pascal (Blaise) : 23, i32-i33, i63, 3i5, 3q5, 410, 417, 440, 4^1, 452- 457, 487, 488, 5o6, 547, 583.

Pascal (Etienne) : 219, 224, 261, 452, 455-456.

Patin (Guy) : io3, 36?., 460-461, 471.

Peiresc : 90, 171, 192, 239.

Pelage : 34C.

Penn (William) : 406.

PÉRiEr (Florin) : 453, 456.

Perron (René Descaries, du) : 44, 343, 563.

Petit (Pierre) : 247-248, 249, 25o, 452, 519, 544, O04.

Pétrone : 22.

Philippe, prince palatin : 408, 422- 425.

PiBRAC : 402-403.

Picot (Abbé) : xvi, 75, 3 59-360, 36 1, 366-367, 395,396, 435, 438, 440, 447. 469- 475, 489, -33, 552, 598.

Platon : 395, 487.

Planström : 619, 624.

PLEMPIUS : 107, 124, iliS, 225, 23 1, -243, 245, 292.

PLEMP (Peter) : 292.

Poisson (Le P.) : iv, 174-177, 197.

PoLLoT (Alphonse de): , 116-117, i3i, , 241, 339, 342, 357, 36i, 393, , 400, 411, 4i3, 434, 553, 567-

PoLLOT (Jean-Baptiste de) : 116-117,

Pomponne : 596-597.

PoRLiER : 36, 484, 5i5, 5i6-5i7, 547.

Porta (J.-B.) : 3i, 193,207-208.

PouRCHOT (Edme) : 608.

Ptolémée : i65, 38o.

PuY (J. du) : 90, 102, i()3, 104, 184, , 440.

Pyrrhon : i3i.

Racan : 76, 82.

Racine (Jean) : 36o.

Raconis (Abra de) : 2o5, 355, 356, -493.

Raey (Jean de) : v, 376, 377.

Ramus : 344.

RÉAUX (Tallemant des) : 41, 36o, 408.

Regius : 112, 160, 242, 289, 32g, 33o- 1, 344, 349, 35o,411, 440, 493.

Rembrandtsz (Dirck) : 470, 480-481.

Reneri : 112, ii3, 122, 124-125, 145, , 233, 33o, 345.

Retzus (G.) : XVII, 546.

Revius : 345, 346, 347, 349.

Rey (Jean) : 38o-38i.

Rheita (Antoine de) : 389-390.

Richelieu : 117, 175, 236, 25o, 3oi, , 555.

RICHEOME (Le P.) : 27-28, 41-42.

Rivet (André) : 241, 277, 449, 450,

Roberval: 224, 254-255, 360-261,264- , 277, 398, 452, 456, 468,476-477,

Rochemonteix [Le P. Camille) : 19, , 26-29, 177, 565.

ROGIER (Pierre) du Crévy : 12, 30.

Rohault (Jacques) : 446, 601, 604, 5.

Ropartz (Sigismond) : 1, 6, 7, 9, 10, i5, 39.

Rosay (Dame du) : 70, 75.

ROTEN ou ROTH (Peter) : 47-48.

Rubius : 355.

Sacy (Sylvestre de) : 610. Sain (Famille) : 5, 14, i3, 42.

Saint-Cyran (Abbé de) : 467.

Sainte-Croix (Jumeau de) : 263.

Sarrazin : 571-574.

Saulnier {Frédéric) : i, 10, 1 i-i3.

Saumaise : XI, 3, 6, ioi-io3, 104, 107, , 184, 284-285, 336, 344, 354, -407,460, 460-461, 463-464, 536, , 593. Sauzay (Anne) : 7.

ScHEiNeR (Le P.): i8g, 191-102, 385-

SCHICKHARDT : 298.

ScHLUTER (Henry) : 470.

ScHOOCK (Martin) : 241, 332, 334, 338, , 346.

ScHooTEN (Frans), fils : xvi-xvn, i-z, , 182, 22’6, 236,344, 357, 376, , 405, 485.

» » , père : 109, 182, . 344-

ScHOTANus : 275.

Schurman (Anne-Marie de) : 233- , 406, 407.

Séguier (Pierre) : 184, 2 5o, 490, 5-84.

Séneque : 414-415, 426.

Sénèque le Tragique : 21.

Sergel (Tobias) : 609.

Servien (Abel) : 1 18, 347, 53o.

Sextus Empiricus: i3i.

SilHON (Jean de) : 93, 142-143, 297, , 463-466, 584.

Silvestre de Saci : 610.

Snellius : 108, 194-196.

SocRATE : 395, 490, 353.

SoLY (Michel): 3oi, 3o3, 327.

SORRIÉRE : 111,429-430,431,435-438, 448-449. 450,451, 456,468,541,549, o. 552.

Sophie (Princesse) : 4o3, 556.

Spinola : 40.

Stampioen : 272-280, 485.

Stevin : 254-255, 262.

Strowski (Fortunat) : 226, 466.

SuAREZ : 3o2, 292-293, 296-297.

SuRCK (Anton van) : 127.

Swarte ( Victor de) : 406, 43 1 .

Tamizey de Larroque : 66.

Tallemant. Voir Reaux.

Tannery (Paul) : 211, 214, 217, 219, , 278.

Tarde (Jean) : 66-68, 191-192, 193, -195,206-207, 386, 386-387.

Telesio : 83.

Tenneur (Le) : 4?!, 456, 459.

Tepelius : VI.

Terlon (Chevalier de): 554, 595-600, , 619-620, 624, 625.

Théophile. Voir Viau.

Thibault (Gabriel) : 376, 38o.

Thomas (Saint): 26, i34, i35, 3oq, , 323.

Thuillerie (Coignet de La) : 104, 17-118, 339, 340, 342, 343, 520, , 525, 534, 536, 543.

Thou (Mr de) : 440.

Thouverez (E.) : i.

Toledo : 23, 355.

Torricelli : 452, 519.

Touchelaye (De La) : 75, 438.

Triglandius : 344, 346, 347.

Tronchet (Dame du) : 287-288.

Tycho-Brahé : i52, 179, 364, 373, 377, 1, 388.

Urbain VIII: 65.

Valari : 586.

Valois (Le P.) : 445, 446.

Valois (Jacques de) : 281-282.

Vanini : 82-83, 83, 337-338, 556.

Vatier (Le P.) : 237-238.

Véron (Le P. François) : 23, 27. 237, -567.

Vespucci (Americo) : 29.

VIAU (Théophile de) : 76-81, 85, 521,

Viète (François) : 23, 209, 210, 211-219 , 262.

ViLLEBRESSiEu (Étienne de) : vii, 90,

ViLLIERS : 280-281.

Villon (Antoine) : 86, 241, 252,

Virgile : 21.

VioGuÉ (Le P. François) : 518-519, 538-540, 546, 552,598,603. VoÉT (Gisbert et Paul) : 121-12?, 122, 304, 330-341, 343, 344, 346, 35-, 406, 406-407, 435, Soq.

Voisin (Le P.) : 77-78.

VoRSTius : 109-H0, 344.

Vossius (jeune) : 542

Waard (C. de) : i85. 187, 566.

Waesberge (Jan van) : 333.

Waessenaer : 274-280.

Wagen (Van der) : 22 5.

Wendelin : 225, 362.

WiLHEM (David Le Leu de) 114, II 5, 276, 410, 438, 439, 5i5,

Wullen : 531, 550.

ZENON : 414-415, 528.
INDEX DES MATIERES

Académie (Projet d’une) : 347.

Admiration : 3-2, 197-198, 207-.;()S, , 504- 5o3. Voir Générosité.

Aimant : 393-394.

Algèbre : 23-24, 52-54. >i 1-2 14, 2 1 3- , 278-279.

Allemagne (Séjour en) : 46-50, So-Co, , 417.

Ambassadeurs de France à La Haye : -121, 339, 340, 343, 347-34S. Voir Charnacé, La Thuillerie, Servien (et aussi Brasset).

Ame (Nature de 1’) : 77, 93, 142-143, i(’)3-j(i4, 3i)4, 3i5-3i(i, 41(1, 41!^, , =.54.

Amérique : 29, 242-243, 317, 44-

Amitiés en Hollande: 10(1-117. ^••"’ Bannius, Beeckman, Bloemaert, Colvius, Klichman, Golius, Haestrecht, Hogelande, Hoolck, Hortensius, Huygens, Plempius, Regius, Rencri , Schooten, Van Surcl; , Vorstius, ^Vllhem: 342-34J.

Amour( Passion de l’j: 5o<),5oi-5o2,3o7, -322. Voir Désir cl Générosité.

Amourette : 16-17.

Amsterdam (Séjours à): loo, 107-108, , 124-125, 239, 3i5.

Anatomie. Voir Dissection.

Anglais (Descartes et les) : 286-287, -479. Voir Bacon, Cavendish, Digby, Gilbert, Harvey, Hobbes, Morus, Newcastle.

Animal (Formation de 1’): 1 56- 157, -5(>o.

Animaux {Traité des) : 491.

Arc-en-ciel : i85, 198, 199.

Ars Magna de Lulle : 3i.

Arts et métiers (École d’) : 470.

Astronomiques (Observations) : 29-30, -68, 386-390,479-481.

Athéisme (Accusation d’) : 82-83, 33o- 1, 337-338, 484, 517, 554.

Automate. Voir Machine.

Avalanches : 68-69.

Avocat (Descartes) : 482-483.

Ballet : 28, 542-544.

Baptême : 2, 123.

Bataille de Prague : 60-61, 401, 355-

Bavière (Séjour en) : 59-60.

Bible : 26, 3o8-3o9, 341.

Bien (Souverain) : 414-415, 490, 527-

Biens de famille : 14- 1 5, 42-43, 62-63, -435, 549.

Bohême (Séjour en) : 60-61, 401.

Boutades : 70-71, 3o8-3o9.

Bréda (Séjour à) : 35, 44-45.

Bretagne (Séjours en) : 62, 71, 73-74, , 438-439, 447.

Campagne (Amour de la) : 17-18, i25- 128, 231-232, 233,287, 475-476, 482-483.

Catholicisme en Hollande : io3-io), 482.

Causes efficientes : 3i8-l»i9.

Causes finales : 32o, 323-324. Cérémonies (Goût des) : 2S, 29 -’.^o, , 64-65, 471-472.

Certitude : i32-i33, i33-i38, 142-144, -325, 3<j5-3<,9,557-558.

Cerveau : 161 .

Chaleur : 147, 3i)i.

Chimistes (Principes des) : 392-393.

Ciel (Explication du) : 379-390. Voir

Principes (3’^ partie).

Circulation du sang: 493.

Cœur (Mouvement du) : 1 57-1 58, -242, 493

Collège de La Flèche : 19-21, 39, 438, ,447,484, 564-565. Voir Charlet, Dinet, Fournier, Grandamy, Nocl, Véron.

Comédie (Projet de) : 544-545.

Comètes: i5i, 155,387-389.

Conarion. Voir Glande pinéale.

Condamnation de Galilée : 165-170, , 3o6-3o7, 480,480-481, 556.

Confréries de la Vierge: 23, 27, 334-

Coniques (Sections) : 89-90, 1S8-190, , 223-224, 249-25 1 . Voir Lunettes.

Consolation (Lettres de) : 71, 427- , 434. Voir Colvius, Klisabeth, Huygens, Pollot.

Conversion (Essais de) : 345-346, 404- , 421-422,5i6-5i7, 532-533,

Corps (Essence du) : 140-141, 322-323, -438, 46S.

Correspondance avec Mersenne, etc.: -235, 280-281’).

Courbes (Nature des lignes) : 220-

Crâne de Descartes : 6i7-t’i28.

Création (Dogme de la) : 139-1 v’i i5o-i5i, 364-365.

Cube (Duplication du; : •»’. ^uX-noq,

Désir : 5oo, 5o2-5o4, 507.

Deuils de Descartes : 432-434, 471-

Deventer (.Séjour à) : 112, 11 3, 124- , 166, 345.

Deventer , École illustre de) : 1 1 3.

Dieu (Existence de): 93, i32-i38, 226- , 3i6-3i9,320-322, 464-466.

Dioptrique : 3i, 182, i83, 185-197, .9.

Discours de la Méthode : i8i-i85, -230.

Dissection : 22, 40, 126, 233, 241-242, , 499-500.

Douai (Université de) : 168, 243-244, -245.

Doute (méthodique) : i3o-i33, 3i3- i5, 395-396.

Duel : 75, 418-419.

Egmond (Séjour à) : 126-128, 475- S8.

Eléments (Quatre) : 3i)i-392.

Emploi (Recherche d’un) : 69-70, 461-

Endegeest (Séjour à) : 126, 486, 487.

Enfance de Descartes : i6-i8.

Epitaphes de Descartes ; 554, 5S9- , 606-608.

Equations (Nature des) : 2 1 5-220.

Erreur principale : 146-147, 227, 314- i 5, 412, 420-421.

Erreur (Théorie de 1’) : 3i9-32o, 371. Voir Liberté.

Escrime : 28.

Essais de la Méthode. Voir Dioptrique, Météores, Géométrie. 1’ édit., 235-  ; traduction latine, 236. Voir Discours de la Méthode.

Établissement (Projets d’i : en France, i ; en Suède,547-549.

Etendue et Matière : 14.S, 14(1, 437- s, 4rhS. Voir Physique et Mathématique.

Étoiles : I 5i.

Etudes au Collège: 21-26,484. Koir Collège de l.a Flèche.

Etudiant (Descartes) : 35, 3ii-4i>, 272- (Poitiers), i23 (Franeker’, 124 e; 56i; (Lcyde).

Eucharistie ij-lxplication de !’) : ’16-07, , 307.442-447.

Existence (Problème de 1’) : 3uy-3io, -321). Voir Amt, Corps, Dieu.

Expériences (f . des) : 233. Famille maternelle : 4-3.

« paternelle : 4.

Femmes (Opinion sur les) : 70-71, -73. 7^.

Figures (Dessin des) : loy, 182, 357-

Fille de Descartes : 23i-232, 287- , 337.

Flux et reflux : 04, i63-i66.

Folium de Descartes : 260, 266-267.

Formes substantielles : 240-241, 33o-

Français (Sentiments) : 28, 472-47;.

Franeker (Séjour à) : 123-124, ^’^9- » (Université de) :123-124.

Frères et sœurs de Descartes : 9-i3, . 70, 7’. 432-433,438-439, 447,

Frise (Aventure en) : 61.

Fronde (Troubles de la) : 466-467, -475.

Funérailles de Descartes : 554-555, -588, 594-605.

Galand. Voir Folium.

Générosité : 5o5-5o9, 509. Voir Liberté.

Géométrie : 182, 208-225. Voir Algèbre, Courbes, Équations, Ovales. » (Introduction à la) : 224-225.

Glande pinéale : 161-162, 495.

Grand-père : 7-8.

Grands (Descartes et les) : 468-469.

Groningue (Université de) : 340-343.

Harlem (Visites à) : 232.

Hollande (Séjours en): 69, 99-106, 122-123. Voir Amsterdam, Bréda, Deventer, Egmond, Endegeest, Franeker, Harlem, Santport, Utrecht.

Huguenots. Voir Ministres.

Hydrographie du P. Fournier :i8C, 200, 202-2o3, 206.

Hypothèse astronomique : 379-382.

» cosmogonique : 148-155, -398.

» physique : 382-386. Voir Matière subtile.

Idéaliste ’Tendance) : 323-325, 399.

Infinité du monde : 371, 416-418, 419, 523-524, 559.

Inquisition : 42, 165-166, 170-171, 173-174, 175,177-178, 3o5-3o6, 3:7, 361-362, 466, 480, 556-557.

Intolérance religieuse : 64-65, 76-78, 81-82, 85-89, io5-io6, 165-166, 167- 168,172-174, 175-176, 178,555-557.

Italie (Voyage en) ; 62-69, 98.

Jardin (Plantes de) : 128, 233, 519. Voir Campagne.

Jésuites (Descartes et les) : 19-33, 73-74, 237-245, 293, 3o3.3o4, 327- 332, 36-2-366, 440-442, 556-557. Voir Bourdin, Charlet, Dinet, Fournier, Grandamy, Hayneuv», Mesland, Noël, Véron.

Jeu : 74-75, 410. Voir Paume.

Jurisprudence (Études de) : 39-40, 272-273.

La Flèche. Voir Collège.

Latin (Usage du) : 22, 121, 235-237, -294, 358.

Lettre apologétique : 340-341, 461.

Lettre au P. Dinet : 3o3-3o4, 327-

Lettre à Voët : 332-340.

Leyde (Séjours à) : i25, 126, 287, 566.

I’ (Université de) : loo-ioi, loi, io8-iu, 343-349, 566.

Liberté (en l’homme et en Dieu) : -95, i33, i38-i39,3ig-32o, 345- , 371, 418-419, 5o5-5o6.

Libertins : 76-83.

Lignes de Debeaune : 268-270.

Liquides ou fluides (Corps) : 207, 377, -385.

Longitudes : 480-481.

Lorette. Voir Pèlerinage.

Louvain (Université de) : 168, 239-

Lumière (Traité de la) : 143.153. Voir Monde.

Lumière (Explication de la; : 1 54-1 55, )6-197, 391.

Lunettes d’approche (Invention des) : , 185-186, 485. Machine (Corps vivant comparé à une) : ibb-iby, i63, 163-164, 3ii-

Magie Naturelle de J.-B. Porta : 3i-

Maîtres (Reconnaissance envers ses) : -33.

Maladie et mort de Descartes : 549-

Mariage (Descartes et le) : 70-71, 574.

Matérielles (Essence des choses) : -141.

Mathématique universelle ; 5o-52.

Mathématiques (Études): 485-487.

Mathématiques (Problèmes) : 411,

Matière subtile : 149, i5i-i52, 196- , 207.

Maximis et Minimis [De] : 259.

Mécanique [Traité de). Voir Statique.

Médecin (Descartes): ii5-ii6, 410- 1, 486-487.

Médecine (Étude de la) : 3040, 193- ,491. Voir Dissection.

Méditations : i" édit., 289, 3oi-3o2 ; « édit., 3o3-3o4; trad. franc., 53o- i.

Mercure François : 65, 68, 86-87,

Mère de Descartes : 4-5, 9, 10, 14-16,

Métaphysique : 97-98, 129-144, 369- , 395-399.

Météores : 182, i83, 197-208.

Météores suivant les Anciens : 204-

Méthode (Principes de la) : 53-56, 2-26. Voir Discours de la Méthode.

Meurtres : 422-426, 482-483.

Ministres protestants (Descartes et les) : io5, 121-123, 329-349, 474. Voir Burman, Colvius, Desmarets, Heydanus, Mori, Rivet, Voët.

Miracle: i5o-i 5i , 207-208, 405.

Miroirs : 38, 89-90.

Monarchiques (Sentiments) : 28. Voir Français.

Monde {Le) : 145-146, 166-167, 226, 338-33().

Monde (Formation du) : 382-386.

Morale (Maximes ou Règles de) : 36- 58, 80-81, 415-416,5o3-5o4, 5 10.

» (Principes de) : 416-421, 484, 5i7-5i8, 553-554.

Mouvement (Définition. Lois et Règles) : i5o-i5i,372-379.

» des muscles et des nerfs : -160, 493-494.

» de la Terre : i65-i66, 170- ’71. 173-174. 175, 177.361-362, 372-373, 377-379, 380-382.

Moyennes proportionnelles : 90, 208- 209, 488. Voir Cube.

Musicae (Compendium) : 45.

Musique : 74-75, 122, 485.

Naissance (Date et lieu de) : 1-2, 2-4.

Neige : 201-202.

Noblesse (Titre de) : 6-7, 43-44, 11 3, , 439.

Nombres (Questions sur les) : 263-264,

Nourrice : i5, 552.

Novateurs (Philosophes) : 83-89.

Objections contre les Essais de 1637: Dioptrique, 246-251, 293, 293; Mathématiques, 251-271 ; Jésuites, 237- 245.

)• contre les Méditations : Arnauld, 295-297; Barlaeus, 294, 3ii-3i2,- Bourdin, 3o3 ; Caterus, 289-292; Gassend, 297-299; Gibieuf, 3o2 ; Hobbes, 295, 467; Hyperaspistes, 3o2 ; Mersenne, 204- 295.

» contre les Principes : 384, ,483.

Œil (Étude de 1’) : 191, 191-194.

Offices judiciaires de la famille : 7.

Ontologique (Tendance) : 3o9-3ici, 323-326, 397-399. Voir Idéaliste.

Opuscules de Descartes (1619-i62o) : 47-48.

Oratoriens (Descartes et les) : 93-97, 293-294, 3oo, 3o2 . Voir Bérulle, Barde (De la), Condren, Ellequens, Gibieuf, Malebranche. Ovales : 209, 223-224.

Parhélies : 198-199, 238-23g.

Paris (Séjours à; : 35-38, 71-72, 74- . Voir Voyages en France.

Parlement de Paris, 7Ô-78, 79, 8Ô-87.

» de Rennes : y3.

Passions de l’âme ( Traité des) : 420- , 489, 519, 521, 528-529, 533,

Passions (Dénombrement des; : 498-

origine, 5oo, Soy-Sio.

Passions (Empire sur les, : 497-

Passions selon les Anciens : 491-492, 5o2-5o3, 5o6, 5oS.

Paume (Jeu de) : 28, 196-197.

Pèlerinage de Lorette : 27-28, 5o. 63-64.

« Pense (Jei u, i32-i33, 3 1 5-3 iG, 323- 324, 325-326.

Pension royale : 458-461,462-466.

Père de Descartes : 7, 9, 70, 433, 433-434.

Pesanteur: i53-r54, 391.

Philologie et Philologues : 285, 536- 537, 542.

Philosophie de TKcole . Voir Sco- lastique.

Physique des Anciens : 368-369. Voir Scolastique.

Physique et Mathématiques : 145. 146, 396-399. 437-4?N, 4(""’^.

)> et Métaphysique : i.;9-i3o, -144.. 369-370.

Planètes : i52-i53, 134, 389-390.

Poésie et poètes : 75-78.

Poitiers (Séjours à) : 35, 39-40, 73-74.

Politiques ’Conseils. : 426-427.’

> (Maximes; : 426.

Portraits de Descartes : xv-xviii, 7:, joi, 109, 545-546.

Principes de la philosophie : composition, 354-3.^3; impression, 357- 358; trad. franc., 358-36i, 366-367, 447-448, 53o-53i ; dédicace, 411: préface de la trad., 366-307, 393 ; première partie, 369-372 ; deuxième, 372-379 ; troisième, 379-390 ; quatrième. 390-394 ; cinquième et sixième, 367, 368-369, 3o5-396, 400,

Problème de Pappus : 209--.; 10. 214.

Problèmes de mathématiques : 90.

Procès de Bitault, De-Claves et Villon : 85-89, 556.

. Galilée: 165-179,4811-481.

Théophile : 76-Ci. 556.

Vanini : 82-83, 556.

Giordano Bruno : 38o-38i .

Puy-de-Dôme E.xpérience du : 453- 457.

Querelles avec Beeckman, 46, 449 ; Bourdin, 327-332, 364 ; Fermat, 259-267; Gassend, 297-299; Pascal. 451-457; Petit, 247-248; Rc-;4ius, .349-353; Revius, 343-349; Roberval, 260-271 et 276-277,476-477; Stampioen, 272-280; Voet, 329-343, 461.

Réconciliation avec Beeckman, 449; Bourdin, 440-442 ; Gassend, 448- 1.

Réfraction : 90, 194-196, 199.

Régime de Descartes : 17-18, 20-21, -410, 412-413,473-476.

Religion de Descartes : 26-28, 33. io3-io5, 169,345-346, 421-422, 5i6- , 538-540, 546, 553-554.

Retraite de Descartes : 35-36,71-73.

Rêves : 162, 410, 49S. Voir Songes.

Roman : 75. Voir Hypothèse.

Rosa Ursina du P. Scheiner: 191-192.

Rose-Croix : 47-48, 337.

Roulette Problème de la) : 264-266.

Saint- Sacrement (Compagnie du : 442-443. KoiV Kucharistie.

Santpoort ’Séjour à, : 125-126, 23i- 232, 287.

Science selon Descartes : 227.230.

Scolastique (Philosophie, : i35-i36, 147-149, 134-1 35.162, 204-206,355- 337, 360-367, 36.S.369, 372-374. 396, 4ri, 4^4, 49’-4’J2. Sens (Monde des) ; 141-142. Voir Union de l’âme et du corps.

Sièges de villes : Bréda, 60 ; Gavi, ; La Rochelle, 9S, 555.

Soldat f Descartes) : 40-4-2, 61, 347.

Soleil (et ses taches) : i5i, 3-/<)-3^i, -38;.

Songes de Descartes : 4’i-5o. 144,410.

Sorbonne : 8(i, 175-176, 292, 293, . 3oo-3o2., 3o4, 3o5-3o6, 3oi), sis, 34S.

Statique : 252-2 5o.

Stockholm (Séjour à) : 535-54(i.

Suède (Voyage en). Voir Voyages.

Supplices d’hérétiques : 3 1 , 64-65, 77, , 178;, 342, 38i, 555-556.

Tangentes (Méthode des) : 2 5()-263.

Télescope : i()-3i. Foir Lunettes.

Terre (Explication de la) : 3<)o-394 (4’-' partie dos Principes).

Terre (Mouvement de la). Voir Mouvement.

Théologie : 1)1-93.

Tombeaux de Descartes : 554-555, 5S8-589, 605-608, 6i3-6t4, 614- 616.

Tourbillons (Hypothèse des) : i5i- i52, 390.

Trisection de l’angle (Problème de la) : 90, 219.

Union de l’àme et du corps: 141-142, i-353, 41 1-412, 489, 49 r, 492-495, o6.

Universités. Voir Deventer, Douai, Kraneker, Grouingue, Leyde, Louvain, Utrecht.

Utrecht (Séjour à) : 112, 12 5.

>• (Université d’) : 101, iii-i»i3, -343.

Vendanges: 17, 196-197.

Vents (Théorie des) : 202-203.

Verres de lunettes (Taille des) : 188- 190.

Vide : 147-/4S, 372-373, 384 385, 437- 43s.

» (Expériences du’> : 45 1-453, 479, 547. Voir Puy-de-Dôme.

Vie humaine (Prolongation de la) : 229-230, 551-552,581-582.

Vierge (Culte de la)’: 27, 5o, 63-64, io3, 104. Voir Confrérie.

Voyages : en Allemagne, 47-5o, 59-62 ; Angleterre, 286 ; Danemark, 46-47, 286-287 ; France, 272-273, 435- 440 ; (premier voyage), 446-457 ; (deuxième), 45.S-470 ; (troisième), 458-475 ; Hollande, 40-46, 61-62, ’)i)-ioo; Italie, 62-69 ; Suède, 5ii-

5 14, 529, 531-534. Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/687 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/688
TABLE DES MATIÈRES


LIVRE I.



LIVRE II.



LIVRE III.



LIVRE IV.


LIVRE V.
Chapitre premier. — Descartes et la princesse Élisabeth 
 401
Chapitre II. — Voyages en France : premier voyage (1644); second voyage (1647) 
 432
Chapitre III. — Voyage à Paris (1648). — Séjour à Egmond 
 458
Chapitre IV. — « Les Passions de l’Ame » (1645-1649) 
 489
Chapitre V. — Descartes en Suède (1649). — Sa mort à Stockholm (1650) 
 511

APPENDICE

I. 
Lieu de naissance 
 563
II. 
Gassendi ou Gassend ? 
 564
III. 
Descartes à La Flèche 
 »
IV. 
Premier séjour à Leyde 
 566
V. 
Le P. François Véron 
 »
VI. 
Alphonse de Pollot 
 567
VII. 
Francine Descartes 
 575
VIII. 
Passions de l’âme (traduction latine
 577
IX. 
Jean de Launoy et César d’Estrées 
 582
X. 
Autres identifications 
 583
XI. 
Funérailles de Descartes à Stockholm 
 585
XII. 
Tombeau à Stockholm 
 588
XIII. 
Transfert du corps. Funérailles à Paris 
 594
XIV. 
Tombeau à Sainte-Geneviève-du-Mont 
 605
XV. 
Panthéon et Élysée 
 608
XVI. 
Tombeau à Saint-Germain-des-Prés 
 614
XVII. 
Crâne prétendu de Descartes au Muséum 
 617


Index des Noms propres 
 629
Index des Matières 
 637
Errata 
 643



Achevé d’imprimer
par LÉOPOLD CERF
12, rue Sainte-Anne, à Paris
le 15 décembre 1910.




ŒUVRES

DE

DESCARTES

————

SUPPLÉMENT

INDEX GÉNÉRAL

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ŒUVRES
DE
DESCARTES

PUBLIÉES
PAR
Charles ADAM & Paul TANNERY
SOUS LES AUSPICES
DU MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE

—————

SUPPLÉMENT

—————

INDEX GÉNÉRAL


PARIS
LÉOPOLD CERF, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
12, RUE SAINTE-ANNE, 12

1913

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TABLE DES MATIÈRES

———



Supplément à la Correspondance 
 1
Table 
 51
INDEX GÉNÉRAL 
 53
Table des XI tomes 
 55
I. 
Écrits de Descartes 
 57
II. 
Livres cités 
 61
III. 
Noms de lieux 
 68
IV. 
Index des matières 
 70
Additions 
 97
Descartes et Comenius 
 97
Descartes et David Beck 
 102
Glanures 
 103




Paris, I.F.M.R.P. 1939

    ad comparandum inter ſe magnitudines… » (Ibid., p. 1.) En 1630, un mathématicien, « I. L. Sieur de Vau-Lezard », donna une traduction française de cet opuscule : Introduction en l’Art analytic, ou Nouuelle Algebre de François Viete (Paris, chez Iulian Iacquin, M.DC.XXX, petit in-8, pp. 79). Il traduit ainsi le chap. iv : « Le Logiſtique Numerique eſt celuy qui eſt exhibé & traité par les nombres, le Spzcifique par eſpeces ou formes des choſes : comme par les lettres de l’Alphabet. » (Page 33.) Quant à l’autre passage, p. 1, le traducteur le commente ainsi : « L’vtilité qu’on tire de cete nouuelle Algebre eſt admirable, au reſpect de la confuſion de laquelle ſont ſarries les Algebres des Anciens, tant pour-ce qu’ils confondoient les genres des grandeurs, adjouſrant les lignes auec les plans, le quarré auec ſon coſté &c., qu’à cauſe qu’ils exerçoient & faiſoient les operations de leurs Algebres par les nombres ; c’eſt pourquoy de ces Algebres ne peut eſtre tiré nul Theoreme ny ſolution generale pour toute propoſition ſemblable à celle dont elle doit eſtre tirée, comme il ſe ſait en celle-cy nouuellement inſtituée, de laquelle les ratiocinations & operations ſe font ſoubs des eſpeces. » (Pages 13-14.) Aussi Schooten, éditeur de Viète en 1646, écrit-il dans sa Dédicace à Golius : « … Vir inſignis Franciſcus Vieta Fontenæenſis, Analyſeos Specioſæ autor primus. » Et Schooten était aussi le disciple et l’ami de Descartes. — Quant aux exposants exprimés en chiffres romains, voir notre tome V, p. 504-512.

    François Viète, sieur de la Bigottière, né à Fontenay-le-Comte en 1540, était mort à Paris en février 1603. Avocat dans sa ville natale, dès 1559, puis au service de la maison de Soubise, de 1563 à 1570 (secrétaire de Jean Larchevéque de Parthenay, et précepteur de la célèbre protestante Catherine de Parthenay), conseiller au Parlement de Bretagne (pourvu le 24 octobre 1573, et reçu le 6 avril 1574, souvent excusé d’ailleurs pour ses absences) ; nomme maître des requêtes par Henri III et reçu le 28 mars 1580, il résigne son office de conseiller en 1582. De 1588 à 1594, il est employé officiellement à Tours pour déchiffrer les lettres secrètes des Italiens, Espagnols et autres ennemis de la France. Entre temps, il composait et publiait, depuis 1570, ses ouvrages de mathématiques.

  1. La Vie de Monsieur Descartes. (À Paris, Chez Daniel Horthemels, rue Saint Jacques, au Mécénas. M.DC.XCI.) « Épitre à Monseigneur Le Chancelier », signée : A. B. (6 pages, non numérotées). Ce Chancelier était Louis Boucherat, exécuteur de la révocation de l’Édit de Nantes. Préface, p. i-xxxvi. Tables, p. xxxvii-lix. Privilège du 1er mars 1691, au ſieur Adrien Baillet. Achevé d’imprimer, 6 juillet 1691. Première partie, in-4, pp. 417 ; seconde partie, pp. 602. Abrégé du même ouvrage en 1693, pet. in-12, pp. 318. — Adrien Baillet naquit à La Neuville-en-Hez, près de Beauvais, le 13 juin 1649, et mourut à Paris, le 21 janvier 1706, bibliothécaire de M. de Lamoignon depuis 1680, et prêtre depuis 1676. Publications, entre autres : Traité de la dévotion à la Sainte Vierge, 1693 ; Traité de la conduite des âmes, 1694 ; et surtout Les Vies des Saints, 17 vol. in-8, de 1695 à 1701.
  2. Baillet, loc. cit., préface : pp. x-xi (Chanut), xi-xii (Clerselier), xii-xiii (Poisson), et xxii-xxiii (Legrand).
  3. Ibid., pages xlix-l.
  4. Baillet, loc. cit., p. xlvii-xlviii.
  5. Ces particularités nous sont connues par Baillet, qui les emprunte lui-même à une « Lettre de M. Van Limborch, du 15 avril 1690 : M. de Raey avait un diſciple, nommé M. Van-Berhel, jeune homme de beaucoup d’eſprit & de grande capacité, à qui il avoit donné divers petits mémoires curieux. M. Lipſtorpius, ayant reçu de M. Van-Berhel quelques-uns de ces mémoires qui regardoient M. Deſcartes, les avoit donnez de bonne foy au Public, ſans examiner s’il avoit beſoin du conſentement de M. de Raey, ou s’il devoit les autoriſer de ſon nom. » (Baillet, loc. cit., Préface, p. xiv-xv ; et pour la réponse de Raey. p. xxix-xxx.)
  6. Danielis Lipstorpii | Lubecensis, | Specimina | Philosophiœ | Cartesianœ. | Quibus accedit | Ejusdem Authoris | Copernicus Redivivus. (Lugduni Batavorum, Apud Johannem & Danielem Elsevier. cIo Ioc liii. Marque : le Solitaire. In-4 : t. I, 10 ss. limin., y compris le titre rouge et noir, et 220 pp. ; t. II, 6 ss. limin., et 160 pp.) Dédicace : « Celsissimo » & Reverendissimo Principi Johanni, Electo Lubecensium Episcopo... Dabam Lug. Bat., Kal. April. Anni παρθενοτοκιας cIo Ioc lui. » Signé : « Daniel Lipstorpius Lubecensis, Phil. & Libéral. Artium Mag. » Au tome I, Lipstorp donne, dans un Appendix, une courte biographie de Descartes, p. 69-94 ; encore les cinq dernières pages sont-elles remplies par le texte des inscriptions ou épitaphes en l’honneur du philosophe, si bien que quinze pages et demie tout au plus sont consacrées au récit de sa vie. Il se défend d’ailleurs d’avoir voulu donner une biographie complète : « Vitam hujus incomparabilis Viri describere, nec animus est, nec facultas suppetit. Ea quippe tam nobilis & dissusa est, ut integrum volumen deposcat, & Scriptorem gravissimum. » (Pag. 73.) Et déjà il avait dit, quelques pages plus haut : « Speramus enim omninò futurum, ut Vir aliquis honoratior Vitam Nobilissimi Cartesii prolixo & decente stylo concinnet, & ita summo jure eximias hujus Viri laudes, & nobilissima ejus inventorum praeconia decantet, quæ totus orbis literatorum magno desiderio exspectat, & quasi deposcit. » (Pag. 69.) Ses témoins, pour la vie de Descartes, étaient Frans Schooten et Jean de Raey. Lui-même s’exprime ainsi, Præfatio ad Lectorem : « ...In Bataviam progrediens, salutavi illustria quæque Numina ubique locorum, & inter ea quoque Cl. Virum Dn. Johannem Adolphum Tassium, Hamburgensium Mathematicum & Philosophum gravissimum, Amicum plurimùm colendum, cum quo primo omnium in hâc peregrinatione cœpi Philosophiœ Cartesianae pretium expendere. » (Pag. 2.) « Quàm primùm igitur Lugdunum rursus appuleram ex Flandriâ & Brabantià redux, nihil prius habui, nihil antiquius, quàm ut sitim meam Mathematicam & Philosophicam sedarem : nec diu moratus, perrexi ad Clariss. Dn. Scotenium, cui jam ab aliis Viris elegantioribus eram commendatus, ejusque fummam in me benevolentiam provocavi, ut mecum amicitiœ dexteras jungeret, & artem Analyticam atque hanc Methodum summà fidelitate doceret. » (Pag. 3.) — Daniel Lipstorp naquit à Lubeck, le 10 mai 1631, et y mourut, le 1er septembre 1684. En 1652, il était à Leyde, et se fit inscrire à l’Université, comme étudiant en philosophie, le 4 juillet. Il était dans sa vingt-deuxième année.
  7. Vitæ Renati Cartesij, summi Philosophi, Compendium. Authore Petro Borello, Medico Regio. (Parisiis, Apud loannem Billaine, fub signo S. Augustini, & Viduam Mathurini Dupuis, sub signo Coronæ Aureæ, via Iacobæâ. M.DC.LVI. Cum privilegio Regis.) Pet. in-8, pp. 59. À la fin du volume se trouve un extrait du privilège, avec la date de celui-ci : « …anni 1653. 10 Nouembris. » Cette date de 1653 est parfois donnée comme celle de la première édition de l’opuscule de Pierre Borel. Mais, dans les exemplaires que nous avons eus sous les yeux, cet opuscule est imprimé à la suite d’un autre ouvrage et dans le même volume, qui porte ce titre général : Petri Borelli, Medici Regij Castrensis, Historiarum & Obseruationum Medico-Physicarum Centurice IV… Accesserunt D. Isaaci Cattieri, Doctoris Monspeliensis, & Medici Regij, Obseruationes Médicinales raræ, Dom. Borello communicatæ : & Renati Cartesij Vita eodem P. Borello Authore. Quæ omnia nunc primium in lucem prodeunt. (Parisiis, &c., mêmes noms de libraires. M.DC.LVI. Cum privilegio Regis.) Cette Vie de Descartes n’aurait donc été imprimée pour la première fois qu’en 1656. (Borel cite d’ailleurs, p. 26 et p. 47, non seulement l’ouvrage de Lipstorp, qui porte la date de 1653, mais encore, p. 26, d’autres ouvrages datés de 1654.) Dédicace à Pellisson : « Domino Paulo Pellissonio. Fontanerio, Consiliario & Secretario Regis, Domûs & Coronæ Franciæ. » Borel parle ainsi de son travail . « Patere, Vir Clarissime, opusculum hoc, maioris expromissorem, tuo nomini dicari. » À plusieurs reprises, Borel cite son principal témoin : « Stephanus Bressieus noster (p. 5), …cum familiari nostro Bressieo (ibid.)… » ; trois fois encore, p. 8 ; « audiuique à D. Bressiaeo », p. 34 et enfin p. 41-42 : « …D. Bressiæum Gratianopolitanum, Medicum Chimicum, qui eius Philosophias amasius eum accessit & diu cum eo ad experimenta facienda remansit ; ingeniosissimus enim est (sic) & optimus artifex. » — Peut-être cependant une première édition avait-elle été donnée en 1653, à Castres : « Sur la fin de la même année (1653) l’on vit paraître à Castres en Languedoc [en marge : Avec les Centur. de ses Hist. & Observ. Médico-Phys.] une espèce d’Abrégé de la même vie, composé par le Sieur Pierre Borel Médecin du Roy, & dédié à M. Pélisson. Il fut réimprimé à Paris trois ans après, puis à Francford & à Leipfick en 1670 & en 1676, & enfin inséré parmi les Mémoires du sieur Henning Witte, imprimés à Francford l’an 1677. « (Baillet, loc. cit., Préface, p. xv.) — Pierre Borel naquit à Castres, vers 1620, et mourut en 1689.
  8. Baillet cite encore trois autres ouvrages imprimés : « Un Allemand…, sans s’épouvanter des obstacles qui rebutaient les autres, a voulu enfin donner au Public le grand ouvrage qu’on attendait depuis tant de temps. Il le fit paraître à Nuremberg, l’an 1674, sous le titre magnifique de : M. Johannis Tepelii Historia Philosophiœ Cartesianœ. C’est un ouvrage de quatre petites feuilles d’impression, divisé en six Chapitres, dont il n’y a que le premier qui regarde précisément la vie de M. Descartes. Il serait peut-être plus utile, s’il était moins superficiel, ou s’il avait pu se garantir des fautes de ceux qu’il a Copiés. » (Pages xvi-xvii.) « …M. de Vries, Professeur en Philosophie à Utrecht, a donné de son côté une Introduction historique à la Philosophie de M. Descartes en forme de thèses qu’il a fait soutenir par deux de ses écoliers en 1683. Mais son dessein a été de nous représenter les âges différents ou du moins quelques aventures de la Philosophie en général jusqu’à M. Descartes, plutôt que d’entrer dans un détail particulier de ce qui le regarde, si l’on en excepte la troisième partie de son Introduction, où il emploie la valeur d’une feuille d’impression pour quelques faits qui concernent la personne ou la doctrine de notre Philosophe. » (Pages xvii-xviii.) L’ouvrage en question est ainsi intitulé : Gerardi de Vries, Prof. Philos. Ultraj., De Renati Cartesii Meditationibus à Petro Gassendo impugnatis Dissertatiuncula Historico-Philosophica. (Ultrajecti, apud Guillielmum van de Water, 1691, in-8, p. 115.) Le troisième ouvrage dont parle Baillet, venait de paraître, « en 1690, sur la fin ». C’était un livre anonyme, avec ce titre : Voyage du Monde de Descartes. « On ne peut refuser à l’Auteur la gloire d’avoir bien exécuté le dessein qu’il a en de faire un roman… » Il avait le droit « de bâtir même des vérités historiques sur un fondement fabuleux. Mais puisqu’il a jugé à propos de dépouiller ces vérités de la plupart des circonstances qui pourraient les faire reconnaître, nous n’oserions les regarder comme des vérités… » Ce petit livre était d’un Jésuite, le P. Daniel : Voyage du Monde de M. Descartes. (À Paris, chez la Veuve de Simon Benard, 1691, in- 12, pp. 308.)
  9. Le propos se trouve, Histoire des Ouvrages des Savans. juin 1693, art. I, p. 540 (3e édit.). Clerselier, d’ailleurs, était dans les mêmes sentiments ; lorsqu’il mourut à Paris, le 13 avril 1684 (à l’âge de soixante-dix ans, étant né le 21 mars 1614), les Nouvelles de la République des Lettres, juin 1684, crurent devoir mentionner spécialement sa piété : on ne croyait pas « qu’il y eut aucun bourgeois de Paris qui allât plus souvent à la messe ».
  10. Voir en tête du t. VII, et surtout du t. VIII, p. v-xiv, la part de Paul Tannery dans cette édition.
  11. Voir surtout le numéro spécial de la Revue, en juillet 1896 : Troisième centenaire de la naissance de Descartes. (Paris, A. Colin, in-8, p. 385-572.)
  12. Achille Jacquet était né à Pau, le 28 juillet 1846. Prix de Rome, 1870. Médaille d’honneur au Salon de 1889. Membre de l’Académie des Beaux-Arts, 1893. Décédé à Paris, le 30 octobre 1908.
  13. Toutefois un renseignement, fourni par Baillet (voir ci-après, p. 335, I. 27-28), donne à réfléchir : la reine Christine aurait fait « tirer un tableau de Descartes après sa mort ». Ce tableau est sans doute le portrait récemment retrouvé : en ce cas, Beck l’aurait peint d’après ses souvenirs, et non d’après nature, d’où une ressemblance telle quelle ! Ajoutons que, dans une lettre du 16 mai 1821 (voir ci-après, p. 627, 1. 12-13), Alexandre Lenoir parle de deux portraits de Descartes au Musée du roi (le Louvre), l’un de Bourdon et l’autre de Le Nain. Le tableau de Bourdon n’offre aucune ressemblance avec les traits de Descartes, tels que nous les connaissons, et doit représenter un autre personnage ; d’ailleurs Bourdon ne vint à Stockholm qu’en 1652, deux ans après la mort du philosophe : il ne l’aurait donc pas non plus peint d’après nature. Quant au tableau de Le Nain (Lenoir était, paraît-il, coutumier de cette sorte d’erreur), c’est le portrait de Descartes attribué communément aujourd’hui à Frans Hals. (Voir ci-après, p. 546, note.)
  14. Voici les principaux ouvrages à consulter, lesquels renvoient eux-mêmes à tous les opuscules et articles publiés sur des points de détail :

    La Vie de Monſ. Des-Cartes, par Adrien Baillet, Paris, Hortemels, 1691, 2 vol. in-4.

    La Famille Descartes en Bretagne, par Sigismond Ropartz, Rennes, 1877, in-8.

    Trois Médecins Poitevins au XVIe siècle, ou origines châtelleraudaises de la famille Descartes, par A. Barbier, Poitiers, 1897, in-8. — Voir aussi, du même auteur : Bulletins de la Société des Antiquaires de l’Ouest, t. VIII, 2e série, Poitiers, 1901, p. 618-654.

    Nouvelles recherches sur l’origine et le lieu de naissance de Descartes, par Louis de Grandmaison, Paris, 1899, in-8. Extrait de la Bibliothèque de l’École des Chartes.

    La famille Descartes, par E. Thouverez, Toulouse, Congrès des Sociétés savantes, 1899. Extrait de la Revue Archiv für Geschichte der Philosophie : XII Bd, 4. Heft, s. 505-528 ; XIII Bd, 4 Heft, s. 550-577 ; XIV Bd, I. Heft, s. 84-110.

    Le Parlement de Bretagne, 1554-1790, par Frédéric Saulnier, Rennes, 1909, in-fo, 2 parties, p. lxiii et 1-475, 476-892.

    Ces ouvrages seront cités sous la dénomination : Baillet, Ropartz. Barbier, Grandmaison. Thouverez, Saulnier.

  15. Renatus Des Cartes, Mathematicus, Picto, à la date du 27 juin 1630.
  16. Tome X, p. 51, 52, 53, 54. (p. 2, note b)
  17. Barbier, Société Antiquaires Ouest, t. VIII, 1901, p. 559.
  18. Ibid., p. 560 et p. 554.
  19. Ibid., p. 637-638.
  20. Baillet, t. I, p. 5.
  21. Grandmaison, Bibl. École des Chartes, t. LX, 1899, p. 450-451 : 8 juin 1574, — 14 février 1575, — 19 mars 1579, — et 2 janvier 1590.
  22. Barbier Société Antiquaires Ouest t. VIII, 1901, p. 631.
  23. Grandmaison, bibl. École des Chartes, t. LX, 1899, p. 453-454.
  24. Ibid., p. 451 : 19 janv. 1597.
  25. Barbier, loc. cit., p. 621-622
  26. Voir ci-avant, p. 2, note b.
  27. Lorsque celui-ci se maria, à Kerleau, paroisse d’Elven, le 26 sept. 1624, il est encore désigné, bien que déjà conseiller au Parlement de Rennes, comme étant « de la paroisse de Saint-Jean-Baptiste, en la ville » de Châtellerault, diocèse de Poitiers ». (Ropartz, p. 67.) — De là peut-être cette assertion de Pierre Borel sur Descartes, Vitæ Cartesii Compendium, 1656, p. 2 : « Magnus ille vir vitales auras haurire incepit inter Pictonum & Armoricorum in Galliâ gentem in vrbe Castrum Eraldium dictâ. »
  28. Barbier, loc. cit., 1901, p. 554 : « Contractz de mariage de maître » Pierre Desquartes, écuyer, avec ma fille Claude Ferrand. » (Annotation du beau-père, Jean Ferrand, à l’acte de fiançailles du 3 oct. 1543.) — D’autre part, on lit dans Baillet, t. I, p. 4 : « Un Médecin de Châtelleraut en Poitou, nommé Pierre Descartes, du temps de François I, » soutint un procès à la Cour des Aydes de Paris, contre les Élus de cette Ville, qui prétendaient le mettre à la taille. Il fut rétabli par la Cour » dans tous les droits de sa Noblesse, après avoir fidèlement representé sa généalogie par générations non interrompues jusqu’au Roy Charles » Cinquième. [En marge : Registre de la Cour des Aydes du 4 Septembre » 1547, avec les pièces originaires du procès.] » Par malheur, ce registre n’existe plus aux Archives nationales, et le récit de Baillet ne peut pas être contrôlé. — Quant à Joachim Descartes, il est qualifié d’écuyer au moins une fois, dans un acte du 7 oct. 1619 : Barbier, loc. cit., p. 641.
  29. Tome X, p. 555, pour Saumaise ; et pour Huygens, t. III, p. 677, 1. 29. René Descartes, d’ailleurs, était déjà qualifié d’écuyer, dans un acte de baptême à Elven, du 22 janv. 1628. Et son frère aîné, Pierre, a la même, qualification, dans des actes de baptême et autres, 20 nov. 1616, 7 oct. 1619, par ex. : Grandmaison, Bibl. École des Chartes, 1899, p. 453, et Barbier, loc. cit., p. 641.
  30. Le P. Fournier (Hydrographie, 1643, p. 512, 695, etc.) dit même toujours : « gentilhomme breton ». Ce qui ferait croire à des souvenirs de collège : l’élève René Descartes était connu à La Flèche comme fils d’un conseiller au Parlement de Bretagne, donc breton. Lui-même alla plus d’une fois en Bretagne, chez son père ou ses frères et beau-frère : aussi parle-t-il, pour l’avoir entendu, du dialecte ou patois « bas-breton ». (Tome VI, p. 7, l. 17-18, et t. X, p. 503, l. 3.)
  31. La signature de Descartes au bas des autographes que nous avons de lui, ne prouverait rien : les caractères d’écriture sont tous d’une seule venue, sans intervalle entre DES et CARTES. Mais plusieurs actes de baptême et autres montrent un intervalle très net et certainement intentionnel dans les signatures du père, Joachim Des Carthes, 32 février 1577 ; et de René lui-même, René Des Cartes, 21 mai 1616, et plus tard, 27 juillet 1625 ; enfin de son frère aîné, P. Des Cartes, 5 décembre 1620. (Barbier, loc. cit., 1901, p. 553-554 et p. 562.)
  32. Ropartz, p. 19.
  33. Id., p. 100. L’anecdote sera examinée et discutée, en son lieu, lors de la mort de Joachim Descartes, en octobre 1640.
  34. De Nephrisis et Lithiasis, feu de renum & vesicœ calculi, definitione, causis, signis, prœdictione, prœcautione & curatione. Ex Hippocrate, Dioscoride, Galeno, Auicenna, Ætio, & Paulo Ægineta, aliisque celeberrimis medicis, collectis. Per Ioannem Ferrandum feniorem medicum Pictauiensem. (Parisiis, Apud Gulielmum Iulianum, sub signo Amicitiœ, ad gymnasium Cameracense. 1570.) Petit in-8, f. 103. Titre abrégé : De Nephrisis & Lithiasis definitione. F. 11 verso : « Ferrandus, quamplurimos tractauit qui talia patiebantur, inter quos charissimum habuit generum suum à chartis medicum meritissimum, quem cum è viuis excessisset fecare fecit, lapidesque quam plurimos in cauitatibus renum inuenit, sicuti etiam in substantia renum : plures enim reperti sunt, longi, asperi, cornuti, nigri, qui » quoties laborabat, aut equitabat, veilicaban’: renum subdantiam, vnde sanguinolentam meiebat vrinam, & quando quietus manebat, puram & limpidam meiebat. » F. 21 recto : « Ferrandus hoc ipso anno 1566. Secto cadauere sui generi Petri deschartes, re medicâ illustrati, exclusit è substantia vtriusque renis duos lapides, ab vtroque vnum, insignis magnitudinis & crassitie(i), multis alis feu cornibus, aut radicibus in dictâ renum substantia & stomachis feu ventriculis adhærentibus, cum multis lapiliis pisorum magnitudinis repletis, vreteribus quamplurimis arenulis refertis & oppletis. Et in recto intestino, è regione colli vesicae, inuenta est carnolitas putris, quæ sua putrilagine veficam ita lacerauerat, vi inteftinorum excrementa ante obitum, vna cum vrina redderet ad miraculum vsque, & forfitan antea non visum ». On remarquera le nom que Ferrand donne à son gendre, en latin d’abord, puis en français : « generum suum à chartis », et " sui generi Petri deschartes ».
  35. Barbier, loc. cit., 1901, P. 633. Ordonnance du 23 mars 1589, rendue par le roi de Navarre, qui devint cette même année Henri IV (le 1er août). À noter que le futur parrain de notre philosophe, Michel Ferrand, lieutenant général de la sénéchaussée, catholique zélé, résista d’abord, mais il dut se soumettre. D’autre part, à La Haye, on trouve ceci dans Ropartz, p. 34 : « La maison où est né René Descartes, était sur l’ancienne paroisse de Notre-Dame. Il fut baptisé à Saint-Georges, parce qu’au moment de sa naissance Notre-Dame servait de temple aux protestants. »
  36. Grandmaison, Bibl. École des Chartes, 1899, p. 449 (le premier Pierre). Ropartz, p. 29 (le second Pierre), p. 33 (René, lire : le 3 avril), p. 35-36 (dernier enfant et mort de la mère).
  37. Cette seconde hypothèse est assez vraisemblable : les deux grand-mères, Claude Ferrand et Jeanne Sain, furent marraines l’une après l’autre sans doute des deux aînés, le premier et le second Pierre ; Jeanne ne serait venue qu’ensuite, et peut-être son nom lui fut donné par une tante, appelée aussi Jeanne Brochard, dame d’Archange, dont les trois enfants Descartes furent plus tard les héritiers.
  38. De 1554 à 1600, le Parlement de Bretagne tint deux sessions par an, d’un trimestre chacune, la première en février, mars et avril, la seconde en août, septembre et octobre ; et ce n’étaient pas les mêmes magistrats qui siégeaient à l’une et à l’autre. Mais un édit de juillet 1600, enregistré le 12 octobre suivant, rendit les sessions semestrielles : février-juillet, août-janvier. D’autre part, il y avait deux catégories de magistrats, les Bretons, ou « originaires » de Bretagne, et les Français ou « non originaires ». Bretons et Français étaient d’abord égaux en nombre : mais bientôt, par la création des nouveaux offices, l’égalité fut rompue en faveur des Français. Joachim Descartes, le père, était un de ceux-ci ; et ses fils et petits-fils, conseillers comme lui, eurent aussi des offices de « non originaires ». Tant que les sessions ne furent que de trois mois, les conseillers du dehors pouvaient fort bien ne venir à Rennes que pour cette courte durée, et demeurer les trois quarts de l’année dans leurs provinces respectives, Anjou, Touraine et Poitou. Mars lorsque les sessions durèrent six mois, la résidence de Rennes s’imposa presque à tous (Le Parlement de Bretagne, 1554-1790, par Frédéric Saulnier, Rennes, 1909, t. I, p. XIX, XXI, xxxi-xxxii). Ce serait une des raisons, sans parler de son second mariage, pour lesquelles Joachim Descartes, à partir de 1600, aurait quitté le Poitou pour la Bretagne. Et cependant, son fils aîné, dans son acte de mariage, en 1624, est encore mentionné comme appartenant « à la paroisse de Saint-Jean-Baptiste, en la ville de Châtellerault, diocèse de Poitiers ». (Voir ci-avant, p. 6, note a.)
  39. Ropartz, p. 22-23, 27-28, 29-31, 32-33, 35-36.
  40. Id. p. 49. Saulnier, p. 295, donne ces deux dates pour le baptême et pour la mort d’Anne Morin : Nantes, 2 sept. 1579, et 19 nov. 1634.
  41. ROPARTZ, p. 50 (Claude et François), p. 51 (Anne).
  42. Voici les noms de six Descartes, père, frères, neveux et petit-neveu de notre philosophe, qui furent conseillers au Parlement de Bretagne, sans compter un neveu, fils de sa sœur, François Rogier, sieur du Crévy, et d’autres alliés par des mariages à la famille. (Saulnier, t. I, p. 295-299.) Joachim Descartes, le père, bien que né le 2 décembre 1663, fut conseiller du Parlement de Bretagne, à vingt-trois ans (au lieu de vingt-sept, qui était l’âge requis, ou du moins, vingt-cinq, suivant l’ordonnance de Blois, de mai 1579) : lettres de provision, 6 décembre 1585 ; réception, 14 février 1586. Il résigna sa charge en faveur de l’un de ses fils, Joachim, pourvu le 2 décembre 1625. Mais le père obtint du roi (lettres du 10 décembre), que, pour les services qu’il avait rendus « l’espace de quarante ans », il continuerait l’exercice de sa charge pendant quatre années, « son fils ne pouvant entrer en exercice que le susdit temps ne soit expiré ». Toutefois il n’alla pas jusqu’au bout, et obtint des lettres d’honorariat, données par le roi « au camp devant La Rochelle, le 20 juillet 1628 ». Il ne les fit enregistrer qu’un an après, le 21 juillet 1629. (Ropartz, p. 92-95.) Il vécut encore plus d’onze ans, et ne mourut qu’en octobre 1640.
    Pierre Descartes, sieur de la Bretallière et de Kerleau, fils aîné du précédent (et frère aîné de notre philosophe), fut aussi conseiller au Parlement de Bretagne. Né le 19 octobre 1591, pourvu le 10 mars 1618, reçu le 10 avril suivant, il était seulement dans sa vingt-septième année. Il résignera sa charge en faveur de son fils, pourvu le 21 décembre 1647, et reçu le 30 mai 1648. Mais lui-même se fera pourvoir d’une nouvelle charge en 1649 ; on le reçut le 10 février 1650, avec beaucoup de difficultés et sur lettres de jussion du 10 janvier précédent, et encore, sous la condition qu’il ne céderait plus cette seconde charge à l’un de ses enfants. Il semble bien l’avoir résignée des cette même année 1650 en faveur de François Fouquet, bien que celui-ci n’ait été reçu que le 17 juillet 1654 ; (le contrat de vente est du 30 janvier 1654, au prix de 80.000 livres). Il ne mourut que six ans après, en 1660 ; mais depuis quatre ans, il était paralysé. (Ropartz, p. 162.) — Son fils aîné, Joachim Descartes, sieur de Kerleau. né à La Chapelle, près de Ploërmel, le 5 octobre 1627, fut donc pourvu le 21 décembre 1647 et reçu le 30 mai 1648 (il n’avait que vingt ans). Il mourut à Rennes, le 28 avril 1700. — Il eut lui-même un fils conseiller au Parlement de Bretagne, Francois-Joachim Descartes, sieur de Kerleau, né à Rennes, le 20 avril 1664 ; pourvu le 16 février 1691. Marié deux fois : avec Françoise Geret, le 28 novembre 1690, laquelle mourut le 11 août 1729, sans enfants ; puis avec Anne-Marguerite-Sylvie-Joseph de Quifistre, dame de Balavan, le 9 octobre 1729, née le 14 août 1702 elle avait vingt-sept ans, et son mari soixante-cinq. Ce Descartes, le dernier du nom, mourut à Vannes, le 7 avril 1736, et fut inhumé le 8 à Elven. Il avait vendu sa charge, le 20 juillet 1734, au prix de 22.000 livres. Sa fille unique, Marguerite-Sylvie, née du second mariage, le 21 janvier 1731, épousa le 24 juin 1750 René-Jacques-Louis Le Prestre, marquis de Châteaugiron, conseiller en 1742, et président à mortier en 1756 ; elle mourut en 1762, et fut inhumée à Elven, le 14 juillet. De cette union naquit un fils, René-Joseph, père de René-Jacques-Hippolyte, marquis de Châteaugiron (1774-1848), dernier du nom, celui qui communiqua à Victor Cousin la lettre du 3 avril 1622, publiée au t. I, p. 1-2.
    Joachim Descartes, sieur de Chavagne, fils du premier Joachim et de sa seconde femme, demi-frère par conséquent de notre philosophe, naquit vers 1602. Pourvu le 2 décembre 1625, à charge de survivance, au lieu de son père résignant, il ne fut reçu que le 10 juillet 1627 : rien ne pressait, puisque son père pouvait exercer quatre ans encore. Il vendit son office par contrat du 15 avril 1678, au prix de 64.000 livres, et reçut des lettres d’honorariat, le 8 septembre de la même année. Il mourut doyen du Parlement, vers 1680. — Son fils, appelé comme lui Joachim Descartes, sieur de Chavagne, né en mai 1635, devint aussi conseiller : pourvu le 31 mars 1659 (à vingt-quatre ans à peine), reçu le 21 mai suivant. Il avait acheté sa charge 95.000 livres, et ne l’estimait plus que 45.000 dans son testament, en 1711 et 1714. Sa fille aînée ne la vendit, le 18 décembre 1721, que 38.000 livres. Il était mort le 8 août 1718. Demeuré veuf de sa femme, Prudence Sanguin, le 15 juillet 1673, avec quatre filles, il maria l’aînée, Louise-Prudence, avec Christophe de Rosnyvinen, marquis de Pire, le 31 août 1676 ; la seconde entra aux Ursulines ; la troisième, Céleste, épousa le 9 avril 1682, François Amaury de la Moussaye ; et la dernière, Suzanne, baptisée le 9 mai 1664, épousa, comme son aînée, un Rosnyvinen, Jean ; frère cadet de Christophe. Ayant ainsi marié ses filles, Joachim Descartes entra dans les ordres ; il ’était déjà prêtre, lorsque Baillet publia sa Vie de Descartes, en 1691. (Ropartz, p. 177-183, et p. 205-209. Baillet, t. I, p. 14-15.)
  43. En 1668, une commission fut nommée pour la réformation de la noblesse de Bretagne, et elle fonctionna jusqu’en 1671. Parmi les arrêts qu’elle rendit, il en est deux qui regardent la famille Descartes : arrêt du 17 décembre 1668, en faveur de « Messire Joachim Descartes, seigneur de Kerleau » ; arrêt du 22 octobre 1668, en faveur d’un autre « Messire » Joachim Descartes, seigneur de Chavagne. » C’étaient les petits-fils de Joachim Descartes, père du philosophe, et les fils de ses deux frères, par conséquent ses neveux. Or, pour obtenir gain de cause, il leur suffit de faire valoir qu’ils étaient conseillers, fils de conseillers, et petit-fils de conseiller, sans avoir à produire d’autres titres (ce dont ils auraient été peut-être assez en peine). Ils furent déclarés « nobles, issus d’extraction noble », et on leur permit, à eux et à leurs descendants, « les qualités d’Écuyer et de Chevalier », et à leurs frères « la qualité d’Écuyer » seulement. Les armes de la famille : d’argent, au sautoir de sable cantonné de quatre palmes de sinople, remonteraient à cette date de 1668 ; et il resterait à établir qu’elles existaient antérieurement. (Barbier, loc. cit., 1901, p. 574-575, et p. 576.) — En 1637, Descartes obtint pour ses ouvrages un privilège du roi, rédigé en termes si élogieux, que cela valait mieux, lui dit-on, que « des lettres de chevalerie » (t. I, p. 376, 1. 5-7), ou qui l’auraient créé chevalier. Donc il ne l’était pas ; aussi n’en prit-il jamais le titre, mais seulement, nous l’avons vu, celui d’écuyer. Les arrêts de 1668 auront à la fois pour effet de confirmer la famille dans sa noblesse, et de la promouvoir d’un degré.
  44. Jeanne Sain mourut sans doute dans les premiers mois de 1610. Voici, à ce propos, un document qui est le premier acte public, à notre connaissance, où mention soit faite des biens de famille dont hérita en partie Descartes.
    « 26 novembre 1610. — Partages des successions de feu dame Jeanne Sain, veuve de feu messire René Brochard, vivant lieutenant général du Poitou, et de feu damoiselle Jeanne Brochard, vivante dame et douairière de Me Darchange, en séquance du jugement du 5 mai dernier qui ordonne lesdits partages, tant des biens de Poitou que de ceux de Touraine, suivant les appréciations des 17 et 18 mai, arrêtées les 13 juillet et 1er octobre derniers. Lesdits partages faits entre :
    » I. Me René Brochard, éc, sgr de la Coussaye, petit-fils aîné et principal héritier de ladite Jeanne Sain, par représentation de feu Me Claude Brochard son père, vivant conseiller en la cour de Parlement… Le lot dudit sr de la Coussaye se monte à 35. 000 livres.
    » 2. Me René Brochard, éc, sgr des Fontaines, conseiller du Roi et son magistrat au siège présidial de Poitiers, fils de ladite Jeanne Sain. Sa part s’élève à 17.697 livres 10 sous.
    » 3. Me Jouachim Des Cartes, éc., conseiller du Roi en sa cour de Parlement de Bretagne, comme père et loyal administrateur de ses enfants mineurs et de feu damoiselle Jeanne Brochard, sa première femme. Le lot dudit messire Jouachim Des Cartes, audit nom, comprend :
    » La maison, métairie et clos de vigne de la Grand-Maison,
    » La maison noble, appartenances et dépendances du Marchais-Bellin,
    » La maison et métairie du Perrion (sic),
    » Les terres et prés de la Baudinière, — le tout situé paroissed’Availles ;
    » Plus la maison et métairie de la Raintrie (sic) et Pré-Brochard, en la paroisse de Poutumé ;
    » Plus la maison noble, appartenances et dépendances du Petit-Marais, paroisse d’Ingrande, avec quelques rentes en blé et en argent.
    » Le tout montant à 17.723 livres. » Ce document a été publié par Louis de Grandmaison, Bibl. École des Chartes, t. LX, 1899, p. 455-456. La Grand-Maison, le Marchais, le Perron et la Bobinière, sont quatre hameaux de la commune d’Availles, canton de Vouneuil-sur-Vienne, arrondissement de Châtellerault. La Renaintrie est maintenant de la commune de Châtellerault, la commune de Pouthund ayant été réunie à celle-ci en 1801. Enfin le Petit-Marais est une ferme de la commune d’Ingrandes, canton de Dangé, toujours arr. de Châtellerault.
    Des trois enfants de Joachim Descartes et de sa première femme, Jeanne Brochard, deux fils et une fille, celle-ci, Jeanne Descartes, épousa le 21 avril 1613, Pierre Rogier, seigneur du Crévy. « Le mariage fut célébré à Rennes, dans l’église Saint-Germain, par Messire Pierre Radenatz, recteur de cette paroisse. Le contrat, dressé par MMes Jean Nazette et François Gicquel, nous apprend que Jeanne Descartes reçut en dot 15.000 livres, savoir : 8.000 livres, suivant l’ordonnance de dernière volonté de Claude Ferrand, mère dudit sieur Descartes, et 10.000 livres pour la part de Jeanne, dans la succession de défunte Jeanne Sain, son aïeule maternelle, Jeanne Brochard, sa mère, et autre Jeanne Brochart, dame d’Archangié, sa tante. » (Ropartz, p. 54.)
  45. Tome IV, p. 220, l. 29, à p. 221, l. 5 : lettre de mai ou juin 1645.
  46. Tome V, p. 470 : lettre du 10 février 1650.
  47. Grandmaison, Bibl. École des Chartes, t. LX, 1899, p. 451-452.
  48. Grandmaison, ibid., p. 452 ; 26 déc. 1598, — 15 déc. 1599, — 12 avril 1600, — 19 août 1603, — 6 févr. et 13 nov. 1604, — 6 sept. 1605, — 13 mars 1606, — 3 juin 1609.
  49. Tome I, p. 468 : octobre 1637. T. II, p. 596, l. 5-10 : lettre du 16 oct. 1639. T. IV, p. 528, l. 2-3 : lettre du 12 oct. 1646. François Rogier, sieur du Crévy, fur baptisé à La Chapelle, près de Ploërmel, le 1er août 1622, et mourut au plus tard en 1662. Il devint conseiller au Parlement de Rennes : lettres de provision, 24 mars 1649 ; réception, 14 mai suivant. Il épousa, le 26 nov. 1650, Renée Foucault, fille d’un maître des comptes de Bretagne. Sa veuve vendit son office, par contrat du 19 août 1663, au prix de 135.000 livres. (Saulnier, t. I, p. 769.)
  50. Tome III, p. 278, 1. 10, à p. 279, 1. 3 : lettre de janvier 1641. Son père mourut en octobre 1640. Quant à l’autre personne, on peut hésiter entre la petite fille qu’il venait de perdre à l’âge de cinq ans, Francine, morte à Amersfort le 7 sept. 1640, et sa sœur Jeanne, dame du Crévy ; celle-ci mourut cette même année 1640, mais nous n’avons pas la date du décès. (Tome IV, p. 373.)
  51. Tome IV, p. 579, 1. 17-19, et p. 589, 1. 10-19.
  52. Tome V, p. 57, 1. 10-22.
  53. Tome XI, p. i23, 1. 6-8 (clairet), et p. 254, 1. 3-4, p. 63i-632, etc.
  54. Tome VII, p. 512, 1. 16-21.
  55. Tome VI, p. 248, 1. 10-15, et p. 314, 1. 26-28.
  56. Tous les traits qui suivent, sont empruntés textuellement à Descartes ; et on en pourrait citer bien d’autres encore. Voir t. VI, p. 24, 1. 22-30 (voyageur dans la forêt) ; t. VIII, p. 226, 1. 4-6 (marais) ; t. VI, p. 322, 1. 5-6 (feux-follets) ; t. VI, p. 235, l. 19-21, et p. 241, 1. 12-15 (haies) ; t. VI, p. 240, 1. 5-14 (poussière); t. VIII, p. 94, 1. 18-26, et p. 95, 1. 23, t. XI, p. 58-60 (tourbillons) ; t. VI, p. 46, 1. 9-10, et t. XI, p. 254, l. 4-5, et p. 642, 1. 8-9 (foin); t. III, p. 141, l. 15-29 (cribles) ; t. XI, p. 370, l. 1-8 (chiens), t. II, p. 350, l. 19-22 (mouches) ; t. VI, p. 312, l. 19-21 (moucherons). Voici encore une jolie image, t. XI, p. 108, l. 10-12 (il faut lire ainsi le texte, qui est à corriger) : « … ainsi que fait l’image de la Lune, au fond d’un lac dont la surface n’est pas fort troublée ni agitée, mais seulement un peu crespée par le souffle de quelque vent. »
  57. Tome V, p. 349, l. 7-8 et l. 12-13 : lettre à Brasset, 23 avril 1649. Voir aussi t. III, p. 616, l. 1-2.
  58. Un Collège de Jésuites aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le Collège Henri IV de La Flèche. Par le P. Camille de Rochemonteix, de la Compagnie de Jésus. (Le Mans, Leguicheux imprimeur, 1889, 4 vol. in-8, iv-309 pages, 332, 356 et 444.)
  59. Pour cette date de l’entrée au collège, nous suivons Baillet (t. I, p. 18), qui, malheureusement, n’indique à ce sujet aucune référence.
  60. Étienne Charlet était né à Paris, paroisse de Saint-André-des-Arcs, le 30 sept. 1570 ; recteur du Collège de La Flèche en 1607, plus tard l’un des cinq assistants du général des Jésuites à Rome, 1627-1646, il mourut le 26 oct. 1652. Il fut, en outre, deux fois provincial de la province de Paris, 1616-1619 et 1646-1649. Deux de ses cousins furent conseillers au Parlement de Rennes : François Charlet, de 1573 à 1576, qui passa ensuite au Parlement de Paris, où il vivait encore en 1608 ; et Jacques Charlet, de 1585 à 1594. Une de leurs ascendantes, Radegonde Charlet, avait épousé un Julien Brochard : Jeanne Brochard, mère de notre philosophe, et Claude Ferrand, sa grand-mère maternelle, l’avaient l’une et l’autre comme trisaïeule. (Le Parlement de Bretagne, 1554-1790, par Frédéric Saulnier, Rennes, 1909, t. I, p. 220-221.)
  61. Ici Baillet (t. I, p. 28) cite son auteur, Daniel Lipstorp. Et nous savons, par des témoignages sûrs, que Descartes (pour son malheur, lorsqu’il fut en Suède) garda toute sa vie l’habitude de se lever tard. Voici le texte complet de Lipstorp :
    « Analyſis autem Geometrica ipſi diſplicere non poterat vel ſolo iſto nomine, quòd, cum miracula quædam numerorum eruat, tam abſtruſa ac recondita ut facultas illa omnem captum humanum ſuperare videatur, tantà nihilominus facilitate & voluptate id expediat, ut facilius videatur eſſe nihil. Poſterior tamen & potior cauſa fuit, quod minus fuerit adſtrictæ illius in hiſce ſcholis diſciplinæ alligatus : idque ex indultu cognati, quem inter alios præceptores habebat, qui ipſi ſecurius vivere (non tamen ut illi ſolent, qui turpi & languenti otio laſciviunt) & recollectis ſubinde per quietem viribus genio ſpecuiativo indulgere permiſit. Hanc enim ejus fuiſſe perpetuam conſuetudinem, ut mane experrectus in reclinatorio ſuo ad clarum uſque diem meditabundus jaceret, norunt illi, qui ipſum familiarius noverunt, quique tunc ejus ingenii vires ſæpius ſunt periclitati. Hàc ratione invenit ſpecioſam ſuam Algebram, omnium liberalium artium & ſcientiarum clavem, optimam verum à falſo dignoſcendi methodum… » (Danielis Lipstorpii Lubecensis Specimina Philoſophiœ Carteſianœ. Lugd. Bat., apud J. & D. Elsevier. cIo Ioc liii. Pag. 74-75.)
  62. Tome VI, p. 4, l. 21, à p. 9, l. 16 ; et p. 541-544.
  63. Tome X. p. 182-185. Nuit du 10 novembre 1619.
  64. Ibid., et t. IV, p. 537, l. 9-13 : lettre à Chanut, du 1er novembre 1646. La première devise, empruntée à Ausone, est :

    Quod vitæ sectabor iter ?

    Et la seconde, empruntée à Sénèque le Tragique :

    Illi mors gravis incubat,
    Qui, notus nimis omnibus,
    Ignotus moritur sibi.

    Pour les autres citations, voir l’Index des Noms propres, t. V, p. 595-612, pour la correspondance, et à la fin de chaque volume, pour les tomes VI-XI.

  65. Sur un total de 498 lettres. 63 sont en latin. De mêmes les trois ouvrages intitulés : Meditationes (1641 et 1642), Epistola ad Celeberrimum Voetium (1643). Principia Philosophiæ (1644).
  66. Tome XI, p. 549-646. Notes d’anatomie : peut-être, vu la nature spéciale du sujet, le latin était-il de rigueur.
  67. Tome I, p. 12 : « Stylo, ut aiebat, Petroniano », mot de Descartes rapporté par Balzac, dans une lettre à Chapelain, du 22 avril 1637, à propos de la lettre de mars 1628, t. I, p. 7-11. Balzac répondit à Descartes en français, p. 569-571, lettre du 30 mars 1628. — Notre philosophe avoua lui-même à Huygens, qu’autrefois il avait fait des vers : t. IV, p. 102, l. 2-3, lettre du 14 mars 1644, sans doute des vers latins, puisque Huygens lui rappelle cet aveu, à propos de vers latins qu’il lui envoie. — Quant au style de Descartes en latin, voir quelques remarques, t. IX, 2e partie, p. viii-ix. Pourtant il déclare, dans une lettre à Pollot, du 1er janvier 1644, qu’il lui faut beaucoup plus de temps pour écrire en latin qu’en français, t. IV, p. 73, l. 3-7.
  68. Rochemonteix, t. IV, p. 51-52. François Véron, né à Paris, en 1578, entré dans la Compagnie de Jésus, 13 septembre 1595, la quitta en 1620, et devint curé de Charenton, où il mourut, 6 décembre 1649. Auteur d’une Méthode de controverse contre les protestants, laquelle n’eut pas moins de vingt-deux éditions, de 1615 à 1638. Auparavant, il avait publié un ouvrage de piété, souvent réimprimé depuis 1599, date de la première édition, jusqu’à 1637. Deux éditions parurent à La Flèche même, en 1610 : Manuale Sodalitatis B. Mariœ Virginis, Ac luuentutis Vniuerfœ felectœ Gymnafiorum Societatis lefu, mirdculis dictœ Sodalitatis illustratum. a; p. f. v. i. (Flexiæ, apud lac. Rezé, m.dc.x., in-12. pp. 627.) L’édition suivante, qui porte presque le même titre, fut imprimée à Arras, 1612 ; mais l’épître dédicatoire est ainsi datée : « Flexiæ, 7 Marui anno 1610. » Voir Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, nouv. édit. par Sommervogel, t. VIII, 1898, p. 603-610 ; et Un Curé de Charenton au XVIIe siècle, par l’abbé P. Féret. (Paris, Gervais, 1881, in-12, p. 14-160.)
  69. Rochemonteix, t. IV, p. 27 : Institutionum Dialecticarum Libri VIII. Auctore Petro Fonseca S. J. (Flexiæ, apud Griveau, 1609.)
  70. Tome III, p. 185, 1. 12-18 : lettre du 30 septembre 1640. Eustache de Saint-Paul publia une Summa philosophica, en 1609 : ibid., p. 196.
  71. Tome X, p. 154, note c, et p. 155-156, note d.
  72. Tome II, p. 524, l. 8-13 : lettre à Mersenne, du 20 février 1639. Ce texte décisif a été invoque contre l’historiette suivante que raconte Lipstorp :

    « Hanc veritatis ducem (ſpecioſam Algebram, voir ci-avant, p. 20, note b, le passage auquel celui-ci fait immédiatement suite) cùm ſecuriùs in dies perſequeretur, & interea in vulgari Analyſi Geometricâ à Præceptore ſuo exercerctur, id confequutus < eſt >, ut non tantùm dexteritate ingenii aliis ſuis in hocce ſtudio Analytico commilitonibus palmam præriperet, ſed & Præceptoris exſpectatione opinione citius major factus, nihil jam amplius, quantum ad Analyſin iſtam ſpectaret, fibi proponere permitteret, quod non miro artificio proiinus ſolveret. Imô ipſum Præceptorem, in Algebraicis ſorſan non tam exactè verſatum, novis quæſtionibus ita deſatigavit, ut eum non amplius fuâ informatione indigere ingenuo teſtimonio confirmaret. Erat autem ipſi paulò antè difficilior quæſtio à Magiſtro propoſita, quam per novam fuam methodum artificioſe ſolverat, ſolutæque copiam magiſtro ſecerat. Is novum folvendi modum per quantitates quaſdam ſimplices, poſthabitis numeris, conſpicatus, ipſum monuit, ut Viëtam conſuleret, qui ejuſdem argumenti nonnulla concinnaverat. Tum ille gaudio ingenti delibutus, quòd alium quoque hujus methodi peritum extitiſſe intellexerat, non deſtitit Præceptorem rogare, ut ſibi hujus copiam facere non gravaretur. Cumque abſtruſiora quædam in eo deprehendiſſet, quàm quaæ primà fronte ſibi | pervia eſſent, illico Præceptoris benevolentiam precibus ſollicitavit, ut ipſi faculam in iis præluceret. Ille novum onus fibi impar declinare, & non niſi unum eſſe in totâ urbe, cui Viëtæa Analyſis cognita eſſet atque perſpecta, regeſſit. Iterum ille petiit, procuraret, ut ſibi per ipſum aditus ad illum Virum pateret. At quâ remorâ interveniente ego juxta ſcio cum ignarifſimis, votorum ſuorum damnari non potuit. » (Lispstorph Specimina, 1653. Pag. 75-76.)

    Baillet paraphrase toute cette histoire de Lipstorp, en prévenant le lecteur que c’est « une hiſtoire dont la vérité ſemble dépendre d’une circonſtance qui eſt abſolument fauſſe ». Et il conclut ainsi : « Il eſt à craindre que tout ce récit n’ait été le fruit de l’imagination de Lipſtorpius, plûtôt que la relation d’un fait véritable. Pour en faire voir le peu de vray-ſemblance, il ſudfit de produire le témoignage de M. Deſcartes, qui a marqué dans une lettre écrite de Hollande au Pére Merſenne en 1639, qu’il ne ſe ſouvenoit pas même d’avoir jamais vû ſeulement la couverture de Viéte pendant qu’il avait été en France ». Et Baillet cite en marge : « Tom. 2 de ſes Lett., p. 454 », c’est-à-dire dans la présente édition, t. II, p. 524, l. 8-9. « C’eſt ce qu’il diſoit (continue Baillet) pour convaincre de fauſſeté un Géométre qu’il ne connoiſſoit pas, mais qui ſe vantoit d’avoir étudié Viéte avec lui à Paris. Il étoit encore plus éloigné d’avoir vû la perſonne de Viéte que ſes Ecrits, puiſque ce grand Mathématicien, qui étoit natif de Fontenai-le-Comte en Poitou, & qui poſſédoit une Charge de Maître des Requêtes à Paris, étoit mort des l’an 1603. » (Baillet, t. I, p. 30-31.)

  73. « Étant encore à la Flèche, il s’étoit formé une méthode ſinguliére de » diſputer en Philoſophie, qui ne déplaiſoit pas au Pére Charlet Recteur du collège ſon directeur particulier, ny au Pére Dinet | ſon Préfet, quoy qu’elle donnât un peu d’exercice à ſon Régent. Lorsqu’il étoit queſtion de propoſer un argument dans la diſpute, il faiſoit d’abord pluſieurs demandes touchant les définitions des noms. Aprés, il vouloit ſçavoir ce que l’on entendoit par certains principes reçus dans l’école. Enſuite, il demandoit ſi l’on ne convenoit pas de certaines véritez connuës, dont il faiſoit demeurer d’accord : d’où il formoit enfin un ſeul argument, dont il étoit fort difficile de ſe débaraſſer [En marge : Rél. Mſ. de Poiſſon]. C’eſt une ſingularité de ſes études que le P. Poiſſon, demeurant à Saumur en 1663, avoit appriſe d’un homme qui avoit porté le porte-feuille à la Fléche avec M. Deſcartes. & qui en avoit été témoin pendant tout le cours de philoſophie qu’ils avoient fait ſous le même maître. Il ne ſe défit jamais de ſa méthode dans la fuite, mais il ſe contenta de la perfectionner : & il la jugeoit ſi naturelle, que jamais il n’auroit trouvé à redire à celle des Scholaſtiques, s’il l’eût trouvée auſſi courte & auſſi commode. » (Baillet, t. II, p. 483-484.)
  74. Tome II, p. 3-8, l. 6-16 : lettre du 12 sept. 1638.
  75. Tome VI, p. 11 (2e partie), p. 22 (3e partie), p. 31 (4e partie et p. 40 (5e partie). Voir aussi t. XI, p. 314, l. 28, à p. 315, l. 5.
  76. Rochemonteix, t. IV, p. 3. Saint Thomas fut proclamé Père de l’Église, en 1569, au concile de Trente. — Notons cette déclaration de Descartes, dans une lettre à Mersenne, 25 déc. 1639. t. II, p. 630, I. 4-6 : « l’ay encore icy vne Somme de S. Thomas, et vne Bible que i’ay aportée de France.)
  77. Rochemonteix, t. IV, p. 160, note. Extrait du Ratio studiorum :

    « Academiæ nomine intelligimus cœtum studiosorum ex omnibus scolasticis delectum, qui aliquo ex nostris præfecto conveniunt ut peculiares quasdam habeant exercitationes ad studia pertinentes. »

    « Hoc ex numero omnes censentur, qui sunt ex congregatione B. Virginis… »

    « Academicos pieiate, diligentiâ in studiis, & scolarum legibus servandis, exemple esse oportet. »

    « In unam Academiam theologi et philosophi ſere convenire poterunt ; in alteram rhetores & humanistæ ; in tertiam grammatici… »

    « Magistratus secretis suffragiis eligentur : hi ferme erunt : academiæ rector, duo consiliarii & unus secretarius. »

    Voir, pour le P. Véron, p. 23 ci-avant, note a.

  78. Tome X, p. 181-182 : nuit du 10 novembre 1619.
  79. Tome VIII, 2e partie, p. 64-107.
  80. Tome X, p. 186-188.
  81. Rochemonteix, t. I, p. 138. — Baillet, t. I, p. 22-24.
  82. Correspondance entre Descartes et Brasset. t. V, p. 584, etc.
  83. Tome X, p. 533-538.
  84. Tome XI, p. 661-662.
  85. Rochemonteix, t. I, p. 147. Le récit de ces fêtes fut imprimé : In Anniverſarium Henrici Magni obitûs diem Lacrymæ Collegii Flexiensis Regii S. J. (Flexiæ, apud Iacobum Rezé, 1611.)
  86. De Phænomenis in orbe lunæ novi teleſcopii uſu à D. Gallileo Gallileo nunc iterum ſuſcitatis Phyſica diſputatio, à D. Iulio Cæsare La Galla in Romano Gymnaſio habita, Philoſophiæ in eodem Gymnaſio Primario Profeſſore. Necnon de Luce & Lumine altera diſputatio. Superiorum permiſſu, & Privilegio, 10 et 12 nov. 1611, pp. 72. (Venetiis MDCXII. Apud Thomam Balionum.)

    La préface est dédiée : « llluſtriſſimo atque Reuerendiff. D. D. Aloysio Caponio s. R. E. Cardinali Ampiiſſ… Iulius Cæsar La Galla fœlicitatem. Ex Vrbe decimo Kalendas Octobris MDCXI. » Elle se termine ainsi :

    « …hoc enim obſequium tibi deberi exiſtimaui, quem noueram tanta cum voluptate Gallileum hæc demonſtrantem ſuſcepſſe, creſcenti Patriæ gloriæ gratatum, quæ veluti ſuperioribus annis Vesputium dédit, noui Orbis inuentorem, ita nunc Gallileum habet nouorum ſyderum authorem. Accipe igitur Opuſculum hoc tuo nomini conſecratum… »

    Et dans le second opuscule : De luce & lumine Diſputatio. Cap. I, p. 57 :

    « Cùm aliquando adhuc antepoſita node Illuſtriſſimus Federichs Cæsius Marchio Montis Cælij, rei litterariæ in Vrbe patronus, — ac D. Ioannes Remiscianus, vir omni diſciplinarum genere inſtructus, & Attica atque Romana facundia præclarus, cuius ſolerti ingenio nouum Teleſcopij nomen perſpicillo aptiſſimè inditum debemus, — necnon Do. Ioannes Clementius, rerum naturalium ſolertiſſimus indagator, ac Plinianæ gloriæ noſtra ætate æmulus, — Eccellentiſſimum D. Gallilæum conueniſſemus viſendi gratiâ Venerem perſpicillo ſalcatam ſpeciem præ ſe ſerentem, necnon circa Saturnum obambulantes alios Ermes : — nubibus obſervationem ſyderum nobis eripientibus, interim variis de rebus, vt inter doctos ſolet, habebatur ſermo. »

  87. Tome I, p. 69, l. 3-5 : lettre du 13 nov. 1629.
  88. Tome VI, p. 17. l. 19-20 ; et t. X, p. 156-157 et p. 164-165.
  89. Tome X, p. 63-64, et p. 165, l. 10.
  90. Un magicien brûlé vif (1623), par Louis Batifol. (Revue de Paris, 15 mars 1902. p. 369-393.)
  91. Tome X, p. 347.
  92. Notons cependant ici ces deux déclarations (Relat. MS. de M. Belin) :

    « Quoi qu’il ſe ſentit trés-obligé aux ſoins de ſes Maîtres qui n’avoient rien omis de ce qui dépendoit d’eux pour le ſatisfaire, il ne ſe croioit pourtant pas redevable à ſes études de ce qu’il a fait dans la ſuite pour la recherche de la vérité dans les Arts & les Sciences. Il ne faiſoit pas difficulté d’avouer à ses amis, que quand ſon Père ne l’auroit pas fait étudier, il n’auroit pas laiſſé d’écrire en François les mêmes choses qu’il a écrites en Latin. Il témoignoit souvent que, s’il avoit été de condition à ſe faire Artiſan, & que ſi on lui eût fait apprendre un mêtier étant jeune, il y auroit parfaitement réüſſi, parce qu’il avoit toujours eu une forte inclination pour les Arts. De ſorte que, ne s’étant jamais ſoucié de retenir ce qu’il avoit appris au Collége, c’est merveille qu’il n’ait pas tout oublié, & qu’il ſe ſoit souvent trompé lui-même dans ce qu’il croioit avoir oublié. » (Baillet, t. I, p. 34-35.)

    « (Mais il ſe ſeroit récrié le premier contre cette imagination), luy qui vouloit faire croire à ses amis que, quand ſon père ne l’auroit jamais fait étudier, il n’aurait pas laiſſé d’écrire les mêmes penſées, de la même manière, & peut-être encore mieux qu’il n’a fait. C’est ce qu’il auroit pu nous persuader aisément, si nous considérons, qu’il n’y a rien, de tout ce qu’il a écrit, qu’il n’ait pû concevoir, dicter, & compoſer en sa langue maternelle ; & que ſon ſtile françois, au jugement des Sçavans, eſt préférable de beaucoup à ſon ſtile latin. » (Idem, t. II, p. 470-471.)

  93. Tome VI, p. 11, l. 3 et suiv. ; p. 28, l. 24, etc. ; p. 30, l. 10-14.
  94. Tome X, p. 17-39.
  95. Baillet, après avoir parlé du départ de Mersenne, l’avent de 1614, continue ainsi :

    « Cette ſéparation toucha M. Deſcarte aſſez vivement. Mais au lieu de luy donner la penſée de retourner à ſes divertiſſemens & à ſon oiſiveté, elle le fit encore mieux rentrer en luy même, que la préſence de ſon vertueux ami, & luy inſpira la réſolution de ſe retirer du grand monde. & de renoncer même à ſes compagnies ordinaires, pour ſe remettre à l’étude qu’il avoit abandonnée. Il choiſit le lieu de ſa retraite dans le fauxbourg Saint-Germain, où il loüa une maiſon écartée du bruit, & s’y renferma avec un ou deux domeſtiques ſeulement, ſans en avertir ſes amis, ni ſes parens. » [En marge : Relat. MS. de M. Porlier.] (Baillet, t. I, p. 37-38.)

    « …M. Deſcartes avoit eu la prudence, au commencement de ſa retraite, de ſe précautionner contre les hazards de la rencontre, pour ne pas tomber entre les mains de ces Amis fâcheux qu’il vouloit éviter, toutes les fois qu’il étoit obligé de ſortir pour ſes beſoins. La choſe ne luy réüſſit point mal pendant l’eſpace de deux années. Mais il ſe repoſa dans la ſuite avec un peu trop d’aſſurance ſur le bonheur de ſa ſolitude, & ne veillant plus ſur ſa route & ſes détours avec la même précaution qu’auparavant, lorſqu’il alloit dans les ruës, il fut rencontré par un de ſes anciens amis qui ne voulut pas le quitter, qu’il ne luy eût découvert ſa demeure. [En marge : Rél. de Porl., etc.] Il en coûta la liberté, pour ne rien dire de plus, à M. Deſcartes. L’ami fit ſi bien, par ſes viſites réitérées & par ſes importunitez, qu’il vint à bout de troubler prémiérement ſa retraite & ſon repos, & de le déterrer en ſuite tout de bon de ſa chére ſolitude pour le remener dans le monde, & le replonger dans les occaſions de divertiſſement comme auparavant. »

    « Mais il s’apperçut bientôt qu’il avoit changé de goût pour les plaiſirs. Les jeux & les promenades n’avoient plus pour luy les mêmes attraits qu’auparavant ; & les enchantemens des voluptez ne purent agir en luy que trés-foiblement contre les charmes de la Philoſophie & des Mathématiques, dont ces amis de joie ne purent le délivrer. Ils luy firent paſſer les fêtes de Noël, & le commencement de l’année ſuivante [en marge : 1617] juſqu’aux jours gras, le moins triſtement qu’il leur fut poſſible. Mais ils ne purent luy faire ſentir d’autres douceurs que celles de la Muſique, aux concerts de laquelle il ne pouvoit être inſenſible avec la connoiſſance qu’il avoit des Mathématiques. » (Ibid., t. I, p. 38-39.)

  96. Baillet, t. I, p. 36-37.
  97. Marin Mersenne naquit le 8 septembre i388, au bourg d’Oizé, dans le pays du Maine (à 21 kilom. de La Flèche et à 26 du Mans). Voir La Vie du R. P. Marin Mersenne, Theologien, Philosophe & Mathématicien, de l’Ordre des Pères Minimes, par F. H. D. C. (Frère Hilarion de Coste.) Paris, Cramoisy, 1644. Réimprimée par Tamizey de Larroque, Paris, Picard, 1894.
  98. Baillet, t. I, p. 38. Ajoutons aussi que Joachim Descartes le père pouvait avoir à Paris des amis à qui il aurait confié son jeune fils. Lui-même avait habité Paris en sa jeunesse : il était avocat au Parlement de Paris, lorsqu'il obtint en 1585 ses lettres de provision pour un office de conseiller au Parlement de Bretagne. (Ropartz, p. 9.)
  99. F. Marini Mersenni, Ordinis Minimorum S. Francisci de Paula, Quæstiones celeberrimœ in Genesim. In hoc volumine. Athei & Deistæ impugnantur & expugnantur, & Vulgata editio ab hæreticorum calumniis vindicatur. Græcorum & Hebræorum Musica instauratur . Francisci Georgii Veneti Cabalistica Dogmata fuse refelluntur, quæ passim in illius problematibus habentur. Opus Theologis, Philosophis, Medicis, Jurisconsultis, Mathematicis, Musicis verò, & Catoptricis præsertim utile. (Lutetiae Parisiorum, Seb. Cramoisy, M. DC. XXIII.) Achevé d'imprimer, 1er fév. 1623. La première partie de cet énorme in-folio : Quæstiones ... comprend 1915 pages; et la seconde : Francisci Georgii..., 489 pages : en tout 2354.
  100. Baillet, t. I, p. 36-37. Mersenne, dans ses Quæstiones etc., parle aussi de Mydorge, à propos des miroirs, c. si-xvii, p. 498-338. Ce qu'il dit de lui est remarquable, à cette date de 1623 ou déjà 1622 : « ... D. Mydorgius, alter quoad specula Proclus aut Archimedes », p. 500, en marge. Et dans le texte : « ...D. Mydorgium, Fisei gallici apud Ambianos præfectum, hujus seculi praestantissimum Mathematicum, omnia speculorum arcana hactenus inaudita brevi aperturum, mihique amicissimum... » Et plus loin : « Qui plura de loco imaginis voluerit, consulat Keplerum in Paralip. ad Vitellion., vel D. Mydorgii doctissimas demonstrationes expectet, &, si potest, in lucem advocet. » (Page 506.).
  101. A vrai dire, les statuts de la Compagnie de Jésus s’y opposaient : « Medicinæ & legum ſtudium, ut à noſtro Inſtitutô magis remotum, in Univerſitatibus Socictatis vel non tractabitur, vel ſaltem Societas per ſe id oneris non ſuſcipict. — Tractabitur Logica, Phyſica, Metaphyſica, Moralis ſcientia & etiam Mathematicæ, quatenus tamen ad ſinem nobis propoſitum conveniunt. » (Conſt. S.J., IV, 12. — Declar. in cap. 12.) Toutefois Henri IV désirait que la Jurisprudence et le Droit fussent enseignés à La Flèche, comme à l’Université de Pont-à-Mousson. On lui objecta le statut de la Compagnie. Il remit à plus tard la fondation de ces deux cours ; mais la mon le surprit auparavant. (Rochemonteix, t. I, p. 56-59) Que se passa-t-il ensuite ? Au moins nous savons qu’il y avait à La Flèche, du temps de Descartes, un médecin, entendez par là non seulement un praticien, mais un savant qui pouvait enseigner l’anatomie. Plus tard noire philosophe s’en souviendra, et lui fera demander ses objections au mouvement du cœur. (Tome I, p. 561, l. 20-24.)
  102. Ropartz, p. 54.
  103. Ce qui ferait croire que Descartes ne vint pas seulement à Poitiers pour ses examens, les 9 et 10 nov. 1616, et qu’il y séjourna quelque temps comme étudiant, c’est ce baptême du 21 mai 1616, où il fut parrain de l’enfant d’un tailleur chez qui il avait une chambre en location. (Barbier, Société Antiquaires Ouest, 1901, p. 554.)
  104. « Nobilis Vir Dominus Renatus Deſcartes, Dioceſis Pictavienſis, creatus ſuit baccalaureus in utroque jure, die nona, & licentiatus in eiſdem canonico & civili juribus, die décima Menſis Novembris, anno Domini milleſimo fſexcenteſimo decimo ſexto. Examinatus ad 40 Theſes de teſtamentis ordinandis in utroque jure. Pure & ſimpliciter de juſtitia & jure. Et laudetur. A de la Dugnie. » (Bibliothèque de Niort, MS. 35, fol. 12 v.)
  105. « Nobilis Vir Dominus Petrus Deſcartes, Diæcefis Pictavienſis, creatus ſuit baccalaureus in utroque jure, die ſeptima, & licenciatus in eiſdem canonico & civili juribus, die octava Menſis Auguſti. anno Domini milleſimo ſexeenteſimo decimo tertio. Examinatus ad L. II & t. 55 de Rébus cred., & ad caput antigones de Pactis, etc. Pure & ſimpliciter de juſtitia & jure. Et laudetur. A. Gautier. » (Mémoires Antiquaires Ouest, t. XXXII, p. 78.)
  106. Nous avons vu, p. 11, note, que Pierre Descartes fut installé en cette qualité le 10 avril 1618.
  107. Anecdote rapportée par Balzac : Remarques ſur les deux ſonnets d’Vranie & de Job, c. VI, p. 331-332. (Socrate chreſtien, édit. in-12, 1661.) Maurice de Nassau mourut le 23 avril 1625. Balzac rapporte ses dernières paroles à un ministre protestant, qui l’exhortait de rendre quelque témoignage, avant de mourir, de la religion qu’il professait : « …Ie croy que deux & deux font quatre, & que quatre & quatre font huit. Monſieur tel (montrant du doigt vn mathematicien qui eſtoit là preſent) vous pourra éclaircir des autres points de noſtre créance. » Balzac ajoute que ce prince cependant « ne manquoit pas des vertus morales. Il ne iuroii que Certes, & ne buvoit que de l’eau. Il eſtoit extrêmement reglé en tout ce qui paroiſſoit de luy au dehors. » (Ibid., p. 124-125.) Tallemant des Réaux raconte à peu près la même chose de Maurice de Nassau. (Historiettes, lviii, t. I, p. 131, 3e édit. Monmerqué.)
  108. Tome X, p. 60, 62, 63, et surtout p. 153, 160, 161, 164, 166, 169, et enfin p. 331.
  109. Acte du 27 mars 1607, p. p. Alfred Barbier : Bull. Soc. Ant. Ouest, t. VIII, 2e série, 1901, p. 626.
  110. Tome IV, p. 12-13 : lettre du 6 juillet 1643.
  111. Tome V, p. 338, l. 14-18 : lettre à Schooten, 9 avril 1649.
  112. Tome X, p. 46, et p. 165, l. 24.
  113. Ibid., p. 646.
  114. Le 3 décembre 1617, Descartes était encore à Sucé, près de Nantes. En mars et avril 1618, furent remplies les formalités de nomination de son frère aîné comme conseiller au Parlement de Rennes.
  115. Tome X, p. 158, l. 10.
  116. Ibid., p. 17-39. Tous les faits que nous ne faisons ici que résumer, se trouvent développés dans cette étude, chacun avec sa date et renvoi aux textes qui l’établissent. Voir aussi p. 47-51.
  117. Ibid., p. 141, l. 13-14. Voir aussi p. 82 et p. 83.
  118. Ibid., p. 151, l. 9, et p. 162, l. 18 : « deſidioſum excitaſti ».
  119. Tome X, p. 52 : Phyſico-Mathematici pauciſſimi.
  120. Ibid., p. 67-74, 75-78 et 154-156.
  121. Ibid., p. 162, l. 8-13. Lipstorp ne donne pas d’itinéraire, et parle assez confusément des pays visités :

    « …ſequentes annos variis peregrinationibus per Galliam, Belgium, Daniam, Germaniam, Italiam impendens. « (Specimina, 1653, p. 76.)

    « Interim ille erumpentibus in flammam belli igniculis inter Bavarum & Fredericum Bohemiæ Regem antea gliſcentibus, quæ proh dolor ! totam Germaniam fermé depopulata eſt, noluit amplius militiam ſequi, ſed renunciatâ ſide militari ad ulteriores peregrinationes animum adjecit, perque totam ſuperiorem Germaniam ad plagas Borealiores » progreſſus, Pomeraniam, Marchionatum Brandeburgenſem, Megapolin, Holſatiam, Daniam inviſit, & ex eâ in Bataviam ſolvens, per Belgium & Germaniam in Italiam conceſſit, perque eam rurſus in Galliam remeans Lutetiam Pariſiorum ſeſe contulit, ibique per integrum triennium commoratus… » (Specimina, p. 80.)

  122. Tome VI, p. 11, l. 4-7. Voir aussi Baillet, t. I, p. 54-59.
  123. Ibid., p. 11, l. 10-11.
  124. c. Ulmenses sunt Mathematici, dicton cité par L. F. Ofterdinger, p. 3 de son opuscule : Beiträge zur Geschichte der Mathematik in Ulm bis zur Mitte des XVIIten Jahr. (Ulm, 1867, s. 12.)
  125. Tome X, p. 242, 252-255 et 638. Faulhaber, né le 5 mai 1580, avait donc trente-neuf ans ; il était de seize ans plus âgé que Descartes.
  126. Ibid., p. 257-276.
  127. Ibid., p. 196 et 200.
  128. Tome VI, p. 9, l. 10-16.
  129. Tome X, p. 196.
  130. Tome VI, p. 29, l. 30-31, et p. 30, l. 10. — D’autre part, Chanut, dans l’épitaphe très étudiée qu’il composa pour Descartes, avec des renseignements qu’il tenait de sa bouche, dit en propres termes : « …in otiis hibernis Naturæ myſteria componens cum legibus Matheſeos, vtriuſque arcana eâdem clavi reſerari poſſe auſus eſt. » (Baillet, t. I,. p. 430.)
  131. Tome VI, p. 18, l. 16, à p. 19, l. 5.
  132. Tome X, p. 362, 366, 379, 381, 387.
  133. Tome VI, p. 22, l. 30 ; p. 24, l. 18 ; et p. 25, l. 20.
  134. Tome VI, p. 27, l. 21, à p. 28, l. 1.
  135. Tome I, p. 28, l. 23-24. et t. I, p. 1.
  136. Baillet, t. I, p. 59-76, raconte toute cette histoire, avec force détails, dans deux chapitres entiers, l. I, c. xiii et xiv.
  137. Borel, 1656, p. 4 : « biſque Bredæ obſidioni adſuit, & in pugnâ Praguenſi, vnde Italiam petiit, viſis tamen magnis Tychonis Brahæi machinis, colloquiiſque cum eius cognatis inſitutis. » — Baillet, t. 1, p. 73-76.
  138. Tome X, p. 175 et p. 216. l. 19-21.
  139. Ibid., p. 189-190.
  140. Descartes assista-t-il jamais à un combat ? On ne saurait dire. Cependant la curieuse observation d’un homme d’armes qui se croyait blessé et qui ne l’était pas (t. XI, p. 6, l. 6-17), semble bien avoir été prise sur le vif : « Un Gendarme revient d’vne mêlée : pendant la chaleur du combat, il auroit pû eſtre bleſſé ſans s’en appercevoir… » (Corriger ainsi la ponctuation) Voir aussi l’endroit où le fait de se rendre prisonnier lui parait préférable à une retraite qui ressemblerait à une fuite. (Tome II, p. 546, l. 5-7.) Et enfin t. III, p. 209. l. 21-23.
  141. Tome X, p. 331-332.
  142. Ibid., p. 167-169, et p. 169, note b.
  143. Baillet, t. I, p. 166.
  144. Tome I, p. 1-3.
  145. Ibid., p. 3-4. — Baillet, t. I, p. 118.
  146. Contrats du 5 juin et du 8 juillet, par-devant les notaires de Châtellerault. (Tome I, p. 2-3.)
  147. Journal de voyage de Montaigne, publié par Louis Lautrey, Paris, 1906, p. 276, etc.
  148. Baillet, t. I, 118-120.
  149. Idem, p. 120.
  150. Journal etc., p. 286-287.
  151. Baillet, t. I, p. 121-122.
  152. Les Chroniques de Jean Tarde, Chanoine Théologal et Vicaire Général de Sarlat, avec introduction de Gabriel Tarde. (Paris, Oudin et Picard, 1887.) Les trois entretiens eurent lieu le mercredi 12, jeudi 13 et samedi 15 novembre 1614. « Le mardy xi, jour de ſaint Martin, ſommes arrivés à Florence. Le mercredi au matin, je vis le ſeigneur Galileus Galilei, philoſophe & aſtrologue très fameux… Je lui repreſentay que ſa reputation avoit paſſé les Alpes, traverſé la France & eſtoit parvenue juſques à la mer Oceane. Que à Bordeaux nous avions vu ſon Sidereus Nuntius qui nous avoit apporté la nouvelle de ces nouveaux cieux & nouvelles planettes… Que, allant à Rome, je n’avois voulu paſſer ſi prés de luy ſans avoir l’honneur de le voir & l’entretenir ſur ces nouveaux phenomenes. » Suit tout au long, p. xxiii-xxiv, le premier entretien que nous résumons, puis le second et le troisième. A noter encore ce passage : « Je l’interpellay ſur les refractions & moyens de former le cryſtal du teleſcope en telle ſorte que les objets s’agrandiſſent & s’approchent à telle proportion qu’on veut. A cela il me reſpondit que ceſte ſcience n’eſtoit pas encore bien cogneue ; qu’il ne ſçavoit pas que perſonne l’eût traictée aultre que ceux qui traictent la perſpective, ſi ce n’eſt Joannes Keplerus, mathematicien de l’Empereur, qui en a faict un livre exprés, mais ſi obſcur qu’il ſemble que l’autheur meſme ne s’eſt pas entendu. De tout ce diſcours je fis profit ſeulement de deux termes qui ſont importants en l’affaire : le premier, que tant plus le criſtal convexe prend une portion d’un plus grand cercle, & le concave d’un plus petit, tant plus on voit loin. L’autre, que le canon du teleſcope pour voir les Eſtoiles n’eſt pas long de plus de deux pieds ; mais pour voir les objets qui nous ſont fort proches & que nous ne pouvons voir à cauſe de leur petiteſſe, il faut que le canon aye deux ou trois braſſes de longueur. Avec ce long canon, il me dict avoir veu des mouches qui paroiſſoient grandes comme un agneau, & avoit apprins qu’elles ſont toutes couvertes de poils & ont des ongles fort pointues, par le moyen deſquelles elles ſe ſouſtiennent & cheminent ſur le verre, quoique pendues à plomb, mettant la pointe de leur ongle dans les pores du verre… » Notons enfin que, au dire de Jean Tarde, les nouveautés astronomiques dont il s’émerveillait, étaient déjà connues en Allemagne et en Italie, des derniers « barbiers ou mitrons ». (Page xxvii.)
  153. Nicolas Le Vasseur, sieur d’Étioles, receveur général des finances à Paris. Il eut un fils, Nicolas Le Vasseur, sieur de Saint-Vrain, qui fut un moment conseiller au Parlement de Rennes (lettres de provision, 13 février 1646 ; réception, 12 mai suivant) ; il fut ensuite reçu conseiller au Parlement de Paris, 21 août 1646, devint conseiller de Grand Chambre, et ne mourut qu’en 1692 (inhumé à Saint-Sulpice, 6 mai 1692). Il était donc encore vivant, lorsque Baillet écrivit et publia sa Vie de Descartes, en 1691, et c’est de lui, sans doute, que notre historien reçut les Relations MS. qu’il donne sous le nom de M. Le Vasseur (le père). Détail curieux : Le Vasseur fils se démit de sa charge de conseiller à Rennes en faveur de Pierre Descartes, sieur de la Bretallière, conseiller depuis 1618, mais qui avait cédé son office à son fils aîné, Joachim Descartes, sieur de Kerleau, pourvu le 21 sept. 1647 et reçu le 30 mai 1648. Cette rentrée de Pierre Descartes au Parlement n’alla pas d’ailleurs sans difficulté : il fut reçu le 12 février 1650, sur lettres de jussion du 10 janvier précédent, et sous la condition qu’il ne céderait plus ce second office à un de ses enfants, comme il avait fait pour le premier. (Le Parlement de Bretagne, 1554-1790, par Frédéric Saulnier, t. I, p. 296 et 297, t. II, p. 842-843.) Voir aussi notre t. III, p. 187-188.

    Baillet raconte maintenant ceci, t. I, p. 130-131, sous la date de 1625 : « M. Deſcartes prit ſon logement chez un ami de ſon Pére, qui étoit auſſi le ſien en particulier, & qui avoit des rlations avec sa famille par quelque alliance. [En marge : Relat. de M. le Vaſſeur.] Cet amy étoit M. le Vaſſeur Seigneur d’Etioles pére de M. le Vaſſeur qui vit encore aujourd’hui, & qui eſt Conſeiller à la Grand-Chambre. Là s’étant formé un modèle de conduite ſur la maniére de vivre que les honnêtes gens du monde ont coutume de ſe preſcrire, il embraſſa le genre de vie le plus ſimple & le plus éloigné de la ſingularité & de l’affectation qu’il put imaginer. [En marge : Diſc. de la Méth. part. 3 p. 31.] Tout étoit aſſez commun chez lui en apparence : ſon meuble & ſa table étoient toujours tres-propres, mais ſans ſuperflu. Il étoit ſervi d’un petit nombre de yalets, il marchoit ſans train dans les rues. Il étoit vêtu d’un ſimple taffetas verd, ſelon la mode de ces têms-là, ne portant le plumet & l’épée, que comme des marques de ſa qualité, dont il n’étoit point libre alors à un Gentilhomme de ſe diſpenſer. »

  154. 1. Les Œuvres du ſieur Théophile. (A Paris, chez Pierre Billaine, rue S. Jacques à la Bonne Foy. M.DC.XXI. Avec privilege du Roy.) Le privilège est du 6 mars 1621. Deux éditions nouvelles parurent en 1622, à la fois chez Billaine et chez le libraire Jacques Quesnel. Une troisième édition parut chez Billaine, en 1623.

    2. Œuvres du ſieur Theophile. Seconde partie. (A Paris, chez Pierre Billaine, etc., M.DC.XXIII.) En même temps paraissait une autre édition de cette Seconde partie chez Quesnel. Toutes deux parurent dans la seconde quinzaine de juin 1623, avec la troisième édition de la première partie. Aussi l’arrêt du 19 août 1623 ne visait-il plus seulement le Pernaſſe (sic) ſatiricque, mais aussi « autres livres & œuvres dudict Theophille imprimez par les nommez Bilaine & Queſnel ».

  155. Lettre précédente du 20 sept. 1623 : « La priere meſme de la penſée, qui eſt vn ſacrifice de toutes les heures du jour qui ſe peut faire ſans bruſler d’encens ny tuer des beſtes…, m’eſt une auſſi grande corvée que ſi j’avois à faire le voyage de Mont-Ferrat ou celuy de Noſtre-Dame de Lorette. » (Œuvres de M. de Balzac, MDCLXV, t. I, p. 21.)
  156. Lachèvre, loc. cit., t. I, p. xxxv, note (1) : « Dans les exemplaires des Quæſtiones celeberrimæ in Geneſim, 1623, la page consacrée aux
  157. Tome I, p. 158, I. 17-27 : lettre à Beeckman, 17 octobre 1630.
  158. Cette cervelle légère de Théophile (au sortir de prison, d’ailleurs, en 1626) ne juge pas trop mal la situation. Il écrivait à Elle Pitard : p>« …Erupit nuper feila quxdam argutatorum qui fe univerfam Stagy » ritarum molem funditus everfuros confidentiflnne protitentur, & inve » teratis dudum erroribus laboranti lasculo prœfto fe medelam habere » jaflitant. Illis, quanquam philofophi minus quàm circulatores audiant, » non défunt tamen quibus fua verba venditent. Ego doilrinœ veftrae » plane rudis, neque certe admittere nec prorfus innovatores iftos aver » fari fuftineo. Nunquam enim in animum induri meum, Naturam cuivis » mortalium adeo fe praebuilTe nudam & parcam, ut folum Aridotelem » habuerit à fecretis. Multa nos tôt deinde annorum experientia fecus » admonere potuit ; quamque fuis minime careat nœvis tantus vir, non » te latet quem nihil illius latet. litos itaque neotericos li per te licet » audire, libet : cauiius tamen atque eâ fide quam à fenioribus merean » tur res novie… » (Œuvres de Théophile, édit. AUeaume, i855, t. II, p. 429.)
  159. Tome I, p. 163, 326 et 328.
  160. Dans une lettre à Dupuy, du 8 janvier 1628, Peiresc rappelle, entre autres instruments laissés par Alleaume à sa mort, « ſurtout l’inſtrument que luy avoit faict Ferrier pour deſcrire la ligne neceſſaire à la convexité deſdictes lunettes & miroirs convexes, & les verres & miroirs qu’il en avoit eſſayez. Il fauldroit », ajoute-t-il, « que cela paſſaſt par les mains de Mr Midorge, threſorier de France, qui demeure prez la place Royale, en un cul de ſac venant de la rue St Antoine. Lequel ſeul je cognois, en ce païs là, plus approchant de la curioſité de feu Mr Alleaume & de ſa doctrine & prattique aux mathematiques & mechaniques. » (Lettres de Peiresc, Impr. Nat., 1888, t. I, p. 478-9.)
  161. Tome I, p. 13-16.
  162. Ibid., p. 211-212.
  163. Tome I, p. 175, l. 3-11 ; p. 252, l. 23-25 ; et p. 256, l. 3-15. Lettres du 4 nov. 1630, du 10 mai et de juin 1632. Voir aussi t. X, p. 651-652.
  164. Ibid., p. 239 : lettre du 2 févr. 1632.
  165. Ibid., p. 537.
  166. Guidi di Bagno fut nonce du pape à Paris en 1627 : cardinal réservé in petto, 30 août 1627 ; proclamé, 19 nov. 1629.
  167. Baillet parle ainsi du sieur de Chandoux : « L’oſtentation avec laquelle nous avons vû qu’il produiſoit ſes nouveautez, ne ſe termina qu’à des fumées ; & l’événement de ſa fortune ne ſervit pas peu pour juſtifier le jugement que M. Deſcartes avoit fait de ſa philoſophie. Chandoux, depuis la fameuſe journée où il avoit diſcouru | avec tant d’éclat devant le Cardinal de Bérulle, le Nonce de Bagne, & pluſieurs Sçavans, s’étoit jetté dans les exercices de la Chymie, mais d’une Chymie qui par l’altération & la falſification des métaux tendoit à mettre le deſordre dans le commerce de la vie. La France étoit alors remplie de gens qui avoient voulu profiter des troubles du Royaume, pour ruiner la police des loix qui regardoient la fabrique & l’uſage des monnoyes ; & l’impunité y avoit introduit une licence qui alloit à la ruine de l’Etat. Le Roy Loüis XIII, pour la réprimer, fut obligé d’établir dans l’Arſenal à Paris une chambre ſouveraine, qui fut appellée Chambre de Juſtice, par des Lettres patentes données à S. Germain, le 14 de Juin 1631. [Merc. Fr. ad. ann. 1631, p. 113.] Chandoux [en marge : Clersel. Rel.] y fut accuſé & convaincu d’avoir fait de la fauſſe monnoye avec pluſieurs autres, & il fut condamné à être pendu en Grève. » (Baillet, t. I, p. 230-231.)
  168. Tome I, p. 144, l. 20-22.
  169. Diſcorſi e dimoſtrazioni matematiche, intorno à due nuoue ſcienze attenenti alla mecanica & i movimenti locali, del fignor Galileo, &c. (In Leida, appreſſo gli Elſevirii, i638, in-4.) Les Elzeviers avaient déjà publié la traduction latine de deux ouvrages de Galilée : Syſtema coſmicum, en 1635, ou Dialogus de ſyſtemate mundi (traduction Matthias Berneggerus) ; et en i636, la fameuse lettre à la grande-duchesse de Toscane, Christine de Lorraine, imprimée en 1616.
  170. Guy Patin écrira plus tard, le 19 déc. 1671 : « M. Saumaise s'étoit fait de romain huguenot, & disoit qu'il s'étonnoit de ce que tous les gens d'esprit ne faisoient pas de mème, vu que c'étoit une religion fort commode, qu'on n'y alloit point à confesse, qu'il n'y avoit point de purgatoire, de prêtres & de moines, grands coupeurs de bourse, in nomine Domini, ni de pape, ni de chapelets, ni de grains bénits & autres bagatelles.» (Lettres, édit. 1846, t. III, p. 794.)
  171. Saumaise à M. du Puy, loc. cit. : « À Leyden, ce 18 Avril 1638.
    » Monsieur, Vostre lettre du 10 Avril m'a esté rendue avec la déclaration qui soubmet le Roi & le Roiaume à la saincte Vierge, dont je vous remercie ; & encore que vous ne vouliés que je vous en donne mon jugement, devant plustost en qualité d'heretique me contenir dans le silence, je ne lairrai pas de vous dire que, s'il prenoit envie aux Espagnols de soubmettre leur Roi & leur Estat à Jesus Christ, comme nous l'avons fait à sa mère, je trouverois que nous serions les plus sots & nostre parti me sembleroit bien le plus foible. Les victoires de Weimar me donnoient bonne esperance de nos affaires ; mais je commence à present d'en desesperer, après une telle protection. C’est parler en heretique cela, voire bruslable. Au lieu de l'aucteur, que vous ne tenés pas, vous brusleres la lettre, si vous voulés. Mais je n'ai pas pu me tenir de vous dire ce petit mot en passant... » {Fol. 169.)
  172. Tome X, p. 554-555.
  173. Les ambassadeurs de France y veillaient sans doute. Voici une note, significative de La Thuiilerie au secrétaire Brasset, du 5 août 1645, Archives des Affaires étrangères, Hollande, Supplément (1571 à 1651), p. 328 : « I’approuue extremement voſtre conduite pour la liberté d’oûyr la meſſe, que vous auez touſiours conſeruée aux catholiques auec courage & prudence. Vous en uſerez de meme à l’auenir en pareilles occurrences auec le même eſprit & la meme diſcretion. »

    Saumaise « à Monſieur du Puy puiſné, à Paris », loc. cit. : « A Leyden, 28 avril 1634 : …Il n’eſt pas croiable comme la paſſion agite les eſprits de ces quartiers. Comme ils font pouſſés de diuers vents de faction, il y a des catoliques, des remonſtrants & des contreremonſtrans : les premiers tout à fait Eſpagnols, les ſeconds a demi, & qui à vn beſoin ſuiuroient plutoſt les premiers que les derniers ; leſquels derniers iont ennemis inouis des premiers & des ſeconds, & plus encor des ſeconds. Car il y a quantité de catholiques en cette ville, & des principaux, qui y ont leur exercice aſſes libre, quoi qu’en maiſons priuees ; où les Arminiens n’y font point toleres, pour ce qui eſt de l’exercice ; car pour la demeure, elle eſt libre à toutes fortes de religion & d’irréligion ou libertinage. Ie vous laiſſe à penſer, parmi tant de ſectes & d’aſſections bigarrees, ſi les nouuelles qui courent ont touſiours vne meſme forme, paſſant par tant de differents canaux… » (Fol. 36, r.et v)

  174. Indulgence de 50 jours, accordée par le vicaire apostolique en Hollande, Philippus Rovenius, lettre du 7 février 1639, aux fidèles : « …quicunque coràm dictâ Sacrâ imagine Beatiſſimæ Virginis Deigenitricis Mariæ Litanias Lauretanas devotè recitaverint. » (Bijdragen voor de Geschiedenis van het Bisdom van Haarlem.) On trouve dans le même recueil tous les détails rapportés ci-dessus et celui-ci encore :

    « …Aldaar in 1514 omſtreeks 3. 000 communicanten, in 1635 volgens de Relatio Status van Philippus Rovenius omſtreeks 5, 000 Katholieken waren, terwijl volgens Jacobus de la Torre Alcmaria Catholicis abundans hetzelfde getal bezat in 1656. » (Ibid., XXIe Deel, 1896, p. 348.) De la Torre succéda à Rovenius comme vicaire apostolique pour la Hollande.

  175. On lit dans une lettre de Reneri au Dr Cornelis Boot, conservée à la Bibliothèque municipale d’Utrecht : « Daventriâ, 26 (lege 6) Octobris 1633… Ea res ſtimuio mihi ſuit ad penitius tractanda ſtudia philoſophica ; quæ cùm viderem in obſcuro jacere mathematicarum diſciplinarum luce deſtituta, ſepoſitis omnibus alijs curis, inprimis ijs, quas medicinæ feu theoria feu praxis adferre potuiflet, magno ardore ad eas artes animum cœpi applicare : non quòd earum antea prorſus ignarus eſſem, fed quòd penitius ea non introſpexiſſem. idque tanto ſtudioſius præſto, quanto illuſtrior mihi eſt occaſio magnorum progreſſuum per familiaritatem cum omnium qui unquam fuerunt mathematicorum principe, Domino de Cartes nobiii Gallo… » Chose curieuse, dans cinq lettres antérieures de Reneri à Boot, Descartes n’est même pas nommé. Dans la lettre suivante, du 25 oct. 1633, on lit encore : « Si habes (MS. de peſte, epilepſia & calculo), non egeo intra longum tempus, totus intentus philoſophicis & mathematicis ſludijs. »
  176. Hoolck (Gisbert van der) d’Utrecht, fut quatre fois bourgmestre de sa ville natale : 1er oct. 1634, et même date 1635, 1638, 1641. Il représenta, en outre, sa province aux États généraux. Parent de Vorstius, il avait accompagné celui-ci dans ses voyages en France et en Italie, 1620-1624.
  177. Constantin Huygens naquit à La Haye, le 4 sept. 1596, et y mourut, le 26 mars 1687. Seigneur de Zuylichem, Zeelhem et Monnikenland ; secrétaire du prince d’Orange, 18 juin 1625 ; et membre du conseil privé, 19 oct. 1630. — Ce fut chez Golius, à Leyde, que Descartes, qui habitait alors Amsterdam, rencontra Huygens pour la première fois, au commencement de 1632. Huygens dit aussitôt, dans une lettre à Golius, du 7 avril 1632, l’impression qu’il gardait de notre philosophe. (Tome I, p. 317.) Et celui-ci en fut informé, comme on le voit dans une lettre qu’il écrivit à Wilhem, le 23 mai 1632. (Ibid., p. 253.) Aussi, dans une lettre de Wilhem à Huygens, 4 juin i632, on lit : « Nunquam hactenus imperare mihi potui, ut, nullà acceptà occaſione, tibi gravioribus diſtricto negotiis meis è liminibus obſtreperem. Nunc eam nactus percommodam, malui judicium meum periclitari ſcribendo, & audaciæ notam ſubire, quàm inofficioſus in te judicari. Hæ etiam quas tibi mitto Dni de Cartes litteræ ad id faciendum reluctantem me impulerunt… Hagæ, è contubernio meo, IV Junii M. DC. XXXII. » (P. C. Hoofts Brieven. éd. Van Vloten, Deel III, Leiden, 1857, p. 478-479.) D’autre part, Huygens écrivait à Golius, le 21 oct. 1632 : « Quouſque D. Deſcartes opuſculum proceſſerit, valde ſcire aveo, & ut perpetuam inſigni viro à me ſalutem nuncies, obnixe peto. » (Amsterdam, Bibl. de l’Académie, Lettres MS. latines de C. Huygens, n° 166.) — L’année suivante, dans une lettre à Wilhem, 12 déc. 1633, Descartes fera un grand éloge de toute la famille. (Tome I, p. 274.) Enfin plus tard l’intimité en vint au point que notre philosophe lut sa Dioptrique en manuscrit à Huygens, avant de la publier. (Ibid., p. 315, l. 7-9, et p. 329, l. 17-27 : lettres du 16 avril et du 1er nov. 1635). La même année, le post-scriptum d’une lettre de Reneri à Huygens, 14 avril 1635, contient ceci : « Monſr Deſcartes n’a point eſté adverti par moy de ces lettres ; mais je vous diray bien en un mot, qu’il vous admire extrêmement & tant de belles & rares parties qu’il trouve en vous. » (Leyde, Bibl. de l’Université.)
  178. Lettre à « Monſieur de Couvrelles », 2 juillet 1641. (Œuvres de M. de Balzac, MDCLXV, t. I, p. 501.)
  179. Constantin Huygens avait épousé, le 6 avril 1627, Suzanne van Baerle, née ou plutôt baptisée le 8 mars 1599. Elle lui donna cinq
  180. Tome I, p. 228-229 (cf. 226). Une lettre est datée de Deventer, 7 févr. 1633 (p. 265).
  181. Tome IV, p. 660-661. Voir aussi t. I, p. 394, l. 5, et p. 395. Quatre lettres de cette période sont datées d’Amsterdam : 12 déc. 1633, et 15 mai, 14 et 22 août 1634. (T. I, p. 274, 299, 306 et 312.)
  182. Ce dessin fait partie de la collection de la Reine-Mère actuelle des Pays-Bas, en son château de Soestdijk, près d’Utrecht. Lettres datées d’Utrecht, 16 avril, 19 mai et 1er nov. 1635. (Tome I, p. 316, 320 et 332.)
  183. Lettre du 31 mars 1636. (Tome I, p. 342.)
  184. Lettre du 4 avril 1637. (Tome I, p. 365, et t. X, p. 554-555.)
  185. Lettre du 6 mai 1639 (t. II, p. 546), la seule lettre qui soit expressément datée de là. Elle est adressée à Pollot. Mais avant l’année 1640 environ, Descartes indiquait rarement dans ses lettres l’endroit exact où il résidait, et nous savons d’autre part, que, depuis l’été de 1637. il habitait une maison à la campagne aux environs de Harlem, « in prædio circa Harlemum ». (Tome I, p. 401.)
  186. Tome IV, p. 660.
  187. Un certain nombre de lettres sont datées de Leyde, à partir du 7 mai 1640, jusqu’au 18 mars 1641 : par ex., 11 et 24 juin, 29 juillet, 6 et 17 août, 30 sept., 5 et 28 oct., 11 nov. 1640, et 4 et 18 mars 1641. (Tome III, p. 62, 88, 93, 118, 149, 156, 193, 201, 228, 236, 332 et 340.)
  188. Lettre du 31 mars 1641. (Tome III, p. 350, l. 23-28). Sont ensuite datées expressément d’Endegeest : des lettres du 31 janv., 25 mars, et 20 oct., 7 déc. 1642 ; puis du 23 fév., 23 mars, 23 et 26 avril 1643. (Tome III, p. 524, 556, 578. 590, 602, 637, 645, 647 et 653.) La description d’Endegeest est de Sorbière, note de la page 351-352.
  189. Du 1er mai 1643 au 1er mai 1644 exactement. (Tome III, p. 616 et 676.) Au cours de cette année, cinq lettres sont datées « d’Egmond du Hoef » (t. IV, p. 6, 8, 12, 18, 19), et douze lettres « du Hoef » simplement (ibid., p. 25, 27, 30, 34, 52, 56, 75, 78, 81, 84, 99 et 107).
  190. Lettre du 17 avril 1646. (Tome IV, p. 390.) Mais celle qui précède, 30 mars 1646 (p. 388) et celle qui suit, 20 avril 1646 (p. 403), sont datées d’Egmond tout court, comme beaucoup de cette période 1645-1649 (ibid., p. 152, 179, 183, 207, 253, 259, 262, 268, 278, 287, 296, 298, 300, 317, 334, 343, 419, 438, 501, 513, 527, 556, 558. 617, 632, 639. Et t. V, p. 12, 30, 34, 39, 86, 88, 100, 117, 119, 124, 125, 132, 143, 146, 279, 293, 329, 348, 406 et 409). La lettre du 17 avril 1646, adressée à un avocat, avait peut-être besoin d’une adresse plus précise. « Egmond binnen » serait ainsi l’adresse exacte de Descartes pour toute cette période.
  191. Jonkheer Anthonie Studler van Zurck, chevalier, avait acheté, le 12 juillet et le 5 septembre 1641, aux deux propriétaires, le château et la seigneurie de Bergen. Il devint en 1661 membre du Vroedschap d’Alkmaar, et mourut le 1er janvier 1666. Sa femme s’appelait (notons ce nom français) Suzanne Thibaut. Leur fils, appelé aussi Anthonie, hérita de la seigneurie de Bergen, le 16 nov. 1666 ; fut nommé, le 9 oct. 1672, membre du Vroedschap d’Alkmaar, par le prince Guillaume III stathouder ; fut échevin de cette ville en 1673, 1674 et 1680, et mourut le 19 oct. 1691. Il eut pour héritier son frère Adriaan, décédé le 31 août 1695, ne laissant qu’une fille unique Cornelia-Suzanna, qui épousa un comte de Nassau.
  192. Tome IV, p. 234, l. 22-23 ; p. 238, l. 6-7 ; et p. 442, l. 8-11.
  193. Voir notamment à Amsterdam, au Rijks-Museum, un tableau de C. W. Berckhout : het Kasteel Egmont.
  194. Tome IV, p. 311, l. 5-8 ; et t. XI, p. 345, l. 2-5.
  195. Tome III, p. 568, l. 4-8 : invitation à Regius, à sa femme et à sa fille, juin 1642. Descartes était alors à Endegeest. Le 6 mai 1639, il avait invité Pollot à venir à Santport. (Tome II, p. 545, l. 5-14.)
  196. Tome IX, 2e partie, p. 14, l. 23-31.
  197. Tome VIII, p. 18, l. 22 ; p. 32, l. 6 ; et p. 30, k. 8. Tome VI, p. 31, l. 14, etc.
  198. Tome VI, p. 31-33. Et t. VII, p. 17-23, et surtout p. 22-23.
  199. Tome VI, p. 36, l. 4-31.
  200. Tome I, chap. v : Dans lequel le Théologien preuue que Dieu eſt, contre les Athees, & Libertins (p. 72) ; chap. vi : Dans lequel on continue à preuuer que Dieu eſt (p. 96). Et Mersenne donne huit raisons, dont la huitième est prise de saint Anselme : « Acheuons ce diſcours par l’autre raiſon tirée de la ſupréme bonté, en nous adreſſant à elle auec S. Anſelme en ſon Proſologe. »

    « O Seigneur, nous croyons que vous eſtes ſi grand, qu’on ne peut rien penſer de plus grand ny de meilleur. Faudra-il dire que telle nature n’eſt point, parce que le fol a dit en ſon intérieur qu’il n’y auoit point de Dieu ? Certainement lors qu’il eſcoute ce que ie dis, lors qu’il m’entend prononcer & aſſeurer qu’il y a vn eſtre ſi bon qu’on ne ſçauroit en conceuoir vn meilleur, il entend quelque chose ſi grand qu’il ne peut y auoir rien de plus grand : or ce qu’il conçoit, eſt en ſon entendement, bien qu’il n’entende pas que cela ſoit reellement & de fait ; car c’eſt autre choſe, qu’on ait cela en l’intellect, & autre choſe, qu’il ſoit en eſtre ; & le Peintre penſant à ce qu’il doit faire, ſçait bien mettre difference entre ce qui eſt à faire, & ce qu’il a deſia fait, & cognoiſt que ce qui eſt à faire, n’eſt pas encore fait. »

    « Le ſol eſt donc conuaincu que du moins il a en ſon entendement vne choſe ſi grande, qu’il ne peut y en auoir de plus grande ; car il m’eſcoute & m’entend, & tout ce qu’il entend, eſt en ſon entendement. Or l’eſtre qui eſt le plus grand de tous ceux qu’on peut conceuoir, ne peut eſtre dedans le ſeul entendement ; car s’il eſt dans le ſeul intellect, on peut conceuoir qu’il eſt reellement & en effect : ce qui eſt plus grand que s’il eſtoit dans le ſeul entendement. D’où il s’enſuit que, ſi cet eſtre par deſſus lequel on n’en peut conceuoir vn plus grand, eſt dans le ſeul entendement, cela meſme qui eſt le meilleur & le plus grand de tout ce qu’on peut conceuoir, fera l’eſtre au delà duquel on en pourra conceuoir vn plus grand : ce qui ne ſe peut dire, ny ne peut eſtre. Il faut donc neceſſairement qu’il y ait vne choſe, non ſeulement en l’intellect, mais reellement & de fait, qui ſoit ſi bonne & ſi excellente, qu’on n’en puiſſe conceuoir vne meilleure, & que vrayement il n’y en puiſſe auoir vne plus excellente : laquelle ſera ce grand Dieu, qui nous a faits & formez à ſon image pour le ſeruir, l’aymer & l’adorer, & pour iouyr de ſa diuine eſſence en la gloire des bien-heureux. » (Page 114-116.)

  201. Tome VII, p. 71-90 : Médit. IV.
  202. Les deux Veritez de Silhon. L’vne de Dieu, & de ſa Prouidence, l’autre de l’Immortalité de l’Ame. Dedié à Monſeigneur de Mets. A Paris, Chez Laurent Sonnius, ruë ſainct Iacques, au Compas d’or. M.DC.XXVI. Approbation de deux docteurs (Petrus Coppin, et Jacobus Durand), Paris, 12 juillet 1626. Privilége du roi, 14 juillet 1626 : « Il eſt permis à Iean de Silhon… » Petit in-8, 536 pages.

    Auertiſſement au Lecteur : « I’ay à t’aduertir que ces diſcours que ie te preſente ſont des fruits d’vne ſolitude dans laquelle ie m’eſtois reduit, comme ceux qui, pour ſe garantir de la tourmente, gaignent vn bord deſert & rude… » (Ne croirait-on pas entendre Descartes ?)

    « …Sçache, Lecteur, que c’eſt vn erreur en ce temps de croire qu’il vaut mieux taire les raiſons des Athees pour ne les donner à connoiſtre, que de les eſuenter pour les combattre : elles ſont ſi communes & le mal s’eſt rendu ſi vniuerſel, qu’il n’eſt plus queſtion de le cacher, mais de trauailler aux remedes & preſeruatits. »

    « …Pour ce qui eſt de l’Immortalité de l’ame, ie me flatte fort ſi elle n’y eſt mieux eſclaircie qu’autre part, & auec vne particuliere lumiere. C’eſt pourquoy ie te ſupplie de ne point lire le premier traitté, ou de prendre la peine de lire le ſecond, autrement tu me ferois tort ; car il faut que ie te die que… i’ay plus d’inclination pour le fécond traicté, pour y auoir plus contribué du mien, & pource que mes conceptions ont moins rencontré auec celles des autres… »

  203. Tome VII, p. 52, l. 10-20. Pour cette phrase, unique dans ses écrits. Descartes sera plus tard noté par Voët comme un « enthousiaste », autant dire un « illuminé » : ce qui était peut-être, de la part d’un théologien, la pire accusation. (Tome VIII, 2e partie, p. 171-172.)
  204. Le travail de rapprochement entre les quatre séries de texte : 1° Le Monde, 2° Correspondance (1629-1633), 3° Discours de la Méthode (5e partie », 4° Principia Philosophiæ (part. ii, iii et iv), a été fait déjà, t. XI, p. 698-706, au moins pour la première partie du Monde : Traité de la Lumière. Nous le reprendrons ici, en le conduisant jusqu’à la fin, pour la seconde partie également : Traité de l’Homme.
  205. Tome XI, p. 3-31.
  206. Tome XI, p. 7, l. 13, à p. 8, l. 3.
  207. Tome XI, p. 19, l. 20, à p. 20, l. 6.
  208. Tome XI, p. 31, l. 13-25.
  209. Ibid., p. 10, l. 23, à p. 11, l. 6, par exemple.
  210. Ibid., p. 33, l. 18-30.
  211. Page 32, l. 12, à p, 33, l. 3.
  212. Tome XI, p. 38, l. 22, à p. 40, l. 28.
  213. Ibid., p. 48, l. 1-6.
  214. Chapitres viii, ix et x : t. XI, p. 48-72.
  215. Tome XI. p. 56, l. 12-22.
  216. Tome XI, p. 76, l. 5-24.
  217. Ibid., p. 80, l. 1-15.
  218. Ibid., p. 80-83 : Chapitre xii.
  219. Tome VI, p. 44, l. 11, à p. 45, l. 3. Et toujours t. XI, p. 704.
  220. Tome XI, p. 702.
  221. Tome XI, p. 120, l. 15-24 ; et t. VI, p. 55, l. 29, à p. 56, l. 9.
  222. Tome I, p. 263, l. 8-12.
  223. Tome XI, p. 226, l. 27-29, et p. 245, l. 15-17, textes de 1648. Voir aussi en 1637, t. VI, p. 46, l. 29-31.
  224. Tome VI, p. 50, l. 24-26, en 1637. Et en 1648, t. XI, p. 239, l. 12-15.
  225. Tome XI, p. 121-123 (digestion), p. 123-124 (respiration), p. 123 et 124-125 (pouls), p. 125-128 (nutrition), et p. 201-202 (résumé). Voir aussi t. I, p. 263, l. 3-5, en 1632 ; et t. VI, p. 53, l. 8, à p. 54, l. 13. Correction, t. I, p. 263, l. 3, lire decrit, au lieu de écrit.
  226. Tome XI, p. 200, l. 29, à p. 201, l. 6.
  227. Ibid., p. 132, l. 2, à p. 141, l. 6.
  228. Ibid., p. 673, 675, 681-683 : Descartes et Regius.
  229. Tome I, p. 263, l. 3-6.
  230. Tome XI, p. 142, l. 22, à p. 160, l. 26.
  231. Tome VI, p. 57, l. 8-9.
  232. Ibid., p. 59, l. 8. — D’autre part, Golius écrivait à Huygens ceci, à la date du 1er nov. 1632, en parlant de la Physique de Descartes : « Opus autem quod molitur, ad humanæ animæ, cujus originem à Deo petit, philoſophiam nunc perductum, extremam expectat manum : erit autem breve & preſſum, ut attentionem & in philoſophando diligentiam majorem excitet. (Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1896, p. 495.) — Enfin, Descartes écrivit à Mersenne, le 22 juillet 1633 : « Mon Traité eſt preſque acheué ; mais il me reſte encore à le corriger & à le decrire (lire plutôt recrire ?) » (Tome I, p. 268, l. 13-14.)
  233. Tome XI, p. 200, l. 14, à p. 202, l. 25.
  234. Nov-antiqtia ſanctiſſimorum Patrum & probatorum Theologorum doctrina, de Sacræ Scripturæ teſtimonijs, in concluſionibus mere naturalibus, quæ ſenſata experientià & neceſſarijs demonſtrationibus evinci poſſunt, temere non uſurpandis. In gratiam Sereniſſirimæ Chriſtinæ Lotharingæ, Magnæ-Ducis Hetruriæ, privatim ante complures annos, italico idiomate conſcripta à Galilæo Galilæo, nobili Florentino, primario Serenitatis ejus philoſopho & mathematico : nunc verò juris publici facta, cum latinà verſione italico textui ſimul adjuncta. (Auguſtæ Treboc. Impenſis Elzeviriorum, typis Davidis Hautti, 1636, in-4, 4 ff. lim 64 pp.) Pièce imprimée aussi à Strasbourg, aux frais des Elzeviers, et qui mettait à la portée du public savant, dans la traduction latine, une lettre privée, écrite d’abord en italien.
  235. Tome X, p. 555 et p. 557.
  236. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nommées p171
  237. Citons, à ce propos, ce passage d’un livre que Descartes a peut-être eu entre les mains : Curioſitez inouyes de Jacques Gaffarel, public en 1629. (Voir notre tome I, p. 25, l. 13.) Il s’agit du malheureux Campanella, dont il a été question ci-avant, p. 65-66. Gaffarel intitule ainsi le chap. vi, § 13, de son livre : Moyen de cognoiſtre le naturel de quelqu’vn, ſuiuant Campanella, et raconte qu’il a vu le philosophe dans les circonstances suivantes : « …comme i’eſtois à Rome, ayant ſceu qu’on l’y auoit amené, i’eus la curioſité de le viſiter à i’Inquiſition, non ſans beaucoup de peine : m’eſtant donc mis à la compagnie de quelques Abbez, on nous meina à la chambre où il eſtoit, & auſſitoſt qu’il nous apperceut, il vint à nous, & nous pria d’auoir vn peu de patience, qu’il euſt acheué vn billet qu’il eſcriuoit au Cardinal Magalot : nous eſtans aſſis, nous apperceumes qu’il faiſoit fouuent certaines grimaces, qui nous faiſoient iuger qu’elles partoient ou de folie, ou de quelque douleur, que la violence des tourments dont on l’a affligé luy euſt cauſé, ayant le gras des jambes toutes meurtries, & les feſſes preſque ſans chair, la luy ayant arrachée par morceaux, afin de tirer de luy la confeſſion des crimes dont on l’accuſoit… » (Pages 267-268.) Ce n’était d’ailleurs ni l’une ni l’autre de ces deux causes.
  238. Tome I, p. 349, l. 14-20.
  239. Tome VI, p. 515.
  240. Tome I, p. 365, l. 4-6. Voici un précédent. Saumaise écrivait de Leyde à M. Du Puy, à Paris, le 2 déc. 1632 : « … Le Sr Maire, imprimeur de cette ville, que vous cognoiſſés, a fait imprimer les Annales de ce pais tournés de Flamand en Latin par le fils de Monſr Voſſius. Il m’a prié de vous eſcrire, s’il y auroit moyen de lui faire auoir vn priuilege de France ; il apprehende que les imprimeurs de France ne prenent enuie de le faire après lui, ce qui lui tourneroit à vn grand preiudice… » (Paris, Bibl Nat., MS. fr., Collection Du Puy, 713, fol. 16.)
  241. Comparer t. VIII, p. 1, note a, et t. VI, p. 518. Voir aussi t. I, p. 363-364, Voir enfin ci-avant, p. 13-14, note a.
  242. Teleſcopium. ſeu Demonſtrationes Opticæ, quibus docetur qua ratione perſpicilla nuper inuenta ſpecies viſibilium admoueant & augeant, oculoſque iuuent ad remota diſtinctè videnda. (Seconde partie de l’ouvrage intitulé : Borbonia Sidera. Parisiis, apud Ioannem Gesselin, M.DC.XX. Privilège : 8 juin 1620.) L’auteur, Jean Tarde, traduisit lui-même en français son ouvrage. La traduction parut en 1623. A la fin, Tarde se demande comment on est parvenu à l’invention du télescope ; il refuse de croire qu’elle soit due au hasard et propose deux explications,
  243. Tome X, p. 242, l. 9, à p. 243, l. 2, et p. 293, l. 22-24. Voir aussi t. VI, p. 103, l. 7-30.
  244. Tome VI, p. 83, l. 14-19. Les trois comparaisons qui suivent, se trouvent p. 83-86, p. 86-88 et p. 88-93.
  245. Tome VI, p. 231, l. 15-21, et p. 366, l. 23-28.
  246. Ibid., p. 324, l. 24-29.
  247. Tome VI, p. 442-444, p. 469-470, p. 476, p. 483-484.
  248. Tome I, p. 232-235 ; p. 244, l. 5-6 ; et p. 245, l. 20.
  249. Tome II, p. 510-511 : lettre du 20 févr. 1639. Il pensa même à remanier tout ce second livre : p. 638, l. 23-25, du 25 déc. 1639.
  250. Tome II, p. 83, l. 15 ; p. 474, l. 19 ; et p. 475, l. 3-12.
  251. Tome VI, p. 444-454.
  252. Tome I, p. 490, l. 8-11.
  253. Tome IV, p. 228, l. 10-19 : lettre de juin 1645.
  254. Tome VI, p. 484, l. 21-24.
  255. Ibid., p. 485, l. 18-26. Voir aussi t. I, p. 480, l. 7-13 ; p. 493, l. 10-14, etc.
  256. Tome VI, p. 413, l. 8-23.
  257. Ibid., p. 413, l. 27, à p. 419, l. 4 ; surtout p. 417, l. 12, à p. 418, l. 25.
  258. Tome VI, p. 485, l. 12-20.
  259. Tome I, 493-495 : Methodus ad dijquirendam maximam & minimam. — De tangentibus linearum curvarum.
  260. Tome II, p. 127, l. 1, à p. 131, l. 17, et surtout p. 132-134 : lettre du 3 mai 1638. Voir déjà auparavant, p. 21-22 : du 1er mars. Et après, p. 140, 155, 170-173 (très important aussi), 175-178, 272-273 et 281-282. Lettres de juin, et du 29 juin, du 27 juillet 1638, etc.
  261. Voir cependant, dans la suite, une note de Paul Tannery, t. III, p. 88-89. Roberval ne voulait pas en convenir, et prétendait qu’au contraire c’était Fermat qui avait perfectionné l’invention de Descartes.
  262. Tome VI, p. 396, l. 20, à p. 411, l. 17. Voir ci-avant, p. 214. note c.
  263. Tome II, p. 83, l. 5-26 : lettre du 3 mars 1638.
  264. Tome II, p. 28, l. 6-11, et p. 30, l. 22. Il s’agit, comme nous verrons au chapitre suivant, de Fermat (Conseiller au Parlement de Toulouse), Étienne Pascal (Président à la Cour des Aides de Montferrand), et Roberval (Professeur au Collège de France).
  265. Tome I, p. 570, l. 22, à p. 571, l. 23.
  266. Tome VI, p. 4, l. 7-10 et l. 14.
  267. Essais de Montaigne, édit. Strowski, t. I, p. 191, l. 21.
  268. Tome I, p. 339, l. 25-26 ; et p. 559, l. 14-15.
  269. Ibid., p. 390, l. 4-6.
  270. Tome 1, p. 339, l. 18-25. Voir ci-avant, p. 183.
  271. Tome VI, p. 63-64.
  272. Ibid., p. 62, et t. I, p. 250-251.
  273. Tome IX, 2e partie, p. 14, l. 23-31.
  274. Tome VI, p. 62. l. 7-8.
  275. Tome VI, p. 62, l. 28-29.
  276. Tome XI, p. 368-370.
  277. Tome II, p. 191, l. 10-21 : lettre du 29 juin 1638. Voir aussi, ibid., p. 361, l. 10-16 : p. 399-400 ; p. 457, l. 17-18 ; p. 570, l. 11-12.
  278. Ibid., p. 437, l. 19, à p. 438, l. 8 : lettre du 15 nov. 1638.
  279. Ibid., p. 601, l. 2-3 : oct. 1639.
  280. Tome III, p. 14, l. 21-23 : lettre du 29 janvier 1640.
  281. Ibid.. p. 127, l. 21-23 : lettre du 30 juillet 1640 : « En la rue de Saint-Iean, vis à vis de la Commanderie à Harlem. » Voir aussi t. II, p. 150, l. 12 : lettre du 17 mai 1638.
  282. Tome II, p. 267, l. 18, à p. 268, l. 2 ; p. 400, l. 6-8 : lettres du 27 juillet et du 11 oct. 1638.
  283. Ibid., p, 424, l. 23, à p. 425, l. 13 : lettre du 15 nov. 1638. Déjà le P. Vatier demandait à Descartes.de publier sa Physique et sa Métaphysique, ibid., p. 50, l. 12-14.
  284. Ci-avant, p. 203, note a
  285. Tome II, p. 55, l. 10-11 : « …quod, notis quaſi littoribus reliftis, Noui Orbis periculum facere audeat ».
  286. Déjà la 3e édition des Fundamenta Medicinæ, en 1654, donnait cet appendice : Doctorum aliquot in Academiâ Lovanienſi Virorum Iudicia de Philoſophiâ Carteſianâ, avec une Cenſura, du 6 oct. 1653. Et la 4e édition, en 1664, donne dans une Préface tout l’historique de la condamnation de 1662. Plempius l’avait annoncée, et même celle de Rome, dans la 3e édition d’un autre ouvrage, Ophthalmographia, 1659 (dont la première édition remontait à 1632).
  287. Tome II. p. 50, l. 6-7 : mars 1638.
  288. Tome II, p. 443, l. 4-6, et p. 467, l. 13-17 : lettres du 15 nov. 1638, et de déc. 1638.
  289. Ibid., p. 543-544 : lettre du 30 avril 1639.
  290. Tome I. p. 487-489, et t. II, p. 1. La propriété spécifique de la parabole avait été omise par Fermat, t. II, p. 130, l. 15-20, et p. 176, l. 20-22. Descartes n’eut garde de l’omettre, p. 171, 1. 5-15. Lire surtout une lettre de Desargues à Mersenne, du 4 avril 1638, qui met bien les choses au point : t. XI, Errata, p. ii-viii.
  291. Tome II, p. 132-134 et p. 169-173.
  292. Ibid., p. 120, l. 1-6 : 28 avril 1638.
  293. Ibid. p. 247, l. 14-21 : lettre du 13 juillet 1638.
  294. Ibid., p. 139, l. 20, à p. 140, l. 3 (lettre du 17 mai) ; p. 180, l. 23, à p. 181, l. 13 (29 juin) ; et surtout p. 247-250 (du 13 juillet 1638).
  295. Tome II, p. 148, l. 3-5.
  296. Tome I, p. 490, l. 20, à p. 491, l. 12.
  297. Tome II, p. 177-178.
  298. Ibid., p. 274-275.
  299. Ibid., p. 313-316.
  300. Tome II, p. 316-317, et p. 336, l. 6-10.
  301. Ibid., p. 425-426.
  302. Ibid., p. 272-273 : lettre du 27 juillet. Pourtant voir aussi l’opinion de Paul Tannery, p. 279.
  303. Tome V, p. 532.
  304. Ibid., p. 539-540.
  305. Ibid., p. 532 et p. 542. Voir t. II, p. 427, l. 4-6, et antérieurement, p. 317-320 et p. 394-395. Et encore plus tard, t. IV, p. 550, l. 9-13 : du 2 nov. 1646.
  306. Sur la seconde ligne : t. V, p. 516, 517-518, 519-524. 528 et 535. Et t. II, p. 435, l. 1-3 ; p. 438-439 ; p. 491, l. 15-20.
  307. Tome V, p. 528, dernier alinéa, et p. 529. La lettre de Descartes, 20 février 1639, répond, point par point, à quatre questions, dont trois sont résumées ici : dans la première, Debeaune lui demandait sans doute son opinion sur les notes qu’il lui envoyait, 13 nov. 1638.
  308. Tome II, p. 513, l. 26, à p. 518, l. 6. Et t. V, p. 537 : lettre du 26 mars 1639.
  309. Tome II, p. 532, l. 1-11, et p. 563-564 : lettres du 30 avril et du 19 juin 1639. Surtout t. IV, p. 229, l. 20. à p. 230, l. 13, et p. 550, l. 14-17.
  310. Tome V, p. 537, dernier alinéa : lettre de Debeaune, 26 mars 1639.
  311. Ibid., p. 535 : problème général posé par Debeaune. 5 mars 1639. Voir aussi t. II, p. 520-523 (Paul Tannery).
  312. Tome II, p. 16, l. 4, à p. 17, l. 7 : p. 22, l. 12-19 : p. 27-28.
  313. Ibid., p. 320-326, et t. IV, p. 549-551.
  314. Tome I, p. xxxvii-viii. Surtout t. V, p. 649-650.
  315. Tome I, p. xlvi.
  316. Tome III, p. 5, l. 4-5. Descartes fait d’ailleurs, quant à lui, les plus fortes restrictions.
  317. Pourtant Huygens, lui-même, est assez sévère pour Stampioen (comme homme, il est vrai, et non comme mathématicien), dans une lettre à Descartes, du 28 déc. 1639 : t. II, p. 639-641.
  318. D’octobre 1639 (et peut-être même plus tôt), jusqu’en octobre 1640. Tome II, p. 611-613, et t. III, p. 16, et p. 200, note b.
  319. Huygens, Golius, Pollot, Wilhem. Lettres du 28 déc. 1639, du 3 avril, 7 mai, 14 août, 17 août et 5 oct. 1640 : t. II, p. 639-641, et t. III, p. 56, 62, 150, 154 et 199.
  320. « l’ay eu deſſein de faire vn tour cet eſté en France », 30 juillet 1640. (Tome III, p. 127, l. 1-2.) « Dans cinq ou ſix ſemaines », et pour « affaires domeſtiques », juillet 1640. (Pages 103-104.) Huygens proteste, craignant qu’il ne revînt plus, 14 août, et Descartes lui promet de revenir. (Pages 152-153, et p. 158-159.) « Ie ne perds pas encore le deſſein de paſſer en France, & i’eſpere que l’hiuer ne m’en empeſchera point ; mais ie ne partiray pas encore de ſix ſemaines », 15 sept. (Page 178, l. 2-5.) Finalement, il y renonce : « ie ne feray point encore mon voyaſge pour cet hyuer », 30 sept. 1640. (Page 185, l. 1-2.) — Notons un passage curieux de la réponse à la lettre de Huygens, du 14 août 1640 : me prenez-vous pour une dera beſtia, dit Descartes ? « Car (ajoute-t-il) c’eſt
  321. Tome II, p. 601, et surtout p. 611-615.
  322. Ibid., p. 605, l. 5-9. Pour le « nouveau livre », ou la « nouvelle règle », de Stampioen, voir p. 604, l. 9-12, et p. 608, l. 10-20. Voir surtout auparavant, p. 581-582 : Algebra oſte Nieuwe Stel-Regel, etc.
  323. Tome II, p. 609, l. 3-9, et p. 615. Tome III, p. 16.
  324. Tome III, p. 21-28 et p. 28-30. A rapprocher de cette lettre : 1° la règle donnée au t. II, p. 609-610, et 2° l’explication à Dounot, t. III, p. 187-190.
  325. Tome III, p. 33, éclaircissement.
  326. Ibid., p. 56-59 : « pas vn demi quart d’heure », dit-il, p. 58, l. 22-23. Voir aussi auparavant, p. 41, l. 2-4, et p. 7, l. 6-9.
  327. Ibid., p. 69, l. 25 : « Tandem tandem hodie accepimus ſententiam pro l.-A. Waeſſenaer… Ita facta eſt vt, li Magnus aliquis ſuiſſet condemnandus, non potuiſſent Iudices mitioribus verbis eius errores ſigniſicare. » (Pages 69-70, et p. 71.)
  328. Ci-avant, p. 122.
  329. Tome III, p. 265, l. 20-27, et p. 267, l. 8-10. Caterus avait encore présent à l’esprit ses auteurs, et il les cite : les classiques d’abord, saint Thomas, Duns Scot, saint Denys et même Boèce, puis le docteur dont les ouvrages faisaient alors autorité dans les écoles catholiques, Francesco Suarez. Descartes répond à tout avec empressement. — Notons ce détail, t. VII, p. 95, l. 13-14 : Scio me aliquando ita Suarem audiviſſe. Déclaration embarrassante, le Jésuite espagnol Suarez, né le 5 janvier 1548, mourut le 25 sept. 1617, et enseigna les vingt dernières années de sa vie à l’Université de Coïmbre. Caterus aurait donc entendu, non pas Suarez
  330. Tome III, p. 328, l. 1-14, et p. 332-333.
  331. Tome II, p. 465, l. 1-5, et p. 470.
  332. Tome III, p. 362-363 : du 21 avril 1641.
  333. Ibid., p. 364-365.
  334. Ibid., p. 3S4, l. 2-22.
  335. Ibid., p. 388-389, même lettre.
  336. Tome VII, p. 256-346 et p. 347-391.
  337. La seconde édition a 496 pages (plus 138 pour les 7es objections). Les six Méditations n’en remplissent que 95 : tout le reste est pour les Objections et Réponses.
  338. Tome III, p. 297-298.
  339. Tome VII, p. 602, l. 20-21.
  340. Tome III, p. 266, l. 9-15 ; p. 272, l. 1-6.
  341. Tome VII, p. 34-52. Tome IX (1re partie), p. 27-42.
  342. Tome VII, p. 231-232 ; et p. 235, l. 15, à p. 245, l. 24. Et t. IX, p. 179-180 et p. 182-189.
  343. Tome VII, p. 241, l. 16-27, et p. 245, l. 3-20. Et t. IX, p. 185 et p. 189.
  344. Voir ci-avant, p. 139.
  345. Tome VII, p. 377, l. 22-28.
  346. Ibid., p. 52-62 (Médit. III). Et t. IX (1re partie), p. 42-50.
  347. Ibid., p. 308, l. 25, à p. 310, l. 8, et p. 374, l. 20, à p. 375, l. 13.
  348. Ibid., p. 98, l. 2, à p. 99, l. 20.
  349. Tome VII, p. 258-277 et p. 350-361.
  350. Ibid., p. 144, l. 21, à p. 146, l. 13. Et t. IX, p. 113-114.
  351. Tome IX, p. 207-209.
  352. Ernest Bersot, Rapport sur l’École normale supérieure, séance du 29 juin 1878, présidée par le Ministre de l’Instruction publique, A. Bardoux. (Br. in-8, Versailles, impr. Cerf, p. 16.)
  353. Tome III, p. 485-520. La pièce imprimée est, malheureusement, encore à retrouver.
  354. Ibid., p. 525-542. Surtout, p. 529-533.
  355. Tome II, p. 619-620 et p. 623-624 : du 13 nov. 1639.
  356. Tome VIII (2e partie). p. 335-370 : Notæ in Programma, etc. Voir aussi t. XI, p. 683-687.
  357. Tome III. p. 460-461.
  358. Tome VIII, p. 10-13 : art. xiv, xv et xvi (première preuve) ; art. xvii, xviii et xix (deuxième) : art. xx et xxi (troisième). Tome IX (2e partie), p. 31-34.
  359. Tome VIII, p. 11, et t. IX (2e partiel). p. 32 : art. xvii. Voir t. VII, p. 1033, l. 19, à p. 104, l. 16 : et t. IX (1re partie), p. 84. Déjà Descartes avait indiqué cette comparaison dans la Synopſis de ses Méditations : t. VII, p. 14, l. 26. à p. 15. l. 2.
  360. Cette première partie, sorte d’introduction, va de l’art. iv à l’art. xli inclus. Tome VIII, p. 81-98 ; ou t. IX (2e partie), p. 104-122.
  361. Tome VIII, p. 82-83 ; ou t. IX (2e partie), p. 106 : art. viii.
  362. Art. xviii et xxxviii. Tome VIII, p. 85-86 et p. 96. En particulier, p. 85, l. 29-30, et p. 96, l. 13-14. Voir aussi t. IX (2e partie), p. 109 et p. 119-120.
  363. Art. xl. Tome VIII, p. 97 (en particulier, l. 26-28) à p. 98. Tome IX (2e partie), p. 121.
  364. Art. xlvi, lequel est capital. Tome VIII, p. 100-101 ; ou t. IX (2e partie), p. 124-125.
  365. Fille de Jacques Ier, née le 19 août 1596, elle épousa Frédéric V, le 14 févr. 1613, et mourut le 23 févr. 1662. Elle eut jusqu’à treize enfants, dont trois moururent jeunes, outre son aîné, noyé en 1629. Les neuf qui vécurent, cinq fils et quatre filles, sont, dans l’ordre de leur naissance : 1° « Charles-Louis, né à Heidelberg, 22 déc. 1617 ; 2° Élisabeth, née aussi à Heidelberg, 26 déc. 1618 ; 3° Robert (ou Ruppert), né à Prague, 27 déc. 1619 ; tous les autres naquirent à La Haye : 4° Maurice, 6 janvier 1621; 5° Louise-Hollandine, 18 avril 1622 ; 6° Édouard, 6 oct. 1624 ; 7° Henriette-Marie, 7 juillet 1626 ; 8° Philippe, 26 sept. 1627 ; 9° Sophie, 14 oct. 1630.
  366. Tome V, p. 96-97 : « … la traduction (françoiſe des Meditations) rend vos penſées d’autant plus miennes, que ie les vois bien exprimées en vne langue dont ie me fers ordinairement. »
  367. Pour tous ces détails, voir t. IV : p. 220-221 (toux de sa mère) ; p. 589, l. 10-22 (éruption infantile) ; p. 282, l. 17-18 (rêves) ; p. 529-530 (jeu) ; t. III, p. 692-693 (emploi du temps).
  368. Tome IV, p. 208, k. 17 (rate) ; p. 579, l. 15-25 (apostèmes) ; t. V, p. 226, l. 21-25 (rougeole) ; t. IV, p. 206-206, 208, etc. (eau de Spa) ; t. III, p. 662 et 668 (Hippocrate). Descartes donna des consultations, l’été de 1640, pour une enfant malade, fille de son ami Wilhem, et de loin à son ami de Paris, Clerselier : t. III, p. 90-93 ; et t. IV, p. 565-566. A Paris même, il dira son mot sur la maladie de Pascal : t. V, p. 73. — Voir encore, sur sa paresse relative, qui était plutôt un judicieux emploi de son temps : t. VII, p. 430-431, et t. IX, p. 232.
  369. a. Tome V, p. 195, l. 13 ; p. 210, l. 3 ; p. 225-226, et p. 232, l. 10-13 : lettres de Juin à octobre 1648.
  370. b. Voici, à ce sujet, quelques textes curieux, empruntés à la correspondance (diplomatique) de notre Brasset :
        Lettre à M. de La Thuillerie, 29 août 1645 : anecdote contée à Brasset par la reine de Bohême sur une certaine comtesse de Levestein, « laquelle, estant l’autre iour à Breda, en la Cour d’Angleterre & d’Orange, eut aprez auoir trop beu de double biere vne collique qui la hasta de sortir du presche pour ne pas polluer le temple. Voila ce que vous aurez de cette bonne princesse, auec vne forte recommandation & souhaict que vous n’alliez point à Stokholm. » (Paris, Bibl. Nat., MS. fr. 17897, f° 425.)
        À M. d’Aiguebère, 31 août 1649 : « La Reyne de Bohesme est en sa maison de Rennes, tandiz que l’on nectoye les ordures de celle de la Haye, où il y a sept ans que le frottage de Hollande n’a operé. À son arriuee en ce beau lieu la, elle se donna tellement au cœur ioye de manger des fruictz qu’elle en ioüa du baston à deux boutz. Mais s’estant bien escuree, elle en a vsé du depuis liberalement & sainement. » (Ibid., 17901, f° 610.)
        À M. de La Thuillerie, 21 sept. 1649 : « … Nostre Cour est renforcee de celle de la Reyne de Bohesme, qui n’a non plus changee en son voyage de Gueldres, que M. son filz en celuy d’Angletre. Et pour preuue, ie vous diray, Monsieur, qu’ayant à son arriuee enuoyé sçauoir de ses nouuelles, la responce fut qu’elle auoit impatience de me veoyr pour m’en compter. Que fut-ce ? C’est que la pauure contesse de Leuestein, ioüant aux cartes auec Creuent, adossee contre la portiere du carrosse, vn cahot la feit ouurir, & la pauure dame feit le chesne fourchu. Voyla de quoy fut la (sic) triomphe… » (Ibid., f° 649.)
        À M. de La Cour (résident de France à Osnabruck), 15 nov. 1649 : « … Vous sçauez, Messieurs, les incommoditez de la Maison palatine, & ie veoy auec beaucoup d’autres les souffrances de la Reyne de Bohesme, reduicte quasy à ne pas auoir du pain pour sa Cour… » (Ibid., f° 791.)
        À M. de La Thuillerie, 9 déc. 1649 : « … La Reyne de Bohesme veut que vous sçachiez que, se trouuant pressee du derriere, elle donna bien de l’exercice à sa femme de chambre. Ie ne vous sçaurois dire plus ciuilement, Monsieur, ce que vous entendrez assez. » (Ibid., f° 856.)
  371. a. Tome IV, p. 449, l. 4-5. Voir aussi, p. 521, l. 11-17. Sur la vengeance : ibid., p. 285, l. 5-22.
  372. Tome V, p. 134, l. 2-7 ; p. 115, l. 2-6, et p. 117, l. 2-3.
  373. Cette lettre soulève un problème d’attribution. Une phrase d’une lettre précédente, t. V, p. 117, l. 3-4, indiquait, ce semble, « Monſr de Neucaſtel » comme destinataire. Mais comment croire que la pension de Descartes ait été due à l’intervention de ce seigneur étranger ? Un Anglais pouvait-il avoir un tel crédit à la cour de France ? Seconde difficulté : il existe trois autres lettres de Descartes, qui sont bien adressées au marquis de Newcastle ; Clerselier, qui ignorait ce nom, les a imprimées ensemble, t. I, lettres li, lii et liii, avec le même en-tête « A un Seigneur » ; pourquoi aurait-il imprimé ailleurs, au t. III, lettre cxxiv, et avec le simple en tête « Monſieur », cette lettre qui avait le même destinataire ? Ne se trouvait-elle point avec les trois autres dans les minutes de Descartes ? Autre difficulté encore : dans ces trois lettres, le ton est cérémonieux : « Voſtre Excellence », dit notre philosophe, et même une fois « Monſeigneur ». (Tome IV, p. 188, l. 15, et p. 192, l. 21 ; p. 325, l. 2, et p. 326, l. 1 ; p. 569, l. 1 et 3, et l. 24-25 ; p. 570, l. 18.) Rien de pareil dans la présente lettre, où il dit simplement : « Monſieur ». Enfin les lettres de ce grand personnage à Descartes avaient presque toujours des retards : quatre mois, pour la seconde, du 19 juin 1645 ; et dix mois, pour la troisième, du 5 janvier 1646, à laquelle Descartes répond le 23 nov. (Ibid., p. 325, l. 2-5 ; p. 568, l. 12-13.) Sans doute Newcastle ne connaissait pas l’adresse du philosophe, et s’y prenait mal pour lui faire parvenir ses lettres. Rien de pareil non plus pour notre lettre de janvier 1648.

    Nous proposons cette conjecture. Le grand distributeur des pensions en ce temps-là était Jean de Silhon, secrétaire du cardinal Mazarin : nous le savons par Balzac, qui fut aussi l’obligé de Silhon, et l’en remercia, comme on voit dans ses lettres à Chapelain, du 19 févr. 1644 (Œuvres de Balzac, édit. 1665, t. I, p. 684-685), et du 6 févr. et du 12 nov. 1646, et surtout du 2 sept. 1647 (Mélanges historiques, t. I, Paris, Impr. Nat., 1873, pp. 744. 782 et 812). On lit dans cette dernière, où il s’excuse et refuse : « Ne ſçavez-vous pas bien que je fuis l’antipode de Mr de Boisrobert, & qu’encore que je n’aye pas le merite de M. de Saumaiſe, mon

  374. Carcavi (Pierre de), Lyonnais, fils d’un banquier de Cahors. Conseiller au Parlement de Toulouse, il se retira après des revers de fortune ; il fut question pour lui d’un emploi diplomatique à Raguse en 1047, et on le trouve à Rome en mars 1648 ; mais en 1649, il est de retour à Paris. Bibliothécaire de Colbert (1661), puis du roi (1663), chargé en particulier du cabinet des médailles (1667), il fut de l’Académie des Sciences et de l’Académie des Inscriptions ; comme bibliothécaire, il ne paraît pas avoir été sans reproche, et après une enquête ordonnée le 22 sept. 1683, il fut mis hors de sa charge, 5 janv. 1684, et mourut la même année. Ami de Fermat, son collègue au Parlement de Toulouse, et lui-même mathématicien distingué, il vit sans doute Descartes à Paris aux trois voyages de 1644, 1647 et 1648.
  375. Tome V, p. 112, l. 19-25 : lettre du 31 janvier 1648. (Corriger en haut de la page 113 : 31, et non 25.) Voir aussi t. I, p. 254, l. 5-9, et p. 263, l. 1-8 : lettres de juin et de nov. ou déc. 1632.
  376. Tome XI, p. 407-411 : art. cvii-cxi.
  377. Tome IV, p. 604, l. 17, à p. 626, l. 27 ; et p. 409, l. 6-19.
  378. Tome IV, p. 538, l. 14-16.
  379. Tome XI, p. 456, l. 3-12 : art. clxiv.
  380. Ibid., p. 472, l. 2-15 : art. cxc.
  381. Tome IV, p. 538, l. 8 ; et t. XI, p. 485, l. 25.
  382. Ibid., p. 538, l. 8-11.
  383. Tome V, p. 135, l. 7-8 ; et t. XI, p. 488, l. 12-14.
  384. Tome X, p. 619, l. 17-20 : lettre de Chanut, 11 mai 1647.
  385. Tome X, p. 620, l. 12, à p. 622, l. 8. Voir aussi t. IV, p. 609, l. 1-6.
  386. Lettre du 6 juin 1647 : t. V, p. 50-58.
  387. Tome XI, p. 661-662.
  388. Tome V, p. 349, l. 13.
  389. Ibid., p. 468. L’anecdote ici rapportée se trouve déjà dans la correspondance de Chanut. (Bibl. Nat., MS. fr. 17965, p. 275.)
  390. Ibid., p. 466, l. 10-13 : lettre du 15 janv. 1650. Déjà Chanut écrivait le 5 janvier 1647 : « Les feſtes de Noël ont auſſi eſcarté la pluſpart du Conſeil ; car on fait délices icy d’aller à la campagne au plus fort de l’hiuer. » (Bibl. Nat., MS. fr. 17963, p. 2-3.)
  391. Lettre à Brégy : p. 467, l. 3-4, 19-20, etc. L’année précédente, Chanut écrivait à M. de Brienne, 27 févr. 1649 : « Ie vous coniureray que ie ne voye point l’hiuer prochain cinq mois durant ſans degel la neige ſur la terre, comme nous l’auons preſentement. » (Bibl. Nat., MS. fr. 17965, p. 165.)
  392. David Beck, né à Delft, le 25 mai 1621, étudia la peinture sous Anthony van Dyck, et peignit successivement à la cour de Charles Ier en Angleterre, où il enseigna le dessin aux deux jeunes princes (plus tard Charles II et Jacques II) ; puis à la cour de France, enfin à la cour de Suède, où la reine Christine, dont il fit plusieurs fois le portrait, le créa son premier chambellan. Fatigué de la servitude où le tenait la reine, il finit par s’y soustraire, et retourna en Hollande, où il mourut à La Haye,
  393. Tome III, p. 279, l. 27-31.
  394. Ibid., p. 580, l. 12-28.
  395. Gustave III, qui devait bientôt périr assassiné à Stockholm, le 29 mars 1792. Son père étant mort le 12 févr. 1771, pendant que lui-même se trouvait justement à Paris (du 4 févr. au 25 mars 1771), il n’était encore que prince héritier, lorsqu’il fit élever en 1770 à Descartes, dans l’église Adolphe-Frédéric de Stockholm, un monument, œuvre du sculpteur suédois Johan Tobias Sergel. Un marbre dressé porte cette inscription : gustavus pr. haer. r. s. | renato cartesio | nat. in gallia mdxcvi | mort. in svecia mdcl | munumentum erexit | mdcclxx. Au-dessus un médaillon, représentant les traits du philosophe ; au bas, un Génie, éclairant d’un flambeau une sphère, dont il soulève le voile qui la recouvrait.
  396. Le texte de la pétition est suivi, dans l’autographe, de cette note d’un autre caractère :

    « N(ot)a. le désire que, dans la lettre, M. de Châteaugiron n’insiste pas sur l’extinction de la famille de Descartes. Je connois deux jeunes

  397. Sont écrits en italiques les noms de savants et d’érudits, qui, au xvin* et au xix« siècle, nt publié des documents sur Descartes.