Œuvres de La Rochefoucauld - T.1/Réflexions diverses

La bibliothèque libre.
Texte établi par D. L. Gilbert, Librairie de L. Hachette et Cie (Tome premierp. 269-348).


RÉFLEXIONS DIVERSES

NOTICE.

Sept des Réflexions diverses[1] qui suivent ont paru pour la première fois, en 1731, sous le titre de Réflexions nouvelles de M. de la R****, dans un Recueil de pièces d’histoire et de littérature, compilation anonyme que l’on attribue communément à l’abbé Granet et au P. Desmolets[2]. Brotier les mit dans son édition (1789), sous le titre de Réflexions diverses ; mais, « pour en rendre, disait-il (p. 257), la lecture plus facile et plus agréable, » il eut l’étrange idée de les dépecer en maximes. Depuis elles ont été reproduites dans la plupart des éditions.

Le marquis de Fortia (1796 et 1802) dit dans son avantpropos que ces sept Réflexions « avoient été imprimées deux fois en entier, lorsque Brotier les inséra dans son édition. » Il se trompe assurément ; une seule édition avait précédé celle de Brotier[3], qui nous dit lui-même (p. 257) dans ses Observations sur les Réflexions diverses : « Elles n’ont paru qu’une seule fois ; encore étoient-elles ensevelies dans un Recueil de pièces d’histoire et de littérature qu’on ne lit pas. On en trouvoit quelques parties, surtout ce qui regarde la Conversation, dans des bibliothèques particulières. » Nous verrons ci-après (p. 290, note 2) que ce n’est pas d’après le texte imprimé de 1731, mais d’après une copie conservée dans quelque bibliothèque, que Brotier a publié l’article de la Conversation, et c’est apparemment cette variante qui a fait supposer à Fortia qu’il y avait eu avant 1789 deux éditions : il n’avait pas pris garde à la phrase de Brotier que nous venons de citer.

L’éditeur de 1731 s’était contenté, ainsi que le Journal des Savants, de désigner l’auteur par une transparente initiale, sans indiquer la source d’où il tirait ces Réflexions, et sans songer à en établir l’authenticité. Cela n’empêcha pas Brotier et ceux qui vinrent après lui de les donner très-affirmativement et sans aucune hésitation comme étant l’œuvre de la Rochefoucauld. Pour les esprits versés en ces matières et familiarisés avec les idées et le style de l’auteur des Maximes, le doute, en effet, n’était guère possible. Cette attribution cependant n’était après tout, pour qui veut appliquer les règle de la critique rigoureuse, qu’une vraisemblable présomption ; aussi un juge autorisé entre tous, M. Sainte-Beuve, s’en est-il tenu à cette présomption, déjà fort affirmative en elle-même[4] : « Je ne discute point la question de savoir si ces Réflexions diverses sont certainement de la Rochefoucauld ; il me suffit qu’elles lui soient attribuées, qu’elles soient dignes de lui, et qu’elles expriment le meilleur goût et tout l’esprit de son monde. » La conjecture était fondée, car aujourd’hui la preuve est faite, et la source authentique est découverte. Les sept Réflexions, telles qu’on les a publiées dès 1731, se trouvent intégralement, sauf quelques changements comme on s’en permettait alors, et quelques erreurs de copie, dans le tome A du recueil de manuscrits conservés par la famille même de la Rochefoucauld au château de la Rocheguyon[5], et leur authenticité ne saurait être contestée. Sans compter les preuves morales, pour ainsi dire, qui avaient suffi et pouvaient suffire aux précédents éditeurs et critiques, sans compter plusieurs corrections qui sont de la main même de la Rochefoucauld, on rencontrera dans ces Réflexions nombre de passages que nous avons notés avec soin, et que l’auteur a répétés plus ou moins textuellement dans ses Maximes. Toutefois le manuscrit de la Rocheguyon contient dix-neuf réflexions : pourquoi les éditeurs de 1731 n’en ont-ils donné que sept, laissant les douze autres à l’écart ? La note suivante, qui se trouve en tête du volume manuscrit[6], donne d’assez bonnes raisons de ce choix et de cette exclusion :

« Ce manuscrit contient divers opuscules[7] non imprimés de l’auteur des Maximes ; ils sont écrits de la main de ses secrétaires et corrigés de la sienne en quelques endroits. Ils sont antérieurs au livre des Maximes, car on y trouve quelques pensées qu’il a employées dans ce dernier ouvrage, presque sans aucun changement[8], et d’autres qu’il a réservées pour les présenter avec plus de force et plus de précision. Il est même vraisemblable que ce recueil est en grande partie l’ouvrage de sa jeunesse, car parmi plusieurs morceaux où l’on reconnoît l’élégance, la finesse et la profondeur qui caractérisent l’auteur des Mémoires et des Maximes, on en trouve d’autres foibles, de petite manière, et quelquefois de mauvais goût[9]. Il est peutêtre à propos d’entrer sur cela dans quelque détail, afin que si jamais on avoit envie de donner ce recueil au public, on ne le fit qu’avec les égards qui sont dus à la mémoire et au mérite de l’auteur.

« Voici les morceaux qui m’ont paru le plus capables de répondre à sa réputation[10] : de la Société ; — de l’Air et des Manières ; — de la Conversation ; — de la Confiance ; — du Goût ; — du Faux ; — de la Différence des esprits ; — de l’Inconstance ; — de la Retraite ; — des Événements de ce siècle[11].

« Nota. — Ce dernier morceau est l’antépénultième dans le manuscrit ; mais l’ordre qu’on suit ici est le plus naturel, et une petite note qui est à la fin du morceau sur la Différence des esprits, donne lieu de conjecturer que c’étoit l’ordre que l’auteur avoit dans l’esprit.

« Par rapport aux chapitres de l’Inconstance et de la Retraite, il y a une observation à faire : c’est qu’ils n’ont pas été revus par l’auteur, qu’ils ont été écrits par un secrétaire sans intelligence ; qu’indépendamment des fautes d’orthographe, il y en a qui défigurent le sens et qui quelquefois le rendent inintelligible, que par conséquent il faudroit revoir les deux chapitres avec la plus grande attention[12].

« Voici les morceaux qu’il ne seroit pas à propos qu’on rendît publics, avec les raisons qui m’en font porter ce jugement :


« Du Vrai. — Ce n’est pas qu’il n’y ait dans ce morceau des choses bien vues et bien pensées, mais en totalité il y a quelque chose de louche, parce que l’auteur n’a pas vu assez nettement, ou du moins n’a pas assez développé ce qu’il entend par vrai et par vérité.


« De l’Amour et de la Mer. — L’auteur lui-même l’a raturé[13].


« Des Exemples. — Morceau peu approfondi et peu réfléchi.


« De l’Incertitude de la jalousie. — Il y a quelque chose de louche, sur quoi cependant il ne seroit pas difficile de répandre la clarté nécessaire.


« De l’Amour et de la Vie. — Ce morceau est de petite manière ; les rapports y sont trop recherchés et souvent trop subtils ; la comparaison, trop longtemps soutenue, y devient fade. L’auteur a fait passer dans les Maximes ce qu’il y a de mieux pour le fond des idées, entre autres cette pensée : « Dans le déclin de l’amour, comme dans le déclin de la vie,… on vit encore pour les maux, on ne vit plus pour les plaisirs[14]. »


« Du Rapport des hommes avec les animaux. — Ce morceau est foible et plat.

« De l’Origine des maladies. — Raturé par l’auteur[15].


« Des Modèles de la nature et de la fortune. — Il y a dans re morceau, ainsi que dans quelques-uns des précédents, plus de recherche d’esprit que de vérité ; on y trouve cependant quelques beaux traits. Le parallèle de Monsieur le Prince et de M. de Turenne est à conserver[16].


« Des Coquettes et des Vieillards. — Ce morceau tient aux mœurs du temps[17] ; il pouvoit avoir alors un mérite qu’il n’auroit plus aujourd’hui. »

Encore une fois, la plupart de ces appréciations, sauf les réserves que nous avons faites, sont assez fondées ; mais, de nos jours, la critique se soucie moins de l’intérêt des écrivains que de l’intérêt des lettres. Quand les douze Réflexions négligées en 1731[18] seraient toutes aussi faibles que le prétend l’auteur de la note, elles n’en seraient pas moins précieuses, au moins comme moyen de comparaison entre les œuvres ébauchées et les œuvres achevées de la Rochefoucauld. C’est à ce titre que nous les donnons au public : rien ne doit être perdu d’un tel écrivain, rien d’ailleurs ne lui pouvant faire tort.

Nous donnons les dix-neuf morceaux dans l’ordre où ils se trouvent au manuscrit, en marquant d’un astérisque (*) au titre ceux qu’avaient omis les premiers éditeurs. Nous indiquerons les variantes, ou, pour parler plus exactement, les altérations qui abondent dans les textes publiés jusqu’ici.


RÉFLEXIONS DIVERSES.


I. — du vrai*.

Le vrai, dans quelque sujet qu’il se trouve, ne peut être effacé par aucune comparaison d’un autre vrai, et quelque différence qui puisse être entre deux sujets, ce qui est vrai dans l’un n’efface point ce qui est vrai dans l’autre : ils peuvent avoir plus ou moins d’étendue et être plus ou moins éclatants, mais ils sont toujours égaux par leur vérité, qui n’est pas plus vérité dans le plus grand que dans le plus petit. L’art de la guerre est plus étendu, plus noble et plus brillant que celui de la poésie[19] ; mais le poète et le conquérant sont comparables l’un à l’autre ; comme aussi, tant qu’ils sont véritablement ce qu’ils sont, le législateur, le peintre, etc., etc.

Deux sujets de même nature peuvent être différents, et même opposés, comme le sont Scipion et Annibal, Fabius Maximus et Marcellus ; cependant, parce que leurs qualités sont vraies, elles subsistent en présence l’une de l’autre, et ne s’effacent point par la comparaison. Alexandre et César donnent des royaumes ; la veuve donne une pite[20] : quelques[21] différents que soient ces présents, hi libéralité est vraie et égale en chacun d’eux, et chacun donne à proportion de ce qu’il est.

Un sujet peut avoir plusieurs vérités, et un autre sujet peut n’en avoir qu’une[22] : le sujet qui a plusieurs vérités est d’un plus grand prix, et peut briller par des endroits où l’autre ne brille pas ; mais dans l’endroit où l’un et l’autre est vrai, ils brillent également. Épaminondas étoit grand capitaine[23], bon citoyen, grand philosophe ; il étoit plus estimable que Virgile, parce qu’il avoit plus de vérités que lui ; mais comme grand capitaine, Épaminondas n’étoit pas plus excellent que Virgile comme grand poëte, parce que, par cet endroit, il nétoit pas plus vrai[24] que lui. La cruauté de cet enfant qu’un consul fit mourir pour avoir crevé les yeux d’une corneille[25], étoit moins importante que celle de Philippe second, qui fit mourir son fil[26], et elle étoit peut-être mêlée avec moins d’autres vices[27] ; mais le degré de cruauté exercée sur un simple animal ne laisse pas de tenir son rang avec la cruauté des princes les plus cruels, parce que leurs différents degrés de cruauté ont une vérité égale.

Quelque disproportion qu’il y ait entre deux maisons qui ont les beautés qui leur conviennent, elles ne s’effacent point l’une par l’autre : ce qui fait que Chantilly n’efface point Liancourt[28] bien qu’il ait[29] infiniment plus de diverses beautés, et que Liancourt n’efface pas aussi[30] Chantilly, c’est que Chantilly a les beautés qui conviennent à la grandeur de Monsieur le Prince, et que Liancourt a les beautés qui conviennent à un particulier, et qu’ils ont chacun de vraies beautés. On voit néanmoins des femmes d’une beauté éclatante, mais irrégulière, qui en effacent souvent de plus véritablement belles ; mais comme le goût, qui se prévient aisément, est le juge de la beauté, et que la beauté des plus belles personnes n’est pas toujours égale, s’il arrive que les moins belles effacent les autres, ce sera seulement durant quelques moments ; ce sera que la différence de la lumière et du jour fera plus ou moins discerner la vérité qui est dans les traits ou dans les couleurs, qu’elle fera paroître ce que la

moins belle aura de beau[31], et empêchera de paroître ce qui est de vrai et de beau dans l’autre[32].

II. — de la société.

Mon dessein n’est pas de parler de l’amitié en parlant de la société ; bien qu’elles aient quelque rapport, elles sont néanmoins très-différentes : la première a plus d’élévation et de dignité[33], et le plus grand mérite de l’autre, c’est de lui ressembler. Je ne parlerai donc présentement que du commerce particulier que les honnêtes gens doivent avoir ensemble.

Il seroit inutile de dire combien la société est nécessaire aux hommes : tous la désirent et tous la cherchent, mais peu se servent des moyens de la rendre agréable et de la faire durer. Chacun veut trouver son plaisir et ses avantages aux dépens des autres ; on se préfère toujours à ceux avec qui on se propose de vivre[34], et on leur fait presque toujours sentir cette préférence ; c’est ce qui trouble et qui détruit[35] la société. Il faudroit du moins savoir cacher ce désir de préférence, puisqu’il est trop naturel en nous pour nous en pouvoir défaire ; il faudroit faire son plaisir de celui des autres, ménager leur amour-propre, et ne le blesser jamais.

L’esprit a beaucoup de part à un si grand ouvrage, mais il ne suffit pas seul pour nous conduire dans les divers chemins qu’il faut tenir. Le rapport qui se rencontre entre les esprits ne maintiendroit pas longtemps la société, si elle n’étoit réglée et soutenue par le bon sens, par l’humeur, et par des égards qui doivent être entre les personnes qui veulent vivre ensemble[36]. S’il arrive quelquefois que des gens opposés d’humeur et d’esprit paroissent unis, ils tiennent sans doute par des liaisons[37] étrangères, qui ne durent pas longtemps. On peut être aussi en société avec des personnes sur qui nous avons de la supériorité par la naissance ou par des qualités personnelles ; mais ceux qui ont cet avantage n’en doivent pas abuser : ils doivent rarement le faire sentir, et ne s’en servir que pour instruire les autres ; ils doivent leur faire apercevoir qu’ils ont besoin d’être conduits, et les mener par raison, en s’accommodant, autant qu’il est possible, à leurs sentiments et à leurs intérêts.

Pour rendre la société commode, il faut que chacun conserve sa liberté : il faut se voir, ou ne se voir point, sans sujétion, pour se divertir ensemble, et même s’ennuyer ensemble ; il faut se pouvoir séparer[38], sans que cette séparation apporte de changement ; il faut se pouvoir passer les uns des autres, si on ne veut pas s’exposer à embarrasser quelquefois, et on doit se souvenir qu’on incommode souvent, quand on croit ne pouvoir jamais incommoder[39]. Il faut contribuer, autant qu’on le peut, au divertissement des personnes avec qui on veut vivre ; mais il ne faut pas être toujours chargé du soin d’y contribuer. La complaisance est nécessaire dans la société, mais elle doit avoir des bornes : elle devient une servitude quand elle est excessive ; il faut du moins qu’elle paroisse libre, et qu’en suivant le sentiment de nos amis, ils soient persuadés que c’est le nôtre aussi que nous suivons.

Il faut être facile à excuser nos amis, quand leurs défauts sont nés avec eux, et qu’ils sont moindres que leurs bonnes qualités ; il faut surtout[40] éviter de leur faire voir qu’on les ait remarqués[41] et qu’on en soit choqué, et l’on doit essayer de faire en sorte qu’ils puissent s’en apercevoir eux-mêmes, pour leur laisser le mérite de s’en corriger.

Il y a une sorte de politesse qui est nécessaire dans le commerce des honnêtes gens : elle leur fait entendre raillerie, et elle les empêche d’être choqués et de choquer les autres par de certaines façons de parler trop sèches et trop dures, qui échappent souvent sans y penser, quand on soutient son opinion avec chaleur[42].

Le commerce des honnêtes gens ne peut subsister sans une certaine sorte de confiance ; elle doit être commune entre eux ; il faut que chacun ait un air de sûreté et de discrétion qui ne donne jamais lieu de craindre qu’on puisse rien dire par imprudence[43].

Il faut de la variété dans l’esprit : ceux qui n’ont que d’une sorte d’esprit ne peuvent pas plaire longtemps[44]. On peut prendre des routes diverses, n’avoir pas les mêmes vues ni[45] les mêmes talents, pourvu qu’on aide au plaisir de la société, et qu’on y observe la même justesse que les différentes voix et les divers instruments doivent observer dans la musique.

Comme il est malaisé que plusieurs personnes puissent avoir les mêmes intérêts, il est nécessaire au moins, pour la douceur de la société, qu’ils n’en aient pas de contraires. On doit aller au-devant de ce qui peut plaire à ses amis, chercher les moyens de leur être utile, leur épargner des chagrins, leur faire voir qu’on les partage avec eux quand on ne peut les détourner[46], les effacer insensiblement sans prétendre de les arracher tout d’un coup, et mettre en la place des objets agréables, ou du moins qui les occupent. On peut leur parler des choses qui les regardent, mais ce n’est qu’autant qu’ils le permettent, et on y doit garder beaucoup de mesure : il y a de la politesse, et quelquefois même de l’humanité, à ne pas entrer trop avant dans les replis de leur cœur ; ils ont souvent de la peine à laisser voir tout ce qu’ils en connoissent, et ils en ont encore davantage quand on pénètre ce qu’ils ne connoissent pas[47]. Bien que le commerce que les honnêtes gens ont ensemble leur donne de la familiarité, et leur fournisse un nombre infini de sujets de se parler sincèrement, personne presque n’a assez de docilité et de bon sens pour bien recevoir plusieurs avis qui sont nécessaires pour maintenir la société. on veut être averti jusqu’à un certain point, mais on ne veut pas l’être en toutes choses, et on craint de savoir toutes sortes de vérités.

Comme on doit garder des distances pour voir les objets, il en faut garder aussi pour la société : chacun a son point de vue, d’où il veut être regardé[48] ; on a raison, le plus souvent, de ne vouloir pas être éclairé de trop près, et il n’y a presque point d’homme qui veuille, en toutes choses, se laisser voir tel qu’il est[49].

III. — de l’air et des manières.

Il y a un air qui convient à la figure et aux talents de chaque personne : on perd toujours quand on le quitte pour en prendre un autre[50]. Il faut essayer de connoître celui qui nous est naturel, n’en point sortir, et le perfectionner autant qu’il nous est possible.

Ce qui fait que la plupart des petits enfants plaisent, c’est qu’ils sont encore renfermés dans cet air et dans ces manières que la nature leur a donnés, et qu’ils n’en

connoissent point d’autres. Ils les changent et les corrompent quand ils sortent de l’enfance : ils croient qu’il faut imiter ce qu’ils voient faire aux autres[51] et ils ne le peuvent parfaitement imiter ; il y a toujours quelque chose de faux et d’incertain dans toute imitation. Ils n’ont rien de fixe dans leurs manières ni dans leurs sentiments ; au lieu d’être en effet ce qu’ils veulent paroître, ils cherchent à paroître ce qu’ils ne sont pas[52]. Chacun veut être un autre, et n’être plus ce qu’il est[53] : ils cherchent une contenance hors d’eux-mêmes, et un autre esprit que le leur ; ils prennent des tons et des manières au hasard ; ils en font l’expérience[54] sur eux, sans considérer que ce qui convient à quelques-uns ne convient pas à tout le monde, qu’il n’y a point de règle générale pour les tons et pour les manières, et qu’il n’y a point de bonnes copies[55]. Deux hommes néanmoins peuvent avoir du rapport en plusieurs choses sans être copie l’un de l’autre, si chacun suit son naturel ; mais personne presque ne le suit entièrement. On aime à imiter ; on imite souvent, même sans s’en apercevoir, et on néglige ses propres biens pour des biens étrangers, qui d’ordinaire ne nous conviennent pas.

Je ne prétends pas, par ce que je dis, nous renfermer tellement en nous-mêmes, que nous n’ayons pas la liberté de suivre des exemples, et de joindre à nous des qualités utiles ou nécessaires que la nature ne nous a pas données : les arts et les sciences conviennent à la plupart de ceux qui s’en rendent capables ; la bonne grâce et la politesse conviennent à tout le monde ; mais ces qualités acquises doivent avoir un certain rapport et une certaine union avec nos qualités naturelles, qui les étendent et les augmentent imperceptiblement[56].

Nous sommes quelquefois élevés à un rang et à des dignités qui sont au-dessus de nous[57] ; nous sommes souvent engagés dans une profession nouvelle où la nature ne nous avoit pas destinés : tous ces états ont chacun un air qui leur convient, mais qui ne convient pas toujours avec notre air naturel ; ce changement de notre fortune change souvent notre air et nos manières, et y ajoute l’air de la dignité, qui est toujours faux quand il est trop marqué[58] et qu’il n’est pas joint et confondu avec l’air que la nature nous a donné : il faut les unir et les mêler ensemble, et qu’ils ne paroissent jamais séparés[59].

On ne parle pas de toutes choses sur un même ton et avec les mêmes manières ; on ne marche pas à la tête d’un régiment comme on marche en se promenant ; mais il faut qu’un même air nous fasse dire naturellement des choses différentes, et qu’il nous fasse marcher différemment, mais toujours naturellement, et comme il convient de marcher à la tête d’un régiment et à une promenade.

Il y en a qui ne se contentent pas de renoncer à leur air propre et naturel, pour suivre celui du rang et des dignités où ils sont parvenus ; il y en a même qui prennent par avance l’air des dignités et du rang où ils aspirent. Combien de lieutenants généraux apprennent à paroître[60] maréchaux de France ! Combien de gens de robe répètent inutilement l’air de chancelier, et combien de bourgeoises se donnent l’air de duchesses !

Ce qui fait qu’on déplaît souvent, c’est que personne ne sait accorder son air et ses manières avec sa figure. ni ses tons et ses paroles avec ses pensées et ses sentiments[61] ; on trouble leur harmonie par quelque chose de faux et d’étranger[62] ; on s’oublie soi-même, et on s’en éloigne insensiblement ; tout le monde presque tombe, par quelque endroit, dans ce défaut ; personne n’a l’oreille assez juste pour entendre parfaitement cette sorte de cadence. Mille gens déplaisent avec des qualités aimables ; mille gens plaisent avec de moindres talents[63] : c’est que les uns veulent paroître ce qu’ils ne sont pas ; les autres sont ce qu’ils paroissent ; et enfin, quelques avantages ou quelques désavantages que nous ayons reçus de la nature, on plaît à proportion de ce qu’on suit l’air, les tons, les manières et les sentiments qui conviennent à notre état et à notre figure, et on déplaît à proportion de ce qu’on s’en éloigne[64].

IV. — de la conversation[65].

Ce qui fait que si peu de personnes[66] sont agréables dans la conversation, c’est que chacun songe plus à ce qu’il veut dire qu’à ce que les autres disent[67]. Il faut écouter ceux qui parlent, si on en veut être écouté[68] ; il faut leur laisser la liberté de se faire entendre, et même de dire des choses inutiles[69]. Au lieu de les contredire[70] ou de les interrompre, comme on fait souvent, on doit, au contraire[71], entrer dans leur esprit et dans leur goût, montrer qu’on les entend, leur parler de ce qui les touche[72], louer ce qu’ils disent autant qu’il mérite d’être loué, et faire voir que c’est plutôt par choix[73] qu’on le loue[74] que par complaisance. Il faut éviter de contester sur des choses indifférentes, faire rarement des questions, qui sont presque toujours[75] inutiles, ne laisser jamais croire qu’on prétend avoir plus de raison que les autres, et céder aisément l’avantage de décider[76].

On doit dire des choses naturelles, faciles et plus ou moins sérieuses, selon l’humeur et l’inclination[77] des personnes que l’on entretient, ne les presser pas d’approuver ce qu’on dit, ni même d’y répondre[78]. Quand on a satisfait de cette sorte aux devoirs de la politesse, on peut dire ses sentiments, sans prévention et sans opiniâtreté, en faisant paroître qu’on cherche à les appuyer de l’avis de ceux qui écoutent[79].

Il faut éviter de parler longtemps de soi-même, et de se donner souvent pour exemple[80]. On ne sauroit avoir trop d’application à connoître la pente et la portée[81] de ceux à qui on parle, pour se joindre à l’esprit de celui qui en a le plus, et pour ajouter ses pensées aux siennes, en lui faisant croire, autant qu’il est possible[82], que c’est de lui qu’on les prend. Il y a de l’habileté à n’épuiser pas les sujets qu’on traite, et à laisser toujours aux autres quelque chose à penser et à dire[83].

On ne doit jamais parler avec des airs d’autorité, ni se servir de paroles et de termes plus grands que les choses. On peut conserver ses opinions, si elles sont raisonnables ; mais en les conservant, il ne faut jamais


blesser les sentiments des autres, ni paroître choqué de ce qu’ils ont dit[84]. Il est dangereux de vouloir être toujours le maître de la conversation, et de parler trop souvent d’une même chose[85] ; on doit entrer indifféremment sur tous les sujets agréables qui se présentent, et ne faire jamais voir qu’on veut entraîner la conversation sur ce qu’on a envie de dire[86].

Il est nécessaire d’observer que toute sorte de conversation, quelque honnête et quelque spirituelle qu’elle soit, n’est pas également propre à toute sorte d’honnêtes gens : il faut choisir ce qui convient à chacun, et choisir même le temps de le dire ; mais s’il y a beaucoup d’art[87] à savoir parler à propos[88], il n’y en a pas moins à savoir se taire. Il y a un silence éloquent[89] : il sert quelquefois à approuver et à condamner ; il y a un silence moqueur ; il y a un silence respectueux ; il y a enfin des airs, des tons et des manières[90] qui font souvent ce qu’il y a d’agréable ou de désagréable[91], de délicat ou de choquant dans la conversation ; le secret de s’en bien servir est donné à peu de personnes ; ceux mêmes qui en font des règles s’y méprennent quelquefois ; la plus sûre, à mon avis, c’est de n’en point avoir qu’on ne puisse changer, de laisser plutôt voir des négligences dans ce qu’on dit que de l’affectation, d’écouter, de ne parler guère, et de ne se forcer jamais à parler[92].

V. — de la confiance.

Bien que la sincérité et la confiance aient du rapport, elles sont néanmoins différentes en plusieurs choses : la sincérité est une ouverture de cœur[93], qui nous montre tels que nous sommes ; c’est un amour de la vérité, une répugnance à se déguiser, un désir de se dédommager de ses défauts, et de les diminuer même par le mérite de les avouer[94]. La confiance ne nous laisse pas tant de liberté ; ses règles sont plus étroites ; elle demande plus de prudence et de retenue, et nous ne sommes pas toujours libres d’en disposer ; il ne s’agit pas de nous uniquement, et nos intérêts sont mêlés d’ordinaire avec les intérêts des autres. Elle a besoin d’une grande justesse pour ne livrer pas[95] nos amis en nous livrant nous-mêmes, et pour ne faire pas des présents de leur bien, dans la vue d’augmenter le prix de ce que nous donnons,

La confiance plaît toujours à celui qui la reçoit : c’est un tribut que nous payons à son mérite ; c’est un dépôt que l’on commet à sa foi[96] ; ce sont des gages qui lui donnent un droit sur nous, et une sorte de dépendance où nous nous assujettissons volontairement. Je ne prétends pas détruire par ce que je dis la confiance, si nécessaire entre les hommes, puisqu’elle est le lien de la société et de l’amitié : je prétends seulement y mettre des bornes, et la rendre honnête et fidèle. Je veux qu’elle soit toujours vraie et[97] toujours prudente, et qu’elle n’ait ni foiblesse, ni intérêt ; mais[98] je sais bien qu’il est malaisé de donner de justes limites à la manière de recevoir toute sorte de confiance de nos amis, et de leur faire part de la nôtre.

On se confie le plus souvent par vanité, par envie de parler[99], par le désir de s’attirer la confiance des autres, et pour faire un échange de secrets. Il y a des personnes qui peuvent avoir raison de se fier en nous, vers qui nous n’aurions pas raison d’avoir la même conduite, et on s’acquitte envers ceux-ci en leur gardant le secret, et en les payant de légères confidences. Il y en a d’autres dont la fidélité nous est connue, qui ne ménagent rien avec nous, et à qui on peut se confier par choix et par estime. cela elle n’a rien fait par le dessein de lui plaire ou de lui faire honneur ; qu’elle n’est allée chez lui que parce qu’elle ne s’est pas crue

On doit ne leur cacher rien[100] de ce qui ne regarde que nous, se montrer à eux toujours vrais[101], dans nos bonnes qualités et dans nos défauts même, sans exagérer les unes, et sans diminuer les autres[102] ; se faire une loi de ne leur faire jamais de[103] demi-confidences, qui embarrassent toujours ceux qui les font, et ne contentent presque[104] jamais ceux qui les reçoivent : on leur donne des lumières confuses de ce qu’on veut cacher, et on augmente leur curiosité ; on les met en droit d’en vouloir savoir davantage, et ils se croient en liberté de disposer de ce qu’ils ont pénétré. Il est plus sur et plus honnête de ne leur rien dire, que de se taire quand on a commencé à parler.

Il y a d’autres règles à suivre pour les choses qui nous ont été confiées : plus elles sont importantes, et plus la prudence et la fidélité y sont nécessaires. Tout le monde convient que le secret doit être inviolable ; mais on ne convient pas toujours de la nature et de l’importance du secret : nous ne consultons le plus souvent que nous-mêmes sur ce que nous devons dire et sur ce que nous devons taire ; il y a peu de secrets de tous les temps, et le scrupule de les[105] révéler ne dure pas toujours.

On a des liaisons étroites avec des amis dont on connoît la fidélité ; ils nous ont toujours parlé sans réserve, et nous avons toujours gardé les mêmes mesures avec eux ; ils savent nos habitudes et nos commerces, et ils nous voient de trop près pour ne s’apercevoir pas[106] du moindre changement ; ils peuvent savoir par ailleurs ce que nous sommes engagés[107] de ne dire jamais à personne ; il n’a pas été en notre pouvoir de les faire entrer dans ce qu’on nous a confié, et qu’ils ont peut-être quelque intérêt de savoir[108] ; on est assuré d’eux comme de soi, et on se voit cependant réduit à la cruelle nécessité de perdre leur amitié, qui nous est précieuse, ou de manquer à la foi du secret. Cet état est sans doute la plus rude épreuve de la fidélité ; mais il ne doit pas ébranler un honnête homme : c’est alors qu’il lui est permis de se préférer aux autres ; son premier devoir est indispensablement de conserver le dépôt[109] en son entier, sans en peser[110] les suites : il doit non-seulement ménager ses paroles et ses tons, il doit encore ménager ses conjectures, et ne laisser jamais[111] rien voir, dans ses discours ni dans son air, qui puisse tourner l’esprit des autres vers ce qu’il ne veut pas dire[112].

On a souvent besoin de force et de prudence pour opposer[113] à la tyrannie de la plupart de nos amis, qui se font un droit sur notre confiance, et qui veulent tout savoir de nous. On ne doit jamais leur laisser établir ce droit sans exception : il y a des rencontres et des circonstances qui ne sont pas de leur jurisdiction ; s’ils s’en plaignent, on doit souffrir leurs plaintes, et s’en justifier avec douceur ; mais s’ils demeurent injustes, on doit sacrifier leur amitié à son devoir, et choisir entre deux maux inévitables, dont l’un se peut réparer, et l’autre est sans remède.

VI. — de l’amour et de la mer*.

Ceux qui ont voulu nous représenter l’amour et ses caprices l’ont comparé en tant de sortes à la mer[114], qu’il est malaisé de rien ajouter à ce qu’ils en ont dit : ils nous ont fait voir que l’un et l’autre ont une inconstance et une infidélité égales, que leurs biens et[115] leurs maux sont sans nombre, que les navigations les plus heureuses sont exposées à mille dangers, que les tempêtes et les écueils sont toujours à craindre, et que souvent même on fait naufrage dans le port ; mais en nous exprimant tant d’espérances et tant de craintes, ils ne nous ont pas assez montré, ce me semble, le rapport qu’il y a d’un amour usé, languissant et sur sa fin, à ces longues bonaces, à ces calmes ennuyeux, que l’on rencontre sous la ligne. On est fatigué d’un grand voyage, on souhaite de l’achever ; on voit la terre, mais on manque de vent pour y arriver ; on se voit exposé aux injures des saisons ; les maladies et les langueurs empêchent d’agir ; l’eau et les vivres manquent ou changent de goût ; on a recours inutilement aux secours étrangers ; on essaye de pêcher, et on prend quelques poissons, sans en tirer de soulagement ni de nourriture ; on est las de tout ce qu’on voit, on est toujours avec ses mêmes pensées, et on est toujours ennuyé ; on vit encore, et on a regret à vivre[116] ; on attend des désirs pour sortir d’un état pénible et languissant, mais on n’en forme que de foibles et d’inutiles.

VII. — des exemples*.

Quelque différence qu’il y ait entre les bons et les mauvais exemples, on trouvera que les uns et les autres ont presque également produit de méchants effets[117] ; je ne sais même si les crimes de Tibère et de Néron ne nous éloignent pas plus du vice, que les exemples estimables des plus grands hommes ne nous approchent de la vertu. Combien la valeur d’Alexandre a-t-elle fait de fanfarons ! Combien la gloire de César a-t-elle autorisé d’entreprises contre la patrie ! Combien Rome et Sparte ont-elles loué de vertus farouches ! Combien Diogène a-t-il fait de philosophes importuns, Cicéron de babillards, Pomponius Atticus de gens neutres et paresseux[118], Marius et Sylla de vindicatifs, Lucullus de voluptueux, Alcibiade et Antoine de débauchés, Caton d’opiniâtres ! Tous ces grands originaux ont produit un nombre infini de mauvaises copies[119]. Les vertus sont frontières des vices ; les exemples sont des guides qui nous égarent souvent, et nous sommes si remplis de fausseté, que nous ne nous en servons pas moins pour nous éloigner du chemin de la vertu, que pour le suivre.

VIII. — de l’incertitude de la jalousie[120]*.

Plus on parle de sa jalousie, et plus les endroits qui ont déplu paroissent de différents côtés ; les moindres circonstances les changent, et font toujours découvrir quelque chose de nouveau. Ces nouveautés[121] font revoir, sous d autres apparences, ce qu’on croyoit avoir assez vu et assez pesé ; on cherche à s’attacher à une opinion, et on ne s’attache à rien ; tout ce qui est de plus opposé et de plus effacé[122] se présente en même temps ; on veut haïr et on veut auner, mais on aime encore quand on hait, et on hait encore quand on aime[123]. On croit tout, et on doute de tout ; ou a de la honte et du dépit d’avoir cru et d’avoir douté ; on se travaille incessamment pour arrêter son opinion, et on ne la conduit jamais à un lieu fixe.

Les poëtes devroient comparer cette opinion a la peine de Sisyphe, puisqu’on roule aussi inutilement que lui un rocher, par un chemin pénible et périlleux ; on voit le sommet de la montagne, on s’efforce d’y arriver ; on l’espère quelquefois, mais on n’y arrive jamais. On n’est pas assez heureux pour oser croire ce que l’on souhaite, ni même assez heureux aussi pour être assuré de ce qu’on craint le plus[124] ; on est assujetti à une incertitude éternelle, qui nous présente successivement des biens et des maux qui nous échappent toujours.

IX. — de l’amour et de la vie*.

L’amour est une image de notre vie : l’un et l’autre sont sujets aux mêmes révolutions et aux mêmes changements[125]. Leur jeunesse est pleine de joie et d’espérance : on se trouve heureux d’être jeune, comme on se trouve heureux d’aimer. Cet état si agréable nous conduit à désirer d’autres biens, et on en veut de plus solides ; on ne se contente pas de subsister, on veut faire des progrès, on est occupé des moyens de s’avancer et d’assurer sa fortune[126] ; on cherche la protection des ministres, on se rend utile à leurs intérêts ; on ne peut souffrir que quelqu’un prétende ce que nous prétendons. Cette émulation est traversée de mille soins et de mille peines, qui s’effacent par le plaisir de se voir établi : toutes les passions sont alors satisfaites, et on ne prévoit pas qu’on puisse cesser d’être heureux.

Cette félicité néanmoins est rarement[127] de longue durée, et elle ne peut conserver longtemps la grâce de la nouveauté[128] ; pour avoir ce que nous avons souhaité, nous ne laissons pas de souhaiter[129] encore. Nous nous accoutumons à tout ce qui est à nous ; les mêmes biens ne conservent pas leur même prix, et ils ne touchent pas toujours également notre goût ; nous changeons imperceptiblement, sans remarquer notre changement ; ce que nous avons obtenu devient une partie de nous-mêmes ; nous serions cruellement touchés de le perdre, mais nous ne sommes plus sensibles au plaisir de le conserver ; la joie n’est plus vive ; on en cherche ailleurs que dans ce qu’on a tant désiré. Cette inconstance involontaire est un effet du temps, qui prend, malgré nous, sur l’amour, comme sur notre vie ; il en efface insensiblement chaque jour un certain air de jeunesse et de gaieté, et en détruit les plus véritables charmes ; on prend des manières plus sérieuses, on joint des affaires à la passion ; l’amour ne subsiste plus par lui-même, et[130] il emprunte des secours étrangers. Cet état de l’amour représente le penchant de l’âge, où on commence à voir par où on doit finir[131] ; mais on n’a pas la force de finir volontairement, et dans le déclin de l’amour[132], comme dans le déclin de la vie, personne ne se peut résoudre de prévenir les dégoûts qui restent à éprouver ; on vit encore pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs[133]. La jalousie, la méfiance, la crainte de lasser, la crainte d’être quitté, sont des peines attachées à la vieillesse de l’amour, comme les maladies sont attachées à la trop longue durée de la vie : on ne sent plus qu’on est vivant que parce qu’on sent qu’on est malade, et on ne sent[134] aussi qu’on est amoureux que par sentir[135] toutes les peines de l’amour. On ne sort de l’assoupissement des trop longs attachements que par le dépit et le chagrin de se voir toujours attaché[136], enfin de toutes les décrépitudes, celle de l’amour est la plus insupportable.

X. — du goût[137]*.

Il y a des personnes qui ont plus d’esprit que de goût, et d’autres qui ont plus de goût que d’esprit[138] ; mais[139] il y a plus de variété et de caprice dans le goût[140] que dans l’esprit.

Ce terme de goût a diverses significations, et il est aisé de s’y méprendre : il y a différence entre le goût qui nous porte vers les choses[141] et le goût qui nous en fait connoître et discerner les qualités, en s’attachant[142] aux règles. On peut aimer la comédie sans avoir le goût assez fin et assez délicat pour en bien juger, et on peut avoir le goût assez bon pour bien juger de la comédie sans l’aimer. Il y a des goûts qui nous approchent imperceptiblement de ce qui se montre à nous ; d’autres[143] nous entraînent par leur force ou par leur durée[144].

Il y a des gens qui ont le goût faux en tout ; d’autres ne l’ont faux qu’en de certaines choses, et ils l’ont droit et juste dans ce qui est de leur portée. D’autres ont des goûts particuliers, qu’ils connoissent mauvais, et ne laissent pas de les suivre. Il y en a qui ont le goût incertain ; le hasard en décide : ils changent par légèreté, et sont touchés de plaisir ou d’ennui, sur la parole de leurs amis. D’autres sont toujours prévenus ; ils sont esclaves de tous leurs goûts, et les respectent en toutes choses. Il y en a qui sont sensibles à ce qui est bon, et choqués de ce qui ne l’est pas ; leurs vues sont nettes et justes, et ils trouvent la raison de leur goût dans leur esprit et dans leur discernement.

Il y en a qui, par une sorte d’instinct, dont ils ignorent la cause, décident de ce qui se présente à eux, et prennent toujours le bon parti. Ceux-ci font paroître plus de goût que d’esprit[145], parce que leur amour-propre et leur humeur ne prévalent point sur leurs lumières naturelles ; tout agit de concert en eux, tout y est sur un même ton. Cet accord les fait juger sainement des objets, et leur en forme une idée véritable ; mais, à parler généralement, il y a peu de gens qui aient le goût fixe et indépendant de celui des autres : ils suivent l’exemple et la coutume, et ils en empruntent presque tout ce qu’ils ont de goût[146].

Dans toutes ces différences de goûts que l’on vient[147] de marquer, il est très-rare, et presque impossible, de rencontrer cette sorte de bon goût qui sait donner le prix à chaque chose[148], qui en connoit toute la valeur, et qui se porte généralement sur tout : nos connoissances sont trop bornées, et cette juste disposition des qualités[149] qui font bien juger ne se maintient d’ordinaire que sur ce qui ne nous regarde pas directement. Quand il s’agit de nous, notre goût n’a plus cette justesse si nécessaire ; la préoccupation le trouble[150], tout ce qui a du rapport à nous paroît[151] sous une autre figure ; personne ne voit des mêmes yeux ce qui le touche et ce qui ne le touche pas[152] ; notre goût est conduit alors par la pente[153] de l’amour-propre et de l’humeur, qui nous fournissent des vues nouvelles, et nous assujettissent à un nombre infini de changements et d’incertitudes ; notre goût n’est plus à nous, nous n’en disposons plus : il change sans notre consentement, et les mêmes objets nous paroissent par tant de côtés différents, que nous méconnoissons enfin ce que nous avons vu et ce que nous avons senti.

XI. — du rapport des hommes avec les animaux*.

Il y a autant de diverses espèces d’hommes qu’il y a de diverses espèces d’animaux, et les hommes sont, à l’égard des autres hommes, ce que les différentes espèces d’animaux sont entre elles et à l’égard les unes des autres. Combien y a-t-il d’hommes qui vivent du sang et de la vie des innocents : les uns comme des tigres, toujours farouches et toujours cruels ; d’autres comme des lions, en gardant[154] quelque apparence de générosité ; d’autres comme des ours, grossiers et avides ; d’autres comme des loups, ravissants[155] et impitoyables ; d’autres comme des renards, qui vivent d’industrie, et dont le métier est de tromper !

Combien y a-t-il d’hommes qui ont du rapport[156] aux chiens ! lis détruisent leur espèce ; ils chassent pour le plaisir de celui qui les nourrit ; les uns suivent toujours leur maître, les autres gardent sa maison. Il y a des lévriers d’attache[157], qui vivent de leur valeur, qui se destinent à la guerre, et qui ont de la noblesse dans leur courage ; il y a des dogues acharnés, qui n’ont de qualités que la fureur ; il y a des chiens, plus ou moins inutiles, qui aboient souvent, et qui mordent quelquefois ; il y a même des chiens de jardinier[158]. Il y a des singes et des guenons qui plaisent par leurs manières, qui ont de l’esprit, et qui font toujours du mal ; il y a des paons qui n’ont que de la beauté, qui déplaisent par leur chant, et qui détruisent les lieux qu’ils habitent.

Il y a des oiseaux qui ne sont recommandables que par leur ramage et par leurs couleurs. Combien de perroquets, qui parlent sans cesse, et qui n’entendent jamais ce qu’ils disent ; combien de pies et de corneilles, qui ne s’apprivoisent que pour dérober[159] ; combien d’oiseaux de proie, qui ne vivent que de rapines ; combien d’espèces d’animaux paisibles et tranquilles, qui ne servent qu’à nourrir d’autres animaux !

Il a des chats, toujours au guet, malicieux et infidèles, et qui font patte de velours ; il y a des vipères, dont la langue est venimeuse, et dont le reste est utile[160] ; il y a des araignées, des mouches, des punaises et des puces, qui sont toujours incommodes et insupportables ; il y a des crapauds, qui font horreur, et qui n’ont que du venin ; il y a des hiboux, qui craignent la lumière.

Combien d’animaux qui vivent sous terre[161] pour se conserver ! Combien de chevaux, qu’on emploie à tant d’usages, et qu’on abandonne quand ils ne servent plus ; combien de bœufs, qui travaillent toute leur vie, pour enrichir celui qui leur impose le joug ; de cigales[162], qui passent leur vie à chanter ; de lièvres, qui ont peur de tout ; de lapins, qui s’épouvantent et se rassurent en un moment[163] ; de pourceaux, qui vivent dans la crapule et dans l’ordure ; de canards privés, qui trahissent leurs semblables, et les attirent dans les filets[164] ; de corbeaux et de vautours, qui ne vivent que de pourriture et de corps morts ! Combien d’oiseaux passagers, qui vont si souvent d’un monde à l’autre, et[165] qui s’exposent à tant de périls, pour chercher à vivre ! combien d’hirondelles, qui suivent toujours le beau temps ; de hannetons, inconsidérés et sans dessein ; de papillons, qui cherchent le feu qui les brûle ! Combien d’abeilles, qui respectent leur chef, et qui se maintiennent avec tant de règle et d’industrie ! combien de frelons, vagabonds et fainéants, qui cherchent à s’établir aux dépens des abeilles ! Combien de fourmis, dont la prévoyance et l’économie soulagent tous leurs besoins ! combien de crocodiles, qui feignent de se plaindre pour dévorer ceux qui sont touchés de leurs plaintes[166] ! Et combien d’animaux qui sont assujettis parce qu’ils ignorent leur force !

Toutes ces qualités se trouvent dans l’homme, et il exerce, à l’égard des autres hommes, tout ce que les animaux dont on vient de parler exercent entre eux.

XII. — de l’origine des maladies*.

Si on examine la nature des maladies, on trouvera qu’elles tirent leur origine des passions et des peines de l’esprit. L’âge d’or, qui en étoit exempt, étoit exempt de maladies[167] ; l’âge d’argent, qui le suivit, conserva encore sa pureté ; l’âge d’airain donna la naissance aux passions et aux peines de l’esprit : elles commencèrent à se former, et elles avoient encore la foiblesse de l’enfance et sa légèreté. Mais elles parurent avec toute leur force et toute leur malignité dans l’âge de fer, et répandirent dans le monde, par la suite de leur corruption, les diverses maladies qui ont affligé les hommes depuis tant de siècles. L’ambition a produit les fièvres aiguës et frénétiques ; l’envie a produit la jaunisse et l’insomnie ; c’est de la paresse que viennent les léthargies, les paralysies et les langueurs ; la colère a fait les étouffements, les ébullitions de sang, et les inflammations de poitrine ; la peur a fait les battements de cœur et les syncopes ; la vanité a fait les folies ; l’avarice, la teigne et la gale ; la tristesse a fait le scorbut ; la cruauté, la pierre ; la calomnie et les faux rapports ont répandu la rougeole, la petite vérole, et le pourpre, et on doit à la jalousie la cangrène[168], la peste, et la rage. Les disgrâces imprévues ont fait l’apoplexie ; les procès ont fait la migraine et le transport au cerveau ; les dettes ont fait les fièvres étiques ; l’ennui du mariage a produit la fièvre quarte, et la lassitude des amants qui n’osent se quitter a causé les vapeurs[169]. L’amour, lui seul[170], a fait plus de maux que tout le reste ensemble, et personne ne doit entreprendre de les exprimer ; mais comme il fait aussi les plus grands biens de la vie[171], au lieu de médire de lui, on doit se taire : on doit le craindre et le respecter toujours.

XIII. — du faux.

On est faux en différentes manières : il y a des hommes faux qui veulent toujours paroître ce qu’ils ne sont pas[172] ; il y en a d’autres, de meilleure foi, qui sont nés faux, qui se trompent eux-mêmes, et qui ne voient jamais les choses comme elles sont. Il y en a dont l’esprit est droit, et le goût faux ; d’autres ont l’esprit faux, et ont[173] quelque droiture dans le goût[174] ; il y en a enfin qui n’ont rien de faux dans le goût, ni dans l’esprit. Ceux-ci sont très-rares, puisque, à parler généralement, il n’y a presque[175] personne qui n’ait de la fausseté dans quelque endroit de l’esprit ou du goût.

Ce qui fait cette fausseté si universelle, c’est que nos qualités sont incertaines et confuses, et que nos vues[176] le sont aussi : on ne voit point les choses précisément comme elles sont ; on les estime plus ou moins qu’elles ne valent[177], et on ne les fait point rapporter à nous en la manière qui leur convient, et qui convient à notre état et à nos qualités. Ce mécompte met un nombre infini de faussetés dans le goût et dans l’esprit ; notre amour-propre est flatté de tout ce qui se présente à nous sous les apparences du bien ; mais comme il y a plusieurs sortes de bien[178] qui touchent notre vanité ou notre tempérament, on les suit souvent par coutume, ou par commodité ; on les suit parce que les autres les suivent, sans considérer qu’un même sentiment ne doit pas être également embrassé par toute sorte de personnes, et qu’on s’y doit attacher plus ou moins fortement, selon qu’il convient plus ou moins à ceux qui le suivent[179].

On craint encore plus de se montrer faux par le goût que par l’esprit. Les honnêtes gens doivent approuver sans prévention ce qui mérite d’être approuvé, suivre ce qui mérite d’être suivi, et ne se piquer de rien[180] ; mais il y faut une grande proportion et une grande justesse : il faut savoir discerner ce qui est bon en général, et ce qui nous est propre, et suivre alors avec raison la pente naturelle qui nous porte vers les choses qui nous plaisent. Si les hommes ne vouloient exceller que par leurs propres talents, et en suivant leurs devoirs, il n’y auroit rien de faux dans leur goût et dans leur conduite ; ils se montreroient tels qu’ils sont ; ils jugeroient des choses par leurs lumières, et s’y attacheroient par leur raison[181] ; il y auroit de la proportion dans leurs vues et[182] dans leurs sentiments ; leur goût seroit vrai, il viendroit d’eux et non pas des autres, et ils le suivroient par choix, et non pas par coutume[183] ou par hasard.

Si on est faux en approuvant ce qui ne doit pas être approuvé, on ne l’est pas moins, le plus souvent, par l’envie de se faire valoir en des qualités qui sont bonnes de soi, mais qui ne nous conviennent pas[184] : un magistrat est faux quand il se pique d’être brave, bien qu’il puisse être hardi dans de certaines rencontres ; il doit paroître[185] ferme et assuré dans une sédition qu’il a droit d’apaiser[186],

sans craindre d’être faux, et il seroit faux et ridicule de se battre eu duel. Une femme peut aimer les sciences[187], mais toutes les sciences ne lui conviennent pas toujours[188], et l’entêtement de certaines sciences ne lui convient jamais, et est toujours faux.

Il faut que la raison et le bon sens mettent le prix aux choses[189], et déterminent notre goût à leur donner le rang qu’elles méritent et qu’il nous convient de leur donner ; mais tous les hommes presque[190] se trompent dans ce prix et dans ce rang, et il y a toujours de la fausseté dans ce mécompte[191].

Les plus grands rois sont ceux qui s’y méprennent le plus souvent : ils veulent surpasser les autres hommes en valeur, en savoir, en galanterie, et dans mille autres qualités où tout le monde a droit de prétendre ; mais ce goût d’y surpasser les autres peut être faux en eux, quand il va trop loin. Leur émulation doit avoir un

autre objet : ils doivent imiter Alexandre, qui ne vouloit[192] disputer le prix de la course que contre des rois, et se souvenir que ce n’est que des qualités particulières à la royauté[193] qu’ils doivent disputer. Quelque vaillant que puisse être un roi, quelque savant et agréable qu’il puisse être, il trouvera un nombre infini de gens qui auront ces mêmes qualités aussi avantageusement que lui, et le désir de les surpasser paroîtra toujours faux, et souvent même il lui sera impossible[194] d’y réussir ; mais s’il s’attache à ses devoirs véritables, s’il est magnanime, s’il est grand capitaine et grand politique, s’il est juste, clément et[195] libéral, s’il soulage ses sujets ; s’il aime la gloire et le repos de son État, il ne trouvera que des rois à vaincre dans une si noble carrière ; il n’y aura rien que de vrai et de grand dans un si juste dessein, et le désir d’y surpasser les autres n’aura rien de faux. Cette émulation est digne d’un roi, et c’est la véritable gloire où il doit prétendre.

XIV. — des modèles de la nature
et de la fortune
*.

Il semble que la fortune, toute changeante et capricieuse qu’elle est, renonce à ses changements et à ses caprices pour agir de concert avec la nature, et que l’une et l’autre concourent de temps en temps à faire des hommes extraordinaires[196] et singuliers, pour servir de modèles à la postérité. Le soin de la nature est de fournir les qualités ; celui de la fortune est de les mettre en œuvre[197], et de les faire voir dans le jour et avec les proportions qui conviennent à leur dessein : on diroit alors qu’elles imitent les règles des grands peintres, pour nous donner des tableaux parfaits de ce qu’elles veulent représenter. Elles choisissent un sujet, et s’attachent au plan qu’elles se sont proposé ; elles disposent de la naissance, de l’éducation, des qualités naturelles et acquises, des temps, des conjonctures, des amis, des ennemis ; elles font remarquer des vertus et des vices, des actions heureuses et malheureuses ; elles joignent même de petites circonstances aux plus grandes, et les savent placer avec tant d’art, que les actions des hommes et leurs motifs nous paroissent toujours sous la figure et avec les couleurs qu’il plaît à la nature et à la fortune d’y donner[198].

Quel concours de qualités éclatantes n’ont-elles pas assemblé dans la personne d’Alexandre, pour le montrer au monde comme un modèle d’élévation d’âme et de grandeur de courage ! Si on examine sa naissance illustre, son éducation, sa jeunesse, sa beauté, sa complexion heureuse, l’étendue et la capacité de son esprit pour la guerre et pour les sciences, ses vertus, ses défauts même[199], le petit nombre de ses troupes, la puissance formidable de ses ennemis-, la courte durée d’une si belle vie, sa mort et ses successeurs, ne verra-t-on pas l’industrie et l’application de la fortune et de[200] la nature à renfermer dans un même sujet ce nombre infini de diverses circonstances ? Ne verra-t-on pas le soin particulier qu’elles ont pris d’arranger tant d’événements extraordinaires, et de les mettre chacun dans son jour, pour composer un modèle d’un jeune conquérant, plus grand encore par ses qualités personnelles que par l’étendue de ses conquêtes[201] ?

Si on considère de quelle sorte la nature et la fortune nous montrent César, ne verra-t-on pas qu’elles ont suivi un autre plan, qu’elles n’ont renfermé dans sa personne tant de valeur, de clémence, de libéralité, tant de qualités militaires, tant de pénétration, tant de facilité d’esprit et de mœurs, tant d’éloquence, tant de grâces du corps, tant de supériorité de génie pour la paix et pour la guerre, ne verra-t-on pas, dis-je, qu’elles ne se sont assujetties si longtemps à arranger et à mettre en œuvre tant de talents extraordinaires, et qu’elles n’ont contraint César de s’en servir contre sa patrie, que pour nous laisser un modèle du plus grand homme du monde, et du plus célèbre usurpateur[202] ? Elles le font naître[203] particulier dans une république maîtresse de l’univers, affermie et soutenue par les plus grands hommes qu’elle eût[204] jamais produits ; la fortune même[205] choisit parmi eux ce qu’il y avoit de plus illustre, de plus puissant, et de plus redoutable, pour les rendre ses ennemis ; elle le réconcilie[206], pour un temps, avec les plus considérables, pour les faire servir à son élévation ; elle les éblouit et les aveugle ensuite, pour lui faire une guerre qui le conduit à la souveraine puissance. Combien d’obstacles ne lui a-t-elle pas fait surmonter ! De combien de périls, sur terre et sur mer, ne l’a-t-elle pas garanti, sans jamais avoir été blessé ! Avec quelle persévérance la fortune n’a-t-elle pas soutenu les desseins de César, et détruit ceux de Pompée ! Par quelle industrie n’a-t-elle pas disposé ce peuple romain, si puissant, si fier, et si jaloux de sa liberté, à la soumettre[207] à la puissance d’un seul homme ! Ne s’est-elle pas même servie des circonstances de la mort de César, pour la rendre convenable[208] à sa vie ? Tant d’avertissements des devins[209],

tant de prodiges, tant d’avis de sa femme et de ses amis, ne peuvent le garantir, et la fortune choisit le propre jour qu’il doit être couronné dans le Sénat, pour le faire assassiner par ceux mêmes qu’il a sauvés, et par un homme qui lui doit la naissance[210].

Cet accord de la nature et de la fortune[211] n’a jamais été plus marqué que dans la personne de Caton, et il semble qu’elles se soient efforcées l’une et l’autre de renfermer dans un seul homme[212], non-seulement les vertus de l’ancienne Rome, mais encore de l’opposer directement aux vertus de César, pour montrer qu’avec une pareille étendue d’esprit et de courage, le désir de gloire conduit l’un à être usurpateur, et l’autre à servir de modèle d’un parfait citoyen. Mon dessein n’est pas de faire ici le parallèle de ces deux grands hommes, après tout ce qui en est écrit[213] ; je dirai seulement que, quelques[214] grands et illustres qu’ils nous paroissent, la nature et la fortune n’auroient pu mettre toutes leurs qualités dans le jour qui convenoit pour les faire éclater[215], si elles n’eussent opposé Caton à César. Il falloit les fane naître en même temps, dans une même république, différents par leurs mœurs et par leurs talents, ennemis par les intérêts de la patrie et par des intérêts domestiques ; l’un, vaste dans ses desseins, et sans bornes dans son ambition ; l’autre, austère, renfermé dans les lois de Rome, et idolâtre de la liberté ; tous deux célèbres par des vertus qui les montroient par de si différents côtés, et plus célèbres encore, si l’on ose dire, par l’opposition que la fortune et la nature ont pris soin de mettre entre eux. Quel arrangement, quelle suite, quelle économie de circonstances dans la vie de Caton, et dans sa mort ! La destinée même de la République a servi au tableau que la fortune nous a voulu donner de ce grand homme, et elle finit sa vie avec la libellé de son pays.

Si nous laissons les exemples des siècles passés pour venir aux exemples du siècle présent, on trouvera que la nature et la fortune ont conservé cette même union dont j’ai parlé, pour nous montrer de différents modèles en deux hommes consommés en l’art de commander. Nous verrons Monsieur le Prince[216] et M. de Turenne disputer de la gloire des armes, et mériter, par un nombre infini d’actions éclatantes, la réputation qu’ils ont acquise. Ils paroîtront avec une valeur et une expérience égales ; infatigables de corps et d’esprit, on les verra agir ensemble, agir séparément, et quelquefois opposés l’un à l’autre ; nous les verrons, heureux et malheureux dans diverses occasions de la guerre, devoir les bons succès[217] à leur conduite et à leur courage, et se montrer toujours plus grands, même par leurs disgrâces ; tous deux sauver l’État ; tous deux contribuer à le détruire, et se servir[218] des mêmes talents, par des voies différentes : M. de Turenne, suivant ses desseins avec plus de règle et moins de vivacité, d’une valeur plus retenue, et toujours proportionnée au besoin de la faire paroître ; Monsieur le Prince, inimitable en la manière de voir et d’exécuter les plus grandes choses, entraîné par la supériorité de son génie, qui semble lui soumettre les événements et les faire servir à sa gloire[219]. La foiblesse des armées qu’ils ont commandées dans les dernières campagnes, et la puissance des ennemis qui leur étoiont opposés, ont donné de nouveaux sujets à l’un et à l’autre de montrer toute leur vertu[220], et de réparer par leur mérite tout ce qui leur manquoit pour soutenir la guerre. La mort même de M. de Turenne[221] si convenable[222] à une si belle vie, accompagnée de tant de circonstances singulières, et arrivée dans un moment si important, ne nous paroît-elle pas comme un effet de la crainte et de l’incertitude de la fortune, qui n’a osé décider de la destinée de la France et de l’Empire ? Cette même fortune, qui retire Monsieur le Prince du commandement des armées, sous le prétexte de sa santé, et dans un temps où il devoit achever de si grandes choses, ne se joint-elle pas à la nature pour nous montrer présentement ce grand homme dans une vie privée, exerçant des vertus paisibles, et soutenu de sa propre gloire ? Brille-t-il[223] moins dans sa retraite qu’au milieu de ses victoires[224] ?


XV. — des coquettes et des vieillards[225]*.


S’il est malaisé de rendre raison[226] des goûts en général, il le doit être encore davantage de rendre raison du goût des femmes coquettes : on peut dire néanmoins que l’envie de plaire se répand généralement sur tout ce qui peut flatter leur vanité, et qu’elles ne trouvent rien d’indigne de leurs conquêtes-, mais le plus incompréhensible de tous leurs goûts est, à mon sens, celui qu’elles ont pour les vieillards qui ont été galants. Ce goût paroît trop bizarre, et il y en a trop d’exemples, pour ne chercher pas[227] la cause d’un sentiment tout à la fois si commun, et si contraire à l’opinion que l’on a des femmes. Je laisse aux philosophes à décider si c’est un soin charitable[228] de la nature, qui veut consoler les vieillards dans leurs misères[229], et qui leur fournit le secours des coquettes, par la même prévoyance qui lui fait donner[230] des ailes aux chenilles, dans le déclin de leur vie, pour les rendre papillons ; mais sans pénétrer dans les secrets de la physique[231], on peut, ce me semble, chercher des causes plus sensibles de ce goût dépravé des coquettes pour les vieilles gens. Ce qui est plus apparent, c’est qu’elles aiment les prodiges, et qu’il n’y en a point qui doive[232] plus toucher leur vanité que de ressusciter un mort. Elles ont le plaisir de l’attacher à leur char, et d’en parer leur triomphe, sans que leur réputation en soit blessée : au contraire, un vieillard est un ornement à la suite d’une coquette, et il est aussi nécessaire dans son train, que les nains l’étoient autrefois à Amadis. Elles n’ont point d’esclaves si commodes et si utiles[233] : elles paroissent bonnes et solides, en conservant un ami sans conséquence ; il publie leurs louanges[234], il gagne créance vers les maris[235], et leur répond de la conduite de leurs femmes. S’il a du crédit, elles en retirent mille secours ; il entre dans tous les intérêts et dans tous les besoins de la maison. S’il sait les bruits qui courent des véritables galanteries, il n’a garde de les croire ; il les étouffe, et assure que le monde est médisant ; il juge, par sa propre expérience, des difficultés qu’il y a de toucher le cœur d’une si bonne femme ; plus on lui fait acheter des grâces et des faveurs[236], plus il est discret et fidèle ; son propre intérêt l’engage assez au silence ; il craint toujours d’être quitté, et il se trouve trop heureux d’être souffert[237]. Il se persuade aisément qu’il est aimé, puisqu’on le choisit contre tant d’apparence : il croit que c’est un privilège de son vieux mérite, et remercie[238] l’amour de se souvenir de lui dans tous les temps.

Elle, de son côté, ne voudroit pas manquer à ce qu’elle lui a promis : elle lui fait remarquer qu’il a toujours touché son inclination, et qu’elle n’auroit jamais aimé, si elle ne l’avoit jamais connu ; elle le prie surtout[239] de n’être pas jaloux et de se fier eu elle ; elle lui avoue qu’elle aime un peu le monde et le commerce des honnêtes gens, qu’elle a même intérêt d’en ménager plusieurs à la fois, pour ne laisser pas voir[240] qu’elle le traite différemment des autres ; que si elle fait quelques railleries de lui avec ceux dont on s’est avisé de parler, c’est seulement pour avoir le plaisir de le nommer souvent, ou pour mieux cacher ses sentiments ; qu’après tout, il est le maître de sa conduite, et que, pourvu qu’il en soit content, et qu’il l’aime toujours, elle se met aisément en repos du reste. Quel vieillard ne se rassure pas par des raisons si convaincantes, qui l’ont souvent trompé quand il étoit jeune et aimable ? Mais, pour son malheur, il oublie trop aisément qu’il n’est plus ni l’un ni l’autre, et cette foiblesse est, de toutes, la plus ordinaire aux vieilles gens[241] qui ont été aimés[242]. Je ne sais si cette tromperie ne leur vaut pas mieux encore que de connoître la vérité : on les souffre du moins ; on les amuse[243] ; ils sont détournés de la vue de leurs propres misères ; et le ridicule où ils tombent est souvent un moindre mal pour eux que les ennuis et l’anéantissement d’une vie pénible et languissante.

XVI. — de la différence des esprits.

Bien que toutes les qualités de l’esprit se puissent rencontrer dans un grand esprit[244], il y en a néanmoins qui lui sont propres et particulières : ses lumières n’ont point de bornes ; il agit toujours également, et avec la même activité ; il discerne les objets éloignés, comme s’ils étoient présents ; il comprend, il imagine les plus grandes choses ; il voit et connoît les plus petites ; ses pensées sont relevées, étendues, justes et intelligibles ; rien n’échappe à sa pénétration, et elle lui fait toujours[245] découvrir la vérité, au travers des obscurités qui la cachent aux autres. Mais toutes ces grandes qualités ne peuvent souvent empêcher que l’esprit ne paroisse petit et foible, quand l’humeur s’en est rendue la maîtresse[246].

Un bel esprit pense toujours noblement ; il produit avec facilité des choses claires, agréables et naturelles ; il les fait voir dans leur plus beau jour, et il les pare de tous les ornements qui leur conviennent ; il entre dans le goût des autres, et retranche de ses pensées ce qui est inutile, ou ce qui peut déplaire. Un esprit adroit, facile, insinuant, sait éviter et surmonter les difficultés ; il se plie aisément à ce qu’il veut ; il sait connoître et suivre[247] l’esprit et 1 humeur de ceux avec qui il traite ; et en ménageant leurs intérêts, il avance et il établit les siens. Un bon esprit voit toutes choses comme elles doivent être vues ; il leur donne le prix qu’elles méritent[248], il les sait tourner[249] du côté qui lui est le plus avantageux, et il s’attache avec fermeté à ses pensées, parce qu’il en connoît toute la force et toute la raison.

Il y a de la différence entre un esprit utile et un esprit d’affaires ; on peut entendre les affaires, sans s’appliquer à son intérêt particulier : il y a des gens habiles dans tout ce qui ne les regarde pas, et très-malhabiles dans ce qui les regarde[250] ; et il y en a d’autres, au contraire, qui ont une habileté bornée à ce qui les touche, et qui savent trouver leur avantage en toutes choses.

On peut avoir, tout ensemble, un air sérieux dans l’esprit, et dire souvent des choses agréables et enjouées ; cette sorte d’esprit convient à toutes personnes et à tous les âges de la vie. Les jeunes gens ont d’ordinaire l’esprit enjoué et moqueur, sans l’avoir sérieux, et c’est ce qui les rend souvent incommodes. Rien n’est plus malaisé[251] à soutenir que le dessein d’être toujours plaisant, et les applaudissements qu’on reçoit quelquefois en divertissant les autres ne valent pas que l’on s’expose à la honte de les ennuyer souvent, quand ils sont de méchante humeur. La moquerie est une des plus agréables et des plus dangereuses[252] qualités de l’esprit : elle plaît toujours, quand elle est délicate ; mais on craint toujours aussi[253] ceux qui s’en servent trop souvent[254]. La moquerie peut néanmoins être permise, quand elle n’est mêlée d’au cune malignité, et quand on y fait entrer[255] les personnes mêmes dont on parle.

Il est malaisé d’avoir un esprit de raillerie sans affecter d’être plaisant, ou sans aimer à se moquer ; il faut une grande justesse pour railler longtemps, sans tomber dans l’une ou l’autre de ces extrémités. La raillerie est un air de gaieté qui remplit l’imagination, et qui lui fait voir en ridicule les objets qui se présentent ; l’humeur y mêle plus ou moins de douceur ou d’âpreté : il y a une manière de railler, délicate et flatteuse, qui touche seulement les défauts que les personnes dont on parle veulent bien avouer, qui sait déguiser les louanges qu’on leur donne sous des apparences de blâme, et qui découvre[256] ce qu’elles ont d’aimable, en feignant de le vouloir cacher.

Un esprit fin et un esprit de finesse sont très-différents. Le premier plaît toujours ; il est délié, il pense des choses délicates[257], et voit les plus imperceptibles. Un esprit de finesse ne va jamais droit : il cherche des biais et des détours pour faire réussir ses desseins ; cette conduite est bientôt découverte ; elle se fait toujours craindre, et ne mène presque jamais aux grandes choses[258].

Il y a quelque différence entre un esprit de feu et un esprit brillant : un esprit de feu va plus loin et avec plus de rapidité ; un esprit brillant a de la vivacité, de l’agrément et de la justesse.

La douceur de l’esprit, c’est un air[259] facile et accommodant, qui plaît toujours[260], quand il n’est point fade.

Un esprit de détail s’applique avec de l’ordre et de la règle à toutes les particularités des sujets qu’on lui présente : cette application le renferme d’ordinaire à de petites choses ; elle n’est pas néanmoins toujours incompatible avec de grandes vues[261] ; et quand ces deux qualités se trouvent ensemble dans un même esprit, elles relèvent infiniment au-dessus des autres.

On a abusé du terme de bel esprit, et bien que tout ce qu’on vient de dire des différentes[262] qualités de l’esprit puisse convenir à un bel esprit, néanmoins comme ce titre a été donné à un nombre infini de mauvais poètes et d’auteurs ennuyeux, on s’en sert plus souvent pour tourner les gens en ridicule, que pour les louer[263].

Bien qu’il y ait plusieurs épithètes pour l’esprit qui paroissent une même chose, le ton et la manière de les prononcer y mettent de la différence ; mais comme les tons et les manières de dire[264] ne se peuvent écrire, je n’entrerai point dans un détail qu’il seroit impossible de bien expliquer. L’usage ordinaire le fait assez entendre ; et en disant qu’un homme a de l’esprit, qu’il a bien de l’esprit[265], qu’il a beaucoup d’esprit, et qu’il a bon esprit[266], il n’y a que les tons et les manièies qui puissent mettre de la différence entre ces expressions, qui paroissent sembables sur le papier, et qui expriment néanmoins de très-différentes sortes d’esprit[267].

On dit encore qu’un homme n’a que d’une sorte[268] d’esprit, qu’il a de plusieurs sortes d’esprit, et qu’il a de toutes sortes d’esprit. On peut être sot avec beaucoup d’esprit, et on peut n’être pas sot avec peu d’esprit[269].

Avoir beaucoup d’esprit est un terme équivoque : il peut comprendre toutes les sortes d’esprit[270] dont on vient de parler, mais il peut aussi n’en marquer aucune distinctement. On peut quelquefois faire paroître de l’esprit dans ce qu’on dit, sans en avoir dans sa conduite[271] ; on peut avoir de l’esprit, et l’avoir borné ; un esprit peut être propre à de certaines choses, et ne l’être pas à d’autres ; on peut avoir beaucoup d’esprit et n’être propre à rien, et avec beaucoup d’esprit, on est souvent fort incommode[272]. Il semble néanmoins que le plus grand mérite de cette sorte d’esprit est de plaire quelquefois dans la conversation.

Bien que les productions d’esprit soient infinies, on peut, ce me semble, les distinguer de cette sorte : il y a des choses si belles, que tout le monde est capable d’en voir et d’en sentir la beauté ; il y en a qui ont de la beauté et qui ennuient ; il y en a qui sont belles, que tout le monde sent et admire[273], bien que tous n’en sachent pas la raison ; il y en a qui sont si fines et si délicates, que peu de gens sont capables d’en remarquer toutes les beautés ; enfin il y en a d’autres qui ne sont pas parfaites[274], mais qui sont dites avec tant d’art, et qui sont soutenues et conduites avec tant de raison et tant de grâce, qu’elles méritent d’être admirées.

XVII. — des événements de ce siècle[275]*.

L’histoire, qui nous apprend ce qui arrive dans le monde, nous montre également les grands événements et les médiocres : cette confusion d’objets nous empêche souvent de discerner avec assez d’attention les choses extraordinaires qui sont renfermées[276] dans le cours de chaque siècle. Celui où nous vivons en a produit, à mon sens, de plus singuliers[277] que les précédents : j’ai voulu en écrire quelques-uns, pour les rendre plus remarquables aux personnes qui voudront y faire réflexion.

Marie de Médicis, reine de France, femme de Henri le Grand, fut mère du roi Louis XIII, de Gaston, fils de France, de la reine d’Espagne[278], de la duchesse de Savoie[279], et de la reine d’Angleterre[280] ; elle fut régente en France, et gouverna le Roi, son fils, et son royaume pendant plusieurs années. Elle éleva Armand de Richelieu à la dignité de cardinal[281] ; elle le fit premier ministre, maître de l’État et de l’esprit du Roi. Elle avoit peu de vertus et peu de défauts qui la dussent faire craindre, et néanmoins, après tant d’éclat et de grandeurs[282], cette princesse, veuve de Henri IV et mère de tant de rois, a été arrêtée prisonnière par le Roi, son fils, et parla troupe du cardinal de Richelieu, qui lui devoit sa fortune. Elle a été délaissée des autres rois, ses enfants, qui n’ont osé même la recevoir dans leurs États, et elle est morte de misère[283], et presque de faim, à Cologne, après une persécution de dix années.

Ange de Joyeuse[284], duc et pair, maréchal de France et amiral, jeune, riche, galant et heureux, abandonna tant d’avantages pour se faire capucin. Après quelques années, les besoins de l’État le rappelèrent au monde ; le Pape le dispensa de ses vœux, et lui ordonna d’accepter le commandement des armées du Roi contre les huguenots ; il demeura quatre ans dans cet emploi, et se laissa entraîner, pendant ce temps, aux mêmes passions[285] qui l’avoient agité pendant sa jeunesse. La guerre étant finie, il renonça une seconde fois au monde, et reprit l’habit de capucin ; il vécut longtemps dans une vie sainte et religieuse ; mais la vanité, dont il avoit triomphé dans le milieu des grandeurs, triompha de lui dans le cloître ; il fut élu gardien du couvent de Paris, et son élection étant contestée par quelques religieux, il s’exposa, non-seulement à aller à Rome, dans un âge avancé, à pied, et malgré les autres incommodités d’un si pénible voyage ; mais la même opposition des religieux s’étant renouvelée à son retour, il partit une seconde fois[286] pour retourner à Rome soutenir un intérêt si peu digne de lui, et il mourut en chemin, de fatigue, de chagrin, et de vieillesse[287].

Trois hommes de qualité. Portugais, suivis de dix-sept de leurs amis[288], entreprirent la révolte de[289] Portugal et des Indes qui en dépendent, sans concert avec les peuples ni avec les étrangers, et sans intelligence dans les places[290]. Ce petit nombre de conjurés se rendit maître du palais de Lisbonne, en chassa la douairière de Mantoue, régente pour le roi d’Espagne, et fit soulever tout le royaume ; il ne périt dans ce désordre que Vasconcellos[291], ministre d’Espagne, et deux de ses domestiques[292]. Un si grand changement se fit en faveur du duc de Bragance, et sans sa participation[293] ; il fut déclaré roi contre sa propre volonté, et se trouva le seul homme de Portugal[294] qui résistât à son élection ; il a possédé ensuite cette couronne pendant quatorze années[295], n’ayant ni élévation, ni mérite ; il est mort dans son lit, et a laissé son royaume[296] paisible à ses enfants.

Le cardinal de Richelieu a été maître absolu du royaume de France pendant le règne d’un roi qui lui laissoit le gouvernement de son État, lorsqu’il n’osoit lui confier sa propre personne ; le Cardinal avoit aussi les mêmes défiances[297] du Roi, et il évitoit d’aller chez lui, craignant d’exposer sa vie ou sa liberté ; le Roi néanmoins sacrifie Cinq-Mars[298], son favori, à la vengeance du Cardinal, et consent qu’il périsse sur un échafaud. Ensuite le Cardinal meurt dans sou lit ; il dispose par son testament des charges et des dignités de l’État, et oblige le Roi, dans le plus fort de ses soupçons[299] et de sa haine, à suivre aussi aveuglément ses volontés après sa mort, qu’il avoit fait pendant sa vie.

Alphonse, roi de Portugal, fils du duc de Bragance dont je viens de parler, s’est marié[300], en France, à la fille du duc de Nemours, jeune, sans biens et sans protection. Peu de temps après, cette princesse a formé le dessein de quitter le Roi, son mari[301] ; elle l’a fait arrêter dans Lisbonne, et les mêmes troupes qui, un jour auparavant, le gardoient comme leur roi, l’ont gardé le lendemain comme prisonnier ; il a été confiné dans une île de ses propres États[302], et on lui a laissé la vie et le titre de roi. Le prince de Portugal, son frère, a épousé la Reine ; elle conserve sa dignité[303], et elle a revêtu le prince, son mari, de toute l’autorité du gouvernement, sans lui donner le nom de roi[304] ; elle jouit tranquillement du succès d’une entreprise si extraordinaire, en paix avec les Espagnols, et sans guerre civile dans le royaume.

Un vendeur d’herbes, nommé Masaniel, fit soulever le menu peuple de Naples, et malgré la puissance des Espagnols, il usurpa l’autorité royale ; il disposa souverainement de la vie, de la liberté, et des biens[305] de tout ce qui lui fut suspect ; il se rendit maître des douanes ; il dépouilla les partisans[306] de tout leur argent et de leurs meubles, et fit brûler publiquement toutes ces richesses immenses dans le milieu de la ville, sans qu’un seul de cette foule confuse de révoltés voulût profiter d’un bien qu’on croyoit mal acquis. Ce prodige ne dura que quinze jours, et finit par un autre prodige : ce même Masaniel, qui achevoit de si grandes choses avec tant de bonheur, de gloire, et de conduite, perdit subitement[307] l’esprit, et mourut frénétique, en vingt-quatre heures[308].

La reine de Suède[309], en paix dans ses État[310] et avec ses voisins, aimée de ses sujets, respectée des étrangers, jeune et sans dévotion, a quitté volontairement son royaume[311], et s’est réduite à une vie privée[312]. Le roi de Pologne[313], de la même maison que la reine de Suède, s’est démis aussi de la royauté, par la seule lassitude d’être roi.

Un lieutenant d’infanterie, sans nom et sans crédit, a commencé, à l’âge de quarante-cinq ans, de se faire connoître dans les désordres d’Angleterre[314]. Il a dépossédé son roi légitime, bon, juste, doux, vaillant et libéral ; il lui a fait trancher la tête, par un arrêt de son parlement ; il a changé la royauté en république ; il a été dix ans maître de l’Angleterre, plus craint de ses voisins, et plus absolu dans son pays que tous les rois qui y ont régné. Il est mort[315] paisible, et en pleine possession de toute la puissance du royaume.

Les Hollandois ont secoué le joug de la domination d’Espagne ; ils ont formé une puissante république, et ils ont soutenu cent ans la guerre contre leurs rois légitimes[316], pour conserver leur liberté. Ils doivent tant de grandes choses à la conduite et à la valeur des princes d’Orange[317], dont ils ont néanmoins toujours redouté l’ambition, et limité le pouvoir. Présentement cette république, si jalouse de sa puissance, accorde au prince d’Orange d’aujourd’hui, malgré son peu d’expérience et ses malheureux succès dans la guerre, ce qu’elle a refusé à ses pères ; elle ne se contente pas de relever sa fortune abattue : elle le met en état de se faire souverain de Hollande, et elle a souffert qu’il ait fait déchirer par le peuple un homme qui maintenoit seul[318] la liberté publique[319].

Cette puissance d’Espagne, si étendue et si formidable à tous les rois du monde, trouve aujourd’hui son principal appui dans ses sujets rebelles, et se soutient par la protection des Hollandois.

Un empereur[320], jeune, foible, simple, gouverné par des ministres incapables, et pendant le plus grand abaissement de la maison d’Autriche, se trouve, en un moment, chef de tous les princes d’Allemagne, qui craignent son autorité et méprisent sa personne, et il est plus absolu que n’a jamais été[321] Charles-Quint. Le roi d’Angleterre[322], foible, paresseux, et plongé dans les plaisirs, oubliant les intérêts de son royaume et ses exemples domestiques, s’est exposé avec fermeté, pendant six ans[323], à la fureur de ses peuples et à la haine de son parlement, pour conserver une liaison étroite avec le roi de France ; au lieu d’arrêter les conquêtes de ce prince dans les Pays-Bas, il y a même contribué, en lui fournissant des troupes. Cet attachement l’a empêché d’être maître absolu de l’Angleterre, et d’en étendre les frontières en Flandre et en Hollande, par des places et par des ports qu’il a toujours refusés ; mais dans le temps même qu’il reçoit des sommes considérables du Roi[324], et qu’il a le plus de besoin[325] d’en être soutenu contre ses propres sujets, il renonce, sans prétexte, à tant d’engagements, et il se déclare contre la France, précisément quand il lui est utile et honnête d’y être attaché ; par une mauvaise politique précipitée, il perd, en un moment, le seul avantage qu’il pouvoit retirer d’une mauvaise politique de six années, et ayant pu[326] donner la paix comme médiateur, il est réduit à la demander comme suppliant, quand le Roi l’accorde à l’Espagne, à l’Allemagne et à la Hollande.

Les propositions qui avoient été faites au roi d’Angleterre de marier sa nièce, la princesse d’Yorck[327], au prince d’Orange, ne lui étoient pas agréables[328] ; le duc d’Yorck en paroissoit aussi éloigné que le Roi son frère, et le prince d’Orange même, rebuté par les difficultés de ce dessein, ne pensoit plus à le faire réussir. Le roi d’Angleterre, étroitement lié au roi de France, consentoit à ses conquêtes, lorsque les intérêts du grand trésorier d’Angleterre[329], et la crainte d’être attaqué par le Parlement, lui ont fait chercher sa sûreté particulière, en disposant le Roi, son maître, à s’unir avec le prince d’Orange[330], parle mariage de la princesse d’Yorck, et à faire déclarer l’Angleterre contre la France, pour la protection des Pays-Bas. Ce changement du roi d’Angleterre a été si prompt et si secret, que le duc d’Yorck l’ignoroit encore deux jours devant le mariage de sa fille, et personne ne se pouvoit persuader que le roi d’Angleterre, qui avoit hasardé dix ans[331] sa vie et sa couronne pour demeurer attaché à la France, pût renoncer, en un moment[332], à tout ce qu’il en espéroit, pour suivre le sentiment de son ministre. Le prince d’Orange, de son côté, qui avoit tant d’intérêt de se faire un chemin pour être un jour roi d’Angleterre, négligeoit ce mariage, qui le rendoit héritier présomptif du royaume[333] ; il bornoit ses desseins à affermir son autorité en Hollande, malgré les mauvais succès de ses dernières campagnes, et[334] il s’appliquoit à se rendre aussi absolu dans les autres provinces de cet État qu’il le croyoit être dans la Zélande[335] ; mais il s’aperçut bientôt qu’il devoit prendre d’autres mesures, et une aventure ridicule lui fit mieux connoitre[336] l’état où il étoit dans son pays, qu’il ne le voyoit par ses propres lumières. Un crieur public vendoit des meubles à un encan où beaucoup de monde s’assembla ; il mit en vente un atlas, et voyant que personne ne l’enchérissoit, il dit au peuple que ce livre étoit néanmoins plus rare qu’on ne pensoit, et que les cartes en étoient si exactes, que la rivière dont M. le prince d’Orange n’avoit eu aucune connoissance, lorsqu’il perdit la bataille de Cassel[337], y étoit fidèlement marquée. Cette raillerie, qui fut reçue avec un applaudissement universel, a été un des plus puissants motifs[338] qui ont obligé le prince d’Orange à rechercher de nouveau[339] l’alliance de l’Angleterre, pour contenir la Hollande, et pour joindre tant de puissances contre nous. Il semble néanmoins que ceux qui ont désiré ce mariage, et ceux qui y ont été contraires[340], n’ont pas connu leurs intérêts : le grand trésorier d’Angleterre a voulu adoucir le Parlement et se garantir d’en être attaqué, en portant le Roi, son maître, à donner sa nièce au prince d’Orange, et à se déclarer contre la France ; le roi d’Angleterre a cru affermir son autorité dans son royaume par l’appui du prince d Orange, et il a prétendu engager ses peuples à lui fournir de l’argent pour ses plaisirs, sous prétexte de faire la guerre au roi de France, et de le contraindre à recevoir la paix ; le prince d’Orange a eu dessein de soumettre la Hollande par la protection de l’Angleterre[341] ; la France a appréhendé qu’un mariage si opposé[342] à ses intérêts n’emportât la balance, en joignant l’Angleterre à tous nos ennemis[343]. L’événement a fait voir, en six semaines, la fausseté de tant de raisonnements : ce mariage met une défiance éternelle entre l’Angleterre et la Hollande, et toutes deux le regardent comme un dessein d’opprimer leur liberté ; le parlement d’Angleterre attaque les ministres[344] du Roi, pour attaquer ensuite sa propre personne ; les états de Hollande, lassés de la guerre et jaloux de leur liberté, se repentent d’avoir mis leur autorité entre les mains d’un jeune homme ambitieux, et héritier présomptif de la couronne d’Angleterre ; le roi de France, qui a d abord regardé ce mariage comme une nouvelle ligue qui se formoit contre lui, a su s’en servir pour diviser ses ennemis, et pour se mettre en état de prendre la Flandre, s’il n’avoit préféré la gloire de faire la paix à la gloire de faire de nouvelles conquêtes[345].

Si le siècle présent[346] n’a pas moins produit d’événements extraordinaires que les siècles passés, on conviendra sans doute qu’il a le malheureux avantage de les surpasser[347] dans l’excès des crimes. La France même[348], qui les a toujours délestés, qui y est opposée par l’humeur de la nation[349], par la religion, et qui est soutenue par les exemples du prince qui règne, se trouve néanmoins aujourd’hui le théâtre où l’on voit paroître tout ce que l’histoire et la fable nous ont dit des crimes de l’antiquité[350]. Les vices sont de tous les temps ; les hommes sont nés avec de l’intérêt, de la cruauté et de la débauche ; mais si des personnes que tout le monde connoît avoient paru dans les premiers siècles, parleroit-on présentement des prostitutions d’Héliogabale, de la foi des Grecs[351] et des poisons et des parricides de Médée[352] ?

XVIII. — de l’inconstance*.

Je ne prétends pas justifier ici l’inconstance[353] en général, et moins encore celle qui vient de la seule légèreté ; mais il n’est pas juste aussi de lui imputer tous les autres changements de l’amour. Il y a une première fleur d’agrément et de vivacité dans l’amour, qui passe insensiblement, comme celle des fruits[354] ; ce n’est la faute de personne ; c’est seulement la faute du temps. Dans les commencements, la figure est aimable ; les sentiments ont du rapport : on cherche de la douceur et du plaisir ; on veut plaire, parce qu’on nous plaît, et on cherche à faire voir qu’on sait donner un prix infini à ce qu’on aime ; mais, dans la suite, on ne sent plus ce qu’on croyoit sentir toujours : le feu n’y est plus ; le mérite de la nouveauté s’efface ; la beauté, qui a tant de part à l’amour, ou diminue, ou ne fait plus la même impression[355] ; le nom d amour se conserve, mais on ne se retrouve plus les mêmes personnes, ni les mêmes sentiments ; on suit encore ses engagements, par honneur, par accoutumance[356], et pour[357] n’être pas assez assuré de son propre changement.

Quelles personnes auroient commencé de s’aimer, si elles s’étoient vues d’abord comme on se voit dans la suite des années[358] ? Mais quelles personnes aussi se pourroient séparer, si elles se revoyoient comme on s’est vu la première fois ? L’orgueil, qui est presque toujours le maître de nos goûts, et qui ne se rassasie jamais, seroit flatté sans cesse par quelque nouveau plaisir ; mais[359] la constance perdroit son mérite, elle n’auroit plus de part à une si agréable liaison ; les faveurs présentes auroient la même grâce que les faveurs premières, et le souvenir n’y mettroit point de différence ; l’inconstance seroit même inconnue, et on s’aimeroit toujours avec le même plaisir, parce qu’on auroit toujours les mêmes sujets de s’aimer. Les changements qui arrivent dans l’amitié ont à peu près des causes pareilles à ceux qui arrivent dans l’amour[360] ; leurs règles ont beaucoup de rapport : si l’un a plus d’enjouement et de plaisir, l’autre doit être plus égale et plus sévère, et ne pardonner rien[361] ; mais le temps, qui change l’humeur[362] et les intérêts, les détruit presque également tous deux. Les hommes sont trop foibles et trop changeants pour soutenir longtemps le poids de l’amitié ; l’antiquité en a fourni des exemples ; mais dans le temps où nous vivons, on peut dire qu’il est encore moins impossible de trouver un véritable amour qu’une véritable amitié[363].

XIX. — de la retraite*.

Je m’engagerois à un trop long discours si je rapportois ici, en particulier, toutes les raisons naturelles qui portent les vieilles gens à se retirer du commerce du monde : le changement de leur humeur, de leur figure, et l’affoiblissement des organes, les conduisent insensiblement, comme la plupart des autres animaux, à s’éloigner de la fréquentation de leurs semblables. L’orgueil, qui est inséparable de l’amour-propre[364], leur tient alors lieu déraison : ils ne peuvent plus être flattés[365] de plusieurs choses qui flattent les autres ; l’expérience leur a fait connoître le prix de ce que tous les hommes désirent dans la jeunesse, et l’impossibilité d’en jouir plus longtemps ; les diverses voies qui paroissent ouvertes aux jeunes gens pour parvenir aux grandeurs, aux plaisirs, à la réputation et à tout ce qui élève les hommes, leur sont fermées, ou par la fortune, ou par leur conduite[366], ou par l’envie et l’injustice des autres ; le chemin pour y rentrer est trop long et trop pénible, quand on s’est une fois égaré[367] ; les difficultés leur en paroissent insurmontables, et l’âge ne leur permet plus d’y prétendre. Ils deviennent insensibles à l’amitié, non-seulement parce qu’ils n’en ont peut-être jamais trouvé de véritable[368], mais parce qu’ils ont vu mourir un grand nombre de leurs amis qui n’avoient pas encore eu le temps ni les occasions de manquer à l’amitié, et ils se persuadent aisément qu’ils auroient été[369] plus fidèles que ceux qui leur restent. Ils n’ont plus de part aux premiers biens qui ont d’abord[370] rempli leur imagination ; ils n’ont même presque plus de part à la gloire : celle qu’ils ont acquise est déjà flétrie par le temps, et souvent les hommes en perdent plus en vieillissant qu’ils n’en acquièrent. Chaque jour leur ôte une portion d’eux-mêmes ; ils n’ont plus assez de vie pour jouir de ce qu’ils ont, et bien moins encore pour arrivera ce qu’ils désirent ; ils ne voient plus devant eux que des chagrins, des maladies et de l’abaissement ; tout est vu[371], et rien ne peut avoir pour eux la grâce de la nouveauté ; le temps les éloigne imperceptiblement du point de vue d’où il leur convient de voir les objets, et d’où ils doivent être vus. Les plus heureux sont encore soufferts[372], les autres sont méprisés ; le seul bon parti qu’il leur reste, c’est de cacher au monde ce qu’ils ne lui ont peut-être que trop montré. Leur goût, détrompé des désirs inutiles, se tourne alors vers des objets muets et insensibles ; les bâtiments, l’agriculture, l’économie[373], l’étude, toutes ces choses sont soumises à leurs volontés ; ils s’en approchent ou s’en éloignent[374] comme il leur plaît ; ils sont maîtres de leurs desseins et de leurs occupations ; tout ce qu’ils désirent est en leur pouvoir, et s’étant affranchis de la dépendance du monde, ils font tout dépendre d’eux. Les plus sages savent employer à leur salut le temps qu’il leur reste[375], et n’ayant qu’une si petite part à cette vie, ils se rendent dignes d’une meilleure. Les autres n’ont au moins qu’eux-mêmes pour témoins de leur misère ; leurs propres infirmités les amusent[376] ; le moindre relâche leur tient lieu de bonheur ; la nature, défaillante, et plus sage qu’eux, leur ôte souvent la peine de désirer ; enfin ils oublient le monde, qui est si disposé à les oublier ; leur vanité même est consolée par leur retraite, et avec beaucoup d’ennuis, d’incertitudes et de foiblesses[377], tantôt par piété, tantôt par raison, et le plus souvent par accoutumance[378], ils soutiennent le poids d’une vie insipide et languissante.


    en sûreté dans la maison d’un autre ; qu’elle ne lui a laissé ses pierreries que par la crainte d’être volée en chemin, et que tout ce qu’elle a fait n’a été que pour son propre intérêt et par pure nécessité. » — L’allusion à la fuite de la duchesse de Chevreuse en Espagne, à l’assistance que la Rochefoucauld lui prêta en cette occasion, aux pierreries qu’il reçut d’elle en dépôt, est évidente (voyez, à ce sujet, dans notre tome II, les Mémoires, et la longue Lettre de septembre 1638, 1er du recueil). L’ouvrage de J. Esprit parut aussitôt après sa mort, en 1678 ; la Rochefoucauld n’a pu manquer de lire la maxime de son collaborateur et d’être choqué de l’application. On n’est trahi que par les siens.

    des sujets plus ou moins relevés, selon l’humeur et la capacité des personnes que l’on entretient, et leur céder aisément l’avantage de décider, sans les obliger de répondre, quand ils n’ont pas envie de parler. » (Édition de Brotier.)

    chapitre xliv, Œuvres, p. 58) : « Que lui manquoit-il, que d’être né souverain ? Il étoit bon, magnanime, généreux, hardi, clément ; personne n’étoit plus capable de gouverner le monde et de le rendre heureux : s’il eût eu une fortune égale à son génie, sa vie auroit été sans tache ; mais parce qu’il s’étoit placé lui-même sur le trône par la force, on a cru pouvoir le compter avec justice parmi les tyrans. »

  1. Ce sont, dans notre texte, les numéros 5, 16, 10, 2, 4, 13 et 3. Elles avaient été imprimées dans l’ordre où sont rangés ces chiffres.
  2. Paris, Chaubert, 4 vol. in-12, tome I, p. 32-64. Le premier volume est de 1731, le second de 1732, le troisième de 1738, le quatrième de 1741. — Nous possédons un exemplaire de cet ouvrage où on lit, au verso du feuillet de titre, une note manuscrite d’une écriture ancienne, qui attribue la composition du Recueil à l’abbé Archimbaud. Mais au-dessous la même main a ajouté, plus tard (comme on le reconnaît à l’encre), que « l’abbé Goujet, dans sa Bibliothèque française, tome XVII, p. 372, donne ce Recueil, ou au moins le volume IV d’icelui, à feu M. l’abbé Granet. » À la page de titre du tome III se trouve cette autre note, toujours de la même main : « Suivant l’auteur de la France littéraire pour l’année 1707, ce volume est du P. Desmolets, oratorien. » L’Avertissement du tome IV nous apprend également que le troisième volume n’est pas l’œuvre de l’écrivain qui a compilé les trois autres ; ceux-ci ont été composés par la personne même « qui a eu l’idée de cette collection (a) ; » l’auteur du tome III est simplement désigné par les mots de a docte bibliothécaire. » C’est sans fondement, ajoute-t-on, qu’un nouvelliste de Paris, dans un journal de Hollande, a associé M. l’abbé Desfontaines à ce Recueil. » — Barbier, Brunet, Quérard s’accordent à attribuer cette compilation à l’abbé Granet et au P. Desmolets. Les citations précédentes montrent bien, ce nous semble, quelle a été la part de l’un et de l’autre : Le « docte bibliothécaire » qui a composé le tome III, c’est le P. Desmolets ; « la personne qui a eu l’idée de la collection, » qui a compilé les tomes I, II et IV, et qui par conséquent a publié pour la première fois les Réflexions diverses, c’est l’abbé Granet (né à Brignoles en 1692, mort à Paris en 1741).

    (a) Moréri (article Granet) vient à l’appui : « Il est, dit-il, l’éditeur d’un Recueil de pièces d’histoire et de littérature, qui a paru chez Chaubert, en quatre parties… Il n’a eu aucune part à la publication de la troisième partie… » Ce qui donne clairement à entendre qu’il a publié les trois autres.

  3. Fortia n’a pu vouloir désigner comme édition nouvelle la longue suite de citations qui se trouve dans le numéro de septembre du Journal des Savants de 1731 (p. 505 et suivantes), simplement précédée de ces mots : « Ces Réflexions sont divisées eu sept classes. La première est de la Confiance, etc… Nous citerons un exemple de chaque classe, et nous nous bornerons au premier article de chacune (a) ; » et suivie de ceux-ci : « On peut par ces Réflexions sensées juger des autres. L’auteur fait voir dans toutes la même justesse et la même solidité. »

    (a) Le Journal des Savants donne en effet les commencements des sept Réflexions, excepté de la quatrième (notre numéro 2), pour laquelle la citation ne commence qu’à notre second alinéa (p. 282).

  4. Voyez la Préface de l’édition de Duplessis, Paris, 1853, p. xii, à la note.
  5. Voyez l’Avertissement, en tête du présent volume.
  6. Cette note, non signée, est d’une écriture du siècle dernier ; peut-être est-elle d’un bibliothécaire ou archiviste de la maison de la Rochefoucauld ; mais on peut l’attribuer avec autant de vraisemblance à l’éditeur de 1731, qui, nous le répétons, est, selon toute probabilité, l’abbé Granet (voyez ci-dessus, p. 271, note 2). Il est à noter, en tout cas, que les sept morceaux désignés comme dignes de l’impression sont précisément ceux que le compilateur a publiés.
  7. L’auteur de la note emploie opuscules au féminin.
  8. La raison donnée n’est pas péremptoire. L’auteur pouvait aussi bien emprunter à ses Maximes au profit de ses Réflexions, qu’à ses Réflexions au profit de ses Maximes. On le verra, du reste, la plupart des Maximes qui se retrouvent dans les Réflexions, et que nous avons consignées dans les notes sous leurs numéros, appartiennent à la 4e édition (1675) et à la 5e (1678) ; or la 1er est, comme l’on sait, de 1665.
  9. Ce jugement est assez sévère, mais assez juste en somme. Cependant il n’y a pas lieu d’en conclure que les Réflexions auxquelles il peut s’appliquer soient de la jeunesse de l’auteur. Dans la 14e, il parle de la mort de Turenne tué le 27 juillet 1675 ; dans la 17^, de la paix de Nimègue conclue en août 1678 (voyez p. 341, note 5), et lui-même mourait dix-huit mois après, le 17 mars 1680, à l’âge de soixante-sept ans. Il faudrait plutôt dire que les moins achevées parmi ces Réflexions sont les dernières que l’auteur ait écrites, et qu’il n’a pas eu le temps de les revoir. La Rochefoucauld, on le sait, n’était pas un écrivain de premier jet ; il n’arrivait à sa forme définitive qu’à force de retouches : pour s’en assurer, il n’y a qu’à comparer sa 1er édition des Maximes avec la 5e. Il y a telle pensée où il ne reste presque plus un mot de la rédaction primitive.
  10. Il faut faire remarquer encore que l’auteur de cette note suit l’ordre même du manuscrit de la Rocheguyon, tant pour les pièces qu’il choisit que pour celles qu’il élimine, sauf pour celle qui est intitulée des Événements de ce siècle. Comme eu avertit le nota qui suit, il rejette à la fin cette Réflexion qui, par son étendue et par son caractère purement historique, diffère en effet des autres, et peut former comme un petit traité à part.
  11. Il paraît que l’auteur de cette note s’est ravisé, ou qu’on s’est ravisé après lui, car les trois dernières Réflexions qu’il indique n’ont pas été publiées.
  12. Heureusement personne ne s’est chargé de cette révision, et nous pouvons donner ces deux morceaux intacts comme les dix-sept autres ; s’ils ne comptent pas parmi les meilleurs du recueil, du moins sont- ils parfaitement intelligibles, quoi qu’en dise l’auteur de la note, et nous n’y avons trouvé aucune faute défigurant le sens.
  13. C’est-à-dire, biffé. Le morceau, en effet, est biffé en croix sur le manuscrit ; mais est-il bien sûr qu’il l’ait été par la Rochefoucauld lui-même ? On en peut au moins douter, car en tête de cette Réflexion (6e, aussi bien que de la 12e), on lit ces deux mots : à retrancher, lesquels ne sont pas de son écriture.
  14. En effet, c’est la maxime 430e de la 5e édition, avec quelques légères modifications.
  15. On trouvera cette Réflexion sous le n° xii. — Voyez ci-dessus, p. 276, note I.
  16. Il fallait conserver, non-seulement ce parallèle, mais tout ce qui concerne Alexandre, César et Caton, c’est-à-dire tout le morceau. Ces pages peuvent compter assurément parmi les plus fortes que la Rochefoucauld ait écrites.
  17. Il n’en serait que plus intéressant pour nous ; mais ce morceau est de tous les temps et d’une éternelle application.
  18. M. Édouard de Barthélémy les a publiées, seules, sans les sept anciennes (a) (Œuvres inédites de la Rochefoucauld, 1 vol. in-8, Paris, Hachette, 1863 : voyez la Notice bibliographique). Loin de nous la pensée de désobliger un homme qui aime les lettres, et qui leur a rendu quelques services, même en ce qui concerne la Rochefoucauld ; mais son travail, on le verra dans nos notes, était bien souvent fautif ; aussi nous est-il permis de dire que le texte des Réflexions diverses de la Rochefoucauld paraît aujourd’hui pour la première fois, dans toute sa pureté.

    (a) Il en promet onze en tête de sa Préface, mais par le fait il en donne douze, car il met à part le morceau des Événements de ce siècle ; il paraît même en donner treize, car il a marqué du numéro 1 la fin de la Réflexion du Faux, dont la plus grande partie avait paru dès 1731.

  19. « L’art de la guerre est plus étendu, plus grand, plus noble que celui de la poésie. » (Édition de M. de Barthélémy.) — Deux lignes plus bas, la même édition remplace « comme aussi » par et, puis elle omet les deux etc. qui terminent l’alinéa.
  20. C’est le denier de la veuve (voyez l’Évangile selon saint Marc, chapitre xii, versets 42-44, selon saint Luc, chapitre xxi, versets 2-4). C’est par le mot pite que les anciennes traductions françaises de l’Évangile rendent les termes latins minuta et œra minuta qui se trouvent dans la Vulgate aux deux endroits indiqués (voyez la version publiée à Paris, sans nom d’auteur, en 1621, et celle de Jean Diodati, qui parut à Genève en 1644). — La pite était une petite monnaie de cuivre, valant la moitié d’une obole et le quart d’un denier. « C’est, dit Nicot, demie maille ou demie obole. » D’après Ménage, ce mot vient du latin picta, par abréviation de pictavina, parce que cette monnaie avait surtout cours dans le Poitou.
  21. Voyez le Lexique, au mot Quelque.
  22. M. de Barthélémy écrit qu’une en italique, et met en note : « Ce mot (qu’une) est écrit de la main de la Rochefoucauld à la place du mot guère. » — Cela nous paraît au moins douteux.
  23. « Un grand capitaine. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  24. Voyez ci-dessus, sur l’application du mot vrai aux personnes, la note 3 de la page 85.
  25. La Rochefoucauld s’est rappelé inexactement un passage de Quintilien (de l’Institution oratoire, livre V, chapitre ix, 13), où il est raconté que les Aréopagites condamnèrent à mort un enfant qui arrachait les yeux à des cailles : ils jugèrent que c’était le signe d’une âme très-pernicieuse, et qu’il était dangereux de laisser grandir un tel sujet.
  26. Don Carlos.
  27. « Mêlée au moins d’autres vices. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  28. On sait que la terre de Chantilly appartenait aux Condé, et que la terre de Liancourt, une des plus belles de France, passa ainsi que celle de la Rocheguyon, dans la maison de la Rochefoucauld par le mariage de François VII, fils aîné de l’auteur des Maximes, avec sa cousine, Jeanne-Charlotte du Plessis Liancourt.
  29. « Qu’il y ait. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  30. M. de Barthélémy a substitué point non plus à « pas aussi. » — Voyez le Lexique.
  31. « Aura de lueur. » (Édition de M. de Barthélémy.) — À la ligne précédente, la même édition donne la couleur, au lieu de les couleurs.
  32. Voyez la maxime 626, et la Lettre du chevalier de Meré.
  33. Tel est le texte du manuscrit, au lieu d’humilité, que donnent toutes les éditions, et qui n’a pas ici de sens. — À la ligne suivante, elles ont substitué est à c’est.
  34. Voyez les maximes 81 et 83.
  35. Dans les éditions postérieures à 1731 : « et ce qui détruit. »
  36. Ce passage est un heureux correctif à la maxime 87, qui n’est en réalité qu’une épigramme.
  37. Au lieu de raisons que donnent toutes les éditions. — Trois lignes plus haut on y lit : « les égards, » pour : « des égards ; » et vers la fin de l’alinéa : « par la raison, » au lieu de : « par raison. »
  38. Les diverses éditions donnaient ainsi ce passage : « il ne faut point se voir, ou se voir sans sujétion, et pour se divertir ensemble ; il faut pouvoir se séparer… » omettant ainsi le membre de phrase et même s’ennuyer ensemble.
  39. C’est presque textuellement la maxime 242.
  40. Les diverses éditions donnent souvent, au lieu de surtout. — À la ligne suivante, elles coupent la phrase après choqué, et en commencent une nouvelle par : « On doit, etc. »
  41. Duplessis (p. 219) estime que « l’excellent conseil donné ici part d’un sentiment bien plus juste et bien plus conforme à la véritable amitié que la maxime 410, dure pour le fond et même parla forme. » — Voyez la 18e des Réflexions diverses.
  42. Dans son Portrait (ci-dessus, p. 8), l’auteur s’accuse lui-même de soutenir d’ordinaire son opinion avec trop de chaleur. Segrais dit pourtant (Mémoires, p. 170) : « M. de la Rochefoucauld ne contestoit jamais. Quand quelqu’un lui avoit dit un sentiment différent du sien qu’il crovoit être bon : Monsieur, disoit-il, vous êtes de ce sentiment-là, et moi je suis d^un autre. On en demeuroit là sans se mettre en colère de part ni d’autre. »
  43. Voyez la 5e des Réflexions diverses.
  44. C’est la maxime 413. — Voyez aussi la 16e des Réflexions diverses.
  45. Les éditions antérieures omettent les mots : « les mêmes vues ni. »
  46. C’est un démenti, sinon général, au moins en ce qui touche l’amitié, à l’impitoyable maxime sur la pitié (264e), et au passage du Portrait ci-dessus, p. 9) où l’auteur déclare que la pitié « n’est bonne à rien au dedans d’une âme bien faite. »
  47. Voyez la maxime 632. — Ce passage était singulièrement altéré dans les éditions précédentes, y compris celle de 1731 ; le mot bien, qui commence la phrase suivante, était le dernier de celle-ci, et se joignait à ce qu’ils ne connaissent pas. De plus, la proposition qui suit était coupée en deux, et la seconde partie, depuis personne presque n’a assez de docilité, était rejetée à la ligne. Nous rétablissons le texte d’après le manuscrit.
  48. Voyez la maxime 104.
  49. Rapprochez de la Réflexion suivante, de la Réflexion 13e, et de la maxime 256.
  50. Voyez les maximes 134 et 203.
  51. Les éditions précédentes omettent faire aux autres. À la fin de la phrase elles donnent : « cette imitation, » au lieu de : « toute imitation. » — Voyez la maxime 618.
  52. Rapprochez de la fin de la Réflexion précédente, de la 13e Réflexion, et de la maxime 206.
  53. ..........Il n’est esprit si droit
    Qui ne soit imposteur et faux par quelque endroit :
    Sans cesse on prend le masque, et quittant la nature,
    On craint de se montrer sous sa propre figure…
    Rarement un esprit ose être ce qu’il est.

    (Boileau, épitre IX, vers 69-74.)
  54. Dans les éditions antérieures : « ils en font des expériences ; » et deux lignes plus bas : « de règles générales. »
  55. Voyez la maxime 133.
  56. L’édition de 1731 et les suivantes terminent ainsi cette phrase : « et une certaine union avec nos propres qualités, qui les étend et les augmente (dans le texte de Duplessis : « étendent » et « augmentent » ) imperceptiblement. » À la phrase suivante, elles omettent, dans le premier membre, quelquefois et qui sont. — Voyez la maxime 365.
  57. Rapprochez des maximes 419 et 449.
  58. Mme de Sablé (maxime 60) : « On est bien plus choqué de l’ostentation que l’on fait de la dignité, que de celle de la personne. C’est une marque qu’on ne mérite pas les emplois, quand on se fait de fête. »
  59. Dans les éditions antérieures : « et les mêler ensemble, et faire en sorte qu’ils ne paroissent jamais séparés. »
  60. Les précédents éditeurs donnent être, au lieu de paroitre. Cette phrase exclamative et la suivante sont biffées au manuscrit.
  61. Voyez les maximes 240, 255, et la 4e des Réflexions diverses.
  62. Les éditions antérieures avaient omis ce membre de phrase.
  63. Rapprochez des maximes 155 et 251, qui répètent la même idée.
  64. Chacun pris dans son air est agréable en soi ;
    Ce n’est que l’air d’autrui qui peut déplaire en moi.

    (Boileau, épître IX, vers 90 et 91.)
  65. Il existe de ce morceau deux versions : 1° celle du manuscrit, que nous suivons et que suit également d’assez près le texte de 1731 ; 2° celle de Brotier (1789). D’où Brotier l’a-t-il tirée ? Probablement de quelque bibliothèque privée. Voici du moins ce qu’il nous dit dans un passage déjà cité (plus haut, p. 272) de ses Observations sur les Réflexions diverses : « On en trouvoit quelques parties, surtout ce qui regarde la Conversation, dans des bibliothèques particulières. » Le marquis de Fortia, dans son édition de l’an X (1802) et les éditeurs venus après lui, ont donné la leçon de Brotier comme texte principal, et ajouté en appendice la leçon de 1731. Nous indiquerons les différences qu’offrent les éditions antérieures comparées à la nôtre. Celle de Brotier en a de très-notables, et particulièrement plusieurs additions.
  66. « Que peu de personnes. » (Édition de Brotier.)
  67. « À ce qu’il a dessein de dire qu’à ce que les autres disent, et que l’on n’écoute guère quand on a bien envie de parler. » (Ibidem.) — Voyez les maximes 139 et 510.
  68. « Si on veut en être écouté. » (Édition de 1731.) — Meré (maximes 117 et 118) : « Quelque facilité que l’on ait à s’exprimer, il faut toujours dire beaucoup de choses en peu de mots, et se souvenir que la conversation n’est pas comme un État monarchique, où un seul a droit de parler, mais comme une espèce de république, où tous ceux qui la composent peuvent dire ce qu’ils pensent. » — « C’est un grand défaut dans la conversation que d’y vouloir toujours briller et s’y faire plus écouter que les autres. »
  69. « Néanmoins il est nécessaire d’écouter ceux qui parlent ; il faut leur donner le temps de se faire entendre, et souffrir même qu’ils disent des choses inutiles. » (Édition de Brotier.) — Montaigne (Essais, livre III, chapitre iii, tome III, p. 237 : « Il fault se desmettre au train de ceulx auecques qui vous êtes, et par fois affecter l’ignorance.... Traisnez vous au demeurant à terre, s’ils veulent. »
  70. L’édition de 1731, que les suivantes ont copiée pour leur version additionnelle, donne, par une erreur évidente, contraindre, au lieu de contredire.
  71. « Bien loin de les contredire et de les interrompre, on doit, au contraire.... » (Édition de Brotier.)
  72. La version de Brotier n’a pas ce membre de phrase.
  73. « Que c’est plus par choix. » (Édition de 1731.)
  74. Les deux versions, celle de 1731 et celle de Brotier, donnent à tort : « qu’on les loue. »
  75. « Qui sont presque toujours » manque dans l’édition de 1731.
  76. « .... par complaisance. Pour plaire aux autres, il faut parler de ce qu’ils aiment, et de ce qui les touche, éviter les disputes sur des choses indifférentes, leur faire rarement des questions, et ne leur laisser jamais croire qu’on prétend avoir plus de raison qu’eux. » (Édition de Brotier.) — Rapprochez de la maxime 586.
  77. « .... l’humeur ou l’inclination.  » (Édition de 1731.)
  78. « On doit dire les choses d’un air plus ou moins sérieux, et sur
  79. « Après avoir satisfait de cette sorte aux devoirs de la politesse, on peut dire ses sentiments, en montrant qu’on cherche à les appuyer de l’avis de ceux qui écoutent, sans marquer de présomption ni d’opiniâtreté. » (Ibidem.)
  80. « Évitons surtout de parler souvent de nous-mêmes et de nous donner pour exemple : rien n’est plus désagréable qu’un homme qui se cite lui-même à tout propos. » (Ibidem.)
  81. Au lieu de : « la pente et la pensée, » que donnent, dans leur seconde leçon, les divers éditeurs, d’après celui de 1731.
  82. « On ne peut aussi apporter trop d’application à connoître la pente et la portée de ceux à qui l’on parle, se joindre à l’esprit de celui qui en a le plus, sans blesser l’inclination ou l’intérêt des autres par cette préférence. Alors on doit faire valoir toutes les raisons qu’il a dites, ajoutant modestement nos propres pensées aux siennes, et lui faisant croire, autant qu’il est possible.... » (Édition de Brotier.)
  83. La version de Brotier n’a pas cette phrase.
  84. « Il ne faut jamais rien dire avec un air d’autorité, ni montrer aucune supériorité d’esprit ; fuyons les expressions trop recherchées, les termes durs ou forcés, et ne nous servons point de paroles plus grandes que les choses. Il n’est pas défendu de conserver ses opinions, si elles sont raisonnables ; mais il faut se rendre à la raison aussitôt qu’elle paroît, de quelque part qu’elle vienne : elle seule doit régner sur nos sentiments ; mais suivons-la sans heurter les sentiments des autres, et sans faire paroître du mépris de ce qu’ils ont dit. » (Édition de Brotier.)
  85. « De la même chose, » dans l’édition de Duplessis, qui, à la ligne suivante, omet tous devant les sujets.
  86. « Il est dangereux de vouloir être toujours le maître de la conversation, et de pousser trop loin une bonne raison quand on l’a trouvée. L’honnêteté veut que l’on cache quelquefois la moitié de son esprit, et qu’on ménage un opiniâtre qui se défend mal, pour lui épargner la honte de céder. On déplaît sûrement quand on parle trop longtemps et trop souvent d’une même chose (voyez la maxime 313), et que l’on cherche à détourner la conversation sur des sujets dont on se croit plus instruit que les autres : il faut entrer indifféremment sur tout ce qui leur est agréable, s’y arrêter autant qu’ils le veulent, et s’éloigner de tout ce qui ne leur convient pas. » (Édition de Brotier.)
  87. « Toute sorte de conversation, quelque spirituelle qu’elle soit, n’est pas également propre à toutes sortes de gens d’esprit : il faut choisir ce qui est de leur goût, et ce qui est convenable à leur condition, à leur sexe, à leurs talents, et choisir même le temps de le dire. Observons le lieu, l’occasion, l’humeur où se trouvent les personnes qui nous écoutent, car s’il y a beaucoup d’art.... » (Ibidem.) — Rapprochez de la maxime 79.
  88. La version de 1731 omet ici à propos, et le verbe savoir aux deux endroits où il se trouve dans cette ligne.
  89. Meré (maxime 423) : « Il y a une éloquence dans le silence, qui a quelquefois plus de force que l’éloquence des plus excellents orateurs. »
  90. « Il y a des airs, des tours et des manières. » (Édition de 1731.)
  91. Voyez la maxime 255, et la 3e des Réflexions diverses.
  92. « Il y a un silence éloquent qui sert à approuver et à condamner ; il y a un silence de discrétion et de respect ; il y a enfin des tons, des airs et des manières qui font tout ce qu’il y a d’agréable ou de désagréable, de délicat ou de choquant dans la conversation ; mais le secret de s’en bien servir est donné à peu de personnes ; ceux mêmes qui en font des règles s’y méprennent souvent, et la plus sûre qu’on en puisse donner, c’est écouter beaucoup, parler peu, et ne rien dire dont on puisse avoir sujet de se repentir. » (Édition de Brotier.) — Nous aurions voulu rapprocher de cette remarquable Réflexion de la Rochefoucauld les idées fort voisines de Charron et de la Bruyère sur le même sujet ; mais les citations à faire seraient trop longues, il faut nous contenter de renvoyer le lecteur au livre II, chapitre IX, de la Sagesse, intitulé Se bien comporter avec aultruy, et au chapitre des Caractères intitulé de la Société et de la Conversation.
  93. Rapprochez de la maxime 62.
  94. Voyez les maximes 184, 327, 383, 609, 641, et plus haut, p. 9, le Portrait de la Rochefoucauld fait par lui-même.
  95. Les éditions antérieures ont, ici et à la ligne suivante, changé la construction, et donnent : « ne pas livrer,… ne pas faire. »
  96. Voyez la maxime 239. — À propos de cette maxime nous avons cité en note (voyez ci-dessus, p. 128) une réflexion de J. Esprit, abondant tout à fait dans le sens de la Rochefoucauld ; voici un autre passage du même auteur (tome I, p. 182), où, sans nommer la Rochefoucauld, il le met directement en cause : « La nécessité est la cause visible des grandes confiances dont ceux à qui l’on se fie se sentent si honorés. Ainsi c’est avec bien peu de sujet qu’un homme se tient heureux et se vante de ce qu’une princesse, qui étoit sur le point d’être arrêtée, s’est réfugiée en sa maison de campagne, et lui a confié sa vie et sa liberté, et de ce que, sortant du Royaume, elle lui a donné en garde ses pierreries, puisqu’il est clair qu’en tout
  97. L’édition de Duplessis ne donne pas : « toujours vraie et. »
  98. Mais ne se trouve pas dans les éditions antérieures, et je sais bien commence une nouvelle phrase.
  99. Rapprochez des maximes 187 et 475.
  100. Ici encore les précédents éditeurs ont changé la construction : « ne leur rien cacher. »
  101. Voyez ci-dessus, p. 85, note 3.
  102. Voyez les maximes 202, 206, et le Portrait de la Rochefoucauld fait par lui-même, plus haut, p. 7.
  103. Des dans les diverses éditions.
  104. Les diverses éditions ont omis presque, comme, deux lignes plus bas, et devant on augmente.
  105. Le, au lieu de les, dans la plupart des éditions.
  106. Les diverses éditions, sauf celle de 1731, construisent ainsi : « ne pas s’apercevoir. »
  107. « Nous nous sommes engagés. » Édition de Duplessis.)
  108. Les éditeurs précédents ont ainsi coupé la phrase après confié : « ils ont peut-être même quelque intérêt de le savoir. »
  109. Tel est l’ordre des mots dans le manuscrit. Les éditeurs donnent : « est de conserver indispensablement ce dépôt. »
  110. Dans l’édition de 1731 il y a païser, au lieu de peser. Les éditeurs suivants ne comprenant sans doute pas le membre de phrase ainsi imprimé, l’ont omis.
  111. Cet adverbe est omis également dans les diverses éditions.
  112. Voyez le Portrait du duc de la Rochefoucauld fait par lui-même, ci-dessus, p. 11, et la 2e des Réflexions diverses.Mlle de Scudéry (Nouvelles conversations de morale, de la Confiance, 1688, tome II, p. 750) : « Celui qui révèle son secret à un ami indiscret est plus indiscret que l’indiscret même. » — La Bruyère (de la Société et de la Conversation, n° 81, tome I, p. 244) : « Toute révélation d’un secret est la faute de celui qui l’a confié. »
  113. Les éditions antérieures donnent : « pour les opposer. »
  114. L’auteur lui-même a déjà appliqué cette comparaison à l’amour-propre. Voyez la fin de la maxime 563.
  115. L’édition de M. de Barthélémy omet leurs biens et.
  116. M. de Barthélémy donne : « de vivre. »
  117. Rapprochez de la maxime 280.
  118. Le copiste avait mis ennuyeux ; la correction est de la main même de la Rochefoucauld.
  119. Voyez la maxime 133.
  120. Rapprochez des maximes 32 et 514.
  121. « Les nouveautés. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  122. C’est bien le mot du manuscrit, mais il faut couveuir qu’après opposé n’est pas fort clair ; il signifie probablement oublié. Du reste, l’ensemble de cette Réflexion paraît manquer de netteté.
  123. Voyez les maximes 72 et 111.
  124. Rapprochez de la maxime 348.
  125. Rapprochez de la maxime 75.
  126. Voyez la maxime 490.
  127. « Est néanmoins rarement. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  128. Voyez la maxime 274, et la 18e des Réflexions diverses.
  129. « Nous ne laissons pas que de souhaiter. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  130. M. de Barthélémy ne donne pas cette conjonction.
  131. Voyez la maxime 222.
  132. Les mots « dans le déclin de l’amour, » et « comme, » qui les suit, ont été omis par M. de Barthélemy.
  133. L’auteur a fait de cette proposition sa maxime 430.
  134. « Et on ne se sent. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  135. « Que pour sentir. » (Ibidem.)
  136. Rapprochez de la maxime 351.
  137. Les diverses éditions donnent ce titre au pluriel ; mais il y a du goût, au singulier, dans le manuscrit.
  138. Mme de la Fayette écrit le 4 septembre 1673 à Mme de Sévigné (voyez les Lettres de cette dernière, tome III, p. 229 et 280) : « Je ne sais si Mme de Coulanges ne vous aura point mandé une conversation d’une après-dînée de chez Gourville, où étoient Mme Scarroa et l’abbé Têtu, sur les personnes qui ont le goût au-dessus ou au-dessous de leur esprit. Nous nous jetâmes dans des subtilités où nous n’entendions plus rien. » Il y a bien de l’apparence que c’est la proposition de la Rochefoucauld qui a fourni le sujet de cette discussion à perte de vue. Quoi qu’il en soit, c’est dans la catégorie des personnes qui ont plus d’esprit que de goût que Mme de la Fayette range la Rochefoucauld, Mme de Sévigné, et elle-même, car elle ajoute : « Vous avez le goût au-dessous de votre esprit, et M. de la Rochefoucauld aussi, et moi encore, mais pas tant que vous deux. » — Cette lettre de Mme de la Fayette permettrait de rapporter à l’année 1673 le morceau de la Rochefoucauld. — Voyez la maxime 258, et la 13e des Réflexions diverses.
  139. Mais est omis dans l’édition de 1731 et dans les suivantes.
  140. Voyez les maximes 45, 252, 390, 625, et la 15e des Réflexions diverses.
  141. Rapprochez de la maxime 379.
  142. « En nous attachant. » (Éditions antérieures.)
  143. « Et d’autres. » (Ibidem.)
  144. Rapprochez de la maxime 109.
  145. Voyez la maxime 258, et la note 5 de la page précédente.
  146. Voyez la maxime 533, et la 13e des Réflexions diverses.
  147. « Qu’on vient, » dans l’édition de 1731 et dans les suivantes. Duplessis donne goût, au singulier.
  148. Rapprochez de la maxime 244, et des 13e et 16e Réflexions diverses.
  149. « De qualités. » (Éditions antérieures.)
  150. « La trouble. » (Ibidem.)
  151. « Tout ce qui a du rapport à nous nous paroît. » (Éditions de 1731 et de Brotier.) Les éditeurs suivants, à partir d’Aimé-Martin (1822), ne donnent qu’un seul nous.
  152. Voyez les maximes 88 et 428.
  153. Dans les diverses éditions : « … n’est conduit alors que par la pente… »
  154. « Et d’autres comme des lions, et gardant. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  155. Ravisseurs. (Ibidem.)
  156. « Des rapports. » (Ibidem.)
  157. En langage de vénerie, ce sont les lévriers que l’on emploie à courre la grosse bête, le loup et le sanglier, par exemple.
  158. On appelle proverbialement chiens de jardinier, les gens qui ne savent ni faire, ni laisser faire, parce que les chiens qui gardent les jardins ne mangent ni légumes ni fruits, et n’en laissent pas prendre. — Voyez le tome V des Lettres de Mme de Sévigné, p. 316 et note 9.
  159. La célèbre histoire de la Pie voleuse s’est passée au dix-septième siècle.
  160. On sait que la thériaque est une sorte d’opiat dans lequel il entre de la chair de vipère. — La vipère était un remède autrefois fort à la mode. Mme de Sévigné, dans sa lettre du 20 octobre 1679 (tome VI, p. 58), raconte à sa fille que l’amie de la Rochefoucauld (Mme de la Fayette) prend des bouillons de vipères qui lui donnent des forces à vue d’œil. Ailleurs, Charles de Sévigné conseille très-sérieusement à sa sœur de couper des vipères par morceaux, d’en farcir le corps d’un poulet, et d’en faire ainsi manger au comte de Grignan. « C’est à ces vipères, dit-il, que je dois la pleine santé dont je jouis. » (Lettre du 8 juillet 1685, tome VII, p. 420 et 421.) Mme de Sablé tenait école de droguerie, aussi bien que de friandise (voyez V. Cousin, passim) ; il y a dans ses papiers (Portefeuilles de Vallant) diverses recettes de médecine où les vipères tiennent une grande place.
  161. « Sur terre. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  162. Le texte de M. de Barthélémy a « des cigales, » et de même des, et non de, devant tous les noms d’animaux, jusqu’à la fin de la phrase.
  163. « Qui s’épouvantent et rassurent. » (Édition de M. de Barthélémy.) — On trouvera plus loin, à l’Appendice, la fable de la Fontaine, les Lapins, dont la Rochefoucauld lui avait fourni le sujet.
  164. On peut voir dans l’Histoire naturelle de Buffon (édition annotée par M. Flourens, Paris, 1864, tome VIII, p. 467 et suivantes) une intéressante description faite par un habitant de Montreuil-sur-Mer, et contenant tout le détail de la chasse dont parle ici la Rochefoucauld. On se sert de canes et de canards privés, mais provenant d’œufs de canards sauvages, pour attirer ces derniers dans les filets. L’auteur de la description désigne par le terme consacré de traîtres ceux qui sont dressés à cette chasse.
  165. M. de Barthélémy a omis cette conjonction.
  166. C’est du proverbe bien connu : larmes de crocodile, qu’est venue cette croyance, que la Cépède ne mentionne pas dans son Histoire des quadrupèdes ovipares. Gesner, qui, dans son Histoire des animaux. a réuni les contes comme les vérités de l’antiquité, dit (au livre II, p. 16, Francfort, 1617, in-folio) que, selon quelques auteurs, le crocodile, quand il voit de loin un homme, se met à pleurer (pour l’attirer sans doute), puis bientôt après le dévore.
  167. Notre auteur a pu emprunter aux anciennes traditions poétiques l’idée première de ce morceau, mais non les distinctions étranges qu’il y ajoute comme par un jeu d’esprit. Hésiode se contente de dire (Œuvres et Jours, vers 90-92) que « les hommes des premiers temps vivaient sur la terre exempts de tous maux, et du pénible travail, et des cruelles maladies ; » et Horace (livre I, ode iii, vers 29-31), que « la Maigreur, et la cohorte des Fièvres, ne s’abattit sur la terre qu’après que Prométhée eut dérobé le feu à la demeure céleste. »
  168. On disait alors cangrène et gangrène. Furetière donne les deux formes.
  169. « Et les lassitudes des amants… a causé (sic) les vapeurs. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  170. « L’amour à lui seul. » (Ibidem.)
  171. « Le plus grand bien de la vie. » (Ibidem.)
  172. Voyez la maxime 266, et les 2e et 3e Réflexions diverses.
  173. Les éditions antérieures ne répètent pas ce verbe.
  174. Rapprochez de la maxime 258, et de la 10e des Réflexions diverses.
  175. Brotier et les éditeurs suivants ne donnent pas ce correctif.
  176. Goûts, au lieu de vues, dans toutes les éditions.
  177. Voyez la maxime 244e 't les 10e et 16e Réflexions diverses.
  178. Les éditions antérieures ont biens au pluriel, et, quatre lignes plus loin : toutes sortes de personnes.
  179. Cette idée, qui reviendra plusieurs fois encore dans ce morceau même, se retrouve dans les maximes 134, 256, 457, 493 et dans les 3e et 4e Réflexions diverses.
  180. C’est la maxime 203.
  181. Les éditions précédentes donnent : « par raison ; » puis, à la fin de l’alinéa : « et par hasard. »
  182. Les diverses éditions omettent cette conjonction.
  183. Voyez la 10e des Réflexions diverses.
  184. Voyez encore les maximes 134, 256, 457 » 493, et les 3e et 4e Réflexions diverses.
  185. Dans le texte de Brotier et des éditeurs suivants : « il doit être. »
  186. Ce passage fait penser à la conduite de Matthieu Mole dans la journée des barricades, et l’auteur, sans doute, y a pensé lui-même.
  187. Ce compliment était vraisemblablement à l’adresse de Mmes de Sablé et de la Fayette.
  188. Toujours est omis dans l’édition de Brotier et dans les suivantes. Quatre lignes plus loin, toutes les éditions mettent qu’elles devant déterminent.
  189. Voyez la maxime 244, et les 10e et 16e Réflexions diverses.
  190. « Mais presque tous les hommes. » (Édition de Duplessis.)
  191. Le remarquable morceau qui suit, et qui termine cette Réflexion, n’avait pas paru dans ks éditions précédentes, si ce n’est dans celle de M. de Barthélémy ; nous le donnons d’après le manuscrit de la Rocheguyon. L’allusion à Louis XIV ne semble pas douteuse ; elle est plus évidente que dans le fameux passage, si souvent cité, de Britannicus (acte IV, scène iv, vers 1472) :
    Il excelle à conduire un char dans la carrière…,

    où l’on peut croire que les commentateurs ont prêté à Racine plus de hardiesse qu’il n’avait prétendu en montrer, quoiqu’il ne fût pas aussi timoré qu’on a bien voulu le dire.

  192. « Qui ne voulut. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  193. « À leur royauté. » (Ibidem.)
  194. « Il nous sera impossible. » (Ibidem.)
  195. Conjonction omise par M. de Barthélemy.
  196. Rapprochez de la maxime 53.
  197. C’est presque textuellement la maxime 153.
  198. Rapprochez des maximes 58 et 380.
  199. Voyez les maximes 190 et 602.
  200. De a été omis par M. de Barthélémy.
  201. L’admiration de Vauvenargues pour Alexandre n’est pas moins vive (Réflexions critiques sur quelques poëtes, Œuvres, p. 258 et 259) : « Je suis forcé d’admirer les rares vertus d’Alexandre, et cette hauteur de génie qui, soit dans le gouvernement, soit dans la guerre, soit dans les sciences, soit même dans sa vie privée, l’a fait paroître, jusque dans ses erreurs, comme un homme extraordinaire, et qu’un instinct grand et sublime élevoit au-dessus des règles. Je veux révérer un héros qui, parvenu au faîte des grandeurs humaines, ne dédaignoit pas de cultiver, dans les bras de la victoire, la familiarité et l’amitié ; qui, dans cette haute fortune, respectoit encore le mérite, honoroit les arts, les sciences, et croyoit à la vertu ;… le maître le plus libéral qu’il y eut jamais, jusqu’à ne réserver pour lui que l’espérance ; plus prompt à réparer ses injustices qu’à les commettre, et plus pénétré de ses fautes que de ses triomphes ; né pour conquérir l’univers, qu’il lui étoit permis de soumettre parce qu’il étoit digne de lui commander… »
  202. Vauvenargues (Lettre à Mirabeau, du 13 mars 1740, Œuvres posthumes, p. 183) : « Quel homme eut des passions plus vives, plus grandes, plus de force d’esprit, un courage plus haut que César ?… et quel homme eut, en même temps, plus d’art, plus de douceur, et plus de jeu dans l’esprit ? qui fut plus insinuant, plus indulgent, plus facile ?… » Et ailleurs (Introduction à la Connoissance de l’esprit humain,
  203. « Elle le fait naître. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  204. « Qu’elle ait. » (Ibidem.)
  205. Même est omis dans le texte de M. de Barthélémy.
  206. « … pour le rendre ses ennemis ; elle se réconcilie. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  207. « À se soumettre. » (Édition de M. de Barthélémy.) — La même édition, dans les ligues suivantes, place même avant pas, et omet « des circonstances. »
  208. Convenable, dans le sens d’approprié. — Voyez le même emploi du même mot, ci-après, p. 322, ligne 5.
  209. À « des devins » l’édition de M. de Barthélémy substitue, par une étrange inadvertance, du devoir.
  210. Brutus, qui avait pour mère Serville, sœur de Caton, et César, disait-on, pour père.
  211. « De la fortune et de la nature. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  212. « En un seul homme. » (Ibidem.)
  213. « Tout ce qui est écrit, » et immédiatement après, « je dirois seulement. » (Ibidem.)
  214. Voyez le Lexique, au mot Quelque.
  215. « Les faire exalter. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  216. Le grand Condé.
  217. « Leurs beaux succès. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  218. M. de Barthélémy met à l’indicatif, au lieu des infinitifs qui se lisent au manuscrit : « sauvent l’État… contribuent à le détruire, et se servent ; » puis, un peu plus loin : « M. de Turenne suivoit. »
  219. Saint-Évremond a laissé également (Œuvres, Londres, 1725, tome V, p. 85 et suivantes) un Parallèle de Monsieur le Prince et de M. de Turenne, dont voici quelques passages : « Vous trouverez en Monsieur le Prince la force du génie, la grandeur de courage, une lumière vive, nette, toujours présente. M. de Turenne a les avantages du sang-froid, une grande capacité, une longue expérience, une valeur assurée. Celui-là, jamais incertain dans les conseils, irrésolu dans ses desseins, embarrassé dans ses ordres, prenant toujours son parti mieux qu’homme du monde ; celui-ci, se faisant un plan de sa guerre, disposant toutes choses à sa fin, et les conduisant avec un esprit aussi éloigné de la lenteur que de la précipitation. L’activité du premier se porte au delà des choses nécessaires, pour ne rien oublier qui puisse être utile : l’autre, aussi agissant qu’il le doit être, n’oublie rien d’utile, ne fait rien de superflu… Monsieur le Prince, plus agréable à qui sait lui plaire, plus fâcheux à qui lui déplaît (Saint-Évremond en savait quelque chose), plus sévère quand on manque, plus touché quand on a bien fait ; M. de Turenne, plus concerté, excuse les fautes sous le nom de malheurs, et réduit souvent le plus grand mérite à la simple louange de faire bien son devoir Quelque ardeur qu’ait Monsieur le Prince pour les combats, M. de Turenne en donnera davantage, pour s’en préparer mieux les occasions ; mais il ne prend pas si bien dans l’action ces temps imprévus qui font gagner pleinement une victoire ; c’est par là que ses avantages ne sont pas entiers… Monsieur le Prince a les lumières plus présentes, et l’action plus vive ; il remédie lui-même à tout, rétablit ses désordres, et pousse ses avantages… Tout ce que dit, tout ce qu’écrit, tout ce que fait M. de Turenne, a quelque chose de trop secret pour ceux qui ne sont pas assez pénétrants. On perd beaucoup de ne le comprendre pas assez nettement, et il ne perd pas moins de n’être pas assez expliqué aux autres. La nature lui a donné le grand sens, la capacité, le fond du mérite, autant qu’à homme du monde, et lui a dénié ce feu du génie, cette ouverture, cette liberté d’esprit, qui en fait l’éclat et l’agrément… La vertu (voyez la note suivante) de Monsieur le Prince n’a pas moins de lumière que de force ; … mais, à dire la vérité, elle a moins de suite et de liaison que celle de M. de Turenne : ce qui m’a fait dire, il y a longtemps (ce parallèle est de 1673 ; mais Saint-Évremond le retoucha en 1688), que l’un est plus propre à finir glorieusement des actions, l’autre à terminer utilement une guerre. »
  220. Vertu, dans le sens du latin virtus, « force » (tant de l’esprit que du cœur), et par suite « mérite. » — Voyez, dans la citation de la note précédente, le mot employé de même par Saint-Évremond.
  221. On sait que Turenne fut tué d’un coup de canon, le 27 juillet 1675, près de Salzbach. Grâce à de savantes manœuvres, il venait d’attirer son célèbre adversaire, Montecuculi, sur un terrain où celui-ci ne pouvait éviter, dit-on, une déroute complète, qui eût décidé de cette guerre. — Voyez, plus haut, la Notice des Réflexions diverses, p. 274, note 3. — Mme de Sévigné nous apprend (tome IV, p. 81) que la Rochefoucauld fut très-affligé de la mort de Turenne.
  222. Voyez, plus haut, p. 318, note 6.
  223. « Exerçant des vertus paisibles, soutenu de sa propre gloire, et brille-t-il… ? » (Édition de M. de Barthélemy.)
  224. En lisant ces lignes, on se demande comment la Rochefoucauld a pu être si souvent et si légèrement accusé de dénigrement à l’égard du grand Condé. Ajoutons que son admiration est d’autant moins suspecte qu’il n’a pas donné ce morceau au public.
  225. Voyez les maximes 418, 423, 444 et 461.
  226. « Il est malaisé de se rendre raison. » (Édition de M. de Barthélemy.) — Rapprochez de la 10e des Réflexions diverses.
  227. « Pour ne pas chercher.» (Édition de M. de Barthélemy.)
  228. « Un don charitable. » (Ibidem.)
  229. « Dans leur misère. » (Ibidem.)
  230. « Qui leur fait donner. » (Ibidem.)
  231. « Dans le secret de la physique. » (Ibidem.) — Physique dans le sens général d’étude de la nature.
  232. « Doivent. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  233. « Si utiles et si commodes. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  234. C’est ce qu’a fait, pendant vingt-cinq ans, le vieux Saint-Évremond pour la belle Hortense Mancini, duchesse de Mazarin. Voyez mon Étude sur Saint-Évremond, p. 29-31.
  235. « Croyance vers leurs maris. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  236. « De grâces et de faveurs. » (Ibidem.)
  237. Voyez, plus loin, la 19e des Réflexions diverses.
  238. « Et il remercie. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  239. « Elle le prie souvent. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  240. « Pour ne pas laisser voir. » (Ibidem.)
  241. « Aux vieillards. » (Ibidem.)
  242. Voyez la maxime 408.
  243. Voyez le Lexique.
  244. « Dans un grand génie. » (Édition de 1731 et suivantes.)
  245. Souvent, dans les éditions antérieures, à partir de Brotier.
  246. Cette dernière phrase se trouve dans l’édition de 1731, mais elle manque chez Brotier et chez les éditeurs venus après lui. — Il y a rendu, sans accord, dans le manuscrit : voyez le Lexique.
  247. Et suivre est omis dans les diverses éditions.
  248. Voyez la maxime 244, et les 10e et 13e Réflexions diverses.
  249. « Il les fait tourner. « (Édition de 1731 et suivantes.)
  250. « Dans tout ce qui les regarde. » (Édition de 1731 et suivantes.)
  251. Il y a malaise, comme au manuscrit, dans l’édition de 1731 et dans celle de Brotier. Les suivantes, y compris celle de Duplessis, donnent aisé, ce qui est tout juste le contraire de la pensée de l’auteur.
  252. Témoin deux célèbres contemporains et amis de la Rochefoucauld, Bussy Rabutin et Saint-Évremond.
  253. Les diverses éditions, à partir de celle de Fortia, donnent : « aussi toujours. »
  254. Pascal (Pensées, article VI, 19) : « Diseur de bons mots, mauvais caractère. » — Publius Syrus avait déjà dit :
    Lingua est maliloquax indicium mentis malæ.

    « Méchante langue est marque de méchant esprit. »

  255. C’est-à-dire, quand on fait qu’elles s’y prêtent, qu’elles plaisantent avec nous.
  256. « Qui découvre, » c’est-à-dire, qui montre, fait ressortir.
  257. Ce qui, selon la maxime 99, est la politesse de l’esprit.
  258. Voyez les maximes 125 et 126.
  259. « La douceur de l’esprit est un air. » (Édition de 1731 et suivantes.)
  260. Les diverses éditions donnent : « et qui plaît toujours. »
  261. Dans les maximes 41 et 569, l’auteur pensait le contraire.
  262. « De différentes. » (Éditions de 1731 et de Brotier.)
  263. En nous montrant le discrédit où était tombé le terme de bel esprit, ce passage permettrait de fixer approximativement la date du morceau ; il est clair qu’il ne put être écrit qu’après les beaux jours de l’hôtel de Rambouillet ; il l’a été probablement au temps des Précieuses ridicules (1660), ou même des Femmes savantes (1672).
  264. « De dire » a été omis par les divers éditeurs.
  265. Ce membre de phrase manque aussi dans les éditions précédentes.
  266. Les éditions postérieures à celle de Brotier donnent : « qu’il a un bon esprit. »
  267. « Néanmoins différentes sortes d’esprit. » (Éditions antérieures.)
  268. « N’a qu’une sorte. » (Ibidem.) — À la fin de la phrase, elles donnent de même : « qu’il a toutes sortes. » — Voyez la maxime 413, et la 2e des Réflexions diverses.
  269. Rapprochez de la maxime 456.
  270. « D’esprits, » au pluriel, dans les textes de 1731 et de Brotier.
  271. Voyez la maxime 415.
  272. Rapprochez des maximes 451 et 502.
  273. Les éditions précédentes, à partir de celle de Brotier, donnent : « et que tout le monde sent ; » elles omettent et admire. — Trois lignes plus loin, enfin manque dans toutes.
  274. Rapprochez de la maxime 627.
  275. M. de Barthélemy donne ce morceau à part (p. 295-306), sous le titre de Pièce historique. Nous le laissons à la place qu’il occupe dans le manuscrit.
  276. « Qui sont enfermées. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  277. Cet adjectif se rapporte à événements. — M de Barthélémy donne : « Celui où nous vivons n’a rien produit, à mon sens, de plus singulier que les précédents, » ce qui est le contraire de la pensée de l’auteur. — Un peu plus loin, il omet le Roi, après gouverna, et pendant devant plusieurs.
  278. Élisabeth, née en 1602, mariée en 1615 à Philippe IV, morte en 1644.
  279. Chrétienne ou Christine, née en 1606, mariée en 1619 à Victor-Amédée 1er, morte en 1663.
  280. Henriette-Marie, née en 1609, mariée en 1626 à Charles 1er, morte en 1669.
  281. En 1622.
  282. « De grandeur, » (Édition de M. de Barthélémy.)
  283. Le 3 juillet 1642, à l’âge de soixante-huit ans.
  284. Henri de Joyeuse, second frère du favori de Henri III. Après la mort de sa femme, à peine âgé de vingt ans, il se fait capucin, sous le nom de Père Ange, en 1687. Cinq ans plus tard, à la mort de son frère, il rentre dans le monde, se met à la tête des ligueurs du Languedoc, et Henri IV n’obtient sa soumission qu’au prix du bâton de maréchal de France. Après avoir pourvu à l’établissement de sa fille unique, qu’il marie, en 1599, au duc de Montpensier, il reprend le froc, et meurt en 1608, à Rivoli, pendant son second voyage à Rome, qu’il avait voulu faire nu-pieds. C’est de lui que Voltaire a dit, dans la Henriade (chant IV, vers 23 et 24) :
    Vicieux, pénitent, courtisan, solitaire,
    Il prit, quitta, reprit la cuirasse et la haire.
  285. « Aux mêmes passions, pendant ce temps. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  286. « Il repartit une seconde fois. » (Ibidem.)
  287. La Rochefoucauld se trompe : Henri de Joyeuse est mort a quarante et un ans.
  288. Le chef de la conspiration était Pinto Ribeiro.
  289. « Du Portugal. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  290. « Sans concert avec le peuple,… et sans intelligence dans la place. » (Ibidem.)
  291. Au manuscrit : Vasconchellos.
  292. Ici le mot ne signifie pas serviteurs, mais il est pris au sens latin d’attaché à la maison ou à la personne ; les deux domestiques dont il s’agit étaient le duc de Caminha et le comte d’Armamar.
  293. Non pas toutefois sans la participation de sa femme, Louise de Guzuiau. C’est à son instigation que le complot se noua, et par sa fermeté qu’il réussit. Elle gouverna avec beaucoup d’adresse, sous le nom de son mari, qui n’eut besoin dès lors ni d’élévation, ni de mérite, et qui, en mourant, la nomma grande régente du royaume.
  294. « Du Portugal. »
  295. L’auteur se trompe de deux années ; Jean, 8e duc de Bragance, régna, sous le nom de Jean IV, de 1640 à 1656, c’est-à-dire pendant seize ans.
  296. « Un royaume. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  297. « La même défiance. » (Ibidem.)
  298. Au manuscrit : Saint-Mars.
  299. Soupçons est écrit de la main de la Rochefoucauld, au lieu du mot défiances, qui était d’abord au manuscrit, et qu’il a effacé, sans doute parce qu’il l’avait employé déjà six lignes plus haut.
  300. Le 25 juin 1666. — Sa femme était Marie-Élisabeth-Françoise de Savoie, fille de Charles-Amédée de Savoie, due de Nemours et d’Aumale, et d’Élisabeth de Vendôme, petite-fille de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées.
  301. Les débauches d’Alphonse VI l’avaient conduit à l’impuissance, et bientôt à l’imbécillité. Monté sur le trône en 1656, il fut déposé en 1667.
  302. Dans l’ile de Terceira, une des Açores ; transféré au château de Cintra, il y mourut le 12 septembre 1683.
  303. Ce membre de phrase a été omis par M. de Barthélemy, qui, quelques mots plus loin, donne : a ce prince, son mari. » — La reine de Portugal ne mourut qu’en 1683, le 27 décembre, deux mois après son premier mari.
  304. En effet, pendant quinze ans, il ne porta que le titre de régent ; mais, à la mort de son frère (1683), il se fit couronner roi de Portugal et des Algarves, sous le nom de Pedro II. — On voit à la forme du récit qu’il fut écrit quand le roi Alphonse vivait encore. La Rochefoucauld mourut trois ans avant lui, en 1680.
  305. « Et du bien. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  306. On sait que, dans l’ancien régime financier, on appelait partisans ou traitants ceux qui, moyennant rétribution, traitaient du recouvrement de quelque partie des impôts.
  307. M. de Barthélémy omet subitement.
  308. Mas’ Aniello (abréviation de Tomaso Aniello), qui vendait, non des herbes, mais des poissons et des fruits, ne mourut pas seulement de la frénésie ; à la faveur d’un mouvement populaire, des assassins, aux gages du duc d’Arcos, que Mas’ Aniello avait dépossédé de la vice-royauté, aidèrent à sa mort (1647) ; il était âgé de vingt-cinq ans.
  309. Christine, née en 1626. Fille unique du grand Gustave-Adolphe, elle lui succéda en 1632, se mit à la tête des affaires en 1644, les gouverna bientôt assez mal, abdiqua en 1645, parcourut pendant quelques années l’Europe, vint deux fois en France, où elle fit assassiner, au château de Fontainebleau, l’Italien Monaldeschi, son grand écuyer et son amant (1657) ; puis, ayant précédemment abjuré le protestantisme, elle alla faire pénitence à Rome, où elle mourut, en 1689. Cette femme étrange avait le goût des lettres, des sciences et des arts ; elle a laissé quelques écrits, et l’on sait qu’elle avait appelé en Suède plusieurs hommes illustres, entre autres Descartes.
  310. « Dans son État. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  311. Son royaume, est de la main de la Rochefoucauld, et remplace ses États, mots qui se trouvaient déjà trois lignes plus haut. — « À quitté son royaume volontairement. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  312. Elle ne tarda guère à le regretter ; à deux reprises, en Suède, à la mort de Charles-Gustave (1660), et en Pologne, à l’abdication de Casimir V (1668), elle voulut reprendre possession d’un trône ; mais ni les Suédois, ni les Polonais ne se montrèrent disposés à l’y laisser remonter.
  313. Casimir V (Jean), dernier rejeton mâle de la maison de Vasa, né en 1609, fut d’abord jésuite et cardinal. Élu au trône de Pologne, en 1648, il obtint des dispenses pour épouser la veuve de son frère Vladislas VII, à qui il succédait. La perle de sa femme (1667) le détermina à abdiquer (1668). Retiré en France, il devint abbé de Saint-Germain des Prés, ainsi que de Saint-Martin de Nevers. Il mourut dans cette dernière ville, en 1672.
  314. Olivier Cromwell, qui en effet n’a commencé à être en vue qu’en 1644, après la bataille de Marston-Moor ; il avait alors quarante-cinq ans, étant né en 1599.
  315. Il est mort, non pas de la pierre ou de la gravelle, comme l’a dit Pascal dans une de ses Pensées les plus célèbres (article III, 7), mais d’une fièvre tierce, le 13 septembre 1658.
  316. « Leur roi légitime. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  317. « Du prince d’Orange. » (Ibidem.)
  318. « Par ce peuple un homme qui seul maintenoit. » (Ibidem.)
  319. Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande. En 1672, il fut mis en pièces, avec son frère Cornélis, par la populace de la Haye, que les partisans de Guillaume d’Orange avaient soulevée.
  320. Léopold <span title="Nombre Ier écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">Ier, empereur d’Allemagne, qui succéda à son père Ferdinand III, à l’âge de dix-huit ans, en 1658, et mourut en 1705.
  321. « Que jamais n’a été. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  322. Charles II.
  323. « S’est opposé… depuis six ans. » (Édition de M. de Barthélemy.) — Voyez la note 3 de la page suivante.
  324. Louis XIV achetait son alliance au prix d’une pension annuelle de trois millions.
  325. « Et qu’il a le plus besoin. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  326. L’édition de M. de Barthélemy coupe la phrase après années, et donne : « En ayant pu. » — Voyez la note 3 de la page suivante.
  327. Marie, fille de Jacques Stuart, duc d’York, frère de Charles II, à qui il succéda, en 1685, sous le nom de Jacques II.
  328. « Point agréables. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  329. Clifford (Thomas). D’abord contrôleur et trésorier de la maison du Roi, il fut nommé grand trésorier d’Angleterre ; c’était la récompense de son adresse, car il avait trouvé le moyen de procurer au prodigue Charles II un million cinq cent mille livres sterling, dit-on, sans le concours du Parlement. Il faisait partie du fameux ministère dit de la Cabal.
  330. « Lui eut fait chercher sa sécurité particulière… à s’unir au prince d’Orange. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  331. À la page précédente, lignes 3 et 18, l’auteur avait dit six ans.
  332. « Pût eu un moment renoncer, » et, deux lignes plus loin : « Le prince d’Orange, qui de son côté avoit… » (Édition de M. de Barthélemy.)
  333. On sait que Guillaume d’Orange n’eut pas la patience d’attendre que la couronne d’Angleterre lui revînt de droit, et qu’il en déposséda son beau-père, Jacques II, en 1688.
  334. Ici et trois lignes plus bas, avant « et une aventure ridicule, » l’édition de M. de Barthélemy coupe la phrase, pour en commencer une autre.
  335. Une des sept Provinces Unies dont se composait alors la Hollande ; les princes d’Orange en étaient gouverneurs.
  336. « Comprendre. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  337. Le 11 avril 1677, contre l’armée française commandée par Philippe <span title="Nombre Ier écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">Ier d’Orléans, frère unique de Louis XIV. — Cassal, dans l’édition de M. de Barthélemy.
  338. Dans ce passage, et dans presque tout le cours de cette longue Réflexion, l’auteur semble avoir pris à tâche de chercher et de développer la preuve de ses maximes 7 et 67.
  339. M. de Barthélemy omet de nouveau.
  340. M. de Barthélemy donne : « qui y ont été contraints, » et omet ceux, qui précède ces mots, ce qui fait un double contre-sens.
  341. « Par la protection d’Angleterre. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  342. « Si contraire. » (Ibidem.)
  343. « À tous ses ennemis. » (Ibidem.)
  344. « Attaqua le ministre. » (Ibidem.)
  345. Le mariage de Guillaume d’Orange avec la princesse d’York est de 1678, et la paix de Nimègue, dont il est ici question, a été conclue le 10 août de la même année ; or la Rochefoucauld étant mort le 17 mars 1680, après d’assez longues souffrances, il est permis de croire que cet intéressant morceau est un des derniers qu’il ait écrits. — Voyez ci-dessus, p. 274, note 4.
  346. « Et si le siècle présent. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  347. « Ou comprendra sans doute…, de le surpasser. » (Ibidem.)
  348. « Si la France même… » (Ibidem.)
  349. « Par l’honneur de la nation. » (Ibidem.)
  350. « Le théâtre où l’on voit paroître plus que tout ce que l’histoire et la fable n’en ont dit des crimes de l’antiquité. » (Ibidem.)
  351. Il est clair qu’il s’agit de la mauvaise foi des Grecs, que le Timeo Danaos (Énéide, livre II, vers 49) a rendue proverbiale, comme la foi punique.
  352. Cette fin fait allusion peut-être à la mort suspecte d’Henriette d’Angleterre, mais, à coup sûr, aux poisons de la marquise de Brinvilliers, condamnée et exécutée en 1676.
  353. Le mot est répété dans l’édition de M. de Barthélemy : « l’inconstance, l’inconstance en général. »
  354. « Comme celle du fruit. » (Édition de M. de Barthélemy.) — Voyez les maximes 274, 577, et la 9e des Réflexions diverses.
  355. « La beauté… est diminuée ; on ne fait plus la même impression. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  356. Rapprochez de la maxime 351.
  357. Pour dans le sens de parce que (parce qu’on n’est pas assez assuré…).
  358. Voyez la maxime 71.
  359. Cette conjonction manque dans le texte de M. de Barthélemy.
  360. Rapprochez de la maxime 179.
  361. « Plus égal… ; elle ne pardonne rien. » (Édition de M. de Barthélemy.) — On a vu que, dans la 2e des Réflexions diverses (note 2 de la page 284), l’auteur est plus indulgent.
  362. « L’honneur. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  363. C’est la maxime 473. Voyez aussi la 19e des Réflexions diverses.
  364. Ici, comme presque toujours, l’auteur prend ce mot dans le sens d’amour de soi. Voyez p. 121, note 5.
  365. « Il ne peut plus être flatté. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  366. « Et par leur conduite. » (Ibidem.)
  367. C’était le cas de la Rochefoucauld lui-même : sa conduite durant la Fronde lui avait fermé le chemin de la faveur ; mais il en fut amplement dédommagé par les grâces nombreuses que son fils obtint du roi Louis XIV.
  368. Voyez la maxime 473, et la 18e des Réflexions diverses.
  369. « Et ils se persuadent au premier qu’ils auroient été. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  370. « Au premier bien qui ont d’abord. » (Ibidem.)
  371. « Tout est vieux. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  372. « Les plus heureux ont encore souffert. » (Ibidem.) — Voyez, plus haut, la 15e des Réflexions diverses.
  373. Économie, administration d’une maison, d’une fortune.
  374. « Ils s’en approchent et s’en éloignent. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  375. « Le temps qui leur reste. » (Ibidem.)
  376. Les amusent, c’est-à-dire, les occupent. Voyez le Lexique.
  377. « D’incertitude et de foiblesse. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  378. Rapprochez de la maxime 109.