Œuvres de Pierre Curie/47

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Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 491-493).

EXAMEN DES GAZ OCCLUS OU DÉGAGÉS PAR LE BROMURE DE RADIUM.

En commun avec DEWAR.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXXVIII, p. 190,
séance du 25 janvier 1904.


Un échantillon de 0.4 g de bromure de radium pur desséché a été laissé pendant 3 mois dans une ampoule de verre communiquant avec un petit tube de Geissler et un manomètre à mercure. On avait, au début de l’expérience, fait un vide très parfait dans tout l’appareil. Durant ces 3 mois, il s’est produit spontanément dans l’appareil un dégagement de gaz proportionnel au temps (à raison de 1 cm³ de gaz à la pression atmosphérique pendant chaque mois). L’examen spectroscopique au moyen du tube de Geissler indiquait seulement la présence de l’hydrogène et celle de la vapeur de mercure. On peut admettre qu’en introduisant le sel dans l’appareil on a en même temps introduit une petite quantité d’eau, et que celle-ci a été décomposée peu à peu sous l’influence du radium (Giesel).

Le même échantillon de bromure de radium a été transporté en Angleterre dans le laboratoire de M. le professeur Dewar à la Royal Institution, dans le but de mesurer le dégagement de chaleur à la température d’ébullition de l’hydrogène liquide[1]. Là, le bromure de radium a été transporté dans une ampoule en quartz, munie d’un tube de même substance. On a fait le vide dans l’ampoule, puis on a chauffé le tube de quartz au rouge, jusqu’à fusion du bromure de radium ; on a continué à faire le vide, et l’on a recueilli à l’aide de la pompe à mercure les gaz occlus dégagés pendant la chauffe. Les gaz aspirés traversaient, avant d’arriver à la pompe, trois petits tubes de verre en U plongés dans l’air liquide qui retenaient la plus grande partie de l’émanation du radium et les gaz les moins volatils.

Les gaz aspirés à la pompe à mercure et recueillis dans une éprouvette en verre sur le mercure ont été examinés par M. Dewar. Ces gaz occupaient un volume de 2,6 cm³ à la pression atmosphérique ; ils avaient entraîné une partie de l’émanation du radium, et ils étaient radioactifs et lumineux. La lumière propre émise par l’éprouvette contenant les gaz a donné, après 3 jours d’exposition avec un spectroscope photographique en quartz, un spectre discontinu : il consiste en trois lignes coïncidant avec l’origine des trois bandes principales de l’azote 3800, 3580 et 3370[2]. Pendant ces 3 jours le tube de verre a pris une teinte violet foncé, et la moitié du volume du gaz a été absorbée.

En faisant passer l’étincelle au travers des gaz transportés dans un tube de Geissler on a aussi obtenu au spectroscope les bandes de l’azote. En condensant l’azote dans l’hydrogène liquide, le vide est devenu grand dans le tube de Geissler, et l’étincelle indiquait alors la présence de l’hydrogène et pas autre chose.

Le tube de quartz contenant le bromure de radium fondu et privé de tous les gaz occlus a été scellé à l’aide du chalumeau oxhydrique, pendant que l’on faisait le vide, et ramené à Paris. M. Deslandres a bien voulu l’examiner au point de vue spectroscopique (20 jours environ après la fermeture du tube). M. Deslandres nous prie d’annoncer que le gaz intérieur, illuminé par une bobine de Ruhmkorff, à l’aide de deux petites gaines de papier d’étain recouvrant extérieurement les deux bouts du tube, a donné le spectre entier de l’hélium ; il n’y a pas eu d’autres raies que celles de ce gaz après une pose de 3 heures avec vin spectroscope photographique en quartz[3].

La lumière propre émise spontanément par le tube de radium (sans la bobine d’induction) a toujours donné un spectre continu sans raies noires ou brillantes se détachant sur le fond, avec un spectroscope qui, il est vrai, était peu dispersif.





  1. Nous présenterons prochainement à l’Académie les résultats obtenus dans ces expériences.
  2. Ces résultats sont à rapprocher de ceux trouvés par M. et Mme Huggins, qui ont montré que le spectre de la lumière propre émise spontanément par les sels de radium dans l’air est constitué par les bandes de l’azote.
  3. Ce résultat est en accord avec ceux obtenus par M. Ramsay sur la production de l’hélium par les sels de radium dissous dans l’eau.