Œuvres de Turgot (Daire, 1844)/Impôt/01

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I. PLAN D’UN MÉMOIRE

SUR

LES IMPOSITIONS EN GÉNÉRAL, SUR L’IMPOSITION TERRITORIALE
EN PARTICULIER, ET SUR LE PROJET DU CADASTRE[1].


L’objet sur lequel M. le contrôleur-général a consulté les intendants est un des plus intéressants que l’on puisse examiner. Il embrasse les bases de toute l’administration politique d’une nation.

Il ne s’agit pas moins que de déterminer la manière la plus avantageuse au souverain et au peuple d’assurer les revenus de l’État, et de répartir la contribution que la société entière se doit à elle-même pour subvenir à toutes les dépenses publiques.

M. le contrôleur-général s’est contenté de proposer quelques questions ; mais j’ai pensé que chacune de ces questions tenant par bien des rapports aux premiers principes de la matière, on ne pouvait les résoudre d’une manière satisfaisante et applicable à la pratique, sans traiter cette matière dans toute son étendue, et sans en développer tous les principes dans leur ordre naturel. Il me semble que ce n’est qu’ainsi qu’on pourra parvenir à reconnaître ce qui est à faire pour le mieux ; car c’est toujours le mieux dont on doit s’occuper dans la théorie. Négliger cette recherche, sous prétexte que ce mieux n’est pas praticable dans les circonstances actuelles, c’est vouloir résoudre deux questions à la fois : c’est renoncer à l’avantage de poser las questions dans la simplicité qui peut seule les rendre susceptibles de démonstration ; c’est se jeter sans fil dans un labyrinthe inextricable et vouloir en démêler toutes les routes à la fois, ou plutôt c’est fermer volontairement les yeux à la lumière, en se mettant dans l’impossibilité de la trouver.

Je traiterai donc la chose dans toute la rigueur de la théorie, en recherchant et discutant séparément ces deux questions si différentes : Que faudrait-il faire ? Et que peut-on faire ?

Je ne m’assujettirai point à l’ordre des questions sommaires qui ont été proposées. La réponse à chacune de ces questions se trouvera naturellement amenée par le développement des principes, et j’aurai soin de les rappeler et de les récapituler séparément.

M. le contrôleur général a joint aux questions sur le cadastre quelques questions sur l’établissement des communautés. Cet objet est si important en lui-même, que j’ai cru devoir le traiter en particulier et par un Mémoire séparé, dans lequel je me proposerai aussi la double vue du mieux possible et du faisable.

Idée des différents chapitres.

De la nécessité des impositions, ou de la contribution aux dépenses publiques.

Examen de l’idée de Rousseau, que les corvées sont préférables : montrer combien elles sont plus coûteuses, moins équitablement réparties, impraticables dans une grande société.

Principes généraux sur la répartition des impositions.

De la justice distributive.

De la nécessité de ne point nuire à la richesse à venir.

Fausses idées de quelques personnes sur la justice distributive.

Par qui sont dues les impositions ? On prouve qu’elles ne sont dues que par le propriétaire des terres, parce que lui seul gagne un revenu net et possible à connaître, au maintien de toutes les autres propriétés dont la conservation et le libre usage tournent nécessairement à son profit.

Réfutation des prétextes par lesquels on voudrait prouver que les gens à facultés purement mobilières ont le même intérêt.

Différentes formes d’impositions.

Il n’y en a que trois possibles.

La directe sur les fonds.

La directe sur les personnes, qui devient un impôt sur l’exploitation.

L’imposition indirecte, ou sur les consommations. L’imposition indirecte se divise en imposition générale sur les consommations, comme les droits d’aides et d’accise ; ou en impositions locales.

Celles-ci se subdivisent en taxes ou impositions sur les consommations par voie d’entrée dans le lieu où l’on consomme ;

En imposition sur le commerce ou sur les denrées passant dans certains lieux, comme les droits de péage ;

En imposition sur certains actes de la société, ventes, etc., qui sont directes à certains égards, et indirectes à d’autres ;

Et en vente exclusive, comme le sel et le tabac.

Toutes ces différentes formes d’impositions retombent entièrement sur le propriétaire des terres.

Pour le démontrer, il faut :

Développer l’idée précise du revenu, et prouver que le propriétaire seul a un revenu[2] ;

Preuve que l’industrie n’a point de revenu : distinction du profit et du revenu.

Énumération des impôts. Leurs reflets.

Il n’y a que celui sur la consommation qui souffre difficulté. Or, il est évident que le propriétaire le paye en achetant plus cher les services et vendant à meilleur marché les productions, ou par la diminution soit de la quantité, soit du prix des consommations : celle de la quantité amène aussi celle du prix.

Examen de la question, si le propriétaire paye au double l’impôt indirect.

Il peut y avoir du plus ou du moins dans la perte ; quelle que soit la proportion et la manière dont la question sera décidée, il n’est pas douteux que toute la préférence ne doive être pour l’impôt direct,

1o Parce que, comme je l’ai déjà dit, le propriétaire doit seul ;

2o Parce que l’impôt direct étant le moins dispendieux à lever, le propriétaire y gagne tout le montant des frais et du gain des percepteurs en chef, régisseurs ou fermiers ; 3o Parce que l’impôt indirect impose une foule de gênes sur le commerce ; qu’il entraîne des procès, des fraudes, des condamnations, la perte d’un grand nombre d’hommes, une guerre du gouvernement avec les sujets, une disproportion entre le crime et les peines, une tentation continuelle et presque irrésistible à une fraude cependant punie cruellement ;

4o Parce que l’impôt indirect attaque sur mille choses la liberté ;

5o Parce qu’il nuit beaucoup à la consommation, et par là se détruit lui-même ;

6o Parce que les dépenses de l’État en sont augmentées, puisque l’État le paye sur sa propre dépense et sur celle de tous ses agents ;

7o Parce qu’il donne aux marchands étrangers un avantage dans la concurrence du commerce ;

8o Enfin, parce que ses effets ne sont pas exactement calculables, au lieu qu’un propriétaire peut toujours savoir dans quelle proportion de son revenu il paye.

Dans l’imposition directe, l’État sait ce qu’il impose ; il sait aussi clairement ce qu’il peut imposer.

On y trouve tout ce qu’on peut souhaiter dans l’administration, simplicité, sûreté, célérité.

Impositions directes.

Sur les personnes ou sur les terres.

Celle sur les personnes, par elle-même choque la raison ; elle n’a jamais pu être imaginée que par la paresse et pour avoir plus tôt fait.

Il est impossible qu’elle soit uniforme,

1o Parce qu’il y a des gens qui n’ont rien ;

2o Parce que, si l’on ne voulait que taxer la personne, qui n’est qu’un amas de besoins, du moins faudrait-il taxer sur le pied de la dernière classe de la société ; et, à un taux si bas, l’imposition ne rapporterait pas grand’chose.

Il faut donc revenir à classer les personnes à peu près à raison de leurs facultés. Alors ce n’est plus qu’une imposition sur les biens, faite arbitrairement et sans règle.

Si l’on y comprend ce qu’on appelle toutes les facultés, l’industrie, le commerce, leurs salaires, les profits nécessaires à leur exercice, etc., cette capitation est en ce point une imposition indirecte. La partie proportionnée aux facultés provenant des biens-fonds est imposition directe ; mais elle a tous les inconvénients de l’arbitraire.

On peut encore distinguer l’imposition personnelle de la réelle, même dans le cas où l’imposition personnelle ne serait proportionnée qu’aux biens-fonds, car l’imposition assise sur le fonds peut être due par la personne, comme la taille personnelle, ou par le fonds, comme la taille réelle. C’est la différence de l’imposition réelle quant à la répartition, et de l’imposition réelle quant au recouvrement.

Quand on laisserait subsister toutes les impositions directes en les réformant, toujours resterait-il une grande partie de l’imposition qui tomberait directement sur les terres, et encore faudrait-il qu’elle fût assise de la manière la plus équitable qu’il serait possible, et toujours encore les impositions indirectes frapperaient les terres d’un contre-coup.

Il n’est donc pas inutile de discuter la question en général, et de parcourir les inconvénients particuliers des divers genres d’impositions indirectes.

Impositions indirectes.

Impositions sur les consommations générales ; leurs inconvénients. — Elles font payer la même taxe sur les productions de la même nature, dont les unes sont précieuses, et les autres non. Il y a surcharge pour les consommateurs pauvres. — Et aussi la même taxe sur les productions, dont les unes nées dans des terrains fertiles ont coûté peu de frais, et les autres sur des terrains stériles en ont coûté beaucoup, qu’elles remboursaient à peine. Elles sont donc sans aucune proportion avec les revenus, et font abandonner la culture des terres médiocres, dont les productions ne rendaient que ce qu’elles avaient coûté.

Impositions sur les entrées des villes. Elles ont les mêmes inconvénients, et de plus la difficulté de leurs tarifs, qui ne sauraient suivre la proportion des valeurs des denrées ; car, pour les denrées d’une grande valeur, la contrebande augmenterait avec les droits.

Moins les denrées sont nécessaires, plus les droits en diminuent la consommation.

On ne peut donc compter sur un produit certain qu’autant que l’imposition porte sur les denrées à l’usage du peuple, et dont il ne peut se passer, qui sont en même temps d’un volume à ne pas permettre la fraude ; mais alors le pauvre paye, ou du moins avance tout l’impôt, ce qui lui devient très-pénible. La richesse, qui rembourse cette avance, ne paye d’abord presque rien, et même à la fin ne paye que tard.

On croit par ces droits d’entrée faire payer les villes ; mais c’est dans la réalité faire payer les campagnes qui produisent les denrées taxées. Car les habitants des villes ont des revenus bornés, et ne peuvent acquitter la taxe qu’en mésoffrant sur le prix à payer aux producteurs et premiers vendeurs de denrées, et en restreignant leur consommation ; et nous avons déjà vu que ces deux opérations qui se combinent naturellement ont le même résultat.

Les ridicules tarifs qu’on a laissé faire aux habitants de toutes les villes, ont presque tous pour objet de porter toute l’imposition sur ce qu’ils appellent l’étranger.

On fait payer plus cher aux marchands forains qu’aux bourgeois ; c’est donner à ceux-ci un monopole au préjudice des simples habitants des villes.

Dans la plupart de ces tarifs on a cru devoir tout taxer. Par là on s’est jeté dans un labyrinthe inextricable d’évaluations, de disputes, etc.

De plus, en taxant le commerce, on tend à le diminuer.

L’effet naturel de toutes ces taxes dans les villes serait de changer les villes de place, ou de les étendre au delà des véritables convenances des habitants, en bâtissant dans les faubourgs pour éluder les droits. La seule cause qui s’oppose à cet effet est un autre mal pire encore, c’est le triste état des habitants de la campagne et les vexations multipliées qui les poursuivent, tandis que les habitants des villes, étant plus riches et plus près du gouvernement, ayant plus d’instruction et de crédit, formant par leur réunion une masse plus imposante que ceux des campagnes, quoique ces derniers soient du double plus nombreux, ont pu se soustraire à une grande partie des injures et des mauvais traitements que les cultivateurs ont eu et ont encore à subir.

Si les campagnes n’étaient sujettes qu’à une imposition territoriale, bientôt la plupart des habitants des villes s’y transplanteraient, et ce ne serait point un mal, car alors la consommation serait plus près de la production ; il y aurait moins de frais de transport en pure perte, et le cultivateur, jouissant de toute la dépense du consommateur, pourrait étendre avec profit son exploitation sur des terres plus médiocres, dont les nouveaux produits feraient vivre des citoyens desquels aujourd’hui l’existence est impossible, parce que s’ils naissaient, la subsistance leur manquerait.

L’impôt par voie de monopole est encore bien pire. Par l’extrême disproportion des prix, il devient un appât cruel pour la contrebande. On fait jouer au roi le rôle de ces gens qui étalent du grain à des oiseaux pour les faire tomber dans un piège.

Dans tout impôt indirect, les prévarications des commis sont impossibles à éviter. On est obligé pour constater les fraudes de donner aux commis le droit d’être crus sur leurs procès-verbaux, ce qui peut devenir une source de vexations impossibles à réprimer[3].

La complication des tarifs et des lois qui règlent la perception et veulent prévenir l’infraction, met le peuple dans l’impossibilité physique de résister aux vexations, car au milieu de tant d’obscurités, quel particulier oserait risquer les frais d’un procès contre les agents de l’autorité ?

Les impositions sur les mutations et sur les actes de la société sont d’un genre non moins odieux.

Il semble que la finance, comme un monstre avide, ait été guetter au passage toutes les richesses des citoyens, et tout cela par un bien grossier malentendu. Car pourquoi tant de ruses, lorsque toutes les véritables richesses sont, comme on dit, au soleil[4] ?

Le centième denier prend une portion de la propriété même. Cependant, quand on s’est assujetti à payer des impositions pour la conservation de la société dont on est membre, ce n’a été que pour conserver la propriété, et non pour la perdre.

Il y a sans doute des cas où l’on consentirait à sacrifier une partie de sa propriété pour sauver le reste ; mais ce ne saurait être le cas ordinaire. On veut avoir une jouissance assurée et constante, et on veut aussi que ce qu’on sacrifice soit constant. C’est donc sur le revenu que l’imposition doit porter, et non sur les capitaux.

D’ailleurs, l’État a le plus grand intérêt à conserver la masse des capitaux. C’est cette masse qui fournit aux avances de toutes les entreprises de culture et de commerce, et aux acquisitions des biens-fonds. Ces capitaux se forment par les voies lentes de l’économie. Se faire payer à titre de revenus de l’État une partie de ces capitaux, tous accumulés pour les avances nécessaires au travail, c’est détruire en partie la source de ces mêmes revenus.

Après avoir conclu que l’imposition directe sur les fonds est la seule imposition conforme aux principes, il faut établir d’abord sur quelle partie du produit des fonds elle doit porter ; ensuite comment elle peut être répartie et perçue.

J’ai déjà dit qu’il n’y avait que le propriétaire de biens-fonds qui dût contribuer à l’imposition ; une première raison est que lui seul a intérêt à conserver l’ordre permanent de la société. Qu’importe à l’homme industrieux ce que devient le gouvernement ? Avec ses bras il aura toujours les mêmes ressources : il lui est parfaitement indifférent que ce soit Pierre ou Jacques qui fasse travailler. Une seconde raison, et la plus péremptoire, c’est que le propriétaire de fonds est le seul qui ait un véritable revenu.

M. Quesnay en a le premier fixé la juste idée, en apprenant à distinguer le produit brut du produit net, et à ne pas comprendre dans le produit net les profits du cultivateur, qui sont l’attrait, la cause unique et indispensable de la culture ; car pourquoi le cultivateur travaillerait-il, s’il ne pouvait pas compter sur son légitime gain ? Et ne travaillera-t-il pas avec d’autant plus d’ardeur et de succès, qu’il sera assuré de ne pas perdre sa peine ?

Une terre peut produire des denrées en assez grande quantité, et ne donner aucun produit net ; il suffit pour cela de supposer qu’elle coûte plus à labourer que les fruits ne peuvent se vendre.

On sait qu’une terre fumée et labourée au point d’être rendue meuble comme la terre d’une fourmilière donne des produits prodigieux ; mais si pour travailler ainsi la terre il faut employer la bêche et un grand nombre de journées d’hommes, cette production peut devenir onéreuse. Si la quantité des produits est telle que la consommation n’y réponde pas et qu’ils n’aient aucune valeur vénale[5], le revenu sera nul malgré l’abondance des productions. Quand la pierre philosophale serait trouvée, l’inventeur n’en serait pas plus riche s’il ne pouvait faire de l’or pour cent louis qu’en dépensant la valeur de cent louis en charbon, et s’il lui en coûtait cent un louis, il quitterait certainement le métier.

Cette vérité est bien connue ; mais ce qui n’avait pas été si bien senti, c’est la nécessité, tout aussi grande, de soustraire pareillement du produit brut les reprises et les frais du cultivateur, aiin d’arriver à connaître le produit net.

M. Quesnay a développé le mécanisme de la culture, toute fondée sur de très-grosses avances primitives, et demandant annuellement d’autres avances également nécessaires. Il faut donc prélever sur la vente des produits : 1o les frais ou avances annuelles en totalité ; 2o l’intérêt des avances primitives ; 3o leur entretien, et le remplacement de leur dépérissement inévitable, au moins égal à l’intérêt ; ï° la subsistance et le profit honnête du cultivateur en chef et de ses agents, le salaire de leur travail et de leur industrie.

Le cultivateur a fait ce calcul quand il afferme une terre : c’est le surplus qu’il donne au propriétaire, qui fait le revenu, et ce n’est que sur ce revenu que peut porter l’impôt. Quand le propriétaire cultive lui-même, il n’a pas plus de revenu disponible ; mais il confond dans sa personne son revenu comme propriétaire et son profit comme cultivateur, profit qui n’est point disponible[6].

M. Quesnay a démontré encore que, si la valeur vénale diminuait, le revenu diminuait graduellement, au point qu’enfin la terre ne produirait rien au delà des reprises et des profits du cultivateur ; que dès lors il n’y aurait plus de fermes ; que le propriétaire, il est vrai, pourrait encore cultiver pour vivre, en faisant lui-même ses avances, mais que ce faible revenu ne serait plus disponible. Et il serait possible que, dans une nation où les terres en seraient réduites à cette culture, il n’y eût absolument aucun revenu, aucun moyen de soutenir l’État, qu’en dévorant graduellement les capitaux ; ce qui serait absolument vicieux et nécessairement passager.

Pour le sentir, il suffira de réfléchir qu’il faut que les propriétaires vivent. Qu’une famille ait besoin de cent écus pour vivre, et que les terres soient partagées de façon que chaque propriétaire en cultivant lui-même ne gagne que les cent écus, il ne pourra payer l’impôt sans prendre sur sa subsistance.

Ce prétendu revenu ne serait que le salaire de son travail ; le vrai revenu est la part du propriétaire au delà de celle du cultivateur, celle que le cultivateur donne au propriétaire pour acquérir le droit de travailler son champ. Toute autre idée de revenu est illusoire. Lorsqu’on achète un bien-fonds, c’est ce revenu seul qu’on achète[7]. Or, il est évident que c’est ce revenu seul que l’impôt peut partager, puisqu’il ne pourrait empiéter sur la part du cultivateur, sans lui ôter l’intérêt de cultiver, sans l’obliger de consommer ses avances, par conséquent de diminuer ses entreprises et ses dépenses productives. La production des années suivantes étant moindre, l’empiétement de l’impôt deviendrait de plus en plus destructeur, et la production, et les sources des revenus de l’État, tariraient avec celles du revenu des propriétaires.

Il n’est plus besoin de revenir sur l’impôt indirect, qui détruirait

les capitaux encore plus vite, par cela même que ses coups seraient d’abord moins sensibles et avertiraient moins du danger.

Il s’agit uniquement ici de l’impôt territorial ; et puisqu’il est une fois démontré que l’impôt doit respecter la part du cultivateur, il faut, par une conséquence nécessaire, qu’il soit payé par le propriétaire. Car si on le demandait au fermier, celui-ci aurait bien l’esprit de le retenir au propriétaire sur le prix de son bail. Aussi ne se serait-on jamais avisé de taxer le cultivateur en son nom, sans les entraves qu’ont mises aux vrais principes les privilèges de la noblesse et des ecclésiastiques, qu’on a voulu éluder. Nous discuterons dans la suite les inconvénients de cette méthode. Quant à présent, nous traitons de la question considérée en elle-même, et, dans une nation où rien ne porterait obstacle à ce qu’on suivît les vrais principes, il n’y a aucun doute qu’on ne s’adressât directement aux propriétaires.

Cependant cette proposition est contraire à l’opinion de ceux qui avaient conçu le système de la dîme royale, ou qui l’ont applaudi. — Ce système peut effectivement éblouir par sa simplicité, par la facilité du recouvrement, par l’apparence de la justice distributive, et du moins parce que chacun sait ce qu’il doit payer. La dîme ecclésiastique est un exemple séduisant chez les peuples pauvres et sans commerce. Cette forme peut s’établir plus aisément qu’aucune autre. On est sur que le contribuable a toujours de quoi payer ; il paye sur-le-champ et sans frais. Cet usage est établi à la Chine. Il pêche cependant par différents inconvénients.

Premier inconvénient de la dîme : sa disproportion. Point d’égard aux frais de culture. Il est possible que le dixième brut soit plus fort que le produit net. Si, en dépensant la valeur de neuf setiers de blé on venait à bout d’en faire produire dix par arpent, on n’aurait qu’un setier de produit net ; ce serait encore un revenu très-suffisant pour engager à cultiver : eh bien ! la dîme l’enlèverait tout entier ; elle anéantirait donc tout le revenu ; — et si la culture avait coûté plus cher, la dîme se détruirait elle-même ; elle détruirait le motif de la culture, et la ferait cesser.

Seconde raison plus directe, mais qui rentre un peu dans la première. La dîme étant une portion des fruits, peut entamer la part du cultivateur, et faucher ainsi plus que l’herbe. Les fruits appartiennent d’abord en totalité au cultivateur ; c’est à lui à faire son calcul pour savoir ce qu’il doit abandonner au propriétaire, et ce n’est que sur cette part abandonnée au propriétaire que l’impôt peut et doit être assis.

Proposer, pour remédier à ces inconvénients, de cadastrer la dîme, et de demander moins au terrain qui produit moins à proportion des frais, ce serait se jeter dans un embarras plus grand que celui d’évaluer les revenus en argent ; parce qu’au moins pour cette opération on a la ressource des baux et des contrats de vente, au lieu qu’on ne l’a pas pour l’évaluation des frais de culture, à laquelle on ne peut parvenir que par une analyse de la culture, impossible à tout autre qu’un cultivateur qui sache les bien calculer. Les fermiers la calculent à peu près, et s’en approchent par tâtonnement.

La dîme serait un impôt excessif dans certains pays ; mais il s’en faudrait beaucoup qu’elle suffît aux besoins publics, à moins d’être extrêmement forcée, ce qui la rendrait plus inégale, encore plus destructive de la culture, et par conséquent d’elle-même, sur les terres de qualité inférieure.

Si l’on suppose que le clergé n’ait d’autre revenu que la dîme (en compensant ses autres biens avec les dîmes inféodées et autres qu’il ne possède pas), la totalité de la dîme, levée il est vrai à une multitude de taux différents, ne va pas beaucoup au delà de soixante millions ; et je ne crois pas le clergé beaucoup plus riche[8].

Revenons donc à demander directement au propriétaire, et à lui demander en argent, la part de son revenu dont l’État a besoin.

Que lui demandera-t-on ? Comment le lui demandera-t-on ?

Deux systèmes différents.

Demander à chacun une portion de revenu, une quotité fixe, c’est le système du dixième, du vingtième ; c’est celui qu’on propose dans la Théorie de l’impôt, dans la Philosophie rurale ; c’est celui de l’impôt territorial en Angleterre.

On peut demander au contraire une somme fixe à la nation, à chaque province, à chaque communauté : cette somme fixe se répartit sur tous les propriétaires à raison de leur propriété.

Ce second système, forcé dans la taille arbitraire, a été aussi adopté dans les pays de cadastre ou de taille réelle. Ce n’est même qu’à ce système qu’est véritablement approprié le cadastre. Car à quoi sert un cadastre immuable, lorsqu’on demande une partie proportionnelle d’un revenu qui varie ? mais quand on fait une répartition, il faut un tableau fixe. Il n’y a en tout que quatre systèmes possibles sur la répartition de l’imposition territoriale.

1o Celui d’une partie proportionnelle des fruits ; c’est celui de la dîme, dont j’ai déjà parlé et dont j’ai assez développé les avantages et les inconvénients.

2o Celui d’une partie proportionnelle du revenu ; c’est celui des vingtièmes.

3o Celui d’une somme fixe répartie chaque année entre les contribuables, d’après la connaissance qu’ils ont entre eux des produits ; c’est à peu près le système de la taille arbitraire bornée au fonds.

4o Celui d’une somme fixe, répartie d’après une évaluation invariable des héritages ; c’est le système du cadastre ou de la taille réelle.

Le système de la part proportionnelle du revenu aurait de grands avantages.

Une loi immuable pourrait terminer à jamais toutes les disputes entre le gouvernement et le peuple, surtout en fixant une quotité pour la guerre et une pour la paix. On s’arrangerait sur ce pied dans les achats et les ventes, et l’on n’achèterait pas plus la part qu’aurait l’impôt dans le produit net, qu’on n’achète celle du curé. Au bout de quelque temps, il est très-vrai que personne ne payerait d’impôt. Mais le roi serait propriétaire d’une partie proportionnelle du revenu de toutes les terres.

Ce revenu augmenterait comme les richesses de la nation ; et si cette augmentation de richesses augmentait les besoins, il y serait également suffisant. La richesse du roi serait la mesure de la richesse des peuples, et l’administration, toujours frappée par le contre-coup de ses fautes, s’instruirait par une expérience de tous les instants, par le seul calcul du produit de l’impôt.

Ces avantages sont grands, surtout dans une monarchie ; car dans une république ou monarchie limitée, comme l’Angleterre, la nation pourrait n’être pas si satisfaite que le prince n’eût jamais à compter avec elle ; le parlement d’Angleterre perdrait, par une semblable loi, sa plus grande influence, et le roi y serait bientôt aussi absolu qu’en France, personne n’ayant plus d’intérêt de s’opposer à lui.

Si donc il était possible de parvenir à établir cette taxe proportionnelle au revenu, il n’y aurait pas à hésitera préférer cette voie de lever les revenus publics à toute autre.

Mais j’avoue que la chose me paraît entièrement impossible : dans ce système, le roi ou le gouvernement est seul contre tous, et chacun est intéressé à cacher la valeur de son bien. Dans les pays de grande culture, le prix des fermages sert d’évaluation ; mais 1o  tout n’est point affermé ; 2o  il me paraît impossible de parer à l’inconvénient des contre-lettres. On a dit, je le sais, qu’une administration qui inspirerait la confiance, comme pourrait être celle des États, engagerait à déclarer exactement ; mais je crois que ce serait mal connaître les hommes : la fraude serait très-commune, et dès lors ne serait point déshonorante. À peine dans le système de la répartition, où toutes les fraudes sont odieuses parce qu’elles attaquent tous les contribuables, à peine en a-t-on quelque scrupule. Il s’en faut bien que les principes de l’honnêteté et du patriotisme soient enracinés dans les provinces ; ce ne peut être qu’à la longue qu’ils s’établiront par la voie lente de l’éducation.

On propose de rendre les contre-lettres nulles en justice ; mais c’est encourager la mauvaise foi. Le vrai remède à la fraude est de ne donner aucun intérêt de frauder.

D’ailleurs, reste toujours l’objection des provinces où l’on n’afferme point, c’est-à-dire de plus des deux tiers du royaume. Demandera-t-on des déclarations aux propriétaires ? Qu’ont-elles produit pour le vingtième ? Mais, dit-on, dans la Théorie de l’impôt, on laissera subsister l’imposition in statu quo pour les pays où il n’y a point de baux, jusqu’à ce que la culture ait fait assez de progrès pour qu’il y en ait. Cela est bon pour la province entière ; mais à l’égard des paroisses, pour la répartition entre les propriétaires de chaque héritage, il faudrait en revenir aux estimations.

Et puis, attendre bien longtemps pour qu’il y ait partout des baux. Je ferai voir plus bas, lorsqu’il s’agira de développer les progrès de la grande culture[9], qu’ils ne seront pas si prompts que l’imagine M. de Mirabeau[10].

La restauration de la culture ne peut commencer que par les propriétaires. La masse des capitaux destinés à faire la base des entreprises rurales a besoin d’un long temps pour se former.

Il faut donc s’en tenir à la répartition d’une somme fixe, sauf à régler le montant de cette somme fixe suivant une certaine proportion avec les revenus de la nation ; chose dont je ferai voir plus bas la possibilité et les moyens.

Cette répartition ne peut se faire arbitrairement sans tomber dans une grande partie des inconvénients qu’on reproche à la taille. Je dis une partie, non pas tous ; car il faut convenir qu’une partie des inconvénients de l’imposition actuelle vient de ce qu’elle ne porte pas sur le propriétaire, mais sur les cultivateurs et sur les misérables habitants de la campagne. Il en resterait cependant beaucoup.

On peut assurer que dans cette répartition annuelle le pauvre propriétaire serait toujours écrasé, et que tous les gros propriétaires dont la voix serait prépondérante[11]

  1. Voici à quelle occasion fut rédigé ce Mémoire, ou plutôt ce projet de Mémoire. L’équilibre n’avait pas reparu dans le budget depuis la mort de Colbert. Le déficit, atténué par Law au moyen de la banqueroute, s’était reformé promptement après la chute du Système. Il ne faut pas l’imputer à trop grand crime aux ministres de l’époque, car ils n’étaient pas omnipotents comme ceux de nos jours. Il était pour eux d’une extrême difficulté d’accroître les recettes, et d’une difficulté plus forte encore de réduire les dépenses. Tournaient-ils leurs efforts vers le premier point, ils soulevaient contre eux le clergé, la noblesse et le Parlement ; les tournaient-ils vers le second, c’était la cour. On ne vivait donc que d’expédients depuis près d’un demi-siècle ; mais, quand on en était à bout, la pensée surgissait d’employer des ressources plus rationnelles, et de soumettre à l’impôt tous ceux que leurs privilèges en rendaient exempts. On parlait alors de cadastres, de subventions territoriales et générales, de capitations auxquelles nul ne pourrait se soustraire, sauf toujours à ne donner que peu ou pas d’exécution à ces divers projets. C’est par suite d’une pensée de cette nature que le contrôleur général Bertin, auquel furent confiées les finances de 1760 à 1764, appela les intendants à résoudre une série de questions dont le but tendait à modifier l’assiette et la répartition de l’impôt. Turgot attachait trop d’importance à la matière pour ne pas saisir cette occasion de la traiter d’une manière approfondie : par malheur, la retraite du ministre ne lui en laissa pas le temps, et le fit renoncer à un travail dont il n’avait pas même eu le loisir d’achever le canevas, quand elle eut lieu. On jugera, par l’intérêt du fragment que nous a conservé Dupont de Nemours, combien cet abandon est regrettable, et combien son illustre ami avait pris la question de haut. (E. D.)
  2. J’ai entendu un homme calculer les revenus d’une province, en disant : Il y a tant d’hommes ; chaque homme, pour vivre, dépense tant de sous par jour, donc la province a tant de revenu. Taxez proportionnellement un pareil revenu, il faudra que ces gens meurent de faim, ou au moins de misère. Je crois en revenir à la grande question de la soupe des cordeliers ; elle est à eux quand ils l’ont mangée. Il en est de même du prétendu revenu de l’industrie. Quand l’homme a mangé la rétribution proportionnée à son talent ou à l’utilité de son service, il ne reste rien, et l’impôt ne peut pas être assis sur rien. (Note de l’auteur.)
  3. Si nous sommes bien informé, et nous avons tout lieu de le croire, il se concède de nos jours, en matière de douanes, un droit Lien plus exorbitant que celui-là. On sait qu’aux frontières la contrebande a lieu tantôt à pied, tantôt à cheval. Or, dans ce dernier cas, les instructions administratives, sinon la loi, autorisent les agents de la douane à faire feu, non pas il est vrai sur la personne du fraudeur, ou, pour parler plus exactement, de celui qui est réputé tel, mais sur sa monture. Ne trouvez-vous pas la distinction charmante, et le code de la fiscalité éminemment philanthropique ? Comme on n’a pas sous les yeux la preuve officielle de cette disposition, on n’en affirme pas l’existence d’une manière absolue, mais ce qu’on peut garantir, c’est qu’à la frontière du Nord les employés l’admettent aussi bien en pratique qu’en théorie, et qu’elle passe même, dans l’opinion du peuple, pour être conforme à la légalité. Du reste, rien ne doit surprendre de la part d’une législation qui permet la visite corporelle des hommes et des femmes pour repousser l’introduction sur le territoire français de quelques onces de sucre ou de tabac, c’est-à-dire qui soumet les citoyens du dix-neuvième siècle à un genre d’avanie dont les annales seules du moyen âge fournissent des exemples analogues. Mais peut-être, pour comprendre tout ce qu’a de sauvage un pareil procédé, faudrait-il, comme celui qui écrit ces lignes, avoir rencontré, à la délimitation artificielle du territoire, un homme en blouse, armé d’un fusil, qui, d’un ton brusque, vous commande de le laisser visiter vos poches et palper vos vêtements, ou de rebrousser chemin ! (E. D.)
  4. L’intervention et la fatale vigilance des fermiers (de l’impôt) fait-elle accroître les produits ? La valeur vénale donne aux produits la qualité de richesse, et cette valeur vénale est apportée par le commerce. Les fermiers amènent-ils le commerce ? Ce sont au contraire ses pires ennemis, comme nous venons de le voir. S’ils découvrent un filét de commerce, ils ne tendent qu’à asseoir dessus un droit de péage, qu’à l’arrêter par cent formalités insidieuses. Toute la vivification donc qu’ils apportent sur le territoire de l’État, est celle que la vue d’un oiseau de proie donne à une basse-cour ; tout s’agile, tout s’écarte, tout se cache, tout fuit. (Mirabeau, Théorie de l’impôt.)
  5. L’école de Quesnay appelait valeur vénale ce que Smith nomme valeur en échange. (E. D.)
  6. Dans ce cas, le fermage disparaît, mais la rente se maintient toujours.

    « Plusieurs disciples de Smith, a dit M. Rossi, paraissent confondre, comme ceux de Quesnay, le produit net et le fermage au point de croire que le produit net est toujours une cause nécessaire de fermage, et qu’en conséquence il n’y a jamais de produit net lorsque la terre ne donne pas de fermage à son propriétaire. » (Cours d’économie politique, tome II, page 17.)

    Il nous semble que ce passage de Turgot contrarie formellement, en ce qui touche l’école de Quesnay, l’opinion du savant professeur. Cette école concevait très-bien le produit net sans le fermage, mais elle ne concevait pas le fermage sans produit net, et c’est pour cela qu’elle manifestait tant de prédilection eu faveur de la grande culture. (E. D.)

  7. J,-B. Say, après avoir cité un passage du commentaire de Buchanan, qu’il traduit en ces termes : « Le haut prix qui donne lieu au profit foncier, tandis qu’il enrichit le propriétaire qui vend des produits agricoles, appauvrit dans la même proportion le consommateur qui les achète. C’est pourquoi il est tout à fait peu exact de considérer le profit du propriétaire foncier comme une addition au revenu national », ajoute : « Ainsi, voilà la seule valeur que les anciens économistes regardassent comme un revenu, à laquelle on refuse même le nom de revenu. »

    Il nous semble qu’ici J.-B. Say fausse la pensée du commentateur, et que Buchanan n’a voulu dire autre chose, si ce n’est que la société ne gagnait rien à l’existence et surtout à l’élévation de la rente territoriale. Mais cette proposition, dont la première partie manque de vérité, attendu que l’appropriation du sol est un fait social nécessaire, ne prouve pas dans sa seconde, contre le système des anciens économistes, que le profit foncier ne soit un revenu éminemment disponible, et, par cette raison, éminemment imposable, comme le prétendait l’école. Et, à fortiori, prouve-t-elle moins encore que la rente territoriale ne soit pas un revenu réel.

    « Le revenu », dit ailleurs Buchanan, que nous citons toujours d’après J.-B. Say, « dont un consommateur paye ce qui constitue le profit d’un terrain, existe dans les mains du consommateur avant l’achat du produit. Si le produit coûtait moins (c’est-à-dire si le consommateur n’avait pas le profit foncier à payer), la valeur de ce surplus demeurerait entre ses mains et y formerait une matière imposable tout aussi réelle que lorsque, par l’effet du monopole, la même valeur a passé dans les mains du propriétaire foncier. »

    Nous ne concevons pas davantage la force de cette argumentation, toujours dirigée contre le système des anciens économistes. Dans quelle hypothèse, en effet, peut-on admettre que le consommateur n’aurait pas à payer ce qui constitue le profit d’un terrain ? Il est évident que si la terre n’était pas appropriée, elle tomberait dans le domaine public, elle appartiendrait à l’État. Mais de cet état de choses il ne pourrait résulter que deux faits nouveaux : ou l’État tirerait du sol les mêmes redevances qu’en tirent les propriétaires actuels, ou il l’abandonnerait temporairement et sans redevance à ceux qui seraient pourvus des capitaux indispensables à son exploitation. Or, de l’une et de l’autre manière, la rente territoriale subsisterait toujours. Dans le premier cas, ce serait au profit du Trésor, dans le second, au profit des concessionnaires du sol ; les propriétaires fonciers auraient disparu, il est vrai, mais non la rente, c’est-à-dire, selon l’expression de Turgot, ce qui excède la part du cultivateur, ou le remboursement avec bénéfice honnête des avances de toute nature faites à la terre, le salaire du travail y compris nécessairement. Si donc il est impossible d’imaginer une combinaison où les consommateurs échapperaient au payement du profit foncier, il l’est de même de concevoir que ce profit puisse jamais devenir entre leurs mains, comme le veut Buchanan, une matière imposable. (E. D.)

  8. Le revenu de la dîme, calculé depuis avec beaucoup de soin, a été évalué à 100 millions net, qui en coûtaient 20 de perception. C’était donc une charge de 120 millions. Le revenu des biens-fonds et des droits seigneuriaux du clergé excédait 60 millions. — M. Turgot ne faisait ici qu’un projet de Mémoire, dans lequel l’exactitude des principes l’occupait bien plus que la précision des données. (Note de Dupont de Nemours.)

    — Le produit de la dime a été porté à 135 millions, les frais de perception compris, par le comité des contributions publiques de l’Assemblée Constituante. Dans ce calcul entrent pour 10 millions les dîmes inféodées, qui appartenaient à des laïques.

    On trouve dans une brochure publiée en 1788, sous le titre de Lettre du cardinal de Fleury au conseil de Louis XVI, que le clergé possédait en 1655, d’après un dénombrement de ses biens fourni par lui-même, 9,000 châteaux, 250,000 métairies ou fermes, 173,000 arpents de vignes, plus les cens annuels, droits seigneuriaux et dîmes, et indépendamment des bois, moulins, tuileries, forges, fours banaux, pressoirs et autres possessions que les gens de mainmorte faisaient valoir par eux-mêmes. Le revenu annuel de tous ces biens est évalué 412 millions de livres, à quoi l’auteur ajoute 200 millions pour l’accroissement postérieur à 1655. Quoique l’exagération soit extrême, elle ne l’est peut-être pas autant qu’on serait tenté de le croire ; car, dès 1716, des écrivains, qui n’étaient pas hostiles au clergé, portaient la dîme à 154 millions, et le revenu des biens de l’Église, non compris ceux des pays conquis, à une somme au moins égale. Pour notre compte, nous estimons qu’il y a erreur d’au moins moitié dans le chiffre de Dupont de Nemours. (Voyez Économistes financiers du dix-huitième siècle, page 19, note 2.) (E. D.)

  9. Voyez cette question de la grande culture, traitée dans l’Avis sur la taille de 1766.
  10. L’auteur de la Théorie de l’impôt, de l’Ami des hommes, et d’un grand nombre d’autres écrits économiques. — Mort le 13 juillet 1789.
  11. Cet intéressant Mémoire n’a pas été achevé : on en a dit la cause page 393, note. (E. D.)