Œuvres de Turgot (Daire, 1844)/Le Conciliateur

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Texte établi par Eugène DaireGuillaumin (tome IIp. 688-703).


LE CONCILIATEUR,
ou
LETTRES D’UN ECCLÉSIASTIQUE À UN MAGISTRAT,

sur le droit des citoyens à jouir de la tolérance civile pour leurs opinions religieuses ; sur celui du clergé de repousser, par toute la puissance ecclésiastique, les erreurs qu’il désapprouve ; et sur les devoirs du prince à l’un et à l’autre égard[1].
Nulle puissance humaine ne peut forcer le retranchement impénétrable de la liberté du cœur. La force ne peut jamais persuader les hommes ; elle ne fait que des hypocrites. Quand les rois se mêlent de la religion, au lieu de la protéger, ils la mettent en servitude. Accordez donc à tous la tolérance civile, non en approuvant tout comme indifférent, mais en souffrant avec patience tout ce que Dieu souffre, et en tâchant de ramener les hommes par une douce persuasion.
(M. de Fénelon, archevêque de Cambrai.)

Lettre I. — 1er mai 1754.

Serait-il vrai, monsieur, comme je l’ai entendu dire en quittant Paris, que le roi songeât à renouveler les anciens règlements contre les protestants, et en même temps à donner gain de cause au parlement contre le clergé ? Il ne m’a pas paru possible que, par l’inconséquence la plus frappante, le Conseil proposât à la fois deux excès aussi opposés, et prît dans l’une et l’autre affaire le parti le moins juste et le moins raisonnable.

Quoi donc ! tandis qu’il serait permis aux évêques d’exclure les protestants du nombre des citoyens, il leur serait ordonné de distribuer les grâces du Ciel à ceux qu’ils en jugent indignes ! N’est-ce pas la même autorité qui doit dé clarer capables ou incapables de recevoir tous les sacrements ? Faut-il moins de dispositions pour la communion que pour le mariage ? Si le prince peut obliger à donner le sacrement de l’eucharistie, pourquoi n’oblige-t-il pas à donner le sacrement dont il a voulu faire dépendre l’état de ses sujets ? Le mariage n’a-t-il pas plus de rapport au civil que la communion ? Pourquoi donc laisser aux ecclésiastiques tant de liberté sur l’on, et vouloir la leur ôter sur l’autre ? Pourquoi gêner les protestants et favoriser les jansénistes ?

Le Conseil a sans doute fait ces réflexions, et il n’y a pas d’apparence que la fin de toutes les affaires présentes soit le projet bizarre de persécuter en même temps les calvinistes et le clergé.

Mais si le Conseil a fait ces réflexions, monsieur, il faut qu’une grande partie du public ne les ait pas faites : rien n’est si commun que d’entendre dire aux mêmes gens, et à des gens qui devraient être instruits, qu’il ne faut gêner personne, et en même temps qu’on doit traiter les protestants de rebelles. « Pourquoi, dit-on, tourmenter les consciences ? » Et tout de suite on ajoute : Ne serait-il pas mieux de tourner tout son zèle à la destruction du calvinisme ? »

Cette contradiction ne viendrait-elle pas de deux idées bien vraies, qu’on ne distinguerait point assez ? Je veux dire la nécessité de ne point contraindre les consciences dans l’ordre civil, et la nécessité de n’admettre qu’une religion dans l’ordre spirituel.

Vous savez qu’il y a deux sortes de tolérances : la tolérance civile, par laquelle le prince permet, dans ses États, à chacun de penser ce qu’il lui plaît, et la tolérance ecclésiastique, par laquelle l’Église accorderait la même liberté dans la religion. Ne confondrait-on pas aujourd’hui ces deux choses ? Ne serait-on pas tantôt trop contraire aux protestants, parce qu’on veut exclure la tolérance ecclésiastique, et tantôt trop favorable aux jansénistes, parce qu’on sent l’équité de la tolérance civile ?

J’ai imaginé, monsieur, que c’était là la seule source des divisions actuelles ; j’ai cru même qu’en éclaircissant ces idées, et en distinguant avec soin ces deux espèces de tolérances, il serait aisé de voir quel parti la cour doit prendre vis-à-vis des protestants et vis-à-vis du clergé. J’ai fait plus, j’ai succombé à la tentation de mettre par écrit des réflexions que nous avons faites plusieurs fois ensemble ; je vous les envoie, vous jugerez si je leur ai donné toute la précision et toute la clarté nécessaires.

Voici, monsieur, quels sont mes principes. Il ne peut y avoir qu’une religion vraie. La révélation admise, toute religion qui s’écarte de la révélation est une imposture ; Dieu ne peut avoir qu’un langage.

Il n’y a donc qu’une seule voie de salut, parce que, hors de la véritable religion, il n’y a aucun salut à espérer. Peut-on se promettre les récompenses du Seigneur, quand on n’est pas docile à sa voix ?

Il est convenu entre nous que la religion chrétienne est cette seule religion vraie à laquelle il faut être soumis pour être sauvé ; le nombre et l’éclat de ses miracles, la sainteté de sa doctrine, la foi de ses martyrs : tout nous annonce qu’elle nous a été donnée par celui qui commande aux éléments.

Comme il ne peut y avoir qu’une seule religion vraie, aussi dans cette religion ne peut-il y avoir qu’une seule foi, un seul culte, une seule morale. L’Église est la société des fidèles qui, soumis aux mêmes pasteurs, unis par la même croyance, participent aux mêmes sacrements. Il n’y a donc rien de si absurde que d’admettre dans l’Église cette liberté de conscience, cette tolérance ecclésiastique, qui tantôt augmente et tantôt diminue le nombre des articles de foi, qui outre ou pervertit la morale, qui dans une seule religion en introduit plusieurs, et qui rassemble toutes les erreurs où il ne doit y avoir qu’une vérité ! Monstre inventé par Jurieu, dont l’esprit a su, par une contradiction bizarre, réunir cette licence d’opinions avec le fanatisme le plus aveugle et l’intolérance la plus cruelle.

Puisqu’il n’y a qu’une voie de salut, tous les hommes doivent la suivre, et empêcher les autres de s’en écarter. Ce que la prudence nous prescrit, la charité nous en fait un devoir pour nos frères, et nous ne devons rien épargner pour convertir les cœurs au Seigneur.

La conversion d’une âme dépendant de l’intime persuasion des vérités qu’on veut lui faire goûter, le véritable, le seul moyen de convertir est de persuader. Pour rendre quelqu’un bon chrétien, il ne suffit pas de lui faire dire je crois, si la conscience n’avoue ce que la langue prononce ; ce serait rendre coupable d’un parjure celui qu’on voudrait retirer de l’erreur ; on n’est converti qu’autant qu’on est convaincu.

Outre ce moyen de convertir, l’Église doit en avoir un particulier qui soit propre en même temps à punir et à corriger. La société des fidèles ne devant admettre qu’une seule croyance, elle doit pouvoir retrancher de son sein ceux qui enseignent une doctrine contraire à la sienne.

L’excommunication, l’anathème, sont donc des peines que l’Église a droit d’infliger, pour punir les rebelles, et se conserver sans tache. Toute religion, toute société peut exclure ceux qui ne pensent pas comme elle ; sans cela elle ne se conserverait pas cette unité précieuse qui lui est nécessaire pour subsister.

Mais ce que peut faire la société des fidèles, chaque fidèle ne le peut pas. Il n’appartient à personne de dire anathème à son frère ; on n’a que la voie de la persuasion, qu’il ne faut jamais négliger, pour y suppléer par celle de l’aigreur et des menaces.

L’Église elle-même ne peut avoir pour punir que la voie de l’excommunication ; toute punition corporelle lui est interdite, parce que le royaume de Jésus-Christ n’est pas de ce monde. La religion conseille aux chrétiens les austérités de la pénitence ; mais ses ministres ne sont pas en droit de les y contraindre par la force : il n’y a que l’apôtre encore charnel, qui ait pu désirer que le feu du ciel descendît sur les Samaritains qui ne voulaient pas recevoir le fils de Dieu[2]. Jésus-Christ est venu pour sauver les âmes et non les perdre. Les tourments rendent malheureux dans ce monde, mais ils ne rendent pas heureux dans l’autre[3]. Pour qu’une religion subsiste dans un État, il n’est pas nécessaire qu’elle soit la religion du prince. On sait les progrès étonnants que le christianisme a faits sous les empereurs païens ; on sait ceux qu’il fait tous les jours par le zèle de nos missionnaires ; les sujets peuvent être fidèles, et le prince n’être pas encore éclairé.

Quoiqu’une religion ne soit pas la religion du prince, elle ne s’en gouverne pas moins d’une manière fixe et invariable ; elle n’en a pas moins ses lois, sa croyance, sa coutume, et son culte. L’Église sous les Néron fixait ses articles de foi, comme sous les Constantin ; elle excluait également de son sein ceux qui déchiraient ses entrailles.

Quand un prince embrasse une religion, il n’a pas droit d’y rien changer ; il devient disciple et non réformateur. La profession de foi n’ajoute rien à la puissance. Auguste était aussi maître que Constantin, Trajan que Théodose.

S’il s’élève quelque dispute dans la religion, le roi n’a donc aucun droit à sa décision. Avant qu’il l’eût embrassée, cette dispute eût été terminée par les lois de cette religion : ces mêmes lois doivent subsister ; elles ne peuvent dépendre de la croyance incertaine du prince, elles deviennent respectables pour lui, mais il n’en est pas l’arbitre.

Un prince qui devient chrétien est donc un fidèle de plus qui se soumet à la vérité ; mais, dans l’ordre de la religion, ce n’est qu’un simple fidèle ; c’est un enfant que l’Église reçoit, ce n’est pas un maître qu’elle se donne.

Un prince chrétien ne peut donc pas plus qu’un simple fidèle dire anathème à ses frères : à la vérité, placé dans un rang où les exhortations sont plus puissantes, les conseils plus efficaces, les exemples plus imposants, il doit chercher à ramener par tous ces moyens ceux qui se sont écartés de la vérité ; mais loin de lui les voies de contrainte et d’autorité ! Dans la religion, le prince a plus d’obligations qu’un particulier ; il n’a pas plus d’empire.

Mais si le prince n’a pas le droit de dire anathème à ses frères, il n’a pas non plus celui de les punir lorsqu’ils ne pensent pas comme lui. On ne peut punir que lorsqu’on peut commander. Si Jésus-Christ reprend l’apôtre intolérant, que dirait-il au prince persécuteur ? C’est se méfier du Dieu qu’on sert que d’employer pour établir son culte les armes fragiles de l’autorité humaine. La religion, établie malgré les persécutions, aurait-elle besoin du bras du prince pour se soutenir ? C’est être chrétien que de désirer que tout le monde le devienne ; c’est être tyran que d’y contraindre le dernier des sujets.

Quoique ces principes me paraissent démontrés, monsieur, je sens qu’ils ne le paraîtront pas à tout le monde. Mais, avant de les justifier plus amplement, je me hâte d’en tirer les conséquences relatives aux affaires présentes, persuadé qu’un des meilleurs moyens de faire goûter un sentiment, est d’en montrer l’utilité.

Le prince a quatre sortes de personnes à contenter : les protestants, les jansénistes, les évêques et le Parlement. Il paraît difficile de les satisfaire tous. Chaque parti a ses préjugés ; mais ce ne sont pas les préjugés qu’il faut consulter ; la faveur même ne doit avoir aucune part dans cette occasion. La justice seule doit décider ; que le prince ne fasse exactement que ce qu’il a droit de faire, chaque parti se plaindra d’abord de ce qu’il n’aura pas fait davantage en sa faveur ; mais bientôt après chaque parti le bénira d’avoir su rendre à chacun ce qui lui est dû.

Or, voici ce que le roi est en droit de faire.

Il doit dire aux protestants : « Je gémis et je dois gémir de vous voir séparés de l’unité ; la persuasion où je suis que la vérité ne se trouve que dans le sein de l’Église catholique et la tendresse que j’ai pour vous, ne me permettent pas de voir votre sort sans douleur. Mais quoique vous soyez dans l’erreur, je ne vous en traiterai pas moins comme mes enfants. Soyez soumis aux lois ; continuez d’être utiles à l’État dont vous êtes membres, et vous trouverez en moi la même protection que mes autres sujets. Mon apostolat est de vous rendre tous heureux. »

Il doit dire aux jansénistes : « Je voudrais que l’Église fût sans division, mais il ne m’appartient pas de les terminer ; je voudrais qu’on pût ne pas vous dire anathème, mais ce n’est pas à moi qu’il appartient de le suspendre, ou de le prononcer. Je suis fidèle et je ne suis pas juge. Tout ce qui me regarde, c’est de vous faire jouir tranquillement de votre état de citoyens : ce n’est que sous ce rapport que je dois m’intéresser à vous. Ne craignez donc ni peine, ni exil, ni prisons. Fasse le Ciel que la paix revienne dans l’Église ! mais malheur à moi si ses divisions en entraînaient dans l’État ! »

Il doit dire aux évêques : « Personne ne respecte plus que moi votre voix ; je suis soumis à vos décisions ; je n’aurai d’autre foi que la vôtre ; mais jamais je ne me mêlerai des affaires de la religion. Si les lois de l’Église devenaient celles de l’État, je mettrais la main à l’encensoir ; or, je n’ai aucun droit pour exiger de mes sujets qu’ils pensent comme moi. Employez vos exemples, vos exhortations pour les convertir ; mais ne comptez pas sur mon autorité. Si j’étais assez malheureux pour n’être pas chrétien, seraisje en droit de vous obliger à cesser de l’être ? Vous avez vos lois pour terminer les divisions, je vous en laisse les arbitres ; mais je ne prêterai point des armes temporelles à l’autorité spirituelle. Inutilement me presseriez-vous de tourmenter les protestants et les jansénistes, d’exiler les uns, d’emprisonner les autres, de les priver tous de leurs charges ; je vous dirai avec le même esprit que vous admirez dans Gamaliel : « Sans doute que leur doctrine est l’ouvrage des hommes ; Dieu saura bien la détruire[4]. » Comptez donc sur ma soumission comme fidèle ; comme roi, ne comptez que sur la même justice que je dois à tous mes sujets. »

Il doit dire aux parlements : « Mon autorité et la vôtre se confondent ; je vous ai confié mon pouvoir, et je ne songe pas à le retirer ; mais vous ne pouvez en avoir plus que moi-même ; je n’en ai aucun dans l’ordre spirituel : mon empire n’est pas établi pour sauver les âmes. Votre juridiction ne peut donc avoir plus d’étendue : laissez aux évêques le soin de terminer les divisions de l’Église ; ayez seulement attention que mes sujets ne soient pas inquiétés dans leur honneur, dans leur fortune, dans leur vie ; réservez-vous tout ce qui les regarde comme citoyens ; laissez à l’Église tout ce qui les regarde comme fidèles. »

Voilà, monsieur, ce que le roi est en droit de dire à chaque parti, suivant les principes que j’ai établis : tout autre langage deviendrait nécessairement celui de l’usurpation ; et, favorisant un parti contre l’autre, exclurait toujours la paix et la tranquillité. Mais il est temps d’établir plus au long ces principes, et de répondre aux difficultés qu’on peut faire contre tout ce que je viens de dire. Ce sera pour la lettre suivante.


Lettre II. — À ……, le 8 mai 1754.

Tout ce que j’ai dit ci-dessus, monsieur, est fondé sur le principe de la tolérance civile. Quoique tous les hommes soient portés à l’admettre, on est si accoutumé à l’entendre proscrire, qu’on craint presque, en l’adoptant, de se rendre coupable de témérité, et de paraître indifférent sur la religion. Nous avons le cœur tolérant ; l’habitude nous a rendu l’esprit fanatique. Cette façon de penser, trop commune en France, est peut-être l’effet des louanges prodiguées à la révocation de l’édit de Nantes : on a déshonoré la religion pour flatter Louis XIV ; il faut donc montrer plus au long que la tolérance ecclésiastique est la seule que la religion exclue, et que cette même religion proscrit l’intolérance civile. Pour le faire voir, je n’aurai recours à aucune de ces raisons purement humaines, qui peuvent éclairer la foi du chrétien, mais qui ne doivent pas la guider. J’ai appris à ne connaître dans la religion que l’autorité ; je donnerai pour garants de mon sentiment Jésus-Christ et les Pères de l’Église : vous trouverez, monsieur, dans les ouvrages de ces derniers, les mêmes raisonnements que nous avons faits plusieurs fois ; revêtus de leur autorité, ils vous paraîtront plus respectables.

Je vous ai déjà montré Jésus-Christ reprenant ses apôtres, qui voulaient que le feu du ciel tombât sur les Samaritains ; chaque instant de sa vie est marqué par un trait du même esprit. Il ne dit pas à ses disciples d’implorer le secours des princes pour contraindre les infidèles, et d’employer l’autorité humaine pour ramener les âmes à lui ; mais il leur dit de laisser croître l’ivraie au milieu du bon grain jusqu’au temps de la moisson, où le maître lui-même en fera le discernement. Il fait des miracles pour convaincre les esprits, et non pour subjuguer les corps. Si ses apôtres lui proposent d’éloigner les soldats qui viennent pour se saisir de lui, il leur répond qu’une légion d’anges serait prête de venir à ses ordres pour exterminer ses persécuteurs, mais que son royaume n’est pas de ce monde. Il fait un miracle pour leur apprendre à ne pas confondre les, droits de Dieu et ceux de César, les choses du ciel avec celles de la terre. S’il leur dit d’engager tout le monde à venir au souper du père de famille, quelque fortes que soient ses expressions, elles ne signifient que la vivacité du zèle dont ses ministres doivent être animés. Pressez-les d’entrer, leur dit-il ; et une preuve qu’il n’a pas voulu dire : contraignez-les, c’est que les convives ont toujours été les maîtres de refuser, et que d’autres ont été invités à leur place. Si ses apôtres eux-mêmes veulent le quitter, il ne leur dit que ces paroles tendres : « Et vous aussi, « vous voulez donc vous en aller ! » Et comment aurait-il approuvé la contrainte ? Ce sont moins les hommages extérieurs qu’il demande, que le sacrifice du cœur et l’adhésion de l’esprit. Un consentement donné à la crainte ou à l’intérêt ne rend pas chrétien ; pour l’être, il faut croire : l’autorité peut bien arracher un sacrifice, mais elle ne peut persuader. Ce n’est donc pas là la voie que Jésus-Christ a marquée à sa religion pour s’étendre : il a même exclu les peines que la loi judaïque ordonnait contre les infracteurs[5]. L’enfant prodigue, qui quitte la maison paternelle, n’est point poursuivi, pour servir d’exemple ; on désirera, mais on ne précipitera pas son retour.

Tel est, monsieur, l’esprit de l’Évangile. Je me défierais cependant de moi-même, et je croirais l’avoir mal compris, si je ne voyais les mêmes sentiments dans les Pères. Vous serez étonné de la force avec laquelle les fonda teurs de notre religion prêchent cette même tolérance, si contraire aux idées de quelques personnes peu instruites.

« Il n’y a que l’impiété, dit Tertullien, qui ôte la liberté de religion, et qui prétende enchaîner les opinions sur la Divinité, en sorte qu’on ne puisse adorer le Dieu qu’on veut, et qu’on soit forcé de croire celui qu’on ne veut pas. Que nous importent les sentiments des autres ? La force n’appartient point à la religion ; on doit l’embrasser de plein gré, et non par contrainte[6]. »

« Le propre de la vraie religion, dit saint Athanase, n’est pas de contraindre, mais de persuader… C’est ce que Jésus-Christ voulait nous faire entendre, quand il disait au peuple : « Si quelqu’un veut venir à moi » ; et à ses apôtres : « Et vous aussi, vous voulez donc me quitter[7] ! »

« La foi, dit saint Ambroise, vient de la volonté, et non de la nécessité[8]. »

« Si quelqu’un ne veut pas croire, dit saint Chrysostôme, qui est-ce qui a droit de l’y contraindre[9] ? »

« Ce n’est pas, dit Théophilacte, que je veuille commander à votre foi, qui doit être volontaire ; car qui peut faire croire quelqu’un malgré lui[10] ? »

Mais personne n’a parlé sur ce point plus fortement que Lactance. « Il faut défendre la religion, dit-il, non par le meurtre, mais par le martyre ; non par la persécution, mais par la patience ; non par le crime, mais par la foi… Si vous voulez défendre la religion par les supplices, vous ne la défendez pas, vous la souillez, vous la transgressez. Rien n’est si volontaire que la religion… Nous ne demandons pas qu’on adore Dieu malgré soi ; et si quelqu’un ne le fait pas, nous n’avons pas contre lui de colère… C’est dans la religion, dit-il ailleurs, que la liberté a établi sa demeure[11]. »

« Vous comprenez, disait saint Hilaire à l’empereur Constance, qu’on ne doit contraindre personne, et vous ne cesserez de veiller à ce que chacun de vos sujets jouisse des douceurs de la liberté… Permettez aux peuples de prendre pour guides ceux qu’ils voudront… Il n’y aura alors ni divisions ni murmures… Dieu a plutôt montré qu’on devait le connaître qu’il ne l’a exigé… Il a rejeté tout hommage forcé. Si l’on employait la violence en faveur de la vraie foi, les évêques s’élèveraient et diraient : « Dieu est le Dieu de tous les hommes, il n’a pas besoin d’un hommage involontaire ; il rejette toute profession forcée ; il ne faut pas le tromper, mais le servir ; c’est pour nous et non pour lui que nous devons l’adorer. Je ne puis recevoir que celui qui veut, écouter que celui qui prie, mettre au nombre des chrétiens que celui qui croit. — douleur ! dit-il encore, les hommes protégent la religion de Dieu[12] ! »

Saint Augustin lui-même, qui n’a pas toujours été porté à la douceur, disait aux manichéens : « Que ceux-là sévissent contre vous, qui ignorent combien il est difficile de découvrir la vérité et d’éviter les erreurs. Pour moi, je ne puis sévir contre vous ; je vous dois les mêmes égards et la même dou ceur qu’on me devait et qu’on a eus pour moi, lorsque j’étais comme vous aveugle et insensé[13]. »

Tel a toujours été le langage des Pères ; j’ai abrégé leurs témoignages pour n’être pas obligé de répéter les mémos raisons. Leurs ouvrages ont presque tous été écrits quand les païens persécutaient les chrétiens. Quelque différence sensible qu’il pût y avoir entre les traits de mensonge qui accompagnaient le paganisme, et les caractères de vérité que portait avec soi la religion chrétienne, les Pères, pour éloigner les persécutions, ne disaient point aux empereurs païens : « C’est à tort que vous persécutez une religion qui nous a été donnée par le Tout-Puissant ; l’autorité ne doit être employée que pour la vérité, et nous seuls vous l’annonçons. » Ce n’étaient pas là les armes dont ils se servaient pour arrêter le glaive des persécuteurs ; c’était contre la persécution elle-même, contre l’autorité civile qui se mêlait de commander aux esprits, contre la nécessité qu’on voulait leur imposer d’adorer ce qu’ils ne croyaient pas ; c’était contre la contrainte, en un mot, qu’ils dirigeaient toutes leurs attaques ; ils la regardaient comme le caractère distinctif de toutes les fausses religions[14].

L’Histoire ecclésiastique nous fournit un bel exemple de cette manière de penser, dans un des saints les plus célèbres qu’ait eus l’Église d’Occident. Saint Martin ne voulut pas communiquer avec quelques évêques d’Espagne, qui n’avaient d’autre tort que d’avoir demandé à l’empereur Maxime la mort des priscillianistes ; et lorsqu’à la sollicitation de ce prince, et pour sauver la vie à ces mêmes hérétiques, il se fut laissé ébranler dans cette résolution, son historien nous apprend que cette complaisance fut pour lui le sujet du repentir le plus amer ; « tant il paraissait horrible, dit M. l’abbé de Fleury (Discours sur l’histoire ecclésiastique), que des évêques eussent trempé dans la mort de ces hérétiques, quoique leur secte fût une branche de l’hérésie détestable des manichéens. »

Je sais que dans la suite quelques ministres de l’Église, excités par un zèle indiscret, ont armé le bras des princes contre les hérétiques ; mais si leur conduite en cela fait honneur à leur foi, elle n’en fait pas assurément à leur charité. Quand même, par des raisons humaines dont la religion rougit, quelques évêques, dans les siècles postérieurs, auraient intéressé les princes dans la cause de la religion, que peut faire leur autorité contre celle des premiers Pères de l’Église, qui vivaient dans des temps moins éloignés de Jésus-Christ et dans les siècles de persécutions, c’est-à-dire dans un temps où la doctrine était le plus pure, et où les passions ne pouvaient pas influer sur leur langage ? Le concile de Tolède défend qu’on fasse violence à personne pour l’obliger à croire[15]. Ximénès enfreint les décrets du concile pour étendre l’inquisition. Ximénès suit un zèle aveugle ; mais les décrets du concile n’en sont pas moins respectables.

Voilà donc, monsieur, la tolérance civile vengée des insultes de ceux qui imaginent que pour être chrétien il faut être persécuteur. Il ne me reste plus qu’à répondre aux difficultés qu’on peut faire, tant sur les principes déjà établis, que sur les conséquences que j’en ai tirées. « Quoi ! dira-t-on, le salut des âmes n’est-il pas une chose assez intéressante pour mériter l’attention du prince ? Ne doit-il pas employer toute son autorité pour remettre ses sujets dans la voie du ciel ? Et comment pourra-t-il remplir ce devoir, s’il est tolérant ? »

1o Si l’utilité d’une chose rendait légitimes tous les moyens de la procurer, chacun pourrait dire à son voisin : « Sois catholique, ou je te tue. » Inutilement observerait-on qu’un particulier n’a aucun droit sur la vie d’un autre. Cet exemple démontre que l’utilité ne peut pas donner ce droit, même au prince, qui ne l’a pas par sa dignité. Quelque avantageux que puissent être des droits, s’ils sont usurpés, ils sont injustes. Il n’y a point de principe plus pernicieux que celui qui autoriserait à être utile aux autres malgré eux. Il est utile sans doute que tout le monde fasse son salut ; mais il serait impossible et même dangereux que le soin en fût remis à l’autorité humaine : impossible, puisque ce ne serait pas être chrétien que de ne l’être que parce que le prince le voudrait ; dangereux, puisque ce serait exposer les peuples à toutes sortes de vexations. De plus, si ce principe était vrai, le prince aurait droit de punir ses sujets pour les fautes journalières, comme les mensonges, les excès dans le boire et dans le manger, etc., fautes qui ne sont pas moins contraires au salut que l’hérésie et l’infidélité. Il me semble qu’on est sur cet article d’une inconséquence extrême : on regarderait comme un tyran celui qui punirait pour un mensonge ; on loue quelquefois celui qui punit pour une erreur. Une faute contre la charité est-elle donc plus excusable, moins dangereuse à la société, moins nuisible au salut, qu’une faute contre la foi ?

« Ce n’est pas le prince, dit-on, qui se mêle de décider ; il suit et fait exécuter les décisions de l’Église. Le concile de Trente a proscrit les protestants, la Constitution proscrit les jansénistes ; le prince a fait de ces décisions des lois de l’État : ceux qui y contreviennent enfreignent les lois du royaume ; ils peuvent être punis sans que pour cela le roi soit regardé comme s’étant mêlé des affaires de la religion. »

Mais le roi a-t-il le droit de faire une loi de l’État, du concile de Trente ou de la Constitution ? Les premiers Pères de l’Église ne demandaient pas aux princes païens de faire de l’Évangile une loi de l’empire. Ils ne leur demandaient que la liberté de professer leur religion, et ils les remerciaient lorsqu’ils avaient le bonheur de l’obtenir. C’est toujours à ces premiers temps qu’il faut remonter pour fixer les bornes des deux puissances. Quand les princes sont devenus chrétiens, les évêques, pour se mêler des affaires d’État, ont demandé que leurs décisions fussent des lois du royaume. Les princes, ou par zèle, ou par intérêt, s’imaginant avoir par là plus d’autorité sur leurs sujets, ont cru devoir y condescendre : les uns et les autres se sont trompés ; ils ont perdu des deux parts en voulant usurper ; chacun s’est attribué des droits qu’il n’avait pas, et par conséquent chacun a dérogé aux droits qu’il avait ; car la même loi étant devenue loi de l’Église et de l’État, comment leurs prétentions auraient-elles pu être éclaircies ?

Mais remontons à l’origine des choses, nous verrons la religion telle qu’elle devrait toujours être, séparée du gouvernement ; l’Église occupée du salut des âmes, l’empire occupé du bonheur des peuples ; l’un et l’autre ayant ses lois distinctes, comme les choses du ciel doivent l’être de celles de la terre. Faire un édit d’une décision de l’Église, ce n’est pas à la vérité usurper vis-à-vis d’elle le droit de fixer les articles de foi ; mais c’est l’usurper vis-à-vis des peuples ; c’est les obliger à s’attacher à l’Église qu’on regarde comme la véritable ; c’est les contraindre à adopter un sentiment, parce qu’il nous paraît le plus vrai ; c’est, parce qu’on croit une chose, la vouloir faire croire aux autres : n’est-ce donc pas là dominer sur les consciences, et se mêler des affaires de la religion ? Si le roi de France peut faire du concile de Trente et de la Constitution des lois de l’État, le roi d’Angleterre n’en pourrait-il pas faire autant de la suprématie, le Turc de l’Alcoran, chaque prince de sa religion ? Cette idée nous révolte, parce que dans les pays étrangers nous serions les persécutés : ne doit-elle pas nous révolter de même quand nous pouvons être les persécuteurs ?

« Mais, ajoutera-t-on, le prince sera donc obligé de tolérer dans ses États toutes sortes de religions, celles-là même qui seraient contraires au bien de la société, qui ordonneraient des sacrifices humains, etc. ? » — À Dieu ne plaise que j’établisse jamais des principes si contraires au bonheur de la société ! je ne cherche qu’à lui être utile. — Les actions sont la seule chose qui intéresse l’État dans la religion. Quant à la doctrine, et même à la morale, dans les objets de pure spéculation, elles doivent lui être indifférentes. Or, les actions sont contraires au bien de la société, ou ne le sont pas. Si elles n’y sont pas contraires, pourquoi défendrait-on d’en faire un acte de religion ? Si elles le sont, elles sont déjà proscrites et ne peuvent jamais être autorisées. Il est indifférent à l’État que chaque jour je purifie mon corps par différentes ablutions. Cette pratique peut être superflue, mais elle ne peut être dangereuse : les rois n’ont pas droit de m’empêcher d’en faire une cérémonie religieuse, mais il est défendu de tremper ses mains dans le sang des autres. Si je prêche une religion qui le permet, le prince peut, il doit même me proscrire ; mais c’est moins l’action religieuse que l’action criminelle qui sera défendue ; ce ne sera un crime d’immoler, que parce que c’en est déjà un de tuer. Les peuples ne sont pas indépendants des rois dans leurs actions ; ils ne le sont que dans l’hommage qu’ils prétendent en faire à la Divinité.

« Si le roi, poursuit-on, est obligé de permettre toutes les religions dont la doctrine n’est pas contraire au bien de l’État, quel assemblage monstrueux de sentiments allez-vous introduire ! Croyez-vous que la paix puisse subsister dans des esprits remplis de principes si opposés ? L’unité de religion n’est-elle pas nécessaire dans un gouvernement ? Nos campagnes fument encore du sang répandu dans les guerres de religion. »

Je sais de combien de guerres les hérésies ont été la source ; mais n’est-ce point parce qu’on a voulu les persécuter ? L’homme qui croit de bonne foi, croit encore avec plus de fermeté quand on veut le forcer de changer de croyance sans le convaincre ; il devient opiniâtre alors ; son opiniâtreté allume son zèle, son zèle l’enflamme ; on a voulu le convertir, on en a fait un fanatique, un furieux. Les hommes dans leurs opinions ne demandent que la liberté ; si vous voulez la leur ôter, vous leur mettez les armes à la main ; supportez-les, ils resteront tranquilles, comme les luthériens le sont à Strasbourg. C’est donc l’unité de religion à laquelle on veut contraindre, et non la multiplicité d’opinions qu’on tolère, qui occasionne les troubles et les guerres civiles. Les païens permettaient toute opinion, les Chinois suivent les mêmes principes, la Prusse n’exclut aucune secte, la Hollande les réunit toutes, et ces peuples n’ont jamais eu de guerre de religion. L’Angleterre et la France ont voulu n’avoir qu’une religion ; Londres et Paris ont vu ruisseler le sang de leurs habitants.

« Mais les assemblées qui sont nécessaires pour chaque religion ne pourront-elles pas devenir dangereuses ? » — Oui, sans doute, si vous les proscrivez ; on n’y sera occupé alors que des moyens de se soutenir et de venger sa foi opprimée. Mais laissez aux hommes la liberté de se trouver dans les mêmes lieux, pour offrir à Dieu le culte qu’ils jugent lui être agréable ; et leurs assemblées, quel que soit ce culte, ne seront pas plus dangereuses que celles des catholiques. Toutes ont pu servir de prétexte à des esprits séditieux, aucune n’en servira lorsqu’elles seront libres ; et si quelqu’un malintentionné venait à en abuser, il serait facile d’arrêter les progrès du mal. Les assemblées des protestants sont secrètes, parce qu’elles sont défendues ; autorisées, elles seraient aussi publiques que les nôtres : pourquoi veut-on que l’assemblée d’une secte soit plus nuisible à l’État que l’assemblée d’une autre ? Qu’en Angleterre ce soit celle des catholiques, en France celle des protestants, partout celle qui ne pense pas comme le prince ? Toute assemblée civile qui est séditieuse doit être interdite ; toute assemblée religieuse doit être permise, parce qu’elle est toujours indifférente.

« Mais, dira-t-on encore, n’y aura-t-il pas un milieu entre la persécution et la tolérance ? Sans employer les châtiments, le prince ne peut-il pas exclure des charges ceux qui ne pensent pas comme lui, les punir par l’exil, par, etc. ? »

Le prince, en ces matières, n’est pas plus en droit d’infliger des peines légères, que d’en infliger de considérables ; il faut être juge pour punir. La liberté, l’honneur, la fortune des sujets, ne sont pas des biens dont le prince puisse disposer plus que de leur vie. Si le roi peut exiler un janséniste, il peut lui enjoindre de ne l’être pas ; car l’exil est une punition, une privation de la liberté. — Quant aux charges, autre chose est de ne les point donner aux individus que l’on n’en croit pas dignes (ce qui est un droit, ou pour mieux dire un devoir incontestable des princes et des gouvernements), autre chose d’en déclarer incapable toute une classe de citoyens, dans laquelle on peut rencontrer et l’on sait même qu’il existe beaucoup d’hommes de capacité et de vertu. Alors c’est avilir cette classe. Mais peut-on, doit-on avilir en masse, des hommes qui n’ont commis aucun délit ? Voulons-nous être de meilleure foi ? Demandons-nous ce que nous pensons de la loi qui, en Angleterre, exclut des charges les catholiques ; et ce que nous nous répondrons en notre faveur, répondons-nous-le en faveur de nos frères errants.

« Mais cette tolérance qu’on accorderait aux protestants, serait une véritable intolérance contre les évêques, qu’on forcerait sans doute à les marier. » Je ne prétends pas obliger les évêques à donner un sacrement malgré eux ; c’est un bien dont je leur laisserai toujours l’administration ; mais je voudrais que ce ne fût ni le sacrement de baptême, ni celui de mariage, qui fixât l’état des citoyens[16]. J’en reviens toujours aux premiers temps de l’Église ; les enfants étaient légitimes, et jouissaient de l’héritage de leurs pères, sans l’un et l’autre de ces sacrements. Il est encore mille moyens de rendre leur état indépendant.

« Mais le prince souffrira donc que ses sujets soient vexés par les évêques, que ceux-ci dominent sur les consciences, et refusent les sacrements aux jansénistes ?. »

Le prince souffrira ce qu’il n’est pas en droit d’empêcher, ce qu’il ne peut empêcher qu’en commettant une injustice, c’est-à-dire en usurpant les droits de l’Église, et en tourmentant lui-même ses sujets. Je ne conçois pas comment on ne veut pas comprendre que le roi ne peut enjoindre aux évêques de donner les sacrements aux jansénistes, qu’en s’arrogeant le droit de décider qu’ils n’en sont pas indignes, et en décidant en même temps qu’on ne peut jouir de l’état de citoyen sans les avoir reçus : deux choses qui excèdent manifestement son autorité. Il suffit, pour en être persuadé, de considérer que toute autorité légitime a nécessairement le moyen de faire exécuter ce qu’elle ordonne : or, malgré tous les arrêts et les décrets, on ne pourra jamais obliger les évêques à donner les sacrements aux jansénistes. Le refus ne regarde donc pas l’autorité humaine. S’il est accompagné d’injures, le prince peut punir le prêtre qui insulte ; les injures ne sont pas plus permises dans l’église que dans la rue. Mais le roi ne peut connaître du refus, encore moins de ce qui l’occasionne[17].

« Le roi n’aura donc aucune inspection sur tout ce qui peut concerner la religion ; et si par hasard il s’élève quelque dispute qui mette le trouble dans l’État, il ne pourra le réprimer. » — Qu’entend-on par inspection sur ce qui concerne la religion ? Est-ce inspection sur le dogme ? Les opinions sont par leur nature indépendantes de toute autorité, elles ne se commandent point, la persuasion seule peut les faire changer. — Est-ce inspection sur le culte ? Mais le culte fait partie du dogme : les cérémonies, les pratiques sont toutes des articles essentiels de chaque religion : la messe et l’office divin ne nous séparent pas moins des protestants, que la confession et la présence réelle. Ce serait donc gêner les consciences et dominer sur les esprits, que de vouloir déterminer à chacun la manière dont il doit servir Dieu. D’ailleurs, les opinions purement spéculatives et le culte ne doivent pas être indifférents à chaque particulier ; mais ils doivent l’être à l’État, puisque ce n’est ni le dogme, ni le culte, qui rendent bon ou mauvais citoyen. Ce sera donc sur la morale d’une religion et sur ses ministres que portera l’inspection que doit avoir le prince ; mais cette inspection, quelque étendue qu’elle puisse être, ne doit pas porter atteinte à la tolérance civile. Je l’ai déjà dit, toute doctrine, toute action contraire au bien de la société, doit être défendue. Pour la défendre, il est égal qu’elle soit ou ne soit pas un acte de religion ; son rapport au bien public, voilà la règle du prince. S’il est sage, il proscrit tout ce qui s’y oppose, il ordonne tout ce qui le favorise, il tolère tout ce qui est indifférent ; mais, dans ce qu’il permet et ce qu’il défend, il n’a égard qu’à l’utilité civile, et jamais au salut des âmes. L’opinion des sujets ne dépend pas de celle du roi ; mais leur opinion n’exempte pas leurs actions de ses lois. Le prince qui permettrait de croire en Mahomet, ne serait pas obligé pour cela de permettre la polygamie : il ne forcerait personne à la croire mauvaise et condamnable ; mais l’utilité de son État lui en ferait défendre la pratique : et, sans attention à ce que l’Alcoran autorise ni à ce qu’il proscrit, l’opposition de la multiplicité des femmes au bien public suffirait pour qu’il l’empêchât de s’introduire. Dans le voleur qu’on punit, on n’a point d’égard à l’évangile ; il est condamné, non comme mauvais chrétien, mais comme mauvais citoyen. À l’égard des ministres du culte, qui peut douter de l’inspection que le prince doit avoir sur eux ? Le sacerdoce n’en rend personne exempt : les évêques ne doivent qu’à Dieu compte de l’administration des choses spirituelles ; mais dans l’ordre civil ils ne sont que sujets, et par conséquent pas plus indépendants que les autres. Si leurs disputes élèvent quelque trouble dans l’État, le roi peut sans doute les réprimer ; mais qu’il prenne garde de se tromper sur les moyens : le seul, le

véritable, est de ne se jamais mêler de leurs divisions. Il n’y a eu des guerres de religions que lorsqu’une secte a été favorisée préférablement à l’autre ; le crédit qu’on lui donne enfle sa vanité, irrite celle des autres, et rend par là la réunion impossible. L’inspection du prince se réduit donc à la tolérance des opinions, et à la vigilance contre les actions nuisibles.

« Mais vous anéantissez l’autorité des Parlements, vous blâmez leur conduite. »

Il s’en faut beaucoup : j’admire la sagesse des Parlements lorqu’ils représentent au roi le sort des malheureux sujets vexés pour leurs sentiments ; je trouve que, puisqu’on a fait de la constitution une loi de l’État, ils doivent être attentifs à son exécution et à ses suites ; je crois même que, si le roi avait quelque droit sur l’administration des sacrements, les Parlements seraient plus à portée que le Conseil de l’exercer. Mais je voudrais que la Constitution ne fût pas une loi de l’État ; que le Parlement, pour se défendre de la regarder comme telle, n’eût pas cherché à prouver qu’elle n’est pas loi de l’Église, comme si ces deux choses étaient liées et inséparables ; je voudrais que le roi laissât aux évêques le soin de disposer des sacrements et des choses spirituelles, sans faire dépendre de leur volonté l’état de ses sujets ; je voudrais, en un mot, qu’une déclaration, dictée par l’esprit de tolérance, laissât aux magistrats la liberté d’être bons juges, sans les obliger à être persécuteurs.

« Cette déclaration, dira-t-on enfin, mécontentera tout le monde : les évêques, à qui le prince paraîtra ne se plus intéresser au soin de la religion ; les Parlements, qui seront privés d’un droit qu’ils s’attribuent ; et les jansénistes qui verront continuer les refus de sacrements dont ils se plaignent. »

J’imagine bien que chaque parti sera d’abord fâché de se voir privé des droits qu’il voulait usurper ; mais, comme il est encore plus doux de ne pas perdre ceux qu’on a et qu’on doit avoir, chaque parti remerciera bientôt le prince de les avoir conservés.

Il y a eu un temps où on aurait pu craindre la façon de penser du clergé ; celui d’aujourd’hui est trop éclairé pour se plaindre quand le roi cessera, je ne dis pas de s’intéresser au sort de la religion qu’il doit respecter, mais de prétendre disposer des choses spirituelles.

Les Parlements, qui ne désirent que la tranquillité des peuples et l’exercice de l’autorité qui leur a été confiée, ne tendront plus à usurper le droit des évêques, quand ceux-ci n’en pourront plus abuser.

Les jansénistes ne demandent qu’à être tolérés ; les louanges qu’ils donnent dans leurs écrits aux principes de la tolérance, celles qu’ils viennent de donner, dans les Nouvelles ecclésiastiques, à l’édit de l’impératrice-reine, dont la sagesse, au lieu de nous détromper, n’excite en nous qu’une admiration stérile ; tout nous assure que les anti-constitutionnaires ne demandent qu’à jouir tranquillement de l’état de citoyen ; ils désirent moins d’être administrés, que de n’être pas persécutés ; ils croient ne mériter aucun refus, et savent que la charité supplée à tout.

Ainsi, loin qu’aucun parti fût mécontent, les évêques remercieraient le roi de les avoir laissés maîtres dans la religion ; les Parlements, de leur avoir confié son autorité ; les jansénistes, de n’avoir plus à craindre ni peines, ni exils, ni prisons : tout le monde, enfin, bénirait un gouvernement aussi sage, dont l’autorité ne serait employée qu’à faire jouir chacun paisiblement des biens pour la conservation desquels elle est établie. J’allais finir, monsieur ; mais, comme il m’est venu quelques réflexions capables de rendre toutes ces vérités plus sensibles, je crois ne devoir pas les omettre.

Première réflexion. — Nous avons toujours proscrit en France l’inquisition, ce tribunal odieux, qui a porté le fer et la flamme dans l’empire du Dieu de paix et de charité : or, tout odieux qu’est ce tribunal, celui qu’établit l’intolérance ne le serait pas moins. Si les prisons de l’inquisition sont terribles, la France n’en a que trop qui ont souvent retenti des cris de la conscience opprimée ; et, si les unes sont injustes, les autres peuvent-elles être autorisées ? Nous, qui condamnons avec horreur le ministre de l’Église qui veut forcer les esprits, donnerons-nous au prince le droit de les subjuguer ? Nous regardons avec indignation les vexations qui gênent en Italie et en Espagne les droits de la conscience ; un peu de réflexion nous empêcherait de regarder nos concitoyens avec moins de charité que les étrangers.

Deuxième réflexion. — Vous avez déjà vu, monsieur, que, pour vous prouver la nécessité de la tolérance, et pour vous faire sentir le peu d’autorité des princes dans les affaires de la religion, je vous ai rappelé souvent les premiers temps de l’Église où les princes n’étaient pas encore chrétiens. Pour justifier encore ce que j’ai avancé, supposons que des disputes actuelles fussent arrivées dans un pays où le prince ne fût ni janséniste, ni constitutionnaire : à Berlin, par exemple, le roi de Prusse, quoique protestant, a permis aux catholiques de bâtir une église dans sa capitale ; si parmi eux il se trouvait quelques jansénistes auxquels ils prétendissent refuser les sacrements, ne serions-nous pas étonnés de voir entrer le prince dans leurs disputes, et prétendre leur dicter des lois ? Sans qu’il s’ingérât dans leurs divisions, ne se termineraient-elles pas ? N’arriverait-il pas, ou que, comme en Hollande, les jansénistes feraient une église à part, ou que, comme du temps des premiers hérétiques, leurs opinions viendraient à se confondre et à se réunir ? Quelque chose qui arrivât, nous serions révoltés de voir le prince protestant se mêler des affaires catholiques. La foi du prince change-t-elle donc quelque chose aux moyens que Dieu a établis pour maintenir sa religion ? Et ce que le roi de Prusse devrait faire, n’est-il pas la règle de ce que doivent faire nos rois ?

Troisième réflexion. — Il y a longtemps qu’on a comparé le salut de l’âme à la santé du corps ; les évêques se sont qualifiés eux-mêmes de médecins spirituels. Les erreurs sont des maladies qui infectent les esprits ; ceux qui gouvernent les consciences sont établis pour y appliquer les remèdes. Jugeons donc de la liberté qui doit régner dans l’ordre du salut, par celle que chacun doit avoir pour gouverner sa santé : quelque excellent que soit un remède, ne trouverions-nous pas de la dureté à un prince qui voudrait obliger ses sujets à s’en servir préférablement à tout autre ? Ne lui dirait-on pas que la confiance ne s’ordonna point, que chacun est maître de sa santé, et qu’on ne guérit personne malgré lui ? Ne crierions-nous pas à l’injustice ? Si le roi faisait plus, et, si la confiance qu’il aurait à ce remède l’engageait à ordonner que tous les médecins de son royaume eussent à s’en servir dans toutes les occasions, ne seraient-ils pas en droit de lui représenter que personne ne peut mieux connaître qu’eux l’utilité d’un remède ; qu’elle varie suivant les différents tempéraments et suivant les différentes dispositions, dont eux seuls peuvent être juges ; qu’ils ne peuvent pas avoir tous une conduite uniforme ; qu’ils souffriront plutôt mille tourments que de donner un remède qui peut être dangereux, et que jamais on ne pourra les contraindre à tuer quelqu’un avec connaissance de cause ? Si, malgré ces justes représentations, le roi persistait à vouloir obliger tous ses sujets à prendre de ce remède, et tous les médecins à en donner, même lorsqu’ils en croiraient l’application dangereuse, que penserions-nous d’une telle conduite ? Ne nous paraîtrait-elle pas contraire aux premières lumières de la raison ? Je laisse faire à chacun l’application de cette comparaison, pour ne pas paraître trop mêler les choses profanes avec les choses célestes.

Je crois, monsieur, avoir assez justifié la tolérance. Il y a un siècle que ces principes auraient pu choquer bien des personnes ; mais nous devenons tous les jours plus éclairés, et nous apprenons à distinguer dans la religion ce qui lui est essentiel, de ce que les hommes y ont ajouté. Nous détestons plus que jamais l’inquisition ; nous admirons l’édit de tolérance de l’impératrice-reine : le roi de Prusse nous paraît sage pour avoir, quoique protestant, accordé aux catholiques le libre exercice de leur religion. La révocation de l’édit de Nantes nous révolte ; nos troupes gémissent lorsqu’elles sont employées contre les protestants : enfin, on a soutenu dans quelques thèses de la Faculté de théologie la tolérance civile ; plusieurs écrits paraissent l’inspirer, tous les discours y tendent. Espérons donc, monsieur, que dans peu les esprits, rendus à eux-mêmes, rougiront d’un aveuglement qui n’a que trop influé sur la conduite des princes, et dont tant d’hommes ont été les victimes. Que nous serions heureux l’un et l’autre, monsieur, si nous pouvions y contribuer !


  1. En 1754, après de longues querelles entre les parlements et les évêques au sujet des billets de confession et des refus de sacrements, il fut proposé au roi, comme un moyen de contenter les deux partis, d’accorder aux parlements le droit de forcer les évêques à faire communier les jansénistes, et de consoler le clergé en lui rendant celui de persécuter les protestants, en retirant à ces derniers la demi-tolérance de fait dont l’administration, devenue plus douce que la loi, commençait à les laisser jouir sur quelques points.

    Cette double injustice fut combattue par M. Turgot dans le petit ouvrage intitulé : le Conciliateur.

    Il n’en fit imprimer que fort peu d’exemplaires, pour les ministres, les conseillers d’État et quelques amis. Le roi lut cet écrit et fut persuadé ; il ordonna le silence, ne persécuta et ne laissa persécuter personne. Tout s’apaisa comme de soi-même.

    M. de Condorcet fit réimprimer cet ouvrage en 1788, et on en a fait une troisième édition en 1791, dont l’objet principal était de contribuer à calmer l’esprit d’intolérance entre le clergé qu’on nommait constitutionnel et celui qu’on appelait insoumis.

    M. de Condorcet avait dans son édition laissé subsister le titre trop vague sur les affaires présentes, qui pouvait convenir à la première édition et n’était pas entièrement déplacé lors de la troisième ; mais qui dans aucune des trois ne donnait une idée nette de ce dont il était question. — On a cru aujourd’hui devoir énoncer dans le titre les trois objets que l’auteur traite en théologien et en homme d’État.

    M. Turgot, alors âgé de vingt-sept ans, était déjà maître des requêtes. (Note de Dupont de Nemours.)

  2. « Vis dicamus ut ignis descendat de cœlo et consumat illos… Et conversus Jesus increpavit illos dicens : Nescitis cujus spiritus estis ; Filius hominis non venit animas perdere, sed salvare. » Luc. ix.
  3. L’officialité, telle qu’elle est actuellement, est donc un tribunal où les évêques n’ont pas assez du pouvoir qui leur appartient, et ont trop de celui qui ne leur appartient pas. (Note de l’auteur.)
  4. « Discedite ab hominibus istis, et sinite illos ; quoniam si est ex hominibus consilium hoc, aut opus, dissolvetur. » Act. v, 38
  5. Ces lois de la religion juive ne peuvent faire une objection contre la tolérance. Chez le peuple juif, Dieu était roi. La religion était donc nécessairement confondue avec l’État. C’était être criminel de lèse-majesté que de violer la loi. D’ailleurs, ces lois ne s’étendaient qu’à ceux qui y étaient soumis, comme les lois d’un monastère. La religion juive était très-tolérante d’ailleurs pour les opinions purement spéculatives. Le sadducéisme même, qui niait la résurrection des corps, n’était pas excepté de sa tolérance. (Note de l’auteur.)
  6. Ad scapulam.
  7. Ad solit. vit. agent.
  8. Fides voluntatis est, non necessitatis.
  9. Si quis nolit credere, quis habet cogendi jus ?
  10. Non quod fidei vestræ imperem, quæ voluntaria est : quis enim ad hanc invitum cogit et nolentem ?
  11. Lib. X. Institut, cap. xx et cap. vii.
  12. Ad. Constant, et ad Aux.
  13. Contra Manich.
  14. On se sert encore des mêmes armes dans tous les traités faits pour combattre la religion païenne, et plus particulièrement le mahométisme. On y prouve qu’une religion dont les apôtres ont exercé leur mission l’épée à la main, ne peut être que fourberie et imposture ; mais si le sang que Mahomet a répandu prouve si victorieusement contre lui, n’est-ce pas déshonorer la religion chrétienne que de prétendre la soutenir par les mêmes moyens ? (Note de l’auteur.)
  15. « Præcepit synodus nemini deinceps ad credendum vim inferre. »
  16. On voit que M. Turgot désirait la belle loi moderne qui confie les registres de l’état civil à un magistrat civil, et, pour la fonction purement civile de tenir et de conserver ces registres, ne distrait pas les ecclésiastiques de leurs devoirs religieux. (Note de Dupont de Nemours.)
  17. On m’a demandé, en lisant cet ouvrage, si le roi au moins ne pourrait pas défendre les refus de sépulture, qui déshonorent et celui qui meurt et la famille qui lui survit. — Voici quelle a été ma réponse. On doit considérer la sépulture sous trois rapports : dans l’ordre naturel, dans l’ordre civil et dans l’ordre de la religion. — Dans l’ordre naturel, un homme meurt, son cadavre infecterait l’air par des exhalaisons pestilentielles ; la sépulture est un moyen sûr de préserver les vivants. — Voici l’origine de son établissement dans l’ordre civil : les bienfaiteurs de la patrie, les grands hommes ont été honorés même après leur mort ; on a respecté leurs cadavres ; de là les tombeaux magnifiques, les pyramides d’Égypte, les urnes des Romains, l’honneur attaché à la sépulture, et par une suite nécessaire le déshonneur au refus. — La religion a relevé nos idées : l’humanité et la politique, dans la sépulture, n’ont eu proprement égard qu’aux vivants, qu’elles ont voulu préserver de la contagion, et encourager par l’honneur : la religion a plus considéré les morts, en faveur desquels elle s’efforce de calmer la colère du Seigneur par ses prières ; ainsi, dans la sépulture actuelle, dont les ministres sont ceux de la religion, il doit y avoir un rapport sous lequel elle intéresse le magistrat, et un sur lequel il ne peut avoir d’inspection.

    L’inhumation du corps, le plus ou moins de pompe (je ne parle pas de pompe sacrée), voilà ce qui regarde le magistrat. Les prières, les cérémonies, le lieu saint où doivent reposer les os des morts, voilà le patrimoine de l’Église : il faut donc la laisser maîtresse d’en disposer ; elle ne peut accorder la sépulture qu’à ceux qu’elle regarde comme ses enfants ; vouloir la forcer à le faire, c’est l’obliger à traiter comme un des siens celui qu’elle a toujours proscrit ; c’est envier au véritable fidèle un droit que lui seul peut avoir sur les prières des ministres de sa religion. Mais pourquoi ce refus de sépulture ecclésiastique serait-il déshonorant ? Il ne prouve rien autre chose, sinon que celui dont on ne veut pas enterrer le cadavre ne pensait pas comme celui qui le refuse ; et peut-on être déshonoré pour avoir eu une opinion différente ? Ce déshonneur ne vient donc que de ce que la sépulture a été confiée aux seuls prêtres ; le refus de sépulture ecclésiastique entraîne donc nécessairement le refus de sépulture civile. Celui qui ne pense pas comme son curé est traité comme celui que l’État a proscrit ; l’hérétique, comme le voleur qui meurt sur la potence. Voilà la seule source de l’atteinte que les refus de sépulture donnent à la réputation. Pour en préserver les sujets, il n’est pas nécessaire de forcer les ecclésiastiques à enterrer les cadavres de tous ceux qui n’auront pas pensé comme eux : ce serait une injustice de plus. La source du mal vient de ce que la sépulture civile et la sépulture ecclésiastique sont confondues ; le remède est donc de les séparer. Pour que l’État remplît ses obligations envers le maréchal de Saxe, il n’était pas nécessaire d’obliger son évêque à l’enterrer ; il a suffi de le faire transporter dans un lieu où l’on a pu lui rendre les honneurs qu’il avait mérités. Quand il meurt un calviniste en Normandie, la famille va demander au juge du lieu la permission de l’enlever, et ni le mort ni la famille ne sont déshonorés. Une pareille liberté accordée à chacun remédierait à tous les inconvénients. Il n’est pas à craindre que les morts restent longtemps sans sépulture, et voilà le seul objet du magistrat.

    Cet article et celui des baptêmes et mariages demanderaient plus de discussion ; mais ce ne sont ici que des principes. (Note de l’auteur.)