Œuvres de Vadé/Le Poirier

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Garnier (p. 177-216).

LE POIRIER

OPÉRA COMIQUE
REPRÉSENTÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS SUR LE THÉÂTRE DE LA FOIRE ST-LAURENT, LE 7 AOÛT 1752.

PERSONNAGES

THOMAS, Tuteur de Claudine et de Lucette, et Amoureux de Claudine,

CLAUDINE, Amante de Lubin,

LUCETTE, Sœur de Claudine,

LUBIN, Sous le nom de Pierrot, Amant de Claudine,

M. DE BONSECOURS, Seigneur d’un Village voisin,

BLAISE, Pêcheur.

La Scène est dans un Village sur les bords de la Seine.


Scène PREMIÈRE

PIERROT

Si tous les jaloux étaient au fond de la rivière, je serais moins à plaindre, et M. Thomas, au service duquel je me suis mis pour plaire à Claudine dont il est tuteur, aurait le tems de se noyer avant que j’allasse le secourir.

Air : La petite Lise veut qu’on la conduise.

Ce qui me chagrine,
Hélas ! c’est que Claudine
Ne peut faire un pas
Qu’avec ce vieux Thomas.
Et sa sœur Lucette
Qui toujours la guette,
Force mon cœur
À cacher son ardeur.
Ma chère Claudine,
Si tu ne me devines,
Pierrot, en ce jour,
Mourra de son amour.

Thomas épouse demain ma maîtresse ; il en est détesté ; mais enfin il l’épouse. J’ai vainement pris le ton et l’habit d’un niais.

Air : Au bord d’un clair ruisseau.

Je n’ai pu de cet ours
Tromper la vigilance ;
Contre la défiance
Que servent les détours ?
Que je suis malheureux !…


Scène II

PIERROT, BLAISE, portant un panier rempli de poisson.
BLAISE, sans voir pierrot.
Air : Lon fariradondaine, guai.

 
Vive un bon luron,
Que rien ne chagrine,
Qui vide un flacon
Sans reprendre haleine.
Bon,

Lon farira dondaine, guay,
Lon farira dondé.

PIERROT, à part.

C’est Blaise.

BLAISE.
Même air.

C’est à l’hameçon,
Que pêche Climène,
J’endors le goujon,
Pour qu’elle le prenne… Bon, etc.

PIERROT, à part.

Qu’il est heureux !

BLAISE.
Même air.

 
Avec les tendrons
Qu’amour nous amène,
Le soir je pêchons
Au bord de la Seine… Bon, etc.

PIERROT.

J’admire sa gaîté.

BLAISE.

D’ici le Patron,
Va pêcher Claudaine.
Un pareil poisson
En vaut ben la peine… Bon, etc.

PIERROT.

Hélas !

BLAISE.

En vla de beaux pour la noce de son festin, mais ça ly coutera cher (apercevant Pierrot) Queuque c’est que ce grand flandrin-là qui a l’air d’avoir la meine triste ! Hé cadet ! à quoi donc qu’tu rêves-là ?

PIERROT.
Air : Morbleu, si je la tenais.

Je songe à la différence
De votre joie à mon sort ;

BLAISE.

À ton avis ai-je tort ?
Le chagrin de rien n’avance,
Pour tout bien je suis content,
J’aime, bois, ris, chante et danse.
Pour tout bien je suis content,
Tiens, partageons, mon enfant.

Hé ben allons donc, tu ressembles à un accident comme deux gouttes d’eau. Pour t’égayer un peu, viens me montrer où demeure la maison à M. Thomas.

PIERROT.

C’est ici. Vous ne pouviez mieux vous adresser, je lui appartiens.

BLAISE.
Air : En mistico.

Oh pargué, je t’en félicite,
En mistico, en dardillon, en dar, dar, dar, dar, dar ;
Car sa future a du mérite
Et tu m’as l’air assez
Mistificoté
futé.

Il le prend par la main.

Tiens, mon ami, je m’y connais, vois-tu ?…

Il recule de deux pas en ôtant son chapeau.

Quoi donc ! queu vision ! Hé c’est vous M. Lubin, l’maître farmier du village de la Liau ? Il y a trois mois qu’on vous cherche à coups de tambour ni plus ni moins qu’un bijou perdu.

Air : Car.

Comme vous vla,
Quelle métamorphose !
Dans tout cela
J’avise queuque chose,
Car,
T’nez, vous n’êtes pas sans cause
Le valet de ce vieillard.

Claudenne ne ferait-elle pas par hazard le surjet de tout ça ?

PIERROT.

Rien de plus vrai, mon cher Blaise.

BLAISE.

Hé, mais comment ça se gouverne-t’y ?

PIERROT.

Le tuteur est un Argus éternel, et je n’ai pu encore parler à Claudine que des yeux ; mais j’ai cru entrevoir dans les siens quelque espoir…

BLAISE.

Vous n’êtes pas mal avancé !

Air : Je n’en dirai pas davantage.

Faut pas s’en rapporter aux yeux,
C’est un jargon qui trompe au mieux,
Des belles c’est là le langage,
En aiment-elles davantage ?

Non, c’est un tournement de regard à l’occasion de leur gloire qui l’ait ça, et les nigauds prennent le change.

PIERROT.

Va, Claudine est trop naturelle.

Air : L’autre jour étant assis.

Elle fixe mes désirs,
Mon cœur près de cette belle,

À cent fois par mes soupirs,
Dit ce qu’il ressent pour elle ;
Je l’ai vue à son tour
Soupirer et se taire ;
Tel est du tendre amour
Le langage sincère.

BLAISE.

C’est ben dit ; mais avec tout ça, vous ne tenez rien, faut de la parole, Monsieur Lubin. Faut agir, voyez-vous.

Air : Mon Papa toute la nuit.

 
On amorce le poisson
Pour qu’il entre dans la nasse
Si Claudaine entend raison…

PIERROT.

Quoi ! que veux-tu que je fasse !

BLAISE.

Enlevez, enlevez, enlevez-la,
Dans ma barque je vous passe,
Enlevez, etc.

PIERROT.

Ah ! je crains trop pour cela.

BLAISE.

Quoi donc craindre ; il n’y pas de crainte à avoir ; quand Vous serez une fois cheux vous, tout sera dit ; et d’un autre côté.

Air : Chacun à son tour.

Le Seigneur du lieu vous estime.
À le faire il est engagé ;
Votre mère était son intime
Et l’avait parfois obligé ;
Il peut donc, vous donnant retraite,
Vous rendre service en ce jour ;
Chacun à son tour,
Liron, lirette,
Chacun à son tour.

Et puis avec ça il est en procès avec M. Thomas, ça jettera de l’huile dans le feu ; et si M. Thomas vous poursuivait, il trouverait à qui parler. Hé puis tenez, ma barque a ça de bon, dès qu’une fille y a mis le pied… Votre serviteur ; les jaloux y renoncent. Je m’en vas porter mon poisson, arrangez-vous là-dessus avec votre parsonnière.

(Il sort.)
PIERROT.

Ne m’abandonne pas, si je la détermine.

BLAISE.
Non, non, allez.
(Revenant sur ses pas.)

Je veux dire queu manière d’humeur que c’est M. Thomas ? C’est qu’en cas d’occasion, c’est bon à savoir.

Air : Joseph est bien marié.

Ce tuteur est-il madré ?

PIERROT.

Non, c’est un avare outré,
Amoureux par fantaisie
Défiant par jalousie,
Qui par bêtise croit tout.

BLAISE.

Allez, j’en viendrons à bout.

J’irons dire un mot de tout ça à M. de Bonsecours, seigneur de cheux vous, et puis je repasse ici, c’est l’affaire de quatre coups de rames. Sans adieu, M. Lubin.

PIERROT.

Crois que ma reconnaissance…

BLAISE, s’en allant.

Chantons lestamini, chantons lestamina, chantons lestamini, chantons lestamina.


Scène III

PIERROT, seul.

Claudine ne se présente pas à ma vue, le tuteur l’obsède sans doute.

Air : Quel voile importun.

 
Du jeune objet que j’adore
Ne verrai-je pas,
Les innocents appas !
Ô toi que mon cœur implore
Remplis mes désirs,
Puissant Dieu des plaisirs !

Termine mon impatience
Conduis ses pas dans ce séjour :
Hélas ! tu sais que sa présence
Est pour moi la lumière du jour.
Du jeune objet, etc.

Ces fleurs, cette verdure
Ne m’offrent qu’un triste tableau
Mais quand je la vois, tout est beau,
Tout rit dans la nature
Du jeune objet, etc.

Mais voici Lucette, sa maligne petite sœur ; reprenons devant elle notre rôle d’imbécile.


Scène IV

LUCETTE, PIERROT.
LUCETTE, à part.

Ma sœur me parle de Pierrot avec une sorte de défiance, elle est rêveuse… ce garçon a une certaine bonne mine qui dément son état, et je soupçonnerais presque… Mais non, il est si bête !

PIERROT, d’un ton niais.

Ah, bon jour, mademoiselle Lucette ; où est donc mademoiselle Claudine votre sœur ?

LUCETTE

Eh mais, elle est… vous êtes bien curieux ? qu’est-ce que vous lui voulez ?

PIERROT, tout lentement.
Air : Je voudrais me marier.

Je voudrais bien lui dire un mot.

LUCETTE, le contrefaisant.

Que pourriez-vous lui dire ?

PIERROT, soupirant.

Je ne sais pas.

LUCETTE riant.

Ah ! qu’il est sot.

PIERROT.

Qu’avez-vous donc à rire ?

LUCETTE.

C’est que vous soupirez, Pierrot.

PIERROT.

Hé bien, oui, je soupire.

LUCETTE.

Oui da ! est-ce-là ce que vouliez dire à ma sœur ? Oh, c’est la même chose, je le lui reporterai ; ou bien si vous voulez, M. Thomas lui en fera la confidence.

PIERROT.
Air : Allons gai, toujours gai.

Ah ! petite méchante.
Vous me désespérez.

LUCETTE.

La complainte est touchante !
Je crois que vous pleurez.
Allons gai, toujours gai.

PIERROT, naturellemont.

Aimable Lucette, loin de m’accabler, plaignez-moi, je mérite toute votre pitié.

LUCETTE.

Oh, oh, voici du sérieux.

PIERROT, à part.

Qu’ai-je dit ?

LUCETTE.

Vraiment, il se dégourdit.


Scène V

CLAUDINE, LUCETTE, PIERROT.
LUCETTE.

Ah, ma sœur, ma sœur, approchez. Tenez, M. Pierrot vous honore, je crois, de sa tendresse.

CLAUDINE.

Hé bien ! ma sœur !

PIERROT.
Air : Un inconnu.

 
Moi vous aimer ! ah, voyez quel mensonge !
Me siérait-il d’adorer vos appas ?
Mais quand j’y songe.
Claudine hélas,
Si vous saviez, non ! vous ne croiriez pas
Dans quel plaisir leur souvenir me plonge.

LUCETTE.

Voyez-vous ?

PIERROT.
Air : Quand le péril est agréable.

Vainement j’en ferais mystère,
Tout conspire à me dévoiler
Quand vos yeux daignent me parler
Mon cœur doit-il se taire ?

D’ailleurs le temps presse.

CLAUDINE.
Air : Ne m’entendez-vous pas.

Je ne vous entends pas.

PIERROT.

Si l’amour le plus tendre
Ne peut se faire entendre,
Que deviendrai-je, hélas.

CLAUDINE.

Je ne vous entends pas.

(À part.)

Qu’il m’en coûte pour le rebuter.

LUCETTE.
Air : Paris est au Roi.

Mais vraiment Pierrot,
Pierrot n’est pas sot,
L’amour qui l’enhardit
Règne en ce qu’il dit,
Pour moi j e le crois
Un futé matois.
Tenez, voyez ma sœur ;
Cet air séducteur.

CLAUDINE, à part.

Je sais bien qu’en penser. (Haut.) Mais, ma sœur, M. Thomas est seul ; il pourrait s’ennuyer.

Air : Va-t-en voir s’ils viennent.

 
Vous savez que vos besoins
Par lui se préviennent,

Allez lui rendre vos soins,
Ces soins là conviennent.

LUCETTE.

Va-t-en voir s’ils viennent.

Pour vous laisser avec Pierrot. J’entends.

CLAUDINE.

Mais lui dis-je quelque chose ?

LUCETTE.

Non, mais vous poussez des soupirs.

PIERROT.
Air : Mais hélas, je m’aperçois bien.

Si dans un rang moins obscur
Le destin m’avait fait naître.
Pour moi votre cœur moins dur,
Pourrait m’écouter peut-être :
Mais hélas j’m’aperçois bien
Que pour plaire il faut paraître ;
Mais hélas j’m’aperçois bien…

CLAUDINE, tendrement.

Allez, ne jurez de rien.

LUCETTE.

Vous l’aimez donc ?

CLAUDINE.

Oui, petite espionne.

LUCETTE.

Eh fi, ma sœur.

PIERROT.

Quoi, belle Claudine, j’aurais le bonheur, malgré mon état…

CLAUDINE.
Air : Dans nos hameaux la paix et l’innocence.

Ah, si j’en crois ce que mon cœur désire,
Vous n’êtes point ce que vous paraissez,

Votre douceur, soins doivent suffire
Pour le prouver.

PIERROT.

Que vous me ravissez !
Oui, pour vous rendre en secret mon hommage,
J’ai de bon cœur pris ce déguisement.

CLAUDINE, tendrement.

Quoi s’abaisser !…

PIERROT.

Les marques d’esclavage
Sont de l’amour le plus bel ornement.

Lubin est mon nom ; et ma famille et mon bien pourront vous être bientôt connus si vous êtes touchée de mon martyre.

CLAUDINE.
Air : Un ministre de palais.

Hélas vous causez le mien.

LUCETTE.

Tout ceci me rend jalouse.

CLAUDINE.

Mais, Lubin, n’espérez rien.
Le tuteur ce soir m’épouse.

LUCETTE, malignement.

Ahi, ahi, ahi.

PIERROT.
Air : M. le prévôt des marchands.

Ma ressource est le désespoir.

CLAUDINE.

Ciel ! que me faites-vous prévoir ?

PIERROT.

Comment voulez-vous que je vive
Quand vous prononcez mon trépas !

CLAUDINE.

Je frémis !… non, quoiqu’il arrive,
Cher Lubin, vous ne mourrez pas.

LUCETTE.

C’est-à-dire, mademoiselle ma sœur, que vous n’épouserez point M. Thomas ?

CLAUDINE.

Précisément, ma sœur.

PIERROT.

Que je suis heureux !

LUCETTE.

Mais sera-ce moi ?

CLAUDINE.

Je ne vous empêche pas de vous en accommoder dans quelques années.

LUCETTE.

Non pas, ma chère sœur aînée.

Air : Qu’on me blâme tant que l’on voudra.

Pour me plaire
Il faut qu’un amant
Joigne au sentiment
Un heureux caractère,
Que sincère,
Jeune et fait au tour,
Il sache me faire,
Céder à l’amour.
Un volage, un indiscret,
Un maladroit.
Un faquin, un soupirant à lunettes,
De fleurettes
Vainement m’entretiendraient,
Mes regards les confondraient
Et leur diraient :

Pour me plaire,
Il faut qu’un amant
Joigne au sentiment
Un heureux caractère,
Que sincère,
Jeune et fait au tour,
Il sache me faire
Céder à l’amour.

Ainsi, vous voyez bien que je m’en tiens à Lubin. Je vous abandonne tous les autres.

CLAUDINE.

Ô ciel !

LUBIN.

Il ne nous manquait plus que cet obstacle.

LUCETTE.

Comment ?

PIERROT, embarrassé.

Je dis que je ne m’attendais pas à tant de bonheur à la fois.

LUCETTE.

Et moi, je m’attendais à une réponse plus honnête.

Air : Quel désespoir.

 
Ne craignez rien.
On ne prétend forcer personne.
Ne craignez rien.

(D’un air dédaigneux.)

Gardez votre charmant lien.

PIERROT.

Quand l’amour l’ordonne,
Sachez que le cœur se donne.

LUCETTE.

Ma sœur est assez bonne
Pour vous laisser prendre le sien.

PIERROT.

Elle a le mien,
Sans cela, petite friponne…

LUCETTE.

Ne craignez rien,

(D’un ton fier.)

Allez, Monsieur, on vous vaut bien.

PIERROT.

Vous valez mille fois mieux ; mais…

LUCETTE.

Mais, mais, il suffit : pour vous apprendre à être plus galant, vous n’épouserez ni mademoiselle ni moi.

PIERROT, à part.

Quel petit diable !

CLAUDINE.
Menuet de Granval.

Ah, ma sœur, vous allez sans doute
Dire tout à Monsieur Thomas,
Mais malgré lui, quoi qu’il m’en coûte…

LUCETTE.

Moi ! je ne le lui dirai pas.

CLAUDINE.

Quoi, tout de bon, ma chère petite sœur !

LUCETTE.

Oh ! tout de bon. Je m’en garderai bien.

PIERROT.

Quelle discrétion à cet âge !

LUCETTE.
Air : De la Course Italienne.

 
Je ne suis pas si sotte vraiment
Que d’aller jaser imprudecmment

Je le connais,
Si je le lui disais
Votre secret
Le dégoûterait,
Il laisserait
Ma sœur, et me prendrait ;
Non, je ne suis pas si sotte vraiment
Que d’aller jaser imprudemment.

Mais je me réserve de lui dire tout, après que M. Thomas sera votre époux.

CLAUDINE.

À la bonne heure.

LUCETTE

Et Lubin me restera. (Haut.) Le voilà le pauvre bonhomme.


Scène VI

THOMAS, CLAUDINE, LUCETTE, PIERROT.
THOMAS.

Bonjour, mes enfants, Lucette, avez-vous bien fait le guet ?

LUCETTE.

Oui, monsieur.

THOMAS

Vous n’avez donc rien à me dire ?

LUCETTE.

Oh ! non, monsieur.

THOMAS

Écoutez, mon petit chat, (Il lui parle à l’oreille.)

CLAUDINE.
Air : Pour la Baronne.

Lubin, que faire ;
Hélas, on va nous séparer !

PIERROT.

J’imagine un moyen, ma chère,
Un tour.

CLAUDINE.

S’il peut me rassurer,
Il faut le faire.

PIERROT.

Paraissez dans quelques instants désirer du fruit de ce poirier ; je me charge du reste.

CLAUDINE.

J’y consens volontiers.

THOMAS, à Lucette. Haut.

Et vous distribuerez des bouquets et des rubans à chacun, entendez-vous ?

LUCETTE.

Oui, monsieur.

CLAUDINE, à part.

Que je le déteste !

LUCETTE, à Claudine et à Lubin en s’en allant.

Après la noce, après la noce.


Scène VII

THOMAS, CLAUDINE, PIERROT.
Air : Zeste, zeste, zon, zon, zon.

Que dis-tu de mon mariage.

Montrant Claudine.

 
De l’aimer n’ai-je pas raison ?
Ma foi mon arrière saison
Devient mon plus bel âge,
Je renais près de ce tendron,
Vois, ne suis-je pas encor leste,

(Il saute lourdement.)

Ziste, zeste,
Zon, zon, zon.

(Il tousse un peu.)

Qu’a de plus un jeune garçon ?

N’est-ce pas mou petit chou ?

CLAUDINE, embarrassée.

Monsieur…

THOMAS.

Dis, dis, ne te gêne pas devant Pierrot, tu sais que c’est un bon garçon qui n’entend pas malice, et dont nous sommes sûrs.

PIERROT, d’un ton niais.
Air : Raisonnez, ma Musette.

Mademoiselle, ô dame !
Ça doit vous ravir l’âme
De trouver un mari.
Qui lie vous est chéri.

THOMAS.

Le pauvre garçon ! comme il songe à mes intérêts !

PIERROT.

Moi, monsieur, je ne désire que ce que vous aimez.

THOMAS.

Quel zèle ! (À Claudine.) Je ne doute pas que tu n’aimes beaucoup ton futur ; mais jure, jure-le-moi encore.

CLAUDINE.
Air : La mort de mon cher père.

Pour un amour frivole.
Les serments semblent faits,

C’est un son qui s’envole
Sur l’aile des regrets ;
S’aimer et se le dire
Voilà le sentiment :
Le sentiment soupire,
Et voilà son serment.

THOMAS.

Elle a raison ; mais ne pourrais-tu pas dire quelque chose de satisfaisant à celui qui doit te posséder ; là quelque chose de personnel ?

CLAUDINE.

Vous le permettez ?

THOMAS.

Oh ! je t’en prie.

CLAUDINE.
Air : De mon Berger volage.

Que l’objet qui m’engage,
Est un objet touchant,
Il a par son hommage
Fait naître mon penchant.
Et ! comment se défendre
De céder à son tour,
Quand l’amant le plus tendre
Est beau comme l’amour ?

THOMAS.

Diable ! je ne croyais pas ressembler si fort à ce dieu ! Tu charges un peu le portrait, ma petite reine ; mais, vas, je t’en sais bon gré.

PIERROT, toujours d’un ton niais.
Air : De la Palisse.

 
Monsieur, j’entends tout cela da !

THOMAS.

Parbleu, c’est la nature même,

(À Claudine.)

Va, ma pauvre petite, va,
Je t’aime plus que tu ne m’aime

CLAUDINE.

Monsieur, je le crois aisément.

THOMAS.

Tes sentiments pour moi seront bientôt récompensés, je te laisserai la maîtresse.

Air : Des fraises.

Et tu porteras sur toi
La clef de mes armoires ;
Viens…

CLAUDINE.

 
Avant, permettez-moi,
S’il vous plaît, de manger.

THOMAS.

Quoi !

CLAUDINE.

Des poires, des poires, des poires.

THOMAS.

Oh, qu’à cela ne tienne ! va, Pierrot, va vite prendre une échelle et tu lui en cueilleras.

PIERROT.

J’y cours, Monsieur, j’y cours.

(Il sort.)
THOMAS.

Ce garçon-là m’est bien attaché, c’est dommage qu’il soit si benêt.


Scène VIII

CLAUDINE, THOMAS.
Air : Et non, non, non, je n’en veux pas davantage.

Tu dois être bien contente.

CLAUDINE.

Je ne le suis pas encor.

THOMAS.

De ton âme impatiente,
J’aime à voir le doux transport.
Ce soir celui qui t’engage,
De son cœur te fera le don.

CLAUDINE.

Et non, non, non,
Je n’en veux pas davantage.

Que ne suis-je sûre de la réussite !

THOMAS, riant.

Ah, ah, ah, elle me fait rire, est-ce que cela peut manquer ?

CLAUDINE.

Mon cœur le craint.

THOMAS.

Ton cœur, ton cœur… a tort ; il est étonnant comme elle m’aime : ce que c’est que de gêner les filles, et de les garder de près, on se les attache.


Scène IX

THOMAS, CLAUDINE, BLAISE
BLAISE.
Air : Ohi reguingué.

Serviteur à Monsieux Thomas !
Que votre future a d’appas,
Ô reguingué ô lon lanla,
Morgué ça serait ben dommage,
Qu’alle languissât davantage.

THOMAS.

Ce jour va finir son tourment.

BLAISE.

Je savons ben que tout s’apprête pour ça, et j’en sommes ben aise ; car je nous intéressons à son intérêt ; et stila qu’alle aime est morgué ben aimable y tout.

THOMAS.

Je te suis obligé du compliment.

BLAISE.

Oh allez, il n’y a pas de quoi ! Dites donc, M. Thomas, vous allez ben vous réjouir ?

THOMAS.

Oh, je t’en réponds, mon enfant.

BLAISE.
Air : L’honneur dans un jeune tendron.

Celle que voilà devant vous,
Mérite d’un fringant époux,
Toute l’ardeur et le courage.

THOMAS.

Mais mon teint est assez fleuri.

BLAISE.

Oui, vous portez sur le visage
Tous les signes d’un bon mari.

THOMAS.

Quoi, franchement ?

BLAISE.

Oh, en vérité.

Air : N’ayez pas tant de mépris.

Vous avez avec cela
De l’esprit, dit-on ?

THOMAS.

Oui da.

BLAISE.

Vous êtes rusé,
Il n’est pas aisé.
De vous en faire accroire.

THOMAS.

Oh non !

BLAISE.

Qui vous attrapera,
Sera pis qu’un grimoire,
Lon la
Sera pis qu’un grimoire.

THOMAS.

Va, je le pardonne.

BLAISE.

Eh pourtant, not’bourgeois, vous ne seriez pas d’humeur, su vot’respect, à céder Mademoiselle Claudaine à queuqu’autre, pas vrai ?

THOMAS.

Non, parbleu ?

BLAISE.

Je croirais ben. À propos de ça, comment trouvez-vous l’poisson ? Pierrot vient de me dire qu’il passerait, en cas que Mademoiselle Claudaine l’aime.

CLAUDINE.

Passionnément.

THOMAS.

Oui, il est très-frais : tu veux m’amener à te donner pour boire ?

BLAISE.

Tout juste, notre maître : comme vous devinez ? Queu malin que vous êtes ?

THOMAS.

Tiens, le voilà.

BLAISE.

Deux fois ? on voit ben que c’est le jour de vos noces, vous faites de la dépense.

Air : L’occasion fait le larron.

Ne faut-il pas vous rendre votre reste.

THOMAS.

Non, garde tout, c’est pour toi, mon garçon.

BLAISE.

Loin d’être ingrat, je veux, je vous proteste.
Vous faire avaler un goujon.

THOMAS.

Volontiers, cela n’est pas de refus.

BLAISE.

Laissez faire, allez. Mademoiselle Claudaine, vous le f’ra frire dans la poêle à M. Lubin, pas vrai, la petite mère ! Ah, M. Thomas, que vous êtes heureux ! Voyez comme alle vous regarde, si elle pouvait vous manger, alle le ferait. Sans adieu, M. Thomas.

THOMAS.

Bonjour, mon ami.

BLAISE, sortant.

Y allez vous-en, gens de la noce,
Y allez vous-en, chacun cheux vous.

THOMAS.

C’est un bon réjoui !… comme te voilà rêveuse, depuis un instant tu n’es plus la même, que te manque-t-il ?

CLAUDINE.

Des poires.


Scène X

THOMAS, CLAUDINE, PIERROT.
THOMAS.

Tiens, voilà Pierrot, tu vas être satisfaite.

CLAUDINE.

Je craignais qu’il ne m’eût oubliée.

PIERROT, toujours niais après avoir posé l’échelle.
Air : Nous jouissons dans nos hameaux.

Vous oublier, nenni vraiment,
Je n’en ai point envie,
À vous servir, à tout moment
Je passerais ma vie.

THOMAS.

Fort bien.

PIERROT.

Monsieur, en vous aimant,
Fait que ça m’intéresse,
Et je vous regarde à présent,
Tout comme ma maîtresse.

THOMAS.

Oh, tu le peux, puisque je la regarde, moi, comme ma petite femme.

CLAUDINE.
Air : Ah le bel oiseau, Maman.

Pierrot ne se trompa pas,
Et le titre qu’il me donne,
A pour moi tous les appas
D’une brillante couronne :
Quel bonheur lorsqu’en aimant,
Le cœur seul tient lieu de trône !
Quel bonheur lorsqu’en aimant,
On règne sur son amant !

THOMAS.

Tu m’enchantes. Elle est folle de moi. Pierrot dépêche-toi de lui cueillir de ce fruit.

PIERROT.
Air : Monsieur, en vérité, vous avez bien de la bonté.

 
Oh, je ne me fais point prier ;
Mais, Monsieur, si je monte,
Ne secouez pas le poirier,
Car j’aurais peur…

THOMAS.

Quel conte !
Mon pied sera ta sûreté,
Crainte que l’échelle ne glisse ;

PIERROT, montant.

Point de malice.

CLAUDINE.

Monsieur, en vérité,
Vous avez bien de la bonté !

THOMAS, au pied de l’échelle.

Que veux-tu, il est peureux, il ne faut pas se moquer de sa simplicité. Un homme d’esprit plaint ceux qui n’en ont pas.

PIERROT, sur l’arbre.

Ah, ah, Monsieur, que faites-vous donc là ?

THOMAS.

Parbleu, tu le vois bien.

PIERROT.

Vraiment, oui, je le vois. Quoi ! avant d’être mariés prendre ces petites libertés-là ?

THOMAS.

Que diable est-ce qu’il chante !

PIERROT.
Air : Maman, qu’est-ce donc qu’ils faisaient ?

Devant moi former ce dessein !

THOMAS.

Que dis-tu ?

PIERROT.

Vous poussez Claudine ;

THOMAS.

Qui moi ?

PIERROT.

Vous lui baisez la main
Elle ne fait point la mutine
Vous l’embrassez,
la caressez.

THOMAS.

 : Fais-toi donc mieux entendre !

PIERROT.

Diantre, connue vous la pressez.

THOMAS.

Je n’y puis rien comprendre.

La tête lui tourne.

PIERROT.

Ah ! vous ôtez l’échelle et vous vous enfuyez ? Monsieur Thomas ? Mademoiselle Claudine ? Ils s’en vont ! Je savais bien qu’ils me feraient des malices. {{c|Air : Manon dormait.

C’est fort mal fait.

THOMAS.

Parle, que veux-tu dire ?
Le diable met
Ton esprit en délire.

PIERROT.

Mais quelle voix j’entends !

THOMAS.

Descends, descends,
Et tu verras, pauvre innocent.

PIERROT, après être descendu, se frotte les yeux.

Hé non, vraiment, les voici.

THOMAS.
Air : Ton humeur est, Catherine.

Hé bien, prenons-nous la fuite,
Dis-moi, nous embrassons-nous ?

PIERROT.

J’ai pourtant vu…

THOMAS.

Tu mérite
D’ètre mis au rang des fous.

PIERROT.

Je reste tout comme un marbre,
Car j’ai…

THOMAS.

Pauvre écervelé !

PIERROT.

Mais il faut donc que cet arbre
Soit, Monsieur, ensorcelé.

Et si je n’ai pas tout vu ce que je vous ai dit, je ne m’appelle pas Pierrot. Voyez le serment que je vous fais.

CLAUDINE.

Cela paraît bien étonnant.

THOMAS.

Il faut qu’il en soit quelque chose ; car quoique simple et niais, il a des yeux. Parbleu, éprouvons cela.

(Il monte sur le poirier.)
PIERROT.

Il le prend bien.

CLAUDINE.
Air : De s’engager il n’est que trop facile.

 
Mais quel succès ceci peut-il produire !
Savez-vous bien qu’avant la fin du jour :

PIERROT.

Tout sert nos vœux ; mais laissez-vous conduire.

CLAUDINE, lui donnant la main.

Je mets mon sort dans les mains de l’Amour.

THOMAS, sur l’arbre.

Il semblerait qu’il lui prend le bras.

PIERROT.

Daignez seulement me suivre.

CLAUDINE.

Mais Lubin, la Pudeur, la Sagesse, me défendent…

THOMAS.

On dirait qu’il la presse.

PIERROT.
Air : Ah ! je vous trouve, Chevalier.

La fuite ne sera que feinte,
Ne craignez rien.

CLAUDINE.

Hélas !

PIERROT, lui baisant la main.

Aimons-nous sans contrainte ;

THOMAS.

Cela va bien ;

PIERROT.

Pour notre intérêt, et par grâce,
Daignez m’accorder un baiser.

CLAUDINE.

Pourrais-je vous le refuser !

THOMAS.

Ne croirait-on pas qu’il l’embrasse ; ma foi, je trouve ce poirier singulier ; mais, mais, fort singulier.

PIERROT.

Belle Claudine, venez.

CLAUDINE.

Je n’ose.

PIERROT, se jetant à ses genoux.

Je vous en conjure.

THOMAS.

Oh, oh, le voici à ses genoux ! descendons.

PIERROT, pendant que Thomas descend, passe de l’autre côté de l’arbre.

Cruelle ! nous sommes perdus !

THOMAS, descendant.

Cela ressemble si fort à la vérité.

CLAUDINE.

Que je suis sotte !

THOMAS, descendu.

Ma foi non, ils sont fort tranquilles, les pauvres enfants.

CLAUDINE.

Hé bien, monsieur, avez-vous vu quelque chose ?

THOMAS.

Oui d’honneur, ou du moins j’ai cru voir qu’il te prenait la main, qu’il la baisait, qu’il était à tes genoux.

PIERROT.

Là, suis-je un menteur ?

CLAUDINE.
Air : De tous les Capucins du monde.

Bon, vous riez.

THOMAS.

Eh non, te dis-je.

CLAUDINE.

En ce cas c’est donc un prodige,

PIERROT.

Voyez, Monsieur, si j’avais tort,
Étais-je fou ?

THOMAS.

Non, je t’assure,
Malgré cela je doute encor
D’une aussi comique aventure.

PIERROT.

J’étais comme vous.

CLAUDINE.
(À part.)
(Haut.)

Que je me repens de ma timidité ! Je suis enchantée de cela. C’est une découverte rare.

THOMAS, content.
Air : Un mouvement de curiosité.

Comme tu dis, la découverte est bonne,
Cet arbre est une curiosité,
J’attrapperai par-là plus d’une personne,
Plus d’un jaloux y sera déconcerté ;

(Tous trois)

Assurément la découverte est bonne,

THOMAS, remontant.

J’y monte encor par curiosité.

PIERROT, à Claudine.

Laisserons-nous encore échapper cette occasion ?

CLAUDINE.
Air : Sur ces Coteaux.

Je me souviens
De ma sottise et j’en reviens,
Vas, tu me conviens,
À mon tour je te préviens.
Viens.

PIERROT, ôtant l’échelle.

Quel bonheur ! hâtons-nous,
Qu’il est doux.
De tromper un jaloux !

THOMAS.

Ne croirait-on pas qu’ils ôtent l’échelle ! cela est original.

PIERROT, CLAUDINE, s’en allant.

Suivons l’Amour,
C’est lui qui nous guide en ce jour.
Loin des envieux,
Nous ferons en d’autres lieux.
Mieux.

(ils sortent.)

Scène XI

THOMAS, seul.

On se donnerait au diable qu’ils s’en vont. C’est plaisant ! c’est fort plaisant ! je ne donnerais pas ce poirier pour cent louis. (Il rit.) Ah, ah, ah ah ! Parbleu, je m’amuserai bien ! Non seulement, je m’amuserai ; mais je pourrai faire nombre de gageures ; par conséquent les gagner et m’enrichir encore. Cette idée me flatte bien plus que mon mariage.


Scène XII

THOMAS, LUCETTE.
LUCETTE.

Comment ont-ils fait pour s’échapper ?

THOMAS.

Ah ! Lucette, Lucette ? viens voir, viens voir.

LUCETTE.
Air : Oui j’ai tout vu.

Ah ! j’ai tout vu,
Vous n’avez rien prévu,
Qui l’eût cru !

THOMAS.

Que dis-tu ?

LUCETTE.

Allez, monsieur, ils sont déjà bien loin. Votre Pierrot était un Amant déguisé en valet.

THOMAS.

À l’autre ! Est-ce que tu os ensorcelée aussi toi ? Le charme s’étendrait-il…

LUCETTE, riant.

Hé mais, monsieur Thomas, vous radotez, ils sont prêts à revenir.

Air : Dans la jeune saison.

Ma sœur et son Mignon,
Qu’un pêcheur considère ;
Dans la barque au poisson,
Ont passé la rivière ;
Hé riez, riez donc.

THOMAS, en colère.

Ah ! petit serpent ! fripon de Pierrot, effrontée Claudine ! Vite, cours après eux.

LUCETTE.

Ma foi, monsieur, courez-y vous-même.

THOMAS.

Eh ! le puis-je faire ? maudit poirier ! tu seras coupé ! À l’aide, au secours ! je crève, je suis volé.


Scène XIII

THOMAS, LUCETTE, BLAISE.
BLAISE.

Et puis ils s’en furent
Dans une masure.

Ah ! ah ! dites donc, Papa ? Qu’est-ce que vous faites-là ? Est-ce pour voir de plus loin que vous v’la grimpé si haut ?

THOMAS.

Te voilà, pendard ! c’est donc toi qui facilites l’enlèvement d’une jeune innocente.

BLAISE.
Air : Chantez, mon Petit.

 
Toujours par fillette franche,
Barbon doit être triché,
Comme un oiseau sur la branche

THOMAS.

Coquin !

BLAISE.

Le voilà perché !
Mi, mi, fa, ré, mi,
Chantez, mon petit, etc.

THOMAS.

Oh ! que j’aurai de plaisir à te faire pendre !

BLAISE.

Notre Bourgeois, de la douceur, en attendant je m’en vas vous tenir l’échelle, moi.

(Il dresse l’échelle contre l’arbre)

THOMAS, descendant.

Oh ! nous allons voir beau jeu !


Scène XIV

M. DE BONSECOURS, CLAUDINE, LUCETTE, THOMAS, PIERROT, BLAISE.
CLAUDINE, pendant que Thomas descend.

Je n’ose paraître devant lui.

M. DE BONSECOURS.

Rassurez-vous, ma chère enfant, je prends tout sur moi.

THOMAS, descendu veut courir après Biaise.

Ah ! scélérat !…

M. DE BONSECOURS.

Tout doux, monsieur Thomas.

THOMAS, d’un air soumis.

Ah ! monsieur !

BLAISE.
Air : À la façon de Barbarie.

 
Voilà Monsieur de Bonsecours,
Seigneur de sa paroisse,
Qui vient vous prêter son secours.

THOMAS.

Quelle nouvelle angoisse !

BLAISE.

Il connaît votre intention,
La faridondaine, la taridondon,
Il va la seconder aussi, Biribi,
À la façon de Barbari, mon ami.

M. DE BONSECOURS.
Air : Vous m’entendez bien.

 
Mon cher, je vous donne à choisir,
De plaider ou de les unir
Renoncez à Claudine,
Ou bien,
Je fais votre ruine.

BLAISE.

Entendez-vous bien ?

M. DE BONSECOURS.

Je vous abandonne tous les droits à ce prix.

THOMAS.

Quelle alternative !

BLAISE.
Air : Quel plaisir va nous unir.

 
Croyez-moi, Monsieur Thomas,
N’hésitez pas,
L’occasion est bonne,
Sortez d’un double embarras.
Laissez Claudaine et gardez vos ducats ;
Fillette fait peu de cas,
D’un soupirant dont la barbe grisonne ;
Croyez-moi, Monsieur Thomas,
Laissez Claudaine, et sauvez vos ducats.

M. DE BONSECOURS.
Air : La bonne aventure.

Allons, Monsieur le tuteur.
Un mot doit conclure.

THOMAS.

Hé bien, je me rends, Monsieur.
J’enrage de tout mon cœur,

claudine. pierrot

La bonne aventure, au gué,
La bonne aventure.

PIERROT.

Je vais faire abattre ce maudit poirier, et fera les frais de la noce qui voudra.

M. DE BONSECOURS.
Je m’en charge.
THOMAS, à Lucette en s’en allant.

Toi, petite coquine, pour n’avoir pas été plus vigilante, tu payeras pour ta sœur dans quelques années.

LUCETTE, à Blaise.

Monsieur Biaise, je me recommande à vous quand je serai plus grande.

BLAISE

Volontiers, je ne risque rien d’avancer le mien dans ces marchés-là, moi je me sauve sur la quantité.

VAUDEVILLE

Prétextant une bonne affaire,
Un débiteur d’un ton poli,
Vous promet de vous satisfaire.
Eh ! oui, oui, oui.
Fiez-vous-y !
Plus on est bon, plus il retarde.
Ensuite on a beau le prier,
Il chante, il rit, et vous regarde
Comme Thomas sur le poirier.

Les agréments du badinage,
Aux prudes causent de l’ennui,
Leur conduite en est bien plus sage.
Eh ! oui, oui, oui,
Fiez-vous-y !
Bien souvent l’époux d’une prude
Qu’il respecte tout le premier,
Ferait une épreuve bien rude
S’il montait dessus le poirier.

Un Amant cachant son martyre,
Ne prend que le litre d’ami,
À l’estime seule il aspire,
Eh ! oui, oui, oui,
Fiez-vous-y !
On l’écoute, on l’aime, on se lie,
Et l’amour, ce petit sorcier,
Pour voir la dernière folie,
Monte bientôt sur le poirier.

Quel vif accueil ! quelle caresse
Lise fait à son vieux mari !
Sans doute il a seul sa tendresse,
Eh ! oui, oui, oui,
Fiez-vous-y !

On endort le pauvre bonhomme,
C’est pour l’empêcher de crier
De ce qu’il voit les choses, comme
S’il était dessus le poirier.

Quand nous vous plaisons, ce spectacle
Par vous, Messieurs, est embelli,
La critique y met-elle obstacle,
Eh ! oui, oui, oui,
Fions-nous-y !
Nous ne craindrons point les orages
Que les revers font essuyer,
Si vous faites par vos suffrages
Fructifier notre poirier.

FIN DU POIRIER.