Œuvres de Vadé/Le joueur de gobelets et les villageois

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Garnier (p. 133-134).

VI

LE JOUEUR DE GOBELETS ET LES VILLAGEOIS.

L’ignorance est un mauvais juge,
Dont bien des gens ne se trouvent pas mal ;
Mais contre les arrêts de son faux tribunal
La raison est un bon refuge.

Escroquillard, fameux escamoteur.
Dans un village un beau dimanche
Dressa son théâtre imposteur
Sur deux tréteaux que couvrait une planche,
Puis au bruit du tambour il se fit annoncer.
« — C’est par ici. Messieurs, allons, prenez vos places.
Dans l’instant je vais commencer. »
tous mes benêts pipés par ses grimaces.
De l’admirer ne pouvaient se lasser.

 
Après maints tours de passes-passes
Ils ne savaient que dire et que penser.
Leurs yeux frappés de ce rare spectacle,
Prenaient pour autant de miracles
Chaque parole et chaque changement.
Ils ne concevaient pas comment,
Sans y toucher, une muscade
Par le pouvoir du seul commandement
Allait joindre sa camarade…
« — Allons, Messieurs, à ce tour-ci,
Par la vertu de ma baguette
Je vais changer cet écu que voici
En plomb… Partez… La chose est faite,
Le voyez-vous ? Ça, maintenant
Que le plomb redevienne argent,
Soufflez dessus… » Chaque maroufle
Tour à tour de bonne foi souffle.
Et l’écu paraît de nouveau…
« — Ah ! mon Dieu, Seigneur ! que c’est beau !
Quel esprit ! C’est pire qu’un homme,
Que cet homme là… — Ça, Messieurs,
Leur dit Escroquillard, le temps m’appelle ailleurs, »
À leurs dépens muni d’une assez bonne somme,
Son départ fut son dernier tour ;
Le village longtemps parla de l’homme habile ;

Que de villageois à la Ville !
Que d’escamoteurs à la Cour !