Œuvres poétiques François de Maynard/Stances

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Stances (1613)
Œuvres poétiques François de Maynard, Texte établi par Gaston GarrissonA. Lemerre1 (p. 63-115).
STANCES.



Les oyseaux parmy l’air et les poissons dans l’onde,
La piralide au feu, et les hommes au monde,
Moy je vis au milieu de tous les elements :
Car mes souspirs sont l’air, et mes desirs la flame,
Mes larmes sont la mer, et la terre mon ame,
Immuable tousjours au choc de mes tourments.

Sur la mer de mes pleurs s’esleve maint orage,
Qui porte mon espoir à un triste naufrage,
Quand à mon cher desir ma belle Ourse ne luit :
Et comme d’un fetu les tourbillons se jouent,
Ainsi violemment les souspirs me secoüent,
Et de mon plus beau jour font une obscure nuit.

Si pour punir l’horreur de mille et mille crimes,
O Ciel ! tu veux encor soubs les ondeux abismes
Engouffrer l’univers, mes pleurs le noyeront :
Et s’il faut que le feu devorant les campagnes,
Rampe à bouillons fumeux aux sommets des montagnes
Pour le reduire en cendre, hé ! mes feux le feront.


Mais puisqu’en son ardeur mon feu est si extreme,
Que n’ay-je le pouvoir de me brusler moy-mesme,
Et perdre en mesme temps ma vie et mes douleurs ?
Ou puisque de mes pleurs la source est si féconde,
Qu’il ne faut d’autre mer pour noyer tout le monde,
Las ! que ne puis-je aussi noyer tous mes malheurs ?

Le feu ne brusle point sa chere piralide,
Et le poisson ne vit qu’en l’Élement humide,
Mais l’un et l’autre meurt loin du feu et de l’eau :
Donc, favorable Ciel, que mes feux s’amortissent,
Et avec mes douleurs que mes larmes tarissent,
Puis, ô piteuse Mort, viens ouvrir mon tombeau.

Mon mal est en tel point que tout mal il excede,
Et si pour le guerir je n’ay d’autre remede
Que l’espoir de ma mort favorable à mes vœux :
Mais parmy ces tourments où j’ay l’ame asservie,
Il faut que la douleur en.fin m’oste la vie,
Ou qu’elle, en se lassant, me rende plus heureux.


STANCES.


S’il est vray que la mort soit l’absance de l’ame,
Comment puis-je donc vivre eloigné de ma Dame ?
Et comment souspirer si je n’ay point de cœur ?
Un mort ne se plaint point, car la plainte est suivie
D’une triste douleur.
Toutes fois je me plains et si n’ay point de vie.


Que si je ne vis point, comment donc ma pensée
Dever, mon beau Soleil sainctement estancée
Me fait vivre d’espoir, et mourir mon desir ?
Et si dans les appas de ma douce esperance
Je trouve du plaisir,
Pourquoy me plains-je, helas ! d’une si douce absance ?

Mais si quand mon Soleil s’esclipsa de ma veue,
Entre mille douleurs mon ame combatue,
Me laissa pour tribut aux rigueurs du trespas ;
Hé ! comment puis-je vivre, ô erreur amoureuse ?
Si fais, ie vis helas !
Mais une triste vie et sombre et langoureuse.


STANCES.


Ces traits victorieux dont la pointe me blesse,
Ce ne sont point les traits de mon superbe Roy ;
Ains les chastes regaids de ma belle Deesse,
Dont le pouvoir me lie au doux joug de sa loy.

Jamais ce petit Dieu n’eut de si belles armes
Et si vaincu j’hommage une divinité,
La victoire est acquise au pouvoir de ses charmes
Seuls tirant de mon âme et de ma liberté.

Mes yeux ne pleurez point, vite amoureuse offense
Si douce et glorieuse est indigne de pleurs,
La gloire de servir me sert de recompence,
Et ne voudrais point vivre avec moins de douleurs.


On ne sçauroit brusler d’une si belle flame,
Et l’on ne void au ciel de si luysant flambeau,
De moy je tiens si cher le doux feu de mon ame,
Que plus il est cuisant, plus je le trouve beau.

Cest œil Roy de mon cœur si doucement me tue,
Quand aveuglé d’ennuy je vay cherchant son jour,
Que quiconque ne cede aux doux traits de sa veue,
Est indigne de vivre et de mourir d’Amour.

Quand mon jeune tiran va d’une main folastre
Crespant en mille rets son or victorieux,
Je punirois mon cœur ainsi qu’un idolatre,
S’il hommageoit Amour plus tost que ses beaux yeux.

Belle et chere prison dont la gloire amoureuse
Rend ma peine plus douce, et prolonge mon sort,
Si tu lasches un jour mon ame langoureuse
Je m’iray soudain rendre au pouvoir de la mort.

Le dueil qui me possede et fait que je souspire,
Est si doux à mon ame et si cher à mon cœur,
Que cessant de souffrir un si plaisant martire,
Je cesseray de vivre avecque ma langueur.

Depuis que j’idolatre une jeune Deesse,
Dont l’œil riche d’appas surprit ma liberté,
Je fuit ma gueridon de peur que je ne laisse
Avecque ma douleur l’amour de sa beauté.


Il n’est rien de si beau que fon œil dont la grace
Retient ma volonté soubs le joug de sa loy :
Car lors que son regard doucement sur moy passe,
Esgal aux plus grands Dieux s’estoufe mon esmoy.

Comme l’ombre s’enfuit au leuer de l’Aurore,
Amf: mon dueil s’escarte au jour de mon Soleil ;
Je beny toutesfois le soin qui me devore,
Quand l’absence me plonge aux nuits d’un long sommeil.

Ainsi quand je ressens la pointe langoureuse
D’un trait, las ! ce n’est point le trait de mon vainqueur,
Mais du chaste regard de ma belle impiteuse,
Par qui j’ay de l’amour, de gloire et de douleur.


STANCES.


Parmy les sombres nuits du triste eslongnement,
Où je n’ay que le dueil pour compagne fidelle,
Helas ! je ne vis point, ou je vis seulement
Par le cher souvenir de ma douce rebelle.

Aussi le jour plus beau n’est point beau à mes yeux,
Quand je fuis esloigné du bel œil qui m’esclaire,
Et dis (cillant ma veue à la clarté des cieux)
Dois-je voir autre object que ma belle adversaire ?

Lors espoint de regret de me voir separé
De l’œil que je reclame au fort de mes alarmes ;
Je pleure mon malheur, et mon œil esgaré
Cherche, las ! mais en vain le subject de mes larmes.


Si je vois dans un pré un œillet rouissant,
Je pense au doux corail de sa bouche emmiellée :
Mais si tost que je vois un soucy jaunisant,
Je perds ma triste vie en larmes escoulée.

L’un fait vivre mon ame, et l’autre ma douleur,
De l’un je tiens la mort et de l’autre la vie ;
Toutesfois le repos et la douce langueur
Me plaist esgallement pour ma belle ennemie.

Amour, que te sert-il de briser mille traits,
Puisqu’au joug de ta loy je lie ma franchise ?
Ou dites-moy, beaux yeux, pourquoy de vos atraicts
L’aigre et doux souvenir me tue et tirannise.

Mais las ! je ne sçaurois esloigner vos appas,
Sans estre espoint des traicts d’une douleur extreme :
Car qui pourroit mourir et ne se plaindre pas,
Ou vivre sans douleur, separé de soy-mesme ?


STANCES.


Separé de tes yeux, je le suis de moy-mesme,
Et ton seul souvenir me donne mouvement;
Mais s’il est vray qu’on meurt d’une douleur extreme,
Hé ! que ne meurs-je au point de cest esloignement ?

Aurez-vous des regards pour voir mon ennemie,
Ou serez-vous sans pleurs en perdant vostre jour,
Mes yeux ? Si vous n’avez de regards ny de vie,
Ayez au moins de pleurs autant que moy d’Amour.


Ainsi en m’esloignant du beau tour de sa veue,
Dont les chastes appas attisent mes ardeurs,
J’auray pour tesmoigner le regret qui me tue,
Mes amoureux souspirs et vos piteuses pleurs.

Si je devois aimer ceste douce rebelle,
Pourquoy m’en privez-vous destin malicieux,
Ou s’il me falloit nure esloigné de ma belle,
Que ne mourus-je alors que je quittay ses yeux ?

Destins, ha ! vous deviez en l’absance me suivre,
Et me priver de vie ainsi que de clarté,
Mais il ne se pouvoit, car en cessant de vivre,
J’eusse cessé d’aymer ceste chere beauté.

Que tu me plais regret dont mon ame est blessée,
Par le doux souvenir de l’œil qui me surprit :
Car si je n’ay des yeux que ceux de la pensée,
Las ! je vis en Amour comme au ciel un Esprit.

Heureux si les assauts de cent mortelles craintes
N’aigrissoient la douceur de mon contentement,
Mais un jaloux penser me donne mille attaintes,
Qui font que je ne meurs en son esloignement.

Si j’estois moins espris, ou que mon adversaire
Eusse moins de beauté, de charmes et d’appas,
Hé ! j’aurois moins de peur ; mais il ne se peut faire
Estant si plain d’amour que te ne craigne pas.



Mais parmy ces soupçons dont la rigueur m’afolle,
Je rebouche leur pointe et me dis bien heureux :
Car comme il ne se voit une si belle idolle,
Il ne se trouve aussi plus fidelle amoureux.


STANCES.


Que de chastes douceurs luysoient dedans ses yeux,
Que de jeunes Amours essoroient leurs plumages
Sur ce front enrichy des despouilles des Dieux,
Bref que de doux presages !

Mais ô ciel que d’esclairs d’un injuste mespris,
Font naistre de soupçons dont la rigueur m’entame ;
Car si l’espoir me rend du feu d’amour epris,
La peur glace mon ame.

D’un vagabond penser les importuns affauts
Violantent mon ame en creance legere,
Et semble seulement que pour forger mes maux
Je pense à ma guerriere.

En ce triste combat de la chaine et d’Amour,
Pour qui mon doux espoir contrepointe ses armes,
Je dessends les regards à mes deux yeux sans jour,
Et leur permets les larmes.

Un trop juste regret qui me ronge le cœur
Fait avorter ma plainte au point de sa naissance,
Sans plus mes chers souspirs alegent ma douleur
En plaignant mon offance.


Pourquoy de ses beaux yeux la trompeuse clarté
Ne rend à ses attraits mes attantes pareilles,
Ou pourquoy en oyant son infelicité,
Ne suis-je sans oreilles ?

Viens ô mort pitoyable à mon cœur qui t’attend,
Puisque je suis deschu du beau ciel de ma gloire,
Mais si je perds mon heur, pourquoy cheris-je tant
Son ingrate memoire ?

Seray-je plus sensible à l’amour et au dueil,
Qu’à l’oubly, seul remede à ma douleur extreme ?
Il faut qu’estant prisé du beau jour de son œil,
Je le sois de moy-mesme.

Sortez donc de mon cœur pitoyables sanglots.
Et vous mes cheres pleurs arrestez vostre course,
Je veux que mes regrets, quand mes jours seront clos,
N’ayent plus de resource.

Mais ô belle ennemie et d’Amour et de moy,
Pourquoy me paissois-tu d’une douce esperance,
Si tu devois, helas ! ou mespriser ma foy
Ou trahir ma creance ?

Au point que te te vis, pourquoy pour des regards
N’avois-tu des esclairs, de foudres, et d’otages ?
Blessé violemment de ces desdaigneux dards,
J’eux cessé mes hommages.


Mais que sert de me plaindre au fort de mes ennuis,
Puisqu’elle est insensible au regret qui me tue ?
Que si ses plus beaux jours me sont obscures nuits,
Que n’en perds-je la veue ?

Si tost qu’Amour voulut ravir ma liberté,
Mon œil de son dessin fut le premier complice ;
Ainsi estant sans yeux pour voir ceste beauté,
Je seray sans supplice.


STANCES.


Mourir pour un bel œil seul astre de ma vie,
Et feindre n’aymer point, sont les lois de mon fort,
Et parmy ces rigueurs oùj’ay l’ame asservie,
Mon plus doux entretien c’est l’espoir de la mort.

Amour, quand je la vois ceste ame de mon ame,
Pourquoy comme un esclair reluit-elle à mes yeux ?
Que s’il faut feindre, helas ! brusler d’une autre flame,
O ciel ! c’est trop vescu et triste et soucieux.

Mais si mon bien renaist au doux soir de sa veue,
Pourquoy ce beau Soleil ne luit sur moy tousjour ?
Que si tu crains ô Ciel ! que sa clarté me tue,
Helas ! sois sans pitié, je veux mourir d’Amour.

Lors que par la douleur mon ame est traverser,
Ceste chere beauté donc ne le saura point,
Et ma plainte et mon dueil ne seront qu’en pensée,
Comme si en pensant Amour m’avoir espoint.



Si de mon cher soucy la douce violence
Desrobe tristement un souspir à mon cœur,
Je crains d’avoir rompu les loix de mon silence,
Et soubs un feint sourir je cache ma douleur.


STANCES.


Abattons ces autels et ceste vaine idole,
Jettons la poudre aux yeux de la fidelité,
Je me suis trop repeu d’une esperance folle,
Reviens encor chez moy, ô douce liberté.

Cher desdain qui destruits les amours plus solides,
Et avec l’eau d’oubly estains le feu d’Amour,
Vien marcher sur le front de ces beautés perfides,
Et en lieu de respect fais chez moy ton sejour.

Chasse le souvenir de ceste belle ingrate,
Et brise les liens qui jadis m’avoient pris,
Je veux avecque toy que mon ame combate
Ceste fiere beauté des armes du mespris.

Si j’ay sans jugement aux rais de son visage
Fait volontaire bris de ma verte saison :
Je veux brisant mes fers reparer mon dommage
Et rappeler encor ma premiere raison.

Qu’elle ne quitte point celle humeur vagabonde
Qui rend sa volonté girouette à tous vents,
Je siray en amour plus muable que l’onde,
Et mes vœux comme flots iront s’entresuivants.


Qu’elle range son cœur au joug de l’inconstance,
Je me donne au mespris de son courage hautain :
Et ne veux desormais avoir de souvenance,
Sinon pour la fouler soubs les pieds du desdain.

Si par mille souspirs mon ardeur tesmoignée
A fait voir que mon cœur vivoit de ses beaux yeux,
Ores que son amour s’est de moy esloignée,
Je brave ses appas et me ris de ses feux.

Au point que je la vis ceste belle trompeuse,
Je dis Brulons au feu de cest astre si clair :
Mais je ne sçauois point combien est dangereuse
L’humeur d’une beauté plus legere que l’air.

J’ay eu autant d’amour qu’elle a esté fidelle,
Et j’ay rompu mes fers sitost qu’elle sa foy,
Et ne veux desormais recevoir la loy d’elle,
Puisqu’elle ne veut plus la recevoir de moy.


STANCES.


Afollé d’un soucy dont la pointe acerée
Ne peut trancher le fil de mon malheureux sort,
Je reclame le Ciel d’une plainte alterée,
Mais rien ne m’est si doux que l’espoir de la mort.

Je serois moins sensible au regret qui me tue
Si j’avois moins d’amour loin de mes doux vainqueurs,
Mais en me separant du beau jour de leur veue,
Mon amoureux desir redouble ses ardeurs.


De mes jaloux pensers fuzils de mon hommage
Mes langoureux desirs relevent leur pouvoir,
Et mouillé de mes pleurs, et battu de l’orage,
Je m’en vay ternissant comme un lis vers le soir.

Si je pense à ma belle, hé ! ce penser m’offence,
Et rien ne m’est si doux que son cher souvenir,
Las ! je m’avance plus quand j’ay moins d’esperance,
Et si je me repens je n’en puis revenir.

Si pour me soulager de ma douleur extreme,
Je me va separant de sa douce beauté,
En esloignant ses yeux je fuis loin de moy-mesme,
Et ne me puis trouver qu’au jour de sa clarté !

Au moins si en perdant et mon heur et ma gloire,
Quand je vis esloigné de ma belle et de moy,
je perdois tout d’Un coup la vie et la memoire,
Comme sans souvenir je serois sans esmoy.

Mais las ! il nesje peut, si ce n’est que ma flame
S’estaignit avec moy par un mesme trespas,
Ou qu’estant separé du soleil de mon ame,
Je fusse moins sensible aux traits de ses appas.

Que ne vois-je flamber ces astres de ma vie,
Dont les chastes esclairs me bruslent à leur tour ?
Par leurs charmes vainqueurs mon ame estant ravie,
Je mourrois, mais contant et heureux en amour.


Cessez triste sanglots d’estouffer ma parolle,
Et vous ameres pleurs arrestez vostre cours,
Pour adoucir l’aigreur du soucy qui m’affolle,
J’appelle mon tirant à mon dernier secours.

Amour prends ta volée au sejour de ma belle,
Et dis luy que je meurs esloigné de ses yeux,
Mais cruel tu t’enfuis, hé, crois-tu que ton aisle
Se brusle aux doux rayons de fon œil gracieux ?

Va, fuy, j’iray guidant mes pas vers mon Aurore,
Et luy diray qu’aux nuits de sa douce clarté,
Un immortel soucy me ronge et me devore,
Et que je ne vis point qu’au jour de sa beauté.

Lors un mielleux regard volant soubs sa paupiere
Fera voir la douceur au serein de son front,
Et mon ame hommageant sa divine lumiere,
Victimera mon cœur en martires fecond.


STANCES.


Amour n’a point de traits que les regards vainqueurs
De ma douce rebelle,
Ny mon ame de dueil sinon par les rigueurs
De sa beauté cruelle.

Ce beau front où j’appens ma chere liberté
Est le ciel de mon ame :
Mais ces Astres d’Amour changent en cruauté
La douceur de leur flame.


Aislé d’un beau desir je volle à mon soleil,
Où la beauté flamboye ;
Et quand mon cœur immole à son esclat vermeil,
Superbe il me foudroye.

Si cest astre jumeau me fait vivre d’amour
Par une douce atainte ;
L’orgueil de ses regards qui noircissent mon jour,
Me fait mourir de crainte.

Ha ! je suis trop sensible à ses atraits, où pris
Je rends mon mal extreme :
Il faut qu’à leur desdain j’oppose mon mespris,
Amoureux de moy-mesme.


STANCES.


Va t-en, triste souspir, vers ma belle Deesse,
Dis-luy que je me meurs quand son bel œil ne luit,
Et qu’il faut, pour bannir la douleur qui me blesse,
La voir, puisque le jour cede à l’ombreuse nuit.

Amour, va le guidant au sejour de ma belle,
Et s’il ne peut parler, preffé de la douleur,
Dis-luy que sans la voir mon dueil se renouelle,
Et que je ne puis vivre et sans elle, et sans cœur.

Et toy, beauté si chere et si douce à mon ame,
Viens-moy rendre la vie, ou ne me l’ostes pas,
Que si pour ne te voir un fier regret m’entame,
He ! viens noyer mon dueil au miel de tes appas.


Cependant je languis eslongné de ta veue,
Attendant le retour de ton œil, mon doux Roy,
Et faudra que bien-tost ceste langueur me tue,
Ou bien que ton regard dissipe mon esmoy.

Le tour d’un pied glissant finit jà sa carriere,
Et les sombres flambeaux estincellent aux cieux :
Que si loin du soleil le monde est sans lumiere,
Helas ! je fuis sans ame esloigné de tes yeux.


STANCES.


Par un excez d’Amour mon ame s’est perdue.
Et un Soleil trop clair m’a desrobé sa veue,
Ainsi triste je vis et sans ame et sans yeux :
Mais las ! si l’on ne peut sans yeux voir la lumiere,
Ny se douloir sans ame, ô Desse escumiere,
Comment me puis-je plaindre, et comment voir les cieux ?

Mes yeux qui pour object n’avoient que tes doux charmes,
Sont maintenant changés en deux sources de larmes,
Et mon ame affligee en un rocher d’Amour ;
Son invaincible foy, jouet de l’infortune,
Contrelute l’effort de l’amoureux Neptune,
Dont le plus fier assaut affermit son sejour.

L’excez du fier regret qui me ronge en l’absance,
Fait avorter ma plainte au point de sa naissance,

Et j’ay moins de souspirs quand j’ay plus de douleur :
Car si je me veux plaindre, hé ! ma langue se noue,
Mes pleurs, qui flot sur flot descoulent sur ma joue,
Plus que ma triste voix tesmoignent ma langueur.

Si je vay sanglotant mes douleurs non-pareilles,
Amour, pour ne m’ouyr, se bouche les oreilles,
Et pour ne me voir pas il serre son bandeau,
Mais si mon Astre luit ou lasche sa parolle,
Tout oreille et tout yeux, vers luy ce cruel vole,
Ravy d’un si doux charme et d’un astre si beau.

Mais puisqu’en mon malheur rien ne m’est secourable,
Douce mort, viens trancher par un coup favorable
La trame de ma vie et le fil de mes maux.
Car Amour et le Ciel, imployables complices,
Sur mon fidelle cœur forgeant mille supplices,
Foulent injustement mes amoureux travaux.

Au moins si ma douleur n’estoit point inconue,
Peut-estre la beauté dont j’ay perdu la veue,
Favorable à mes vœux alegeroit mon dueil :
Mais ce superbe Dieu, qui tient mon ame estrainte,
Deffend aux doux Zephirs de porter loin ma plainte,
Quand d’un mourant souspir j’appelle ce bel œil.


STANCES.


Tandis que j’ay vescu content de ma fortune,
Le ciel ne m’estoit rien au prix de mon bon-heur,
Car estimant ma gloire à nulle autre commune,
J’estois remply d’amour & libre de douleur.

Si fallait admirant le gain de ma victoire,
Ravi de tant de biens je mesprisois les Dieux,
Et disois : C’est en vain qu’on pourchasse la gloire,
Si l’on n’est idolastre & captif de ses yeux.

Mais des que possedé d’une jalouse enuie,
J’ay connu le reflus de ceste mer d’Amour,
Contre un mortel regret je fais bris de ma vie,
Mais te regrette moins ma flame que mon jour.

Amour & ses beaux yeux estoient les doux complices
De ma fortune, helas ! trop legere pour moy,
Car il sembloit qu’au monde il n’y eust de delices
Que pour recompenser ma confiance et ma foy.

Rien n’estoit agreable et cher à ma pensee,
Que le doux souvenir de ce contentement,
Je benissois l’amour, quand mon ame blessée
Pour cacher ses faveurs enduroit du tourment.

Car feignant de trainer le plus beau de mon age,
Amoureux de moy-mesme & de ma liberté,
Alors que la douceur me pressoit davantage,
Quelque soupir glissoit de mon cœur agité

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