Aïsha Rosa, souvenirs des rives du Bosphore

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AÏSHA ROSA


SOUVENIRS DES RIVES DU BOSPHORE.






I

— Parlez-moi des choses éternelles, disait un soir, il y a quelque temps, à un homme que j’ai peu aimé et beaucoup connu, une femme dans cet état de cœur et à ce moment de la vie où l’on est suspendu entre l’amour divin et l’autre amour, comme ces oiseaux qui suivent les navires sont suspendus entre la mer et le ciel. De temps à autre, vous les voyez (je parle des oiseaux) toucher de l’aile ces flots sombres dont ils semblent ne s’éloigner qu’avec douleur, puis la région céleste les attire, et ils disparaissent dans le bleu, puis ils descendent encore. C’est ainsi qu’elle faisait, et qu’elle fera peut-être longtemps en dépit d’elle. Quant à lui, jugez de son existence et de ses pensées par sa réponse.

— Il y a des choses éternelles, lui dit-il, que je n’aurai peut-être pas le formidable bonheur de connaître, quoique j’aie cru les entrevoir par instant. Si elles m’étaient jamais révélées, je n’en parlerais pas, avec vous surtout, en ce lieu et à cette heure ; il n’est point de lumière divine que ne me cachât votre corps, tout frêle et mince qu’il est. Mais je connais et n’ai point cessé d’admirer des choses en même temps impérissables et fugitives comme ce charme dont vous me remplissez, et que, bien longtemps après nous deux, des femmes telles que vous verseront à des hommes tels que moi. Parlons donc de ces choses-là. Encore une histoire amoureuse.

Il y avait sur les rives du Bosphore une femme qui s’appelait Aïsha Rosa. Elle était née en Asie, de la ce nom d’Aïsha. Le hasard la fît chrétienne, de là ce nom de Rosa, qui lui convenait merveilleusement. Elle avait à peine dix-sept ans, mon Dieu, oui, si peu que cela. Ici les années viennent se poser sur les femmes sans les écraser sous leur poids. Bien loin de là, je crois que souvent elles les parent. Elles les rendent animées et harmonieuses comme des arbres où se nichent des fauvettes. — Vous riez ? — Ai-je tort ? — Que voulez-vous ? je vous jure que je pense ainsi. Eh bien ! il n’en est pas de même en Orient. Vingt ans courbent une femme dans ce pays-là. Au milieu d’un visage blanc nuancé d’un rose presque insensible, et d’une délicatesse, d’une fraîcheur qui sont l’orgueil comme le secret du harem, elle avait des yeux remplis d’une telle clarté qu’on eût dit, lorsqu’ils illuminaient tout à coup son visage, l’invasion du soleil dans un bois de myrtes. Maintenant, pour vous la faire entièrement connaître, il faut que je vous parle tout de suite d’un homme dont le portrait pourrait m’embarrasser très fort ; mais, je le déclare, il ne m’embarrasse pas.

Le marquis de Claresford est devenu Anglais par hasard entre dix-huit et vingt ans. Il s’appelait Hugues d’Hériville, et menait dans un coin de la France une vie des plus retirées, quand il lui arriva cette romanesque aventure, qu’un de ses parens à un degré remontant aux temps héroïques des Normands lui laissa la pairie de Claresford. Ainsi le fils de Catherine Gordon devint un jour lord Byron. Si je parle de Byron du reste, c’est parce que Claresford lui a été quelquefois comparé sans que je sache trop pourquoi. Tous les deux, il est vrai, ont eu le privilège d’être de temps à autre le repas du vieux vautour de Prométhée ; mais Byron à coup sûr était un régal plus précieux que Claresford pour l’oiseau olympien. Hugues n’a jamais fait un seul vers, et les œuvres qu’il s’est avisé un jour d’écrire dans un anglais des plus bizarres n’ont d’autre intérêt que la sincérité d’un esprit indépendant de toutes choses, excepté de ses caprices et de ses passions. Ce sont en somme d’assez mauvais livres, rappelant continuellement cet état de l’atmosphère qui fait dire aux gens de la campagne : « Voilà le diable qui marie sa fille et qui bat sa femme. » Si vous les aimez cependant, libre à vous, je ne vois pas pourquoi je m’embarquerais dans des questions littéraires. Le seul rapport qu’il l’ait entre Byron et Claresford, c’est que sans mépriser, bien loin de là, en respectant la pensée, tous deux ont refusé avec opiniâtreté d’en subir la domination exclusive : l’un et l’autre ont recherché l’action, l’un et l’autre l’ont aimée ; c’est Claresford, je dois le dire, dont la recherche a été la plus sérieuse, dont l’amour a été le plus vrai, le plus passionné.

Mais revenons vite à ses défauts. Avec toutes les apparences d’une humeur facile, rien au fond ne le satisfait. Il croit religieusement à cette parole de la Genèse : « Dieu se repentit d’avoir créé l’homme. » Comment voulez-vous, dit-il, que je sois tranquille quand je suis le remords de Dieu ? C’est donc, aussitôt qu’on le connaît un peu, une insupportable incarnation de l’inquiétude. Un de ses plus irritans et de ses plus déplorables travers, c’est de se prendre, et soudain et sans cesse, d’une tendresse pleine d’emportemens maladifs pour tout ce qu’il quitte : êtres, choses, lieux. Récemment, quand finit cette guerre de Crimée, où il figura dans les hussards de lord Cardigan, il fut pris d’une tristesse profonde, et il en vint à regretter jusqu’à cet affreux plateau de la Chersonèse, où, depuis que le canon se taisait, les morts seuls avaient le droit de ne pas s’ennuyer.

Sur le bateau qui l’éloignait de cette terre désolée, il n’avait que des pensées chagrines.

— Quelle maladresse ! se répétait-il, et quel malheur de revenir dans une vie qu’on a eu l’heureuse fortune de quitter ! Le charme souverain de la guerre, c’est qu’elle suspend, comme le sommeil, tous les ennuis de ce monde. S’en séparer, c’est le supplice que tant d’entre nous éprouvent chaque matin au moment de recommencer leur besogne journalière. — Puis, répondant avec une sincérité pleine d’amertume à cette question, l’angoisse de tous les retours : « Que vais-je retrouver ? » il se disait : « Personne à qui j’apporte une joie réelle. » Dans cette course qu’il venait d’accomplir à travers le temps, l’espace et le péril, combien l’avaient abandonné ! Il savait la courte haleine de ces pensées qui doivent vous suivre partout, même dans l’autre vie. De ces affections qui lui criaient : « Attends-moi, je te suis ! » comme la veuve de La Fontaine à son époux, bien peu qui se fussent mises en route, pas une qui ne se fût arrêtée. Comme il avait vu les lettres devenir rares, puis disparaître, en passant par toute sorte d’étranges phases ! Ces inquiétudes passionnées qu’elles exprimaient d’abord faisaient place à une indifférence amenée par la monotonie d’un même péril, puis cette indifférence se tournait presque en amertume, et plus d’une fois il avait cru de loin s’entendre dire : « Comment donc ! vous n’êtes pas mort ? » Oui, c’est ainsi que l’avait traité celle même dont vous connaissez ce regard et ce sourire qui semblent toujours faire des promesses immortelles, celle dont il a dit plus d’une fois, se laissant entraîner aux tendresses mystiques : « C’est Dieu qui me l’a enfin envoyée ! »

— C’est Dieu qui la lui reprenait, dites-vous. — Eh bien ! franchement, je ne le crois pas. C’était bien plutôt, convenez-en, le vieux monarque fardé du monde, le père du mensonge et de l’égoïsme, l’ennemi de tout ce qui a des ailes, partant de toutes les grandes amours, en un mot le diable, madame ; mais ne parlons que de Claresford, sur qui j’ai vraiment l’air de m’attendrir. Il voyait donc toutes les choses humaines sous les couleurs les plus lugubres, quand il entra dans le Bosphore. Ce lieu, qu’il connaissait déjà, lui causa une émotion profonde et soudaine. Il y a des momens où la nature semble nous traiter avec indifférence, d’autres au contraire où l’on dirait qu’elle songe à nous, qu’elle nous regarde. Il crut que l’Orient attachait sur lui ses yeux d’or. Jamais cette région si célébrée ne lui était apparue avec tant de charme. Le jour touchait à sa fin, la mer était aussi lumineuse que le ciel ; l’Europe et l’Asie, qui en cet endroit unique du globe se regardent toutes deux au même miroir, semblaient faire assaut de beauté. C’était sur l’un et l’autre rivage le joyeux éclat du gazon, la grâce altière des arbres, enfin la gloire des montagnes. « Certainement, pensa Claresford, voilà un pays que je ne quitterai pas tant qu’il ne s’élèvera point du fond de mon cœur un de ces vents maudits qui poussent ma vie aux quatre coins du ciel. » — Et il promena sa vue, comme pour s’y choisir une demeure, sur ces amas de palais qui semblent se presser les uns contre les autres pour faire honneur au soleil et profiter de ses faveurs.

On a souvent médit des palais du Bosphore. Je les trouve d’une séduction merveilleuse. Nombre d’entre eux sont d’un marbre aussi pur que les déesses de nos parcs. Il en est plus d’un en bois peint ; assurément ce ne sont pas ceux dont l’imagination a le plus à se plaindre. J’aime assez une demeure qui sourit à l’homme et qui n’insulte ni à la fragilité de son être, ni à la rapidité de ses jours. Puis le palais de bois offre des couleurs de l’effet le plus divertissant pour les yeux et pour l’esprit. C’est à l’intérieur surtout qu’il faut le voir : quoi de plus charmant que ces grandes pièces percées par d’innombrables fenêtres, et dont les lambris sont égayés par toute sorte de fleurs appartenant à des jardins impossibles ! Rien ne vient à point dans ce monde. J’aurais voulu jouir de l’Orient quand j’apprenais la vie idéale dans les contes de fées. L’asile que se choisit Claresford, car il avait pris aux Anglais cette bonne qualité, qu’il mettait tout de suite ses fantaisies en pratique, était quelque chose de gai et de mystérieux en même temps. Imaginez un logis couleur de rose qu’entoure une ceinture de colonnettes et que seul sépare du Bosphore un gazon d’un vert sombre, d’où sortent çà et là quelques arbres élancés se terminant par de vastes parasols toujours baignés de lumière. Voilà le dehors de cette demeure. À l’intérieur, ce sont de vastes pièces qui se succèdent sans aucune logique, qui, au lieu des distributions savantes, des combinaisons exactes de nos appartemens, présentent une déraison pleine d’attrait. Une profusion de fenêtres laisse entrer partout une clarté qui, grâce à de grands stores, n’a rien que de doucement souriant. Cette habitation transparente ressemble aux verres aériens destinés aux vins blonds et légers. Ainsi a pensé lord Hugues Claresford en la parcourant pour la première fois, et il s’est dit : « Puisse Dieu m’y verser au moins quelques jours la vie oublieuse et facile dont je suis altéré ! »


II

Lord Hugues avait pour voisin ce prince Alexandre Strezza dont Bucharest gardera longtemps le souvenir. Bucharest, à coup sûr, est la ville du monde où la grande divinité païenne qu’aucun culte n’a pu anéantir, où Vénus est adorée avec le plus d’emportement, et parmi les adorateurs de la toute-puissante déesse, nul n’était plus convaincu, plus fervent, plus absolu dans sa dévotion que le prince Strezza. Aussi jouissait-il de ce bien précieux, — que, malgré une intelligence assez développée et assez fine, et qui aurait pu comme toute autre avoir ses inquiétudes, la vie ne lui offrait aucun problème à résoudre. En tout lieu où se rencontrait une femme que pussent poursuivre et atteindre ses désirs, il avait trouvé le seul but qu’il se fût jamais proposé. Malheureusement le pauvre Strezza, par une cruelle ironie du sort, était depuis quelques années fort dépourvu de la qualité qu’exigent le plus impérieusement les religions antiques. Cette compagne indispensable du plaisir, la santé, l’avait abandonné. Elle s’était enfuie aussi cruellement, que dis-je, ? bien plus cruellement encore qu’a jamais pu le faire, madame, la plus vaporeuse de vos illusions. Strezza était lentement consumé par une maladie de poitrine dont il demandait en vain à tous les cieux gais et bienfaisans de le débarrasser. Cet affreux mal ne changeait rien à son humeur. Aucune des pensées qui descendent dans une âme chrétienne avec les ombres de la mort ne pénétrait dans cette nature, où régnait plus que jamais la loi des sens. Quel homme horrible ! me dites-vous. Certes je ne voudrais pas lui ressembler en tout point, mais je vous assure qu’il n’était pas trop horrible pourtant. C’était d’abord un garçon de la plus aimable figure. Il avait à la fois du Grec et du Slave. Ses traits, réguliers comme ceux d’une statue, étaient éclairés par un regard que la rêverie du Nord, cette pâle et lumineuse rêverie, animait de son mystérieux éclat. Puis il avait de l’esprit et beaucoup, de l’esprit français, ou du moins de ce qu’on appelle ainsi, à juste titre, je le crois.

Dans l’ensemble même de la vie, Claresford s’est soustrait et se soustraira toujours à toute domination, mais nul ne subit plus complètement que lui mille influences passagères dans les phases successives de son existence. Que demain il se prenne de goût pour quelque esprit ascétique, et il sera digne pendant huit jours d’habiter la cellule de saint Bruno. Aujourd’hui, s’il rencontre sur son chemin quelque âme éprise du plaisir avec élévation et sincérité, comme cela se trouve parfois, vous le verrez marcher dans les brodequins d’Alcibiade. En définitive, après tous ces rôles qu’il accepte dédaigneusement des événemens et des hommes, c’est la même nature qu’il laisse constamment reparaître ; après le masque souriant ou austère, c’est le même visage que l’on revoit, ce front où se sont amoncelées déjà tant d’ombres, ce regard qui semble chaque jour jeter à la vie une interrogation plus ardente et plus désolée. Je veux simplement dire ceci, qu’il résolut pour quelque temps de se laisser diriger par Strezza.

Or un beau matin, pendant qu’il fumait enseveli entre des piles de coussins et entouré moitié par le tabac, moitié par la rêverie, de nuages qui lui cachaient agréablement les réalités de ce monde, le Valaque entra, s’assit à ses pieds, et lui parla à peu près ainsi :

— Savez-vous, mon cher Hugues, que vous menez une vie insipide, et même coupable, croyez-le bien ? À quoi vous servent ce beau ciel, votre santé et vos loisirs, si vous ne vous associez pas au moins pour quelques jours à quelque créature belle, bien faite et d’agréable humeur, propre à vous laisser un bon souvenir ? Tenez, laissez-moi vous mener ce soir chez Mme Frazzini.

Ici Hugues se permit une interrogation.

M. Frazzini, dit-il, est mon banquier, et je le vois quand j’ai besoin d’argent ; mais je ne veux rien demander à sa femme. Toute jolie qu’elle est assurément, elle possède l’art de me déplaire à un degré où ne l’ont jamais eu les plus tristes laiderons. Elle est née, je crois, à Marseille : Eh bien ! je trouve une cruelle analogie entre son regard et son accent. Dans ses yeux comme sur ses lèvres, Il y a quelque chose d’éternellement sautillant qu’on voudrait à toute force voir se calmer un moment. Puis elle appartient à cette race malencontreuse de coquettes qui me versent le sommeil alors qu’elles s’efforcent de me causer la plus vive excitation. Je finis par m’endormir désagréablement au bruit de cette parole vide, et surtout de cet insupportable rire qui accompagne sans cesse tout ce qu’on lui dit et tout ce qu’elle vous dit. Ah ! Strezza, mon cher Strezza, si vous voulez enchanter pour moi les rives du Bosphore, ne me les faites pas fouler avec Mme Frazzini.

— Je n’interromps jamais, reprit le Valaque avec calme, les gens qui disent du mal de leur prochain. Maintenant que vous avez fini votre tirade, je dois vous déclarer que je n’ai nullement pensé à vous armer contre le repos de votre banquier. Laissez-moi vous mener, vous disais-je, chez Mme Frazzini, et la vous verrez une des merveilles de ce monde, Mlle Aïsha Rosa. Vous avez rencontré quelquefois ce vieux pacha en redingote marron, dont le palais touche au vôtre. C’est un personnage fort curieux à connaître, qui représente la Turquie civilisée. Il a eu des missions importantes en France ; il a lu Voltaire et il boit du vin. Malheureusement il n’a pas porté dans un acte très récent de sa vie la finesse et le discernement dont il se pique. Il a fait un vol primitif, un vol barbare, si grossièrement patent, que le sultan a été forcé de lui infliger sa disgrâce. Le cordon est de nos jours ce que la vertu est depuis si longtemps, un vain mot. Osman-Pacha est donc en vie, peut-être même sera-t-il replacé plus tard ; seulement, à l’heure qu’il est, il habite mélancoliquement les rives du Bosphore, dans un palais qu’il voudrait vendre, et avec une fille…

— Qu’il vendrait comme son palais, dit Claresford en prenant une attitude attentive.

— Ma foi, continua Strezza, vous l’avez dit, et ce serait, suivant moi, une acquisition préférable à celle du plus beau marbre, de la toile la plus vivante et la plus splendide. Rien qu’en regardant cette parfaite beauté, j’ai encore une sorte de bonheur, et certes je ne vous l’aurais pas révélée, mon cher Hugues, malgré le goût que vous m’inspirez, si la destinée ne m’avait point fait ce que vous me voyez aujourd’hui. Je ne suis pas tout à fait l’ami du Monomotapa, ajouta-t-il en souriant avec la satisfaction littéraire d’un étranger versé dans la connaissance de nos chefs-d’œuvre, mais je suis heureux de vous faire une galanterie orientale qui ne me coûte qu’un bon avis.

Claresford devint tout rêveur. Quoique sa vie soit à coup sûr une de celles qui doivent mettre à la plus rude épreuve la pureté de nos anges gardiens, il a toujours eu une répugnance instinctive pour certaines amours. Il y a bien peu de temps encore, il croyait parfois, le soir, tout à coup dans sa tente, en écoutant d’une oreille distraite le bruit lointain du canon, à de si divins mystères de tendresses ! Qu’importe ? ce temps-là n’existait plus. Au bout de quelques momens, il sortit donc de sa rêverie pour dire à Strezza : — Eh bien ! soit, je vous suivrai chez Mlle Frazzini.

Le soir même, les deux amis entraient chez la femme du banquier. Il y avait là une de ces réunions étranges, comme on peut en trouver du reste beaucoup moins loin qu’à Constantinople, une fois qu’en matière mondaine on s’est écarté des voies orthodoxes ; c’était un de ces routs qui ont l’air, par la bigarrure des élémens qu’ils rassemblent, d’épisodes du jugement dernier. Un général polonais, une princesse arménienne, un marchand juif, un diplomate français étaient groupés auprès de Mme Frazzini. Claresford, qui n’aime pas beaucoup à observer, quoique bien des gens lui disent sans cesse d’un air fin : « Voilà qui est curieux pour un écrivain comme vous, » Claresford se sentait déjà sous le poids d’un ennui formidable, quand Osman-Pacha fit son entrée avec Aïsha Rosa.

Aucune femme de ce livre merveilleux aussi bien par mille éblouissantes féeries que par maintes délicatesses secrètes du cœur, aucune héroïne des Mille et Une Nuits ne montra jamais, en levant son voile, autant de perfection qu’en montrait ce soir-là Aïsha Rosa, en traversant à visage découvert le salon de Mme Frazzini. Avec sa pâleur rayonnante, son teint de rose blanche éclairée par une lumière d’étoile, c’était une véritable apparition échappée d’un monde occulte et splendide. Ainsi pouvait être cette haute et mystérieuse dame que nous connaissons sous le nom de la lune, quand elle courait autrefois sur les gazons à la recherche de son berger.

— En vérité, dit Claresford à Strezza, voilà une étrange créature, et lui être présenté me semble aussi bizarre que d’être présenté à une fleur, à un diamant, à une gazelle, à un tableau, à quelque chose enfin d’une autre espèce que nous. J’ai envie d’aller tout simplement m’asseoir à ses côtés sans lui rien dire.

— Point du tout, repartit Strezza ; ce sont manières qui ne valent rien avec les Orientaux de ce temps-ci, qu’on ne saurait trop traiter, si on veut sur-le-champ les conquérir, avec les procédés civilisés. Je vais présenter lord Hugues Claresford à Osman-Pacha, puis à Mlle Aïsha Rosa.

Ce qui fut dit fut fait, et, cette formalité remplie, Hugues se trouva installé auprès de la houri. Cette houri était chrétienne, je vous l’ai dit au commencement de ce récit. Il faut que vous appreniez en peu de mots de quelle manière notre religion avait fait cette charmante conquête. Pendant un de ses séjours en France, Osman-Pacha avait connu une vieille Irlandaise, beaucoup plus riche à elle seule assurément que la moitié de ses compatriotes réunis. Lady O’Penny se prit de passion pour Aïsha, dont la mère était morte, et qui avait à peine cinq ou six ans. Elle pria Osman de lui abandonner cette enfant, disant qu’Aïsha deviendrait sa fille. Le philosophe ottoman fit peu de résistance, et la petite Turque fut bientôt une des curiosités d’un des salons européens les plus encombrés d’excentricités de toute nature : maestri célèbres, anciennes beautés et vieux savans. Par malheur, il arriva que lady O’Penny, qui aimait, en vieille admiratrice d’Ossian, à être toujours enveloppée de gazes, s’embrasa un soir où d’aventure elle se trouvait seule dans son salon, au coin de son feu, après le départ de ses hôtes habituels. Quand on vint à son secours, il était trop tard ; la pauvre femme appartenait à un monde meilleur, ou tout au moins à un autre monde ; elle avait laissé celui-ci tellement à l’improviste, qu’aucune de ses volontés probables ne put être accomplie. Aïsha, qui avait alors onze ans, âge où les femmes orientales sont déjà fruits dorés par les plus beaux rayons de la jeunesse, Aïsha, dis-je, fut obligée de retourner auprès de son père, et ma foi, je l’avouerai tout de suite, Turque à peu près comme devant. Elle avait reçu le nom de Rosa, c’est vrai, le jour où un académicien célèbre, qui lui avait servi de parrain, avait renoncé pour elle à Satan, à ses pompes et à ses œuvres ; on lui avait ensuite appris un peu de français. À cela se bornaient tous les changemens qui s’étaient opérés en elle. Le ciel l’avait faite par excellence femme du sérail. Ces deux sœurs si étroitement unies entre elles, la paresse et la volupté, semblaient guider chacun de ses pas, s’asseoir à ses pieds quand elle se reposait, la bercer quand elle dormait. Ce qu’elle savait de français lui servait à exprimer un petit nombre d’idées primitives, unique et faible parfum de cette rose ; seulement, grâce à ce peu de mots d’une langue universelle, cette fleur d’Orient avait acquis encore un nouveau prix. C’est ce que sentit Osman, qui se promit de réserver comme ressource suprême, pour quelque grande circonstance, les charmés et l’éducation de sa fille.

Depuis quelques jours, cette circonstance s’était présentée. Le pacha, pour redevenir un homme élevé en dignité, avait besoin d’une somme considérable promise à un haut personnage d’Égypte. C’est la ce que Strezza savait peut-être, mais ce qu’ignorait Claresford. Tout en causant avec Aïsha, il l’avait donc trouvée adorable ; ce qu’elle lui disait, ou plutôt ce qu’elle ne lui disait pas ne détruisait aucune de ses illusions. Elle avait de ces sourires qui semblent tout comprendre, et de ces regards, semblables aux dessins capricieux du foyer, où l’on voit tout ce que l’on veut. Les paroles assez vagues qui de temps en temps s’échappaient de ses jolies lèvres étaient harmonieuses et comme imprégnées de sa beauté. Claresford sentait peu à peu l’ivresse le gagner. Quand il la quitta, était-il amoureux ? Non, certes ; mais l’enchantement agissait, et il se promenait d’un pas rêveur dans des jardins invisibles.

Le vieil Osman, en vrai fumeur d’hachich, s’aperçut de cet état, et vint s’installer auprès de lui. La conversation s’engagea entre les deux voisins, car je vous ai dit que les demeures de Hugues et du pacha se touchaient.

— Vous avez un merveilleux palais, dit le marquis au pacha.

— Un voyage en Égypte me force à le quitter pour un mois, répondit le Turc ; si vous le voulez, je vous le laisserai pendant ce temps-là pour…

La somme était si énorme, que Claresford attacha un regard étonné sur son interlocuteur, qui souriait d’un air fin.

— Seulement, reprit l’homme politique, à mon grand regret, je ne puis emmener ma fille. Je laisse Aïsha, ce qui, j’imagine, ne nous empêchera point de traiter.

Le soir, en regagnant son logis avec Strezza, Claresford disait : — J’ai acquis une Turque pour un mois au prix d’une année environ de mes revenus. Je n’ai certes point de remords pécuniaires, car l’avarice, comme dit un poète, n’a jamais appuyé ses lèvres livides sur mon cœur ; seulement, à présent que je ne suis plus auprès de la femme qui m’a tout à coup fait penser, sentir et agir en vrai personnage des Mille et Une Nuits, j’ai comme un peu d’humiliation et beaucoup de tristesse. En suis-je donc déjà à cet amour qui, pour attendrir les belles, répand une pluie d’or au lieu de larmes ? Puis, en certaines matières, j’ai encore une jeunesse singulière : je n’aime pas mettre tout à fait mon âme de côté.

— Ma foi, repartit Strezza, votre âme est bien maussade et mal avisée, si elle s’imagine bouder près de la femme dont vous serez le seigneur demain.

— Puis,… reprit encore lord Claresford, et il n’acheva pas.


III

Mais c’est ici que commence tout le délicat et l’intéressant de mon récit. Claresford pensa à une femme que je nommerai la marquise Olympia.

— Le sot nom, me dites-vous, madame, et pourquoi ?

— Parce qu’il est horriblement prétentieux.

— Peu importe ; il rend parfaitement ma pensée.

— Et puis la pauvre créature ne le mérite pas.

— Vous êtes donc sûre déjà de la connaître ? en bien ! je vous jure de ne pas la maltraiter, bien loin de là. De grâce, du reste, écoutez. On jurerait qu’Olympia est Espagnole, et pourtant elle est française, car la France a le privilège de reproduire, dans ce qu’ils ont de plus puissant et de plus marqué, les types de tous les pays. Olympia a donc le teint d’une descendante des Abencerages. Elle a l’air d’être née de quelque infidélité du Cid à Chimène. Sa frêle et svelte personne est supportée par deux de ces petits pieds ardens et fiers qui en disent plus sur une nature de femme que toutes les paroles du monde. Ses traits sont fins et arrêtés, par momens sa bouche mince devient d’un rouge impérial ; ses yeux ont toute sorte de pro fondeurs, tantôt effrayantes, tantôt engageantes ; sombres comme la nuit, ils en ont l’effroi et le charme ; son sourire est de ceux qui permettent à saint Pierre de perdre ses clés : il ouvre le ciel à volonté. Voilà pour sa figure, madame. Quant à son être invisible… — Dieu seul le connaît, dites-vous… — Je crois aussi le connaître un peu. Quoique tout le monde ait vu souvent son mari, qui est mort, même assez récemment, à la suite d’un dîner diplomatique, Olympia est née veuve. Elle est sortie veuve des mains du Créateur, comme Célimène de la cervelle de Molière. Vous êtes prête à vous fâcher, vous croyez que je tourne à la raillerie. Hélas ! j’ai dans le cœur bien autre chose que de l’ironie. Eh bien ! son seul rapport avec Célimène, c’est qu’elle est entourée d’adorations, et que, dans sa vie pleine de monde et de bruit, elle a toujours eu l’art de mettre je ne sais quoi d’isolé et d’indépendant. Curieuse de toute chose, sensible à toute chose, aux hommages, à l’art, à la poésie, elle avait gardé en elle une région où nul n’avait jamais pénétré. Ce fut cet Éden qu’elle livra un jour à Claresford. Étonnez-vous ensuite que toute contrée paraisse fade à ce malheureux ! Quand ils se virent, ce fut un de ces amours qui arrachent à l’arbre de la vie ses fruits les plus mystérieux et les plus enivrans, mais aussi contre qui tout conspire. Les rapports mêmes de leur nature étaient de terribles obstacles entre eux. Don Juan, tel qu’on l’a fait de nos jours, cette sorte d’archange infernal qui a tourmenté tant d’imaginations du siècle, est aussi bien le patron des femmes que celui des hommes. Elle avait, comme son amant, cette soif terrestre de l’idéal qui rend semblable à une goutte d’eau l’amour qu’au premier abord on croyait plus profond et plus vaste que l’Océan. Puis enfin, car je suis bien forcé de lui reconnaître un défaut, elle n’était pas étrangère à ce sentiment des âmes superbes et attristées, l’idolâtrie personnelle. Tout lui a été miroir où elle s’est contemplée : avant-hier le monde, hier l’amour, aujourd’hui la religion… Voilà cette fois que vous me lancez des regards furieux, vous dites tout bas que je suis un homme indigne ; laissez-moi donc achever… Et quelle image plus ravissante que la sienne pouvait attirer son attention !

Enfin il est arrivé ce malheur à Claresford, c’est que peu à peu, quand il a été loin d’elle, il lui a paru comme une glace ternie et pleine de défauts désobligeans. Chez ce pauvre diable, toute une partie de la vie était arrêtée. La guerre traite en nous certaines tendresses comme les fées traitèrent la belle au bois dormant : couchées dans un coin de notre âme, ces précieuses affections conservent toute leur fraîcheur sous le voile bienfaisant d’un sommeil enchanté. Pendant ce temps, leurs compagnes, celles qui devaient avec elles cheminer dans ce monde et remonter au ciel, s’inquiètent, se démènent, se flétrissent, puis deviennent enfin cette poussière dont nous sommes remplis quand le vent de la mort nous fait tomber. Des lettres, graduées avec un art d’autant plus terrible qu’il n’avait rien de prémédité, qu’il était l’œuvre même des invincibles destins, avaient appris à Claresford d’abord que l’amour était chose péris sable. Il avait répondu que c’était lui qui était fort périssable, surtout quand il se promenait dans les tranchées, mais que son amour était immortel. Oh lui avait écrit ensuite qu’il avait bien tort de se croire parfait, qu’il avait une âme faible, impuissante, égoïste. Il avait répondu qu’il n’avait jamais cru à ses perfections, que toutefois il se sentait la force de mourir, la puissance d’aimer et le dévouement de supporter d’injustes reproches. Enfin on lui avait annoncé que son règne était passé, qu’un autre règne arrivait, qu’on était appelée par l’époux glorieux. À cela il avait eu envie de répondre que le mariage et la gloire étaient pour lui choses trop formidables et trop inconnues pour qu’il pût rien leur opposer ; mais son esprit ne fut jamais porté aux saillies voltairiennes, et son cœur avait vraiment reçu une de ces blessures qui pour quelque temps ferment les lèvres. Il ne répondit rien. Voilà où il en était.

Et cependant il l’aimait, vous dis-je. Elle dominait toutes ses pensées. Joies, douleurs, espérances, rêveries, tout ce qui passait par son âme était constamment empreint d’elle. Ainsi donc rien d’étonnant si son image se dressait entre lui et cette vie d’oubli sensuel où le poussait en ce moment l’inquiétude bien plus encore que la volupté. Quand, après s’être séparé de Strezza, il se trouva seul chez lui, l’envie lui prit de revenir sur son marché de la soirée, de renoncer à la houri promise, et de quitter sur-le-champ le Bosphore, pour aller tendre de nouveau ses mains aux chaînes dont il avait adoré les meurtrissures. Oui, voilà les résolutions qu’il formait, quand on lui remit une de ces lettres dont l’écriture seule aujourd’hui encore le fait pâlir. Voulez-vous que je vous dise ce que cette lettre renfermait, ou voulez-vous le texte même ? Je le sais par cœur. Vous m’en dispensez. Je n’accepte pas cette dispense. Je réclame votre attention plus que jamais.

D’abord, elle revenait sur sa vie pleine d’isolement et de tristesses. Elle avait perdu sa mère à quinze ans. Dieu ne lui avait la mais accordé d’enfans. Quant à son mari, elle ne daignait même pas en parler. Un homme enfin s’était rencontré qu’elle avait voulu passionnément aimer. Cet homme, elle avait découvert maintenant ce qu’il était, et la découverte n’était pas de nature à flatter l’amour-propre de Claresford. Jamais ce sceptre de roseau que les femmes nous donnent, quand elles nous déclarent leurs souverains, ne fut plus impitoyablement brisé. Il ne lui restait rien à ce roi déchu, pas même la dignité de l’infortune. Elle ne comprenait pas quelle action avait jamais pu exercer sur elle une nature pleine de misères, romanesque sans être idéale, rongée à la fois par des appétits grossiers et par des idées chimériques. Du reste, c’était l’amour tout entier qu’elle frappait dans cet amant flagellé. Avec plus de ferveur peut-être que de modestie, elle déclarait que décidément Dieu seul était digne d’elle. Seulement, suivant les Ils et coutumes de la piété mondaine, elle ne voulait pas d’un tête-à-tête trop exclusif avec le tout-puissant objet de ses ardeurs. On la voyait déjà, — tant elle parlait d’une manière onctueuse et austère de ces devoirs de la vie sociale qu’elle avait trop négligés, — reprendre l’abonnement sacré de l’Opéra et reparaître à toutes les fêtes obligatoires, bals, dîners, concerts, dont elle avait eu la légèreté de s’exiler. En attendant l’emploi consciencieux de son prochain hiver à Paris, elle quittait la France, où elle voulait revoir le plus tard possible celui qu’elle avait eu la faiblesse d’aimer. Elle accompagnait à Florence la vénérable comtesse Scalieri, cette Egérie des Numas décédés, qui, à l’heure de minuit, passe encore en revue, derrière sa table à thé, toute une armée de spectres en cravates blanches, dont elle est restée la souveraine. « Adieu ! disait la marquise Olympia en terminant son épître. Si un jour nous devons nous retrouver, nous n’évoquerons pas des souvenirs que tout condamne ; vous apporterez, je l’espère, dans la liaison nouvelle qui peut seule exister entre nous, une âme soumise, purifiée, gouvernée uniquement par les pensées auxquelles j’ai donné trop tard la direction suprême de ma vie. »

C’est alors que Claresford se tourna avec emportement vers la petite Turque. — Eh ! mon Dieu, oui, madame ; je dois le dire pourtant : il pleura, il pleura sur son amour étendu dans ce linceul glacé. Un instant même, la révolte s’empara de lui ; il eut envie de répondre, il commença dix lettres qu’il déchira. Pour donner à sa tête embrasée un peu de fraîcheur, il ouvrit une de ces innombrables fenêtres d’où il découvrait le Bosphore. Cette vie surnaturelle que, sous un beau ciel, au sein d’un beau paysage, nous offre la nature endormie quand notre âme, aux heures nocturnes, vient la contempler avec l’avidité curieuse de Psyché regardant l’Amour, cette vie remplit son cœur d’une subite et puissante ivresse. En vérité, le site qui était sous ses yeux n’aurait point pu arracher de l’âme même de Werther le nom de Klopstock ; le nom qui sortit de sa bouche mal gré lui comme un cri involontaire, ce fut : Aïsha Rosa.

Le lendemain matin, il apprenait, par un message d’Osman-Pacha, que le soir, après le coucher du soleil, il pourrait prendre possession de sa nouvelle demeure. Claresford attendit avec impatience l’instant où, suivant l’expression arabe, on ne peut plus distinguer un fil blanc d’un (il. noir. Cet instant venu, il se dirigea vers le palais où l’Orient, pensait-il, devait se révéler à lui. Le personnage qui le reçut était d’un aspect assez repoussant. Imaginez un petit homme maigre avec une redingote olive, un abominable fez tout étriqué jeté en arrière sur de longs cheveux plats, et un de ces pan talons chers aux Turcs modernes, qui, taillés à l’européenne, dans des draps beurre frais ou fleur de pêcher, ont l’air d’être empruntés à la garderobe d’un de nos comiques. Cet être ainsi vêtu s’appelait Messaoud ; quand il parlait, on reconnaissait, pour emprunter à la Grassini ce mot qui excitait la gaieté du glorieux exilé de Sainte-Hélène, « qu’il aurait pu être décoré pour sa blessure. » Du reste, comme Aïsha Rosa, Messaoud savait un peu de français. Osman-Pacha l’avait emmené autrefois à Paris, où il lui avait servi de majordome. C’était un serviteur intelligent, sans préjugés, capable, suivant la fantaisie ou l’intérêt de son maître, de jouer également le rôle de duègne ou le rôle tout opposé. Il salua Claresford avec le sourire discret d’un homme qui veut découvrir l’une après l’autre les instructions dont on l’a chargé. Il lui fit traverser un jardin obscur dont le fond était illuminé par une façade resplendissante. On eût dit qu’il l’avait une grande fête dans cette maison pleine de lumière. Toutes les pièces ouvertes à Claresford étaient remplies de fleurs et éclairées par toutes les machines qui peuvent remplacer la lune ou les étoiles, lampes, candélabres, verres colorés de toute nuance et de toute façon. Seulement c’était dans ces appartemens lumineux une solitude complète. Claresford sentait ce charme mêlé d’un agréable effroi que nous offrent certains rêves éclos sous des souvenirs féeriques. Qui n’a erré pendant son sommeil dans de vastes salles parées, radieuses, qui semblent attendre des hôtes innombrables et que ne traverse pas une figure humaine ? Alors une épouvante dont on ne voudrait pas être affranchi, car elle est mêlée d’un espoir ardent et secret, s’empare de notre âme. Qui va animer ces lieux étranges ? qui remplira cette solitude magique ? Une chère morte peut-être, l’héroïne disparue de quelques amours lointains qui ont sombré dans le temps. La voilà en effet, c’est l’ombre, et votre bouche sent un baiser que vous chercheriez en vain sur toutes les lèvres vivantes. Claresford, en suivant son guide, avait un peu de ces pensées, moins idéales toutefois.

Il parvint à une vaste pièce dont les murs étaient revêtus de marbre, et dont les voûtes sculptées reposaient, malgré les défenses du Coran, sur des statues dues au oiseau inconnu de quelque artiste italien. Dans ce salon était dressée une table chargée de mets, entièrement dégagée d’un côté, et de l’autre s’appuyant à un divan qui semblait attendre un couple amoureux. Là, Messaoud s’inclina et disparut derrière une portière aux plis lourds et brodés. Claresford, resté seul, sentit s’élever au fond de son âme une musique qui semblait, comme dit Shakspeare, avoir passé par-dessus un parterre de violettes. Tel devait être l’agréable état de ces preux à qui des enchanteresses allaient faire commettre quelques délicieuses sottises. Tout à coup le rideau qui s’était baissé sur le corps chétif de Messaoud se souleva et laissa voir une apparition que le Cantique des Cantiques aurait seul été digne de saluer. Aïsha Rosa s’avançait dans tout l’attrayant éclat de la parure orientale. La douce magie des perles, la grâce nuageuse de la gaze, la gaieté immortelle du rose, s’unissaient dans sa toilette. Quant à sa personne, c’était l’incarnation d’un désir, le rêve vivant d’une âme voluptueuse. Claresford s’avança vers elle sans lui dire un mot et la fit asseoir à ses côtés sur le divan. Ce soir-là Olympia fut oubliée, une vie nouvelle semblait commencer pour Claresford. Pourquoi cependant cette vie dura-t-elle si peu ? C’est ce qu’il me reste à dire.


IV

Quand une heure, une seule heure, on a porté à ses lèvres la divine coupe que le roi de Thulé jeta dans la mer, quand on a bu dans ce vase consacré par la pression d’une seule bouche le philtre de l’unique amour, Hébé elle-même viendrait vous offrir l’ambroisie qui recelait l’ivresse des dieux, que bientôt vous la repousseriez avec tristesse. Après avoir essayé pendant quelques jours de toutes les joies tumultueuses des sens, Claresford sentit qu’il n’avait pas échappé à l’hôte silencieux de son cœur : il appartenait plus que jamais à la marquise Olympia. Aïsha Rosa, je dois l’avouer, n’offrait que des ressources très limitées : elle ne pouvait rien donner à l’intelligence de Hugues, si ce n’est ce plaisir solitaire auquel se livrent parfois quelques esprits, d’enter une création humaine sur une œuvre divine, d’animer un être vivant de l’existence qu’ils jetteraient sur une toile ou dans un marbre. Un semblable plaisir tient du travail et lasse vite. En peu de temps, Claresford connut et épuisa toutes les émotions d’esprit qu’il pouvait tirer d’Aïsha Rosa.

Un jour elle l’avait fait rêver et sourire en lui disant naïvement qu’elle croyait aux goules, que sa nourrice allait toutes les nuits au cimetière, et le lendemain apportait aux repas un visage pâle sur lequel chaque mets faisait passer une expression de dégoût. Cette superstition orientale, échappée à l’action d’un séjour en France, avait une sorte de parfum littéraire que Claresford savoura. Ce parfum s’évanouit bien vite, et Hugues trouva de nouveau d’insupportables longueurs dans le tête-à-tête avec sa Turque. Eh bien ! voyez l’étrange chose ! je vous dis cela pour ne rien vous cacher ; mais le sentiment d’ennui que notre homme éprouvait si souvent près de l’habitante du Bosphore n’était pas ce qui le jetait avec le plus de force aux pieds de l’image victorieuse d’Olympia. Non. Savez-vous à quel moment il sentait le besoin de rester le plus longtemps agenouillé devant cette invisible effigie, avec toute la passion mystique d’une recluse à demi morte sur son prie-Dieu ? C’était précisément aux heures où Aïsha venait de lui ouvrir les seuls trésors dont elle avait la clé. Engagé dans l’ivresse des plaisirs profanes, il n’en songeait qu’avec plus de force à ses amours sacrées. Dieu en a fait ainsi plus d’un, plus d’une surtout, et je ne sais trop pourquoi je m’extasie. Méfiez-vous de la femme qui répand sur vos pieds sa chevelure : les plus idéales des larmes, comme celles de Madeleine, ont souvent d’étranges sources. Enfin, madame, la pauvre Turque n’avait rien à se reprocher : elle avait été prodigue de ses attraits comme le printemps des fleurs, le jour de la lumière, l’aurore de la rosée, à l’instant même où Claresford prit la résolution d’écrire une fois encore à la marquise Olympia.

Voici, je crois, à peu près ce qu’il lui disait : « Je ne voulais point vous répondre ; je voulais en appeler au temps contre mon amour : il l’avait dans votre dernière lettre tant de cruauté, de froideur et d’iniquité ! Mais c’était une folie que ce projet. Comment m’arracher à vous ! Écoutez-moi. J’ai fait une étrange découverte : je sais que vous êtes vraiment mon âme. Oui, ce mot si banal dans la bouche des amans, je puis, je dois vous l’adresser en lui donnant un sens en même temps mystérieux et certain comme les révélations de la foi. Cet être multiple que j’appelle moi se compose d’un amas d’existences régies par une puissance souveraine placée en dehors de mon corps, et cette puissance, c’est vous-même, Olympia. Aussi je mène une vie singulière, et le plus fantastique des contes n’a rien de comparable aux faits journaliers dont ma nature est le théâtre. Sans cesse au sein de tout ce que les choses humaines peu vent offrir de séductions, recevant dans tous mes sens les caresses de la verdure, des fleurs, du soleil, de ces statues vivantes que sont les femmes sans amours, je souffre, et je souffre à mille lieues du pays qu’habite mon enveloppe mortelle. Olympia, ne m’accusez point de folie. Tout cela est simple et se dit en un mot : je vous aime. Quand vous me traitez avec rigueur, quand vous méjugez avec sévérité, c’est de votre part la plus déraisonnable des injustices. Je pourrais vous dire comme la créature à Dieu : « Je suis ce que tu as voulu, ce que tu veux ; ôte-moi mes défauts s’ils te blessent ; dissipe mes ténèbres, emporte-moi dans ta clarté, j’y deviendrai l’être radieux que tu cherches. »

Ma foi, il ajoutait bien autre chose, et tout ce qu’il écrivait, il le sentait. Il était en ce moment possédé par son amour, comme nulle créature ici-bas ne le fut jamais par aucune puissance divine ou terrestre. Il avait écrit sa lettre dans un petit salon qui, par ses fenêtres entr’ouvertes, laissait entrer un jour déjà coloré des teintes rougissantes du soir. Était-il heureux ou malheureux ? Je n’en sais rien. Il éprouvait cette ivresse jugée avec tant de jalousie par ceux qui ne connaissent pas la grande vigne dont les rameaux pendent partout et sont accessibles à si peu. Tout à coup Aïsha entra, et, comme il cachetait sa lettre, se mit à jouer avec un médaillon qui était suspendu à son cou. Jamais la fille de l’Orient n’avait été si belle. Était-ce un caprice de Claresford, était-ce un caprice du destin qui lui prêtait ce nouveau charme ? Son regard avait une expression insolite ; la volupté, au lieu de s’y montrer avec une candeur un peu fatigante, semblait y paraître cette fois avec toutes les recherches qui peuvent en augmenter les attraits. Par un mouvement d’une curiosité gracieuse et qu’on eût dit inquiète, elle fit jouer le ressort du médaillon qui tombait sur la poitrine de Hugues. Ce médaillon renfermait un portrait dû au pinceau d’un peintre qui n’est plus. Je soupçonne cet artiste, mort en Italie, Il y a quelques mois, des suites d’une affection nerveuse, d’avoir adoré Olympia. Le pinceau d’un homme épris pouvait seul créer cette œuvre magique. Il fallait avoir rêvé bien des nuits pour reproduire, comme l’a fait l’auteur de cette peinture, ce front où, semblable aux fées des forêts allemandes, la pensée a laissé son voile, cette bouche qui peut dire tant de choses, et ce regard qui sait tout. Claresford a porté cette image au feu, jamais il ne l’a regardée sans émotion. Quand il la vit entre les mains d’Aïsha, il devint pâle. C’étaient les contrastes de sa vie présente qui s’offraient à lui d’une manière sensible : d’un côté, la créature de sang et de chair que le destin lui avait confiée, et de l’autre l’être idéal à qui toutes les lois de sa nature l’avaient soumis. Aïsha eut l’air un instant d’éprouver un sentiment de jalousie. — Laissez-moi, dit-elle, détruire ce sortilège ; voilà qui parfois vous rend triste, quand je suis à vos pieds. — Et déjà elle s’était emparée du portrait, qu’elle faisait mine de briser. Claresford lui arracha ce trésor des mains en la repoussant presque avec violence. Pour la première fois une larme, qui ne semblait pas de colère, se glissa sur ce beau visage où n’avait point paru encore une expression vraiment attendrie. Vous connaissez ce soulagement qu’on éprouve quand un ciel éternellement lumineux se voile tout à coup et laisse tomber quelques gouttes de pluie. Hugues ne put s’empêcher de ressentir quelque chose de semblable à cela, puis il se dit avec une sorte de terreur : — Mon Dieu ! si elle avait une âme ! — Un moment il crut qu’elle en avait une en effet. Le moment fut si fugitif, que je glisserai sur ce qu’il put éprouver. Ce qui est sûr, c’est qu’il envoya sa lettre à Olympia.

Un jour vint cependant où il sembla que la Turque avait triomphé. Les semaines s’étaient écoulées, et Olympia n’avait pas répondu. Claresford se croyait tout à fait abandonné. Osman-Pacha avait écrit d’Égypte pour prolonger la location de sa maison. On avait passé un nouveau bail de deux mois à des conditions un peu moins onéreuses que celles du premier. Un vendredi du mois d’août vers cinq heures, Hugues était assis sur le gazon, entre sa maîtresse et Strezza, car le Valaque avait de son côté passé un nouveau bail avec la vie. Grâce aux ardeurs du ciel d’Orient, la flamme mystérieuse destinée à s’éteindre bientôt dans ce corps sensuel s’était ranimée un peu. Strezza était de fort belle humeur, et Claresford trouvait le poids de son existence un peu moins pesant que de coutume. Le fait est qu’à tout homme dont le cœur n’eût pas été traversé par l’épée invisible d’une grande passion, la situation où il était eût semblé charmante. Il avait à quelques pas de lui le Bosphore même, qui baignait son jardin. Ses regards erraient sur les innombrables navires qui traversent cette voie lumineuse. Un soleil étincelant encore, mais rendu déjà clément par les approches du soir, prêtait à tous les objets de vives et suaves couleurs. Aïsha offrait aux deux amis des confitures qu’elle avait préparées de sa main. Malgré son éducation chrétienne, le plus positif de ses talens était, je crois bien, ce petit talent de sérail, dont je ne veux point médire du reste. Les confitures d’Aïsha étaient excellentes, et Strezza disait en les savourant :

— Avouez, mon cher Hugues, que ce monde est encore une assez agréable habitation. Si j’avais comme vous le bien suprême, la santé, rien ne me manquerait. Les dragons, les harpies, les chimères, tous les monstres de l’antiquité, me sembleraient moins fabuleux que les noires pensées dont votre esprit semble encore obsédé par instant.

— Ah ! répondit Claresford en soupirant, vous n’avez pas aimé, Strezza !…

— Qu’ai-je donc fait ? s’écria impétueusement le Valaque ; un regard de femme a plus d’action sur moi que le soleil sur la neige.

— Oui, un regard peut-être, mais le souvenir d’un regard ! Le bonheur et le tourment de certaines âmes, c’est l’amour sans mer sure et sans trêve, c’est l’amour de l’insaisissable et de l’invisible, de ce qui laisse pour unique trace une sorte de frisson charmant et douloureux dans notre cœur.

— Allons, reprit le Valaque avec un découragement souriant, voici l’ombre qui revient vous assaillir.

— Ah ! mon ami, s’écria Claresford, celle à qui j’aurais pu dire comme le poète arabe : « Si je t’oublie, que Dieu m’oublie, » celle-là s’est retirée de moi. Ne me la rappelez plus. Je veux adorer Aïsha. Cet amour-là, c’est la sagesse après tout, comme le roi Salomon l’a comprise.

Oui, c’est ainsi qu’il parlait, madame, quand tout à coup cette chose puissante, pleine de douceurs étranges et de troubles secrets, cette chose qui rend impossible, même aux extrémités du monde, le vrai repos, une lettre enfin lui fut remise ; il en reconnut l’écriture. Voici ce que lui annonçait Olympia :

Elle n’était pas en Italie, elle était en France, dans une chère maison, entre une rivière et des montagnes que je n’ai pas besoin de vous nommer. En cet asile, qui rappelait à Hugues tant de souvenirs, elle avait souffert cruellement. De la son silence. Cette maladie qu’au siècle dernier les romanciers employaient sans cesse pour punir à la fin de leurs livres les vanités et les égaremens de la matière, la petite-vérole, l’avait frappée. Sur son lit de douleur, elle avait reçu la lettre de Claresford. Cette voix lointaine, qu’elle avait entendue à une heure d’isolement, l’avait remuée. Elle ne disait pas à Hugues de revenir, mais elle lui disait qu’elle l’aimait. Elle affirmait que tout attrait visible l’avait quittée. Elle prétendait que d’un seul bond elle était tombée au plus profond des années. « Voilà, mon ami, — disait-elle avec ce tour d’esprit inattendu, le plus grand peut-être de ses charmes, — voilà qui m’offre la meilleure occasion possible de me vouer entièrement à Dieu. en bien ! au contraire je me sens le cœur plus atteint que jamais de tendresse terrestre. Quoi que je sois peu coquette, toutefois j’aime autant ne pas vous voir. Je veux que vous le sachiez seulement, vous n’avez pas été méconnu. Il y a une créature toute remplie de votre pensée, et qui, par cela même qu’elle ne veut plus être pour vous qu’une ombre, trouve comme une jouissance et une facilité nouvelles à vous exprimer son amour. »

— Demain, s’écria Claresford entendant cette lettre à Strezza, je retourne en France. Je la reverrai malgré elle.

— Malgré elle ! dit le Valaque après une lecture rapide. Ne voyez-vous donc pas qu’elle vous appelle ? Cette incarnation de l’orgueil, de la curiosité et du caprice veut tenter sur vous une de ces expériences qui sont le seul intérêt de sa vie…

— Ah ! mon ami, vous calomniez Olympia. Quand vous auriez raison d’ailleurs, peu m’importe. Tenez, tout me plaît en elle, jusqu’à ce post-scriptum, que je n’avais pas lu :

« La comtesse Scalieri, qui devait venir passer quinze jours auprès de moi, n’osera pas avant des années s’approcher de ma personne. Je crois du reste que nous sommes un peu brouillées, parce que j’ai eu le malheur de dire que son vaccin devait avoir terriblement perdu de sa puissance, quand le mien, un peu plus récent après tout, s’était si mal comporté. Celui qui lui a répété si obligeamment ce propos, votre ami, Maxime de Mende, a scandalisé toutes les âmes sensibles par la manière dont il a pris la mort de cette pauvre Mme d’Ervilly. Il a toujours la rage de chanter les mélodies de Schubert. On prétend que l’autre jour il disait avec une joie féroce : « La mort est une amie qui rend la liberté… »

— Vous riez, dit Claresford en s’interrompant, sans me comprendre, j’en suis sûr. Voyez-vous, Strezza, je renvoie à Mahomet toutes les Turques du monde. Ce que j’aime, c’est la femme de mon temps, de ma société, de ma civilisation, avec les travers de mon esprit et les maladies de mon cœur. Oui, Olympia, j’adore jusqu’à vos médisances. Votre post-scriptum, avec ses nouvelles à la main, c’est le ruisseau de la rue du Bac pour l’auteur passionné de Delphine ; il m’attendrit, il me ferait pleurer. Adieu l’Orient, adieu les houris ; je veux rejoindre la femme qui me parle, qui me tourmente, qui est faite non pas de ma chair, mais de la partie la plus délicate de mon âme, qui m’amuse comme une épigramme, qui me touche comme une élégie. Je veux retrouver Olympia ; je suis sûr qu’elle est toujours belle. Point de pays qui n’ait mille aspects émouvans avec le soleil ! avec l’intelligence, point de visage qui n’offre mille jeux charmans !

— Suivez vos goûts et vos destinées, dit alors Strezza ; Quant à moi, mon cher Hugues, je vais mieux. Nous sommes en août, je peux encore jusqu’en octobre faire figure passable en cette vie. J’écrirai à Osman-Pachaque je suis son locataire. Ce sera fort indifférent à ce vieillard. Quant à notre amie Aïsha Rosa, elle se montrera en cette circonstance assez turque pour ne point me haïr, assez chrétienne pour vous pardonner.

Les deux amis ont fait tous deux comme il avait été dit. Strezza est mort. Il repose aujourd’hui dans un joli cimetière, d’un aspect beaucoup plus musulman que chrétien, sous une pierre blanche, au pied d’un rosier. Avant de mourir, il a marié Aïsha Rosa à un prince grec. Quant à Claresford, il est auprès d’Olympia. Pour lui, la marquise n’a rien perdu. Bien loin de là, il trouve que sa beauté a pris quelque chose de fugitif, de vague, de mystérieux, qui donne un nouvel aliment à l’amour. Un seul connaît vraiment la grâce d’une femme, c’est l’homme qui passe sa vie à la contempler. Celui-là saisit maintes choses dont les autres n’ont pas le secret. Il a des révélations inattendues, des apparitions divines, et tout à coup il s’écrie : « La voilà ! c’est celle que je cherchais, celle que j’adore. » Aïsha Rosa, dit Hugues, dans toute l’écrasante réalité de ses charmes, ne vaut pas une seule des visions que me donne Olympia.

— Tout cela prouve, répondit la personne à qui ces choses étaient débitées, la puissance souveraine de l’idéal.

— Non, madame, cela ne prouve rien, si ce n’est ce singulier, ce fatal besoin, que nous ressentons à certaines heures, d’arracher aux profondeurs de notre âme, pour les produire au jour, des pensées qui pourraient dire à celui dont elles émanent, comme tant de créatures à Dieu : « Pourquoi nous as-tu tirées du lieu où nous reposions ? »


PAUL DE MOLENES.