Abrégé de la législation hindoue

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Abrégé de la Législation hindoue[1]


Dans une société aussi ancienne que la société hindoue, et dont les monumens littéraires remontent à la plus haute antiquité, il existe un grand nombre d’ouvrages sur la législation. Manou, le législateur inspiré, a parlé le premier ; après lui, des sages respectés ont formulé des codes de lois. Sans altérer la doctrine du maître, ils ont introduit dans leurs ouvrages de nouvelles explications relatives à des questions de fait, et essayé de résoudre des difficultés qui se produisaient avec le temps, et que le divin Manou n’avait pu prévoir. Tous ces livres précieux à plus d’un titre, et que l’Europe a pu connaître par des traductions, ont été écrits en sanskrit. Les peuples de la presqu’île indienne, qui parlent une langue aussi différente de l’idiome ancien et sacré que le bas-breton l’est de la langue française ou du latin, se trouvaient donc dans l’impossibilité de consulter eux-mêmes les textes originaux ; ils ne pouvaient étudier convenablement la législation qui les régit. Il y a une trentaine d’années, l’un des directeurs anglais du collège de Madras résolut d’obvier à cet inconvénient ; il chargea de traduire en tamoul, — c’est-à-dire dans la langue parlée sur la côte de Coromandel depuis Ceylan jusqu’à Madras, — le livre d’un professeur indigène du même établissement, le docte Madoura-Kandasvami-Poulavar. C’est cet ouvrage, traduit de nouveau du tamoul en français, que vient de publier à Pondichéry, sous les auspices du gouvernement, M. Eugène Sicé, sous-commissaire de la marine à Karikal.

Le titre de l’ouvrage est Vyavahara-Sara-Sangraha, ce qui signifie, si je ne me trompe, abrégé de la substance du droit. Rédigé par un homme habile dans la connaissance des lois de son pays, mais qui ne possède pas l’esprit méthodique d’un Européen, ce livre curieux fait passer sous les yeux du lecteur les opinions des légistes hindous les plus accrédités. Combien de questions, qui nous semblent étranges, ridicules, et qu’un juge ou un philosophe de l’Inde a pour devoir d’étudier sérieusement ! Le mariage doit-il avoir lieu, par fiançailles, avant l’époque de puberté ? Les veuves doivent-elles garder le célibat, même quand elles perdent leur époux avant l’accomplissement de la cérémonie nuptiale, et sont-elles tenues de se brûler sur le bûcher de celui à qui elles ont été vraiment unies ? Quelle est en justice la valeur du témoignage d’un homme appartenant aux castes inférieures ? En cas de meurtre prémédité, quelle pénalité particulière et considérablement adoucie pourra être appliquée au brahmane que sa naissance élève au-dessus des autres hommes, et contre qui la peine de mort ne doit jamais être prononcée ? La législation hindoue se montre aussi fort extraordinaire et même contradictoire à l’égard de la femme. Un poète philosophe a dit : « Ne frappez pas, même avec une fleur, une femme… eût-elle commis cent fautes ; la femme est bien la moitié de l’homme, son plus intime ami !… » Voilà qui est charmant et même tout parfumé de galanterie ; mais la loi, qui protège la femme avec une certaine sollicitude, la place vis-à-vis de l’homme dans une dépendance qui va jusqu’à la servilité. Les législateurs, gens sérieux, vieux brahmanes retirés dans la forêt, ont tous plus ou moins insisté sur l’infériorité naturelle de la femme, sur sa légèreté, sur son penchant au mal. Si les poètes ont pris sa défense, elle a contre elle sa faiblesse et la loi, qui la classe parmi les incapables, tels que les mineurs, les esclaves et ceux qui vivent sous la tutelle d’autrui. L’incapacité dont les femmes sont frappées attire sur elles toute une série d’avanies véritables ; il semble que le législateur leur dise : Soyez épouses et mères, rien de moins, rien de plus ! C’est sous le toit conjugal et dans son rôle de mère que l’épouse devient un être vraiment respectable, sur lequel la justice étend son bras protecteur.

Ce livre est donc de ceux qui donnent beaucoup à penser, parce qu’il traite des matières les plus sérieuses qui puissent occuper l’esprit humain. On y retrouve debout et vivante cette vieille organisation indienne qui a traversé tant de siècles malgré ses imperfections, et peut-être même à cause de ses anomalies, qui toutes concouraient à maintenir un édifice basé sur les traditions de la conquête. En faisant imprimer à ses frais cet ouvrage utile, le gouvernement de Pondichéry a donné une nouvelle preuve de l’intérêt qu’il porte à la bonne administration des indigènes. Le traducteur avait à lutter contre de grandes difficultés, et il les a surmontées à force d’esprit et de persévérance. Né à Pondichéry, initié dès l’enfance à la connaissance des langues indiennes, M. E. Sicé a déjà beaucoup écrit sur ces pays lointains où la France a joui fort longtemps d’une grande influence. Pour que son instruction fût plus complète, il a visité l’Europe, et de retour dans sa contrée natale, il a repris avec un nouveau zèle les travaux qui l’avaient occupé pendant sa jeunesse. Si éloigné qu’il soit de la mère-patrie, nous devons éprouver de la sympathie pour un littérateur consciencieux qui consacre ses veilles à des ouvrages d’une utilité incontestable. D’autres sauront mieux que nous apprécier la valeur de cet Abrégé de la substance du droit hindou. En consacrant ces courtes lignes à l’examen de l’ouvrage, nous avons voulu surtout saisir l’occasion de rendre hommage à la sagacité et à la science de M. E. Sicé, que nous avons vu, dans des excursions faites ensemble sur la côte de Coromandel, déchiffrer et traduire avec une aisance remarquable les inscriptions en tamoul et en telinga tracées sur les murs des anciennes pagodes.

Th. Pavie.




Catalogue général et raisonné des Camées et Pierres gravées de la Bibliothèque impériale, par M. Chabouillet[2]

Une des tendances actuelles de l’érudition dans notre pays, — et nous souhaiterions que cette tendance achevât de se convertir en coutume, — est le désir d’intéresser la foule à des questions qu’on ne soulevait jadis que pour alimenter entre experts la controverse, et que l’on discutait en quelque façon à huis-clos. Le temps est loin déjà où les savans de profession se gardaient bien de parler notre langue, comme s’ils eussent craint de profaner la science en la dégageant de l’attirail scolastique, et de trahir leur mandat personnel en recherchant le succès ailleurs que dans le monde des initiés. Ils ne dédaignent aujourd’hui ni une publicité plus vaste, ni des formes de démonstration mieux appropriées à nos habitudes, et nous ne croyons pas qu’il y ait dans ce double fait rien qui puisse fausser le rôle de la science, ou en compromettre la dignité. Les travaux archéologiques, par exemple, ont-ils, au fond, moins de sérieux depuis qu’ils n’affectent plus cette majesté un peu aride que prescrivait la tradition ? En attribuant une part plus large que par le passé à l’élément littéraire, aux aperçus généraux, à l’appréciation critique des faits, l’érudition en matière d’archéologie a produit des ouvrages profitables à tout le monde, parce que les spécimens de l’art y sont décrits et jugés avec les développemens nécessaires, au lieu d’être, comme autrefois, sèchement étiquetés d’une date, d’une formule technique ou d’un nom. Il n’est pas même jusqu’aux travaux de simple nomenclature, il n’est pas jusqu’aux catalogues de nos collections publiques où ne se révèle l’intention d’animer autant que possible le sujet, et de faire pressentir, à propos des objets mentionnés, quelque chose de la marche de

  1. Pondichéry, imprimé par ordre du gouvernement ; 1857.
  2. 1 vol. in-18, chez Claye, rue Saint-Benoît, 7.