Actes et Paroles volume1 Lettre aux électeurs

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Réunions Électorales 1848-1849


Actes et parolesJ. Hetzel & Cie1 (p. 125-126).


LETTRE AUX ÉLECTEURS

20 juin 1848.

Des électeurs écrivent à M. Victor Hugo pour lui proposer la candidature à l’assemblée nationale constituante. Il répond :

Messieurs,

J’appartiens à mon pays, il peut disposer de moi.

J’ai un respect, exagéré peut-être, pour la liberté du choix ; trouvez bon que je pousse ce respect jusqu’à ne pas m’offrir.

J’ai écrit trente-deux volumes, j’ai fait jouer huit pièces de théâtre ; j’ai parlé six fois à la chambre des pairs, quatre fois en 1846, le 14 février, le 20 mars, le 1er avril, le 5 juillet, une fois en 1847, le 14 juin, une fois en 1848, le 13 janvier. Mes discours sont au Moniteur.

Tout cela est au grand jour. Tout cela est livré à tous. Je n’ai rien à y retrancher, rien à y ajouter.

Je ne me présente pas. À quoi bon ? Tout homme qui a écrit une page en sa vie est naturellement présenté par cette page s’il y a mis sa conscience et son cœur.

Mon nom et mes travaux ne sont peut-être pas absolument inconnus de mes concitoyens. Si mes concitoyens jugent à propos, dans leur liberté et dans leur souveraineté, de m’appeler à siéger, comme leur représentant, dans l’assemblée qui va tenir en ses mains les destinées de la France et de l’Europe, j’accepterai avec recueillement cet austère mandat. Je le remplirai avec tout ce que j’ai en moi de dévouement, de désintéressement et de courage.

S’ils ne me désignent pas, je remercierai le ciel, comme ce spartiate, qu’il se soit trouvé dans ma patrie neuf cents citoyens meilleurs que moi.

En ce moment, je me tais, j’attends et j’admire les grandes actions que fait la providence.

Je suis prêt, — si mes concitoyens songent à moi et m’imposent ce grand devoir public, à rentrer dans la vie politique ; — sinon, à rester dans la vie littéraire.

Dans les deux cas, et quel que soit le résultat, je continuerai à donner, comme je le fais depuis vingt-cinq ans, mon cœur, ma pensée, ma vie et mon âme à mon pays.

Recevez, messieurs, l’assurance fraternelle de mon dévouement et de ma cordialité.