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Ailes ouvertes/08

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Fasquelle (p. 173-180).


VIII

RETOUR…


Et c’est Paris !… Paris qui depuis ma descente au Bourget m’acclame, me fête, me promène d’enchantements en enchantements.

C’est la France qui, de toutes parts, me marque d’émouvante façon combien elle s’est tout entière associée à mes efforts.

Hier, le Ministre accrochait à mon corsage le plus bel ornement dont la coquetterie d’une jeune Française puisse s’enorgueillir : la rosette de la Légion d’Honneur.

Au cours d’une grandiose réception, qui me fut faite dans le cadre impressionnant de la Sorbonne, M. Pierre Cot me décerna ensuite la Médaille d’Or du Progrès. Cette médaille n’avait été donnée jusqu’ici qu’à des précurseurs comme Ader, les frères Lumière, Farman, Blériot…

M. de Souza Dantas, ambassadeur du Brésil, me décorait ensuite de la Croix-du-Sud, haute distinction que j’ai l’honneur de partager avec trois Français : M. le Président Lebrun, le Général Gamelin, et Mermoz… Je ne saurais être, on le voit, en plus illustre compagnie…

Limoges, ma ville natale, m’apporte une des plus grandes joies de ma carrière : la certitude que j’aurai bientôt un avion à moi, dû à la générosité de mes compatriotes…

M. Albert Lebrun me reçoit avec une bonne grâce charmante à l’Élysée…

La Municipalité parisienne m’ouvre toutes grandes les portes historiques de son Palais de l’Hôtel de Ville en m’adressant de magnifiques paroles d’éloges et d’encouragement…

Fêtes, réceptions, banquets se succèdent depuis mon retour et chaque jour, d’innombrables amis, connus ou inconnus, me donnent de nouvelles preuves de leur estime et de leur intérêt… C’est ma maison pleine de fleurs… Ce sont les lettres quotidiennes, si nombreuses que je ne pourrai jamais arriver à répondre à toutes et à dire à leurs auteurs toute ma gratitude.

Mais parmi toutes ces manifestations, les unes grandioses, les autres d’une éloquente simplicité, il en est parfois de particulièrement touchantes.

Tel ce geste d’un groupe de jeunes étudiants — pas riches comme la plupart des étudiants — qui fréquentent comme moi un petit restaurant proche de mon domicile. Je les connaissais à peine… je ne leur avais jamais parlé… Pendant mon voyage, ils ont rogné sur leurs minces ressources, ils se sont privés… pour m’offrir une bague d’ivoire que l’un d’entre eux a patiemment gravée avec art d’un élan symbolique.

Après quoi, ils se sont enquis, anxieux, auprès de notre hôtesse :

— Dites, Madame Honorine, vous croyez qu’elle acceptera ?

Chers garçons, si délicats et si ingénus, si vous saviez comme elle me réconfortera, comme elle m’encouragera votre petite bague, lorsque je serai loin… repartie sur ma route hasardeuse !…

Et cette lettre d’une petite fille de seize ans à qui j’avais, sur sa timide demande, envoyé une de mes photos :

« … Chaque jour, avant de m’endormir, j’ai une pensée pour vous… et naïvement, je vous dis bonsoir en regardant votre portrait. Et lorsque vous entreprendrez un nouveau voyage, je vous suivrai en imagination et je prierai l’Archange de soutenir vos ailes… »

Et encore ces lignes tracées d’une plume malhabile par un petit bonhomme de douze ans qui a appris que je devais venir dans sa ville pour y présider une fête sportive :

« J’aurai un petit drapeau à la main… Je l’agiterai quand je vous verrai passer et petaitre que vous me reconnaîtrez et que vous m’embrasserez… »

Certes, il est bien beau, le visage de la Victoire quand il revêt de telles expressions et son sourire chaleureux m’a largement récompensée de tous mes efforts, m’a payée de toutes mes peines…

Pourtant, à l’heure où tant de sympathies s’offrent à moi, comment pourrais-je oublier celles qui, avant mon raid, venaient m’apporter d’inaltérables preuves de confiance ?

Il y en a quelques-unes… Je n’ai qu’à glaner parmi les lettres pieusement gardées :

« À l’heure de votre envolée, je veux vous dire toute ma foi en votre courage et je fais des vœux ardents pour que le succès de votre audacieuse traversée soit la plus belle récompense de votre idéal… »

Cette affirmation devait d’autant plus me toucher qu’elle émane d’un de ceux qui connaissent toute ma vie de lutte et d’espoirs tenaces et qui ont cru en moi dès la première heure.

Il y a cette autre, arrivée — de si loin ! — la veille de mon envol :

« Quand cette lettre vous parviendra, vous serez près de partir pour la grande aventure. Si grande soit-elle, elle n’est pas au-dessus de vos forces morales et physiques.

Je ne vous souhaite pas : bonne chance ! Ce vœu est réservé à ceux qui ne comptent que sur elle… »

Et plus loin :

« Que Dieu vous garde, petite Maryse, qui allez devenir si grande !…

Avec de tels viatiques dans mon bagage, comment aurais-je pu ne pas réussir ?… Comment aujourd’hui ne pas sentir en moi s’exalter mes forces et ma volonté, s’affirmer mon désir de rester digne de la confiance dont on m’honore, grandir mon espoir d’aller, toujours plus loin et plus haut, sur cette route que jalonnent tant de pierres noires, si lourdes à notre cœur…

Car pour nous, pilotes, il se mêle sans cesse à nos triomphes l’ombre d’une tristesse… Notre victoire porte toujours à son front blanc une sombre cocarde…

Au cours de ces pages où je viens d’évoquer ma vie, j’ai salué au passage tant de camarades qui, aujourd’hui, manquent à l’appel !…

Drouhin… Bayle… Guilbaud… Goulette… Lalouette… Lemoyne… Maurice Weiss… Maillet… Bajac… Savarit… Carlier… et tous… et toutes… Léna… et vous, Hélène, une des plus pures figures dont s’enorgueillisse notre aviation, et vous Mermoz, la plus grande !…

Et tant d’autres, plus obscurs, mais non moins héroïques, s’ajoutent à ce funèbres palmarès !…

Pour moi, je n’ai qu’à fermer les yeux pour évoquer vos beaux visages qui ont tous, entre les bords du casque de cuir, la même sérénité confiante, la même calme force, le même regard où la flamme, une fois pour toutes, s’est fixée…

Et c’est à vous que je demande, à la veille de partir à nouveau vers mon destin, de protéger mes ailes afin que je puisse continuer à servir la cause de l’aviation française comme vous l’avez servie… par vos actions et par votre exemple… jusqu’au dernier souffle…



Mais déjà mon âme nomade est reprise par sa hantise. La vagabonde impénitente que je demeure ne saurait s’accommoder longtemps de la vie au sol.

J’ai obtenu du ministère de l’Air de pouvoir réaliser deux projets qui me tiennent au cœur : mon voyage en Russie… un autre en Amérique du Sud.

Dans quelques semaines je reverrai le grave et ténébreux visage de l’Aventure. À l’heure où paraîtront ces lignes, je serai, sinon envolée, du moins très près de mon envol.

Toutes mes préoccupations actuelles sont marquées de cette fièvre du départ et je vais tous les jours, avec une tendre et impatiente ardeur, visiter au terrain mon futur compagnon qui se prépare lui aussi allégrement… minutieusement…

… ce compagnon qui porte un nom impétueux Simoun et qui va m’emporter à nouveau vers les routes bleues de l’espace : ailes ouvertes !…


FIN