Allie/24

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L’action paroissiale (p. 159-164).
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XXII


C’est avec un frisson d’horreur que j’entendis la porte du cachot se refermer sur moi, tandis que les deux policiers, fiers de leur habile coup de filet, quittaient la prison en fredonnant une chanson du pays.

Je m’assis sur un grabat, la tête dans mes deux mains, cherchant, dans le fond de mon pauvre cerveau que la fièvre brûlait déjà, une issue à cette aventure dangereuse. L’assurance des policiers me laissait perplexe. Pourtant, je n’étais pas Reilly ! Deux Anglais, fussent-ils revêtus de l’uniforme de policiers, n’étaient tout de même pas pour me convaincre que j’étais devenu un autre que moi-même ! À ce moment, le geôlier frappa à ma porte.

— Prisonnier Reilly, avez-vous quelque désir à exprimer, avant votre pendaison, qui aura lieu à huit heures demain matin ?

— Je ne suis pas Reilly, lui répondis-je.

— Reilly ou non, vous serez pendu, demain matin ! Avez-vous quelque désir à exprimer, prisonnier ?

— Envoyez-moi un prêtre, répondis-je sèchement. Ceux qui n’ont jamais été condamnés à être pendus peuvent difficilement se faire une idée de l’état d’âme dans lequel je me trouvai, à ce moment suprême. Heureusement, le prêtre ne tarda pas à venir ! C’était un homme assez âgé, aux cheveux blancs et à l’air grave. Il me regarda à peine, en entrant dans ma cellule. Avec un fort accent irlandais, il m’exhorta à la résignation et au repentir, m’assurant de la félicité éternelle si je me repentais de mon crime et faisais généreusement le sacrifice de ma vie.

— Ne pourriez-vous pas me confesser, d’abord ? lui dis-je.

Il parut d’abord interloqué, mais, ayant réfléchi un peu, il me dit :

— Je voulais vous exhorter au repentir, pour que vous ayez le regret de vos fautes.

Malgré la conviction intime que j’avais de mon innocence, ces paroles de vie éternelle me procurèrent un certain soulagement et me remplirent d’une espèce de béatitude. Il y a, dans cet intervalle qui sépare la vie d’ici-bas d’avec la félicité céleste, un bonheur auquel je n’avais jamais goûté. Je me confessai donc dans les meilleurs sentiments de piété.

— Vous ne cachez rien ? me dit mon confesseur, qui avait l’air bien convaincu que je voulais jouer mon dernier atout par une mauvaise confession. Et, me quittant précipitamment, il me promit de m’apporter la communion à cinq heures.

Je m’étendis sur mon grabat, tout habillé. Je fermai en vain mes paupières. Le sommeil ne venait pas. Le geôlier qui montait la garde vint m’offrir un narcotique que je refusai. Si je n’avais plus que cette nuit à passer sur la terre, mieux valait garder toute ma lucidité. On dit que les agonisants retrouvent, dans le coma, une lucidité d’esprit parfaite. J’eus, je crois, ce privilège. Toute ma vie se déroula devant mes yeux, sans que le moindre détail fût omis. Je me revis dans cette vieille maison, jouant avec Henri et toi, sous la surveillance de ta mère. Instinctivement, je cachai ma figure dans mes mains à la pensée que tu apprendrais un jour que j’étais mort sur un gibet d’infamie. Je passai le reste de la nuit dans des transes mortelles.

Le matin, le prêtre m’apporta le saint Viatique. Je communiai avec tout l’esprit de piété qui m’avait envahi depuis la visite du prêtre.

Celui-ci m’exhorta de nouveau au sacrifice, me citant comme exemple le divin crucifié qui était mort pour les péchés des hommes.

À sept heures, le geôlier m’apporta mon déjeuner, mais je ne pris qu’une tasse de café, auquel on avait ajouté une forte dose de cognac. Cette eau-de-vie me redonna un peu des forces que j’avais si vite perdues, et je décidai de me défendre devant le juge.

À l’heure fixée pour ma sentence, on m’amena devant la cour.

Stand up ! cria tout à coup l’huissier.

Le juge, un vieillard, coiffé d’une perruque blanche, revêtu d’une toge aux épaulettes d’hermine, fit son entrée solennelle, flanqué de deux huissiers. Il lut immédiatement la sentence :

« Oliver Reilly, vous avez été trouvé coupable d’assaut grave et de meurtre sur la personne de la fillette Jefferson et vous avez été condamné à mort par contumace. Votre crime est l’un des plus révoltants dont fassent mention les annales criminelles de la colonie. Vous avez pu, pour un temps, vous dérober aux conséquences de votre forfait, mais la justice a le bras long, et la Providence a voulu qu’elle vous atteigne, la veille de la date fixée pour votre exécution.

« Malgré votre absence, votre procès a été équitable : vous avez été trouvé coupable par douze de vos pairs et condamné à être pendu par le cou, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

« Condamné, la justice vous accorde encore un privilège avant de mourir. Qu’avez-vous à dire avant que votre sentence ne soit exécutée ? » Serait-ce ma planche de salut ? me dis-je en reprenant courage.

— Votre Seigneurie, je suis heureux du privilège que vous m’accordez. La principale et la seule objection que j’aie à offrir, c’est que je ne suis pas Oliver Reilly.

— Trêve de plaisanteries en face de la mort ! me rétorqua le juge.

J’avais cru comprendre, un instant auparavant, que le nom du juge était de Villiers.

Si je lui parlais en français ! me dis-je.

— Votre Seigneurie, vous êtes, comme moi, de descendance française, si j’en juge par votre nom. Permettez que cette injustice ne soit pas consommée sans qu’on m’accorde un procès régulier !

— Allez chercher un interprète, dit le juge.

Il était aussi fermé au français qu’un nègre du Basutoland.

— Inutile ! lui dis-je. Je puis continuer en anglais. Mais, de grâce, écoutez-moi !

Le fait de lui avoir parlé français avait-il fait naître en lui un sentiment de sympathie : En tout cas, il consentit à m’écouter. Je n’eus aucune peine à me disculper, et il suspendit la sentence qu’il avait cru prononcer sur Reilly.

Après ma mise en liberté, il m’invita dans son cabinet particulier et s’intéressa avidement au récit de mes aventures depuis mon arrivée au pays comme lieutenant du corps de génie. La préparation à la mort l’amusa beaucoup ; mais il fronçait souvent les sourcils en pensant à la bévue qu’il était venu si près de commettre, grâce à la stupidité des policemen qui m’avaient appréhendé.

Il m’invita à lui rendre visite chez lui, m’assurant que son épouse et sa fille unique, Cécilia, seraient heureuses d’écouter le récit de mes aventures. Je lui promis une visite pour le dimanche après-midi.