Almanach des muses 1781/Zélor et Acanthe

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Almanach des muses 1781
(p. 263-266).


ZÉLOR ET ACANTHE,
CONTE.


Ô Mes amis, faiſons revivre
ce ſiecle heureux où l’homme n’eut à ſuivre
que les loix de l’amour & celles de l’honneur ;
où la beauté ne cédoit qu’au vainqueur ;
où l’eſpoir enchanteur d’enflammer ſa maitreſſe
rendoit tous les amans guerriers :
c’étoit le Dieu de la tendreſſe
qui créoit les preux Chevaliers ;
pour obtenir le mytthe, il falloit des lauriers.

Dans ce bon tems, vivoit une beauté charmante
légère, fraîche, agaçant le defir 5
on la nommoit la belle Acanthe :
taille noble, grâce touclianre,
elle avoit tout… fes yeux appelloicnt le plaifir.
Les Chevaliers inveotoient, pour lui plaire,
des jeux, des fêtes, des tournois ;
ſoins ſuperflus ; ſon ame trop légère,
entre nulle sivaux.ne pouvoit faire un choix.
Parmi ceux que l’Amour foumettoit à ſes loix,
étoit Zélor, la fleur de la Chevalerie,
Zélor, qui, ſous l’habit de Mars,
eut d’Adonis les traits, la courtoiſe.

Sur fon écu, de toutes parts,
étoit gravé le nom de ſa belle ennemie :
mais à peine un inſtant fixoit-il ſes regards.
Un jour qu’on célébroit la fête de Cythere,
Acanche qui du Dieu ſembloit être la mere,
parut au temple, & ſoudain dans les airs,
cet oracle fe ft entendre :
fon pouvoir qui s’écend fur ce vafte anivers,
» veur qu’Âicanthe porte mes fers,
» plus belle eacor, orqu’eîle fera tendre.
» D’un Chevalier azrentif à sa voix,
eile va devenir ja conçuè : e affurée,
Il eft une caverne & fombre & retirée,
» au müiieu d’un anrique bois CH :
ceux Dragors vigilans en défendent lentrée ;
va vieux Magicien donne en ce lieu des loix.
» Li, de soëe remis, il paffe dans fes doigts
» tous ces anneaux, fimple & frèle parure,
æ bijoux précieux & charmans,
auxquels eft atiché le deftin des amans
& le bonheur de la nature.
n Celui d’’Acanthe, ouvrage de mon fils,
» au petit doigt fixé d’une main ſûre,
ne cédera qu’aux coups des plus hardis
» Que le plus amoureux haſarde l’aventure ;
qu’il faſſe briller ſa valeur ;
qu’il foule aux pieds cet ennemi terrible,
& s’il peut du bijou devenir poſſeſſeur,
il rendra la Belle ſenſible… »

Vénus ſe tait, le temple retentit,
l’éclair brille, la foudre gronde,
l’écho murmure… on auroit dit
qu’à cet anneau fatal tenoit la fin du monde,
Acanthe s’étonne & pâlit :
mais en ſecret, elle ſe réjouit
qu’un Chevalier pour elle ſe morfonde :
ſes attraits en auront encor plus de crédit.
Mais cependant Zélor avoit quitté la fête…
(il fut toujours, en brave Chevalier,
lent à l’office, au combat le premier.)
La lance au poing, il pique ſon Courſier,
vers la forêt qui ſervoit de retraite
à l’Enchanteur… des Dragons furieux
il fait d’abord plier les têtes,
puis méditant de plus nobles conquêtes,
il s’avance à tâtons dans l’antre ténébreux… « 
lorſque pouſſant des hurlemens affreux,
ſon ennemi s’oppoſe à ſon paſſage :
l’audace eſt ſur ſon front, dans ſes yeux eſt la rage,
& dans ſa main brille un fer acéré,
Là, chaque coup donné, rendu, paré,
des combattans fait éclater l’adreſſe ;
lors d’un revers fièrement aſſené,
Zélor, de fon rival, abat la tête énorme :
elle roule à ſes pieds… mais qu’il fut étonné,
lorſqu’à ſes yeux ſortit du tronc informe
de ce cadavre inanimé,
un bel enfant, nud, foible & déſarmé,
« Ceſſez, dit-il, une auſſi rude guerre ;

» ah ! par pitié, laiſſez-moi ce bijou !
» quoi ! déguainer ainfi cet affreux cimeterre
» ſur un enfant ! Pourquoi ?… pour un joujou,
» pour un petit morceau de verre » ?
Il alloit fuir : Zélor qui voir ſes vœux comblés,
ſaiſit la bague… ô furprife ! Ô merveille !
tout diſparoît ; mille ſerpens ailés
naiſſent en foule à ſes regards troublés :
leurs ſiflemens étonnent ſon oreille :
mais c’eſt envain : ſous ſes coups redoublés,
tout meurt, tout tombe ; on voit le jour éclore ;
d’un vif éclat, la bague ſe colore :
Zélor la tient ; Acanche fuit envain,
& l’Enchanteur fait terminer ſoudain
un combat qui le déshonore.
C’eſt le dernier qu’il a livré, dit-on ;
tous ſes Dragons lui reſtent bien encore :
mais ils ont bien changé de ton.
On ſe munit de chaînes que l’on dore,
de dons brillans, de gâteaux emmiellés,
& sous les jours, les anneaux font pillés.

Par Madame de Bourdic.